La Peine du talion (Paulin DESLANDES)
Vaudeville en un acte.
Représenté pour la première fois, à Paris, sur le théâtre du Vaudeville, le 1er décembre 1853.
Personnages
LE COMTE D’OLBRUN
LE BARON HORACE
LA COMTESSE
BLANCHE
Salon ouvert au fond sur un jardin, portes latérales ; un balcon au fond.
Scène première
Neuf heures sonnent.
D’OLBRUN.
Neuf heures ! c’est l’instant où Blanche se promène toujours dans le parc. Peut-on rêver rien de plus mignon, de plus espiègle que cette gracieuse transfuge du pensionnat de Lichental. Eh bien, eh bien, d’Olbrun ! Si ta femme te surprenait ! tu sais pourtant le danger que tu cours, malheureux ! oh ! cette crainte incessante est terrible, j’en conviens, mais ma femme ne m’a pas trompé, lorsqu’à la cour du Margrave, j’osai, malgré sa réputation de coquetterie, la demander en mariage. Que me dit-elle ? Comte, je suis coquette, mais je suis sage. Soyez fidèle, je serai fidèle, mais redoutez la peine du talion, si jamais !... et elle est femme à le faire. J’acceptai sans crainte et nous vînmes ici. Oh ! c’est charmant, mais c’est ennuyeux et je trouve tout naturel de chercher à me distraire de l’uniformité de mon bonheur avec cette petite Blanche !... encore !!... Je n’ai pas plus tôt prononcé ce nom qu’il me semble entendre ma femme me crier : Redoutez la peine du talion ! Ce cri me fait froid !... Bath ! elle ne se doutera de rien et si je puis renvoyer ce petit baron Horace de Schonberg, qui est venu passer quelques mois dans mes terres... il a beau n’être qu’un enfant, il pourrait me faire du tort auprès de Blanche. Ces petites filles ont quelquefois des idées si saugrenues ! Oui, il faut que je renvoie ce petit baron, je trouverai bien un prétexte. Justement ma femme ne peut le souffrir, et...
On entend frapper du dehors deux coups dans la main.
Que signifie ? Ce ne peut être Horace, il dort encore, l’innocent.
On voit Horace escaladant le balcon.
Voilà qui est singulier.
Il se cache.
Scène II
D’OLBRUN, caché, HORACE, au haut du balcon
HORACE.
Personne ! allons, on ne saura rien.
D’OLBRUN, paraissant.
Horace !... bravo ! Monsieur le baron se promène !
HORACE.
Le comte !
Se remettant.
Comme vous voyez.
D’OLBRUN.
À pied.
HORACE, riant.
Non, à... échelle.
D’OLBRUN, à part.
Voilà mon prétexte.
Haut.
N’avez-vous pas de honte ?...
HORACE.
Si, j’ai honte m’être laissé prendre comme un niais.
D’OLBRUN.
À votre âge ! déjà libertin !
HORACE.
Et c’est si laid d’être libertin !
D’OLBRUN.
Vous avez l’air de railler, lorsque affichant notre château !...
HORACE, à part.
Oh ! si je ne m’étais pas fait une loi de ne rien dire !
Haut.
Comte !
D’OLBRUN.
Monsieur !
HORACE.
Votre parole que vous ne direz pas m’avoir vu ?
D’OLBRUN.
Pourquoi ?
HORACE,
J’ai mes raisons
À part.
qui l’intéressent encore plus que moi.
D’OLBRUN.
Et la morale, Monsieur, mais c’est épouvantable ! Monsieur ; mais on ne se conduit pas ainsi, Monsieur ! vous ignorez donc que la sagesse qui... que les mœurs que...
À part.
Que je suis donc peu naturel quand je veux prêcher la morale !
HORACE, à part.
Ça lui va bien à lui dont la réputation de mauvais sujet...
D’OLBRUN.
Enfin, j’ai ma responsabilité, et un homme grave comme moi...
À part.
C’est en parlant ainsi que je ne tremblerais pas que ma femme m’entendît.
HORACE, à part.
S’il voulait me donner une leçon ! C’est vrai, moi qui, face à face avec un homme, sens que je suis de race, aussitôt qu’il s’agit de parler à une femme, je... mais comment m’y prendre ?
D’OLBRUN, déclamant.
Voyez-vous, baron, lorsqu’on a les mœurs pures, on a la conscience pure.
HORACE.
Par le diable ! vous me la donnez belle, comte, vous qui avez toujours mené une vie exemplaire, vous qui n’avez jamais aimé que votre femme, vous ne pouvez comprendre...
D’OLBRUN, vivement.
Moi ! je...
Se remettant.
C’est vrai, mais...
HORACE, riant.
Je parie que vous n’avez jamais su faire une déclaration. Je suis sûr que vous auriez été gauche.
D’OLBRUN.
Moi ! je passais au contraire pour un...
Se remettant.
Eh bien, oui, je serais très gauche ; ça vous prouve que je suis...
HORACE.
On dit même que la petite baronne de Thilman s’est assez moquée de vous.
D’OLBRUN.
La baronne de...
S’oubliant.
Figure-toi, au contraire, qu’un soir, dans les allées du château du grand-duc, nous étions seuls... je me jette à ses pieds. Baronne, m’écriai-je, vous voulez donc me voir mourir !
HORACE, à part.
J’en étais sûr, le voilà lancé ! profitons !
D’OLBRUN, continuant.
Car je ne vis plus, je ne pense plus, je tremble sans cesse ; il me semble qu’un sylphe, un lutin est toujours là, devant moi, à mes côtés, tantôt me ricanant à la face, tantôt me regardant en pitié. Mais quel joli lutin ! c’est l’idéal du beau, c’est la sublime personnification de l’être accompli, et ce lutin c’est vous.
HORACE, qui dévore ces paroles.
Et elle résiste à ces paroles de feu ?
D’OLBRUN.
Elle résiste ; alors j’emploie les grands moyens.
HORACE.
Lesquels ?
D’OLBRUN.
Les larmes. Baronne, voyez mes larmes. Car si tu savais combien les femmes sont émues des larmes d’un bomme... quand elles n’en rient pas aux éclats ! Il faut savoir pleurer, vois-tu.
HORACE.
Ah ! il faut !...
D’OLBRUN.
Oh ! c’est indispensable, parce que dans ce cas que du sublime au ridicule, il n’y a qu’un pas... Bref... il paraît que je fus sublime... Ah ça, mais vous me faites dire des choses !... D’où venez-vous donc ? où avez-vous passé la nuit ?
