La Disgrâce des domestiques (CHEVALIER)
Comédie en un acte et en vers.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Marais, en 1662.
Personnages
POLICARPE, père d’Angélique
FABRICE, commis de Policarpe, et amoureux d’Angélique
GUILLOT, valet de Policarpe
ANGÉLIQUE, fille de Policarpe, amante de Fabrice
MAROTTE, servante d’Angélique
La Scène est dans la maison de Policarpe.
BELLE IRIS
C. D. B.
Je sais bien que vous me blâmerez de ce que je vous ai dédié ma petite Comédie de la Disgrâce des Domestiques, et que peut-être je me mets au hasard d’être disgracié d’auprès de vous pour toute ma vie en vous la dédiant, parce que vous l’offrir c’est faire un présent Burlesque à la personne du monde la plus sérieuse, toutefois si vous daignez vous souvenir qu’elle ne vous a pas déplu dans sa représentation : et que même elle a eu assez de bonheur pour vous faire dissiper un peu de chagrin, je m’imagine que vous pardonnerez facilement à la témérité qui m’a poussé à vous la donner, et que malgré ses défauts, vous aurez encor assez de bonté pour la regarder avec quelque sorte d’indulgence, pour peu que vous vouliez considérer que ce n’est que la grandeur de mon zèle qui m’a obligé à vous la présenter, joint que vous êtes trop aimable pour haïr le procédé de celui qui ne cherche autre chose, qu’à vous témoigner par toutes les actions de sa vie qu’il désire être éternellement,
BELLE IRIS,
Votre très humble, et très obéissant serviteur,
CHEVALIER.
À IRIS
Divin charme de l’univers
Je vous avais promis des vers,
Mais comment tenir ma promesse,
Vous êtes toute de beauté
Ma muse est toute de faiblesse,
Que faire en cette extrémité.
Si j’entreprends de vous louer
Vous allez m’en désavouer,
Parce que j’en suis incapable
Joint que les termes les plus doux
N’ont rien d’assez considérable,
Alors qu’il faut parler de vous.
Pourtant objet rare et charmant
Ce que l’on peut humainement,
Je m’en vais tâcher de le faire
Et si je n’y réussis pas
Ne me croyez point téméraire,
N’en accusez que vos appas.
Quand on vaut ce que vous valez
Qu’on parle comme vous parlez,
Qu’on est belle comme vous l’êtes
Qu’on a l’air comme vous l’avez
Qu’on fait tout bien comme vous faites,
Ce sont chefs-d’œuvre achevés.
Ainsi votre divin aspect
Imprime partout le respect,
Voyant cent miracles ensemble
Vos merveilleuses qualités
Font que notre liberté tremble,
Au moindre éclat de vos beautés.
Pardonnez-moi dans mes ardeurs
Si de tous vos adorateurs,
J’ose ici me mettre du nombre
Mes feux sont pour vous si puissants
Que l’amour même n’est que l’ombre
De celui que pour vous je sens.
J’aurais bien voulu le cacher
Mais quoi, je n’ai pu m’empêcher,
Aimable Iris de vous le dire
Quand j’aurais paru plus discret
Je souffrais un si grand martyre,
Qu’on aurait connu mon secret.
Permettez donc que dans ce jour,
Je vous déclare mon amour,
Par mes petits vers pleins de zèle
Et pour vous le bien exprimer
Je suis homme, et vous êtes belle,
Jugez si je vous dois aimer.
Oui, je vous aime belle Iris
Et je veux que dans mes écrits,
On voie éclater votre gloire
Afin cher objet mon vainqueur
Que votre adorable mémoire,
Soit partout comme dans mon cœur.
Scène première
GUILLOT, seul, tenant un pot en sa main dans lequel il vient de tirer du vin
Cependant que le Sieur Fabrice
Fait l’amoureux et le jocrisse,
Auprès d’Angélique aux yeux doux,
Je vais boire cinq ou six coups,
Mais qui diable vois-je paraître
C’est notre vieux marsouin de Maître,
Mettons notre pot dans ce coin
Nous le reprendrons au besoin,
Car me trouvant vidant la pinte
Il me donnerait quelque atteinte.
Il se cache.
Scène II
POLICARPE, FABRICE
POLICARPE.
