La Surprise de la Haine (Louis DE BOISSY)
Comédie en trois actes et en vers.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, le 10 février 1734.
Personnages
CLÉON, père de Lisidor
CLARICE, mère de Lucile
LISIDOR, amant de Lucile
LUCILE, fille de Clarice
CONSTANCE, sœur de Lucile
MILORD GUINÉE
ARLEQUIN, valet de Lisidor
LISETTE, suivante de Lucile
La Scène est à Paris, chez Clarice.
ACTE I
Scène première
CONSTANCE, LISETTE
CONSTANCE.
Oui, Lisette, voici la brillante journée
Qui doit à Lisidor unir ma Sœur aînée.
Cette heureuse alliance étouffant tout Procès,
Entre nos deux Maisons va rétablir la paix.
L’Intérêt sur l’auteur de leur antipathie ;
Mais par cette union qui paraît assortie,
L’Hymen, de la Discorde est vainqueur en ce jour ;
Et la Haine est contrainte à céder à l’Amour.
LISETTE.
La révolution me paraît bien subite :
Lisidor fit hier sa première visite ;
Lucile votre sœur, ne l’a vu qu’un moment ;
Son Père encore, pour lui, porta le compliment.
Sa figure, il est vrai, parle à son avantage.
CONSTANCE.
Ce qui me plaît en lui, c’est son air noble et sage ;
LISETTE.
Moi, ce qui m’a choquée, il n’a dit que trois mots.
CONSTANCE.
Mais remplis de bon sens, et toujours à propos.
LISETTE.
C’est un homme qui parle avec poids et mesure.
Si j’en crois Arlequin qui m’a fait sa peinture,
Son caractère jure avec les mœurs du temps,
Et le fait mépriser de tous les jeunes gens.
Il traite la tendresse à la façon antique,
Porte les sentîmes jusques à l’héroïque,
Regarde comme un crime une infidélité,
Et se fait de l’Amour un Dieu de probité.
CONSTANCE.
Tu ne peux pas de lui faire un plus grand éloge ;
Et de cette matière il est beau qu’on déroge.
Le mal que tu m’en dis me le fait estimer.
LISETTE.
Et moi, par ce discours, j’ai lieu de présumer
Que le Beau-frère est fort à votre gré, Madame.
CONSTANCE.
Oui, je crois qu’il fera le bonheur de sa femme.
Je doute que ma Sœur, à parler entre nous,
Fasse de son côté, celui de son époux.
Il faut pourtant lui rendre une justice due ;
D’attraits et d’agréments sa personne est pourvue ;
Elle met de la grâce à tout ce qu’elle fait,
Et son discours séduit, en dépit qu’on en ait.
Son âme est généreuse et désintéressée,
Franche, et qui n’a jamais déguisé sa pensée ;
Mais aux vivacités elle a l’esprit sujet,
L’humeur folle, et surtout, le naturel coquet ;
Se révolte aisément, et revient avec peine ;
Faible dans sa tendresse, et forte dans sa haine.
LISETTE.
À la peinture encore ajoutons quelques traits :
Railleuse au dernier point, curieuse à l’excès ;
Du matin jusqu’au soir, par l’humeur dominée,
Et dans ses sentiments, sans retour, obstinée.
C’est là son vrai portrait, qu’il est temps de finir,
Car je l’entends marcher, et je la vois venir.
Elle rentre.
Scène II
LUCILE, CONSTANCE
CONSTANCE.
Vous voulez bien, ma sœur, que je vous félicite.
Vous allez épouser un homme de mérite.
LUCILE.
Comment le savez-vous ?
CONSTANCE.
Tout le monde le dit,
Et son extérieur...
LUCILE.
Prévient, sans contredit.
Pour peu que son esprit réponde à sa figure,
Mon cœur l’acceptera pour époux sans murmure ;
Dans un instant, ma sœur, je vais en décider :
Il doit auprès de moi se tendre sans tarder ;
Je brûle de savoir quel est son caractère.
CONSTANCE.
Oh ! c’est déjà beaucoup, sa personne à su plaire.
Quand l’œil est prévenu par un air engageant.
L’esprit, sur tout le reste, est un juge indulgent.
LUCILE.
Le mien est difficile. Il faut qu’il examine ;
Vers Lisidor, pourtant, fortement il incline.
Je crois qu’il me convient ; et dans ce doux espoir,
Je me suis engagé à l’épouser ce soir.
CONSTANCE.
Vous l’aimez ?
LUCILE.
Oui : je sens un goût de préférence,
Qui tient plus de l’amour que de l’indifférence.
CONSTANCE.
Je veux, de mon côté, vous confies, ma sœur,
Un secret...
LUCILE.
Un secret ? Ouvrez-moi votre cœur,
Je suis de bon conseil. Parlez, ma sœur cadette.
Eh quoi ! Vous rougissez ? Ah ! C’est une amourette.
CONSTANCE.
Non, c’est du sérieux.
LUCILE.
Du sérieux » Ha ! ha !
Est-ce un amour parfait ?
CONSTANCE.
C’est mieux que tout cela.
LUCILE.
Mais, vous me surprenez ! Serait-ce un mariage ?
CONSTANCE.
Justement. Nous avons ce soir même avantage.
LUCILE.
Comment donc ?
CONSTANCE.
Comme vous, je vais changer de sort,
Et fichez, qui plus est, que j’épouse un Milord.
LUCILE.
Épouser un Milord ! Vous ? Quelle rêverie !
CONSTANCE.
De l’histoire entendez les détails, je vous prie.
LUCILE.
C’est sans doute un Roman. Vous n’avez qu’à conter,
Milady, me voilà prêt à vous écouter.
CONSTANCE.
C’est à la promenade où j’ai fait la conquête :
Mais ma mère qui vient, dans mon récit m’arrête.
LUCILE.
Quel contretemps ! Pourquoi paraît-elle sitôt ?
CONSTANCE.
Je rentre. Vous saurez mon histoire tantôt.
Elle sort.
LUCILE, seule.
Quel sera ce récit que je brûle d’apprendre.
Scène III
CLARICE, LUCILE
CLARICE.
Non, mon ravissement ne saurait se comprendre !
C’est peu qu’un prompt hymen, terme par la raison,
Termine, un long procès qui troublait ma maison ;
L’Amour cimente encore votre bonheur, ma fille,
Et semble concourir au bien de ma famille.
Votre première vue a charmé votre amant,
Et, plus que lui, son père est dans l’enchantement.
Ils viennent tous les deux. Lisidor qui voue aime,
De vous entretenir montre une envie extrême.
LUCILE.
Madame, à lui parler je n’ai pas moins d’ardeur.
CLARICE.
Il est sur de la main, il veut gagner le cœur.
J’entends du bruit, c’est lui qui vient avec son père.
Scène IV
CLARICE, LUCILE, CLÉON, LISIDOR
CLÉON, à Lisidor.
Sa figure est charmante.
LISIDOR.
Oui, si son caractère,
Comme je dois le croire, égale ses attraits,
Je ne désire rien ; mes destins sont parfaits.
CLARICE, à Lucile.
Vous l’entendez, ma fille ?
CLÉON.
Ô discours qui m’enchante !
Venez, je l’aperçois. Mon fils, qu’elle est piquante !
À Clarice.
Madame, tout succède au gré de mon désir,
Votre sang et le mien cessent de se haïr,
Votre fille et mon fils sont formés l’un pour l’autre.
CLARICE.
Ma joie, en de moment, est égale à la vôtre.
Rentrons ; notre présence est de trop, je le vois.
CLÉON.
Oui : laissons-leur goûter pour la première fois,
Le plaisir d’être seuls et d’épancher leur âme.
En voyant leur amour, je rajeunis, Madame.
CLARICE, à Cléon, en si retournant.
Jetez l’œil sur ma fille.
CLÉON, en s’en allant.
Et regardez mon fils.
LUCILE, à part.
Ma mère se retourne.
LISIDOR.
Ils ne sont pas sortis.
CLARICE, en marchant toujours.
Dans leurs tendres regards on lit la sympathie.
CLÉON.
Embrassons-nous ; ils vont s’aimer à la folie.
Ils rentrent en s’embrassant.
Scène V
LISIDOR, LUCILE
LISIDOR.
Souffrez, belle Lucile, en des instants si doux,
Que je fasse éclater mes transports devant vous.
De nos parents communs la guerre est terminée :
Qu’il est flatteur pour moi d’être en cette journée
Qui couronne mes vœux et qui les rend amis,
Le lien d’une paix dont vous êtes le prix !
Il ne manquerait rien à mon bonheur suprême,
Si votre cœur, Madame, était ce prix lui-même.
Si le choix qu’ils ont fait pouvait être le sien,
Et qu’il sentit la joie où se livre le mien.
LUCILE.
Je sens, comme je dois, le bien de ma famille,
Ma mère à l’avouer, autorise sa fille,
Notre hymen le procure : un lien si flatteur
Doit avoir mon suffrage, et faire mon bonheur.
LISIDOR.
J’y mettrai tous mes soins et mon étude unique :
L’amour a prévenu chez moi la politique ;
Il n’a pas attendu, vos yeux m’en sont garants,
Pour entrer dans mon cœur, le choix de nos parents ;
Et le fils détestant une aveugle colère,
N’a jamais partagé l’inimitié du père.
LUCILE.
Monsieur, vous m’étonnez par de pareils aveux,
Pour la première fois nous nous parlons tous deux ;
Comment votre tendresse est-elle donc venue ?
LISIDOR.
L’amour que j’ai pour vous, je l’ai pris par la vue.
Pour soumettre le cœur le plus séditieux,
Eh ! Ne suffit-il pas d’un regard de vos yeux ?
Comme nous demeurons fort près les uns des autres,
Dans le temps qu’éclatait la querelle des nôtres,
J’étais à la fenêtre, et je vous vis passer ;
D’un coup d’œil enchanteur je me sentis percer.
Dieux ! m’écriai-je alors quel objet adorable ?
Que sa douceur annonce un caractère aimable !
Et qu’on serait heureux d’obtenir tant d’appas !
En formant de tels vœux, je ne m’attendais pas
Qu’ils seraient exaucés par le Ciel favorable,
Et qu’il m’accorderait un bien si désirable.
LUCILE.
Un tel discours, Monsieur, flatte ma vanité,
Notre hymen déjà prêt, et ma sincérité
Exigent qu’à mon tour je rompe le silence,
Et de mes sentiments vous fasse confidence ;
À ne vous rien cacher de leurs replis secrets,
Votre histoire, Monsieur, est la mienne à peu près.
LISIDOR.
Ô ! Ciel ! Est-il possible ?
LUCILE.
Un jour que vous passâtes
Et d’un air très poli, que vous me saluâtes,
Je ne puis m’empêcher de vous faire l’aveu
Que vos cendres regards me troublèrent un peu ;
Je vous voulus du bien, je ne saurais le taire,
Et vous me plûtes même autant qu’on peut me plaire ;
J’osai, sans l’espérer, souhaiter comme vous,
Quand ma mère pour moi ferait choix d’un époux,
Que le sort réunît ma maison et la vôtre.
Et que ce choix tombât sur vous, non sur un autre.
LISIDOR.
Que tout ce que j’entends a lieu de me flatter !
Ce que vous m’avez dit, daignez le répéter :
Parlez, est il bien vrai, qu’à la première vue,
Madame, en ma faveur, vous fûtes prévenue ?
Sentîtes-vous dès-lors, comme je le sentis,
Ce qu’éprouvent deux cœurs faits pour être assortis,
Ce trouble avant-coureur, qu’un grand amour inspire.
LUCILE.
Si je parlais ainsi, ce serait trop vous dire :
Outre qu’en une fille il serait peu décent
De déclarer d’abord un amour si pressant,
J’ignore ces ardeurs, qui font que l’on soupire,
Et ces brûlants transports qui sentent le délire ;
Ma tendresse est un goût vif sans être importun,
Et qui, sans m’agiter, me prévient pour quelqu’un.