HORACE, sans l’écouter, à lui-même.
Un sylphe est toujours là, à mes côtés ; mais quel joli lutin ! c’est l’idéal du beau, c’est la sublime personnification de l’être accompli.
D’OLBRUN, sévèrement.
Ah çà ! baron, quand je vous fais la morale...
HORACE, sans l’écouter.
Si elle rit, il faudra pleurer. Ah ! voilà où je ne brillerai pas, car je suis très laid quand je pleure. Au fait, il ne devait pas être très beau non plus en pleurant, et pourtant...
D’OLBRUN, sévèrement.
Baron ! je vois avec peine que vous ne profitez pas des sages leçons que je vous donne, et c’est avec regret que je me vois forcé de vous renvoyer à vos parents.
À part.
Je saisis l’occasion, j’espère.
HORACE.
Quoi ! vous me chassez !...
À part.
Et je ne la reverrais plus elle !
Haut.
Comte, ce n’est pas sérieusement que...
D’OLBRUN.
Très sérieusement ; à moins que madame la comtesse ne s’y oppose.
À part.
Je suis bien tranquille, elle ne peut pas le souffrir. Je ne sais pas pourquoi, mais elle ne peut pas le souffrir.
HORACE.
Alors je suis perdu, car votre femme... Voyons, voyons, comte ! entre hommes...
D’OLBRUN.
Entre hommes, oui, mais vous n’êtes qu’un enfant.
HORACE.
Un enfant !...
À part.
Ah ! si je pouvais parler !...
D’OLBRUN.
Justement voici ma femme, la question va être décidée à l’instant même.
HORACE, à part.
Plus d’espoir !
Scène III
D’OLBRUN, HORACE, LA COMTESSE
D’OLBRUN.
Que vous venez à propos, chère comtesse.
Galamment.
Ne venez-vous pas toujours à propos. Figurez-vous que le baron...
HORACE.
Ne le croyez pas Madame, c’est le comte au contraire qui...
La comtesse le regarde fixement, il baisse les yeux.
D’OLBRUN.
Taisez-vous.
LA COMTESSE, à d’Olbrun.
Vous disiez ?...
D’OLBRUN.
Que la famille du baron doit être inquiète de son absence, et je l’engageais à la revoir au plus tôt. Qu’en dites-vous ?
LA COMTESSE.
Je vous approuve pleinement, monsieur le comte, d’ailleurs il est temps que l’on songe à l’avenir, à l’établissement de monsieur le baron.
D’OLBRUN, enchanté, à part.
Qu’elle est belle ! ma femme ! quand elle parle ainsi !... Il est vrai que Blanche ! Veux-tu bien te taire ! si elle se doutait ! et la menace !...
HORACE.
Quoi, Madame, vous aussi, vous me chassez !
LA COMTESSE.
L’expression n’est pas exacte.
D’OLBRUN.
Sans doute ; on te prie de t’en aller, voilà tout.
Bas.
Tu vois que je ne parle pas de l’escalade.
Scène IV
D’OLBRUN, HORACE, LA COMTESSE, BLANCHE
BLANCHE, à part.
Tous les deux avec le baron ! qu’ont-ils donc à lui dire ?
Elle se cache.
HORACE, à part.
Au moment où j’allais prendre sur moi de parler, et profiter de la leçon que...
D’OLBRUN.
Ainsi, mon cher ami, les préparatifs de départ ne peuvent être longs.
BLANCHE, à part.
Son départ !
D’OLBRUN.
M’en voilà débarrassé, et je pourrai tenter auprès de Blanche...
LA COMTESSE.
Comte !...
D’OLBRUN.
Hein ! ma femme !... non, je vous assure, je...
LA COMTESSE.
Qu’avez-vous donc ?
D’OLBRUN.
Rien, je...
À part.
Et dire que si... j’étais heureux je serai... le plus malheureux des hommes.
HORACE, à part.
Gagnons du temps.
Haut.
Oh ! mes préparatifs de départ ne peuvent être longs en effet. Ce qui me prendra du temps, ce sont mes visites d’adieu dans le voisinage.
LA COMTESSE.
Vous pouvez vous en dispenser.
HORACE.
Oh ! Madame, c’est impossible ! il faut...
Sur un regard de la comtesse, il s’arrête interdit.
Certainement qu’à la rigueur je...
À part.
Mais que lui ai-je donc fait ? je la crains, et je n’ose, quand elle me regarde...
D’OLBRUN.
D’ailleurs, je présenterai tes excuses.
HORACE.
Certes, vous êtes trop bon, mais...
D’OLBRUN, appelant.
Carl ! Willem ! Tu verras ce ne sera pas long.
HORACE, à part.
Partir sans la revoir ! Oh ! si elle était là, elle trouverait un moyen.
LA COMTESSE.
Baron, dites surtout à votre famille que j’aurais été lui rendre mes devoirs, mais je ne puis me décider à quitter ma chère solitude.
HORACE, à part.
Oh ! c’est un congé en forme ! mais que lui ai-je donc fait à la comtesse ?
D’OLBRUN, à part, riant.
Et de ce que ma femme était coquette, on croyait... et elle le renvoie sans pitié.
Haut.
Tu nous écriras.
LA COMTESSE.
Si monsieur le baron n’a pas le temps, il est excusé d’avance,
Saluant.
Monsieur le baron...
D’OLBRUN, saluant.
Mon cher Horace...
HORACE, avec dépit.
Plus moyen de...
BLANCHE, paraissant.
Oh ! que faites-vous donc là ? vous voilà réunis comme un conseil de famille.
D’OLBRUN.
C’est monsieur le baron qui nous quitte.
HORACE, à part.
Elle va l’empêcher.
Haut.
C’est-à-dire que...
BLANCHE.
Et moi qui cherchais un compagnon de promenade. Je vais vous reconduire.
HORACE, à part.
Elle aussi !
BLANCHE.
C’est vrai, je n’ose sortir seule ; j’ai vu de ma fenêtre rôder un grand jeune homme en habit de voyage, à l’air hardi ; oh ! il a l’air d’un mauvais sujet.
LA COMTESSE, troublée, à part.
Oh ! mon Dieu ! si c’était lui !... ses menaces ! Il serait assez téméraire pour oser pénétrer jusqu’ici...
Haut.
Mon ami, veillez à ce qu’il ne manque rien au baron, j’ai une indisposition subite.
Elle sort.
D’OLBRUN.