Vite sortez d’ici faquin
Comment vous faites le bouquin,
Le godelureau, l’agréable
Le doucereux, le beau, l’affable,
Le dolent, l’amoureux transi
Encor un coup sortez d’ici
Et sans plus mugueter mes filles
Prenez votre sac et vos quilles,
Mais dépêchez de détaler
Sinon je vais vous étrangler.
FABRICE.
Monsieur quelle faute ai-je faite ?
POLICARPE.
Délogez vite et sans trompette,
Autrement vous verrez sur vous
Tomber une grêle de coups,
Vous savez que les coups de gaules
Sont antipodes des épaules,
Songez donc à vous évader
Ou je vais vous entipoder.
FABRICE.
Mais pourquoi faut-il que je sorte ?
POLICARPE.
Sans plus jaser gagne la porte,
Promptement vous dis-je, sinon
Je vous vais à coups de bâton
D’une fureur épouvantable
Envoyer la cervelle au Diable.
Scène III
FABRICE, seul
Hélas ! quel destin est le mien ?
Faut-il abandonner mon bien,
Faut-il par un malheur extrême
Quitter Angélique que j’aime,
Mais s’il est ordonné du sort
Perdant ce bien cherchons la mort,
Oui, oui, mourons...
Scène IV
GUILLOT, FABRICE
GUILLOT.
Fabrice arrête
Il ne faut pas être si bête,
Mais à propos ne craignons rien
Ce sont tours de Comédien,
Loin de mourir sur ma parole
Il boira tantôt comme un drôle,
La peste qu’il n’est pas si sot.
FABRICE.
Est-ce toi cher ami Guillot,
Sais-tu le malheur qui m’accable
Dit...
GUILLOT, s’étonnant.
Non, ou je me donne au Diable,
Si tu ne me le fais savoir.
FABRICE.
Guillot je suis au désespoir
Mon Maître m’a mis à la porte.
GUILLOT, s’étonnant toujours.
Notre Maître veut que tu sortes,
Au moins ne t’a-t-il pas chargé.
FABRICE.
Non, mais il m’a donné congé,
Juge par là de ma disgrâce.
GUILLOT, s’étonnant toujours.
Quoi donc notre Maître te chasse.
FABRICE.
Oui.
GUILLOT, s’étonnant toujours.
Tu n’es plus dans la maison,
Et l’on ne te veut plus voir.
FABRICE.
Non,
Et je n’ai plus nulle espérance.
GUILLOT, s’étonnant toujours, et faisant semblant d’en être fâché.
Il t’a banni de sa présence.
FABRICE.
Oui, vois quel malheur est le mien.
GUILLOT, témoignant beaucoup de joie.
Il a fait en homme de bien,
Et si m’en avait voulu croire
Il t’aurait brisé la mâchoire,
Il eut bien eu le diable au corps,
S’il ne t’avait pas mis dehors,
Va va bien loin qu’il m’en déplaise,
Je jure que j’en suis fort aise,
Étant chez nous il prit le train
De me faire enrager de faim,
Le traître employa son ménage
Jusques à rogner mon potage,
Et mon écuelle au bout d’un mois
Fut plus petite de trois doigts,
L’on ne voyait jamais en troupe
Rien qu’une misérable soupe,
Étendue tout de son long
Dans un malencontreux bouillon,
Encor pour avoir cette soupe
Il me fallait le vent en poupe,
Et pour l’attraper au plutôt
Me jeter en nage pataud,
Jugez si ce bel économe
Que la fièvre quartaine assomme,
Que ce lutin puisse manger
Sur ce point me fit enrager,
Mais je suis sûr que si j’enrage
Qu’il enrage encor davantage,
Et qu’étant hors de la Maison
Le voilà plus sot qu’un Oison.
FABRICE.
Ah ! Guillot sois plus raisonnable
N’insulte point un misérable,
Je suis tellement abattu.
GUILLOT.
Tu n’es rien qu’un gueux revêtu,
Et je veux que chacun t’appelle
Grandissime rogneur d’écuelle,
Car tu mérites bien ce nom
Pour une si sotte action,
Mon Maître devait je te jure
Battre sur ton dos la mesure,
Pour son bien et pour mon repos
Jusques à te briser les os,
Et pour te faire chère entière
Te jeter dedans la Rivière,
Ma foi j’en eusse été ravi.
FABRICE.
