La Philosophe (DE BEAUNOIR)
Anti-drame en un acte.
Publié en 1775.
Le chagrin a toujours tort ;
Celui qui rit est le vrai Sage.
Personnages
MADAME DE SAINT-HILAIRE
MOROSE
AGNÈS, fille de Morose
LE CHEVALIER. L’ÉPINE, valet du Chevalier
La Scène est à Pantin, dans la Maison de Madame de Saint-Hilaire.
Le Théâtre représente un Salon de compagnie éclairé par plusieurs bougies.
AVERTISSEMENT DE L’AUTEUR
Que ce mot Anti-Drame n’étonne aucun Lecteur. Cette Pièce n’étant pas une Comédie, encore moins un Drame je devais tout uniment l’intituler Parade : c’était certainement le mot propre ; mais il choquait la vanité d’Auteur. J’ai donc mieux aimé inventer un mot nouveau, qui, sans signifier davantage, ménageât du moins l’orgueil Typographique.
Scène première
LE CHEVALIER, L’ÉPINE
LE CHEVALIER.
Sois le bienvenu, Mons de l’Épine : tu ne pouvais arriver plus à propos.
L’ÉPINE.
Sitôt vos ordres reçus, j’ai fait mon petit paquet, mis ordre à mes petites affaires, fait mes adieux à mes petites connaissances, et, moitié en chassant, moitié en me promenant, me voilà rendu avec le Soleil couchant à Pantin.
LE CHEVALIER.
Je vais dès aujourd’hui t’y donner de l’occupation.
L’ÉPINE.
Tant mieux ; j’aime à travailler également de tête et de main : mais à présent, Monsieur, puis je vous demander ce que vous faires ici de puis huit jours, au grand étonnement de la ban de joyeuse de vos sages Amis, qui tous vous trouvent à redire dans leurs fêtes bachiques ? D’honneur depuis votre départ leurs débauches sont d’une sagesse !... Leurs petits soupers d’un triste !... Leurs parties fines d’une décence !... On voit bien qu’ils ont perdu l’âme de leurs plaisirs, celui qui y portait la joie, la gaieté, et ce petit grain de libertinage plus piquant que le plaisir même.
LE CHEVALIER.
Je leur serai bientôt rendu ; mais imagine-toi qu’il vient de m’arriver l’aventure la plus comique... Elle manquait seule au Roman d’un Illustre... Je suis amoureux.
L’ÉPINE.
Amoureux, vous !...
LE CHEVALIER.
Comme un Diable.
L’ÉPINE.
Et quelle est la Beauté dont l’œil victorieux
A soumis, à la fin, votre cœur généreux ?
LE CHEVALIER.
Oh ! voilà le plaisant de l’aventure... Un petit minois chiffonné, drôle, gentil ; tu en seras content.
L’ÉPINE.
Qui porte ce minois ?
LE CHEVALIER.
La fille d’un grand homme froid, sec, et le plus taciturne que la terre ait jamais porté.
L’ÉPINE.
Vous avez choisi là un futur beau-père dont l’humeur sympathisera merveilleusement avec la vôtre ! et la fille est-elle aussi triste et mélancolique ?
LE CHEVALIER.
Je ne crois pas ; elle me paraît même avoir toutes les dispositions nécessaires pour ne me pas céder en étourderie.
L’ÉPINE.
Tudieu ! voilà une petite personne qui promet furieusement !... Vous êtes avec elle du dernier bien ?
LE CHEVALIER.
Non.
L’ÉPINE.
Comment, non !
LE CHEVALIER.
Parbleu ! je ne sais si je suis bien ou mal avec elle ; jamais je ne lui ai parlé.
L’ÉPINE.
Jamais vous ne lui avez parlé ?
LE CHEVALIER.
Non : je l’ai aperçue à sa croisée ; sa mine m’a plu ; la tête m’a tourné, et m’en voilà amoureux fou.
L’ÉPINE.
Voilà une intrigue fort avancée !... Que fait son père ?
LE CHEVALIER.
Rien.
L’ÉPINE.
Joli métier !
LE CHEVALIER.
Il réfléchit, raisonne, moralise et censure.
L’ÉPINE.
Pauvre occupation ! Il est riche ?
LE CHEVALIER.
Il le fut, et ne l’est plus.
L’ÉPINE.
Tant pis... Vous lui avez déjà fait quelques propositions ?
LE CHEVALIER.
Pas encore.
L’ÉPINE.
Et pourquoi ?
LE CHEVALIER.
Je ne puis voir sa triste figure, sans lui rire au nez : il se fâche, s’en va, et je reste toujours avec ma proposition.
L’ÉPINE.
Mais, en vérité, voilà un mariage en bon train ! j’ai fort bien fait d’arriver... Et où demeure-t-il ?
LE CHEVALIER.
Ici.
L’ÉPINE.
Comment, ici !
LE CHEVALIER.
Oui, dans cette maison.
L’ÉPINE.
Il en est le maître ?
LE CHEVALIER.
Il n’y a pas de maître ici.
L’ÉPINE.
Point de maître ici !
LE CHEVALIER.
Il n’y a qu’une Maîtresse.
L’ÉPINE.
Que vous nommez ?
LE CHEVALIER.
Madame de Saint-Hilaire.
L’ÉPINE.
Madame de Saint-Hilaire... Je ne connais pas ça.
LE CHEVALIER.
Elle n’est pas de ton bail.
L’ÉPINE.
Vous est-elle parente ?
LE CHEVALIER.
De loin.
L’ÉPINE.
Son âge ?
LE CHEVALIER.
Trente ans. Sa figure très revenante ; elle est veuve d’un homme d’affaires qui lui a laissé une fortune aisée sans enfants ; son caractère est charmant, et son humeur si gaie, si vraie, que le chagrin le plus noir ne peut tenir contre la folie.
L’ÉPINE.
Comment donc le père de votre Dulcinée se trouve-t-il dans la maison ?
LE CHEVALIER.
Par le plus singulier des hasards. Madame de Saint-Hilaire avait dans sa maison un appartement à louer pour l’été. Monsieur Morose (c’est le nom de mon futur beau-père) en cherchait un dans ce village ; et, n’en trouvant pas d’autre, il a pris celui-ci.
L’ÉPINE.
Et comment diable s’arrange-t-il du train de la maison ?
LE CHEVALIER.
Il déclame sans cesse contre notre gaieté, fait des grimaces horribles quand nous rions, et va se renfermer dans son appartement, dont il barricade portes et fenêtres.
