La Gouttière (Alexis DECOMBEROUSSE)
Comédie-vaudeville en un acte.
Personnages
MAXIMILIEN, roi de Bavière, 15 ans
LE COMTE D’ARMFELD, son gouverneur
MADAME DE METTEMBERG, gouvernante des filles d’honneur
LOUISE DE LISTAL, fille d’honneur
GOTHE, sa chambrière
NICOLAS FLAXMAN, serrurier
COMPAGNONS SERRURIERS
La scène se passe à Munich.
Le théâtre représente une mansarde du château de Munich ; au fond, fenêtre avec large gouttière au lieu de balcon ; portes latérales.
Scène première
LOUISE, GOTHE
Au lever du rideau, Louise travaille près d’une table. Gothe est debout à la fenêtre.
GOTHE, regardant par la fenêtre.
Mais si... mais non... si fait !... oh ! c’est impossible !
LOUISE.
Qu’as-tu donc ?
GOTHE.
C’est que je croyais reconnaître là-bas, travaillant au grillage des cuisines, une personne...
LOUISE.
Eh bien ?
GOTHE.
Qui m’intéresse beaucoup ; mais je me trompe certainement.
LOUISE, d’un ton dolent.
Gothe !
GOTHE.
Mademoiselle !
LOUISE, soupirant.
Je vais donc me marier ?
GOTHE.
Comme vous dites cela piteusement !
LOUISE.
C’est que cela ne m’amuse pas du tout. Quelle perspective que celle de passer sa vie avec le vieux comte d’Armfeld, gouverneur de notre jeune roi. D’abord il gronde sans cesse, et puis... sa perruque est toujours posée de travers sur sa tête.
Riant.
Ah ! ah ! ah ! ah !
GOTHE.
Vous riez ?
LOUISE.
Je ris de désespoir !
GOTHE.
Il fallait refuser.
LOUISE.
La reine paraît désirer ce mariage, et madame de Mettenberg, ma tante, m’a déclaré que, moi, fille sans fortune, je ne pouvais trouver un meilleur mari que M. d’Armfeld et qu’elle me renverrait au couvent, si je ne consentais pas...
GOTHE.
Ah ! bien, si une chose drôles de l’on écoutait tout le monde pour qui ne regarde que soi, on en ferait de mariages ! Tenez, moi, je travaillais à la lingerie de votre aimable et vieux futur. Une jeunesse dans son genre, le concierge de son hôtel, voulut m’épouser. Chacun me le conseillait : Je répondis non, tout net. Ah ! mais dame ! aussi, c’est que j’avais déjà dans le cœur de l’amour pour un autre, pour Nicolas Flaxman, le meilleur serrurier du royaume de Bavière ; et l’amour !... ça vous donne joliment du courage, allez !
LOUISE.
Tu crois ?... Ah ! bien, alors je m’en vais adorer quelqu’un tout de suite.
GOTHE.
Oh ! vous, ça vous serait difficile.
LOUISE.
Pourquoi donc ?
GOTHE.
Vous êtes trop gaie, trop folle.
LOUISE.
N’importe, je veux voir si ça empêchera mon mariage... Attends... qui est-ce que je pourrais bien aimer ?... le neveu de ma gouvernante ?... Il a le nez trop long. Mon cousin Frédéric !... Il marche en sautillant, comme un oiseau... Ce n’est pas cela encore... Aide-moi donc un peu, Gothe ?
GOTHE.
Il me semble qu’il ne manque pas de jolis seigneurs...
LOUISE, vivement.
Ah ! j’y suis, le roi !...
GOTHE, surprise.
Le roi !
LOUISE.
Oui, oui, c’est lui que je m’en vais aimer !
GOTHE.
Y pensez-vous, mademoiselle ?
LOUISE.
Certainement, certainement. Nous avons même déjà commencé... Depuis quelque temps, il m’emmène toujours dans l’embrasure des fenêtres afin de se moquer avec moi de toutes les personnes de la cour, et surtout de M. d’Armfeld ; ce qui m’amuse !... m’amuse !...
GOTHE.
C’est bien fait pour ça.
LOUISE.
Ah ! moi qui oubliais !...
GOTHE.
Quoi donc ?...
LOUISE.
Je puis en aimer encore un autre.
GOTHE.
Un autre !...
LOUISE.
Oui, M. Henri d’Alberg, officier d’ordonnance de Sa Majesté, et qui valse si bien.
GOTHE.
Mais ça en fera deux alors... vous serez plus avancée que moi... l’un cause dans les embrasures, l’autre valse ; allons, voilà deux amours en bon chemin.
LOUISE.
N’est-ce pas ?...
GOTHE.
Oui, oui ; au reste, qui sait ?... l’intention seule suffit peut-être pour porter bonheur. Moi, je n’ai pas plutôt pensé à Nicolas qu’il a perdu la pratique de l’hôtel, et que le vieux concierge m’a fait renvoyer de la lingerie...
LOUISE.
Tu appelles cela du bonheur ?
GOTHE.
Je crois bien, puisque je suis entré à votre service...
LOUISE.
Oui, mais peut-on s’aimer sans se voir ?...
GOTHE.
Pourquoi ne vous verriez-vous pas ?... quand l’occasion manque, on la fait naître. Tenez, moi, il y avait huit jours que je n’avais vu Nicolas. Eh bien, ce matin même, je me suis aperçue qu’il manquait une charnière à mon armoire et j’ai fait appeler le serrurier.
LOUISE.
Oui, mais moi, je ne puis pas faire appeler le roi... pour une charnière ; je crois même que c’est parce que ma tante a entendu les malices que nous disions ensemble sur M. d’Armfeld, qu’elle me retient prisonnière ici, dans les combles du château, dont je ne dois sortir que pour devenir madame d’Armfeld.
GOTHE.
Ça n’empêchera pas le roi de vous voir, s’il le désire...
LOUISE.
Mais comment veux-tu qu’il fasse, puisque je suis enfermée ?...
GOTHE.
Je n’en sais rien ; mais vous le verrez...
À ce moment, un jeune cavalier paraît à la fenêtre, sur la gouttière, et saute dans la chambre.
Scène II
LOUISE, GOTHE, LE ROI
LOUISE, effrayée.
Ah ! mon Dieu !...
GOTHE.
C’est lui, mademoiselle, le roi.
Bas.
Qu’est-ce que je vous disais ?...
LE ROI.
Chère Louise !...
LOUISE.
Vous ! sire ?... Ah ! que vous m’avez fait peur !... venir par la gouttière !... un pareil chemin !...
LE ROI, gaiment.
Superbe !... route royale tout à fait... c’est large, bien entretenu... d’ailleurs, je n’avais pas le choix... J’ai trouvé ta porte fermée et, ma foi, j’ai pris un chemin où j’étais bien sûr de ne rencontrer personne pour me barrer le passage.
LOUISE.
Et si le pied vous avait manqué ?...
LE ROI.
Impossible ! je venais te voir... et puis rien au monde n’aurait pu me retenir, j’aurais plutôt risqué cent fois ma vie !...
LOUISE, vivement.
Ne faites pas cela, jamais !
LE ROI.
Non, c’est que je suis très mécontent, furieux ! croirais-tu bien que l’on m’a fait des contes, il paraît qu’on me prend encore pour un enfant.
GOTHE.
Et vous êtes une personne très grave, très raisonnable...
LE ROI.
Du moins, je ne suis pas un niais... ne te voyant pas depuis deux jours, au milieu des filles d’honneur de ma mère, je demande de tes nouvelles, et l’on a l’audace de me répondre que tu e retournée au couvent.
LOUISE.
En vérité !...
LE ROI.
Je n’en ai rien cru. Ah ! ma pauvre Louise, comme on trompe les rois !... encore si c’était pour leur faire plaisir !... si tu savais combien le temps m’a paru long ! obligé d’assister au conseil, d’entendre des discussions auxquelles je ne comprends rien...
LOUISE.
Il ne fallait pas écouter.
LE ROI.
J’ai bien commencé par là ; mais mon enragé gouverneur finit toujours par me demander ce que pense ma Majesté ?...
LOUISE.