Oh ! rien ne lui manquera. Je vais d’ailleurs moi-même.
BLANCHE, à part.
Bon ! et d’une ! à l’autre à présent.
Haut.
C’est ça, et vous viendrez avec nous.
D’OLBRUN, avec joie.
Oui, ma petite Blanche.
À part.
Est-elle naïve et ravissante !
BLANCHE.
D’autant plus que je soupçonne M. Horace.
HORACE.
De quoi donc, mon Dieu ?...
BLANCHE.
Je voyais aussi une petite grisette, du côté opposé à la route, arrêtant tous les paysans, et leur demander... je crois bien, M. Horace.
D’OLBRUN, vivement.
Une petite brune ?
BLANCHE.
Oui.
D’OLBRUN.
Un peu plus grande que vous ?
BLANCHE.
C’est bien cela.
HORACE.
Je vous jure, Mademoiselle, que...
BLANCHE, bas, vivement.
Taisez-vous donc.
D’OLBRUN, à part.
C’est elle.
Haut.
Attends-moi, baron, je reviens tout de suite.
Scène V
HORACE, BLANCHE
BLANCHE, à part.
Et de deux !
HORACE, furieux.
Ah ! je bénis le hasard qui les éloigne, pour vous dire que...
BLANCHE.
Le hasard, mais il n’y a pas de grand jeune homme ; seulement j’ai entendu souvent la comtesse demander au jardinier si un homme tel que je l’ai dit...
HORACE, à part.
Oh ! je sais qui, mais il ne viendra plus.
Haut.
Mais supposer qu’une grisette...
BLANCHE.
J’en ai vu une hier demander effectivement le comte à tous les paysans.
HORACE, à part.
Thémire ! ahie ! ahie ! ahie ! si on savait...
BLANCHE.
Et j’ai profité de tout cela pour faire naître le hasard dont vous vous plaigniez et les éloigner, ingrat ! Je vous voyais n’ayant pas la force de résister à cette demande de départ, je suis venue à votre secours.
HORACE, avec joie.
Vrai ! Ah ! que vous êtes bonne ! que vous avez d’esprit !
BLANCHE.
Je le sais bien.
HORACE.
Et que je suis simple !
BLANCHE.
Je le sais bien.
HORACE.
Mais je ne veux pas partir.
BLANCHE.
Je le sais bien.
HORACE.
Comment faire alors ?...
BLANCHE.
Ah ! ça, je ne sais pas... mais il faut trouver un moyen.
HORACE.
Sans doute, il doit y en avoir mille.
BLANCHE.
Je n’en demande pas tant.
HORACE.
D’abord il faudra...
BLANCHE.
M’obéir en tout, parce que vous n’êtes pas si rusé que moi.
HORACE, soupirant.
Dame ! je ne suis pas élevé au pensionnat de Lichental.
BLANCHE.
Il est vrai que vous n’êtes pas élevé.
HORACE.
Mais ce que j’éprouve pour vous...
BLANCHE, à part.
Allons donc, il va se déclarer.
HORACE.
Je n’ose dire que ce soit de l’amour...
BLANCHE, à part.
Il n’ose, je vais bien l’y forcer !
Haut.
Non, nous sommes comme frère et sœur.
À part.
Il va me démentir.
HORACE, hésitant.
Oui... comme frère et sœur.
À part.
Quelle belle occasion pourtant de lui parler du sylphe qui... et quel plaisir j’aurais à pleurer... si j’osais !...
BLANCHE, après avoir attendu, avec dépit.
Allons, ce ne sera pas encore pour aujourd’hui.
Haut.
Le principal est que M. d’Olbrun ne vous fasse pas partir.
HORACE.
Oui, c’est le... mais comment ?
BLANCHE.
Il faut même qu’au besoin la comtesse vous fasse rester quand bien même son mari.
HORACE.
Par exemple, si vous faites cela !
BLANCHE.
Quelle serait la récompense ?
HORACE, à part.
Ma foi, voilà la première fois que j’ai du courage auprès d’elle, profitons-en.
Haut.
Blanche, je...
À part.
Si je commençais par les pleurs, j’aime mieux ça.
Haut, pleurant.
Blanche, voyez mes larmes.
BLANCHE, part d’un éclat de rire.
Ah ! mon Dieu ! qu’est-ce qu’il vous prend ?
HORACE, à part.
Allons, il paraît que je ne suis pas sublime, mais n’importe.
Haut.
Blanche, apprenez que...
Scène VI
HORACE, BLANCHE, LA COMTESSE
LA COMTESSE.
Que disais-tu donc, Blanche ? par curiosité j’ai regardé sur la terrasse d’où l’on découvre tout le pays, je n’ai vu nulle trace d’étranger.
BLANCHE, à part.
Je le crois bien.
HORACE.
Oh ! on ne peut pas tout voir. Il est possible que...
LA COMTESSE, avec hauteur.
Monsieur le baron me faire ses adieux ? je les reçois.
HORACE, décontenancé.
Moi... je... oui... non.
BLANCHE.
Adieu, baron.
Bas.
Allez m’attendre près de la grotte.
LA COMTESSE, à part, avec dépit.
Ils sont d’intelligence... je m’en doutais... deux enfants !
Ensemble.
Air : Mon Dieu, mon Dieu, pour un vieillard.
HORACE.
Allons, allons, il faut partir,
Car son regard seul m’en impose,
Je voudrais parler, mais je n’ose,
Comment faire pour revenir.
BLANCHE.
Pauvre Horace il lui faut partir,
Mais à ce départ, je m’oppose ;
On a plus d’aplomb, je suppose,
Mais je saurais le retenir.
LA COMTESSE.
Sans retard, vous devez partir,
À ce départ rien ne s’oppose,
Une fois parti, je suppose,
Qu’il n’osera plus revenir.
LA COMTESSE, à part.
Toujours trembler ainsi ! je fus peut-être imprudente, mais je ne suis pas coupable.
BLANCHE, à part.
Détester un gentil cavalier comme M. Horace, ce n’est pas naturel. Ah ! il faut que j’en découvre la cause.
LA COMTESSE, à part.
Mais ne pensons plus à cela.
Haut.
Est-ce que le départ du baron te contrarie, Blanche ?
BLANCHE.
Mon Dieu non, pourtant il est bien aimable.
LA COMTESSE.
Aimable ! il n’a jamais un mot galant sur les lèvres.
BLANCHE, à part.
Tiens ! tiens, tiens, est-ce que ?...
Haut.