L’ÉPINE.
Il enferme aussi sa fille ?
LE CHEVALIER.
Oui, de par tous les Diables ; et c’est-là ce qui me désespère. Madame de Saint-Hilaire, qui est bien la meilleure femme du monde, à qui j’ai fait part de mon amour pour la petite personne, veut bien s’y prêter, et fait tout ce qu’elle peut pour apprivoiser le père.
L’ÉPINE.
La brave femme !
LE CHEVALIER.
Elle m’a dit que, pour l’amener à ses fins, elle aurait besoin d’un drôle, fourbe adroit, qui pût la seconder... Moi sur le champ de songer à Mons de l’Épine ; et voilà pourquoi je t’ai mandé de venir me joindre.
L’ÉPINE.
C’est me faire trop d’honneur, Monsieur ; mais enfin je tâcherai de répondre à la haute idée que vous avez conçue de moi.
LE CHEVALIER.
Tiens, voilà Madame de Saint-Hilaire.
L’ÉPINE.
Têtebleu ! voilà une Veuve qui n’osera pas son deuil.
Scène II
MADAME DE SAINT-HILAIRE, LE CHEVALIER, L’ÉPINE
LE CHEVALIER.
Bonjour, ma chère Maman, bonjour ; voulez-vous bien que je vous présente, en la personne de Mons de l’Épine, le drôle adroit que vous m’avez demandé ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Sa physionomie me revient assez, et annonce du talent ; au reste, je vais le mettre aujourd’hui même en état d’en faire preuve : la mine est toute prête, et je n’attendais que lui pour la faire jouer.
LE CHEVALIER.
Je saurai votre projet ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Il est digne de vous, digne de moi ; en un mot, fou,, archifou.
LE CHEVALIER.
Tant mieux, je serai plus en état de vous seconder... C’est ?...
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
C’est d’épouser notre Ours, pour le guérir de sa misanthropie.
LE CHEVALIER.
Comment, l’épouser !... tout de bon ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Oui, tout de bon ; en tout bien, tour honneur. Mon projet (vous le voyez bien) est d’une extravagance dont rien n’approche ; eh ! bien, c’est justement à cause de cela que je l’ai choisi.
LE CHEVALIER.
Comment ! là, sans badiner, vous épouseriez Morose ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Oui, très sérieusement ; à son humeur près, sa personne me revient assez.
LE CHEVALIER.
Mais, cette humeur...
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Il faudra bien qu’il l’a change.
LE CHEVALIER.
Mais du caractère dont il est, connaissant le vôtre, croyez-vous qu’il veuille ?...
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
S’il voudra !... Apprenez donc le plus plaisant de l’aventure. Pour vous rendre service seulement, et sans penser à malice, j’ai lorgné notre Ours, joué de la prunelle, fait des mines ; j’ai tant et si bien fait enfin, que la mèche a pris feu, et que je vous livre sa cervelle aussi extravagante que la vôtre. Depuis deux jours, Morose est amoureux fou de moi.
LE CHEVALIER.
Mais, depuis deux jours, sa mauvaise humeur est encore augmentée ; depuis deux jours, il est plus sauvage, plus farouche que jamais.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
C’est une preuve de plus de son amour.
LE CHEVALIER.
Quoi ! vous pouvez...
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Eh ! ne voyez-vous pas bien, mon pauvre Chevalier, que Morose, honteux de sa défaite, rougissant de son vainqueur, voudrait pouvoir cacher sa faiblesse à lui-même, et à toute la terre C’est un esclave furieux qui s’agite dans ses fers. Mais ces deux yeux sont bons ; il a beau augmenter d’humeur et de misanthropie, je ne suis pas sa dupe, et je découvre son amour même dans ses impolitesses affectées : Morose m’adore.
LE CHEVALIER.
Mais...
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Mais en voulez-vous une preuve non équivoque ? Feignez, pendant quelques jours, d’être amoureux de moi : vous reconnaîtrez bientôt son amour à sa jalousie.
LE CHEVALIER.
Rien de mieux imaginé... Mais, quel bonheur ! Voici la charmante fille, et seule...
Scène ΙΙΙ
MADAME DE SAINT-HILAIRE, AGNÈS, LE CHEVALIER, L’ÉPINE
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Eh ! bonjour, ma chère enfant ; par quel hasard seule, sans Monsieur Morose ?
AGNÈS.
C’est qu’il m’envoie vous demander une grâce, Madame.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
De quoi s’agit-il ?
AGNÈS.
Il m’a chargé de vous demander, pour lui, un entretien secret.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Un entretien secret... Et savez-vous à quel sujet ?
AGNÈS.
Non, Madame ; mais je crains bien que mon père ne soit devenu fou.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Comment donc !
AGNÈS.
Imaginez-vous, Madame, que, depuis deux jours, il est changé à n’être pas reconnaissable. Autrefois son humeur était, à la vérité, toujours triste et mélancolique ; mais du moins elle était toujours égale et douce : à présent, à chaque instant son caractère varie ; il parle tout seul, prononce souvent votre nom avec tendresse, quelquefois aussi avec colère : il veut sans cesse que je l’entretienne de vous, et puis il me le reproche et me le défend. Êtes-vous dans le jardin : il vous regarde pendant des heures entières à travers ses jalousies, avec des yeux si animés... et quelquefois, sitôt qu’il vous aperçoit, il ferme brusquement ses rideaux, pour ne vous pas voir... Enfin il n’y a pas de folies qu’il ne fasse... Ce matin (ce que je n’avais pas encore vu) il a choisi dans sa garde-robe l’habit le plus galant, celui dont la couleur lui sied mieux ; il a passé deux heures entières à la toilette, et de dépit, l’instant d’après, il en a cassé la glace.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
M’étais-je trompée ?
LE CHEVALIER.
Ma foi, je commence à croire qu’il pourrait bien en être quelque chose.
AGNÈS.
Ah ! Madame, n’auriez-vous pas jeté quelque mauvais sort sur mon père ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Le sort n’est pas dangereux ; c’est tout bonnement de l’amour,
AGNÈS.
De l’amour, Madame ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Oui, ma chère enfant ; il y a déjà plusieurs jours que je m’aperçois que Monsieur Morale est amoureux de moi.
AGNÈS.
Mon père ; amoureux ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Oui.
AGNÈS.
Amoureux de vous ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Certainement.
AGNÈS.
Ah ! Madame, que je vous plains.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Pourquoi donc ?
AGNÈS.
Vous allez être bien malheureuse.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
La raison ?