Et ça vous embarrasse ?... On choisit, parmi les figures du conseil, la plus intelligente et la moins ennuyeuse... et l’on répond : Je pense comme monsieur.
LE ROI.
Au fait, c’est très commode. Ah ! si tu faisais partie du conseil, je sais bien de qui je suivrais les avis... tu as cent fois plus d’esprit que mon gouverneur qui ne sait qu’être jaloux... Je gage qu’il a été vexé l’autre jour de nous trouver causant ensemble derrière un rideau. Est-ce qu’il s’imagine, parce que tu es sa fiancée, que tu ne dois plus avoir de conversation qu’avec lui ?... Ce serait bien amusant pour toi !
LOUISE.
Hélas !... pas trop... mais c’est peut-être aussi parce que vous m’avez embrassée qu’il est furieux.
LE ROI.
Est-il singulier !... On cause... et puis, quand on ne sait plus que dire... on s’embrasse... pour retrouver ses idées... C’est tout simple...
LOUISE.
Il n’y a pas de doute...
LE ROI.
S’il se fâche pour cela !...
GOTHE.
Il faut qu’il ait un bien mauvais caractère...
LE ROI.
Deux jours sans te voir !... je ne veux plus que cela arrive... Pour empêcher mon gouverneur de te faire enfermer ainsi, je t’épouserais plutôt moi-même...
LOUISE.
M’épouser ! vous le pourriez certainement si vous le vouliez... mais j’aurais bien peur que l’Europe ne le trouvât mauvais...
LE ROI.
Ah ! tu crois que l’Europe...
LOUISE.
Mon Dieu, oui, puisque en ce moment on lui demande une femme pour vous.
LE ROI.
À l’Europe ! qui t’a conté ça ?...
LOUISE.
Madame de Mettemberg.
LE ROI.
Oh ! alors, je ne puis guère, en effet... mais attends, une idée... si je te faisais épouser... Henry... un de mes officiers... un joli garçon. Veux-tu ?...
LOUISE.
S’il est joli... et si ça vous fait plaisir...
LE ROI.
Je suis bien sûr, par exemple, que celui-là ne trouvera pas mauvais que je cause avec toi et que je t’embrasse...
LOUISE.
Vous croyez ?...
LE ROI.
Parbleu ! il a trop d’esprit pour cela... et puis, c’est mon ami. Mais tu ne sais pas, il y a bal ce soir au château.
LOUISE.
Ah ! quel dommage ! moi qui n’y serai pas.
LE ROI.
Qu’est-ce que tu dis donc ?... Je l’empêcherais plutôt, ce bal... dussé-je me mettre au lit, faire le mort, plonger toute la monarchie dans les larmes et dans le deuil... Oh ! tu y viendras, je veux que tu y viennes et que personne n’en sache rien.
LOUISE.
Je ne demande pas mieux ; mais... comment ?...
LE ROI.
Je t’apporterai un costume qui te cachera à tous les yeux.
LOUISE, sautant de joie.
Oh ! quel bonheur !
LE ROI.
Et je t’y conduirai moi-même.
LOUISE.
Ainsi, nous danserons ?...
LE ROI.
Nous danserons.
LOUISE.
Ensemble ?...
LE ROI.
Toujours ensemble.
GOTHE, qui vient d’écouter.
Oui ; mais, pour le moment, il faut vous séparer. J’entends venir et, à son pas, je reconnais madame de Mettemberg.
LE ROI.
La redoutable gouvernante des filles d’honneur ? Adieu, je me sauve.
Il l’embrasse.
Pour nos projets, il ne faut pas qu’on me voie ici...
Il s’élance sur la gouttière en oubliant son chapeau sur une chaise, et disparaît au moment où l’on entend une clef tourner dans la serrure.
LOUISE, à la fenêtre.
Prenez bien garde.
Scène III
LOUISE, GOTHE, MADAME DE METTEMBERG, D’ARMFELD
GOTHE, les voyant entrer, bas à sa maîtresse.
Et M. d’Armfeld aussi... les deux font la paire.
MADAME DE METTEMBERG.
Ma chère Louise, voici venir M. le gouverneur, votre époux désigné, qui réclame le droit de vous offrir ses présents de noce.
D’ARMFELD fait un signe ; deux domestiques entrent, portant une corbeille ; s’approchant avec eux de Louise.
Mademoiselle de Listal me permettra-t-elle ?... Cette corbeille renferme ce que j’ai pu choisir de plus élégant et de plus nouveau... Elle y trouvera en outre les diamants de ma grand’ mère, les dentelles de ma bisaïeule...
LOUISE, l’interrompant.
Pardon, monsieur, je refuse toutes ces... nouveautés, parmi lesquelles vous avez oublié de vous compter vous-même.
MADAME DE METTEMBERG.
Mademoiselle Louise...
LOUISE.
Excusez-moi, madame ; mais, dans ce moment, je n’ai pas le cœur... aux présents, et je vous demanderai la permission de me retirer...
À d’Armfeld.
Monsieur, je vous salue ; viens, Gothe.
Scène IV
MADAME DE METTEMBERG, D’ARMFELD
D’ARMFELD, après un silence.
Madame de Mettemberg ?
MADAME DE METTEMBERG.
Monsieur d’Armfeld ?
D’ARMFELD.
Que dites-vous de la manière dont on vient de recevoir mes cadeaux.
MADAME DE METTEMBERG.
Oh ! oh !... caprice de jeune fille... elle pensait à autre chose.
D’ARMFELD.
Au roi, certainement.
MADAME DE METTEMBERG.
Ou à son perroquet.
D’ARMFELD.
Son perroquet ! son perroquet !... et pourquoi pas plutôt à moi ?
MADAME DE METTEMBERG.
Mon Dieu ! parce qu’elle aura tout le temps... quand elle sera votre femme.
D’ARMFELD.
Vous êtes d’un sang-froid, madame...
MADAME DE METTEMBERG.
Et vous d’une inquiétude...
D’ARMFELD.
On voit bien que ce n’est pas vous qui vous mariez...
MADAME DE METTEMBERG.
On dirait que vous l’êtes déjà... pourtant, vous étiez un vert-galant dans votre jeunesse, vous qui avez si peur...
D’ARMFELD.
Justement, madame, j’ai peur... parce que j’ai fait trembler les autres. Ah ! c’est que j’étais un vrai démon.
MADAME DE METTEMBERG.
Glorieux !... ou plutôt vaniteux... tenez... tous les hommes se vantent...
D’ARMFELD.
Pas tous !... pas tous !... j’ai retrouvé dans mes archives amoureuses certain billet...
MADAME DE METTEMBERG.
De quelque femme de peu...
D’ARMFELD.
Signé Gothe de Neubourg...
MADAME DE METTEMBERG.
Hein ?... plaît-il ?... de moi !... C’est impossible !
D’ARMFELD, avec fatuité.
Oublieuse !
MADAME DE METTEMBERG.
Et... que contenait cette épître ?
D’ARMFELD.
Oh ! peu de chose... un rendez-vous...
MADAME DE METTEMBERG, vivement.
Où je ne suis pas venue.
D’ARMFELD.
Je crois bien, on vous avait enfermée.
MADAME DE METTEMBERG.
Taisez-vous, mauvaise langue ! et rendez-moi...
D’ARMFELD, cherchant dans sa poche.
C’est singulier... je ne le trouve plus.
MADAME DE METTEMBERG.
Égarer un écrit pareil, quelle imprudence !
D’ARMFELD.
Je l’aurai laissé sur mon bureau...
MADAME DE METTEMBERG.
N’oubliez pas de le brûler en rentrant, petit étourdi !...
D’ARMFELD.
Et vous, madame, défendez, je vous prie, le dépôt qui vous est confié.
MADAME DE METTEMBERG.
Je vous répète qu’il n’y a pas de danger... le roi et mademoiselle de Listal sont trop enfants pour s’aimer. D’ailleurs, il est impossible que ma surveillance ne porte pas ses fruits.
D’ARMFELD.
Je compte au moins autant sur le bruit du départ de mademoiselle de Listal...
MADAME DE METTEMBERG.
Que nous avons fort adroitement répandu.
D’ARMFELD.
