La Robe de chambre (Jacques-François ANCELOT - Léon LAYA)

Sous-titre : les mœurs de ce temps-là

Comédie en un acte, mêlée de chants.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre National du Vaudeville, le 10 juin 1833.

 

Personnages

 

LE DUC DE MARSAY

LE COMTE D’HERBIGNY

UN EXEMPT

LA COMTESSE D’HERBIGNY

LA MARQUISE D’OLMOND

LE COUREUR DU DUC

UN DOMESTIQUE

 

La scène se passe à Paris, en 1763, dans l’hôtel occupé par le Comte d’Herbigny.

 

Le théâtre représente un salon ; à gauche du théâtre, une porte, et près de cette porte un canapé. À droite, une table et un fauteuil ; tout ce qu’il faut pour écrire sur la table. Au fond, trois portes, celle du milieu pleine, les deux autres vitrées. La porte vitrée qui est à gauche de la porte du fond, pour le spectateur, conduit à une chambre à coucher ; les deux autres portes du fond ouvrent sur une antichambre.

 

 

Scène première

 

LE COMTE, LA COMTESSE

 

Au lever du rideau, le Comte d’Herbigny est assis près de la table, un livre à la main ; la Comtesse est assise sur le canapé.

LE COMTE, se levant.

Eh bien, ma chère amie, vous ne me boudez plus ?

LA COMTESSE.

Moi ?...

LE COMTE.

Avoue qu’il y avait un peu de ton sexe dans tes contradictions ; et que tu étais de mon avis encore plus que moi-même.

LA COMTESSE.

Vous voulez que je trouve tout admirable dans votre Paris !

LE COMTE.

Mon Dieu, je ne veux rien du tout ! Je désire seulement que tu te plaises dans ton nouveau séjour ; que tu dises comme moi que ton Toulouse est bien la ville la plus maussade du royaume de France, qu’on y meurt d’ennui, et que j’y dépérissais à vue d’œil,

LA COMTESSE.

Mais... je ne m’en apercevais pas.

LE COMTE.

Tiens ! quand je pense seulement à cette foule de devoirs insupportables, à l’interminable sermon de Monsieur le curé, à ces créatures de province si gauches et si raides qu’on est convenu d’appeler des femmes, et qui parlent sans cesse de leurs parchemins et de leur vertu, deux choses que je n’ai nulle envie de vérifier, je sens un frisson général et je recommence à bâiller.

LA COMTESSE.

Fort bien, Monsieur !... Et vous oubliez que c’est au milieu de ces créatures de province que vous m’avez trouvée.

LE COMTE.

Oh ! toi, Ernestine, tu étais l’exception.

LA COMTESSE.

Pour moi, Monsieur, j’estime beaucoup plus ces femmes que toutes vos grandes dames de la cour.

LE COMTE.

De l’estime !... Oh, pardieu, je les estime aussi infiniment et je les respecte encore plus.

LA COMTESSE.

Et l’interminable sermon de Monsieur le curé valait bien, à mon avis, la morale de tous vos talons rouges, vos guides et modèles, que je n’aime pas... que je ne veux pas aimer.

LE COMTE.

Allons ! Encore une attaque contre ce cher Duc de Marsay !... Tu es injuste, ma chère amie, et je dirais même ingrate !... Il est impossible d’être plus aimable qu’il ne l’est avec toi.

LA COMTESSE.

Je ne dis pas le contraire.

LE COMTE.

En le jugeant si sévèrement, tu fais tort à tes connaissances : car il est de notoriété publique que De Marsay est un des plus brillants cavaliers de la Cour.

LA COMTESSE.

Un joueur.

LE COMTE.

Peut-être ; mais un beau joueur !... homme de cœur et d’esprit, plein de feu, d’exaltation, brave comme son épée ; on raconte de lui des traits sublimes.

LA COMTESSE, avec intérêt.

Ah !...

LE COMTE.

Sans doute !... vraiment tes prétentions m’affligent.

LA COMTESSE.

Je ne dis pas qu’il ne puisse plaire ; mais, avec des manières élégantes, un esprit que je ne peux, ni ne veux nier, pourquoi auprès des femmes ces propos légers, quelquefois plus que légers ?

LE COMTE.

Pourquoi ?... pourquoi ?... ma chère amie... Parce que les femmes aiment cela.

LA COMTESSE.

Vous croyez ?

LE COMTE.

Je ne parle pas de toi, Ernestine ; je parle des femmes en général.

LA COMTESSE.

Ah oui !... De la Marquise d’Olmond, par exemple ?

LE COMTE.

Bon !... Vas-tu aussi poursuivre la Marquise ?... Eh bien, quoiqu’on ait dit, je suis certain, moi, qu’il n’a jamais rien existé entre la Marquise et le Duc.

LA COMTESSE.

Existé !... Eh, Monsieur, je ne parle que de sa coquetterie.

LE COMTE.

Bah !... Elle est coquette ni plus ni moins que les autres. D’ailleurs, elle est veuve, et de plus fort aimable et très jolie : nieras-tu cela ?

LA COMTESSE, soupirant.

Non !... Je ne vous persuaderais pas.

UN DOMESTIQUE, annonçant.

Monsieur le Duc de Marsay.

 

 

Scène II

 

LE COMTE, LA COMTESSE, LE DUC

 

LE DUC, entrant.

Madame, veuillez agréer mes salutations... Bonjour, mon cher Comte.

LE COMTE.

Comment, dans nos parages à cette heure ? Par quel hasard ?...

LE DUC.

Un hasard !... quand on peut espérer de voir Madame !... Non, je désirais déposer mon hommage à ses pieds ; puis je pensais trouver chez vous la Marquise.

LE COMTE.

Nous ne l’avons pas vue.

LE DUC.

C’est donc moi qui vous l’annonce.

LE COMTE.

Soyez doublement le bienvenu.

LE DUC.

Vous savez qu’après-demain a lieu, à Versailles, le grand bal de la Cour ?

LE COMTE.

Oui.

LE DUC.

Et je crois que la Marquise a projeté d’offrir à Madame, ainsi qu’à vous, les moyens d’y assister avec elle.

LA COMTESSE, à part.

Il croit !... Je parierais que c’est lui qui a tout arrangé.

LE COMTE.

Ce serait une partie charmante !... Mais je doute fort que cela accommode ma femme : elle est depuis quelques jours d’une misanthropie !...

LA COMTESSE, à part.

Il ne devine rien !...

LE DUC.

Allons donc, mon ami, est-ce qu’on dit jamais de ces choses-là ? Voilà Madame qui, dans la crainte de vous faire mentir, va maintenant s’imposer le devoir de vous donner raison.

LA COMTESSE.

Non, Monsieur, je ne donne jamais raison à mon mari quand il a tort.

LE COMTE.

Ah !... j’ai tort ?... Je ne demande pas mieux.

LE DUC.

Sans doute, mon cher D’Herbigny : c’est vous qui me semblez aujourd’hui d’un triste !... Est-ce que le cher oncle se serait avisé de ressusciter ?

LA COMTESSE.

Monsieur !...

LE DUC.

Daignez m’excuser, Madame... Mais, en vérité, j’en veux à ce vieillard morose d’avoir refusé de son vivant la jouissance, de sa fortune à de jeunes neveux qu’il forçait à végéter tristement auprès de lui. Et quand je pense que vous pouviez tous deux voir s’enfuir ainsi votre jeunesse, et arriver, sans avoir mis le temps à profit, à cette époque de bâillement et de nullité qui laisse de côté hommes et femmes, pour les contraindre ! à méditer sur eux et sur des péchés qu’ils voudraient bien commettre encore... n’ayant pour toute distraction que des enfants à élever, des calculs d’intérêt et des conseils de famille... Ah, je frémis !... car voilà quel était votre avenir, au fond d’un Toulouse où vous existiez,... sans vivre.

LA COMTESSE, souriant.

Pardon, Monsieur le Duc... nous vivions.

LE DUC.

Oui !... Et c’est fort heureux que l’ennui ne vous ait pas tuée !... mais vous viviez un peu à l’aide du calendrier : vous saviez le lundi que vous aviez passé le dimanche... Comptiez-vous jamais les jours par des plaisirs ? non. Vous assistiez à des cercles de grands parents ; vous écoutiez le récit des exploits guerriers de vos aïeux et de la sagesse inexpugnable de vos aïeules !... Combien de fois vous a-t-on raconté la bataille de Denain ?

LA COMTESSE, souriant.

Assez souvent, je l’avoue : mon grand-oncle s’y trouvait.

LE DUC.

Je l’aurais gagé !... En vérité ces gens-là dégoûteraient de l’histoire de France.

LE COMTE.

C’est ce que je disais tout à l’heure à ma femme.

LE DUC.

Et Monsieur le Comte ne vous a pas convaincue ?

LA COMTESSE.

Pas tout-à-fait encore.

LE DUC.

Quoi !... lorsque rendue enfin à cette société brillante qui vous attendait depuis si longtemps, à ces plaisirs pour lesquels vous êtes si bien faite, si vous ne voulez pas qu’ils soient faits pour vous ; quand vous attirez les yeux au milieu de ces groupes où tous les regards sont vifs et tendres, où les fronts les plus soucieux s’éclaircissent, vous vous laissez accuser de misanthropie, d’éloignement pour le monde !... Savez-vous bien tout ce que vous perdriez en le désertant ?

LA COMTESSE.

Je ne vois pas ce que j’ai gagné à le connaître.

LE DUC.

Pardon, Madame... N’y a-t-il pas un peu d’orgueil dans cet amour de la solitude ?

LA COMTESSE.