Vous m’inspirâtes donc, Monsieur, ce goût paisible,
Et le seul dont mon cœur puisse être susceptible.
LISIDOR
Quelque faible qu’il soit auprès de mon ardeur,
Ce goût pour moi, Madame, est toujours bien flatteur.
J’espère l’augmenter par ma flamme parfaite :
Mon âme au changement ne fut jamais sujette ;
Et bien loin d’attiédir les feux de mon amour,
L’hymen redoublera leur force chaque jour.
Des époux d’aujourd’hui, que je ne saurais suivre,
J’ai toujours condamné la manière de vivre,
Ils n’envisagent tous dans leur engagement
Que l’avantage seul d’un établissement
L’usage et l’intérêt déterminent leur âme,
Sur le pied d’une charge, ils prennent une femme,
Et les tendres devoirs du lien conjugal,
Sont remplis les derniers, et toujours le plus mal.
Mon supplice est de voir un mari petit-maître,
Éviter son épouse, et rougir de paraître
Avec elle en public ; quoique charmante enfin,
Il croirait déroger, s’il lui donnait la main.
Mon cœur est révolté contre des mœurs semblables,
Qui d’un lien charmant font des nœuds méprisables ;
Elles blessent l’amour, et choquent le bon sens.
Oui, malgré la coutume, et les mauvais plaisants,
Je veux suivre les lois que la raison inspire,
Adorer ma moitié, je veux oser le dire,
Mettre toute ma gloire à posséder son cœur,
De sa félicité faire tout mon bonheur :
Je veux, sans me lasser du nœud qui nous assemble,
Lui prodiguer mes soins, à toute heure être ensemble,
Avec elle n’avoir qu’un même appartement,
Et sous le nom d’époux être toujours amant.
LUCILE.
Un semblable projet est digne qu’on le loue ;
Mais j’y vois un défaut, Monsieur, je vous l’avoue.
LISIDOR.
Quel !
LUCILE.
C’est de n’être beau qu’en spéculation ;
Il faut, pour le remplir, trop de perfection,
Et dans le fond du cœur vous le pensez vous-même.
LISIDOR.
Non, pour l’exécuter il suffit que l’on s’aime,
Croyez-en ma tendresse, et daignez l’approuver.
LUCILE.
Vous ne parlez ainsi qu’afin de m’éprouver.
LISIDOR.
L’aveu que je vous fais, Madame, est véritable,
Et je ne conçois point de bonheur comparable
À la félicité que goûtent, chaque jour,
Deux époux occupés d’un mutuel amour.
Quel plaisir de s’aimer, de le dire à toute heure,
De se voir sans obstacle en la même demeure !
LUCILE.
Et voilà le malheur ! On a tour surmonté.
L’amour s’éteint toujours par la facilité :
Les grandes passions naissent des grands obstacles,
Et l’hymen n’a jamais produit de tels miracles,
L’unique et vrai moyen de s’aimer sûrement,
Est, quand on est époux, de se voir rarement ;
On se doit éviter sitôt qu’on se possède,
L’ennui gagne hautement, puis la haine succède.
LISIDOR.
Ce que vous dites-là pouvez-vous le penser !
De se voir, quand on s’aime, ah ! peut-on se lasser !
Deux cœurs qui sont d’accord, ne craignent que l’absence.
LUCILE.
Du contraire en hymen, on fait l’expérience.
Être ensemble toujours ! Sentez-vous ce danger ?
Je bâille en ce moment, seulement d’y songer ;
C’est pourquoi je m’en tiens au système à la mode,
Comme plus agréable, et comme plus commode :
Je ne puis m’élever à ces grands sentiments.
Malgré votre éloquence, et vos raisonnements,
Je veux suivre les lois que de grand monde inspire
Estimer mon mari, mais sans jamais le dire ;
Chérir la liberté, la préférer à tout,
Par-là, du mariage, éviter le dégoût ;
Et pour nous délasser du nœud qui nous assemble,
Me dissiper ailleurs, n’aller jamais ensemble,
Mettre un corps de logis pour barrière entre nous ;
Et vivre en Étrangers, sous le titre d’époux.
LISIDOR.
Pouvez-vous bien, Madame, adopter ce système ?
Vous voulez donc aimer ?...
LUCILE.
Comme aujourd’hui l’on s’aime.
LISIDOR.
D’un mépris éclatant, c’est me faire l’aveu.
Mais votre esprit s’égaye, et c’est sans doute un jeu.
LUCILE.
Oh ! Point du tout, Monsieur ; c’est mon cœur qui s’exprime.
LISIDOR.
Pardon, si je vous dis, que faite pour l’estime ;
Et trop sûre d’avoir tout mon attachement,
Vous perdez à montrer un pareil sentiment :
Mais mon amour saura l’arracher de votre âme,
LUCILE.
Il y tient fort ; j’en doute.
LISIDOR.
Et j’en suis sûr, Madame.
Oui, vous pensez trop bien pour n’en pas revenir.
Mes soins, dès que l’Hymen aura su nous unir,
Dessilleront vos yeux d’une erreur si fatale,
Vous connaîtrez le prix d’une tendresse égale ;
Pour mieux vous détromper, mon cœur forme le plan
D’abandonner Paris cinq ou six mois de l’an ;
De vivre pour vous seule en mon Château tranquille.
Et de le préférer au fracas de la Ville.
LUCILE.
Monsieur, c’est ce fracas que j’aime à la fureur,
Et j’ai pour, la campagne une invincible horreur ;
À moins que je ne parte en grande compagnie,
Dès que j y mets le pied, je tombe évanouie.
LISIDOR.
Peut-on haïr les Champs, l’asile de l’Amour,
Et, des biens les plus purs, le paisible séjour ?
LUCILE.
Peut-on quitter la Ville, où toute choie abonde ;
Le siège des plaisirs, le centre du beau monde ?
Il n’est que des maris ombrageux et jaloux,
Qui puissent, pour Paris, montrer de tels dégoûts.
LISIDOR.
C’est par délicatesse, et non par jalousie,
Que je vous proposais une telle partie.
LUCILE.
Mais dans votre Château, qu’est-ce que nous ferions ?
LISIDOR.
Nous nous verrions sans cesse, et nous nous aimerions.
LUCILE.
Il faut avoir l’esprit tout-à-fait romanesque,
Pour se faire, d’aimer, un plan aussi burlesque !
Pour une jeune femme, ô l’adulant régal !
Faire, avec son époux, un Roman Pastoral,
S’épancher sur la mousse en tendres Dialogues,
Et composer ensemble un volume d’Églogues ;
Ou, comme au temps d’Astrée, aller dans les Valons
En habit de Bergers, conduire nos Moutons,
Prendre la Pannetière, arborer la Houlette,
Et chanter nos amours sur la douce Musette.
LISIDOR.
On donne, quand on veut, du ridicule à tout ;
Mais, Madame, dans peu vous changerez de goût ;
Vous n’aurez pas vécu dix jours à la campagne,
Que vous me vanterez la paix qui l’accompagne.
LUCILE.
M’unir à vous pour vivre au fond d’un vieux Château !
Je frémis d’un dessein qui vous paraît si beau :
Je n’y pourrais mener qu’une mourante vie,
Moi, qui sans l’Opéra, le Bal, la Comédie,
Ne saurais concevoir qu’on puisse respirer.
LISIDOR, à part.
Quel fond d’esprit coquet elle ose me montrer !
Haut.
Mais je vous donnerai le Bal par complaisance :
Car, à vous dire vrai, je n’aime pas la danse.
LUCILE.
Vous n’aimez pas la danse ? Ah ! Que me dites-vous ?
C’est des amusements le plus charmant de tous.
LISIDOR.
Ajoutez le plus fou.
LUCILE.
C’est tant mieux. À votre âge,
Pouvez-vous me tenir un semblable langage !
Est-il possible, ô Ciel ! de vivre sans danser ?
Pour moi, je danserais huit jours sans me lasser.
LISIDOR.
C’est votre passion. La Musique est la mienne ;
Mais singulièrement j’aime l’Italienne.
LUCILE.
Musique Italienne ! Ah ! Quel goût dépravé !
LISIDOR.
Par tous les vrais Savants il se voit approuvé.
LUCILE.
Il me prend des vapeurs au seul nom de Cantate,
Je pensai l’autre jour mourir d’une Sonate.
LISIDOR.
Oh ! Pour moi, si j’en meurs, ce sera de plaisir.
La Musique, après vous, aura tout mon loisir.
LUCILE.
La Musique après moi ! La fleurette est nouvelle ;
Mais c’est encore beaucoup d’avoir le pas sur elle.
LISIDOR.
Je suis bien malheureux ! Chaque mot que je dis,
Madame, a le secret d’attirer vos mépris.
LUCILE.
C’est vous-même, Monsieur, qui m’osés contredire,
À tous mes sentiments vous trouvez à redire,
Quoiqu’ils soient bien fondés, et que vous ayez tort.
LISIDOR.
Les miens, sur la raison sont appuyés si fort...
LUCILE.
Non, Monsieur, non, mon droit l’emporte sur le vôtre.
Scène VI
LISIDOR, LUCILE, CONSTANCE
CONSTANCE.
Comment donc ! Vous parlez vivement l’un et l’autre ;
Je sais votre dispute, et n’en ai rien perdu :
J’étais dans cette chambre, où j’ai tout entendu.
LUCILE.
Vous nous épargnerez le soin de vous instruire.
LISIDOR.
Madame, jugez-nous ; daignez ici nous dire
Quel système, entre époux, vous paraît le meilleur ?
CONSTANCE.
Il ne me convient pas d’en décider, Monsieur.
LUCILE.
Votre sœur le permet, expliquez-vous, Constance.
CONSTANCE.
Si je dis là-dessus ce que mort âme pense,
Il faudra, malgré moi, déplaire à l’un de vous.
LISIDOR, à Constance.
Quoique vous prononciez, l’arrêt m’en sera doux.
LUCILE.
J’ai l’esprit trop bien fait pour en être offensée.
CONSTANCE.
Les époux, puisqu’il faut découvrir ma pensée,
Doivent, pour être heureux dans leurs engagements
Se parler comme amis, et vivre comme Amants.
LISIDOR.
Madame, vous voyez que mon bon droit l’emporte.
LUCILE.
Oh ! Je me moque, moi, d’un arrêt de la sorte.
Une fille comme elle, et dont l’œil n’a pu voir
Le monde qu’à travers les grilles d’un parloir,
Qui s’est rempli l’esprit d’amoureuses sornettes,
Et, du matin au soir, lit des Historiettes,
Ne peut que mal juger pareille question.
Je compte avoir gagné par sa décision ;
Et si son jugement m’eût été favorable,
J’en aurais eu, Monsieur, un regret véritable.
LISIDOR.
De la droite raison elle a suivi les lois ;
Votre esprit est si juste, et ma cause à la fois,
Que j’appelle de vous à vous-même, Madame.
Je vous laisse y songer ; un retour de votre âme
Va me faite gagner, en accordant nos goûts,
Ce qu’un premier transport m’a fait perdre chez vous.
LUCILE.
Non, dans mes sentiments je suis toujours constante.
LISIDOR, bas, en s’en allant.
Sous un air de douceur elle est contrariante.
LUCILE, à part.
Peut-on penser si mal étant aussi-bien fait ?
Scène VII
LUCILE, CONSTANCE
LUCILE, à Constance.
À propos, vos amours ? je brûle d’être au fait
Du récit de tantôt.
CONSTANCE, lui donnant une lettre.
Tenez, pour vous y mettre,
Ma sœur, prenez le soin de lire cette lettre.
LUCILE.
La lettre d’un Milord ! Oh ! Pour la nouveauté,
Voyons ; vous redoublez ma curiosité.