Et comme voilà trois jours que le roi ne la voit pas...
Apercevant le chapeau que le roi a oublié.
Que vois-je !...
MADAME DE METTEMBERG.
Qu’avez-vous donc ?...
D’ARMFELD.
Regardez, madame.
MADAME DE METTEMBERG.
Eh bien, que signifie ce couvre-chef ? le vôtre sans doute ?...
D’ARMFELD, montrant son chapeau.
Je n’en porte jamais deux... C’est celui du roi...
MADAME DE METTEMBERG, tranquillement.
Ah ! comment se trouve-t-il donc ici ?
D’ARMFELD.
Eh ! parbleu ! madame... c’est qu’il y est venu.
MADAME DE METTEMBERG.
Vous croyez ?...
D’ARMFELD.
Voilà donc les beaux fruits de votre surveillance !...
MADAME DE METTEMBERG.
Je vous défie de la prendre en défaut.
D’ARMFELD.
Cependant...
MADAME DE METTEMBERG.
Il n’y a pas de cependant ; en me rendant à l’office, j’avais donné un tour de clef à la serrure...
D’ARMFELD.
Mais alors, il a donc passé par les fenêtres ?
MADAME DE METTEMBERG.
Elles ne sont pas dans mes attributions,
D’ARMFELD.
Ah ! malheureux !... ah ! malheureux !...
MADAME DE METTEMBERG.
Qui ?... le roi ?...
D’ARMFELD.
Non... moi-même... c’est moi qui suis l’inventeur... Avant-hier... en plein conseil... le roi s’ennuyait ; j’ai voulu le distraire... j’ai raconté l’anecdote de Louis XIV visitant Mlle de Lamothe par les gouttières...
MADAME DE METTEMBERG.
Vous avez fait un beau chef-d’œuvre...
D’ARMFELD.
Je l’ai fait rire... mais je lui ai tracé le chemin...
Scène V
MADAME DE METTEMBERG, D’ARMFELD, NICOLAS FLAXMAN
NICOLAS, entr’ouvrant la porte.
Est-ce pas ici que loge Mlle Gothe ?... la fille suivante d’une demoiselle d’honneur ?...
MADAME DE METTEMBERG.
Que lui veux-tu ?... qui es-tu ?
NICOLAS.
Je suis Nicolas Flaxman, garçon serrurier, qu’elle a fait demander... pour une charnière... à votre service.
D’ARMFELD.
Serrurier !
NICOLAS.
De père en fils...
D’ARMFELD.
C’est le ciel qui t’envoie.
NICOLAS.
C’est donc ici ?
D’ARMFELD.
Quoi ?...
NICOLAS.
Mademoiselle Gothe ?
D’ARMFELD.
Il est bien question de ça !
NICOLAS.
Mais dame !
D’ARMFELD.
Ma chère marquise, voulez-vous mon repos et le salut de votre nièce ?
MADAME DE METTEMBERG.
Son salut !... Vous allez un peu bien vite dans vos craintes, mon cher comte...
D’ARMFELD.
Prenez que je n’ai pas le sens commun, que je suis un maniaque, un songe-creux, et faites mettre une grille, par cet homme, à cette fenêtre...
NICOLAS, à lui-même.
Il paraît qu’il veut me donner de la besogne... bravo !
MADAME DE METTEMBERG.
Si cela seul peut vous maintenir en quiétude... Je ne vous aurais jamais cru si visionnaire... pour un chapeau !
D’ARMFELD.
Morbleu ! mais il y avait une tête sous ce chapeau, madame ! la comptez-vous pour rien ?
MADAME DE METTEMBERG.
Bast ! Enfin, il faut vous satisfaire.
À Nicolas.
Mon ami, tu vois bien cette fenêtre ? tu vas me la griller.
NICOLAS.
Avec plaisir, madame.
D’ARMFELD.
Mais tout de suite.
NICOLAS.
Tout de suite. La marchandise est prête, il ne s’agit plus que de choisir et de poser ; justement j’étais là-bas à faire la même opération aux cuisines.
MADAME DE METTEMBERG.
Allons, mon cher comte, il est temps de nous rendre auprès de la reine mère.
D’ARMFELD.
Hélas ! oui...
À Nicolas.
Dans un moment, je reviendrai te voir travailler.
NICOLAS.
À votre aise !
D’ARMFELD, revenant.
Ah ! j’oubliais... un tour de clef à cette chambre où la belle Louise s’est retirée, et dont la croisée n’a pas de gouttière, heureusement !... Vous permettez ?
MADAME DE METTEMBERG.
Comment donc ! c’est votre affaire ; mais aux précautions que vous prenez...
D’ARMFELD.
Eh bien !
MADAME DE METTEMBERG.
Ma foi, je ne réponds plus de rien... Venez...
Ils sortent.
Scène VI
NICOLAS, seul
En attendant, ils ne m’ont pas dit où était Mlle Gothe. Si je faisais usage de mon gosier de rossignol ? Gothe ne peut pas être loin, c’est bien à une fenêtre comme celle-là que je l’ai vue tout à l’heure... et dès qu’elle reconnaîtra les organes de son Nicolas, elle accourra, c’est sûr... Allons !
Il chante.
Scène VII
NICOLAS, GOTHE, en dehors
GOTHE, appelant.
Nicolas ! Nicolas !
NICOLAS.
Elle m’appelle, elle m’a entendu.
GOTHE.
Est-ce toi, Nicolas ?
NICOLAS.
Moi-même ! mais où es-tu donc ?
GOTHE.
Dans la chambre à gauche, où nous sommes enfermées...
NICOLAS, allant à la porte.
Comment, enfermées ! ah ! quel dommage ! je ne pourrai donc pas te voir ?...
GOTHE.
Dame ! à moins que ce ne soit par le trou de la serrure. Mais que nous sommes bêtes !... tu n’as qu’à ouvrir la porte...
NICOLAS.
Il n’y a pas de clef.
GOTHE.
Eh bien, est-ce que tu en as besoin ?... Est-ce que tu ne sais plus ton métier ?
NICOLAS.
Tiens, c’est juste, moi qui n’y pensais pas. Ce que c’est que d’être serrurier !
Il ouvre, Gothe sort, il l’embrasse.
Ma chère Gothe !
GOTHE.
Mon bon Nicolas !... tu as donc reçu mon petit mot ?
NICOLAS.
Lui-même.
GOTHE.
Et tu es vite accouru ! c’est gentil de ta part. D’abord, tu nous as délivrées... ensuite, mademoiselle va peut-être se marier... et je veux faire comme elle ; arrange-toi pour ça.
NICOLAS.
C’est ton idée ?... comme ça se trouve, c’était la mienne aussi... tout me réussit en ce moment... même mes maladresses...
GOTHE.
Plaît-il ?...
NICOLAS.
L’autre jour, dans la forêt, j’entends galoper derrière moi, c’était un cheval qui avait le mors aux dents. La peur me prend. Je veux m’en sauver... je me flanque par terre, je me crois flambé... pas du tout, le cheval s’arrête tout court, et il se trouve que j’ai fait une belle action... C’était notre jeune roi qui était sur le cheval, j’avais sauvé la monarchie... en déchirant mon pantalon.
GOTHE.
Et l’on te récompense ?...
NICOLAS.
D’une belle bourse... toute pleine... On a cru que c’était du dévouement... c’était de la peur...
Pendant ces paroles, il est allé à la fenêtre et s’est mis à prendre des mesures.
GOTHE.
Eh bien !... tu me laisses là ?... que fais-tu donc à cette fenêtre ?
NICOLAS.
Je suis né coiffé, parole d’honneur ! cinq pieds et demi sur quatre un quart, juste celle que j’ai en bas... Je m’eu vais la faire monter. GOTHE.
Quoi donc ?
NICOLAS.
Mais la commande de la vieille dame... une grille pour cette fenêtre.
GOTHE, à part.
Oh ! mon Dieu ! et le roi qui doit revenir par là.
Haut.
Comment ! tu vas nous griller ?
NICOLAS.
C’est une commande.
GOTHE.
Et moi, c’est une défense que je te fais.
NICOLAS.
Ne dis pas cela, je t’en prie.
GOTHE.