Mais quoi n’ai-je pas bien servi,
Monsieur Policarpe mon Maître
Et n’ai-je pas bien fait paraître,
Le zèle d’un bon Serviteur.
GUILLOT.
Non, tu n’es qu’un affronteur,
Et quand je te chantai ta gamme
Il enthousiasma mon âme,
Mon potage étant réformé
Je voudrais qu’il t’eût assommé,
Alors qu’il était nécessaire
D’aller pour mon Maître en affaire,
Le drôle passait tout le jour
À fricasser chez nous l’amour,
Et ne pouvait quitter nos filles
Tant elles lui semblaient gentilles,
Parfois faisant semblant de rien
J’écoutais tout leur entretien,
Il disait poussant des fleurettes
Ah ! que vous me semblez bien faites,
Et comment voir des yeux si doux
Sans se rendre aussitôt à vous,
Il leur composait une phrase
Qui les ravissait en extase,
Enfin Monsieur le cajoleur
Leur donnait tout de son meilleur,
Sa maudite et chienne de patte
Rajustait toujours leur cravate,
L’épingle de votre mouchoir
Malheureusement vient de choir,
Disait-il, si cela vous fâche
Souffrez que je vous la rattache,
Tout cela c’était des façons
Pour leur manier les tétons,
Si bien que tu n’es qu’une bête
Et par les pieds et par la tête,
Et pour avoir fait tout ce mal
Je te condamne à l’Hôpital.
FABRICE.
Quoi me traiter de ces manières.
GUILLOT.
Tu mérites les étrivières,
Mais tiens-toi gaillard sur ce point
Tu les auras n’en fut-il point,
Bonsoir.
Guillot fait semblant de s’en aller.
FABRICE, le retenant.
Écoute deux paroles
Guillot tu me dois six pistoles,
Que tu sais que je te prêtai
Lorsque dans le logis j’entrai,
L’argent prêté qu’il faut qu’on rende
Enfin jamais ne se demande.
GUILLOT.
Pourquoi donc le demandes-tu
Tu pourrais bien être battu,
Cela ne se devant pas faire
D’où vient que tu fais le contraire.
Je te trouve bien insolent.
FABRICE.
Je prétends avoir mon argent.
GUILLOT.
Sais-tu ce que tu peux prendre,
C’est qu’un jour tu te feras pendre,
Lorsqu’on veut avoir de l’argent
Ce n’est pas là comme on s’y prend,
Sache qu’il faut qu’on s’humilie
Pour approcher ma Seigneurie,
Et pour avoir tes dix Louis
Qu’il me faut traiter de Marquis,
De Vicomte de Duc d’Altesse.
FABRICE.
Quoi faut-il donc que je m’abaisse,
Jusques à souffrir qu’un maraud.
GUILLOT.
Diable que tu le portes haut,
Quand on souhaite quelque grâce
On ne montre point tant d’audace,
Prends donc un style différent
Traite-moi d’Illustre, de grand,
Si de ces titres tu me traites
Va parbiou ta fortune est faite.
FABRICE, à part.
Bien faisons donc ce qu’il voudra
Monseigneur quand il vous plaira,
Par votre premier gentilhomme
De me faire donner ma somme,
Pour m’en aller en mon pays
Monseigneur, mon Duc, mon Marquis,
Mon Comte.
GUILLOT.
Comte, conte conte,
Parbleu l’humilité me dompte,
Ce faquin me gagne le cœur
En me traitant de grand Seigneur,
Et par ma foi ma Seigneurie
Même en Généalogie,
N’avait jamais eu le bonheur
De recevoir si grand honneur,
Ce fat me touche jusqu’à l’âme
Et son discours d’aise me pâme,
Ce n’est pas avoir peu de sens
Que savoir l’art de plaire aux grands.
FABRICE.
S’il plaît à votre courtoisie.
GUILLOT.
Dieu me damne tu m’extasies,
J’aime les hommes de vertu
Et bien que me demandes-tu.
FABRICE.
Je prie humblement votre Altesse
Qu’elle me tienne sa promesse,
En me donnant les six Louis
Que tantôt elle m’a promis.
GUILLOT.
Enfin doncques tu me demande.
FABRICE.
Une somme qui n’est pas grande,
Dont pourtant je serai ravi.
GUILLOT.
Va Dieu t’assiste mon ami.