Il est si jeune !
LA COMTESSE.
Jeune ! jeune À la cour du Margrave, il y en avait d’aussi jeunes que lui, mais galants, empressés auprès des dames...
BLANCHE, à part.
Du dépit, de l’amour-propre froissé.
LA COMTESSE.
Non que j’y tienne... car on m’a fait la réputation d’être coquette, et certes je ne le suis pas, cependant lorsqu’on se trouve constamment avec un jeune cavalier.
BLANCHE, à part.
Je devine, Horace restera.
Haut.
Eh bien, je suis très contente du départ du baron, moi, mais pour un tout autre motif.
LA COMTESSE, vivement.
Il te fait la cour à toi, peut-être ?
BLANCHE, vivement.
Lui ! il ne pense guère à moi ! à cet âge-là, quand on aime...
LA COMTESSE.
Il aime ?
BLANCHE.
À en perdre la tête.
LA COMTESSE.
Qui donc ? toi ?
BLANCHE.
Non.
LA COMTESSE.
Qui donc alors ?
BLANCHE.
C’est un secret que j’ai découvert, et dame ! je suis d’une discrétion !
LA COMTESSE.
Oh ! entre femmes.
BLANCHE.
Non, et pourtant il aurait lieu de se glorifier de son amour, car celle qu’il aime est bien belle.
LA COMTESSE.
Jeune ?
BLANCHE.
De votre âge.
LA COMTESSE.
Demoiselle.
BLANCHE.
Comme vous.
LA COMTESSE.
Elle est mariée ?
BLANCHE.
À un homme que j’aime, que j’estime, voilà pourquoi je suis contente du départ du baron.
LA COMTESSE.
Et la dame sait-elle ?...
BLANCHE.
Que le baron l’aime ?... il se tuerait plutôt que de le lui dire !
LA COMTESSE.
Il a raison... pourtant...
BLANCHE.
Votre mari est-il jaloux ?
LA COMTESSE.
Pourquoi me demandes-tu cela ?
BLANCHE.
Pour rien. J’aime M. d’Olbrun parce qu’il est fidèle.
LA COMTESSE, riant.
Et il le sera toujours.
BLANCHE.
Ah ! qui peut répondre ?
LA COMTESSE.
C’est mon secret.
BLANCHE.
Dites-le-moi... entre femmes !
LA COMTESSE.
Tu en as bien un que tu gardes, je puis de mon côté...
BLANCHE.
Je vous dirai le mien, dites le vôtre.
LA COMTESSE.
Vrai ! Eh bien, j’ai signifié au comte... songe que je n’exécuterais pas une menace, que tant qu’il serait fidèle je serais fidèle, mais que si j’avais, ne fût-ce qu’un soupçon ! je me vengerais ! et il craint la vengeance que les femmes ont toujours toute prête.
BLANCHE.
Je ne comprends pas... c’est égal.
LA COMTESSE.
À ton tour, ton secret ?
BLANCHE.
Vous l’exigez ?
LA COMTESSE.
C’est de la loyauté.
BLANCHE.
Eh bien !... à la place de M. d’Olbrun je serais plus fidèle que jamais, car, être à la campagne avec un jeune homme gentil, un peu bien timide, il est vrai, et étant le mari d’une femme spirituelle, charmante...
LA COMTESSE.
Est-ce que ?...
BLANCHE.
Je n’ai rien dit.
À part.
Ah ! le comte qui me débite tous les jours de si jolies choses, a peur que sa femme... Je les tiens tous deux, M. Horace ne partira pas !
LA COMTESSE.
Voyons, Blanche, dis-moi...
BLANCHE.
Rien... rien, je ne dis rien, je ne veux rien dire... Adieu, madame la comtesse.
Scène VII
LA COMTESSE, seule
Quoi ! ce jeune homme oserait... je veux qu’il parte alors... et pourquoi ? on peut se laisser aimer et ne pas aimer. D’abord ce serait très mal. M. le comte est d’une fidélité exemplaire, et... est-il aussi fidèle que je le crois ? il s’absente sans cesse, il est souvent distrait. Oh ! je l’observerai. Allons, ne pensons plus à cela, je suis folle. Sur quelques mots que me dit cette jeune fille je... Ah ! c’est qu’à la campagne on s’ennuie souvent, on a besoin de distraction, car ce n’est que comme cela que je l’entends...
Air l’Artiste.
Les bois et la verdure,
Quel tableau ravissant !
C’est bien beau la nature,
Je l’admire... et pourtant,
Quel mal qu’en ce domaine
Que je trouve si beau,
Le petit baron vienne
Animer le tableau !
S’asseyant rêveuse.
Il est gentil le petit baron !
Scène VIII
LA COMTESSE, HORACE
HORACE, à lui-même.
Vous allez trouver du changement... si la comtesse n’allait plus vouloir que je partisse ? Allons, c’est folie d’y penser, on ne change pas ainsi en un moment.
LA COMTESSE, pensive.
Hier, le comte s’est absenté toute la journée, où a-t-il été ?
HORACE, à lui-même.
Et si M. d’Olbrun veut que vous partiez, menacez-le de dire à sa femme ce que je vous ai confié ; et elle ne m’a rien confié du tout, si j’y comprends quelque chose !...
LA COMTESSE.
Le voici... allons, n’ayons pas l’air de me douter... c’est vous, baron.
HORACE, à part.
Qu’est-ce qu’elle me disait donc ? du changement ! Non, toujours le même air de froideur !
Haut.
Je n’ai pas voulu quitter ces lieux sans...
LA COMTESSE.
Ah çà, vous partez donc ? sérieusement ?
HORACE.
Puisque madame la comtesse l’exige.
LA COMTESSE.
Moi ?... c’est le comte...
HORACE.
Hein !
LA COMTESSE.
Du reste, je ne vois pas trop ce que vous pouviez regretter en ces lieux.
HORACE.
Ce que je pouvais y regretter !... mais vous ne savez donc pas ! il y a ici une femme... ou plutôt un sylphe, un lutin qui est toujours là sans cesse à mes côtés.
À part.
Puisque je n’ose lui dire à elle-même, ça me soulagera d’en parler à une autre.
Haut.
Et quel lutin, c’est l’idéal du beau. C’est la sublime personnification de l’être accompli.
À part.
Où ce diable de comte va-t-il chercher tout cela, mon Dieu !
Haut.
Oui, j’aime...
LA COMTESSE.
Taisez-vous !
HORACE.