Pourquoi, s’il vous plaît ?
NICOLAS.
Parce que je ne pourrais pas t’obéir.
GOTHE.
Comment, monsieur !...
NICOLAS.
Réfléchis donc, une commande !... Un autre, à mon refus, ferait la besogne, aurait le profit... il vaut bien mieux...
Appelant par la fenêtre.
Ho ! hé ! là-bas ! brrrr ! montez la grille !
GOTHE.
Tu oses !...
NICOLAS.
Veux-tu que je perde la pratique du château !... D’ailleurs, une croisée... c’est pour donner du jour, de l’air à une chambre... une grille n’empêche rien de tout cela.
GOTHE.
N’empêche rien... n’empêche rien...
NICOLAS.
Est-ce que vous en auriez besoin pour autre chose ?
GOTHE.
Monsieur Nicolas !
NICOLAS.
Dame ! la gouttière est large, tu es gentille, et cette inimitié que tu montres pour un objet d’art qui ne peut avoir d’autre inconvénient que de vous préserver des amants et des matous...
GOTHE.
Est-ce que tu serais jaloux, par hasard ?
NICOLAS.
Moi ? ah ! bien, oui ! Seulement, j’étranglerais volontiers le premier qui te dirait des douceurs...
Ici deux ouvriers apportent la grille.
Ah ! vous voilà, vous autres. Posez-la près de cette fenêtre, et allez achever votre besogne en bas.
Les ouvriers sortent, après avoir obéi.
GOTHE.
Ainsi, tu persistes ? Un amant qui vous enferme ! Fi ! monsieur ! fi !
NICOLAS.
C’est pour t’habituer au mari.
GOTHE.
Mais c’est affreux ! c’est abominable !
NICOLAS.
Quoi donc ?... de mettre en sûreté un trésor ?
GOTHE.
Quelle indignité !
NICOLAS.
Mais non, rien ne me paraît mieux inventé que le grillage.
GOTHE.
Je vais trouver mademoiselle, et nous verrons.
NICOLAS.
Embrasse-moi.
GOTHE.
Ne m’approchez pas ! Je vous déteste.
Elle sort.
Scène VIII
NICOLAS, puis LE ROI
La nuit vient petit à petit.
NICOLAS.
Elle m’en veut, elle est furieuse... ah ! oui-da !... raison de plus pour que je me hâte de poser cette grille.
Il se remet à la besogne.
Le vieux n’a pas une si mauvaise idée... il y a du louche là-dessous, et il vaut mieux prendre ses précautions avant qu’après.
Il commence à travailler à la fenêtre.
LE ROI, paraissant en magicien sur la gouttière.
Que fais-tu là ?
NICOLAS, effrayé.
Ah ! mon Dieu ! un fantôme !... une apparition ! Satan peut-être !
LE ROI, ôtant son bonnet et sa fausse barbe.
Rassure-toi, je ne suis pas tout à fait si diable que j’en ai l’air.
NICOLAS.
Dieu me pardonne ! c’est notre jeune roi ! Eh bien, au premier coup d’œil, je n’aurais jamais cru que votre royaume était de ce monde.
LE ROI.
Tu me reconnais, attends donc... n’es-tu pas l’ouvrier qui s’est précipité au-devant de mon cheval ?
NICOLAS.
Ne confondons pas, je suis tombé tout bêtement.
LE ROI.
N’importe, tu n’en as que plus de mérite. Maintenant, livre-moi passage !
NICOLAS, faisant un mouvement respectueux de retraite, puis se ravisant.
Ah ! diable ! c’est que justement, on m’a ordonné de poser cette grille
Il la montre.
pour vous empêcher de passer.
LE ROI.
Comment ! toi qui m’as sauvé la vie, tu oserais me laisser sur une gouttière ?
Lui jetant une bourse.
Tiens, voilà la clef de ta serrure.
NICOLAS, vivement.
Donnez-vous donc la peine d’entrer.
LE ROI, sautant dans la chambre.
C’est bien heureux.
Scène IX
NICOLAS, LE ROI, LOUISE, GOTHE
GOTHE, entrant la première.
Venez, venez, mademoiselle, venez parler à M. Nicolas.
Apercevant le roi.
Tiens ! il n’est pas seul !
LOUISE.
Le roi !
Elle court à lui.
Moi qui croyais, d’après ce qu’est venue me conter Gothe, que tout chemin vous était fermé.
LE ROI.
Oui, mais monsieur... Nicolas n’a pas hésité entre le rôle de notre bon ou de notre mauvais génie, et me voici, fidèle à ma parole.
NICOLAS, bas à Gothe.
Fallait donc me prévenir que mademoiselle attendait quelqu’un.
GOTHE, sèchement.
Je vous défends de me parler.
LE ROI, ouvrant un paquet qu’il a jeté sur une chaise en entrant.
Voilà le costume que je vous apporte.
LOUISE.
Oh ! qu’il est joli ! et combien j’aime mieux cela que les présents de noce de M. d’Armfeld.
LE ROI.
Nous n’avons pas un moment à perdre, allez vite vous habiller, je vous attends.
LOUISE.
Air.
Ah ! quel plaisir nous promet cette fête !...
LE ROI.
Vous en serez la reine, assurément !
NICOLAS.
Pendant ce temps, moi, près de ma conquête...
Il veut prendre Gothe par la taille.
GOTHE, le repoussant.
Vous tomberez à genoux humblement.
LOUISE.
Comme bientôt je m’en vais rire
De mon vieux futur si jaloux,
Qui croira qu’ici je soupire
Enfermée et sous les verrous...
Ensemble.
LE ROI.
Allez, ma gentille compagne,
Mettre ces habits élégants,
Et faisons-leur voir ce qu’on gagne
À vouloir enfermer les gens.
LOUISE.
Oui, votre joyeuse compagne,
Court mettre ces ajustements :
Bientôt, ils verront ce qu’on gagne
À vouloir enfermer les gens.
NICOLAS et GOTHE.
Que le plaisir les accompagne,
Ces deux beaux et charmants enfants.
Bientôt, on verra ce qu’on gagne
À vouloir enfermer les gens.
NICOLAS, à Gothe.
Tu me pardonneras ma grille ?
GOTHE.
Vous, jaloux ! quel vilain travers !...
NICOLAS.
Ah ! la clémence en ton œil brille,
Le serrurier veut mourir dans tes fers.
LE ROI, à Louise.
Partez, pour revenir plus vite.
Retenant Gothe.
Toi, rattache un peu mon rabat...
Il l’embrasse.
NICOLAS.
Que faites-vous donc ?
LE ROI.
Moi ? j’acquitte
Les services rendus... à l’État...
Louise et Gothe sortent.
Scène X
LE ROI, NICOLAS
NICOLAS, se grattant l’oreille.
À l’État !... à l’État !... ce n’est pas au mien... état... toujours...
LE ROI.
Que veux-tu dire ?...
NICOLAS.
Que si vous récompensez ainsi la femme quand le mari vous rend service... je suis bien votre serviteur... je vas sceller la grille.
LE ROI, l’arrêtant.
Je te le défends !... Eh quoi ! tu te fâches... pour un baiser !...
NICOLAS.
Pour un baiser !... Que voulez-vous donc que j’attende pour me fâcher ?
LE ROI.
Ne vois-tu pas que celui-là n’est que de... circonstance.
NICOLAS.
De circonstance ?
LE ROI.
Sans doute. Gothe me rattache mon rabat ; je vois près de mes lèvres un joli visage : naturellement... je l’embrasse... On ne peut guère faire autrement.
NICOLAS.
Ah ! oui-da !...
LE ROI.
Ce n’est qu’un accident, et... tu n’as rien à dire.
NICOLAS.
Bien ! bien !... Mais de peur d’accident...
LE ROI, l’arrêtant.
Décidément tu manques de logique, Nicolas ; qui dit accident, dit une chose qui n’arrive qu’une fois...
NICOLAS.
Une fois, bien sûr ?... Et vous n’y reviendrez plus ?...
LE ROI.
Je n’ai pas tous les jours des rabats à me faire rattacher.
NICOLAS.
Vous pourriez en faire venir la mode.
LE ROI.