Elle lit.
Vous avoir vue avant hier au Tuilleries avec votre sœur, pour la première fois ; n’avoir su votre nom et votre demeure que par un de mes gens, qui a suivi votre carrosse en sortant ; vous avoir adorée depuis ce moment ; là ; oser vous l’écrire aujourd’hui, dans l’impossibilité de vous le dire ; et vouloir vous épouser après demain, si vous et les vôtres y consentez ; tout cela vous dit, Madame, que vous êtes Française, c’est-à-dire, faite pour faire naître d’un coup d’œil la passion la plus rapide, et que je suis Anglais, c’est-à-dire, extrême, et né pour sentir plus fortement qu’un autre, et pour agir en conséquence.
Elle s’interrompt.
Cette façon d’écrire est très particulière.
CONSTANCE.
Vous n’êtes pas au bout. Lisez la lettre entière.
LUCILE continue à lire.
Comme j’ignore le cérémonial de votre pays, et que je suis pressé d’être heureux je n’attends que votre réponse pour vous faire demander à Madame votre mère. Et je vous dirai, pour abréger, que je suis homme de qualité, maître de moi-même, à l’âge de vingt-six ans, et que ma richesse est égale à mon amour.
MILORD GUINÉE.
Le nom est vraiment riche.
Après avoir lu.
On s’est moqué de vous.
Allez, vous êtes folle avec vos Billets doux.
CONSTANCE.
Comment donc ?
LUCILE.
Oui, ma sœur, c’est moi qui vous l’assure.
Quelqu’un qui vous connaît pour aimer la lecture.
De tout ce qu’on appelle aventure du temps,
Et pour, croire les Faits les plus extravagants,
Aura fait, à coup sûr, cette lettre pour rire,
Ou vous-même avez eu l’honneur de vous l’écrire.
CONSTANCE.
Moi ! M’écrire !
LUCILE.
À la fin, tous ces livrets d’amour
Lui tourneront la tête. Il faut que dans ce jour
J’avertisse ma Mère, afin que ta prudence
Arrête le progrès de cette extravagance.
CONSTANCE.
Épargnez-vous ce soin, car ma Mère sait tout.
Et l’hymen du Milord est très fort de son goût,
Mon Oncle en fit hier la première ouverture.
LUCILE.
Fort bien ! C’est pour donner du poids à l’aventure.
Mais ce Seigneur Anglais, le connaissez-vous ?
CONSTANCE.
Non.
LUCILE.
Voilà qui me confirme en mon juste soupçon.
CONSTANCE.
Oh ! Pour le dissiper, il va bientôt paraître,
Vous pourrez, comme moi, le voir et le connaître.
LUCILE.
Voyons donc la réponse au Billet que j’ai lu.
Comment l’avez-vous faite ?
CONSTANCE.
Oh ! Telle qu’il m’a plu
Vous me poussez à bout, et ma douceur se lasse,
Ma sœur aînée. Adieu, je vous quitte la place.
Ce que vous avez pris pour un conte inventé,
Sera pour moi, ce soir, une réalité.
Vous me traités en vain ici de ridicule.
Les effets convaincront votre esprit incrédule.
Dans peu votre cadette aura le pas sur vous,
Et sera Milady, malgré tous les jaloux.
Elle sort.
Scène VIII
LUCILE, seule
Me dirait-elle vrai ? J’ai ri de son histoire,
Et dans le fond du cœur je commence à la croire ;
Mon Oncle avec ma Mère est par elle cité,
Cela donne à la chose un air de vérité.
Mais vraiment de ses yeux la première victoire
Est brillante pour elle, et doit flatter sa gloire.
On entre. Quel est donc ce Seigneur que je vois :
Il a l’air étranger. Serait-ce notre Anglais ?
Scène IX
LUCILE, MILORD GUINÉE
MILORD.
Ah ! Madame, bon jour. Enfin Milord Guinée
Va voir à votre sort unir sa destinée.
LUCILE, à part.
C’est lui.
MILORD.
Tout du plus loin que mon œil vous a vu,
Pour Constance d’abord il vous a reconnu.
LUCILE, à part.
Il me prend pour ma Sœur.
MILORD.
Oui, c’est votre visage.
En faveur de l’amour, faites grâce au langage.
Tourner un compliment n’est pas l’art d’un Anglais ;
Mais regardez, mes yeux, ils parlent bon Français.
Et vous disent tout haut, sans détour, sans emblème,
Que plus que vingt Marquis, moi tout seul je vous aime ;
Que si dans les instants d’un si doux entretien,
Ma bouche parle mal, mon cœur dire fort bien.
Et que sans s’arrêter à des douceurs frivoles,
Les effets d’un Milord valent bien les paroles.
LUCILE, à part.
Il parle de bon sens, et m’en veut tout de bon.
Ses gens qui l’ont instruit, se sont mépris de nom.
Ce qui m’enchante, moi, ma Sœur s’en croit aimée,
Et c’est moi, sous son nom, dont son âme est charmée.
Badinons un moment. Je ne lui vole rien :
En prenant ce plaisir je puis de mon bien.
MILORD.
Que dites-vous à part. Pardon si j’interroge.
LUCILE.
En moi-même, Monsieur, je faisais votre éloge.
MILORD.
Oh ! Moi douter d’un bien qu’on dit, de moi tout bas.
LUCILE.
Si je le répétais, vous n’en douteriez pas.
MILORD.
Répète, vous, répète en ce moment, Madame ;
Être loué par vous enchantera mon âme.
LUCILE.
Hé bien, puisqu’il faut donc tout haut le répéter,
Je me disais, Milord, cela sans vous flatter,
Que dans votre discours régnait un air sincère,
Que vos façons d’agir avaient l’art de me plaire,
Et que vous ajoutiez à l’inclination
Que j’ai depuis longtemps pour votre nation ;
Mon cœur lui rend justice avec toute la terre.
MILORD.
Vous faire infiniment d’honneur à l’Angleterre.
Pour mieux justifier votre estime pour nous,
Moi, vous mener à Londres en qualité d’époux,
Vous, recevoir l’accueil et tout l’éclat insigne,
Que mérite mon rang, et dont vous êtes digne.
LUCILE.
Est-on là sans façon ?
MILORD.
Un peu plus qu’à Paris.
Vivre à sa fantaisie est un droit du Pays ;
Et nos maris Anglais effacent en dépense,
Et passent en bonté tous vos maris de France.
Londres est pour le beau sexe un séjour enchanté.
L’opulence y préside avec la liberté.
LUCILE.
Avec la liberté ! C’est tout ce que j’estime
Faire ce que je veux fut toujours ma maxime.
MILORD.
Et la nôtre. Avec vous être bien assorti.
Suivie en tout son caprice, oh ! Rica n’est plus gentil,
Rien n’est plus amusant ; et quand on se marie
C’est ce qui fait surtout le plaisir de la vie.
Le matin, l’un et l’autre, on s’aime tendrement.
Des caresses, beaucoup. Beaucoup d’empressement.
L’après-midi, tous deux, beaucoup d’indifférence.
Ne pas se regarder, rester dans le silence.
Ensuite revenir, se reprendre de goût.
Dans le moment d’après se chicaner sur tout,
On bonde, on se bat froid, puis tous deux on s’agace ;
On se pique, on se brusque ; ensuite l’on s’embrasse.
On se rebrouille encore, selon sa volonté ;
Chacun, comme il lui plaît, s’en va de son côté :
On se fuit tout le jour, sans qu’on se désapprouve ;
Et puis, Madame, et puis, le soir, on se retrouve.
LUCILE.
Ah ! l’agréable vie, et quel aimable Anglais !
Il pense là-dessus aussi bien qu’un Français.
MILORD.
Hem ! Comment trouvez-vous notre façon de vivre ?
LUCILE.
Charmante, variée, et celle qu’il faut suivre.
MILORD.
Vous l’aimez donc ?
LUCILE.
Beaucoup.
MILORD.
J’en suis fort réjoui.
Avec bien du plaisir vous voir l’Angleterre ?
LUCILE.
Oui.
S’il dépendait de moi je ferais ce voyage.
MILORD.
Vous le ferrez. Je cours presser mon mariage.
Il me tarde déjà de nous voir en chemin.
Nous épouser ce soir, et nous partir demain.
LUCILE, à part.
C’est trop rire. Il est temps que je le désabuse.
À Milord.
Vous êtes dans l’erreur, Milord, et je m’accuse...
MILORD.
Oh ! Point d’erreur chez moi, je puis vous l’attester,
Madame...
LUCILE.
Faites-moi l’honneur de m’écouter.
MILORD.
Je ne me trompe pas, Constance, je vous aime.
LUCILE.
Mais, Milord, c’est ma Sœur...
MILORD.
Point du tout, c’est vous-même.
LUCILE.
C’est un malentendu ; ma Mère, et d’autres nœuds
Opposent en ce jour un obstacle à vos vœux.
MILORD.
Madame votre Mère approuve fort ma flamme,
Et veut que, des ce soir, sa fille soit ma femme.
Je dis vrai, vous devez me croire.
LUCILE.
Oui, je vous crois.
Mais elle ne veut pas que vous m’épousiez, moi.
MILORD.
J’épouse vous, j’épouse ; et dans cette assurance,
Dispose le départ pour vous, belle Constance.
Adieu. Prenant demain la route de Calais,
Je prive pour toujours Paris de vos attraits ;
Et dans huit jours d’ici, j’ose vous en répondre,
Son plus grand ornement fera l’éclat de Londres.
Il part.
LUCILE.
Puisqu’il le veut ainsi, laissons-lui son erreur ;
Et prenons le parti d’en avenir ma Sœur.
ACTE II
Scène première
ARLEQUIN, LISETTE
ARLEQUIN, riant.
La chose est trop risible, ou le diable m’emporte !
Ha, ha, ha !
LISETTE.
Qui t’oblige à rire de la sorte ?
ARLEQUIN.
Lucile et Lisidor grondent, en ces instants,
Si fort, qu’on les croirait mariés dès longtemps.
LISETTE.
Ils ont une dispute ?
ARLEQUIN.
Oui vraiment, des plus vives ;
Et je les ai laissés bien près des invectives.
LISETTE.
Sur quoi donc ?
ARLEQUIN.
Oh ! Surtout. Primo, sur les habits.
D’abord l’un veut du vert, et l’autre veut du gris.
LISETTE.
C’est toujours sur des riens qu’on prend feu, qu’on sa pique,
Et qu’on voit allumer la guerre domestique.
Mais, ton Maître, sans doute, a cédé poliment.
ARLEQUIN.
Oui, voyant que Lucile insistait vivement,
Il lui répond : Madame, eh ! pour des bagatelles
Faut-il nous disputer et former des querelles ?
Je ne crois obligé de vous dire, en honneur,
Qu’il faut, pour vivre ensemble, un peu plus de douceur.
J’en ai beaucoup, et vous, fort peu de complaisance,
Repart-elle aussitôt, d’un air de pétulance.
Madame, en vérité, vous me parlez d’un ton...
Et vous me répliquez, d’une façon...
M ais il n’est plus moyen qu’avec vous le converse...
Mais il faut tous les deux que nous rompions commerce.
Madame, sentez-vous la force de vos mots ?
Et vous-même, Monsieur, celle de vos propos ?
Dans le temps qu’ils étaient en train de si bien dire,
Je suis sorti tenant mes deux côtés de rire :
Tout grave que je suis, si je fusse resté,
À leur nez sûrement tout haut j’eusse éclaté.
Mais mon Maître paraît, je l’entends qui murmure.
LISETTE.
Adieu. Je vais savoir ce que dit sa future.
Elle rentre.
Scène II
LISIDOR, ARLEQUIN
LISIDOR.
Ô Ciel ! Quel est l’état où ses discours m’ont mis !
Ils détruisent l’espoir que je matois promis.