Non, Monsieur : je suis plus accoutumée à mes défauts qu’à ceux des autres, voilà tout.

LE DUC.

Je conçois que vous n’ayez pas eu de peine à vous y faire.

LA COMTESSE.

Vous êtes bien bon.

LE DUC.

Je ne suis que juste. Mais vous voyez donc no[...] monde bien en noir ?

LA COMTESSE, riant.

Je le vois si noir, que, d’un moment à l’autre, j’attends un nouveau déluge.

LE COMTE.

On s’en garderait bien, là-haut : le premier n’a servi à rien.

LE DUC.

Et un second ne serait pas plus profitable. Ah, Madame, si les réflexions d’un esprit élevé donnent à votre âme de semblables pensées, croyez-moi, croyez-en Monsieur le Comte, c’est dans la société qu’il vous faut chercher le remède aux maux de la nature.

LA COMTESSE.

Pour y trouver l’indifférence chez les uns, et la médisance chez les autres.

LE COMTE.

Ah, ma chère amie !...

LE DUC.

Voilà deux sentiments que vous ne sauriez inspirer. Mais seriez-vous donc arrêtée par la crainte de ce que dira le monde ?... Etre esclave de l’opinion !... quelle erreur... Si la société est un théâtre dont nous sommes les acteurs, eh bien, c’est à chacun de jouer son rôle sans s’occuper de la galerie... N’est-il pas vrai, Comte ?

LE COMTE.

Pardieu, mon cher Duc, vous raisonnez comme un philosophe.

LE DUC.

Oui, j’ai toujours été d’avis qu’il fallait, ici-bas, faire provision de philosophie ou de corde.

LE COMTE.

Et vous avez préféré la philosophie.

LA COMTESSE, gaiement.

Qui n’est pas toujours la morale.

LE DUC.

Si vous entendez par ce mot, ce prétendu sine quo non de toutes nos actions, ce protocole obligé de tous les contes de vieilles femmes ; si l’homme moral n’est à vos yeux, Madame, que l’être impassible qui s’enorgueillit de n’avoir jamais rien éprouvé ; espèce de mannequin qui marche sans vivre, et qui meurt sans avoir vécu, je dirai que c’est là une variété de l’espèce humaine à laquelle je n’ai nulle envie d’être assimilé. La vertu ?... je la trouve dans le désir de plaire : la gaieté me semble plus raisonnable que le chagrin ; le bonheur ? je le place le plus possible dans le présent, car je me fie peu à l’avenir, et je regarde l’espoir comme un charlatan qui nous trompe sans cesse, et, d’ennuis en dégoûts, nous a bientôt expédiés dans l’autre monde.

LA COMTESSE, gaiement.

En vérité, Monsieur le Duc, vous prêchez à ravir.

LE COMTE.

Vous commencez, Dieu, me pardonne, à convertir ma femme.

LE DUC.

Ce serait mon plus beau triomphe.

LE COMTE, passant auprès de sa femme, et à demi-voix.

Conviens que le Duc est bien aimable.

LA COMTESSE, à part.

Trop, peut-être...

UN DOMESTIQUE, annonçant.

Madame la Marquise d’Olmond.

 

 

Scène III

 

LE DUC, LA COMTESSE, LA MARQUISE, LE COMTE

 

LE COMTE, allant au-devant de la Marquise.

Ah, Madame, voilà une heureuse surprise.

LA MARQUISE.

Est-ce que vous ne vous attendiez pas à ma visite ?

LA COMTESSE.

Monsieur le Duc nous l’avait fait espérer.

LA MARQUISE.

Puis-je passer un seul jour sans vous voir, ma chère amie ?... N’êtes-vous pas confiée à mes soins et à mon expérience dans ce pays inconnu où j’ai promis de vous guider ?

LA COMTESSE.

Je vous remercie beaucoup, Madame ; mais vraiment vous arrivez à propos pour sauver Monsieur le Duc d’un pas bien dangereux.

LA MARQUISE.

Qu’est-ce donc ?

LA COMTESSE.

Au chemin qu’il faisait, je ne sais pas trop où il aurait pu s’arrêter.

LA MARQUISE.

Sait-on jamais où s’arrêtera Monsieur le Duc ?

LE DUC, à la Comtesse.

Étiez-vous donc inquiète, Madame ?

LA COMTESSE.

Mais on parle morale, et vous commencez par congédier la raison !... Vous avouerez qu’il n’y avait pas là de quoi être bien rassurée.

LA MARQUISE.

Vous êtes donc une amie de la raison, charmante enfant ?

LA COMTESSE.

S’il n’y avait pas quelques bonnes gens pour l’accueillir, dites-moi où elle irait se réfugier par le temps qui court ?

LA MARQUISE.

Tout autre part que chez vous ; ou, du moins, ne lui donnez pas asile avant quarante ans d’ici.

LA COMTESSE.

C’est bien tard.

LA MARQUISE.

C’est encore trop tôt... Moi, je n’en veux entendre parler que dans soixante.

LA COMTESSE.

Voilà une véritable antipathie.

LA MARQUISE.

Telle que je vous demande grâce pour mes nerfs !... Aussi bien, nous sommes, je crois, en majorité ici pour la mettre à la porte.

LA COMTESSE, regardant son mari.

C’est possible.

LA MARQUISE, souriant.

C’est vrai. Ah ça, je venais vous parler du bal de la cour : aucun obstacle ne s’oppose sans doute à ce que vous y assistiez ?

LE COMTE.

Veuillez demander à ma femme, Madame la marquise.

LA MARQUISE.

Bien parlé !...

À la comtesse.

Que décidez-vous ?

LA COMTESSE.

J’y consens de grand cœur : je ne suis pas fâchée de prouver en passant que je ne suis pas si misanthrope qu’on le pense.

LA MARQUISE.

Misanthrope !... vous... avec des yeux comme ceux-là ! allons donc !

LE DUC.

Ce serait être bien ingrate.

LA COMTESSE, à part.

Comme il me regarde !

LA MARQUISE.

Eh bien, voilà qui est convenu : j’ai résolu aujourd’hui, ma toute belle, de vous consacrer une partie de l’après-dînée.

LA COMTESSE.

J’en suis reconnaissante.

LE COMTE.

Et moi, bien à plaindre, puisqu’il faut que je perde quelques-uns des instants que vous voulez bien nous donner.

LA MARQUISE.

Comment... vous allez sortir !... lorsque j’entre à peine... C’est mal, Monsieur le Comte.

LE COMTE.

Vous n’êtes pas généreuse, Madame... Pouvez-vous ignorer tout le plaisir qu’on éprouve à vous voir ?... Mais, un cruel rendez-vous m’appelle chez monsieur le duc de Saint-Florentin, qui, dernièrement, a bien voulu me faire souvenir d’un service d’argent que mon oncle lui a rendu autrefois, et que je maudis en ce moment, puisqu’il m’éloigne de vous. Que faire ? un ministre de la maison du roi !... Ces gens-là oublient plus aisément en service que les retards ! Si vous vouliez me laisser voir que vous prenez pitié de moi, en restant près de la Comtesse, je serais heureux d’en acquérir la preuve à mon retour.

LA MARQUISE.

Très volontiers.

LE DUC, passant entre la comtesse et la marquise.

En ce cas, Marquise, j’aurai l’honneur de vous reprendre ici ; je vais accompagner le cher Comte jusqu’à l’hôtel Saint-Florentin ; nous avons à parler d’affaires.

LA MARQUISE.

Ah !...

LE COMTE.

Je suis à vos ordres.

LE DUC, à la comtesse.

Permettez-moi, Madame, de vous quitter sans vous faire mes adieux.

 

 

Scène IV

 

LA COMTESSE, LA MARQUISE

 

LA MARQUISE.

Eh bien, ma chère amie, les reproches de votre mari et ceux de Monsieur le Duc sont-ils donc fondés ? Est-il vrai que rien ne puisse triompher de cette humeur sauvage que vous avez apportée de la province ?

LA COMTESSE.

J’ai peine, je l’avoue, à me façonner au ton, aux usages de ce monde si nouveau pour moi ; tout ce que je vois, tout ce que j’entends, m’étonne et me laisse dans une situation d’esprit dont je ne me rends pas compte.

LA MARQUISE.

Voyons, enfant, ouvrez-moi votre cœur.

LA COMTESSE.

Oh ! oui, j’aurais besoin d’un guide dans ce tourbillon où mon mari se précipite, et où il voudrait m’entraîner ? 

Air : de Léocadie.

Moi qui, naguères, si joyeuse,
N’avais jamais connu l’ennui,
Je deviens triste et soucieuse,
Le repos et la joie ont fui ;
Sans chagrin je pleure aujourd’hui :
Pourquoi ? je n’en sais rien encore ;
Ici, dit-on tout est trompeur !...
Je rêve un péril que j’ignore.
Et voilà, oui voilà ce qui me fait peur ?

LA MARQUISE.

Oh, nous parviendrons à vous aguerrir !

LA COMTESSE.

J’entends sans cesse parler du bonheur, mais je le cherche et ne le trouve pas ; entourée d’hommages, poursuivie de propos séduisants, je me surprends quelquefois à regretter l’existence paisible que nous menions avant ce voyage. Alors c’était de moi seule que s’occupait mon mari, nous étions toujours ensemble.

LA MARQUISE.

Ah, mon Dieu ! ma chère, est-ce que vous seriez jalouse ? cela n’aurait pas le sens commun ; avant tout, voyez-vous, il faut se préserver du ridicule.

LA COMTESSE.

Serais-je donc ridicule en lui rappelant mes droits à son amour ?

LA MARQUISE.