Rien que d’en parler, les larmes m’en viennent aux yeux.
LA COMTESSE, troublée.
Pauvre jeune homme !... Mon mari !... allons, du sang-froid... soyez homme, baron.
HORACE, étonné.
Qu’a-t-elle donc à trembler ainsi ? je ne suis tremblant qu’auprès de Blanche, moi.
Scène IX
LA COMTESSE, HORACE, D’OLBRUN
D’OLBRUN.
Ah ! vous voilà encore, mauvais sujet, libertin, coureur !
LA COMTESSE, au comte.
D’où venez-vous, comte ?
D’OLBRUN, à part.
Ah ! mon Dieu ! si elle se doutait que j’ai couru après Thémire... qui du reste n’y était pas... c’est une espièglerie de Blanche.
LA COMTESSE.
Vous ne répondez pas !
D’OLBRUN.
Mais si, je...
À part.
Cette menace toujours suspendue sur ma tête, m’ôte mon sang-froid
Haut.
J’étais allé donner des ordres pour le départ de...
LA COMTESSE.
Pourquoi le presser ainsi ? si M. le baron ne veut pas partir encore...
D’OLBRUN, étonné.
Mais c’est vous qui le pressiez de...
LA COMTESSE, de mauvaise humeur.
Mais, en vérité, vous voulez me faire passer pour bien ridicule ! est-ce que je me serais permis de dire au baron...
D’OLBRUN.
Ah ! par exemple, c’est trop fort ! il n’y a qu’un instant, vous...
LA COMTESSE.
Monsieur le baron, M. d’Olbrun semble vous faire entendre que c’est moi qui sollicitais votre départ ; pour vous prouver qu’il a tort, je vous prie personnellement de rester.
HORACE, à part.
Blanche serait-elle sorcière !
D’OLBRUN, de mauvaise humeur, à part.
Et moi je veux qu’il parte, d’autant plus que j’ai cru surprendre entre Blanche et lui des signes.
Haut.
Madame, je vous ferai observer...
LA COMTESSE.
J’ai souvent observé que M. le comte aimait à me faire jouer un rôle ridicule.
D’OLBRUN, se fâchant.
Moi ! mais, Madame...
LA COMTESSE.
Oh ! ne crions pas, c’est peuple ! Tenez, vous savez bien que j’ai raison, car votre conscience n’est pas tranquille.
D’OLBRUN.
Moi !
À part.
Oh ! mon Dieu ! se douterait-elle ?
LA COMTESSE.
Cette nuit, en dormant, vous avez parlé tout haut.
D’OLBRUN, à part.
Est-ce que j’aurais prononcé le nom de Blanche ? mais je serais perdu !
LA COMTESSE, à part.
Ce trouble ! aurais-je deviné juste, par hasard ?
Haut.
Voyons, monsieur le comte, ne laissez pas planer sur votre femme un soupçon de manque de savoir-vivre, et priez vous même M. le baron de rester.
D’OLBRUN, criant.
Comment ! que je le prie moi-même...
HORACE, à part.
Décidément, Blanche est sorcière.
D’OLBRUN.
Mais tantôt, Madame, vous disiez !...
HORACE.
Mon Dieu, cher comte, j’accepte vos excuses.
D’OLBRUN.
Mes excuses !...
HORACE.
Et puisque vous le voulez absolument, je reste.
Bas, à la comtesse.
Car je veux vous dire à quel point vous me rendez service : apprenez que celle dont je suis fou, ce sylphe, ce lutin...
LA COMTESSE.
Taisez-vous, imprudent, je le sais.
HORACE, interdit.
Hein ?
D’OLBRUN, criant.
Ah çà ! baron, je...
LA COMTESSE.
Dans votre sommeil, vous disiez...
D’OLBRUN, se radoucissant.
Après tout, je n’en veux pas au baron, mais...
HORACE.
Air : Je chasse, déjà l’aurore.
En conscience,
Pas d’insistance,
Je vous dispense
De tant me prier ;
Je vous atteste
Qu’ici je reste,
Cessez, mon cher, de me remercier.
Il ne faut pas qu’un de nous deux se gêne,
Au lieu d’un mois je veux rester chez vous,
Un an entier : bonheur, plaisir et peine,
Que tout, ami, soit commun entre nous !
Ensemble.
D’OLBRUN.
Quelle insolence,
Quelle insistance !
Il me dispense
De le remercier.
Comment, il reste,
Mais, je proteste,
Oui, je saurai bientôt
Le congédier.
LA COMTESSE.
En conscience,
Oh ! c’est démence !
Il le dispense
De le remercier ;
Mais qu’on proteste,
Je veux qu’il reste,
D’ailleurs, à moi, d’Olbrun
Peut se fier.
Horace sort.
Scène X
D’OLBRUN, LA COMTESSE
D’OLBRUN.
Madame, nous sommes seuls, dites-moi...
LA COMTESSE, à elle-même.
Certes aucune mauvaise pensée ne me viendra même quand mon mari serait infidèle, et il ne l’est pas ; pourtant ce trouble quand je lui parle de...
D’OLBRUN, décontenancé.
Elle me regarde d’un air...
LA COMTESSE.
Il serait singulier qu’en disant une chose au hasard... Oh ! je lui ferais une peur... il la mériterait en conscience...
D’OLBRUN.
Madame, est-ce que vous pensez encore à... vous connaissez le proverbe : tout songe tout mensonge. Si...
Elle part d’un éclat de rire.
Madame, par pitié, dites-moi ?...
LA COMTESSE.
Pourquoi ce trouble ? vous seriez sans peur si vous étiez sans reproche.
D’OLBRUN.
Oui, je puis vous jurer que...
Elle part d’un éclat de rire.
Chaque éclat de rire me répond au cerveau comme un glas funèbre...
LA COMTESSE.
Méfiez-vous dé votre sommeil !
Elle rit.
D’OLBRUN.
Mais, Madame.
LA COMTESSE.
Comte, ne dormez plus !
D’OLBRUN.
Comment que je ne dorme plus !
Rires de la comtesse.
Ah ! mais, Madame, permettez !...
LA COMTESSE.
Et n’oubliez pas que la vengeance est le plaisir des femmes.
Elle sort en éclatant de rire.