Quel esprit ! Je n’ai vu rien d’égal en ma vie.
On ne peut dire un mot qu’elle ne contrarie.
Deux conversations que nous venons d’avoir,
M ‘ont réduit presqu’au point de ne plus la revoir.
La contradiction a fini sa première.
La seconde a produit l’aigreur et la colère.
ARLEQUIN.
De droit, à la troisième ils doivent s’étrangler.
LISIDOR.
Que fera-ce, grand Dieu ! Cela me fait trembler !
Quand nous ferons lies d’une chaîne éternelle ;
Notre hymen ne sera qu’une longue querelle.
Sans le rapport d’humeurs, que servent les attraits ?
Ah ! Je sens qu’ils ne font qu’augmenter mes regrets.
L’amour qui m’attendrit, la haine qui m’irrite,
Me livrent tous les deux un combat qui m’agita
Lucile tour à tour, et me charme et m’aigrit.
J’adore sa figure, et je hais son esprit.
Je me sens par sa grâce attirer en partie,
Et pour ses sentiments j’ai de l’antipathie.
Ses yeux touchent mon âme, et par tous ses discours,
Sa bouche en même temps la révolte toujours.
Quel état douloureux ! Et quels tourments sévères,
D’éprouver à la fois deux passions contraires !
Et pour un même objet de les sentir encor,
Sans pouvoir se fixer, ni prendre son essor !
Une des deux suffit pour faite notre peine.
Amour, sors de mon cœur, ou chasses-en la haine.
Finis par la victoire, ou par la fuite enfin,
Le cruel embarras de mon cœur incertain.
ARLEQUIN.
Ceci devient tragique, et je n’ose plus rire.
LISIDOR.
Pour soulager ce cœur, je veux, je veux écrire
Les justes sentiments qui viennent l’émouvoir,
À celle qui les cause et fait mon désespoir.
Ma main va vous tracer une lettre d’un style
Qui vous fera sentir tous vos défauts, Lucile.
ARLEQUIN.
Fort bien ! Il va lui faire, en son aigre dépit,
Sa déclaration de haine par écrit.
LISIDOR.
La façon dont par nous elle sera touchée,
N’aura pas la fadeur qui nous est reprochée.
Voici sur cette table, encre, plume, papier.
À peindre mes transports je vais les employer.
Il écrit, et prononce haut ce qu’il met sur le papier.
« Madame, vous avez la figure charmante ;
« Votre air prévient d’abord, votre coup d’œil enchante. »
ARLEQUIN.
Il tient mal sa parole, à ce qu’il me paraît.
Voilà l’amour qui parle, et la haine se tait.
LISIDOR continue d’écrire.
« Mais vous faites bientôt paraître un caractère,
« Un travers dans l’esprit qui ne peut que déplaire. »
ARLEQUIN.
Bon ! La fureur revient, et la haine a son tour.
LISIDOR écrit toujours.
« Votre première vue inspire de l’amour.
« Le plus fier est contraint de vous rendre les armes.
« Mais votre humeur détruit l’ouvrage de vos charmes,
« Ou les balance au point, que souvent on ne sait
« Si l’on aime avec vous, Madame, ou si l’on hait. »
ARLEQUIN.
Quel discours !
LISIDOR achève d’écrire.
« La hauteur et la bizarrerie,
« La contradiction et la coquetterie
« Forment le riche fond de votre naturel,
« Et font avec vos yeux un contraste éternel. »
ARLEQUIN.
Le brillant coloris ! La charmante peinture :
Lucile est, par ma foi, tirée en miniature !
LISIDOR.
Mais, d’un premier transport je suis trop la chaleur,
Et mes expressions respirent trop l’aigreur.
Lucile est, après tout, d’un sexe respectable.
D’adoucir cette fin il est plus convenable.
ARLEQUIN.
Oui, le beau sexe veut plus, de ménagement.
Dans ces occasions, récris tout autrement.
LISIDOR.
Ce terme ne dit pas tout ce que je veux dire...
J’ai trouvé pour le coup celui que je désire...
Oui, sa fin de ma lettre est beaucoup mieux ainsi ;
Sans affaiblir le sens, le tout est adouci.
À Arlequin.
À Lucile, va cours, portes-la sans remise.
Mon âme est soulagée... Attends que je relise.
Il lit.
« Dément la douceur... » Il est encore trop fort...
Non, elle le mérite, et je m’alarme à tort.
ARLEQUIN.
Lisez-la-moi de suite, ainsi qu’elle est tracée,
Et je vous en dirai franchement ma pensée.
LISIDOR.
Tiens, portes-la sans faire ici le raisonneur.
Ce maroufle avec moi tranche du Gouverneur.
ARLEQUIN.
Puisque vous le voulez, Monsieur, je vais la rendre.
LISIDOR.
Demeure... Je ne sais quel parti je dois prendre.
ARLEQUIN.
Je crois voir votre père ; et, sans plus hésiter,
Vous pouvez, là-dessus, Monsieur, le consulter.
LISIDOR.
Ah ! C’est à lui, sur tout, qu’il faut que je le cèle ;
Ce serait lui porter une atteinte mortelle.
Je l’aime trop. Je dois immoler aujourd’hui,
Ma haine pour Lucile à mon respect pour lui.
Il vient. De mon courroux son aspect se rend maître ;
Je ne sais qu’obéir en le voyant paraître.
À Arlequin.
Vite, cache ma lettre et ne la donne pas.
Scène III
CLÉON, LISIDOR, ARLEQUIN
CLÉON.
Mon fils, exprès pour vous, je porte ici mes pas.
Parlons de votre ardeur pour votre prétendue ;
Ses discours, son esprit sans doute l’ont accrue.
Elle paraît avoir un caractère doux,
Et je crois qu’elle pense à peu près comme vous.
N’est-il pas vrai ?
LISIDOR.
Mon père...
CLÉON.
Eh bien, qui vous arrête !
Vous paraissez changé.
LISIDOR.
C’est un grand mal de tête.
Il m’a pris tout à l’heure, il se dissipera.
ARLEQUIN, à part.
Je crains pour sa durée ; il prend sa source-là.
CLÉON.
Venez pour prendre l’air, rien n’est plus salutaire,
Aussi bien nous avons des visites à faire.
LISIDOR.
Mon père, je sois prêt à vous accompagner.
Bas à Arlequin en sortant.
Arlequin, souviens-toi, de ne pas la donner.
Il sort avec Cléon.
Scène IV
ARLEQUIN, seul
Il respecte son père, en cela je l’approuve.
Il a beau lui cacher les tourments qu’il éprouve ;
Je crains que ce conflit de colère et d’amour,
Ne lui faite tourner la cervelle en ce jour.
Mais sa fièvre me prend, elle est contagieuse :
Et je sens pour Lisette une haine amoureuse.
Scène V
ARLEQUIN, LISETTE
LISETTE.
Arlequin, te voilà ! Je te retrouve encor ?
Que ma maîtresse hait à présent Lisidor !
ARLEQUIN, contrefaisant son maître.
Madame, vous avez la figure charmante
Votre air prévient d’abord, votre coup d’œil enchante.
LISETTE.
Ah ! Monsieur Arlequin, que vous êtes poli.
Vous-même, en vérité, vous êtes bien joli.
ARLEQUIN.
Mais vous faites bientôt paraître un caractère,
Un travers dans l’esprit qui ne saurait me plaire.
LISETTE.
Voyez donc l’insolent ! Sais-tu bien qu’à mon tour...
ARLEQUIN.
Votre première vue inspire de l’amour ;
Le plus fier est contraint de vous rendre les armes :
Mais votre humeur balance à tel point tous vos charmes,
Qu’on ne sait si l’on doit, à ne point vous flatter,
Vous embrasser, Madame, ou bien vous souffleter.
LISETTE.
Es-tu donc fou ?
ARLEQUIN.
L’aigreur et la bizarrerie,
La contradiction et la coquetterie,
Forment le riche fond de votre naturel,
Et font avec vos yeux un contraste éternel.
LISETTE.
C’est bien à toi, faquin, de te moquer des autres,
Toi, de qui les défauts surpassent tous les nôtres.
Un menteur, un balourd, un ivrogne maudit.
ARLEQUIN.
J’adore sa figure, et je hais son esprit.
LISETTE.
Il me dit des douceurs, puis des impertinences ;
Mais je ne comprends rien à ses extravagances !
Qui peut donc l’obliger à parler comme il fait ?
Est-ce gageure, ivresse, ou folie en effet ?
ARLEQUIN.
Eh ! Ne voyez-vous pas qu’en cet instant mon âme,
Se trouve entre l’amour et la haine, Madame ?
LISETTE.
Dis-moi, que signifie encore ce propos ?
ARLEQUIN.
Ce propos que je tiens signifie en deux mots,
Que c’est mon maître au vrai qu’ici je parodie.
Il est l’original, et je suis la copie.
Ma bouche devant toi ne fait que répéter
Ce que pour ta maîtresse il a fait éclater.
Ses défauts il les hait ; ses charmes il les aime,
Et, par contagion, je fais pour toi de même.
LISETTE.
Pour imiter Lucile, apprends en ce moment,
Que je te hais beaucoup, et t’aime faiblement.
Je ne vois plus en toi qu’un fat digne de blâme ;
Tes vertus ne font plus que glisser sur mon âme,
Et tes défauts tous seuls, dont je me sens blesser,
S’y gravent forcement pour ne plus s’effacer.
ARLEQUIN.
Oh ! Voilà le beau sexe ! Il est, pour notre peine,
Volage en son amour, et constant dans sa haine.
LISETTE.
Il faut dans les accès de l’humeur qui l’aigrit,
Voir agir ma maîtresse, ouïr ce qu’elle dit.
Qu’elle sait bien haïr ! Pour peu qu’on lui déplaire.
Moi, je ne suis auprès qu’une esquisse mauvaise.
Un coup de tête en elle, un geste, un de ses tons,
Un regard en dit plus... Elle vient, écoutons,
Car elle parle seule.
Scène VI
LUCILE, ARLEQUIN, LISETTE
LUCILE.
Ah ! Que je suis piquée !
Plus je pence à cet homme, et plus j’en suis choquée,
Avant que de s’aimer, il faut s’être connu.
D’abord, par sa figuré, il m’avait prévenu.
Mais pat tous ses discours il m’a bien détrompée,
Ce n’est qu’en ridicule, qu’en mal qu’il m’a frappée.
Qu’une heure d’entre rien m’a fait voir de défauts !
Qu’il est de mauvais goût, et qu’il a l’esprit faux !
Sous un dehors fardé de fausse politesse,
C’est un pédant qui veut avoir de la finesse,
Gothique en son amour, fade dans ses douceurs ;
Qui plaisante aussi mal, qu’il juge des couleurs.
D’autant plus révoltant alors qu’il vous conteste,
Qu’il est opiniâtre avec un air modeste.
Mais ce dont mon esprit est le plus irrité,
Il prend avant l’hymen un ton d’autorité.
Donnant son sentiment comme une régie à suivre,
Il veut me gouverner, il veut m’apprendre à vivre.
Il s’est bien adressé de toutes les façons ;
C’est bien à moi, vraiment, qu’on donne des leçons !
Avant la fin du jour, je lui ferai connaître
Qu’un cœur comme le mien ne peut souffrir de maître ;
Que qui veut le soumettre à son opinion,
S’attire sans retour sa juste aversion.
Je me fais, par avance, une douceur maligne,
De la faire éclater d’une manière insigne ;
Et de lui témoigner très énergiquement,
Qu’on ne peut le haïr plus amicalement.
LISETTE, à Arlequin.
Hem ! T’avais-je menti ?
ARLEQUIN.
L’on voit bien qu’elle est femme.
Du premier bond la haine est entrée en son âme.
LUCILE.
J’aurai la même joie à faire un tel aveu,
Que l’on a, quand on aime, à déclarer son feu.
