La chasse au roman (Émile AUGIER - Jules SANDEAU)

Comédie-vaudeville en trois actes.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 20 février 1851.

 

Personnages

 

LE CHEVALIER DE SAINTE-AMARANTE

RODOLPHE, son neveu

VALENTIN

VAREMBON (comte de Pietranera)

LOUISANNE (Antonia), sa fille

MATTÉO, domestique de Varembon

UN GARÇON D’HÔTEL

UN GROOM

 

 

ACTE I

 

La scène représente une salle commune dans un hôtel ; porte au fond et portes latérales. À droite, une table avec papiers, plumes et encre, des journaux, chaises. Au fond, deux petites consoles, et sur chacune d’elles un bouquet dans un vase. Toutes les indications sont prises du spectateur.

 

 

Scène première

 

LE CHEVALIER DE SAINTE-AMARANTE suivi d’un GARÇON qui porte une valise et un sac de nuit.

 

Ils entrent par le fond.

LE GARÇON.[1]

Par ici, monsieur, au n° 4. C’est l’appartement réservé aux princes, aux ambassadeurs et a tous les hauts personnages.

Il va déposer les effets du chevalier dans la deuxième chambre à gauche.

SAINTE-AMARANTE.

Il suffit de me voir pour deviner que je suis un homme de qualité ; personne ne s’est jamais trompé à ce grand air des Sainte-Amarante.

Au garçon qui revient.

C’est bien ici l’hôtel où demeure M. Valentin ?

LE GARÇON.

Oui, monsieur, depuis huit mois passés.

SAINTE-AMARANTE.

Est-il chez lui ?

LE GARÇON.

Il vient de sortir à l’instant. C’est à monsieur son père que j’ai l’honneur ?...

SAINTE-AMARANTE.

À peu près...

LE GARÇON.

À son oncle peut-être ?...

SAINTE-AMARANTE.

Peu s’en faut.

Tirant une pièce de son gousset.

Tenez, l’ami ; mais d’abord que je sache comment vit monsieur Valentin.

LE GARÇON.

On n’a jamais connu dans cet hôtel de garçon plus rangé, monsieur ; toujours rentré avant minuit ; dormant la grasse matinée et prenant d’habitude le café dans son lit.

SAINTE-AMARANTE.

Qu’est-ce là ? De qui parlez-vous ?

LE GARÇON.

De monsieur Valentin, monsieur.

SAINTE-AMARANTE.

Eh bien, ne sort-il jamais le matin avec des armes cachées sous son manteau ? Ne l’a-t-on jamais rapporté blessé ? N’a-t-on jamais vu quelque femme voilée s’introduire furtivement dans sa chambre et venir s’installer à son chevet ?

LE GARÇON.

On voit bien que monsieur ne connaît pas monsieur Valentin. C’est un jeune homme très doux, incapable de chercher querelle à personne. Quant aux femmes, voilées ou non voilées, il n’en reçoit jamais.

SAINTE-AMARANTE.

Avouez du moins que depuis qu’il habite cet hôtel, il y pleut des billets parfumés ?

LE GARÇON.

Parfumés ? Ma foi, monsieur, je ne m’en suis jamais aperçu.

SAINTE-AMARANTE.

Enfin vous convenez que les petits billets tombent chez lui dru comme grêle ?

LE GARÇON.

Tout ce que je puis vous dire, c’est qu’en huit mois la note de ses ports de lettres s’est montée à sept francs cinquante centimes.

SAINTE-AMARANTE.

Et vous dites qu’on n’a jamais connu dans cet hôtel ?...

LE GARÇON.

De garçon plus rangé, oui, monsieur.

SAINTE-AMARANTE.

Comment vous nomme-t-on, l’ami ? Lafleur ou Labranche ?

LE GARÇON.

Pierre, monsieur, pour vous servir.

SAINTE-AMARANTE.

Monsieur Lapierre...

LE GARÇON.

Monsieur !...

SAINTE-AMARANTE, marchant sur lui.

Vous êtes un coquin...

LE GARÇON, reculant.

Monsieur !...

SAINTE-AMARANTE.

Un imposteur...

LE GARÇON.

Monsieur !...

SAINTE-AMARANTE.[2]

Je ne souffrirai pas qu’on se moque devant moi de mon jeune ami Valentin...

LE GARÇON.

Mais, monsieur...

SAINTE-AMARANTE.

Qu’on le calomnie...

LE GARÇON.

C’est trop fort.

SAINTE-AMARANTE, remettant la pièce dans son gousset.

Sachez, maraud, que monsieur Valentin n’est pas un jeune homme rangé...

LE GARÇON, à part.

La pièce rentre... disons comme lui.

Haut.

Je le sais, monsieur.

SAINTE-AMARANTE.

Qu’il mène une vie d’enfer...