Scène XI
D’OLBRUN, seul, agité
Ces rires sont significatifs ! Maudit sommeil ! j’aurai prononcé le nom de Blanche !... ma femme a des soupçons !... elle m’a dit !... N’aurais-je qu’un soupçon !... je... Mais c’est épouvantable ! Que les hommes sont peu logiques ! J’ai une femme charmante, qui me rend heureux, je puis répondre de sa fidélité tant que... et je vais exposer mon repos, mon bonheur pour un caprice, pour une petite fille qui ne vaut pas ma femme après tout ! Allons, d’Olbrun, de la force de caractère, ne pensons plus à Blanche, et, fort de ma conscience, je pourrai tenir tête à ma femme, et renvoyer ce petit baron qui me déplaît.
Scène XII
D’OLBRUN, BLANCHE
BLANCHE, à part, s’asseyant.
À nous deux à| présent, monsieur le comte.
D’OLBRUN.
La voilà ! Allons, d’Olbrun, voyons, vaut-elle ta femme ? Non. C’est égal, elle est bien piquante. Eh bien ! eh bien ! cette pensée... et puis ma femme est ma femme, tandis que... encore ! le plus sage est d’éviter.
Il va pour sortir.
BLANCHE.
Comme vous vous en allez fièrement, monsieur le comte !
D’OLBRUN.
Oui, je ne puis vivre un moment sans ma femme ; elle me quitte à l’instant, eh bien ! j’éprouve le besoin de la revoir.
À part.
Peut-on mentir comme ça !
BLANCHE.
Que c’est beau ! que c’est louable ! vous êtes réellement le modèle de tous les hommes.
D’OLBRUN.
Je ne fais que mon devoir, un bon mari...
BLANCHE.
Et ils sont si rare ! Ah ! que la comtesse est heureuse !
D’OLBRUN, vivement.
Vous trouvez que...
Se remettant.
Est-il rien de plus naturel ? Qu’on ne se marie pas, alors !
BLANCHE.
Embrassez-moi pour le mot.
D’OLBRUN.
Mais...
BLANCHE.
C’est vrai, vous m’avez adressé souvent quelques propos... oh ! très gentils, je ne dis pas, et ça me faisait de la peine. Je le disais, tenez ! au baron : M. le comte a une femme charmante, eh bien, il...
D’OLBRUN, vivement.
Quoi ! vous avez eu l’imprudence de confier au petit baron...
BLANCHE.
Je ne lui confiais pas le plaisir que j’avais à vous entendre.
D’OLBRUN.
Il serait possible !
BLANCHE.
C’est vrai, je ne suis qu’un enfant, on entend toujours de jolies petites choses avec plaisir, j’avoue à ma honte que j’y prenais presque goût.
D’OLBRUN.
Assez, Blanche, si vous saviez...
BLANCHE.
Dame... vous êtes gentil. Non, ce n’est pas cela que je voulais dire. Vous avez un physique... heureux. Non, je...
D’OLBRUN.
Dites, dites toujours.
BLANCHE.
Et puis, quand vous parlez, il y a un charme dans votre voix... Oh ! tenez, je suis bien heureuse de l’aveu que vous venez de me faire. Aussi, désormais, je regarderai comme un crime...
D’OLBRUN, vivement.
Pourquoi ? J’aime ma femme, c’est vrai. Mais, peut-elle être comparée à ce petit être mignon, espiègle, spirituel...
À part.
Elle est mille fois mieux que ma femme, après tout.
BLANCHE, à part.
Oh ! si sa femme pouvait venir !
D’OLBRUN.
Car vous êtes ravissante. On se fait une fausse idée de la constance ; on peut être fidèle et...
Air : Piano de Berthe.
Blanche, croyez-moi, la fidélité
C’est de rendre hommage à chaque beauté.
À toutes garder amour et constance,
Je comprends ainsi, dans mon innocence,
La fidélité.
Blanche, embrassez le modèle des maris.
Il va pour l’embrasser, la comtesse paraît.
Scène XIII
D’OLBRUN, BLANCHE, LA COMTESSE
BLANCHE.
La comtesse !
D’OLBRUN.
Ma femme !... C’est-à-dire, non, parce que, voyez-vous... Ma femme, pour moi... On ne se figure pas ce que... Ma femme ! mais c’est l’idéal du beau, c’est la sublime personnification.
À part.
Si elle a vu, je suis perdu.
Haut.
Oh ! mais, moi d’abord, je...
Feignant de voir seulement la comtesse ce moment.
Tiens ! vous étiez là, ma bonne amie... Mais qu’avez-vous donc ?
BLANCHE, à la comtesse.
En effet, vous paraissez furieuse.
LA COMTESSE.
J’ai, j’ai... Eh bien ! il n’est pas là, ce petit fat, ce petit effronté, qui voudrait rester ici malgré nous.
Elle s’assied à gauche.
BLANCHE, à part.
Qu’y a-t-il donc de nouveau ?
D’OLBRUN.
Ah ! vous revenez sur son compte... Je disais aussi... Je vais lui signifier...
BLANCHE, bas, vivement.
Prenez garde, vous savez que je lui ai imprudemment parlé des jolies petites choses que vous me disiez, et il m’a signifié que si vous le renvoyiez, il déclarerait tout à votre femme.
D’OLBRUN, à part.
Perdu sans ressource !...
BLANCHE.
Mais j’ai peine à concevoir votre colère, Madame.
LA COMTESSE.
Comment ! je dis au jardinier de préparer la jolie petite salle de verdure qui est attenante au boudoir ; que M. Horace y serait mieux que dans le pavillon isolé qu’il occupe ; le jardinier se met à sourire ; je lui en demande la raison, je le presse, et il finit par m’avouer que M. Horace escaladait la nuit les murs du parc, qu’il ne rentrait que le matin, que cette nuit encore...
BLANCHE, à part.
Et moi qui employais tant de ruses pour le faire rester !
LA COMTESSE, se levant furieuse, à Blanche.
Et vous qui me disiez !... Vous n’êtes qu’une sotte !
D’OLBRUN.
Que vous disait-elle ?
LA COMTESSE.
Ça ne vous regarde pas.
BLANCHE.
J’ai été trompée comme vous.
À part.
Et moi qui croyais... Moi qui espérais... Ah ! c’est fini, je l’abandonne ! Qu’il parte, je ne l’aime plus !
Elle sort.
Scène XIV
LA COMTESSE, D’OLBRUN
LA COMTESSE.
Mais je ne veux pas qu’il reste plus longtemps ici. Vous allez, non pas le prier de partir, mais le chasser honteusement.
D’OLBRUN, à part.
Le chasser, mais je ne puis pas, il parlerait alors !
LA COMTESSE.
Vous hésitez !
D’OLBRUN.