Lisette.
LISETTE.
Me voici.
LUCILE.
Quel est ce tête-à-tête ?
LISETTE.
Arlequin qui babille, et qui toujours m’arrête,
Me parlait de son maître.
LUCILE.
Apprends-moi sur quel ton.
Qu’en dit-il ?
ARLEQUIN.
Moi, du bien. Mon maître est un Caton,
Il est à vingt-huit ans un miroir de sagesse,
Et doit servir d’exemple à toute la jeunesse.
LUCILE.
Je croyais Arlequin plus vrai dans ses discours.
ARLEQUIN.
Madame, je le suis, et le serai toujours.
LISETTE, à Arlequin.
Butor, dis-en du mal pour te rendre agréable.
ARLEQUIN.
Médire de mon maître. Ah ! J’en fuis incapable !
LISETTE.
Mais tu fais mal ta cour.
ARLEQUIN.
Tais-toi ! Serpent maudit.
Je n’en dirai jamais que ce que j’en ai dit.
C’est un homme d’honneur, s’il en est dans le monde ;
Et ta bouche a menti, si ta langue le fronde.
Depuis six ans que j’ai l’honneur de l’escorter,
Je ne vois rien en lui qu’on ne doive imiter.
LISETTE.
Il m’en disait à moi, Madame, un mal horrible
Dans le même moment.
ARLEQUIN.
Quel mensonge terrible !
Bien loin de dénigrer Lisidor à les yeux,
Je vantais ses vertus.
LUCILE.
Tu n’en faisais pas mieux.
ARLEQUIN.
Il semble que le Ciel l’ait formé pour Madame ;
Aux agréments da corps il joint une belle âme,
Et ferait en tout point un cavalier parfait,
S’il n’avait pas l’orgueil de le croire en effet.
LUCILE, lui donnant tine pistole.
Tiens, pour ce dernier trait ; j’aime qu’on soit sincère.
ARLEQUIN, examinant l’argent qu’on lui a donné.
Mais nul n’est accompli ; quand je le considère,
Mon maître, comme un autre, a les mauvais côtés,
Qui balancent en lui ses bonnes qualités.
On ne peut au dehors que louer sa conduite :
Mais je crois, dans le tond, qu’il n’a qu’un faux mérite.
Il sait se contrefaire en présence d’autrui.
Fort poli dans le monde, et fort brutal chez lui ;
Mais, brutal de sang froid, d’un nouveau caractère,
Qui rosse pour un rien, sans te mettre en colère.
LUCILE.
Approche. Une pistole encore pour ce défaut.
On ne saurait payer le vrai tout ce qu’il vaut.
ARLEQUIN.
Par le bien et le mal, ou je me donne au diable ;
Le maître que je sers est indéfinissable.
Prudent en apparence, étourdi dans le fond,
D’une joie excessive, ou d’un chagrin profond.
Des héros de Roman il vante le système ;
Il fait l’amant parfais, et n’aime que lui-même.
Bizarre en ses transports, singulier dans ses goûts,
Ses discours sont sensés, et ses Billets sont fous.
Approuvant le solide, et courant au frivole,
Il a l’esprit Français et l’humeur Espagnole.
Il tend tour à tour les deux mains en disant cette tirade.
LUCILE.
Et l’humeur Espagnole ! Ah ! C’est un bon avis.
Tends la main ; ce défaut vaut lui seul un Louis.
À ta sincérité j’égale ma largesse.
LISETTE, à Arlequin.
Il fait bon être franc auprès de ma Maîtresse.
ARLEQUIN.
Cela me met en goût. Puisqu’à payer le mal,
Son cœur dans ce moment paraît si libéral,
Pour avoir plutôt fait, mentons, lâchons la bonde,
Prêtons à Lisidor tous les travers du monde.
LUCILE.
A-t-il d’autres défauts ?
ARLEQUIN.
Madame ! Il les a tous !
Il est, tout à la fois, inconstant et jaloux,
Impatient, distrait, joueur, prodigue, avare,
Indiscret, important, impertinent, bizarre,
Curieux, babillard, médisant, envieux,
Irrésolu, menteur, ingrat et glorieux.
Il enlève la bourse.
LUCILE.
Je te donne la bourse : elle t’est bien acquise.
ARLEQUIN.
Pour vous plaire, Madame, il n’est rien qu’on ne dise.
Avec tant de plaisir je n’ai jamais médit !
Oh ! Le charmant métier, quand il tourne à profit !
De mon Maître en ce jour votre main récompense
Si bien chaque défaut et chaque impertinence,
Qu’on mentirait plutôt que de n’en dire rien.
Mais, avant que je parte, a ce propos...
LUCILE.
Hé bien ?
ARLEQUIN.
N’avez-vous pas encore une bourse garnie,
Et de trois quarts au moins, plus que l’autre fournie ?
LUCILE.
Pourquoi ?
ARLEQUIN, en fouillant dans sa poche.
Pour acheter ce que je tiens ici.
C’est une impertinence impayable.
LUCILE.
De qui ?
ARLEQUIN.
Faut-il le demander ? De Lisidor mon maître.
C’est à vous qu’il l’adresse. Il vous y fait connaître
Ce qu’il pense de vous, si ridiculement,
Qu’on voit qu’il a perdu l’esprit absolument.
LUCILE.
Il m’écrit ?
ARLEQUIN.
Oui, Madame.
LUCILE.
Ah ! Voyons la manière...
ARLEQUIN.
Il me l’a défendu.
LUCILE.
Prends cette Tabatière.
ARLEQUIN.
Je crois qu’elle est d’or.
LUCILE.
Oui, c’est moi qui t’en réponds.
ARLEQUIN, lui donnant la lettre.
On ne peut résister, Madame, à vos façons.
LUCILE lit à demi bas.
Le plus fier est contraint de vous rendre les armes ;
Mais votre humeur détruit l’ouvrage de vos charmes.
Elle s’interrompt.
Tant mieux !
Elle commue à lire.
Ou les balance a tel-point qu’on ne sait
Si l’on aime avec vous, Madame, ou si l’on hait.
Elle s’interrompt encore.
Je le déciderai ! Je veux bien qu’il me haïsse.
Elle reprend.
La contradiction, la hauteur, le caprice,
Sans cesse de vos yeux démentent la douceur,
Et vous ont enlevé la moitié de mon cœur.
Après avoir lu.
Ah ! Qu’ils m’enlèvent l’autre, et j’en serai charmée !
Ce que je crains de vous, Monsieur, est d’être aimée,
J’adore ce Billet, il ne peut se payer !
ARLEQUIN.
Je vous l’avais bien dit.
LUCILE.
Je saurai l’employer.
ARLEQUIN.
Votre esprit est ravi de tant d’extravagances.
LUCILE.
Je ne puis t’en marquer trop de reconnaissances.
Je ne m’en tiendrai pas au bien que je t’ai fait.
ARLEQUIN.
Madame, en attendant, je suis votre valet.
Il sort, et Lisette rentre.
Scène VII
LUCILE, seule
Je brûle de montrer cet Écrit à ma Mère !
Comme il ne peut manquer d’exciter sa colère :
Dans tous mes sentiments sans doute elle entrera ;
Et je ferai si bien que l’hymen se rompra,
Lisidor vient, sa vue augmente encore ma haine.
Scène VIII
LUCILE, LISIDOR
LISIDOR.
Madame, auprès de vous, l’Amour seul me ramène :
Oubliés, comme moi nos petits démêlés ;
Loin d’amortir mes feux, ils les ont redoublés,
Et leur aigreur chez moi s’est tournée en tendresse.
Je devais vous céder. J’ai tort, je le confesse ;
Et le beau sexe est fait pour l’emporter toujours.
LUCILE.
J’aime mieux vos Billets, Monsieur, que vos discours.
LISIDOR.
Mes Billets !
LUCILE.
Ils sont pleins d’une haine sincère,
Qui répond à la mienne, et seule peut me plaire.
LISIDOR.
Quoi ! L’on vous a rendu de ma part un Billet ?
LUCILE.
Oui, Monsieur, et la fin m’en a plu tout-à-fait.
Au gré de mes désirs, votre cœur s’y déploie,
Et j’ai pris à le lire une sensible joie.
La contradiction, le caprice, l’aigreur,
Sans cesse de mes yeux démentent la douceur.
LISIDOR, à part.
Ah ! Maraud d’Arlequin, tu m’as trahi !
Haut.
Madame.
LUCILE.
Ils nous ont enlevé la moitié de votre âme ;
Mais je vous rends le tout fort généreusement.
LISIDOR.
De grâce, pardonnés un premier mouvement !
LUCILE.
Vous m’avez fait plaisir, loin de me faire injure ;
Je chéris mes défauts à ce prix, je vous jure.
LISIDOR.
Souffrez qu’en ce moment j’expie à vos genoux
Ce qu’un esprit trop prompt m’a fait...
LUCILE.
Arrêtez-vous.
Il ne vous convient pas, Monsieur, à vous, de rendre,
À moi, de recevoir un hommage si tendre.
Il est fait pour l’Amour qui sait plaire surtout ;
Mais la haine ne parle et n’entend que debout.
LISIDOR.
Mais l’Amour suppliant s’exprime par ma bouche ;
Et j’abjure la haine...
LUCILE.
Elle seule me touche.
LISIDOR.
Quels que soient vos discours, je ne croirai jamais,
Un cœur comme le vôtre accessible à ses traits.
LUCILE.
Pour un dépit d’amour, prenez-vous ma colère ?
De votre orgueil, Messieurs, c’est l’effet ordinaire,
Mais désabusez-vous. Ce que pour vous je sens,
Est de la bonne haine, et qui tiendra longtemps.
Ce n’est pas le Billet que vous venez d’écrire,
Qui fait naître chez moi l’aigreur que je respire ;
C’est à votre entretien que cet honneur est dû.
De plus en Plus, toujours votre esprit m’a déplu.
Et dissipant l’erreur de mes sens trop crédules.
Chaque instant m’a montré de nouveaux ridicules.
Plus je vous considère et plus j’en aperçois.
À l’heure où je vous parle : Ah ! Bon Dieu que j’en vois !
Pour deux défauts que j’ai, vous m’en présentez mille.
LISIDOR.
Qu’est-ce qui choque en moi votre goût difficile.
LUCILE.
Tout, jusqu’à la façon dont vous êtes campé.
Vous avez l’air contraint et tout enveloppé.
La contrainte du corps marque celle de l’âme.
LISIDOR.
Mais, Madame...
LUCILE.
Madame ! Encore ce Madame
Est prononcé d’un ton aussi particulier,
Et secondé d’un geste encore plus singulier.
LISIDOR.
Eh ! Comment donc faut-il prononcer, je vous prie ?
LUCILE.
Mais sans grossir sa voix, d’une façon unie ;
Sans affecter surtout des gestes favoris.
Déjà vous vous troublez de ce que je vous dis.
Au premier trait lancé vous perdez contenance,
Comme un jeune Écolier qui n’a point d’assurance ;
Et grave, en même temps, comme un vieux Magistrat,
Il ne vous manque plus, Monsieur, qu’un grand rabat.
Ce contraste vous donne une mine équivoque.
Vous faites la grimace, et ce terme vous choque.
Mais je parle toujours avec sincérité,
Et dans les jeunes gens je hais la gravité.
Ce dehors sérieux en vous me désespère.
Il est l’image au vrai de votre caractère.
Je ne vois rien de pis ; car, Monsieur, sérieux
Est un terme poli qui veut dire ennuyeux ;
C’est pour moi qui fuis gaye, un fléau que j’abhorre.
Chaque mot que je dis, vous rend plus sombre encore !
LISIDOR.
Vous badinez ici trop sérieusement,
Madame, j’aurais tort d’avoir de l’enjouement.
LUCILE.