LE GARÇON.

Oui, monsieur, une vie du diable !

SAINTE-AMARANTE.

Qu’il reçoit des femmes voilées...

LE GARÇON.

Oui, monsieur ; le mois dernier, il en a reçu plus de douze.

SAINTE-AMARANTE, retirant la pièce de son gousset.

Qu’on l’accable de billets parfumés...

LE GARÇON.

Oui, monsieur, on l’en abîme...

SAINTE-AMARANTE.

À l’iris.

LE GARÇON.

Oui, monsieur...

SAINTE-AMARANTE.

À la poudre à la maréchale...

LE GARÇON.

Oui, monsieur ; toutes les lettres qu’il reçoit embaument.

SAINTE-AMARANTE, lui donnant l’écu et en tirant un autre.

Air de Madame Favart.

Et, palsambleu ! sachez, Lapierre,
Que les duels ne lui font pas peur.

LE GARÇON.

Comment ! la semaine dernière
Il eut trois affaires d’honneur.

À part.

Voilà de quoi la satisfaire.

SAINTE-AMARANTE, à part.

J’ai mis le drôle au pied du mur.

Haut.

Fut-il blessé ?

LE GARÇON.

Dans chaque affaire,
Mortellement.

SAINTE-AMARANTE.

J’en étais sûr.

SAINTE-AMARANTE, lui donnant le second écu.

Ah çà, monsieur le drôle, m’apprendrez-vous pourquoi vous n’avez pas parlé plus tôt ?

LE GARÇON.

C’est que je craignais que monsieur ne fût le père de monsieur Valentin.

SAINTE-AMARANTE.

Je vous trouve plaisant, l’ami ! Qui ne serait heureux, je vous prie, de pouvoir l’appeler son fils ?

LE GARÇON.

C’est juste, monsieur ; mais il y a des pères qui sont si drôles !

SAINTE-AMARANTE.

Lapierre, conviens qu’il est charmant ; c’est mon élève.

LE GARÇON.

Ma foi, monsieur, je vous en fais bien mon compliment.

SAINTE-AMARANTE.

Eh bien, Lapierre, j’ai un neveu près de qui Valentin, vois-tu, n’est rien du tout.

LE GARÇON.

Dans ce cas, monsieur peut se vanter d’avoir pour neveu un fier gaillard.

SAINTE-AMARANTE.

C’est l’avis de ces dames, Lapierre... Allez, l’ami...

Le Garçon remonte.[3]

Quand monsieur Valentin rentrera, vous l’avertirez que monsieur de Sainte-Amarante est ici... Vous entendez, le chevalier de Saint-Amarante !

Fausse sortie du Garçon.

Ah ! Lapierre...

Le Garçon s’arrête.

J’attends aussi mon neveu... un beau jeune homme, élégant et fier, portant haut la tête... un Sainte-Amarante !... Regardez-moi bien, vous le reconnaîtrez. Dès qu’il se présentera, vous l’introduirez près de moi.

LE GARÇON.

Oui, monsieur... Si monsieur veut lire les journaux en attendant M. Valentin ?

SAINTE-AMARANTE.

Merci, Lapierre. Allez, mon ami.

LE GARÇON, à part.

Il est bon, le chevalier de Sainte-Amarante.

Il sort par le fond.

 

 

Scène II

 

SAINTE-AMARANTE, seul

 

Les journaux !... Qu’est-ce que ça me fait ?... Il y a des gens qui lisent ça !... Les journaux sont la caricature de la vie... les romans, les romans seuls eu sont le portrait !... Rodolphe ! Valentin !... je vais donc les voir à l’œuvre, vivre de leurs passions !... Que d’émotions je vais avoir ! que d’aventures !... Sans compter l’arriéré que je vais toucher ; cette fameuse cassette de Rodolphe, dont ses lettres m’ont si souvent entretenu, cet herbier de ses souvenirs qu’il compose pour moi !... Va, tu auras tout mon bien, beau neveu ! tu l’as bien gagné !

Entre Valentin par le fond.

 

 

Scène III

 

SAINTE-AMARANTE, VALENTIN

 

SAINTE-AMARANTE.[4]

Valentin ! dans mes bras, sur mon cœur, mon élève !

VALENTIN.

Ah ! c’est vous, monsieur le chevalier ! bonjour.

SAINTE-AMARANTE, à part.

Quel accueil glacé !

VALENTIN.

Vous arrivez de Nantes ; moi, j’y retourne.

SAINTE-AMARANTE.

Que signifie, jeune homme, et que veut dire ?...

VALENTIN.

Cela veut dire, monsieur le chevalier, que je suis un jeune gobe-mouche et que vous êtes un vieux...

SAINTE-AMARANTE.

Ventre de biche, monsieur !

VALENTIN.