Scène V
FABRICE, seul
Vit-on jamais telle disgrâce
Un Maître d’avec lui me chasse,
Un coquin se moque de moi
Je suis sans argent sans emploi,
Mais quoi ma plainte est inutile
Il faut mieux chercher dans la ville,
Quelqu’un qui puisse me donner
De quoi m’en pouvoir retourner,
Oui c’est là ma dernière épreuve.
Fabrice sort.
Scène VI
POLICARPE, ANGÉLIQUE, MAROTTE
POLICARPE.
Promptement faisons Maison neuve,
Cependant que je suis en train
Je prétends faire un nouveau train,
J’ai déjà mis dehors Fabrice.
ANGÉLIQUE.
Mais mon père quelle injustice,
De chasser de votre maison
Cet incomparable garçon,
Que vous deviez avoir sans cesse
Pour votre bâton de vieillesse,
Ah ! mon petit Papa mignon
Retenez votre fabrisson.
POLICARPE.
Taisez-vous petite friquette
Ne faites plus tant la coquette,
Quand vous m’en priez, sur ma foi
C’est bien plus pour vous que pour moi,
Mais cessez sur cette matière
De me faire aucune prière,
Je vous promets qu’il s’en ira.
ANGÉLIQUE.
Moi je dis qu’il demeurera.
POLICARPE.
Ah ! qu’il faut ici de mystère
Dites-moi voulez-vous vous taire,
Car à la fin votre caquet
Ferait mettre au vent daguenet,
Ne soyez donc plus mal apprise
Autrement je vous daguenise.
ANGÉLIQUE.
Diantre soit du dagueniseur
Du renfrogné du vieux rêveur,
Dont la rigueur me désespère.
POLICARPE.
Est-ce ainsi qu’on parle à son père,
Mais j’aperçois venir Guillot
D’où viens-tu donc plaisant falot.
Scène VII
GUILLOT, POLICARPE, MAROTTE
GUILLOT.
Je viens de parler à Fabrice
Qui se plaint de votre caprice,
Disant que vous l’avez cassé.
POLICARPE.
Il est vrai que je l’ai chassé,
Et ne pouvais jamais mieux faire
Pour mon honneur et pour me plaire,
Que bannir cet esprit coquet.
GUILLOT.
Monsieur que vous avez bien fait,
Vous allez être dans l’Histoire
Pour cette action de mémoire,
Ce faquin faisait l’entendu
Il croyait que tout lui fut dû,
Il tranchait chez vous du capable
Il faisait le beau, l’agréable,
Votre fille avait des appas
Qui ne lui désagréaient pas
Il lui voulait faire comprendre
Ce qu’était la carte du tendre,
Mais ce n’est rien qu’un sot tout pur
Avecque son tendre et son dur.
POLICARPE.
Est-il parti ton camarade.
GUILLOT.
Jusques à demain il retarde,
Ne le pouvant pas aujourd’hui.
POLICARPE.
Tu n’as qu’à partir avec lui,
Et mon âme sera ravie
Si tu n’en reviens de ta vie,
Pars donc vite et sans raisonner
Ou je te vais bien gourdiner.
GUILLOT.
Vous vous moquez de votre esclave
Donnez-moi la clef de la cave,
Donnez que j’aille visiter
Votre vin qui se va gâter.
POLICARPE.
Tu le bois avec tant de hâte
Que malaisément il se gâte,
Mais je veux être au rang des morts
S’il en entre plus dans ton corps,
Ce traître avec sa gargamelle
Donne à mes tonneaux la gravelle,
Et les va si bien caresser
Qu’il les empêcher de pisser,
Je ne veux plus de ton service
Prends donc le chemin de Fabrice,
Car après m’avoir outré
Sais-tu bien que je te tuerai.
GUILLOT.
Ah ! Monsieur c’est une imprudence
Que me tuer en ma présence,
Vous m’allez voir mourir d’effroi
Si vous me tuez devant moi,
Quand nous ne serons plus ensemble
Vous me tuerez s’il bon vous semble.
MAROTTE.
Quoi vous chassez aussi Guillot
Ce pauvre enfant qui ne dit mot,
Qu’il va devenir maigre échiné
S’il s’en va de votre cuisine,
Ah ! Monsieur ne le chassez point
Pour conserver son embonpoint.
POLICARPE.