Oui, très grand tort. La joie est chez vous étrangère.
Elle ne vous sied pas, quoique vous puissiez faire ?
Votre maintien, Monsieur, jute avec la gaieté.
Votre esprit, de ce trait, est encore révolté.
Vous ne sauriez souffrir la moindre répartie ;
Et sous un air forcé de fausse modestie,
Vous renfermez chez vous un fond de vanité,
Qui, portant à l’excès la sensibilité,
Se gendarme d’abord, pour peu que l’on la blesse.
Elle vous fait tenir sur vos gardes sans cesse.
Toujours clos et couvert, vous n’osez vous livrer ;
Et lorsque l’on vous parle, il faut se mesurer.
Par-là, votre commerce est difficile et triste ;
Au froid qui l’accompagne, il n’est rien qui résiste,
Il inspire la gêne, ôte la liberté,
Et chaire le plaisir de la société.
LISIDOR.
Madame, je me tais pour avoir trop a dire,
Et de peur d’éclater, adieu, je me retire.
Il s’en va.
LUCILE.
Vous méritez, Monsieur, ce que j’ai dit de vous ;
Et voilà la réponse à votre Billet doux.
Scène IX
LUCILE, seule
Il est au désespoir ; j’en triomphe en moi-même.
Je sens à le piquer une douceur extrême !
Des traits que, dans ce jour, ma main lui portera,
Ce n’est pas le dernier, vraiment, qu’il essuiera.
Je connais de son cœur tous les endroits sensibles,
Et je lui garde encore des coups bien plus terribles !
Qu’on est ingénieux quand on sait bien haïr !
De la peine qu’on fait, on tire son plaisir.
J’entends venir quelqu’un. Ah ! C’est Milord Guinée.
Scène X
LUCILE, MILORD
MILORD.
Hé bien, Mademoiselle, hé bien ! Notre hyménée
Vient d’être confirmé par votre Mère encor ;
Il doit suivre celui de Monsir Lisidor.
En passant, je venais ici pour vous l’apprendre.
Je cours présentement, je cours sans plus attendre,
Ordonner un Ballet dans notre goût Anglais.
LUCILE.
Un Ballet Anglais ?
MILORD.
Oui, qui vous plaira, je crois.
L’Idée est singulière, elle sort de ma tête.
Je suis Compositeur moi-même de la fête.
On ne doit pas du tout en paraître surpris.
Bien loin qu’il en rougisse, un Lord dans mon pays,
Fait guère ouvertement de pratiquer lui-même
Les Arts qu’il récompense, et les talents qu’il aime.
C’est un Tableau dansant, où je fais, tour-à-tour,
Figurer, par contraire, et la Haine et l’Amour.
L’Amour, dans mon Ballet, tendrement batifole,
Et, comme un tourbillon la Haine y capriole.
LUCILE.
Comment ! La Haine y faute ?
MILORD.
Oui, je l’y mets en beau.
LUCILE.
Vraiment cela doit faire un fort joli tableau,
Et je veux y danser.
MILORD.
Vous en être la Reine.
Moi, je ferai l’Amour, et vous faire la Haine.
D’abord, à tous les cœurs je donnerai la loi ;
Puis vous les soumettrez en triomphant de moi.
LUCILE.
Cette idée est nouvelle, et rit à mon génie.
MILORD.
J’en ai, belle Constance, une joie infinie,
Je vais, pour notre hymen, le faire répéter.
LUCILE.
Que je vous désabuse, et daignés m’écouter.
MILORD.
Je suis pressé. Pardon. Il faut que je rassemble
Les Acteurs du Ballet qui figurent ensemble.
Je reviens pour vous prendre, et former notre pas.
Vous me direz alors ce que je ne sais pas.
LUCILE.
Ma sœur... Mais elle vient...
MILORD.
Je vous laisse avec elle.
À Constance qu’il salue.
Nous parlerons tantôt. Bonjour, Mademoiselle.
Scène XI
LUCILE, CONSTANCE
CONSTANCE.
Mais dans ses procédés cet homme est singulier.
Il est épris pour moi d’un feu particulier
Que j’ai, sans le savoir, fait naître aux Tuilleries.
Et pour mettre le comble à ses bizarreries,
Il me l’écrit soudain, me recherche, m’obtient ;
Et quand il vient ici, c’est vous qu’il entretient.
Il part quand je parais ; et pour douceur nouvelle,
Il me dit en sortant : Bonjour, Mademoiselle.
LUCILE.
L’aventure est très neuve, et j’en ris de bon cœur ?
Vous en êtes la dupe, ô ! ma pente sœur.
Ce Milord dont tantôt vous m’avez fait l’histoire,
Et de qui la conquête excitait votre gloire,
N’est en nulle façon charmé de vos appas.
CONSTANCE.
Pourquoi m’épouse-t-il, ma Sœur, s’il ne l’est pas ?
LUCILE.
On s’est mépris de nom, ce n’est pas vous qu’il aime.
CONSTANCE.
Eh ! qui donc aime-t-il ? Répondez.
LUCILE.
C’est moi-même.
CONSTANCE.
Mais, pour me demander, d’où vient qu’il est venu ?
LUCILE.
Par l’erreur d’un des siens son esprit prévenu,
Croit que je suis Constance, et vous prend pour Lucile.
J’ai, pour le détromper, pris un soin inutile ;
Quand je veux l’éclaircir, il me quitte soudain,
Et c’est sous votre nom qu’il me recherche enfin.
Son cœur m’a déclaré le feu qui le domine,
Et de voue roman, je suis, moi, l’héroïne.
Malgré tous vos efforts, je vois qu’à ce récit
Votre amour propre souffre, et votre front rougit.
Mais n’appréhendez rien, reprenez votre joie.
Je refuse son cœur, et je vous le renvoie.
Rentrons. La haine seule occupe tout le mien.
Et ne songe qu’à rompre un funeste lien.
ACTE III
Scène première
LISIDOR, seul
Plus je songe à mon sort, plus je le trouve à plaindre,
Non, jusqu’à l’épouser, je ne puis me contraindre
Je serais des maris le plus infortuné.
Je vois à me haïr son cœur déterminé.
Lorsqu’en amant soumis, je m’excuse, je prie,
Elle ajoute à l’insulte encore la raillerie.
Ma douceur est à bout. Ne ménageons plus rien.
Je suis sorti d’un sang fait pour haïr le sien.
Je ne vois qu’un parti dans ma juste colère ;
C’est de me dévoiler tout entier à mon père.
Il m’aime, et dans le fond, j’ai la raison pour moi.
J’entends du bruit, on vient, et c’est lui que je vois.
Scène II
CLÉON, LISIDOR
CLÉON, lui montrant son Billet.
Parlez, connaissez-vous, Monsieur, ce rte écriture ?
La lettre vient de vous ; ce trouble me l’assure.
Se peut-il que mon fils, lui, que j’ai vu toujours,
Si mesuré, si sage en ses moindres discours,
Ait écrit un billet dont le bon sens murmure
Et dans quel temps encore ? Sur le point de conclure
Un hymen d’où dépend le bien de la maison,
Et que ce billet seul peut rompre avec raison.
De m’affliger ainsi, qui vous eût cru capable ?
LISIDOR.
Ah ! Mon Père, arrêtez ; ce reproche m’accable.
Plus il est doux, et plus il me perce le cœur.
De mon esprit trop prompt, pardonnez la chaleur.
D’un premier mouvement cet écrit est l’ouvrage ;
Et je puis même ici dire à mon avantage,
Que, par réflexion, je l’avais condamné,
Et que, contre mon ordre, Arlequin l’a donné.
J’ai fait plus, j’ai, malgré tout le tort de Lucile,
J’ai pris, pour l’apaiser, une peine inutile.
Mes efforts redoublés, et ma soumission
Ont accru ses mépris et son aversion.
Puisqu’il faut vous ouvrir mon âme toute entière,
Je ne puis supporter son humeur aigre et fière.
Les suites que j’en crains me forcent de parler.
Mon Père...
CLÉON.
Il n’est plus temps, mon fils, de reculer ;
La mère de Lucile, à ma prière ardente,
Veut bien vous pardonner votre lettre imprudente ;
Elle doit disposer sa fille à vous revoir.
Vous, de votre côté, faites votre devoir.
Ramenez son esprit par votre complaisance.
Pour presser votre hymen, je pars en diligence,
Je reviens vous trouver ; soyez prêt d’obéir,
Et ne me forcez pas, mon fils, à vous haïr.
LISIDOR.
Vous l’ordonnez, j’étouffe en courroux légitime,
Et de vos volontés je serai la victime.
CLÉON.
Vous Ne le serez point. Armez-vous de raison ;
Lucile a l’esprit vif, mais elle a le cœur bon ;
Prenez, pour la gagner, une route nouvelle ;
Ne l’obstinez en rien, vous obtiendrez tout d’elle,
Croyez, gour votre gloire, et pour vos intérêts,
Un père qui vous parle en ami des plus vrais.
Il rentre.
Scène III
LISIDOR, seul
Je viens d’être frappé du discours de mon Père,
Il porte à mon esprit un rayon qui l’éclaire,
C’est ma faute. Heurtant ses sentiments de front,
J’ai révolté Lucile, et son naturel prompt.
Non, il n’est point de cœur qu’on ne force à se rendre,
Sitôt qu’on l’étudie, et qu’on sait bien s’y prendre,
Suivons cette maxime, étudions le sien,
Et pour saisir son faible enfin n’épargnons rien.
Arlequin, ce maraud, par son étourderie,
Est la cause aujourd’hui de notre brouillerie ;
Contre mon ordre exprès, s’il n’avait pas remis
Ce malheureux billet qui nous rend ennemis,
Lucile contre moi serait moins prévenue ;
Elle serait déjà, par mes soins, revenue.
Je suis d’une fureur qu’on ne peut exprimer,
Il faut que je l’appelle, afin de l’assommer.
Scène IV
LISIDOR, ARLEQUIN
LISIDOR.
Arlequin ! Arlequin !
ARLEQUIN, dans la coulisse.
Monsieur, je m’achemine.
LISIDOR.
Dépêche.
ARLEQUIN.
Me voici.
LISIDOR.
Viens, que je t’extermine.
ARLEQUIN.
Comment ! C’est pour cela qu’ici dans ce moment
Vous m’appelez, Monsieur, avec empressement ?
LISIDOR.
Oui, viens, approches-toi.
ARLEQUIN.
Je ne suis pas si bête.
La proportion, Monsieur, est malhonnête ;
Pour me battre, vouloir que j’approche de vous ?
J’aime mieux m’éloigner, pour éviter les coups.
LISIDOR, le saisissant au collet.
Ne crois pas m’échapper : Qu’as-tu fait de ma lettre ?
Je t’avais défendu, faquin, de la remettre.
À me désobéir, parles, qui t’a porté ?
ARLEQUIN.
Si vous me l’aviez lue, et m’aviez consulté,
Vous n’auriez pas commis une faute si grande,
J’aurais...
LISIDOR.
Ce n’est pas là ce que je te demande,
Pourquoi l’as-tu rendu à Lucile ? Réponds.
ARLEQUIN.
Je n’ai pu résister à ses nobles façons.
Si vous saviez, Monsieur, et si j’osais vous dire
Avec quel art flatteur elle a su me séduire ;
Ah ! Vous seriez surpris de sa dextérité,
Et vous pardonneriez à ma fragilité.
LISIDOR.
Quoi ! Tu n’es pas content d’enfreindre ma défense,
Jusqu’à me déchirer, tu portes l’insolence !
En traits injurieux ta langue se répand !
ARLEQUIN.
Oui ? Moi ! J’ai fait de un éloge très grand.
LISIDOR.
Lisette m’a tout dit. Vainement tu déguises ;
Et tu vas recevoir de prix de tes sottises.
ARLEQUIN.