AGNÈS.
Vous allez avoir un amoureux.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Eh bien ?
AGNÈS.
Vous ne savez donc pas ce que c’est qu’un amoureux ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Mais, si fait ; je m’en doute.
AGNÈS.
Et vous ne tremblez pas ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Pourquoi dong trembler ?
AGNÈS.
Comment, Madame ! un amoureux est un monstre qui ne cherche que notre perte, qui nous caresse pour nous égratigner, et nous embrasse pour nous étrangler.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Qui vous à peint un amoureux de ces noires couleurs ?
AGNÈS.
C’est mon père, Madame.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Va, ma chère enfant, ton père te trompe.
AGNÈS.
Tout de bort ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Qui, tout de bon. Imagine-toi que rien au monde n’est aussi charmant qu’un amoureux : esclave tendre et soumis, il est sans cesse occupé à étudier nos goûts, a deviner nos désirs pour les prévenir : il n’est point de caresse dont il n’accable sa maîtresse ; il n’est point de plaisirs qu’il ne cherche à lui procurer : sans l’amour, il n’est point de bonheur.
AGNÈS.
Est-ce bien vrai, Madame ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Demande plutôt au Chevalier.
AGNÈS.
Est-ce vrai, Monsieur le Chevalier ?
LE CHEVALIER.
Charmante Agnès, Madame ne vous a peint que faiblement les délices de l’amour ; elle vous a tracé d’un pinceau de glace les transports qu’é prouverait pour vous un amant.
AGNÈS.
Hélas ! s’il est ainsi, que je suis fâchée de n’en pas avoir.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Eh ! bien que n’en as-tu un ?
AGNÈS.
Si je savais où le trouver...
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
En voilà un que je te présente ; le veux-tu ?
AGNÈS.
Oh ! oui, Madame, oui... Mais, Monsieur voudra-t-il ?...
LE CHEVALIER.
Charmante Agnès, acceptez-moi pour votre amant, et rien ne manquera à mon bonheur.
AGNÈS.
Je ne demande pas mieux...Mais vous m’aimerez bien ?
LE CHEVALIER.
Plus que ma vie.
AGNÈS.
Vous ne me tromperez pas ?
LE CHEVALIER.
Jamais.
AGNÈS.
Vous ne m’étranglerez ni ne m’égratignerez ?
LE CHEVALIER.
Ah ! ne le craignez pas.
AGNÈS.
Vous n’avez-pas de griffe cachée ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Va, mon enfant, je suis sa caution.
AGNÈS.
Que me voilà contente ! j’aurai un amoureux et bien gentil.
LE CHEVALIER.
Vous m’aimerez aussi ?
AGNÈS.
Oh ! toujours, toujours... Mais n’en dites mot à mon père.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Pourquoi ?
AGNÈS.
C’est qu’il me gronderait bien fort ; car il me dit tous les jours que les hommes sont des monstres ; mais je vois bien qu’il me trompe, et mon amoureux est trop gentil pour me faire du mal.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Laisse dire ton radoteur de père : je me charge, moi, de le faire bientôt changer de langage ; je veux même qu’il te donne ton amant pour mari.
AGNÈS.
Pour mari ?...
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Sans doute... Est-ce que tu n’en veux pas ?
AGNÈS.
Mais, s’il est mon mari, sera-t-il encore mon amoureux ?
LE CHEVALIER.
Toujours.
AGNÈS.
À la bonne heure.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Es-tu contente ?
AGNÈS.
Si contente, Madame, si contente, que je vous aimerai presqu’autant que lui.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
En ce cas, je vais travailler à votre bonheur mutuel. Va vite retrouver ton père ; dis-lui que je suis seule, que je l’attends ici, et dans l’instant.
AGNÈS.
J’y cours... Adieu, Madame.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Adieu, ma chère enfant.
AGNÈS.
Adieu, mon amoureux.
LE CHEVALIER
Adieu, ma charmante maîtresse.
Scène IV
MADAME DE SAINT-HILAIRE, LE CHEVALIER, L’ÉPINE
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Êtes-vous content de moi ?
LE CHEVALIER.
Oh ! vous êtes une femme charmante, adorable... Je suis enchanté de la Petite.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Le moment critique approche ; préparons bien toutes nos attaques. Vous, Chevalier ; votre rôle, comme nous en sommes convenus, est de paroître m’idolâtrer ; en conséquence, je vous charge de turlupiner Morose, et de le faire donner à tous les Diables.
LE CHEVALIER.
Laissez-moi faire ; si, cent fois, mille fois, Morose m’a fait jurer après la forte manie qu’il a d’enfermer sa fille, je vais, aujourd’hui, prendre une revanche complète.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Je vous l’abandonne ; rendons-le aimable malgré lui ; et désespérons-le, pour en faire quelque chose... Toi, Mons l’Épine ; il faudra quitter ce juste-au-corps de livrée... Tu es sans doute en état de jouer l’impertinence ?
L’ÉPINE.
Aussi bien qu’un Commis parvenu.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Endosse dans la garde-robe de ton maître une chenille élégante ; charge le costume le plus que tu pourras... Mais j’entends Morose ; va promptement t’habiller ; j’irai te donner ton rôle. Vous, Chevalier, allez lui servir de Valet-de chambre... Eh ! vite, eh ! Vite, détalez...
Scène V
MADAME DE SAINT-HILAIRE, MOROSE
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Eh ! bonjour, mon cher voisin. Qu’y a-t-il pour votre service ? Serais-je assez heureuse pour vous être de quelque utilité ?
MOROSE.
Madame... je vais peut-être abuser de votre complaisance, et les moments que vous passerez à m’entendre, seront autant de vols faits aux plaisirs.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Le temps que je donne à mes amis (et vous êtes du nombre, Monsieur,) est, à mes yeux, le plus heureux de ma vie.
MOROSE.
Que n’est-il vrai, Madame ? Ces jours, ces beaux jours, que vous perdez dans le tourbillon d’une joie bruyante, et qui toujours laisse le cœur vide, seraient tous donnés à l’amitié !
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Me croyez-vous donc insensible à ses douceurs ?
MOROSE.
Elle ne règne, Madame, que sur les cœurs tranquilles ; elle ne souffre point de partage : le malheur la fait naître, et elle se plaît dans la douleur.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Et plus encore dans le plaisir... Je veux vous entreprendre, moi, mon cher voisin ; vous êtes toujours triste, rêveur, mélancolique, vous n’êtes pas heureux ?
MOROSE.