Eh bien ! dans ce cas, je te promets de m’adresser à une autre, à ma jolie petite Louise.
NICOLAS.
Bien vrai ! Oh ! alors, je crois que je puis sans danger ne pas sceller la grille.
LE ROI.
Eh ! sans doute !... nigaud !... Et dire qu’on fait tout pour m’empêcher de la voir, de me rapprocher d’elle !... Encore aujourd’hui l’invention de cette grille !... Ils m’ont donc espionné, suivi !... Cependant je suis le maître ici, ils me le disent tous !
NICOLAS.
Oui, mais un maître qui a un gouverneur !
LE ROI.
Ne suis-je pas un grand prince ? Ne le disent-ils pas tous encore ?...
NICOLAS.
Oui, mais un grand prince pas plus haut que ça !...
LE ROI.
La grandeur ne se mesure pas à la taille !... Et... nous verrons !
NICOLAS.
Ah ! si j’étais à votre place !
LE ROI.
Que ferais-tu ?...
NICOLAS.
Je ne quitterais pas celle que j’aime un seul moment.
LE ROI.
Je ferai comme tu dis.
NICOLAS.
Et si je savais qu’on eût ordonné à un serviteur de mettre une barrière entre elle et moi...
LE ROI.
Que ferais-tu encore ?...
NICOLAS.
Air.
Si j’étais roi !
J’ordonnerais au serrurier rebelle,
De n’obéir jamais qu’à moi,
Si j’étais roi !
Et pour mieux provoquer son zèle,
J’emplirais d’or son escarcelle,
Si j’étais roi !
LE ROI.
Je suis le roi !
Et je t’ordonne, ô serrurier rebelle,
De n’obéir jamais qu’à moi !
Ce sont mes lois.
Et, pour mieux provoquer ton zèle,
Je...
Ici, le roi fouille dans sa poche ; Nicolas tend vivement la main. Le roi, un peu confus, retire la sienne vide, et prenant son parti.
J’emplirai d’or ton escarcelle...
Une autre fois !
NICOLAS, réfléchissant.
Ah ! diable !
LE ROI.
Qu’as-tu donc ?
NICOLAS.
On va voir que je n’ai pas fait ma besogne, et l’on en chargera un autre. Oh ! une idée ! si je scellais la grille... sans la sceller... de manière qu’elle en eût l’air seulement, et qu’elle pût s’ouvrir et se fermer à volonté comme un volet !...
LE ROI, sautant de joie.
Admirable !
Avec gravité.
Nicolas, je n’aurai jamais d’autre serrurier que toi.
NICOLAS.
Vite, à l’ouvrage !...
Il va prendre la grille, fait quelques pas en la portant, puis la laisse retomber.
Air.
Mais, sous le poids, ma force cède !
LE ROI.
Comment ?
NICOLAS.
Ces barreaux sont trop lourds !
Essayant encore.
Vraiment, il me faudrait un aide...
LE ROI.
Eh bien !...je t’offre mon secours !...
NICOLAS.
Quoi ! vous m’offrez votre royal secours !...
Ils transportent la grille.
Ne lâchez pas, la charge est bonne ;
En route, il ne faut pas rester.
LE ROI.
Tout lourds qu’ils sont, le sceptre et la couronne
Seront, je crois, moins pesants à porter.
NICOLAS.
Quel honneur, quand j’y pense !
Est-il gentil, est-il mignon !
Pour un serrurier, quelle chance !
Avoir un roi pour compagnon !
LE ROI, écoutant.
Mais, chut !... du bruit !... Ô ciel ! que faire ?
En ces lieux, on vient me chercher !...
Je crains que la reine, ma mère...
Où me cacher ?
NICOLAS.
Non ! non ! au diable les cachettes !
Prenez ce tablier,
Et puis ma veste, et ces gâchettes.
Prenez surtout un peu l’air du métier,
L’allure enfin et les mines coquettes
De Nicolas, le galant serrurier :
On nous croira le maître et l’ouvrier.
Ensemble.
Pendant que le roi achève de se déguiser, et Nicolas de poser la grille.
Quel honneur, quand j’y pense !
Est-il gentil, etc.
LE ROI.
Quel honneur ! quelle chance !
Je suis serrurier, quel renom !
Mais un roi peut bien, je le pense,
Se montrer fort bon compagnon !
Scène XI
LE ROI, déguisé, D’ARMFELD, NICOLAS
D’ARMFELD, à Nicolas.
Eh bien, as-tu fini ?
NICOLAS.
Oh ! maintenant, monsieur le comte, Vous pouvez être bien tranquille ; mon jeune compagnon et moi, nous avons fait de la bonne besogne, et il faudra que les amoureux prennent un autre chemin s’ils veulent arriver jusqu’ici.
D’ARMFELD, à part.
Les amoureux !... Ce malotru soupçonnerait-il mes craintes ? Allons, me voilà compromis avec un manant !...
NICOLAS.
Derrière une grille comme celle-là, si bien scellée, les filles d’honneur pourront dormir sur leurs deux oreilles, le roi ne pourra pas venir les réveiller.
D’ARMFELD, à part.
Allons, décidément le butor a tout compris.
NICOLAS, au roi.
N’est-ce pas, compagnon ?
LE ROI, bas.
Prends donc garde ! tu vas me faire reconnaître.
D’ARMFELD, à part.
Trompons l’instinct de ce jeune cyclope.
Haut.
Quelles billevesées, l’ami, t’es-tu mises dans la tête ?... songer aux filles d’honneur de la reine !... Non, non, le roi respecte trop sa mère pour cela.
NICOLAS, à part.
Oui ! croyez au respect quand l’amour vous a pincé le cœur !...
D’ARMFELD.
Ah ! si tu disais les filles de service de ces demoiselles... il en est de jolies, de piquantes... celle de mademoiselle Louise de Listal, par exemple.
LE ROI, à part.
Aïe !... aïe !...
NICOLAS, quittant son travail.
Quoi, monseigneur ! vous pensez que si le jeune roi se glisse quelquefois dans le quartier des filles de la reine, c’est pour Gothe ?
D’ARMFELD.
Il faut bien que ce soit pour quelqu’un. Entre nous, je l’ai surpris un jour lui donnant un baiser.
NICOLAS.
Un baiser !...
LE ROI, à part.
Eh bien, il ne ment pas mal pour un gouverneur !
NICOLAS, avec rage.
Oh !... moi aussi, je l’ai surpris !... ça fait deux baisers !
D’ARMFELD, à part.
Le rustre est tout à fait dépaysé.
NICOLAS, au roi.
Compagnon ?...
LE ROI, bas.
Vous faut-il quelque chose, maître Nicolas ?...
NICOLAS, bas, furieux.
Vous avez entendu... il y a eu deux accidents !...
LE ROI, bas.
Un seul, je te le jure !
NICOLAS.
Suffit ! suffit !...
LE ROI, à part.
Il est capable de faire quelque sottise.
NICOLAS, bas, au roi.
Je n’attendrai pas le troisième.
LE ROI, bas.
Mon petit Nicolas ?...
NICOLAS, de même.
Non.
LE ROI, bas.
Mon bon Nicolas...
NICOLAS, de même.
Non... dans cinq minutes tout sera bâclé !... et pour m’empêcher de faiblir...
Haut, à d’Armfeld.
Monseigneur, vous êtes ici dans un bois... vous êtes entouré de brigands.
D’ARMFELD.
Je suis entouré !...
NICOLAS.
Oui, la grille n’est pas scellée.
D’ARMFELD, courant à la grille.
Hein ?...
LE ROI, bas, à Nicolas.
Silence, malheureux !
D’ARMFELD, à la grille.
Et qui t’a empêché de faire ce travail que je t’avais commandé ?
NICOLAS.
C’est...
LE ROI, bas, à Nicolas.
Si tu me nommes, tu es mort !
D’ARMFELD.
Répondras-tu ?...
NICOLAS.
Dame... monseigneur... c’est... c’est... un esprit... un démon... et bien malin encore... qui est tombé du ciel... un magicien qui m’est apparu à cette fenêtre, et qui m’a commandé tout le contraire... de votre commande.
D’ARMFELD.