Je vivais heureux aux Cormiers, dans la propriété de mon oncle Fléchambault, le meilleur des oncles ; sans vous j’y serais encore... J’aurais épousé ma cousine Louisanne à son retour de la Nouvelle-Orléans. Je l’aimais sans la connaître. Ce mariage comblait les vœux de mon oncle et les miens. Oui, monsieur le chevalier, et les miens... Outre qu’elle est charmante...

SAINTE-AMARANTE.

Charmante ! Vous ne l’avez jamais vue !

VALENTIN.

Nous nous sommes connus enfants. Elle était bonne déjà ; elle promettait d’être belle, et ce n’est pas la fortune qu’a depuis amassée son père...

SAINTE-AMARANTE.

La fortune ! nous y voilà ! En quel temps vivons-nous, juste ciel !

VALENTIN.

Vous en penserez tout ce que vous voudrez. Toujours est-il que je vivais content quand la fatalité vous a jeté sur mon chemin.

SAINTE-AMARANTE.

Il était joli, votre chemin ! Une ornière !

VALENTIN.

Une ornière creusée par les gens heureux, préférable cent fois à tous vos sentiers de traverse.

SAINTE-AMARANTE.

Ventre de biche, monsieur !...

VALENTIN.

Ah ! ventre de biche tant que vous voudrez !... Je croyais aimer ma cousine ; vous m’avez prouvé que je la haïssais. Vous m’avez appris à traiter du haut en bas les joies faciles que le bon Dieu avait mises sous ma main, et, comme s’il n’eût pas suffi de vos discours, vous m’avez infecté du poison de vos lectures.

SAINTE-AMARANTE.

Que parlez-vous de poison ?

VALENTIN.

Bref, sur la foi de vos promesses et de vos romans, j’ai quitté les Cormiers. J’ai mis mon oncle sens dessus dessous, et, tournant le dos au bonheur, je suis venu à Paris chercher des aventures. À vous entendre, elles allaient partir sous mes pieds, comme des compagnies de perdreaux. Qu’ai-je trouvé ?

SAINTE-AMARANTE.

Ingrat, c’est là que je vous attendais. Oui, jeune homme, qu’avez-vous trouvé ?

VALENTIN.

Grâce à vous, je croyais aux femmes opprimées, aux maris féroces, aux jeunes filles sacrifiées par des parents barbares. J’avais rêvé des provocations héroïques, des rencontres chevaleresques...

SAINTE-AMARANTE.

Eh bien, jeune homme, eh bien ?

VALENTIN.

Eh bien, monsieur le chevalier, des maris débonnaires, des jeunes filles très positives, des femmes suffisamment libres, des amis qui se déchirent et des ennemis qui s’embrassent : voilà ce que j’ai rencontré. Quant aux aventures de cape et d’épée, que le ciel me confonde si j’en ai vu seulement la queue d’une !

SAINTE-AMARANTE.

Pas possible !

VALENTIN.

C’est comme je vous le dis.

SAINTE-AMARANTE.

Des femmes voilées ne se sont pas, le mois dernier, introduites dans votre chambre ?

VALENTIN.

Allons donc !

SAINTE-AMARANTE.

Vous ne recevez pas de billets parfumés ?

VALENTIN.

Allons donc !

SAINTE-AMARANTE.

Vous n’avez pas trois duels par semaine ?

VALENTIN.

Allons donc !

Il remonte.

SAINTE-AMARANTE, à part.[5]

Et ce coquin de Lapierre à qui j’ai donné deux pistoles !

Haut.

Je ne m’en défends pas, jeune homme : je suis étonné.

VALENTIN.

Enchanté de vous avoir vu, monsieur le chevalier. Je pars ce soir ; je viens de retenir ma place.

SAINTE-AMARANTE.

Faible courage ! Êtes-vous déjà las de chercher et d’attendre ? Vous ne partirez pas sans avoir vu mon neveu Rodolphe. Il me sait arrivé. Il sait que je l’attends. Je ne m’explique même son retard que par quelque aventure extraordinaire.

VALENTIN.

Laissez-moi donc tranquille, monsieur le chevalier !...

RODOLPHE, en dehors.

Où est-il, ce bon oncle ?

Il entre par le fond.

 

 

Scène IV

 

SAINTE-AMARANTE, VALENTIN, RODOLPHE, suivi d’un GROOM portant une cassette

 

Ils entrent par le fond ; le Groom reste au fond.

SAINTE-AMARANTE.[6]

Mon beau, mon grand Rodolphe !

Ils s’embrassent avec effusion.

RODOLPHE, à part.

Sa présence m’inquiète... Que diable vient-il faire à Paris ?

SAINTE-AMARANTE.