Non, Madame... Et qui l’est ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Moi... Eh ! bien, je veux vous rendre au bonheur, en vous rendant aux plaisirs.
MOROSE.
Ils ne font plus faits pour moi, Madame.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Eh ! mon cher voisin, quittez ces idées tristes et lugubres ; la vraie sagesse n’est ni austère, ni farouche, ni sauvage ; elle sourit au plaisir, et folâtre avec les Amours.
MOROSE.
Vous la peignez sous vos traits.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
C’est que toute folle, toute étourdie que je vous parais, je suis Philosophe... oui, Philosophe, et beaucoup plus que vous... La vie, mon cher voisin, est également courte, et pour celui qui pleure, et pour celui qui rit ; ne vaut-il donc pas mieux aller au terme par un chemin couvert de fleurs, que par un sentier hérissé de ronces et d’épines ? La rose brillante s’épanouit à côté du triste pavot : la Nature nous les présente également ; nous sommes maîtres du choix.
MOROSE.
Non, Madame, non.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Notre bonheur, à tous, est dans notre façon de penser ; et celui-là seul est véritablement heureux, qui sait commander aux évènements. Voilà toute ma philosophie ; et la seule différence qu’il y ait peut-être entre moi et vos prétendus Philosophes, c’est qu’ils n’ont que la théorie de la sagesse qu’ils prêchent ; et que moi je la pratique sans la prêcher.
MOROSE.
On ne peut mieux défendre une méchante cause. Vous embellissez tout ; mais, Madame, si, comme moi, vous aviez connu les hommes...
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Et qui vous dit que je ne les ai pas connus plus que vous-même ? Eh ! bien, je les ai trouvé, pour la plupart, vains, présomptueux, volages, perfides, infidèles ; est-ce une raison pour me condamner éternellement à la douleur ? Ce serait me venger sur moi-même de leurs torts : j’aime beaucoup mieux en rire.
MOROSE.
Je n’ai éprouvé qu’injustice, qu’ingratitude, que perfidie.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
J’ai peut-être éprouvé plus que tout cela, et je ne m’en chagrine pas davantage.
MOROSE.
Tous les hommes sont des monstres.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Soit ; vous n’êtes pas content des hommes, tournez-vous du côté des femmes ?
MOROSE.
Ah ! c’est encore bien pis.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Voilà ce qui vous trompe ; les femmes, en général, valent mieux, mais beaucoup mieux que vous.
MOROSE.
Elles sont volages, infidèles, perfides.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Eh bien ! il faut être leur ami, et non pas leur amant.
MOROSE.
Et si je vous disais...
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Quoi ?
Scène VI
MADAME DE SAINT-HILAIRE, MOROSE, LE CHEVALIER
Le Chevalier entre sans être vu, et les observe en silence dans le fond du Théâtre.
MOROSE.
Que je suis amoureux.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Je vous en ferais mon compliment de bien bon cœur ; mais cela n’est pas possible.
MOROSE.
Cela n’est que trop vrai, pour mon malheur.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Eh ! bien, prenez-moi pour votre confidente, je vous servirai de tout mon pouvoir... Voulez-vous ?
MOROSE.
Je ne vous ai fait demander cet entretien, que pour vous confier ce secret.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Et vous ne vous en repentirez pas... Quel est le nom de votre maîtresse ?
MOROSE.
Son nom ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Oui, son nom ; la connais-je ?
MOROSE.
Oh ! beaucoup
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Votre choix vous fait-il rougir ?
MOROSE.
Je n’en pouvais faire un plus beau ; ce n’est pas du choix dont je rougis, c’est de moi seul.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Pour un Philosophe, vous raisonnez à faire pitié. Faut-il tant de façons pour nommer une personne aimable ?
MOROSE.
Vous me l’ordonnez ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Mais, sans doute.
MOROSE.
Vous ne vous en offenserez pas ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Eh ! mon Dieu !non, non... Eh ! bien, c’est ?...
MOROSE.
Vous.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Moi ?
MOROSE, lui prenant la main, et la baisant tendrement.
Oui, vous-même.
LE CHEVALIER, frappant sur l’épaule de Morose, en éclatant de rire.
Ah, ah, ah !... ferme, morbleu !
MOROSE.
C’est cet étourdi ; je suis perdu.
LE CHEVALIER.
Oh ! ma foi, l’aventure est unique, excellente ; ma chère Maman, recevez-en mille et mille compliments ; ce triomphe seul manquait à votre gloire : il est vrai qu’avec des traits aussi doux, on est fait pour adoucir les cœurs les plus sauvages... Bravo, Monsieur ! ma foi, pour un penseur, vous ne vous y prenez pas mal.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Comment ! vous nous écoutiez donc ?
LE CHEVALIER.
Y a-t-il un quart-d’heure que je jouis de votre conversation amoureuse ; mais, d’honneur, je suis très content de Morose ; mais, très content ; nous on ferons quelque chose : il a filé sa déclaration en Maître... Eh ! bien, eh ! bien, vous voilà déjà tout décontenancé. Remettez-vous, je suis sans conséquence ; Madame m’adore, je l’aime ; mais sans être son tyran, sans fureur, sans jalousie : je ne serai pas même fâché de vous avoir pour Rival ; vous n’êtes pas sans mérite, et mon triomphe en sera plus glorieux.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Vous êtes charmant ; je vous aime à la folie.
LE CHEVALIER.
Je le sais bien ; mais ne me dites pas tant de douceurs, voyez la grimace que vous faites faire à ce pauvre Morose... Ah ! çà, ce n’est pas un esclave ordinaire : pour m’obliger, traitez-le sans rigueur.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Laissez-moi faire ; je veux vous en rendre jaloux.
LE CHEVALIER.
Le tout serait excellent.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Vous verrez.
LE CHEVALIER.
Parbleu, ceci me donne une idée charmante.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Et c’est ?
LE CHEVALIER.
C’est de mettre notre scène en proverbe, et de la jouer pas plus tard que ce soir : nous en amuserons la société. Qu’en pensez-vous ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Rien de mieux imaginé.
LE CHEVALIER.
Je vois déjà dans ma tête la scène la plus piquante.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Je veux le rôle faillant ; sans cela je ne joue pas.
LE CHEVALIER.
Rapportez-vous-en à moi ; Morose jouera aussi.
MOROSE.
Non, Monsieur.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Je me charge de lui faire prendre son rôle.
LE CHEVALIER.