Misérable ! quel conte me fais-tu là ?... si d’ici à un quart d’heure ta besogne n’est pas achevée, je te fais mourir sous le bâton...
NICOLAS.
Oh ! soyez tranquille, elle le sera.
À part.
Un baiser passe ; mais deux !...
LE ROI, bas, à Nicolas.
Ah ! c’est comme ça ! Eh bien ! tu ne m’attraperas pas, Nicolas !... et tant pis s’il t’arrive malheur !...
Enfonçant sa casquette sur ses yeux, écartant vivement Nicolas, et s’approchant de d’Armfeld. Haut. Blésant et bégayant pour déguiser sa voix tout le temps qu’il reste en présence de d’Armfeld.
Mon... mon... monsieur le comte, je viens de cau... cau... causer avec ma con... conscience.
D’ARMFELD.
En voilà un qui prononce mal ! on voit bien qu’il n’a pas eu de gouverneur !
LE ROI.
Et elle m’ordonne de vous dire que cet homme vous trompe.
D’ARMFELD.
Lui !
NICOLAS, à part, stupéfait.
Il m’accuse !
Haut.
Tromper monseigneur... moi, naïf serrurier !... trop naïf !
D’ARMFELD.
Comment me tromperait-il ?... en avouant qu’il m’a trompé ?...
LE ROI.
Oui, il avoue... mais pour mieux surprendre votre confiance... la grille n’est pas scellée ; mais elle ne le sera pas.
NICOLAS.
Je jure bien que si, par exemple !
LE ROI, appuyant.
Elle... ne... le... sera pas !
D’ARMFELD.
Ah !
LE ROI.
Car il s’entend avec notre jeune roi.
NICOLAS.
C’est trop fort !... j’aimerais mieux m’entendre avec le diable !
LE ROI, continuant.
Oui, oui, il s’entend avec lui... le roi l’a suborné ; et la preuve...
Passant lestement derrière Nicolas et enlevant, de sa poche, la bourse qu’il lui a donnée.
Voilà la bourse qu’il en a reçue.
NICOLAS, furieux, à part.
Oh ! le petit serpent ! il me dévalise ! Fréquentez donc des gens qui ne sont pas de bonne condition.
D’ARMFELD, qui a pris la bourse et l’a examinée.
L’enfant dit vrai !... marquée au chiffre royal !
À Nicolas.
Traître ! on te l’a donnée, ou tu l’as prise, choisis.
NICOLAS, reprenant vivement la bourse.
Donnée !
D’ARMFELD.
C’est la même chose ! et un cachot t’apprendra...
NICOLAS.
C’est pour ça que vous me donnez à choisir !
À part.
Me voilà joli garçon !
Haut.
Grâce, M. le comte !... Oui ! je voulais d’abord manquer à ma commande...
LE ROI, à d’Armfeld.
Vous l’entendez !...
NICOLAS.
Mais c’était pour obéir à mon souverain... Je vous le demande, pouvais-je désobéir à mon souverain ?
LE ROI, bas, à Nicolas.
Eh ! que fais-tu donc, animal ?
NICOLAS, continuant.
Pouvais-je croire qu’il serait capable...
LE ROI.
Ne l’écoutez pas, monseigneur, il cherche à embrouiller la question ; parce qu’il est coupable
À part.
et stupide !
Haut.
Et pour le punir d’une manière plus terrible même que le cachot, il suffira de le chasser loin de votre personne éminente, en me chargeant, moi, son petit compagnon, de la besogne.
NICOLAS.
Ah ! elle sera bien faite.
LE ROI.
Je m’en vante.
NICOLAS.
Vous verrez comme il s’en tirera ! un paresseux, un bon à rien !
LE ROI.
Parce que je n’ai pas voulu vous aider dans votre crime.
NICOLAS.
C’est trop fort, par exemple, vous qui...
D’ARMFELD.
Tais-toi... je goûte l’avis du petit bonhomme.
NICOLAS.
Il est drôle, son avis !
LE ROI.
Puisque monseigneur le goûte, qu’as-tu à dire ?...
NICOLAS.
Eh bien, j’ai à dire à monseigneur...
D’ARMFELD.
J’en sais assez.
LE ROI.
Nous en savons assez.
NICOLAS.
Ah ! j’enrage ! M. le comte, c’est dans votre intérêt... écoutez-moi.
D’ARMFELD.
Pas un mot de plus.
NICOLAS.
Mais...
LE ROI, imitant d’Armfeld.
Pas un mot de plus ! tu manques de respect à monseigneur.
NICOLAS, à part.
Quelle situation ! mon Dieu !
D’ARMFELD.
Sors d’ici, misérable, en rendant grâce à ma bonté et en remerciant ton compagnon qui m’a conseillé l’indulgence.
LE ROI.
Oui, remercie-moi.
NICOLAS, furieux.
Jamais ! je vous maudis !
D’ARMFELD.
Insolent ! prends garde de lasser ma patience.
LE ROI, de même.
Oui. Prends garde !
NICOLAS, sur un geste de d’Armfeld.
Je m’en vas... je m’en vas, monseigneur...
À part.
Le laisser ici près de Gothe !... Oh ! je reviendrai !
LE ROI, le suivant et le poussant.
Sans adieu, maître Nicolas...
Scène XII
D’ARMFELD, LE ROI
LE ROI, revenant vers d’Armfeld.
Enfin, nous en voilà débarrassés !
D’ARMFELD.
A-t-on vu un drôle comme ce Nicolas ! pousser la perfidie jusqu’à me dire la vérité !...
LE ROI.
C’est indigne !... Je gage bien qu’on ne verrait jamais ces choses-là à la cour.
D’ARMFELD.
Si fait, si fait, souvent... mais tu es un brave garçon, toi... et tu vas...
LE ROI.
Oh ! soyez tranquille ; ce que je ferai ne se défera jamais !
D’ARMFELD.
Notre jeune roi se croit bien malin... Eh bien ! je le suis encore plus.
LE ROI.
Vous ! c’est-à-dire que vous êtes pétri de finesse, depuis les pieds jusqu’à la nuque.
D’ARMFELD.
Cet enfant se connaît déjà en hommes !
LE ROI, continuant.
Pourtant, faudrait pas encore trop vous y fier : il est si astucieux, notre monarque !
D’ARMFELD.
Oh ! je lui défends bien de m’attraper, à présent ! d’abord, tu vas te mettre sur le champ à la besogne.
LE ROI, embarrassé.
Certainement ! certainement... que je vas...
D’ARMFELD.
Et pour plus de sûreté, c’est sous mes yeux que tu travailleras.
LE ROI, effrayé.
Sous vos yeux...
À part.
Miséricorde ! mais il va voir que je ne fais rien du tout !
D’ARMFELD.
À l’ouvrage !
LE ROI.
J’y suis, monseigneur...
À part.
J’aimerais encore mieux être dans la salle du conseil !
Tournant et retournant les outils de Nicolas.
Comment me servir de ces machines-là ?...
D’ARMFELD.
Allons, allons, je suis pressé !
LE ROI.
Vraiment ! oh ! bien alors, ne vous gênez pas ; que vous soyez là ou que vous n’y soyez pas, ça ira... tout aussi bien d’abord... il vaut même mieux que vous n’y soyez pas.
D’ARMFELD, sévèrement.
Tu crains mes regards ?...
LE ROI, vivement.
Moi ! vous allez voir ! vous allez voir !
À part.
Qu’est-ce que je vais lui faire voir, mon Dieu ?...
D’ARMFELD, avec impatience.
J’attends !
LE ROI, prenant un marteau.
Voilà ! voilà !
À part.
Bah ! je taperai comme un sourd.
Frappant et lâchant le marteau.
Aïe ! aïe !
D’ARMFELD.
Eh bien ! maladroit ! c’est sur tes doigts que tu frappes !... Est-ce que Nicolas aurait eu raison ?... ne saurais-tu rien faire ?... Je te donne une demi-heure pour finir... ou sinon...
LE ROI, à part.
Il me donnerait tout le temps de mon règne que... Et le bal qui va commencer !... Et Louise qui va venir !... Oh ! décidément, il faut qu’il s’en aille.