D’abord, il ne faut jamais parler de nos droits, parce qu’on nous répond par des devoirs.

LA COMTESSE.

Mais je veux être fidèle aux miens.

LA MARQUISE.

Qui vous dit le contraire ? Mais votre devoir est-il de repousser toute espèce de distraction ; de fuir les plaisirs de votre âge ; de faire le procès au monde où votre naissance vous appelle à vivre ? Dans ce monde, nous tâchons de nous étourdir sur des chagrins inévitables. Où est le mal, je vous prie ?... Nous cherchons à plaire ; qu’avons-nous à faire de mieux ? On nous aime, on nous le dit, nous le croyons ; n’est-ce pas bien naturel ?... Laissons donc la pruderie aux vieilles femmes ; profitons d’un temps qui ne reviendra pas, et gardons le plaisir de fronder l’époque où nous n’aurons plus que celui-là.

LA COMTESSE, rêveuse.

Oui, voilà ce qu’on me répète tous les jours.

LA MARQUISE.

Et l’on a raison !... Comment pouvez-vous être si sauvage dans un pays où tout vous invite à la joie, au plaisir, à la vie ?... Vous souriez... Tenez, je crois, malicieuse, que vous nous jouez tous.

LA COMTESSE.

Que voulez-vous dire ?

LA MARQUISE.

Oh, ce ne serait pas bien !... Faire tant de mystère !... D’abord, c’est de mauvais goût ; ensuite, c’est humiliant pour ceux qui n’en font pas.

LA COMTESSE.

Mais, Madame !...

LA MARQUISE.

Ah, oui, je comprends, vous êtes mariée et moi je suis veuve... C’est que, voyez-vous, j’ai toujours été veuve, moi !...

LA COMTESSE.

Comment !

LA MARQUISE.

Mon mari avait soixante ans quand je l’épousai.

LA COMTESSE.

Ah !...

LA MARQUISE.

En vérité, le tour serait piquant !... et, en effet, je me rappelle à présent ce qui m’est revenu vendredi dernier, à la cour, par la plus mauvaise langue, mais la plus adroite qui ait jamais prononcé une méchanceté ; le vieux duc d’Estissac.

LA COMTESSE.

Il parlait de moi ?

LA MARQUISE.

Voyez, me dit-il en vous montrant, voyez cette charmante comtesse, toute jeune, toute naïve, et déjà rêveuse !... Comme deux beaux yeux aident pourtant à une éducation !... À peine débarquée de province, la voila déjà fixant les hommages de ce qu’il y a de plus brillant dans nos salons. Vrai ? (lui dis-je, sans en être étonnée, je vous prie de le croire, mais cela m’avait fait grand plaisir.) Comment donc ? reprit il en ricanant, un de nos courtisans les plus raffinés en est presque près d’elle au demi soupir, et l’on commence à se parler sans se regarder... C’est que, voyez-vous, il faut toujours se regarder quand on se parle.

LA COMTESSE.

Madame !...

LA MARQUISE.

C’est un conseil que je vous donne en passant, et dont je vous engage à profiter. Mais, dites-moi, ma toute belle, le vieux duc avait-il observé juste ?

LA COMTESSE.

Je ne sais ce qu’il a voulu dire, et quant aux hommages dont il s’agit, ils consisteraient donc en un menuet que j’ai dansé avec mon mari, un avec monsieur Delvars, et deux ou trois, je crois, avec Monsieur le duc de Marsay.

LA MARQUISE.

Ah !...

À part.

Je ne me trompais pas, c’est de Marsay ; mais nous verrons.

Haut.

Et voilà tout ?

LA COMTESSE.

Mon Dieu, oui !...

LA MARQUISE.

Eh bien, ce sont les deux ou trois menuets qui auront fait jaser.

LA COMTESSE.

Jaser !...

LA MARQUISE.

Et puis, qui sait si monsieur le duc n’aura pas été se vanter ?...

LA COMTESSE.

Oh ! Madame !...

LA MARQUISE.

Vous ne connaissez pas ce monde-là, ma chère...

LA COMTESSE.

Vous m’en disiez tant de bien tout à l’heure.

LA MARQUISE.

Est-ce que j’en dis du mal à présent ?

LA COMTESSE.

Un tel procédé serait-il digne d’un homme que vous honorez de votre amitié !... Ah ! laissez-moi croire...

LA MARQUISE.

Croyez, mon enfant, croyez !... La foi est si nécessaire, dans ce monde !... D’ailleurs, de quoi s’agit-il ici ? d’afficher une femme, d’en tromper d’autres !... Qui a pensé à dire que monsieur le duc n’était pas honorable ?

LA COMTESSE.

Honorable !... Eh quoi ! Madame, un homme ne cesserait-il pas de l’être, du moment qu’il tromperait une femme ?

LA MARQUISE.

Quel langage !... Ah ça, mais, Toulouse est donc bien loin de Paris ?

LA COMTESSE.

Assez pour qu’on n’y soupçonne pas de pareilles choses.

LA MARQUISE, à part.

Je crois qu’il était temps !... Le duc avait déjà fait du chemin.

Haut.

Du reste, ma belle amie, je ne parle qu’en thèse générale, et moins encore de trahison que de ruse : j’ignore tout-à-fait quelle femme monsieur le duc pourrait tromper !... Mais, tenez, le voici ; il pourrait vous le dire.

LA COMTESSE, à part.

Oh ! oui, me compromettre !... c’est là tout !

 

 

Scène V

 

LA COMTESSE, LE DUC, LA MARQUISE

 

LE DUC.

Le bonheur que j’espérais ne m’est donc pas refusé, Mesdames : je vous retrouve ensemble ; j’ai failli crever mes chevaux et mon coureur.

LA COMTESSE.

Cet empressement est bien flatteur pour nous, Monsieur, le Duc ; mais une course si rapide était-elle donc si nécessaire ?

LE DUC.

Oh ! ces animaux-là y sont habitués !... J’avoue pourtant que j’aurais regretté mes chevaux.

LA COMTESSE.

Voilà qui est agréable pour votre coureur.

LA MARQUISE.

Vous n’avez pas ramené monsieur le comte ?

LE DUC.

Je l’ai quitté à l’hôtel Saint-Florentin : il m’a prié de l’attendre ici.

LA COMTESSE.

Eh bien, permettez que je vous laisse un instant avec Madame la Marquise ; des ordres à donner, des devoirs indispensables me réclament : voudrez-vous me pardonner ?

LE DUC.

Ne vous gênez pas, Madame, je vous en conjure.

LA MARQUISE.

À tout à l’heure, ma charmante.

LA COMTESSE.

Je reviens dans un moment.

 

 

Scène VI

 

LE DUC, LA MARQUISE

 

LE DUC, à part.

Pardieu ! profitons de l’occasion pour m’arranger avec la marquise : elle sait vivre, elle entendra raison.

LA MARQUISE, à part.

Voyons s’il en veut réellement à la provinciale.

LE DUC.

Qu’avez-vous donc, ma chère Marquise ?

LA MARQUISE.

Moi !... je n’ai rien.

LE DUC.

Oh ! pardonnez-moi ! un nuage s’est étendu sur vos jolis traits ; vous avez quelque chose dans l’esprit ; voulez-vous que je vous dise ce que c’est ?

LA MARQUISE.

Soyez assez bon pour me l’apprendre.

LE DUC.

Ah ! vous savez bien que je ne vous ai jamais rien appris.

LA MARQUISE.

Pas même que vous êtes un impertinent ?

LE DUC.

Là !... vous voyez bien que je ne me trompe pas... vous m’en voulez ?

LA MARQUISE.

Moi !... et pourquoi ?

LE DUC.

Oh ! pourquoi ?... Comme vous le savez, et moi aussi, je ne vois pas à quoi il serait nécessaire de le dire, surtout ici !... Vous êtes pénétrante, chère amie.

LA MARQUISE.

Vous croyez ?

LE DUC.

Oui, vous devinez sans peine une situation, er vous entendez trop bien la vie pour ne pas vous accommoder aux circonstances.

LA MARQUISE.

En vérité ?

LE DUC.

Sans doute !... Eh bien, écoutez-moi !... il faut nous quitter...

LA MARQUISE.

Qu’est-ce à dire ?

LE DUC.

Je sais bien qu’alors vous resterez seule... avec le petit de Bréville !...

LA MARQUISE, outrée.

Comment !

LE DUC, souriant.

Ah ça, croyez-vous donc que je l’ignorais ?

LA MARQUISE.

Mais... c’est une infâme calomnie...

LE DUC.

Il est bien jeune, c’est vrai, et cela pourrait prêter à des plaisanteries !... Mais, si vous craignez qu’on ne vous accuse de vous réformer, il y a une chose toute simple... Tenez, croyez-moi, ne nous boudons pas !... Nous ne nous aimons plus, hein ?

LA MARQUISE.

Pour ma part, si c’est d’aujourd’hui que vous vous en apercevez ?...

LE DUC.

Allons... vous êtes piquée !... Pourquoi cela ?... Est-ce qu’il s’agit, entre, gens comme nous, de pareilles fadaises ?... Mon Dieu, soyez tranquille ! je dirai par tout Versailles que c’est vous qui m’avez quitté la première... Oh, je sais ce que je vous dois !...

LA MARQUISE.

Vraiment, je vous admire !

LE DUC.

Vous êtes bien bonne !... Pareille chose m’est arrivée plus d’une fois en vous regardant.

LA MARQUISE.

Voilà une galanterie qui vient à propos.

LE DUC.

Voyons, ma chère amie, mettons de côté tout dépit, toute colère !... Si vous avez de la pénétration dans l’esprit, je n’en manque pas, moi ; pensez-vous donc que je n’ai rien vu ?