Adieu ; je ne veux pas perdre une seule idée ; je vais vite en tracer légèrement le canevas... Allons, remettez-vous ; je vous laisse la place... Ah, ah, ah...
Scène VII
MADAME DE SAINT-HILAIRE, MOROSE
MOROSE.
Et vous croyez, Madame, que je me prêterai à ces fades plaisanteries ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Mais, rien au monde ne sera plus comique.
MOROSE.
Allez, Madame ; il me manquait, pour dernier malheur, de m’attacher à vous.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Le compliment est honnête... Qu’y a-t-il donc la de si malheureux ?
MOROSE.
Je dois beaucoup me louer de l’indigne préférence que vous accordez sur moi à un fade plaisant, un misérable bouffon.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Mais cette préférence est très raisonnable ; vous êtes toujours triste, mélancolique ; le Chevalier est charmant ; convenez-en vous-même ?
MOROSE.
Oui, Madame, oui ; charmant, divin.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Sa gaieté, son étourderie, sympathiseront à merveille avec mon caractère, et vous voulez que je vous le sacrifie !
MOROSE.
Ce serait trop exiger !
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Tenez, mon cher Voisin, je suis vraie et franche ; je vais vous parler à cœur ouvert. Votre personne me plaît, et me revient beaucoup ; votre âge me convient mieux que celui du Chevalier ; et, sans votre humeur sauvage, je sens que je pourrais vous aimer, mais beaucoup, mais beaucoup plus même que le Chevalier : voulez vous changer de caractère ?
MOROSE.
Changer de caractère, Madame ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Oui.
MOROSE.
C’est-à-dire, devenir écervelé, extravagant ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
C’est cela même ; je ne veux vous charger que de chaînes de roses ; je veux que vous soyez heureux ; c’est le seul moyen de me plaire : on ne l’est qu’autant qu’on rit. Vive la folie ! un fou est mille fois plus aimable qu’un sage.
MOROSE.
Je suis désespéré, Madame ; mais je sens que je ne pourrai jamais acquérir des qualités aussi brillantes.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Pourquoi non ? Vous avez beau dire, je suis certaine que, si vous vouliez, vous déraisonneriez avec autant de grâce qu’un autre.
MOROSE.
Vous avez trop bonne opinion de moi.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Non ; je suis certaine qu’avec de la patience et du temps, on ferait de vous un fou fort aimable.
MOROSE.
Vous croyez, Madame ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
J’en suis sûre, et je veux même, par amitié pour vous, entreprendre votre cure.
MOROSE.
Vous pourriez bien ne pas réussir.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
C’est ce que nous allons voir.
MOROSE.
Où allez-vous donc ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Dans un moment je suis à vous... Attendez-moi.
Scène VIII
MOROSE, seul
Ah ! pourquoi faut-il que j’aie pris de l’amour pour une femme aussi folle, aussi extravagante ? J’en rougis, et cependant je ne puis m’empêcher de l’aimer. Quand elle me parle même, sa gaieté, sa folie, me semblent plus raisonnables que ma sagesse ; la persuasion coule de la bouche, et ses yeux achèvent la victoire. Il n’est plus qu’un remède à mon amour ; il n’en est qu’un, c’est de la fuir... Le pourrai-je ? Mais, la voici ; quel est donc cet autre extravagant qu’elle tient par la main ?
Scène IX
MADAME DE SAINT-HILAIRE, MOROSE, L’ÉPINE, en Petit-Maître ridicule
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Monsieur le Baron de la Folandière, voulez-vous bien que je vous présente Monsieur Morose ? Il est amoureux de moi ; mais il est triste et sage ; c’est un écolier que je vous donne, et dont je vous prie d’avoir le plus grand soin.
L’ÉPINE.
Cela suffit, Madame, je vous en rendrai bon compte.
MOROSE.
Madame !...
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Et vous, Monsieur, la seule manière de me prouver votre amour, et de me plaire, c’est de bien profiter des leçons que Monsieur le Baron de la Folandière, Gentilhomme du plus rare mérite, veut bien avoir la bonté de vous donner.
L’ÉPINE.
Restez, Madame, restez : vous n’êtes pas de trop ; et un modèle aussi parfait que vous ne peut que seconder puissamment mes leçons.
Madame de Saint-Hilaire s’assied, et prend son ouvrage.
MOROSE.
Puis-je savoir, Monsieur le Baron, quel est l’art que vous enseignez ?
L’ÉPINE.
Le premier, le plus nécessaire des arts ; celui qui peut se substituer à tous les autres ; qui le plus rapidement conduit à la gloire, au crédit, aux honneurs, à la réputation, à la fortune ; par lequel un homme brille sur nos théâtres, dans la société et dans les ruelles ; le grand art d’extravaguer.
MOROSE.
Le grand art d’extravaguer !
L’ÉPINE.
Oui, Monsieur, le premier : je l’ai réduit et des principes sûrs et certains, assez amplement détaillés dans un Dictionnaire de dix-sept volumes in-folio, sans les planches.
MOROSE.
En vérité, Monsieur, voilà un art que j’ignorais.
L’ÉPINE.
Tant pis pour vous, Monsieur.
MOROSE.
Avez-vous beaucoup d’écoliers ?
L’ÉPINE.
Je ne pourrais y suffire seul, Monsieur ; je ne me charge que d’une certaine classe d’écoliers, dont les heureuses dispositions me promettent les plus brillants succès ; j’abandonne le reste à mes Prévôts, je les charge de l’éducation de tous les jeunes gens de tout état qui entrent dans le monde, et c’est d’après mes principes qu’on leur donne ce joli ton d’inconséquence, d’impertinence et d’impudence, qui en fait des hommes charmants.
MOROSE.
Et sans doute vous avez aussi des écolières ?
L’ÉPINE.
Ce sexe est le bien-aimé de mon cœur ; je n’ai point de secrets pour lui, il est maître de mon art.
MOROSE.
Quel extravagant !
L’ÉPINE.
Il est étonnant, Monsieur, l’heureux changement qu’en moins de dix ans ont produit mes leçons sur la Jeunesse ; comme aujourd’hui elle est évaporée, libertine ! C’est au Baron de la Folandière qu’elle doit toutes ses grâces.
MOROSE.
Elle vous a là de grandes obligations !
L’ÉPINE.