D’ARMFELD, tirant sa montre.
Voyons, il est...
À part.
Ah ! diable ! l’heure de mon service... Et mon costume de bal à mettre ! et ce petit drôle à surveiller !... comment faire tout cela à la fois ?...
LE ROI, à part.
Comment le mettre dehors par les épaules ?...
Sautant de joie tout à coup.
J’ai trouvé... j’ai trouvé !...
D’ARMFELD.
Quoi donc ?...
LE ROI.
L’outil que je cherchais.
Il tire une feuille de papier et un crayon de sa poche et se met à écrire en se cachant de d’Armfeld.
D’ARMFELD.
C’est heureux !
À part, se grattant l’oreille.
Moi, je n’ai rien trouvé du tout.
LE ROI, pliant le papier, à part.
Et maintenant, mon cher gouverneur va me céder la place.
D’ARMFELD, se grattant toujours.
C’est singulier... j’ai beau réfléchir...
LE ROI, s’approchant de d’Armfeld.
Pardon, excuse, M. le comte, voici un poulet pour vous... qui flânait dans ma poche... histoire d’oublier... et qui a été apporté par un domestique tout petit... tout petit...
D’ARMFELD, prenant le papier.
Un billet pour moi !...
Lisant.
« Le roi vous attend dans son cabinet... Signé Maximilien. »
À lui-même.
C’est bien l’écriture du prince... Diable !... il faut que je m’éloigne... que je laisse à la merci de son audace...
Partant d’un éclat de rire.
Ah ! ah ! ah ! puisque je vais le trouver dans son cabinet... je n’ai pas craindre sa présence ici... malgré toute sa puissance, mon jeune maître ne peut pas être double... que j’étais simple !
Au roi.
Je suis forcé de m’éloigner.
LE ROI, à part.
Je l’espérais bien...
D’ARMFELD, continuant.
Toi, termine promptement, et tu seras récompensé.
Il sort.
Scène XIII
LE ROI, seul
En déroute, mon gouverneur ! en déroute, Nicolas ! en déroute tous mes ennemis ! Je triomphe ! je suis heureux comme... Eh ! parbleu !... comme un roi ! Oui ; mais cette grille... Eh ! que m’importe ? puisque rien ne m’empêche aujourd’hui d’emmener Louise au bal !... elle va venir !... hâtons-nous de nous débarrasser de tout cet attirail...
Il jette la casquette, le tablier et la veste. Écoutant.
Mais j’entends monter quatre à quatre... Je tremble... Ah ! c’est Nicolas !
Scène XIV
LE ROI, NICOLAS
NICOLAS, entrant.
Ouf !... j’arrive à temps !
LE ROI.
Ah ! te voilà encore, tu oses ! artisan... de... de désordre.
NICOLAS.
Au contraire !... je suis pour l’ordre... je viens pour remettre tout en ordre.
LE ROI.
Tu viens pour recevoir le châtiment que tu mérites...
Il le prend par l’oreille.
NICOLAS, avec dédain.
Tirez, tirez, sire ! si ça vous fait plaisir ; mais rien ne m’empêchera de supprimer des baisers...
LE ROI.
Imbécile ! ne vois-tu pas que c’est un mouvement machinal,
NICOLAS, stupéfait.
Machinal !
LE ROI.
Tu les as donc bien sur le cœur ?...
NICOLAS.
Oh ! cent fois plus que Gothe sur ses joues ?...
LE ROI.
Eh bien !... on les reprendra...
NICOLAS, vivement.
Par exemple !
LE ROI.
Que veux-tu donc alors ?... car vraiment, on ne sait comment te satisfaire. Mais c’est assez plaisanter ; mon gouverneur t’a fait un conte pour te mettre de son parti. Tu sais que je viens ici pour mademoiselle de Listal, et non pour mademoiselle Gothe. Tout roi que je suis, je ne peux pas danser avec tout le monde. Je n’ai embrassé ton amoureuse ni deux fois, ni trois fois ; mais une, et je n’y pense pas plus qu’au grand Turc. Je pourrai l’embrasser encore...
NICOLAS.
Plaît-il ?...
LE ROI.
Sans y penser davantage... Loin de te fâcher, ça doit te faire plaisir, puisque ça prouve qu’elle est jolie !
NICOLAS.
Merci bien !
LE ROI.
Et après des explications si franches, où je me suis montré... si bon prince, tu vas me demander pardon, à l’instant, si tu n’es pas un imbécile !
NICOLAS.
Au fait... j’y pense... vous êtes le roi de Bavière, et vous ne pouvez pas aimer une simple bavaroise !
LE ROI.
Ah !... tu comprends, enfin !...
NICOLAS.
Oui, oui, et je consens à vous servir à deux conditions : c’est que vous me nommerez serrurier du château à perpétuité, et que vous ne ferez jamais monter Gothe sur le trône.
LE ROI.
Jamais ! je te le promets... Mais Louise tarde bien.
Scène XV
LE ROI, NICOLAS, LOUISE, GOTHE
LOUISE, en parure de bal masqué.
Me voilà !
LE ROI.
Dieu ! qu’elle est jolie ainsi !...
LOUISE.
Vous trouvez ?...
LE ROI.
Regarde donc, Nicolas.
Il continue à causer bas avec Louise.
NICOLAS.
Pardon, sire, mon œil est occupé pour le moment.
GOTHE, fâchée.
Occupez-vous de poser votre grille.
NICOLAS.
Tu l’as donc toujours sur le cœur ? Eh bien !... pour te la rendre plus légère, elle tournera... comme une girouette.
GOTHE.
Comme votre tête, alors.
NICOLAS.
Oh !... pour celle-là... fixée, de ton côté, et pour toujours. Mais je descends et je remonte tout de suite.
GOTHE.
Où allez-vous donc ?
NICOLAS.
Chercher des pivots et des gonds.
GOTHE.
Pour vous fixer ?
NICOLAS.
Pour te fixer... je reviens.
Il sort un moment.
GOTHE, à Louise.
Eh bien ! mademoiselle, vous ne partez donc pas ?
LE ROI.
Tiens, c’est vrai ! Gothe a raison. Nous restons là à causer... comme si le bal ne nous attendait pas. Mettez vite votre loup, moi mon masque, et partons.
NICOLAS, en dehors.
C’est affreux !... c’est abominable !...
LOUISE.
Ah ! mon Dieu !... quel est ce bruit ?...
GOTHE.
C’est la voix de Nicolas.
LE ROI.
À qui en a-t-il encore ?...
NICOLAS, entrant, une lettre à la main, à Gothe.
Perfide ! traîtresse !... vous ne pouvez plus me tromper maintenant, j’ai des preuves.
LE ROI et GOTHE.
Des preuves ?
NICOLAS.
Oui, ce billet que je viens de trouver dans l’escalier.
GOTHE.
Un billet !
NICOLAS.
Oui, oui, signé Gothe en toutes lettres, pour donner un rendez-vous... le rendez-vous du baiser, sans doute.
LE ROI, arrachant le billet.
Un rendez-vous, à moi ?
Après avoir lu.
Oh ! quel bonheur ! nous sommes sauvés !... Louise, vous n’épouserez pas M. d’Armfeld, et c’est à Nicolas, à lui que vous le devrez. Ah ! mon ami, il faut que je t’embrasse !
NICOLAS.
Doucement ! doucement !... Envoyez des baisers à votre peuple du haut de votre balcon, si vous voulez ; j’en prendrai ma part, si ça me convient ; mais de près... respectez votre victime.
LOUISE.
Que signifie ?...
LE ROI.
Ça signifie que cette lettre est bien signée Gothe !...
GOTHE.
Par exemple !...
LE ROI.
Mais Gothe... de Neubourg !
LOUISE.
Il serait possible !... ma tante !...
NICOLAS.
Ah ! bah ! la vieille dame !...
LE ROI.
Oui, elle-même, et le rendez-vous est pour mon cher gouverneur.
LOUISE.
Oh ! que c’est drôle !...
GOTHE.
Eh bien qu’est-ce que vous dites de cela, monsieur Nicolas ?...
NICOLAS.
Je dis que je suis, dans un autre genre, un être tout aussi inconvenant... que le vieux monsieur.