LA MARQUISE.

Je suis curieuse de savoir ce que vous avez vu.

LE DUC, lui prenant la main.

Coquette que vous êtes !... Niez donc que vous essayez sur le comte... oui, oui... sur le comte d’Herbigny, le pouvoir de vos charmes.

LA MARQUISE.

Monsieur le Duc !...

LE DUC.

Je veux dire que vous n’essayez rien, sûre de tout ce que vous entreprenez !... Eh bien, il n’y a pas de mal à cela ; vous êtes libre !... le comté... le comte peut le devenir d’un moment à l’autre, si... si... quelqu’un se charge de sa femme.

LA MARQUISE.

Ah !... nous y voilà !... quelque âme charitable, n’est-il pas vrai ?

LE DUC, souriant.

Il s’en présentera, gardez-vous d’en douter !

LA MARQUISE.

Est-ce que j’ai jamais douté de quelque chose auprès de vous ?

LE DUC.

C’est bien aimable, ou bien méchant, ce que vous dites là !... Mais revenons à d’Herbigny.

LA MARQUISE.

Oui !... et à sa femme ?

LE DUC.

D’Herbigny est très bien : riche, noble, joli homme, de l’esprit... il vous aime, vous le savez de reste !...

LA MARQUISE.

Il m’aime ?...

LE DUC.

Tout à l’heure il ne me parlait que de cela ; je suis son confident !... Des habitudes provinciales le retiennent encore et l’empêchent de s’avancer... Voulez-vous donc le rendre malheureux ? Je ne croirais pas cela de vous ; ce serait mal !... et ce n’est pas dans vos habitudes.

LA MARQUISE.

Vous êtes bien insolent, Monsieur le Duc !

LE DUC.

Mais non, je crois à la bonté de votre cœur, voilà tout ! Et puis, d’ailleurs...

Air du Piège.

Il faut du précepte divin
Conserver toujours la mémoire ;
Se dévouer pour son prochain,
C’est faire une œuvre méritoire :
En l’aimant, nous suivons les lois
De la morale évangélique,
Et, vous l’avez prouvé vingt fois,
Vous êtes bonne catholique.

LA MARQUISE.

Pas assez, peut-être, pour pardonner à qui m’offense.

LE DUC.

Si fait, si fait !... Voyons, arrangeons-nous, soyons-nous mutuellement utiles !... J’ai lu dans votre cœur, et vous m’avez deviné ; cela était d’autant moins difficile que je ne me cache guères !... Eh bien, est-ce que tout cela ne pourrait pas tourner à la satisfaction générale ? La !... de bonne amitié !... Qui sait ? plus tard peut-être reviendrons-nous l’un à l’autre ?...

LA MARQUISE.

Votre fatuité me donnerait envie de rire, si elle ne me mettait en fureur.

LE DUC.

Ah !... j’étais bien sûr que nous finirions par nous entendre ! Dites-moi donc, ma belle amie, ce pauvre comte est bien à plaindre : il est timide, il n’ose pas vous demander...

LA MARQUISE.

Quoi donc ?

LE DUC.

Mais... un rendez-vous !...

LA MARQUISE.

Et vous vous êtes chargé de sa requête ?

LE DUC.

La charité n’est-elle pas une vertu ?... Il faut se hâter dans la vie !... Elle est si courte !... Il ne vous voit jamais qu’auprès de sa femme... Ne pourriez-vous lui promettre de le recevoir... seul ?...

LA MARQUISE, avec ironie.

Comment donc !... Dès ce soir, pour vous faire plaisir.

LE DUC.

Vous riez ?... mais, vrai, ce serait une bonne action dans votre vie !... Cela n’aurait rien de pénible pour vous ; le cher comte serait aux anges ; moi, cela m’arrangerait... voyez pourtant que d’heureux vous feriez !

LA MARQUISE.

Et vous méritez si bien de l’être !

LE DUC.

Aimeriez-vous mieux terminer ensemble par de la haine ? Vous ne savez pas ce que vous refusez : l’amitié qui suit l’amour.

LA MARQUISE.

Autrement dit, la fumée qui suit la flamme.

LE DUC.

Mais non !... le calme après l’orage.

LA MARQUISE.

Est-ce qu’il y a jamais eu de l’orage dans votre amour ?

LE DUC.

Allons donc, enfant !... En revanche d’un peu de complaisance, je vous offre loyalement tous mes services : passons-nous le marché ?

LA MARQUISE, à part.

Oh !... Je me vengerai !...

LE DUC, lui tendant la main.

Eh bien, voyons, puis-je compter sur vous ?

LA MARQUISE.

Oui !...

LE DUC.

Qu’un baiser sur cette jolie main scelle le traité que nous venons de conclure.

LA MARQUISE, à part.

Baiser de Judas !

 

 

Scène VII

 

LA MARQUISE, LE COMTE, LE DUC

 

LE DUC.

Ah, c’est vous enfin, mon cher Comte ?

LE COMTE.

Madame la Marquise, combien je vous rends grâces !... Où donc est ma femme ?

LE DUC.

Quelques détails de ménage nous l’ont enlevée un instant.

LA MARQUISE.

Avez-vous été content de votre réception ?

LE COMTE.

Oh, très content !...

LA MARQUISE.

Et avec quelles dignités nous revenez-vous ?

LE COMTE.

Des dignités !... ah, grand Dieu ! Le Ciel m’en préserve !... Je les laisse à de plus robustes.

LE DUC.

Vous êtes trop modeste.

LE COMTE.

J’ai trouvé mieux que cela : un grand seigneur qui se souvient d’un service. J’avoué qu’il m’a fait bien rire dans l’exercice de ses fonctions.

LA MARQUISE.

Ce n’est pourtant pas là l’effet qu’il produit ordinairement.

LE COMTE.

Je le conçois. Au moment où je suis entré, il signait des lettres de cachet à incarcérer la moitié d’une province, et cela avec le sang-froid le plus imperturbable.

LE DUC.

Je le crois bien... la grande habitude !

LE COMTE.

Et savez-vous ce qu’il m’a dit ! « Pardieu, mon cher d’Herbigny, il faut que je fasse pour vous ce que j’ai fait bien rarement dans ma vie administrative ! »

LA MARQUISE.

Ah !... qu’est-ce que c’est ?

LE COMTE.

Vous imaginez sans doute qu’il s’agit de quelque emploi, de quelque charge à la cour ? Du tout !... Là-dessus le voilà qui me donne deux lettres de cachet en blanc signées de lui.

LE DUC.

Diable !...

LE COMTE.

Que veut-il que je fasse de ses lettres de cachet ?

LE DUC.

Hein ?... que dites-vous là mon cher comte ?... Vous ne savez donc pas que c’est un trésor que vous possédez ? un véritable talisman sans lequel, à votre place, je ne sortirais plus...

LE COMTE.

Pardieu, oui, voilà une belle affaire !

LE DUC.

Invention admirable !

Air : J’en guette un petit de mon âge.

Ces lettres-là, merveilleux spécifique,
Aux créanciers servait d’argent comptant ;
C’est un argument sans réplique
Pour l’écrivain frondeur et mécontent ;
L’amant, enfin, qu’un sot mari dérange,
Lorsque peut-être au bonheur il touchait,
Pour une lettre de cachet
Donnerait vingt lettres de change.

LA MARQUISE.

Devrait-on livrer ainsi de semblables papiers !

Avec gaieté.

Quand je pense que M. le comte pourrait, avec cela, m’envoyer à la Bastille, si tel était son bon plaisir.

LE COMTE.

Il y aurait chance à ce que cette envie-là me vint, si vous me permettiez de m’y envoyer aussi.

LE DUC, à part.

À la Bastille !... Oh ! quelle idée !

Haut.

Diable ! vous faites le dédaigneux, mon cher comte ; je donnerais bien quelque chose, moi, pour en posséder une pareille.

LE COMTE, lui en offrant une.

Eh bien ! mais, voulez-vous ?

LE DUC.

Oh ! je me reprocherais de vous en priver.

LE COMTE.

Songez donc, que je n’aurais jamais une meilleure occasion de la placer.

LE DUC.

Non, non !...

LE COMTE.

Allons, je vous en prie !...

LE DUC.

Vous le désirez ?...

LE COMTE.

Absolument !

Le duc prend la lettre.

LE DUC, à part.

Il y met une grâce !...

LE COMTE, à la Marquise.

Je gage qu’il s’agit de quelque pauvre mari à duper.

LA MARQUISE.

C’est probable.

LE COMTE.

Oui, je suis sûr que je commets là une mauvaise action !... Mais, ma foi, la morale n’a qu’à s’en prendre à M. de Saint-Florentin : moi, je m’en lave les mains.

LE DUC, tirant le Comte à part.

Dites-moi donc, mon cher, service pour service.

LE COMTE, à demi-voix.

Comment ?

LE DUC.

Sans doute. En votre absence, j’ai arrangé vos affaires : il a été question de vous.

LE COMTE.

En vérité ?

LE DUC.

Tout va bien. Demandez le rendez-vous pour ce soir, vous l’obtiendrez.

LE COMTE.

Est-il possible ?

LE DUC.

Quand je dis une chose, mon ami, on peut s’en rapporter à moi : brusquez l’affaire et je réponds de tout.

LE COMTE.

Que vous êtes bon !

LE DUC.

Eh mon Dieu, à charge de revanche.

LA MARQUISE, à part.

De Marsay médite quelque noirceur : ne le perdons pas de vue.

Haut, au Comte, qui se rapproche d’elle.