C’est qu’un homme de génie, Monsieur, presse toujours sur son siècle, et influe fur ses heureux contemporains. À qui les Dames sont-elles redevables de leurs petites robes, de leurs chignons flottants, de leurs caracos, de leurs cannes ? c’est au Baron de la Folandière. À qui les hommes doivent-ils leurs frasques, leurs chenilles et leurs bottines ? c’est au Baron de la Folandière. À qui la Littérature doit-elle ses Dictionnaires, ses Tragédies Anglaises, ses Drames sanglants, ses Opéra-Comiques larmoyants, et sa Musique Allemande ? c’est au Baron de la Folandière.
MOROSE.
Vous vous mêlez aussi de Littérature ?
L’ÉPINE.
C’est moi qui dirige tous les Journaux ; et le Mercure est mon fils d’adoption, le bien-aimé de mon cœur.
MOROSE.
En vérité, Monsieur, voilà de grands services rendus à la Nation !
L’ÉPINE.
Il faut bien mériter, autant qu’on le peut, de la Patrie ; c’est la folie des grands-hommes ; c’est la manie des belles âmes.
MOROSE.
On oblige souvent une ingrate.
L’ÉPINE.
Une pirouette en console... Ne voulez vous pas prendre présentement, Monsieur, une première leçon ?
MOROSE.
Mille remerciements, Monsieur ; je ne me sens pas les dispositions propres à vous faire honneur.
L’ÉPINE.
Voilà ce qui vous trompe, Monsieur : votre physionomie est très heureusement tournée à l’extravagance, et me donne de vous les espérances les plus flatteuses ; je suis certain que vous serez un de mes meilleurs écoliers.
MOROSE.
Vous me flattez.
L’ÉPINE.
Non, Monsieur, non ; je sais même que vous avez déjà d’heureux commencements.
MOROSE.
Des commencements d’extravagance !... Moi ?
L’ÉPINE.
Vous-même, Monsieur, et de fort bons ; je le tiens de Madame.
MOROSE.
Je ne m’en doutais pas.
L’ÉPINE.
Vous en allez convenir dans l’instant... Le ridicule et l’originalité sont les deux bases fondamentales sur lesquelles posent tous mes principes. Or, Monsieur, y a-t-il rien au monde de plus ridicule, de plus original, qu’un Misanthrope, qu’un Philosophe toujours caustique, toujours de mauvaise humeur ? Vous voyez donc bien que, sans le savoir, sans vous en douter, vous avez le germe des talents, C’est à ma main habile et délicate à le faire fructifier et à lui faire donner une riche moisson et de fleurs et de fruits ; et rien de plus aisé. Vous verrez vous-même, Monsieur, l’étroite analogie qu’ont ensemble et dans leurs causes, et dans leurs effets, la misanthropie et l’extravagance... Venons à nos premiers principes.
MOROSE.
Non, Monsieur, s’il vous plaît ; j’ai la plus haute estime, le plus profond respect pour les rares talents de Monsieur le Baron de la Folandière : mais il me permettra de ne faire aucun usage de ses sublimes leçons.
L’ÉPINE.
Comment, Monsieur !...
MOROSE.
En voilà assez, Monsieur ; ma réponse doit vous suffire.
L’ÉPINE.
Madame, interposez ici, s’il vous plaît, votre autorité, et ramenez sous ma férule un écolier désobéissant, qui se révolte contre mes leçons.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Voilà donc, Monsieur, la première marque de complaisance que je reçois de vous ! voilà la déférence que vous avez pour mes prières !
MOROSE.
Mais, Madame...
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Quand on veut faire de vous un homme charmant...
MOROSE.
Dites plutôt un fou.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Eh ! bien, Monsieur, eh ! bien, restez avec votre sublime sagesse, votre humeur philosophique ; mais aussi ne comptez plus sur moi.
MOROSE.
Parlez-vous sérieusement ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Oui, Monsieur, sérieusement, très sérieusement.
MOROSE.
Ah ! c’est une autre affaire ; soit, Madame : puisqu’il faut, pour vous plaire, être extravagant, je vais faire tout mon possible pour y parvenir, et je ne doute pas qu’avec les leçons de Monsieur le Baron, je n’y excelle bientôt, surtout ayant devant les yeux de si bons exemples.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
En faveur de l’obéissance, je vous pardonne l’Épigramme.
MOROSE.
Monsieur le Baron, de grâce, rendez-moi digne de plaire à Madame.
L’ÉPINE.
Je savais bien qu’à la fin vous consentiriez à prendre de mes leçons... Or donc, je distingue deux sortes d’extravagances ; extravagance physique, extravagance morale ; nous nous étendrons sur celle-ci par la fuite : pour aujourd’hui, renons-nous-en à la première. J’entends par extravagance physique, tout ce qui a rapport au corps, comme la démarche, l’habillement, les airs et les modes. La démarche extravagante se subdivise en plusieurs espèces, selon l’âge, l’état et la condition des personnes. Vous m’entendez-bien ?...
MOROSE.
À merveille.
L’ÉPINE.
Commencez par marcher.
MOROSE.
Moi, Monsieur ?
L’ÉPINE.
Oui, vous-même.
MOROSE.
Mais...
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Mais, allez-vous recommencer vos bêtises ?
L’ÉPINE.
Que de façons pour marcher !
MOROSE.
Soit donc[1].
L’ÉPINE.
Voyons, présentez-vous à Madame... Eh ! bien, voyez comme vous avez l’air froid, posé ! Regardez-moi ?... Voyez comme j’entre dans un appartement en fredonnant la, la, la, la, la, la... Remarquez cette tête à l’évent... cette marche brusque... cet air d’étourderie, de distraction, qui semble dire aux gens : je ne suis pas avec vous... ces grands bras... cette pirouette... cette révérence de côté... Allons, répétez... Fort bien... très bien... bravissimo... Je vous réponds que je ferai de vous un sujet excellent. Quel meurtre que de si heureuses dispositions fussent restées sans culture !
MOROSE.
En vérité, vous outrez si fort les éloges, qu’il y a de quoi perdre la tête, de vanité.
L’ÉPINE.
Passons à l’habillement...Déboutonnez-moi cet habit... ouvrez votre veste... Que fait là ce chapeau sous votre bras... Enfoncez-le moi de travers sur les yeux... Bien... D’une autre main tirez votre jabot à toute outrance... de l’autre, balancez la poche de votre veste... Bien... À merveille... Qu’en dites-vous, Madame ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
En honneur, Monsieur le Baron, j’en suis enchantée ; il n’est pas même reconnaissable pour une seule leçon.
L’ÉPINE.
Que fera-ce donc, quand je lui aurai donné les airs ?
MOROSE.
Vous devez être bien fière de ma faiblesse, et bien contente de ma complaisance.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Je vous en tiendrai bon compte... Il me vient même à ce sujet une idée excellente, charmante.