C’est que, peut-être, s’absente-t-il pour des motifs que... Dame ! je ne sais pas pour quel motif il peut... n’ayant jamais passé par là ; car, voyez-vous, chère comtesse, je puis avoir rêvé, mais mon cœur !...
LE COMTESSE.
Eh ! qui parle de vous !... Le voilà ; tenez, regardez si tous les vices ne sont pas incrustés sur cette figure effrontée.
D’OLBRUN.
Je ne trouve pas.
LA COMTESSE.
Vous prenez sa défense ! c’est que vous êtes capable vous-même de !... Ah ! si je le savais !...
D’OLBRUN, criant.
Non ! non ! c’est un...
À part.
Est-il position plus atroce ! Si je ne le chasse pas, ma femme s’irrite ; et irriter une femme aussi vindicative !... Si je le chasse, il parle.
Scène XV
LA COMTESSE, D’OLBRUN, HORACE
HORACE, gaiement.
Me voilà ! moi.
D’OLBRUN.
Ah ! vous voilà ! vous !
HORACE, à part.
C’est drôle de se sentir soutenu par la femme, ça vous donne un aplomb !... Maintenant que je suis sûr de rester, j’ai une confiance !...
LA COMTESSE, à d’Olbrun.
Eh ! bien, Monsieur ?
D’OLBRUN, embarrassé.
Certainement que...
HORACE.
Qu’avez-vous donc, comte ? Ah ! que vous avez l’air embarrassé ! vous n’entendez donc pas que Madame vous dit... Eh bien ?
D’OLBRUN.
Mais si, j’entends parfaitement que...
LA COMTESSE.
Allons, finissons-en...
HORACE.
C’est ça, finissons-en.
À part.
Je ne sais pas ce dont il s’agit, mais c’est égal.
D’OLBRUN.
D’où veniez-vous donc ce matin, lorsque escaladant les murs du parc...
HORACE, bas, vivement.
Taisez-vous donc, dans votre intérêt.
À part.
C’est vrai, c’est pour lui que...
D’OLBRUN, effrayé.
Dans mon intérêt.
Haut.
Ce n’est pas que je trouve une très grande conséquence à cela.
LA COMTESSE.
Comment ! pas une grande conséquence !
D’OLBRUN.
Si ! si ! au contraire. C’est mal, très mal.
Bas, à Horace.
Vois-tu, Horace, ma femme exige... mais ne m’en veux pas.
HORACE, bas.
Je vous répète que dans votre intérêt...
D’OLBRUN, bas.
Mais ce n’est pas moi, c’est le jardinier qui...
À part.
Prendre toutes ces précautions quand j’aurais tant de plaisir à le chasser !
Scène XVI
LA COMTESSE, D’OLBRUN, HORACE, BLANCHE
BLANCHE, à elle-même.
Courir les champs la nuit... oh ! fi !...
HORACE, allant à elle, bas, en riant.
Ah ! vous voilà ! Figurez-vous que M. le comte, j’ai beau lui dire qu’il fait une sottise ! c’est vrai, je reste ici malgré lui, j’en conviens mais ce n’est pas une raison pour.
Blanche le regarde avec mépris et détourne la tête.
Hein ? que signifie ?
LA COMTESSE.
Qu’avez-vous à hésiter pour chasser Monsieur.
HORACE.
Me chasser !...
D’OLBRUN.
Non pas précisément ; mais tu conçois, il n’est pas convenable que... aussi je me vois forcé de...
HORACE.
Partir !
Allant à Blanche.
Vous l’entendez, voyons ! vous qui dans un cas désespéré m’avez déjà... Rien !...
Allant à la comtesse.
Vous qui tout à l’heure étiez encore si... Elle aussi... elle s’éloigne. Quoi ! je reste seul ! jusqu’à Blanche qui m’abandonne ! et je partirais ainsi sans... Ah ! quelle idée !... Blanche m’a dit de le menacer de dire ce qu’elle était censée m’avoir confié... à tout hasard, essayons.
D’OLBRUN.
Je vais donner les derniers ordres pour ton départ.
HORACE, bas.
Sortez, et je dis à votre femme ce que Blanche m’a confié.
D’OLBRUN.
Non, non par la sambleu !... Voyons, nous sommes amis, pas vrai ?
HORACE.
Faites un pas, et je parle.
À part.
Mais qu’est-ce qui l’effraie tant !...
D’OLBRUN, bas, à Blanche.
Voyez votre imprudence, il me menace de dire ce que vous lui avez confié, si...
BLANCHE, bas.
Ne craignez rien, je ne lui ai rien confié du tout.
D’OLBRUN, avec joie.
Vrai !
BLANCHE, bas.
Je vous le jure.
D’OLBRUN, à part.
Oh ! alors !...
LA COMTESSE.
Exigez, comte, que M. le baron vous dise où il allait le soir quand on l’a surpris escaladant le mur du parc, il y a huit jours...
HORACE, à part, riant.
Oui, prenez garde qu’il exige... il a bien trop peur de... de... je ne sais pas pourquoi, mais il a peur.
D’OLBRUN.
Oui, au fait, où avez-vous été il y a huit jours...
HORACE, à part, riant.
Tiens ! tiens, il se lance !
Bas, d’un ton menaçant.
Je vais parler !...
D’OLBRUN, haut.
Qu’est-ce que vous voulez dire, Monsieur, je vais parler ! parlez donc !
HORACE.
Oui !... eh bien ! apprenez, Madame.
LA COMTESSE.
Quoi donc ?
D’OLBRUN, bas.
Oh ! mon Dieu ! il me fait trembler.
BLANCHE, bas.
Je vous dis de ne rien craindre.
D’OLBRUN.
Apprenez... quoi ?
HORACE.
Que M. le comte a...
À part.
Eh bien ! il n’a plus peur.
Haut.
Que M. le comte est...
TOUS.
Expliquez-vous plus clairement.
HORACE, résolument.
Que je m’explique ?... Eh bien ! non, je ne dirai rien.
À part.
J’ai de bonnes raisons pour ça.
Bas, à Blanche.
Vous vous êtes donc jouée de moi, Blanche ?
BLANCHE, bas.
Allez, Monsieur, votre conduite est indigne, car maintenant que je vous déteste, je puis vous avouer que je vous aimais.
HORACE, avec feu.
Il serait possible ! Oh ! bonheur ! ah ! d’Olbrun, que je vous embrasse ! ah ! madame la comtesse, que je suis heureux !
BLANCHE.