Que veut donc faire Monsieur le Duc de cette lettre de cachet ?

LE COMTE.

Oh !... ne le lui demandons pas... C’est quelque horreur... Mais voyez, Madame, comme on écrit l’histoire, et combien il faut se tenir en garde contre les propos ! Voilà le cher Duc qui m’excite à parler de mes sentiments à une femme qu’on prétendait aimée de lui.

LA MARQUISE.

Oui-dà ?

LE COMTE.

Vraiment le monde est d’un niais, d’un ridicule !... C’est à se fermer les yeux, à se boucher les oreilles et à ne rien croire !...

LE DUC, qui s’est assis près de la table, la lettre de cachet à la main.

Vous permettez, n’est-ce pas, Comte, que j’étudie un peu la rédaction ?

LE COMTE.

Faites, faites !...

À la Marquise.

Vous ne voulez pas m’envoyer à la Bastille ?

Il lui montre l’autre lettre de cachet.

LA MARQUISE, à part.

Je crois qu’on s’en charge !... mais il n’y est pas encore.

LE COMTE.

Qu’avez-vous donc ?... Vous ne me répondez pas.

LA MARQUISE...

Ah, pardon !...

LE DUC, à part, en les regardant.

Très bien !... Il donne dans le piège.

LE COMTE.

Là, du moins, si j’étais près de vous, des importuns ne gêneraient pas l’expression de mes sentiments ; tous mes instants seraient consacrés à vous répéter qu’un regard, un mot de vous peuvent embellir ma vie !... J’ai tant de choses à vous dire !...

LA MARQUISE, souriant.

Mais, pour cela, une prison est-elle indispensable ?

LE COMTE.

Oh ! non, sans doute, et si vouliez que chez vous...

LA MARQUISE.

Chez moi !...

LE COMTE.

Ce soir...

LA MARQUISE.

Y pensez-vous ?

LE COMTE.

Je ne pense qu’à cela. Oh, je vous en conjure, ne me refusez pas un moment d’entretien, ce soir...

LA MARQUISE.

Vous... l’exigez ?...

LE COMTE.

Je n’exige pas !... Je supplie.

LA MARQUISE.

Eh bien, j’y consens...,

LE COMTE.

Que je suis heureux !...

LE DUC, à part.

À merveilles !... Tout me paraît arrangé.

LA MARQUISE, à part.

De Marsay triomphe... Mais patience !...

LE COMTE, bas du Duc.

C’est convenu, j’irai chez elle.

LE DUC.

Ce soir ?

LE COMTE.

Oui.

LE DUC.

Bon !

 

 

Scène VIII

 

LE DUC, LE COMTE, LA COMTESSE, LA MARQUISE

 

LA COMTESSE, entrant.

Vous me pardonnez, n’est-il pas vrai ? J’ai été absente plus longtemps que je ne l’aurais voulu.

LE DUC, qui s’est levé.

Nous gémissions sans vous accuser.

LA COMTESSE.

Te voilà de retour, mon ami ?... Eh bien, M. de Saint-Florentin ?...

LE COMTE.

A été charmant, et pour me témoigner toute sa reconnaissance, il m’a donné de quoi te mettre à la raison si tu te révoltais contre mon autorité.

LA COMTESSE.

Que signifie cela ?

LE COMTE.

Cela signifie que ce papier que tu vois, et celui que tient Monsieur le Duc...

Au Duc.

À propos, continuez, donc ce que vous faisiez, ma femme le permet.

LE DUC.

Madame la Comtesse serait assez bonne...

Le Duc se rassied près de la table.

LA COMTESSE.

J’ignore ce dont il s’agit, mais ne vous dérangez pas, je vous en prie. Et toi, mon ami, achève ; ces papiers...

LE COMTE.

Sont les faveurs de Son Excellence.

LA MARQUISE.

Des lettres de cachet.

LA COMTESSE.

Comment ?

LE COMTE.

Au moyen desquelles on envoie son homme... ou sa femme, coucher en garni à la Bastille, sans autre forme de procès.

LA COMTESSE.

Oh !... voyons donc...

Elle s’approche du Duc, qui est assis à une table et a pris une plume pour remplir la lettre : le Comte arrête sa femme.

LE COMTE.

Pas d’indiscrétion, ma chère !... Ne trouble, pas le Duc. Je vais t’expliquer sur celle-ci, c’est la même chose.

Il déroule la lettre de cachet, et la montre à la Comtesse.

Vois-tu ? Voici la signature de M. de Saint-Florentin ; on met ici la date.

LE DUC, à part, écrivant.

Vingt février, mil sept cent soixante-trois.

LE COMTE, continuant.

Et puis, à cette place que tu vois en blanc, on met les nom et prénoms du patient...

LA COMTESSE, riant.

De façon que je n’aurais qu’à écrire là : Le Comte d’Herbigny...

LE COMTE.

Gustave-Anatole, entre parenthèses.

LE DUC, écrivant, à part.

Le Comte d’Herbigny, Gustave-Anatole.

LA MARQUISE.

Ensuite, la profession.

LA COMTESSE.

Homme noble, propriétaire.

LE DUC, écrivant, à part.

Propriétaire...

LE COMTE.

Enfin, ici, le signalement.

LA COMTESSE.

Ah ! ici ?...

LE COMTE.

Oui, immédiatement après.

LA COMTESSE.

C’est cela... J’écrirais : Front haut, bouche moyenne, yeux noirs, nez aquilin...

LE DUC, à part, écrivant.

Bonne petite femme !... C’est elle qui dicte.

LE COMTE, remettant la lettre dans sa poche.

Et voilà comme on se débarrasse d’un homme qui gène la marche des affaires publiques ou particulières.

LE DUC.

Voilà !...

LA MARQUISE, qui l’a toujours suivi des yeux, à part.

L’impudent !

LA COMTESSE.

Savez-vous bien que c’est une horreur qu’une pareille chose ?

LE DUC, à part.

Pauvre enfant !

LE COMTE.

Eh mon Dieu, ma chère amie, il n’y a pas moyen de gouverner autrement.

Au Duc.

Ah ça, mon cher Duc, vous avez terminé ?

LE DUC, se levant, et roulant la lettre.

Oui vraiment, tout est fini...

LE COMTE.

Vous ne vous êtes pas trompé ?... Nous vous avons troublé, peut-être ?

LE DUC.

Oh, pas du tout !... au contraire. Je vous demanderai seulement la liberté de dire un mot à mon grison.

LE COMTE.

Très bien.

Il sonne. Un domestique entre.

Le coureur de Monsieur le Duc.

Le domestique sort.

LE DUC.

Mille pardons !

LE COMTE.

Du tout !... En voilà un qui ne serait pas de mes amis, s’il savait que cela lui vient de moi !

Le coureur entre. 

LE DUC.

Allons donc... pour si peu de chose !... est-ce que vous seriez homme à vous fâcher, vous, si cela vous arrivait ?... C’est une excellente plaisanterie !

LE COMTE, riant.

Au fait !...

LE DUC.

Vous seriez le premier à en rire !...

LE COMTE, regardant le duc qui s’éloigne, et riant aux éclats.

Ah !... ah ! quelles mœurs parfaites ! D’honneur, j’adore ce pays-ci !...

LA COMTESSE, à la Marquise.

De quoi s’agit-il ?

LE MARQUISE.

Vous l’apprendrez, ma chère.

LE DUC, dans le fond, à son coureur, lui remettant une lettre de cachet.

Tu m’entends ?... au greffe, tout de suite, et qu’on ne mette pas de retard dans l’exécution.

Le coureur sort. À la comtesse.

Mon Dieu ! Madame, que je vous dois d’excuses !

LA COMTESSE.

À moi ?... Pas du tout, je vous assure... C’est là le coureur dont vous nous parliez tantôt ?

LE DUC.

Oui, Madame, c’est bien le plus adroit et le plus agile coquin qu’on puisse rencontrer. Il peut donner mille pas d’avance sur lui à la potence ; je gage cent louis qu’il ne manquera pas de l’attraper.

LA MARQUISE.

Ah çà ! voici la soirée qui s’avance ; il est temps de se retirer. M. le duc, puis-je compter sur votre main ?

LE DUC.

Comment donc !... avec un vif plaisir.

Bas.

Jusqu’à votre voiture seulement.

LA MARQUISE.

Ah !...

LA COMTESSE.

Vous nous quittez, Madame ?

LA MARQUISE.

Je vous reverrai bientôt.

LE DUC, à demi-voix au comte.

Je la laisse à la porte de son hôtel ; tâchez de vous esquiver.

LE COMTE, à demi-voix au duc.

Ce ne sera pas long.

LA MARQUISE.

Monsieur le comte... sans adieu.

LE DUC, bas au Comte.

Heureux mortel !

À part.

Les estafiers de Sartines le trouveront chez elle : toute la nuit m’appartient.

Air : Valse du Mari par intérim.

À la Comtesse.

Adieu, Madame, il faut que l’on vous quitte,
Veuillez au moins prendre pitié de nous ;
À vos côtés le temps passe si vit !...
Il est si long quand on est loin de vous !

LA MARQUISE, à part.

Pour obtenir le prix de tant de peines,
Monsieur le Duc compte sur mon secours ;
Si je n’ai pu le garder dans mes chaînes,
Je troublerai ses nouvelles amours.

Ensemble.

LE DUC, à la Comtesse, LE COMTE, à la Marquise.

Adieu, Madame, il faut que l’on vous quitte,
Veuillez au moins prendre pitié de nous ;
À vos côtés le temps passe si vite !...
Il est si long quand est loin de vous.

LA MARQUISE, à la Comtesse.