L’ÉPINE.
Quelle est-elle, Madame ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Il faut, Monsieur le Baron, que vous y décidiez votre écolier.
L’ÉPINE.
Je réponds, Madame, de sa soumission à toutes vos volontés.
MOROSE.
C’est, sans doute, quelque nouvelle extravagance ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Justement... mais si drôle, si drôle... Ah ! vous ferez un homme charmant, si vous vous y prêtez.
L’ÉPINE.
Monsieur pourrait-il s’y refuser ?... Voyons, de quoi s’agit-il ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Le chevalier est un étourdi, un extravagant du premier ordre ; il a tantôt persifle Morose à toute outrance ; il doit même avoir fait un proverbe sur lui. Ne serait-ce pas un tour unique, impayable, de le mystifier lui-même, et de le rendre le Héros d’une scène plus comique encore que celle de Morose ?
L’ÉPINE.
Cela serait divin.
MADAME DE SAINT HILAIRE.
Et surtout s’il se trouvait joué par Morose lui même.
L’ÉPINE.
Votre idée est délicieuse ; je pétille de la savoir.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Voici le fait. Le Chevalier m’a demandé pour ce soir un tête-à-tête, je le lui ai accordé ; ne serait-ce pas du dernier plaisant qu’à ma place il trouvât Morose ?
L’ÉPINE.
À merveille.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Nous allons l’accoutrer en femme du mieux que nous pourrons.
MOROSE.
Non, Madame, non.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Si fait, Monsieur, si fait.
L’ÉPINE.
Parbleu ! une idée aussi extravagante ne sera pas perdue par votre faute.
MOROSE.
Mais, Madame.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Oh ! je vous le demande en grâce ; j’ose même me l’exiger.
MOROSE.
Où diable me suis-je fourré ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Sentez-vous bien tout le comique de cette scène ? Le Chevalier aux genoux de Morose, lui serrant, lui baisant les mains, lui lâchantț mille tendres fadeurs ; cela fera tableau.
L’ÉPINE.
Tableau unique.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Ne perdons pas de tems ; j’ai dans ma garde robe tout ce qu’il faut pour sa métamorphose. Allons, Monsieur le Baron, aidez-le à se déshabiller ; moi, je ferai la Dame d’atours.
Madame de Saint-Hilaire passe dans sa garde-robe pour aller chercher tour ce qui est nécessaire pour le déguisement de Morose.
MOROSE.
Mais, en vérité...
L’ÉPINE, le déshabillant.
Les instants sont précieux, Monsieur ; n’en perdons pas un seul en mauvaises raisons ; ce serait un meurtre qu’une pareille extravagance restât sans effet.
MOROSE.
Mais, à quoi cela servira-t-il ?
L’ÉPINE.
À nous faire rire aux dépens de ce merveilleux Chevalier, à repousser contre lui-même les traits et les sarcasmes qu’il prétend vous lancer.
MOROSE.
Mais, le Chevalier me reconnaîtra ?
L’ÉPINE.
Eh ! non, ne craignez rien ; je vais mettre ordre à tout. D’abord vous vous enfoncerez dans cette Bergère ; je soufflerai toutes ces bougies ; je n’en laisserai qu’une seule que je placerai loin de vous, en opposition ; l’obscurité qui règnera dans ce salon, votre négligence même, tout aidera à le tromper, tout concourra à l’illusion.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Voilà tout ce qu’il nous faut. Voyons, commençons par vous coiffer... Bon, cette baigneuse... cette coiffe par-dessus. Tout cela est excellent, et vous cache le visage au mieux.
L’ÉPINE.
Ah, ah, ah ; mon Dieu ! qu’il est laid ! Ah, ah, ah.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Jamais je n’ai vu figure pareille. Et le Chevalier va lui parler d’amour !
L’ÉPINE.
Ah, ah, ah.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Ah, ah, ah. Ce pauvre Chevalier !
L’ÉPINE.
Mettez ce jupon.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Il le met sens-devant-derrière !... Passez cette robe... à merveille... Boutonnez ces amadis... bien... Maintenant, enveloppez tous vos appas de cette vaste pelisse... Il est divin ; jamais je n’ai rien vu d’aussi laid.
L’ÉPINE.
Voilà toutes les bougies éteintes ; plaçons celle-ci là.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Asseyez-vous dans cette Bergère.
L’ÉPINE.
Jamais Vénus ne fut plus appétissante.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Ah ! çà, songez-bien à faire toutes les simagrées, toutes les mines d’une jolie femme en tête à-tête avec un étourdi...
L’ÉPINE.
Point de faiblesse.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Ne vous laissez-pas séduire, au moins[2].
L’ÉPINE.
Il saisira votre main.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Vous la retirerez ; mais avec douceur.
L’ÉPINE.
Il la retiendra, la serrera tendrement ; la couvrira de baisers brûlants.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Vous direz, en minaudant : mais, Chevalier, laissez ma main.
L’ÉPINE.
Il se jettera à vos pieds s embrassera vos genoux.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
C’est alors qu’il faut faire feu de toute votre vertu.
MOROSE.
Que dirai-je, alors ?...
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Tout ce que bon vous semblera.
L’ÉPINE.
Tout ce que la vertu vous inspirera.
MOROSE.
Mais...
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Le Chevalier ne peut tarder ; nous vous laissons.
Madame de Saint-Hilaire et l’Épine se retirent, en se retournant à plusieurs reprises, pour regarder Morose, et éclater de rire.
Scène X
MOROSE, seul
C’est de moi, c’est de ma forte et lâche complaisance dont ils rient... Ah ! Morose, Morose, peux-tu te regarder sans mourir de honte ? Qu’est devenue ta Philosophie ?... Dans quel état suis-je ?... Que deviendrais-je, si l’on me voyait ainsi ?... Devais-je donc me prêter à leurs fades bouffonneries ?... Quelle pitoyable farce me fait-on jouer ?... Mais j’entends du bruit... C’est certainement ce maudit Chevalier... Que n’est-il, lui, Madame de Saint-Hilaire et Monsieur le Baron de la Folandière, et moi-même le premier, à tous les Diables... Oh ! si jamais on m’y rattrape... C’est lui, je ne me trompais pas.
Il s’assied.
Scène XI
MOROSE, LE CHEVALIER
LE CHEVALIER, à part.
Ah, ah ! Monsieur le Philosophe, vous voulez me mystifier ? Nous allons en découdre...