Rentrez au logis idiote
Vous aussi Madame la sotte,
Qui ne faites que contester
Sinon vous vous ferez frotter.
Scène VIII
GUILLOT, seul
Ah ! vieil rabbin de synagogue
Dont la tête est comme un gogue,
Dont l’esprit est tout de travers
La cervelle tout à l’envers,
La mine toute rechignée
L’âme éternellement damnée,
Puisses-tu trouver vieux démon
Chez toi mille coups de bâton,
Et qu’après ce misérable homme
Qui souvent les brigands assomme,
Te mène durant quinze jours
Visiter tous les carrefours,
Et qu’ensuite ton sort s’achève
Dans le beau milieu de la Grève,
Voilà la bienheureuse fin
Que je souhaite à ton destin,
Va que la foudre te confonde.
Scène IX
FABRICE, GUILLOT
FABRICE.
Je suis le plus content du monde,
Mon bonheur n’eût jamais d’égal
Un ami me prête un cheval
Et pour m’obliger davantage
Cent pistoles pour mon voyage ;
Je pars d’ici fort satisfait.
GUILLOT, regardant vers la porte de son Maître.
Va, tu n’as jamais si mal fait,
Qu’alors que tu chassas Fabrice,
Ce garçon parfait et sans vice,
L’économe de la Maison
Qui n’a rien en soi que de bon,
Mais pour cette malice étrange
Que bientôt quelque loup te mange,
Et qu’avant de t’avaler
Il te puisse bien étrangler,
Que la rage te batte au ventre
Que la terre t’ouvre son centre,
Afin que tu tombes en Enfer
Entre les bras de Lucifer,
Et que si fort il t’y retienne
Qu’au grand jamais tu n’en reviennes,
Tu seras bien là sur ma foi.
FABRICE.
Qu’as-tu donc.
GUILLOT.
Je parlais pour toi,
À notre vieux serpent de Maître
De ce qu’il t’a paru si traître,
En te mettant dehors ainsi.
FABRICE, dit ces six vers.
Guillot n’en soit point en souci,
Pour bannir ma mélancolie
Je m’en vais jusqu’en Italie,
De là je passe en Portugal
J’ai cent Louis un bon cheval,
Et je m’en vais mener bonne vie.
GUILLOT.
Je te veux tenir compagnie,
Pour me divertir avec toi.
FABRICE.
Mais Guillot auras-tu de quoi,
Car il en faut pour te conduire.
GUILLOT.
Tes cent Louis pourront suffire,
Ne suffisant pas, bien et beau
Nous irons vendre mon manteau,
Fais donc seller ta haridelle
Puis je mettrai le cul sur selle,
Et par pitié quand je voudrai
La croupe je te prêterai,
J’oblige de belle manière.
FABRICE.
C’est me faire la grâce entière,
Mais parlons avecque raison
N’es-tu point hors de la Maison,
Je pense connaître à ta mine
Qu’on t’a banni de la cuisine,
Et je jurerais sur ma foi
Qu’on t’en a fait autant qu’à moi.
GUILLOT.
Non pas, mais mon Maître, Fabrice,
M’a bien dit que je te suivisse,
Et qu’il m’étrillerait enfin
Si je ne prenais ton chemin,
C’est le discours du galant homme.
FABRICE.
Sais-tu comment cela se nomme,
Justement valet à louer
Et je te veux bien avouer,
Que je sens une joie extrême
De ce qu’il t’a traité de même,
Tantôt tu te moquais de moi
Maintenant je me ris de toi,
Ah ! Monsieur de la Guillotière
Ton humeur était par trop fière,
Tu voulais des titres exquis
Que l’on te traitât de Marquis,
D’Altesse, de Duc, de Vicomte
Et tout cela rien qu’à ta honte,
Car te voilà changé soudain
D’un grand Seigneur en un gredin,
Ah ! que si j’aimais la vengeance.
GUILLOT.
Voilà comme tourne la chance,
Hier j’étais tout à fait heureux
Aujourd’hui je ne suis qu’un gueux,
Et la plus grande gueuserie
S’est mise sur ma friperie,
Ah ! Que mon destin est cruel
Me voilà capon éternel,
Quiconque verra ma figure
Il verra la pauvreté pure,
Tantôt je faisais du cancan
Et je ne suis plus qu’un croquant,
Mais qui faire c’est la fortune
Qui m’en a voulu bailler d’une,
Et quand même je m’en tuerai
Elle n’en fera qu’à son gré,
J’aime donc mieux la laisser faire.