Adieu, ma chère, il faut que je vous quitte,
Peut-être, ici, bientôt, reviendrons-nous ;
J’aurais voulu prolonger ma visite,
Mais, croyez-moi, je vais penser à vous.

On se salue : le Duc prend la main de la Marquise, et sort avec elle.

 

 

Scène IX

 

LE COMTE, LA COMTESSE

 

LE COMTE.

Pardieu, il me tardait qu’ils s’en allassent.

LA COMTESSE.

Pourquoi donc, mon ami ?

LE COMTE.

L’heure s’écoulait, et je n’ai pas un moment à perdre si je ne veux pas trouver mon homme endormi.

LA COMTESSE.

Comment !... tu vas encore sortir ?

LE COMTE.

Ne faut-il pas que j’aille voir ce pauvre D’Alville, qui m’attend comme le Messie ? Au fait, c’est bien le moins que nos amis nous visitent quand nous sommes malades.

On voit passer le Duc dans le fond, à travers les portes vitrées.

LA COMTESSE.

Eh bien, tu iras demain.

LE COMTE.

Oh non, cela ne se peut : depuis huit jours, je remets au lendemain. D’ailleurs, nous n’avons rien à faire ce soir : cette semaine a été très fatigante pour toi ; il n’y a pas de mal que tu prennes du repos.

LA COMTESSE.

Rentreras-tu bien tard ?

LE COMTE.

Je ne sais... mais il est inutile que tu m’attendes. Songe que tu as besoin de sommeil... Allons, adieu, ma bonne Ernestine... Adieu !...

Il l’embrasse sur le front.

LA COMTESSE, le reconduisant.

Adieu !...

 

 

Scène X

 

LA COMTESSE, seule

 

Ah !... je ne sais ce que j’ai ce soir... Toulouse ! Toulouse ! nous avons eu tort de le quitter... Je sens que je m’y ennuierais maintenant, et que pourtant Paris ne me convient pas !... Mon mari croit me rendre heureuse en me conduisant dans les spectacles, dans les bals !... Mais s’il savait tout ce que j’entends, tout ce qu’on me dit ?

Air : Je sais attacher les rubans.

S’il faut les croire, à mes attraits
Ils viennent tous rendre les armes ;
Ils m’entourent quand je parais,
Et leur langage a tant de charmes !...
Fermer l’oreille est, pour leur résister,
Le seul parti que, dit-on, il faut prendre...
Mais le moyen de ne pas écouter
Ce qu’il nous est si doux d’entendre ?
Ah ! comment ne pas écouter
Ce qu’il nous est si doux d’entendre ?

Ce Duc de Marsay... que de grâces séduisantes !... que d’éloquence dans son regard !... Est-il donc vrai que tromper une femme soit son plus grand plaisir ?... Oh !... la Marquise le calomnie... Elle l’a deviné peut-être, et la jalousie... Il est si bien !... Pourquoi donc me répète-t-il souvent que le bonheur, c’est de se donner à tout le monde pour ce qu’on n’est pas, et à un seul être pour ce que l’on est ?... Oh oui !... voilà bien ce qui eût charmé ma vie !... Mon Dieu, mon Dieu ! Pourquoi aussi Gustave me laisse-t-il toujours seule ?... J’ai tant besoin d’affections !... mon pauvre cœur est si troublé !... Ah, demain, je le lui dirai, je ne veux plus vivre de cette vie-là... Allons, l’heure s’avance, il faut chasser toutes ces réflexions et tâcher de trouver le repos.

Elle entre dans sa chambre, à gauche de l’acteur, près du canapé.

 

 

Scène XI

 

LE DUC, seul, sortant avec précaution de la galerie, et envoyant un baiser du côté par ou est sortie la Comtesse

 

Il est vêtu d’une robe de chambre.

En vérité, c’est un ange !...

Il descend la scène.

Ce damné laquais a failli me surprendre !... Heureusement que j’ai trouvé la robe de chambre de ce bon D’Herbigny... et, ma foi, je me suis empressé de l’endosser... D’ailleurs, si on venait, c’est un bon moyen de ne pas compromettre la Comtesse. Une robe de chambre, le soir... ce ne peut être qu’un mari... Et puis, cela aide à l’identité !...

Air : vaudeville du Passe-partout.

Pour attaquer la vertu la plus pure,
Si Jupiter en mari s’est changé,
Moi, qui ne peux lui prendre sa figure,
Au pauvre époux je prends son négligé !
Avec sa robe, il semble, sur mon âme,
Qu’à mes désirs tout doit céder ici !
Oui, je m’y trompe !... Espérons que sa femme
Dans un instant, va s’y tromper aussi.

Je joue ici un jeu à me faire écrouer pendant quelque temps à titre de voleur, ou toute autre qualité !... En conscience, ma témérité m’épouvante... Heureusement, j’ai un duché à faire valoir en cas de besoin, et assez d’or en poche pour payer toutes les vertus domestiques qui peuvent se trouver dans cet hôtel... Avant peu, le cher Comte sera en lieu de sûreté : qu’il couche quelques vingt-quatre heures à la Bastille, et moi, je m’arrange de cet appartement... Ah ça, examinons... Est-ce piano, forte, ou amoroso, qu’il faut attaquer ce jeune cœur ? Je crois que l’amoroso est de rigueur. Toute l’artillerie sentimentale !... Et, si elle se révolte, je tâcherai de lui prouver que cela n’en vaut pas la peine... Oh, la voici !...

 

 

Scène XII

 

LE DUC, en robe de chambre, et tournant le dos à la Comtesse, LA COMTESSE, sortant de sa chambre, en négligé de nuit

 

LA COMTESSE, entrant.

Il m’a semblé entendre du bruit... Ah, c’est toi, Gustave ? Tu es bien aimable d’être revenu tout de suite... Sais-tu bien que j’avais de vagues soupçons ?... Pourquoi aussi me laisses-tu si souvent seule ?...

Elle lui prend la main.

Ah !... ce n’est pas mon mari...

Elle recule effrayée : le Duc se retourne.

Monsieur le Duc !... Et ce costume !... Mais êtes-vous fou, Monsieur ?...

LE DUC.

Oui !... Je suis fou de ce qu’il y a de plus adorable au monde.

LA COMTESSE.

Quelle audace !... Sortez, Monsieur, sortez à l’instant.

LE DUC, à part.

Ce n’est pas pour cela que je suis venu.

LA COMTESSE.

Que voulez-vous de moi ?

LE DUC.

N’avez-vous donc pas compris mes regards ? Toutes mes actions, toutes mes paroles ne vous ont-elles pas dit ce qui se passe dans mon cœur ?... Je n’ai pu résister plus longtemps à la force du sentiment qui m’entraîne ; une occasion s’est offerte de vous voir sans témoins, je l’ai saisie... Si c’est un tort, ne soyez pas inexorable, et surtout veuillez m’écouter.

LA COMTESSE.

Vous écouter !... ici !... à cette heure !... Ne songez-vous pas que, d’un instant à l’autre, mon mari peut rentrer ?

LE DUC.

Il ne rentrera pas.

LA COMTESSE.

Comment ?

LE DUC.

Sait-il quel trésor il possède, lui qui cherche ailleurs, en ce moment, bien moins que ce qu’il a près de lui ?

LA COMTESSE.

Que dites-vous ?

LE DUC.

Ce que déjà vos soupçons vous ont appris...

LA COMTESSE.

Quoi !... il serait vrai ?... La Marquise... ?

LE DUC.

Je suis coupable, sans doute, Madame, et vous ne concevez pas ma conduite... tant de respect vous est dû !... Mais voir ainsi abandonner tant de charmes ; méconnaître, trahir un cœur tel que le vôtre !... Un cœur si digne d’être apprécié, si capable d’affections tendres !... Oh, vous savez que je comprends votre âme.

LA COMTESSE.

Moi, Monsieur, je ne veux pas vous comprendre, et surtout en entendre davantage... Sortez, sortez, je vous l’ordonne !...

LE DUC.

Une voix si douce... et des paroles si dures !

LA COMTESSE.

À ce prix seul, vous pouvez espérer l’oubli.

LE DUC.

L’oubli ?... Ah, Madame !... Toute autre chose de grâce, mais l’oubli !... L’oubli de celle qu’on adore !...

LA COMTESSE.

Encore une fois, Monsieur !...

LE DUC.

Ces mots, on vous les a dits bien des fois...

LA COMTESSE.

Et qui donc aurait osé ?...

LE DUC, à part.

Ah, c’est juste !... à Toulouse...

Haut.

C’est que jamais on n’a senti comme moi tout ce qu’il pourrait y avoir de bonheur dans votre âme, pour celui qui serait aimé de vous !... Être aimé de vous, Ernestine !...

Il s’approche.

LA COMTESSE.

Monsieur !...

LE DUC.

Ne retirez pas cette main si jolie !...

LA COMTESSE.

Je vous ai ordonné de vous éloigner : faut-il donc que je vous en conjure ?... Voulez-vous me perdre ?

LE DUC.

Vous perdre !... Le croyez-vous ?

LA COMTESSE.

Si l’on vous trouve ici, je suis déshonorée...

LE DUC, à part.

La voix se radoucit...

Haut.

Ignorez-vous donc que, pour vous épargner un chagrin, je donnerais ma vie ?... Vous ne répondez pas ?... 

LA COMTESSE.

Oh, laissez-moi... Partez !...

LE DUC.

Avec votre mépris, peut-être ?... Eh bien, écoutez-moi seulement un instant... et je m’en irai... On m’a calomnié, sans doute ? On vous aura dit qu’un caprice, une fantaisie, un désir ordinaire me conduisent près de vous ?... Oh, je ne puis soutenir cette pensée. Pour vous un caprice, une fantaisie, un désir !...