LE ROI, avec un sérieux comique.
Ah ! il voulait vous épouser, vous, Louise, lorsqu’il entretenait un commerce coupable et... original avec une douairière !... Mais c’est tout à fait scandaleux, cela !...
LOUISE.
C’est abominable !
LE ROI.
Rassurez-vous : un roi est le gardien naturel des bonnes mœurs de son peuple... j’y veillerai. Allons au bal.
Il ouvre la porte et la referme vivement.
Ah ! mon Dieu ! madame de Mettemberg monte l’escalier.
LOUISE.
Quel malheur !
LE ROI.
Attendez... non, c’est très heureux, au contraire. Laissez-moi seul ici un moment avec elle, je ne tarderai pas à vous rappeler.
LOUISE.
Que prétendez-vous ?
LE ROI.
Chut !... la voilà... partez...
Ils entrent tous dans la chambre de Louise.
Scène XVI
LE ROI, MADAME DE METTEMBERG
Le roi, masqué, se retire un peu à l’écart.
MADAME DE METTEMBERG, entrant.
M. d’Armfeld m’envoie pour veiller sur ce qu’il appelle son trésor ! Ah ! ces hommes !... dès qu’on a quinze ans... Moi, je ne suis pas comme ça, tout ce qui est jeune me déplaît.
LE ROI, à part.
C’est bon à savoir !... on vous donnera du vieux, attendez...
Haut.
Pst ! pst !...
MADAME DE METTEMBERG, se retournant.
Qu’est-ce que c’est que ça ?... une personne déguisée... masquée... ici ?... Que signifie...
LE ROI, déguisant sa voix.
Silence !... ne faites pas de bruit... Rassurez-vous, c’est moi.
MADAME DE METTEMBERG.
Comment, vous ?...
LE ROI.
Oui, chère Gothe.
MADAME DE METTEMBERG.
Gothe ! mon prénom !... Qui ose ?...
LE ROI.
Moi, Gothe, moi qui me sens ivre de bonheur...
Il veut lui prendre la main.
MADAME DE METTEMBERG, reculant.
N’approchez pas !... Qui êtes-vous ?... Que voulez-vous ?...
LE ROI, continuant.
Tu le demandes !... après le rendez-vous que tu m’as donné ?...
MADAME DE METTEMBERG.
Qu’est-ce à dire !... Un rendez-vous !...
LE ROI.
Sans doute... de ta belle main blanche. Tiens, regarde.
Il lui met le billet sous les yeux.
MADAME DE METTEMBERG.
Ciel ! l’erreur de ma jeunesse au pouvoir d’un étranger !...
LE ROI.
Un étranger ! Gothe, peux-tu nommer ainsi l’ami de ton cœur ?...
MADAME DE METTEMBERG.
Ne me tutoyez pas, je vous prie, vous m’agacez horriblement les nerfs.
LE ROI.
On va les apaiser, ces pauvres petits nerfs...
Il veut lui prendre la main.
MADAME DE METTEMBERG, reculant.
Arrière ! arrière !...
Écoutant.
Ah ! Dieu soit loué ! on monte l’escalier... on vient à mon secours !...
LE ROI, fermant la porte et prenant la clef.
C’est ce que nous allons voir !...
MADAME DE METTEMBERG.
Il m’enferme à présent !... Ciel ! si c’était un voleur !...
D’ARMFELD, en dehors, frappant.
Ouvrez ! ouvrez !... c’est moi !...
MADAME DE METTEMBERG.
M. d’Armfeld !... Ah ! je vais...
LE ROI, l’interrompant.
Si vous dites un mot... je montre votre billet à toute la cour.
D’ARMFELD.
Qui donc a fermé cette porte ? Ouvrez !... ouvrez, madame... on cherche partout le roi... Sa Majesté est perdue...
MADAME DE METTEMBERG.
Le roi est égaré ?...
LE ROI, à part.
Il se retrouvera.
D’ARMFELD.
Il ne peut être qu’ici, et je veux entrer à l’instant...
LE ROI, élevant la voix.
Alors, allez chercher le serrurier qui a posé la grille...
D’ARMFELD, en dehors.
Qu’entends-je ?... Cette voix... Ah ! courons !...
LE ROI.
Je crois qu’il s’éloigne, nous n’avons plus rien à craindre.
MADAME DE METTEMBERG.
Plus rien à craindre ! quand vous me perdez ! Monsieur ! monsieur !... ouvrez cette porte... et laissez-moi ! laissez-moi !...
LE ROI.
Là ! là !... le tête-à-tête vous effarouche !... Il va cesser à l’instant.
Il ouvre la porte de Louise.
Venez tous.
Scène XVII
LE ROI, MADAME DE METTEMBERG, LOUISE, GOTHE, NICOLAS, puis D’ARMFELD, sur la gouttière
MADAME DE METTEMBERG.
Qu’est-ce à dire ? Louise en costume de bal !
LE ROI.
Où vous allez nous suivre, pour déclarer à la reine que le mariage de votre nièce avec M. d’Armfeld est rompu.
MADAME DE METTEMBERG.
Vous osez demander...
LE ROI, ôtant son masque.
Je fais plus... j’ordonne...
MADAME DE METTEMBERG.
Sa Majesté !...
D’ARMFELD, paraissant à la fenêtre.
Le roi ! j’en étais sûr !...
LE ROI.
Que vois-je ? mon cher gouverneur sur la gouttière ! Ah ! après une pareille preuve de son amour pour vous, madame, vous ne pouvez pas lui tenir plus longtemps rigueur.
D’ARMFELD.
Que signifie ?...
LE ROI.
On vous a donné un rendez-vous. Vous l’avez accepté, madame est compromise, et, à ma cour, j’entends qu’on épouse les femmes que l’on compromet.
D’ARMFELD.
Par exemple !...
MADAME DE METTEMBERG, à part.
Il se moque de nous !...
LE ROI.
Vous m’avez enseigné la morale, je la mets en pratique.
D’ARMFELD.
Mais, sire...
LE ROI.
Vous refusez ? Nicolas, va fermer la retraite à monsieur.
NICOLAS.
Oui, sire.
Il disparaît.
D’ARMFELD.
Comment ?
LE ROI.
Vous resterez là pour l’édification de toute la cour, mon cher gouverneur, jusqu’à ce que vous vous soumettiez.
D’ARMFELD.
Sire, c’est impossible, un pareil mariage me couvrirait de ridicule.
MADAME DE METTEMBERG.
Insolent ! qui vous dit que je consente...
LE ROI, à madame de Mettemberg.
Oh ! vous... j’ai là votre signature...
D’ARMFELD.
Nous forcer...
LE ROI.
N’était-ce pas le vœu de vos jeunes cœurs ?...
D’ARMFELD.
Jeunes, oui ; mais à présent je suis fiancé à mademoiselle de Listal...
LE ROI.
Mademoiselle Louise de Listal n’épousera qu’une personne de son choix... et du nôtre, M. Henry d’Alberg...
MADAME DE METTEMBERG.
Un simple capitaine !
LE ROI.
Nous le ferons colonel et... tout ce que Louise voudra. Eh bien, monsieur le comte, à quoi vous décidez-vous ?...
D’ARMFELD, piteusement.
Madame de Mettemberg ?...
MADAME DE METTEMBERG, de même.
M. d’Armfeld ?...
D’ARMFELD.
Qu’en dites-vous ?
MADAME DE METTEMBERG.
Hélas !... nous tâcherons de nous souvenir...
Au roi.
Maintenant, Sa Majesté daignera-t-elle me rendre le billet ?
LE ROI.
Après les deux mariages, madame, ce sera un de mes cadeaux de noce.
Nicolas paraît sur la gouttière et arrête d’Armfeld qui veut s’en aller.
NICOLAS.
Sire, que faut-il faire ?
LE ROI.
Laisse passer monsieur.
NICOLAS, poussant la grille.
C’est inutile, ça tourne.
D’ARMFELD, sautant dans la chambre.
Comment ! elle n’était pas encore scellée ! Ah ! si je l’avais su !...
LE ROI, prenant Louise par la main.
Et maintenant, partons tous pour le bal.