Haut.
Je vous trouve donc enfin, ma toute Belle... Mais quelle obscurité avez-vous répandue autour de vous ?... Comment, en un instant, avez-vous pu changer le temple de Vénus en celui de la Nuit ?... Mais, en honneur ces ombres sont par trop cruelles ; permettez que je rallume ces bougies.
MOROSE, adoucissant sa voix et minaudant.
Non, Monsieur le Chevalier.
LE CHEVALIER.
Est-ce faveur, est-ce cruauté ? Si c’est faveur, vous êtes divine ; mais comment vous nomme rai-je, si c’est cruauté ?
MOROSE, à part.
Que le Diable t’emporte...
LE CHEVALIER.
Ma belle Maman, je vous avais demandé ce rendez-vous, pour vous prier de fixer, à la fin, l’instant heureux qui doit me rendre maître de vos charmes... de ces charmes vainqueurs qu’en vain l’obscurité voudrait me dérober ; que j’entrevois malgré elle.
MOROSE.
Finissez-donc, finissez-donc...
LE CHEVALIER.
Voilà une rigueur bien bourgeoise, bien déplacée !... Mais, pour vous en punir, je vais vous parler raison... Quelle main délicieuse !...
MOROSE.
Laissez ma main.
LE CHEVALIER.
Je vous disais donc, ma chère Maman, que, ce matin, brûlé de mes transports amoureux, je voulais enfin vous demander le prix de ma constance... Contre mon ordinaire, j’ai fait des réflexions sérieuses. Morose vous aime... À sa Philosophie près, c’est un galant homme que je serais fâché de chagriner ; et cependant c’est un homme mort, si j’obtiens votre main.
MOROSE.
Il est vrai.
LE CHEVALIER.
Je suis tenté de faire une action sublime, digne d’un cœur tel que le mien.
MOROSE.
Et c’est ?...
LE CHEVALIER.
De lui céder les droits que j’ai sur votre cœur... Je sens tout le sacrifice que je fais... Je sens combien vous perdez vous-même au change... Quelle différence immense il y a de lui à moi !... Mais il faut avoir de l’humanité, de la générosité, et plus on sacrifie, plus l’action est dramatique... Vous ne répondez rien ?...
MOROSE.
Je suis en tout de votre avis.
LE CHEVALIER.
Ce pauvre Morose ! je vais lui rendre le bonheur... Ce ne sera cependant qu’à une petite condition... Lorsque je lui abandonne tant de charmes ; quand mon cœur pour lui seul brise des nœuds si doux, j’ose en exiger un dédommagement bien faible, il est vrai, en comparaison de ce que je perds ; mais qui cependant peuplera tant soit peu la solitude affreuse où vous allez laisser mon cœur... Notre Philosophe a une fille, jeune, aimable, dont le minois fripon m’a frappé ; qu’il me donne sa main à ce prix, la vôtre est à lui : troc de Gentilhomme... Qu’en dites-vous ?...
MOROSE.
Très bien imaginé.
LE CHEVALIER.
Eh ! bien, ma belle Maman, puisque vous voulez bien vous prêter à mon plan de pacification générale, je vous charge de mes pleins pouvoirs ; ménagez mes intérêts ; faites bien valoir aux yeux de Morose, et tout ce que je perds, et tout ce que je lui sacrifie... tout ce que je lui abandonne.
MOROSE.
Mais... mais finissez-donc.
LE CHEVALIER.
Ce sont les adieux de l’Amour, les dernières caresses que cet enfant fait à sa mère...
Scène XII
MADAME DE SAINT-HILAIRE, MOROSE, LE CHEVALIER, AGNÈS, L’ÉPINE, tenant deux Bougies allumées
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Courage, galant Chevalier, courage ; poussez rapidement une si belle conquête.
MOROSE.
Cruelle ! c’est vous qui me trahissez !
LE CHEVALIER.
Honneur à la sagesse ; la voilà, ma foi, dans un joli déshabillé !
AGNÈS.
Eh quoi ! c’est vous, mon cher Papa !... Ah, ah, ah...
MOROSE.
La petite masque !... Qui vous a donné la permission de sortir ? Remontez vite dans votre chambre.
AGNÈS.
Oh ! que non... J’ai un amoureux ici ; vous voulez me le prendre ; mais je le tiens bien, et je ne le quitterai qu’à bonnes enseignes. Il n’égratigne, n’étrangle, ni ne mord, celui-là...
MOROSE.
Que veut dire cela ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Tenez, mon cher voisin ; voilà le mot de l’énigme. Vous m’aimez, et ne m’êtes pas indifférent ; le Chevalier aime Agnès, qui, comme vous voyez, ne le hait pas ; unissez-les, ma main est à ce prix
MOROSE.
Qui ? moi, donner ma fille à un pareil étourdi !
LE CHEVALIER.
Tout beau, Monsieur le Philosophe, tout beau ; regardez-moi, regardez-vous. Lequel de nous deux, s’il vous plaît, porte les livrées de la Folie ?
MOROSE.
J’ai perdu ma raison... Qui m’en dédommagera ?...
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Le plaisir.
LE CHEVALIER.
Et vous ne perdrez rien au change.
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Eh bien ?...
MOROSE.
Puis-je vous rien refuser ?
L’ÉPINE.
Vous épousez Madame ?
MOROSE.
Oui, Monsieur le Baron.
L’ÉPINE.
Vous donnez votre fille à cet étourdi ?
MOROSE.
Oui, Monsieur le Baron.
L’ÉPINE.
Et moi, je vous donne le Brevet de Maître extravagant d’un plein saut ; vous avez pris tous vos degrés ; et, comme vous n’avez plus besoin de Maître dans cet art divin, j’abandonne ma Baronnie de la Folandière, et redeviens tout uniment l’Épine à votre service.
MOROSE.
C’est-à-dire que j’étais, à tous, votre jouet ?
MADAME DE SAINT-HILAIRE.
Oui, mon cher Voisin... Mais, ne nous en veuillez nul mal... Le chagrin a toujours tort ; ce lui qui rit est le vrai Sage.
MOROSE.
Votre philosophie a vaincu la mienne ; je veux donc désormais ne voir que le bonheur, et ne respirer que le plaisir.
[1] Je n’ai pas cru qu’il fût nécessaire de marquer ici la Pantomime, elle se dessine assez par le couplet de l’Épine.
[2] Je ne marque point ici la Pantomime ; elle se dessine assez par le Dialogue : on sent bien que l’Épine doit lutiner Morose.