FABRICE.
Mais conte-moi, tout le mystère,
Notre maître t’a-t-il chassé.
GUILLOT.
Oui, Fabrice et fort menacé,
Et si bien fait le Diable à quatre
Que je croyais qu’il m’allait battre,
Et me mettre au rang des occis.
FABRICE.
Quoi tu n’es plus dans le logis,
Il t’aurait fait cette incartade.
GUILLOT.
Je m’en suis sevré mon camarade,
Il m’a mis dehors comme un chien.
FABRICE.
Il a fait en homme de bien,
Et devait faire tintamarre
Sur ton dos à grand coup de barre,
Et te donnant du pied au cul
Te mettre à la porte tout nu,
C’eût été te rendre Justice.
GUILLOT.
Cesse de me railler Fabrice,
Et songeons plutôt à partir.
FABRICE.
Guillot je n’y puis consentir,
Et plus à partir je m’applique
Moins je puis quitter Angélique,
Comment abandonner ces lieux
Après avoir vu ces beaux yeux.
GUILLOT.
Fabrice quand je m’imagine
Qu’il faut quitter cette cuisine,
Où je buvais comme un bacchus
Où je chantais gaudeamus,
Où je me délectais sans cesse.
FABRICE.
Ah ! quand je songe à ma Maîtresse
À son mérite à sa beauté.
GUILLOT.
Ah ! quand je songe à ce pâté,
De quoi je coupais une tranche.
FABRICE.
Ah ! quand je pense à sa main blanche,
De quoi si délicatement
Elle touchait un instrument,
Qu’elle me ravissait l’oreille.
GUILLOT.
Quand je pense à cette bouteille,
Dont le ventre a six pieds de tour
Que je vidais trois fois par jour.
FABRICE.
Que j’aime à contempler sa grâce.
GUILLOT.
Que j’aime une bonne bécasse.
FABRICE.
Et que je chéris ses appas.
GUILLOT.
Que je chéris un grand repas.
FABRICE.
Quel plaisir de voir ce bel Ange.
GUILLOT.
Quel plaisir quand on boit et mange.
FABRICE.
Qu’on aime un ouvrage si beau.
GUILLOT.
Que j’aime une longe de veau.
FABRICE.
Ah ! que je ne vois son visage.
GUILLOT.
Ah ! que ne vois-je un grand potage.
FABRICE.
Auprès duquel tout autre est laid.
GUILLOT.
Que n’ai-je un gros cochon de lait,
Ah ! que je ferais bien ripaille.
FABRICE.
Quand je pense à sa belle taille,
À son port, son esprit divin.
GUILLOT.
Quand je pense à ce broc de vin,
Qui me dégoutait dans le ventre
Ah ! que j’étais bien dans mon centre.
FABRICE.
Faut-il quitter ces yeux si beaux.
GUILLOT.
Faut-il quitter ces Aloyaux,
Ces Dindons, ces bonnes viandes
Si délicates, si friandes,
Chapons et Gigots de Mouton
Dont je m’engraissais le menton,
Et faisais ma plus grande gloire
De m’en donner par la mâchoire.
FABRICE.
Mais, mes regrets sont superflus
Puisque je ne la verrai plus,
Guillot je suis inconsolable.
GUILLOT.
Que je regrette cette table.
FABRICE.
Tu ne songes qu’à manger.
GUILLOT.
Toi rien qu’à me faire enrager,
Laisse là cette amour avide
Et comme moi songe au solide.
FABRICE.
Je ne songe qu’à mon chagrin.
GUILLOT.
Moi qu’à rassasier ma faim,
Et si j’avais bien de quoi frire
Je verrais finir mon martyre.
FABRICE.
Mais sans faire tant de regrets
Recherchons plutôt les secrets,
De nous mettre bien en grâce
Auprès du Maître qui nous chasse,
Regarde donc par quel moyen
Nous pourrons nous y mettre bien,
Cherche en ta tête.
GUILLOT.
Ah ! quelle bête :
Oui, je m’irai casser la tête,
Pour te trouver l’invention
De rentrer dedans la Maison.
FABRICE.