LA COMTESSE.

Ne voyez-vous pas comme je souffre ?

LE DUC.

Et moi, ne suis-je pas malheureux ?... Du jour où je vous vis pour la première fois, je compris que mon existence était changée ; votre souvenir fut à jamais gravé dans mon cœur ; votre image ne me quitta plus ; elle était là, partout... dans la solitude, dans le tumulte du monde... belle, plus belle que toutes les autres... Ah, c’est que de cet instant l’amour s’empara de mon être...

LA COMTESSE.

Mais vous écouter est déjà un crime...

LE DUC, à part.

Bon !... on commence à capituler.

Haut.

Oui, l’amour le plus vrai !...

LA COMTESSE.

De grâce, Monsieur...

LE DUC.

Ah !... si vous vouliez y croire, à cet amour !... Éprouver comme moi ces sensations nouvelles et inconnues, ces espérances enchanteresses dont un seul regard moins sévère remplit en un instant votre âme !... Cette heure d’agitation qui précède le bonheur ; ce moment qui le suit, où l’on savoure enfin le repos au sein d’inépuisables rêveries... Oh !... vous diriez avec moi qu’un siècle de larmes et de chagrins ne saurait payer la félicité qu’il nous donne,

LA COMTESSE, fort troublée.

Oh, mon Dieu !...

LE DUC.

Voyez... je n’ai fait que vous dire ce que c’est que l’amour véritable, et votre regard est moins irrité... Mais moi, je suis plus inquiet.

LA COMTESSE.

Que dites-vous ?...

LE DUC, souriant.

Aimez-vous mieux que je sois sans crainte auprès de vous ?

LA COMTESSE.

Je ne puis en entendre davantage sans être coupable.

LE DUC.

Coupable !... Mais ces sentiments, ils viennent du Ciel !... Et de ceux-là mêmes qui les blâment, pas un n’a su leur résister. Ah, c’est que lorsqu’on aime et qu’on est aimé, on porte la vie si légère !... Il semble qu’on s’éloigne de la terre sans s’en apercevoir.

LA COMTESSE.

Et les regrets ?... et les tourments ?...

LE DUC.

Parce que vous voyez toujours le côté dramatique des choses.

LA COMTESSE.

Quoi !... les torts qu’une femme se donne...

LE DUC, souriant.

Un peu de mal peut-être, pour un grand bien !... Le marché n’est-il pas excellent ?

Il commence à devenir pressant.

LA COMTESSE.

Monsieur, pour la dernière fois, je vous en conjure, prenez pitié de moi !...

LE DUC.

Comment ! pas une parole d’espérance et de consolation !

LA COMTESSE.

J’entends du bruit... On vient !...

LE DUC.

Non, non.

LA COMTESSE.

Écoutez... Ah !...

LE DUC.

En effet, des pas...

LA COMTESSE.

Vous l’entendez ?... C’est mon mari qui rentre.

LE DUC.

Votre mari ?... Impossible !...

LA COMTESSE.

C’est lui, vous dis-je... Oh, fuyez, Monsieur, fuyez !...

LE DUC.

Par où ?

LA COMTESS E.

Que devenir ?... Ah, Monsieur, qu’avez-vous fait ?... Vite, vite !... Dans cette chambre... C’est la mienne !... Et s’il vous découvre ?...

LE DUC, entrant dans la chambre à gauche.

Recevez ma parole que votre mari ne perdra pas une goutte de son sang.

Il entre dans la chambre et referme la porte.

LA COMTESSE, tombant sur le sofa près de cette porte.

Que va-t-il dire ?... Ce n’est pas ici que je devrais être.

 

 

Scène XIII

 

LE COMTE, LA COMTESSE

 

LE COMTE, pâle et agité, à part.

Elle est seule !...

LA COMTESSE, tâchant de se remettre.

Ah !... C’est vous, mon ami ?

LE COMTE.

Qui vouliez-vous que ce fût à cette heure ?

LA COMTESSE.

Mais... personne que vous.

LE COMTE.

Et pourquoi ne prenez-vous pas de repos ? Pourquoi vous trouvai-je ici... seule... et presque émue ?

LA COMTESSE.

Je... je vous attendais...

LE COMTE.

Ah !... Et sans doute vous étiez demeurée dans cette obscurité pour penser à moi plus à votre aise ?

LA COMTESSE, troublée.

Pourquoi me parler ainsi ?

LE COMTE.

En effet, j’ai grand tort !... Je devrais être content, joyeux !... J’en ai sujet.

LA COMTESSE, plus troublée.

Quel ton !... Je ne vous comprends pas !

LE COMTE.

Oui !... Comme vous n’aimez pas les gens que vous nommez mes mentors !... Et vous avez raison, car ils ne valent que le sentiment impur que vous pourriez leur donner.

LA COMTESSE, effrayée.

Monsieur !...

LE COMTE.

Apprenez, Madame, que c’est assez de la honte !... Je n’accepte pas le ridicule.

LA COMTESSE.

Vous êtes injuste ?... Et en avez-vous le droit, à cette heure ?...

LE COMTE.

Injuste !... Mais nous ne sommes pas bien ici : entrons dans votre chambre.

LA COMTESSE, avec terreur.

Ah !... Restez !... je vous en conjure.

LE COMTE, après un moment de silence, pendant lequel il a tenu constamment ses regards fixés vers la porte de la chambre.

Que signifie ce refus ?

LA COMTESSE, suppliante.

Mon ami !...

LE COMTE.

Votre ami !... Ne devinez-vous donc pas, Madame, que je sais tout ? qu’on m’a ouvert les yeux ? Et ne comprenez-vous pas le sort que je réserve à une épouse coupable ?

LA COMTESSE.

Coupable ?... Gustave... le croyez-vous ?

LE COMTE.

Comment ne pas le croire ?

LA COMTESSE.

Et voilà le prix de l’attachement le plus tendre, du dévouement le plus sincère !... Sur un soupçon, le mépris, la haine... Ah, je ne suis pas injuste, moi... Peut-être ai-je déjà bien souffert en silence ? Peut-être suis-je trompée en ce moment, et pourtant je crois que votre cœur est encore à moi !...

LE COMTE.

Que dites-vous ?

LA COMTESSE.

Un homme pourra délaisser, trahir la femme qu’il a choisie pour sa compagne ; il ne daignera pas s’informer si son abandon déchire un cœur aimant et dévoué ; si les longues heures d’absence ne s’écoulent pas dans les tourments et les regrets ? Il faudra que l’infortunée souffre, pleure et se taise !...

Air : Soldat français. (de Julien.)

En secret elle gémira
Et, sur la plus simple apparence,
Celui qu’elle aime, en un jour oubliera
Deux ans d’honneur, d’amour et de constance !
Prompt à s’armer de son titre d’époux,
La haine au cœur, il revient auprès d’elle,
Et, n’écoutant qu’un injuste courroux,
Lui qui la trompe, il se montre jaloux,
Pour cacher qu’il est infidèle.

LE COMTE.

Ernestine !...

LA COMTESSE.

Est-il donc impossible qu’une femme paraisse coupable, et ne mérite pourtant pas qu’on l’accuse ? Répondez-moi, Monsieur !... Si un jeune homme s’introduisait la nuit chez elle... serait-ce sa faute ?

LE COMTE, faisant un mouvement pour aller vers la chambre.

Ce serait alors lui qu’il faudrait punir.

LA COMTESSE, l’arrêtant.

Grand Dieu !...

Avec beaucoup de grâce et de douceur.

Mais si cette femme repoussait l’amour criminel qu’on ose lui offrir ; si elle avait donné toute son âme, toute sa vie, alors même qu’elle devrait croire à l’oubli, à l’indifférence de celui qu’elle aime ?

LE COMTE, à part.

Que sa voix est douce !

LA COMTESSE.

Si, en apprenant qu’il porte ailleurs ses vœux et son hommage, elle avait éprouvé plus de chagrin que de colère ? Si elle eût résolu de redoubler de tendresse et de soins pour le ramener vers elle ?

LE COMTE.

Serait-il donc vrai ?

LA COMTESSE.

Si, enfin, dédaignant une vengeance indigne d’elle, rejetant des espérances qui l’offensaient, elle se fût dit : N’accusons point l’inconstance d’un moment ; feignons d’ignorer des torts que je ne lui reprocherai jamais ; il reviendra, car s’il cherche à présent de faux plaisirs, c’est près de moi que l’attend le bonheur. Aurait-elle eu trop de confiance, ou trop d’orgueil ?

LE COMTE, la regardant.

Elle est si jolie !...

LA COMTESSE, le cajolant.

Trouveriez-vous du plaisir à voir couler ses larmes ? Et ne regretteriez-vous pas un éclat qui la flétrirait, elle qui l’a si peu mérité ?

LE COMTE, à part.

Vraiment, je ne sais où j’en suis !... Elle ne m’a jamais paru si charmante.

LA COMTESSE.

Croyez-vous donc qu’il s’efface si vite, le souvenir de ces douces émotions qu’on dut à l’être qui, le premier, fit palpiter notre cœur ?

LE COMTE, s’approchant d’elle.

Oh non !...

LA COMTESSE, marchant vers le canapé, près de la porte, et finissant par s’y asseoir.

Ah !... s’il était coupable, je sens qu’il serait bien doux de lui pardonner.

LE COMTE, à part.

Il y a tant de candeur dans son langage !... Elle est innocente !...

LA COMTESSE.

Pourquoi rester loin de moi ? Vous êtes toujours irrité ? Vous me fuyez ?...