Heureux de ce que je vous déteste !
LA COMTESSE.
Cessons toutes ces folies ; nous ne pouvons tolérer qu’un jeune homme que nous avons reçu avec confiance dans notre maison...
D’OLBRUN.
Non, nous ne pouvons tolérer...
BLANCHE.
À moins qu’il ne dise, ce qu’il y a huit jours...
HORACE.
Ne l’exigez pas !
LA COMTESSE, saluant.
Adieu donc, monsieur le baron.
BLANCHE, pleurant.
Adieu donc, Monsieur.
D’OLBRUN.
Bon voyage, cher ami.
HORACE.
Quoi ! c’est sans rémission ; il faut absolument que je parle pour rester.
D’OLBRUN.
Mon Dieu, oui, sans cela...
HORACE, à part.
Que faire ? je ne puis pourtant... d’Olbrun présent surtout... ah ! j’y suis.
Haut.
Mesdames, il est de ma dignité de gentilhomme de ne pas céder aux ordres d’un homme, mais je tiendrai toujours à honneur de me soumettre aux volontés des dames. Éloignez-vous, comte, si vous voulez que je me justifie.
D’OLBRUN.
Par exemple ! je ne veux pas.
LA COMTESSE.
Cédez, mon ami ; je suis curieuse de savoir ce que ce mauvais sujet...
LE COMTE.
Mais je ne veux pas...
LA COMTESSE.
D’ailleurs, je vous dirai tout.
D’OLBRUN.
Vrai ? Allons, je cède. Est-elle charmante, ma femme !
HORACE, prenant à part la comtesse et Blanche.
Vous voulez savoir où j’ai passé la nuit il y a huit jours ? eh bien ! vers cette époque, un grand jeune homme à l’œil hardi, en costume de voyage, vous demanda, Madame, d’un air qui me déplut ; je le priai de parler avec plus de respect d’une femme dont j’avais l’honneur d’être l’hôte ; il me rit au nez et me dit : « Enfant, j’ai chez moi, à Volstein, une correspondance qui peut prouver que celle que vous défendez m’a aimé. »
LA COMTESSE.
L’insolent !
Le comte vient doucement écouter, la comtesse se retourne.
Eh bien ! comte !
Il s’éloigne.
Oui, par coquetterie, par enfantillage, j’avais eu, avant mon mariage, l’imprudence de lui écrire, mais je vous jure...
HORACE.
Pas de serments, Madame. À la tombée de la nuit, je suis parti pour Volstein ; ce matin je rentrais ici par ce mur avec un coup d’épée au bras et les lettres que voici.
Il les lui remet.
LA COMTESSE, bas.
Ah ! Monsieur !
BLANCHE.
Quoi ! vous aviez fait cela, et vous ne vous en vantiez pas !
HORACE.
Se vanter d’un devoir rempli !
D’OLBRUN, riant.
Eh bien ! cette grande confidence...
BLANCHE.
Terminée,
D’OLBRUN, à la comtesse.
Il vous a dit ?...
LA COMTESSE.
Ça ne vous regarde pas ; seulement je prie monsieur le baron de rester.
D’OLBRUN.
Mais je ne veux pas !... d’abord il y a encore une escapade cette nuit.
BLANCHE.
Au fait, Monsieur, et cette nuit ? vous...
HORACE.
Je vois que monsieur le comte est jaloux de la confidence que je viens de vous faire, je vais lui dire à lui... aussi en confidence...
D’OLBRUN.
Du tout, Monsieur, je ne veux pas de vos confidences, parlez haut.
À part.
Il veut me supplier tout bas de ne pas le renvoyer, et je tiens à ce qu’il...
HORACE.
Allons, puisque Monsieur veut qu’à haute et intelligible voix, je dise ce que j’ai fait...
Bas, à d’Olbrun.
Songez qu’il s’agit de Thémire, la brodeuse de la cour du grand-duc.
Haut.
Apprenez !...
D’OLBRUN, vivement.
Puisque vous le désirez, je vous écoute, Monsieur...
HORACE.
Ah ! ces dames ne le permettront peut-être plus.
LA COMTESSE.
Faites.
Bas.
Je dois être indulgente.
HORACE, bas, à d’Olbrun.
Thémire vous cherchait hier pour vous arracher les yeux.
D’OLBRUN, bas.
Mais je ne l’ai pas revue depuis mon mariage.
À part.
J’aurais eu trop peur que ma femme...
HORACE, bas.
C’est précisément pour cela. Je lui ai promis de vous envoyer cette nuit chez elle... et par dévouement, je m’y suis rendu à votre place ; je lui ai dit : Mais c’est épouvantable, Madame, on ne se conduit pas ainsi, Madame ! vous ignorez donc que la sagesse qui... que les mœurs que...
À part.
Juste ses propres paroles de ce matin.
D’OLBRUN, se fâchant.
Mais c’est très mal.
HORACE.
Oh ! par exemple ! je vais en faire juges ces dames.
D’OLBRUN.
Non ! non !
Aux dames.
Il est complètement justifié.
BLANCHE, bas, à Horace.
Dites-moi ce secret.
HORACE, bas.
Quand nous serons mariés.
D’OLBRUN.
Il est justifié, mais je l’engage pourtant, dans l’intérêt de son avenir, à rejoindre sa famille. Note que je ne te renvoie pas.
BLANCHE, bas, à d’Olbrun.
Je veux qu’il reste... ou alors ce n’est plus lui, mais moi qui parle. Je dis à votre femme que vous m’avez fait la cour, et alors...
D’OLBRUN, vivement.
Décidément, reste. Bath, aussi bien je devine qu’il y a ici une demoiselle élevée au pensionnat de Lichental qui serait aussi fâchée que toi de ton départ...Vous puiserez l’exemple d’un bon ménage dans mon adoration pour ma femme.
À part.
Je ne fais plus la cour à personne.
LA COMTESSE, regardant Horace.
Il était gentil ! certes ; je n’ai jamais eu l’intention de mettre à exécution ma menace de la peine du talion, mais que le comte soit fidèle, c’est plus prudent !
HORACE, bas, à Blanche.
À votre tour, dites-moi donc ce qui faisait tant peur à d’Olbrun ? car je menaçais sans savoir.
BLANCHE.
Je vous le dirai quand nous serons mariés.
CHŒUR.
Nuit orageuse.
Pourquoi courir, chacun de son côté,
Troubler le mariage,
Quand la tendresse et la fidélité
Font la paix du ménage.