Guillot il n’est pas temps de rire
Comprends mieux ce que je veux dire,
Il faut nous employer tous deux
S’il se peut pour nous rendre heureux,
Et nous ne saurions tous deux l’être
Qu’en rentrant avec notre Maître,
Sa fille dont je suis aimé
Et son bon vin qui t’a charmé,
Méritent bien tous deux qu’on fasse
Quelque effort pour rentrer en grâce,
Songes-y donc mon cher Guillot.
GUILLOT.
N’a-t-on point escroqué mon pot,
Je veux dans son jus délectable
Trouver un moyen admirable,
Cherchons j’ai retrouvé mon vin
Tu n’as qu’à bannir ton chagrin,
Comme le vin fait des miracles
Nous rentrerons sans nuls obstacles,
Prends donc que cette pinte soit
Notre vieux Maître qui paraît,
Je vais avec ma Rhétorique
M’étendre sur le pathétique,
Et son cœur fût-il de rocher
De ma harangue le toucher,
Çà commençons donc la harangue
Mais las, je sens sécher ma langue,
Il faut avant que babiller
Et l’humecter, et la mouiller ;
Il boit.
Or çà maintenant je commence
Exprimons notre doléance,
Notre Maître si vous vouliez
Nous voyant tous deux à vos pieds,
Montrer en nous votre clémence,
Il boit.
Un peu de jus de sapience,
Il commence de s’adoucir
Que nous allons bien réussir,
Recommençons donc à reprendre
Le délicat, le doux, le tendre,
Accordons-nous sur le plaintif,
Il boit.
Que le temps est alternatif,
Ma harangue a beaucoup de charme
Et notre Maître se désarme,
De toute sa mauvaise humeur
Ne connais-tu point un tailleur,
Il nous serait bien nécessaire.
FABRICE.
Pourquoi Guillot qu’en veux-tu faire.
GUILLOT.
Pour faire un habit à ce pot
Qui montre le cul comme un sot.
FABRICE.
Ah ! que ta sottise me gêne.
GUILLOT.
Sortons ne te mets point en peine,
J’imagine une invention
Qui nous mettra dans la Maison,
Ils rentrent.
Scène X
POLICARPE, ANGÉLIQUE, MAROTTE
POLICARPE.
Enfin je suis fort à mon aise
Je n’ai plus rien qui me déplaise,
Je suis défait de mes valets
Plus d’ivrogne plus de muguets.
ANGÉLIQUE.
Mon Père que vous êtes rude
Si vous étiez en servitude,
Prendriez-vous fort grand plaisir
Que l’on vous fit ainsi souffrir.
POLICARPE.
Quand je fais ce que je désire
Est-ce à vous à me contredire,
Diable voilà bien des façons
Pour avoir chassé deux fripons
ANGÉLIQUE.
Ah ! vous deviez garder Fabrice.
POLICARPE.
Gardez que je ne vous meurtrisse,
De quelque bon coup de tricot.
MAROTTE.
Ah ! vous deviez garder Guillot.
POLICARPE.
Ah ! que d’inutiles paroles
Pour moi je crois qu’elles sont folles,
Et qu’elles veulent sottement
Me perturber le jugement,
Mais quoi je vois encor Fabrice.
Scène XI
FABRICE, POLICARPE, ANGÉLIQUE
FABRICE.
Oui qui vous offre son service,
Et croirait manquer son devoir.
S’il n’avait l’honneur de vous voir,
Ainsi Monsieur je m’en acquitte
Par cette dernière visite,
En vous suppliant en ce lieu
De daigner souffrir mon adieu,
Je sais qu’ayant su vous déplaire
Me montrant je suis téméraire,
Et qu’assurément mon aspect
M’ayant banni vous est suspect,
Mais las, qu’elle eût été ma peine
De partir avec votre haine,
Daignez donc n’en avoir jamais
Et vous quittant je vous promets,
Que je n’aurai plus d’autre étude
Qu’à vivre dans la solitude,
Qu’à regretter avec mes pleurs
Au fond d’un bois tous mes malheurs,
Car je ne dois jamais paraître
Ayant perdu un si bon Maître.
POLICARPE.
Ce garçon me touche le cœur
Et j’ai pitié de sa douleur,
Mais encor quelle est votre envie.
FABRICE.
De ne plus servir de ma vie,
Et du monde me retirer.
POLICARPE.