LE COMTE, s’approchant.

Je ne vous fuis pas.

Il est tout près du canapé.

LA COMTESSE, lui tendant la main.

Vous !... Toujours vous !

LE COMTE, la contemplant.

Qu’elle est bien sous ce négligé !

LA COMTESSE.

Gustave !...

LE COMTE, s’asseyant près d’elle.

Ils ont si beau jeu, ceux qui offrent un amour auquel on ne s’attendait pas !

LA COMTESSE, d’un ton de tendre reproche.

Ils nous font tant de mal, ceux qui nous retirent un cœur qui devrait nous appartenir !

LE COMTE, à part.

Oh, j’étais fou !...

Haut.

On croit aussi aisément le mal qu’on dit de ceux-ci, que le bien qu’on pense des autres.

LA COMTESSE, fixant les yeux sur lui.

Non, mon ami !

LE COMTE.

C’est que les autres font leur étude de plaire, qu’ils mettent tout en œuvre pour réussir.

LA COMTESSE, souriant.

Il en est même qui endossent, à la première entrevue, la robe de chambre du mari... qu’ils ne parviendront pas à remplacer.

LE COMTE, avec colère, se levant.

Qu’entends-je ?

LA COMTESSE.

Je vous en prie !...

LE COMTE.

Ah !... c’est une insulte...

LA COMTESSE.

Non, c’est une folie.

LE COMTE, à part.

Qu’allais-je faire ?... Me fâcher !... non !... cette vengeance sera plus douce...

Il se rassied.

Mais si mon Ernestine n’aimait que moi, comme elle le dit, elle se serait déjà jetée dans mes bras.

LA COMTESSE, avec bonheur.

Ah !... Gustave !...

LE COMTE, très tendrement.

Une étreinte de sa main m’eût tout appris en un instant !

LA COMTESSE.

Mon ami !...

Elle lui prend la main, et la pose sur son cœur.

LE COMTE.

Oh oui, je le sens, ce cœur n’a jamais battu pour d’autre que pour moi... n’est-il pas vrai ?

LA COMTESSE, devinant l’intention de son mari, bas.

Méchant !...

LE COMTE.

Ernestine hésite-t-elle à me répondre ?

LA COMTESSE.

Non... Ce cœur n’a jamais été à d’autre qu’à toi !

LE COMTE, la serrant dans ses bras.

Je suis bien heureux !...

LA COMTESSE.

Que rien ne trouble plus ce bonheur !

LE COMTE, à part.

Je voudrais bien voir la figure de M. le Duc !...

LA COMTESSE.

Mais... n’entends-je pas du bruit ?

LE COMTE.

En effet, voici des lumières, du monde.

LA COMTESSE.

Qu’est-ce donc ?

LE COMTE, à part.

Un exempt !... Pardieu ! la marquise ne m’avait pas trompé.

 

 

Scène XIV

 

UN EXEMPT, LA MARQUISE, LA COMTESSE, LE COMTE

 

LA MARQUISE, au domestique qui ouvre la porte.

Restez, restez !... Il est inutile que vous entriez.

Le domestique s’éloigne.

LA COMTESSE.

Qui nous procure, Madame, le bonheur de vous voir ?

LA MARQUISE.

Vous allez l’apprendre, ma toute belle.

À l’exempt, en lui prenant la lettre de cachet des mains.

Vous permettez, Monsieur, que je porte la parole ?

LE COMTE, à part.

Ah ! Monsieur le Duc, tout cela vaut bien un coup d’épée !

LA MARQUISE.

Ma chère Comtesse, une lettre de cachet a été lancée contre votre mari.

LA COMTESSE.

Une lettre de cachet !...

LA MARQUISE.

Et c’est à la requête de Monsieur de Sartines, comme vous le voyez, que Monsieur Legrand, que j’ai eu le bonheur de rencontrer plusieurs fois chez le lieutenant-général, s’est présenté à mon hôtel.

LA COMTESSE, finement.

Pour y chercher mon mari ?

LA MARQUISE.

Non !... Mais sachant que je suis de vos amies, il a bien voulu mettre dans l’arrestation des formes...

LA COMTESSE.

Une arrestation ?...

LA MARQUISE.

Ne vous effrayez pas !

L’EXEMPT, au Comte.

Monsieur... vous voudrez bien me suivre ?

LA MARQUISE, à l’Exempt.

Que faites-vous donc ?... Mais ce n’est pas Monsieur.

LA COMTESSE, étonnée.

Comment ?

LA MARQUISE, bas.

Silence !...

LE COMTE, à part.

Oh !... quelle idée !

Haut.

Sans doute, Monsieur, vous êtes dans l’erreur !... Moi, le mari de Madame !... c’est un bonheur qu’on paierait volontiers de la Bastille ; et vous me faites plus heureux que je ne le suis.

L’EXEMPT.

Pardon !... c’est que le signalement m’avait paru...

LA MARQUISE.

Tous les signalements se ressemblent.

L’EXEMPT.

Où donc, je vous prie, est notre prisonnier ?

 

 

Scène XV

 

L’EXEMPT, LA MARQUISE, LA COMTESSE, LE COMTE, LE DUC

 

LE DUC, sortant de la chambre.

Le voici, Monsieur.

LA MARQUISE, à part.

Allons ! il s’exécute de bonne grâce.

L’EXEMPT, à part.

Ah ! oui, la robe de chambre !... voilà le mari.

LA COMTESSE, à part.

Pauvre Duc !

LA MARQUISE, ironiquement.

Monsieur, nous sommes bien tristes...

LE DUC.

J’ai tout entendu, Mesdames, et je viens faire tête à l’orage.

L’EXEMPT.

Croyez, Monsieur le Comte, que je n’accomplis qu’à regret cette mission pénible...

LE DUC.

Je sais, Monsieur ; mais veuillez vous écarter un instant ; votre prisonnier ne vous échappera pas... Ah ça ! je pourrais d’un mot mettre un terme à cette plaisanterie...

LA MARQUISE.

Une plaisanterie ! Sous ce costume, qui pourriez-vous être aux yeux de Monsieur ?

Elle montre l’Exempt.

LE DUC, regardant la Comtesse.

C’est juste !...

Au Comte, avec ironie.

Et Monsieur retourne-t-il dans ses terres ?...

À part.

Comme cela se fait ordinairement.

LE COMTE, avec hauteur.

Et pourquoi donc, Monsieur le Comte ? Y aurait-il ici quelque danger à fuir ? Non... nous restons à Paris ! nous irons même après-demain à Versailles pour le bal, le grand bal de la cour, vous savez ? Nous souhaiterions de vous y rencontrer !...

À demi-voix.

Et partout ailleurs si vous le désirez.

LE DUC, bas à la Marquise.

Occupez la Comtesse, je vous prie.

LA MARQUISE, emmenant la Comtesse de côté, à droite.

Ces Messieurs ont quelque chose à se dire, ma belle amie...

LA COMTESSE.

Oh !... je tremble !...

LA MARQUISE, à demi-voix.

Ne craignez rien : le Duc est homme d’honneur ; il prendra l’affaire gaiement.

LE DUC, au Comte, sur le devant, à gauche.

Je vous ai compris, Monsieur ; mais, si vous êtes las de la vie, il est, pour en sortir, mille moyens plus sûrs que celui que vous me proposez. Vous n’avez qu’à vous pendre.

LE COMTE.

Monsieur !...

LE DUC.

Ne vous suffit-il pas que je passe vingt-quatre heures à la Bastille ?... Vrai ! vous n’êtes pas généreux ; mais je ne le serai pas plus que vous, et je vous laisse avec le tort grave de m’a voir offert un duel que je ne devais point accepter.

LE COMTE.

Ah !...

LE DUC.

À Toulouse, je sais bien que cela ne se fût point passé ainsi : là, le mari verse deux pintes de son sang ; la femme mouille deux mouchoirs de ses larmes, et l’on appelle cela une affaire merveilleusement arrangée. Ici, le vaincu se retire sans se rendre coupable !... Vous avez eu dans votre jeu de l’adresse et du bonheur !... Recevez mes compliments ; tout est dit, et, de ce jour, votre femme me devient sacrée !... Voilà quel est le Duc de Marsay, Monsieur, et quand vous serez un peu plus acclimaté à notre pays, je ne doute pas que nous ne puissions nous revoir sans nous dévisager.

LE COMTE.

À la bonne heure !

LE DUC, montrant l’Exempt.

Le rôle que je joue devant Monsieur m’empêche de prendre congé de Madame la Comtesse avec tout le respect que je lui dois !... Vous permettez donc ?...

Il baise la main de la Comtesse, et lui dit à demi-voix.

Je vous ai tenu parole, Madame.

LA COMTESSE, à part.

Je crois presque que je l’estime.

LE DUC, à part.

J’ai été plus près du but qu’il ne pense.

À l’Exempt.

Monsieur, je suis à vous.

LA MARQUISE.

Avez-vous des remords ?

LE DUC.

Des regrets, peut-être !

LA MARQUISE.

Ma voiture est en bas, je vais vous accompagner.

LE DUC.

Vous êtes trop aimable.

LA MARQUISE, à la Comtesse.

Vous voyez qu’une folle est parfois bonne à quelque chose.

LA COMTESSE, à part.

Bonne... à ne pas revoir.

Le Duc et la Marquise saluent, l’Exempt sort devant eux.

LE COMTE, à sa femme.

Rien ne nous empêche plus d’entrer dans cette chambre.

LA COMTESSE, à part.

Pourquoi avons-nous quitté Toulouse ?...

Le Comte emmène sa femme dans sa chambre.

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