Ah ! Je suis criminel, je dois le confesser :
Mais, la bourse à la main, on a su m’y forcer.
Lucile, au poids de l’or, a payé mes paroles ;
Chacun de vos défauts m’a valu deux pistoles.
LISIDOR.
Infâme ! C’est ainsi que de moi tu médis !
ARLEQUIN.
Monsieur, je médirais de moi-même à ce prix.
LISIDOR.
Par un bas intérêt me noircir, misérable !
ARLEQUIN.
Eh ! Doucement, Monsieur, j’en suis plus excusable.
Je dis du mal de vous pour rien, le plus souvent ;
Il vaut mieux que j’en dise encore pour de l’argent.
LISIDOR.
Voilà donc la façon dont ta bouche s’excuse ?
Tu plaisantes encore quand ton Maître t’accuse,
Détestable brouillon qui fomente nos bruits !
Si je ne respectais la maison où je suis,
Je te...
ARLEQUIN.
Monsieur, on vient.
LISIDOR.
C’est Milord qui s’avance.
De mon ressentiment cachons la violence.
ARLEQUIN.
Je respire à la fin, et puis prendre l’essor !
Scène V
LISIDOR, MILORD, ARLEQUIN
MILORD.
Je donne le bonjour à Monsieur Lisidor.
Vous venir, s’il vous plaît, figurer tout à l’heure
Dans un Ballet de moi, fort charmant, ou je meure.
ARLEQUIN, contrefaisant Milord.
Lui, prendre bien son temps pour le faire danser.
MILORD.
Vous répète avec moi.
LISIDOR.
Daignez m’en dispenser.
MILORD.
Vous-êtes mon Beau-frère, ainsi point de dispense.
Il faut, avec sa femme, il faut que Monsir danse.
Je dois, à ce sujet, vous faire compliment,
Madame, votre épouse a beaucoup d’agrément ;
Joindre à la belle taille un fort joli visage,
C’est beaucoup.
LISIDOR.
Il est vrai. Mais dans le mariage,
La beauté né fait pas toujours notre Bonheur ;
C’est la douceur, Milord, et le rapport d’humeur,
C’est l’esprit, en un mot...
MILORD.
Pardonnes-moi, pardonnes,
N’épouse point l’esprit, j’épouse la personne :
Il faut voir devant soi toujours un bel objet,
Sans quoi le mariage ennuyer tout-à-fait.
LISIDOR.
Le plaisir le plus pur, quand l’hymen nous assemble,
Est, comme deux amis, de converser ensemble.
MILORD.
Nous penser autrement ; et quand nous épouser,
C’est pour avoir lignée, et non pas pour causer.
Mais en discours, Monsir, tout notre temps se passe,
Allons, pour répéter.
LISIDOR, à part.
Cet homme m’embarrasse.
MILORD.
Venez donc, s’il vous plaît. Vous faire trop prier.
LISIDOR.
Je ne danse jamais. J’ose vous supplier...
MILORD.
Belle excuse ! À votre âge on est toujours ingambe.
ARLEQUIN.
Il vient de se donner une entorse à la jambe.
À part.
L’embarras de mon Maître, et l’ardeur de Milord
Pour le faire danser, me réjouissent fort.
MILORD.
Dépêchez-vous, Monsir, vous m’êtes nécessaire ;
Il manque un figurant.
LISIDOR.
J’ai maintenant affaire ;
De grâce, remettons la partie à tantôt !
ARLEQUIN.
Pour figurer, Monsieur ? Je m’offre à son défaut.
MILORD.
Pour figurer, vraiment, sa figure est très folle.
ARLEQUIN.
Demandez si je sais faire la capriole.
MILORD, à Lisidor.
Vous viendrez donc ?
LISIDOR, à part.
J’enrage !
Haut.
Eh ! Commencez toujours.
MILORD.
Oh ! Moi compter sur vous après un tel discours.
Adieu, Mais je reviens vous faire une demande :
Qu’aime-vous mieux la Loure, ou bien la Sarabande ?
LISIDOR.
Eh ! Ventrebleu, Milord, tout ce qu’il vous plaira.
MILORD.
C’est donc un Tambourin que Monsir dansera ?
À tantôt, vous serez fort content, je vous jure.
Il sort.
LISIDOR.
M’en voilà délivré. J’ai souffert la torture.
ARLEQUIN.
Sortons. Il nous ferait ; lui, si non demeurions,
Figurer autrement que nous ne voudrions.
Scène VI
LISIDOR, seul
Allons trouver Lucile, un père me l’ordonne :
Oublions son humeur pour aimer sa personne ;
Le Ciel de tant appas a voulu l’enrichir,
Qu’ils me font souhaiter de pouvoir la fléchir.
Je la vois qui paraît. Je cours au-devant d’elle,
Et mon amour renaît en la voyant si belle.
Scène VII
LISIDOR, LUCILE
LISIDOR.
Je vous cherche Madame.
LUCILE.
Et je vous cherche aussi.
LISIDOR.
Quoi ! Votre esprit pour moi serait-il adouci ?
Pourrais-je me flatter qu’un doux retour, Madame,
Vers moi dans cet instant ramènerait votre âme ?
Me pardonneriez-vous un mouvement trop vif ?
LUCILE.
Je suis conduite ici par un autre motif.
C’est l’honneur que Je fuis, la raison qui m’éclaire ;
C’est ma sincérité qui m’oblige de faire
Pour noue bien commun ce qu’aujourd’hui je fais.
Prêt de l’instant qui doit décider pour jamais
Du bonheur de mes jours, et du repos des vôtres ;
Près de nous immoler à l’intérêt des nôtres,
Je viens vous dévoiler, sans nuls déguisements,
Mon âme toute entière, et mes vrais sentiments
Je vois votre mérite, et je lui rends justice.
Mais, dans le même temps, soit destin, soit caprice,
D’un tel mérite en vain je reconnais le prix ;
Je sens que rien ne peut rapprocher nos esprits.
Ce n’est point contre vous, puisqu’il faut vous le dire,
Un levain passager qu’un instant peut détruire ;
C’est un éloignement formel et décidé,
Sur nos goûts opposés solidement fondé.
Rien ne peut l’ébranler, chaque moment l’augmente,
Et la réflexion encore le cimente.
Des plus tendres amans, après qu’ils sont unis ;
L’hymen fait tous les jours les plus grands ennemis ;
Jugez ce qu’il ferait de vous et de moi-même,
Qui pour dot vous apporte un fond de haine extrême.
Loin d’assurer la paix, une telle union.
Perpétuerait le trouble et la division.
Votre intérêt, le mien, la vertu, la prudence,
Tout nous dit qu’il vaut mieux manquer d’obéissance,
Et rompre tous les deux, sûrs de nous estimer,
Que d’aller nous unir, ne pouvant nous aimer.
LISIDOR.
Cet aveu généreux redouble mon estime.
Loin d’éteindre mon feu je sens qu’il le ranime.
LUCILE.
Ah ! Qu’entends-je ?
LISIDOR.
J’adore un procédé si grand.
Je prendrai, pour vous plaire, un chemin différent.
Je veux...
LUCILE.
N’en faites rien ; mon cœur vous en conjure.
LISIDOR.
Du Succès aujourd’hui votre vertu m’assure.
LUCILE.
Non, Monsieur, ma vertu vous trompe sur ce point.
LISIDOR.
Mais je dois vous aimer.
LUCILE.
Vous ne le devez point.
LISIDOR.
Cette démarche en vous montre une âme si droite,
Qu’on ne peut s’empêcher...
LUCILE.
Je suis bien maladroite !
Mon cœur, qu’un tel discours ne saurait qu’affliger,
Veut détacher le vôtre, et non pas l’engager.
LISIDOR.
Mais enfin...
LUCILE.
Mais enfin, je ne veux pas qu’on m’aime
Contre mes sentiments, en dépit de moi-même.
LISIDOR.
En tout je préviendrai...
LUCILE.
De grâce, finissons.
Vous savez comme moi que nous nous haïssons :
Oui, les figures, Monsieur, n’en sont plus équivoques
Nos cœurs s’en sont donnés des preuves réciproques.
Vous me l’avez écrit, et ma bouche a parlé ;
Enfin, c’est entre nous un commerce réglé.
Partons de-là.
LISIDOR.
De grâce, oubliez le délire
De l’aveugle transport qui me l’a fait écrire.
LUCILE.
C’est trop d’acharnement ; je me lasse à la fin.
Puisque vous persistez à prétendre à ma main,
Je vous déclare ici que si, par cette chaîne,
Vous faites mon malheur, je ferai votre peine.
De l’exacte vertu je me fais une loi ;
Vous n’avez rien à craindre à cet égard de moi.
Mais, d’un autre côté, je prendrai ma revanche ;
Et comme je vous hais d’une haine très franche,
J’appliquerai mes soins, presque à tous les instants,
À vous le témoigner par des traits éclatants.
Vous me verrez toujours très attentive à faire
Tout ce qui vous révolte, et qui peut vous déplaire.
Heurter vos sentiments, et combattre vos goûts,
De mes amusements ce sera le plus doux ;
Sans cesse je tiendrai votre esprit en haleine :
Pas un moment de vide en toute la semaine.
Contredit le matin, raillé l’après-dîner,
Tracassé tout le jour, et le soir chicané :
Vous serez promené de martyre en martyre ;
Je ressens du plaisir, Monsieur, à vous le dire.
Quelle sera ma joie, alors, d’exécuter
Un projet qui, déjà paraît vous révolter !
LISIDOR.
Madame, pouvez-vous, même avant l’hyménée,
Vous faire un plan flatteur de haine raisonnée ?
LUCILE, à part.
Ce que je viens de dire épouvante son cœur,
Outrons nos sentiments pour redoubler sa peur.
LISIDOR.
Je ne puis le penser : c’est sans doute une feinte.
LUCILE.
Non, vous l’éprouverez, si je m’y vois contrainte.
Je vous en avertis, Monsieur ; l’aversion,
Quand elle prend racine, est une passion,
Qui se fait des plaisirs, et, comme la tendresse,
À ses raffinements et sa délicatesse.
Il ne faut pas froncer le sourcil pour cela ;
On ne peut contester cette vérité-là.
Sitôt qu’on sympathise, et que vraiment on s’aime,
À toujours se complaire on met son bien suprême.
Quand on se déplaît bien, et qu’on se hait de cœur,
De se combattre en tout on se fait un bonheur.
Par mille tours malins on se fait de la peine.
Avec le même goût on se prouve sa haine,
Que deux cœurs bien épris se prouvent leur amour,
Et par mille doux soins s’obligent chaque jour.
LISIDOR.
L’agréable commerce !
LUCILE.
Il l’est puisqu’il soulage.
La Haine sur l’Amour a même un avantage :
Sans cesse elle fermente, et son levain la rend
Exempte de fadeur, d’ennui par conséquent.
L’un est un poison lent dont l’âme est abattue,
L’autre, un venin actif qui toujours la remue ;
Et, poison pour poison, je préfère d’abord
Celui qui me réveille à celui qui m’endort.
À part.
Bon, je le vois frémir.
LISIDOR.
Qu’entends-je ? Quel langage ?
Dans un ressentiment, dans un excès de rage,
Je conçois que l’on peut trouver de la douceur
À donner un champ libre à toute son aigreur,
Et qu’on peut s’applaudir, en ces instants d’ivresse,
De faire le tourment d’un objet qui nous blesse :
Mais caresser sa haine et la boire à longs traits,
De brillantes couleurs embellir ses portraits,
Lui prêter des plaisirs, la tourner en système,
Et lui donner enfin le pas sur l’amour même ;
C’est ce qui me remplit de surprise et d’effroi !
LUCILE, à part.
Je parle exprès ainsi pour l’éloigner de moi.
LISIDOR.
Non, quoi que vous disiez, d’un sentiment semblable,
Je ne croirai jamais qu’on puisse être capable...