Je vous ferais redemeurer,
Si vous bannissiez ces fleurettes
Ces douceurs et ces amourettes,
Mais alors qu’on a de l’amour
On ne le perd pas en un jour.
FABRICE.
Moi Monsieur, ni fille ni femme
N’ont jamais régné sur mon âme,
Et loin d’être ma passion
Ce sexe est mon aversion.
POLICARPE.
C’était donc une médisance.
FABRICE.
Toute pure et sans apparence,
Et si chez vous je demeurais,
Monsieur je vous conjurerais,
Avecque toute ma puissance
De ne voir plus en ma présence,
Ce sexe qui me fait horreur.
POLICARPE.
Voyez quelle était mon erreur,
Sans sujet de chasser Fabrice
Allez rentrez en mon service,
Je vous commande absolument
D’y rester éternellement.
ANGÉLIQUE.
Mon père chassez cet infâme
Qui n’aime ni fille ni femme,
Que ferons-nous de ce cagot.
POLICARPE.
Taisez-vous, mais je vois Guillot,
Te voilà donc bonne pécore
Comment je te revois encore.
Scène XII
GUILLOT, POLICARPE, ANGÉLIQUE, FABRICE
GUILLOT.
Monsieur je n’osais détaler
Ni partir avant m’en aller,
Vous quittant j’ai le cœur si tendre
Qu’il se va par la moitié fendre,
Et suis tellement éperdu
Que je le crois déjà fendu,
Mais qu’il se fende, ou qu’il se fonde
Que l’on m’envoie en l’autre monde,
Me chassant comme un animal
Tout cela me doit être égal,
Ah ! Monsieur c’est être barbare
Que de souffrir qu’on nous sépare,
Et notre séparation
Est une cruelle action,
Par exemple daignez m’entendre
Et je vous vais faire comprendre,
Ce qu’est le Maître, et le valet
C’est un assemblage complet,
Le Maître représente une âme
Exempte de vice et de blâme,
Et dont le valet est le corps
Tous deux joints par de doux accords,
Or ces deux choses assorties
Par d’admirables sympathies,
Alors qu’il les faut séparer
Il faut étrangement tirer,
De sorte qu’à force qu’on tire
Bien souvent le tout se déchire,
Après quand on a tout cassé
On... pourquoi m’avez-vous chassé.
POLICARPE.
Que diable est ce qu’il me veut dire
Il me ferait crever de rire,
Avecque ces comparaisons
Et bien quelles sont tes raisons.
GUILLOT.
M’ayant chassé comme une bête
Cela me tient fort à la tête,
Et ne me fâche pas pour peu
Mais vous quittant je fais un vœu,
Que j’accomplirai je vous jure
À la barbe de la nature.
POLICARPE.
Quel vœu, que veux-tu dire enfin.
GUILLOT.
De ne boire jamais de vin,
Et de m’en sevrer pour ma vie.
POLICARPE.
Tu me ravis par cette envie,
Va redemeure avecque moi
Rentre en ton ordinaire emploi.
Pourtant comme l’on dit en France
Que l’objet émeut la puissance,
Je crains qu’en voyant mes tonneaux
Tu ne reprennes tes défauts.
GUILLOT.
Monsieur n’ayez point cette crainte
Je fais banqueroute à la pinte,
Et la bannis de mes yeux
Ainsi qu’un objet odieux.
ANGÉLIQUE.
Vous pouvez bien chasser Fabrice.
POLICARPE.
Ah ! Que vous avez de caprice.
Parlant à Fabrice et à Guillot.
Restez tenez tout proprement
Je reviendrai dans un moment,
Je vais jusqu’à ma Métairie.
FABRICE, à Angélique.
Ne vous fâchez point je vous prie,
J’ai pour vous même passion.
GUILLOT.
Et moi j’aime toujours le bon.
POLICARPE, revenant sur ses pas à Fabrice.
Vous n’aimiez tantôt plus les femmes
Infâme de tous les infâmes,
Je vous ai bien ouï faquin
Et vous vous n’aimiez plus le vin.
À Guillot.
Vous faisiez vœu de n’en plus boire
Faisons une tragique Histoire,
Ziste et zeste vous en aurez,
Depuis la tête, jusqu’aux pieds,
Sur le ventre et sur les épaules
Allons dehors à coups de gaules,
Vous pendardes rentrez chez nous
Pour avoir aussi mille coups.