LUCILE.
Détrompez-vous, Monsieur, plus forte que l’amour,
C’est la haine qui gagne, et qui prend chaque jour.
Sous différents habits dont chacun l’accommode,
Elle est la passion qu’on peut dire à la mode.
Partisane du bruit, et mère des procès,
Elle agite la Ville, elle siège au Palais.
Sous un masque trompeur de politesse aimable,
Elle règne à la Cour, son centre véritable.
Elle meut chaque état, maîtrise tous les rangs,
Et couve dans le cœur des petits et des grands.
C’est peu qu’au temps présent les époux se maudissent,
Nombre de faux amis dans l’âme se haïssent ;
La plupart des parents le détestent tout bas,
Les frères et les sœurs ne se le cachent pas.
Tous les gens du commun ouvertement se nuisent ;
Ceux du grand monde, entr’eux, poliment se détruisent ;
Les belles ? les auteurs, que rien ne peut unir,
Ne cèdent qu’au bigots l’art de se bien haïr.
La haine étend partout sa puissance suprême :
Tout hait dans l’Univers, même en disant qu’il aime.
LISIDOR.
Juste Ciel ! Pouvez-vous employer tant d’esprit
À prouver les horreurs d’un système maudit !
LUCILE, à part.
Je viens de lui donner une assez forte dose ;
Après un tel discours, qu’il m’épouse, s’il l’ose.
LISIDOR, à Lucile.
Pouvez-vous, jeune, belle, et faite pour l’amour,
Me vanter le pouvoir de la haine en ce jour ?
LUCILE.
Si le monde se hait, Monsieur, est-ce ma faute ?
Je le peints tel qu’il est, je n’ajoute, ni n’ôte.
LISIDOR.
Madame, notre esprit, tout dépravé qu’il soit,
Ne l’est pas jusqu’au point d’abhorrer de sang froid ;
De savourer le noir d’une haine invincible :
On ne hait point par goût, la chose est impossible.
Je vous l’ai déjà dit.
LUCILE.
Vous êtes dans l’erreur ;
Et, sans aller plus loin, la preuve est dans mon cœur.
J’ai pour vous, puisqu’il faut que je vous le répète ?
J’ai cette antipathie avérée et parfaite ;
Car d’adoucir les mots il n’est plus question,
Et je vous hais, Monsieur, par inclination.
LISIDOR.
La déclaration est tout-à-fait aimable !
LUCILE.
Je vais plus loin encore, ma haine est raisonnable ;
Ce n’est plus maintenant un vain extérieur,
Un air trop grave en vous qui me choque, Monsieur ;
Ce sont vos qualités les plus essentielles ;
Pour me justifier par des preuves réelles ;
Que je vous développe, et qu’avec vos défauts,
De vos vertus, ici, je vous montre le faux.
Sans perdre les moments en de simples ébauches,
Les premiers sont choquants, et les autres sont gauches.
Vous êtes sage, exact, sensé, rangé, poli ;
Mais sage avant le temps, sensé jusqu’à l’ennui,
Poli dans la fadeur, exact jusqu’au scrupule,
Et rangé jusqu’au point d’en être ridicule.
Ce sont-là vos vertus telles que je les vois.
Voici vos défauts tels que je les aperçois.
Tranquille admirateur en tout temps de vous-même,
Vous voulez que vos vœux soient une loi suprême.
Pour les autres sévère, et complaisant pour vous,
Vous êtes dur à vivre, avec un maintien doux ;
Et votre cœur porté vers la misanthropie,
Cache d’un voile épais sa sombre jalousie.
Ah bien, Monsieur, eh bien ; après de pareils traits,
Avec juste raison jugez si je vous hais ;
Jugez en même temps, si dans cette journée,
Je puis à votre sort unir ma destinée ?
Je vous ai dépeint tel que vous me paraissiez.
À présent, dites-moi comme vous me voyez ?
Éclatez donc, Monsieur ; car je lis dans votre âme,
Que vous me haïssez.
LISIDOR.
Vous lisez bien, Madame.
Puisqu’au char de la Haine il vous paraît si doux
D’enchaîner un amant qui brûlait d’être à vous,
Vous venez d’obtenir une pleine victoire.
Goûtez donc à loisir cette nouvelle gloire ;
Et puisqu’un tel aveu vous flatte en ce moment,
Madame, je vous hais, mais si parfaitement,
Que de l’aversion où mon âme est livrée,
Rien n’éteindra jamais la force et la durée.
Un tel retour est prompt, mais pour être éternel ;
Et j’en fais devant vous un serment solennel.
Des déclarations d’une espèce pareille,
Sont nouvelles pour vous, et blessent votre oreille ;
Mais vous m’avez réduit à cette extrémité,
Et par vos sentiments, vous l’avez mérité.
Pour finir en deux mots ; j’ai pour moi la justice.
Ma Haine est de raison, la vôtre est de caprice.
Nous avons à vos yeux des ridicules, soit :
Mais ce ne sont en vous que des défauts qu’on voit.
Scène VIII
LISIDOR, LUCILE, LISETTE, ARLEQUIN
ARLEQUIN.
Préparez-vous, Monsieur, car voici le Notaire.
LISETTE.
Ils viennent tous ici pour conclure l’affaire.
ARLEQUIN.
Le Contrat est dresse.
LISIDOR.
Malheureux ! Laisses-nous.
LISETTE.
Le Notaire, vous dis-je, arrive.
LUCILE.
Eh ! Taisez-vous.
Scène IX
CLARICE, LUCILE, CLÉON, LISIDOR, MILORD, LISETTE, ARLEQUIN
MILORD, à Lisidor.
Ah ! Monsir, vous voilà. C’est ainsi qu’on répète ?
Avec ma prétendue, il conte-là fleurette !
Ces Meilleurs les Français font toujours les galants ;
Et s’amusant ailleurs, font attendre les gens.
CLARICE.
Pour Constance, Milord, vous prenez son aînée.
Montrant Lisidor.
À Monsieur que voilà, Lucile est destinée.
LUCILE.
Non, ma Mère, mon cœur ne peut vous obéir.
Nous avons le bonheur tous deux de nous haïr,
Et la mort à mes yeux paraîtrait moins horrible.
LISIDOR, à Cléon.
Oui, notre éloignement, mon Père, est invincible.
Jugez-en, puisqu’enfin tout mon respect pour vous,
Ne saurait m’obliger à me voir son époux.
CLÉON, à Clarice.
C’est votre fille seule à qui l’on doit s’en prendre.
CLARICE.
C’est plutôt votre fils que vous devez reprendre.
CLÉON.
Son humeur...
CLARICE.
Son Billet...
CLÉON, CLARICE, ensemble.
A causé ce dégoût.
CLÉON.
Elle aime à contredire, et vous ressemble en tout.
CLARICE.
Vraiment, Monsieur, vraiment, j’admire votre audace ;
D’oser me dire ici pareille chose en face.
Ce mot réveille en moi notre ancienne aigreur.
CLÉON.
Et je sens rallumer ma première fureur.
ARLEQUIN.
Bon, la haine s’étend de la fille à la Mère,
Et dans le même temps passe du fils au Père.
CLÉON.
Je romps tonte alliance. Entre nous plus de paix.
Chicane sur chicane.
CLARICE.
Et Procès sur Procès.
LUCILE.
Ma Mère, quelle joie ! Ah ! Que je vous embrasse !
LISIDOR, à Cléon.
Vous faites bien de rompre, et je vous en rends grâce.
LUCILE.
Ne songeons désormais qu’à les persécuter ;
J’irai demain, j’irai contre eux solliciter :
Je veux à les poursuivie employer ma jeunesse,
Et chicaner encore le fils dans ma vieillesse.
MILORD.
Puisque vous rompre tous, oh ! Moi, je romps aussi.
Les gens sont furieux en cette Maison-ci.
Si j’épouse ce soir une femme semblable,
De m’étrangler la nuit être fort bien capable.
Une si juste crainte étouffe mon amour ;
L’aversion me gagne et m’agite à mon tour :
Venez, méchantes gens, que la colère entraîne,
Venez exécuter mon Ballet de la Haine.
N’avoir pas de sujets qui vaillent mieux que vous,
Venez y triompher, et vous poignarder tous.
Il sort.
Scène X
CLARICE, CLÉON, LUCILE, LISIDOR, LISETTE, ARLEQUIN
CLÉON, à Lisidor.
Allons, mon fils, sortons : car je suis d’une rage...
Mon Père, votre fils avec vous la partage.
ARLEQUIN, à Lisidor.
Monsieur.
LISIDOR.
Va, Coquin, va, je te chasse.
ARLEQUIN.
Pourquoi ?
LISIDOR.
Gardes-toi seulement de t’offrir devant moi.
Il suit son Père.
Scène XI
CLARICE, LUCILE, LISETTE, ARLEQUIN
LISETTE, à Clarice.
Madame, permettez que je vous représente...
CLARICE.
Quoi ! Tu prends leur parti ? Sors vite impertinente.
LISETTE.
Mes gages.
CLARICE, lui donnant un soufflet.
Les voilà.
LUCILE.
Ma Mère, c’est bien fait ;
Vous vous défaites-là d’un très mauvais sujet.
Elle rentre avec sa Mère.
Scène XII
LISETTE, ARLEQUIN
ARLEQUIN.
À mon tour, ventrebleu ! La fureur me transporte,
Sans sujet, tous les deux, on nous met à la porte.
LISETTE.
On a raison pour toi qui n’es qu’un franc butord.
ARLEQUIN.
Va, coquine, à présent je te hais à la mort ;
Et dans le point de vue où je te vois paraître,
De mon juste courroux je ne suis plus le maître.
LISETTE, lui donnant un soufflet.
Pour te prouver le mien, faquin infortuné,
Tiens, reçois en partant ce que l’on m’a donné.
Elle s’enfuit.
ARLEQUIN.
Ah ! Tu fais bien de fuir, je t’aurais sur mon âme,
Sans être ton époux, traité comme ma femme.
Finir sans mariage, et rompre sagement,
Voilà ce qu’on appelle un heureux dénouement.
Divertissement
LE CHANTEUR.
Accourez, tendres Amants
L’Amour en ces lieux vous appelle,
L’Hymen qui, sur ses pas, marche dans ces moments ;
Va vous unir d’une chaîne éternelle,
Et vous payer de vos tourments.
Accoures, tendres Amants,
L’Amour en ces lieux vous appelle.
Entrée d’Amants de différentes Nations.
LE CHANTEUR.
Prêts d’être possesseur
De l’objet que votre cœur aime :
D’un espoir si flatteur
Goûtez bien lentement la volupté suprême.
Souvent l’attente du bonheur
Est au-dessus du bonheur même.
Entrée de la Haine, déguisée sous l’habit de l’Hymen.
LE CHANTEUR.
Arrêtez-vous ! Troupe abusée.
Fuyez, fuyez le joug ; qu’on veut vous imposer.
Sous les traits de l’Hymen, la Haine déguisée,
Ne prétend vous unir que pour vous diviser.
Ici la Haine se démasque.
LE CHANTEUR.
La Haine est démasquée, et sa noire présence,
Vient d’empoisonner l’air qu’on respire en ces lieux,
Déjà sa fatale puissance
Me transporte moi-même, et me rend furieux.
La Haine divise les Amants.
LE CHANTEUR.
Loin les soupirs, les fadeurs et les larmes,
Haïssons-nous, haïssons-nous,
Haïssons-nous, rien n’est plus doux.
Fuyons l’Amour, et pour braver ses charmes ;
Pour voir tous nos travers, arrachons son bandeau.
La Haine, contre lui, vient nous offrir des armes,
Des mains de la raison elle tient son flambeau.
Loin les soupirs, tes fadeurs et les larmes,
Haïssons-nous, haïssons-nous,
Haïssons-nous, rien n’est plus doux.