Le voilà ! regardez-le, Valentin ! c’est, lui, c’est mon sang, l’image de mes jeunes années ; c’est mon neveu Rodolphe.

Bas.

A-t-il les yeux battus, ce coquin-là !...

Haut, à Rodolphe.

Mon jeune ami Valentin... un rival que je te présente.

VALENTIN.

Un rival peu dangereux, monsieur, et qui ne doit pas vous porter ombrage.

RODOLPHE.

Monsieur !...

À part.

En voudrait-il aussi à la succession de mon oncle ?

Haut.

Galaor, déposez cette cassette aux pieds de monsieur le chevalier.

Galaor obéit.

À la fleur des oncles et des preux, son neveu reconnaissant !

SAINTE-AMARANTE.

Ta cassette !...

Il la prend avec amour et la pose sur une table.

RODOLPHE.

Elle est à vous, mon oncle... C’est là que sont enfermés tous les poèmes de ma jeunesse.

SAINTE-AMARANTE, allant mettre la cassette sur la table à droite.[7]

Procédons sur-le-champ au dépouillement.

RODOLPHE.

Permettez d’abord que je dise quelques mots à l’oreille de ce jeune esclave.

Très haut.

Galaor, si la vicomtesse se présente, vous lui direz que je suis sorti pour affaires.

SAINTE-AMARANTE, à Valentin.

Que vous disais-je ?

RODOLPHE.

Quant à ma rencontre avec le baron, dites à mes témoins de régler les conditions et que j’accepte tout, hormis un arrangement. Allez, Galaor.

Le Groom sort par le fond.

SAINTE-AMARANTE, à Valentin.

Hein ?

À Rodolphe.

Embrasse-moi.

À part.

Il aura tout mon bien.

VALENTIN, à part.

Le chevalier aurait-il raison,... y aurait-il en effet des aventures ?...

RODOLPHE.

Maintenant, livrons-nous sans contrainte à la joie des émotions domestiques.

SAINTE-AMARANTE.

C’est cela... La cassette ! elle ne pouvait venir plus à propos pour réconforter Valentin.

RODOLPHE.

Le réconforter ?

SAINTE-AMARANTE.

Oui, il est découragé ; il veut retourner aux Cormiers épouser sa cousine, mademoiselle Varembon. Il doute qu’il y ait encore des aventures ici-bas.

RODOLPHE.

Serait-il vrai, monsieur.

VALENTIN.

J’avoue, monsieur...

SAINTE-AMARANTE.

La cassette est la meilleure réponse à ce doute impie.

RODOLPHE, ouvrant la cassette.

Voici, monsieur, quelques menus objets qui serviront peut-être à modifier votre opinion.

Valentin et le Chevalier plongent un regard curieux dans la cassette.

VALENTIN.[8]

Que de trésors !

SAINTE-AMARANTE.

Que de dépouilles opimes !

VALENTIN.

Est-ce qu’à tous ces objets se rattache un drame de votre vie ?

RODOLPHE.

Un drame, non, pas à tous, mais aux plus insignifiants une histoire plus ou moins charmante.

SAINTE-AMARANTE, à Valentin.

Questionnez, mon ami, questionnez... Rodolphe, explique à monsieur ta cassette.

RODOLPHE.

C’est que, mon oncle, vous connaissez déjà la plupart de mes aventures ; mes lettres vous ont tenu au courant, et le récit que j’en pourrais faire...

SAINTE-AMARANTE.

Aura pour moi tout le piquant de la nouveauté... Questionnez, Valentin.

VALENTIN.

Vous permettez, monsieur ?...

RODOLPHE.

Comment donc, monsieur !...

SAINTE-AMARANTE, à Valentin.

Vous allez en entendre.

VALENTIN, tirant un mouchoir de la cassette.

Ce mouchoir taché de sang ?

RODOLPHE.

C’est celui de la comtesse Orsini... Vou3 vous rappelez, mon oncle ?...

SAINTE-AMARANTE.

Pardieu, si je me rappelle !...

RODOLPHE, portant le mouchoir à son nez.

Après huit ans, il conserve encore le doux parfum de cette divine personne.

SAINTE-AMARANTE.

Laisse-le-moi respirer !... Parfum pénétrant, senteur mystérieuse !...

VALENTIN.

Mais ce sang, monsieur, mais ce sang ?

RODOLPHE.

Pauvre Gina !...

SAINTE-AMARANTE, à Rodolphe.

Laisse-moi dire... Pauvre Gina !... Elle écrivait à Rodolphe ; son mari la surprit et lui plongea sa dague dans le sein.

RODOLPHE.

Avant d’expirer, elle m’envoya ce mouchoir, imbibé de ses larmes et trempé dans son sang.

VALENTIN.

Il paraît que le comte Orsini ne plaisantait pas.

SAINTE-AMARANTE.

C’était un Corse.

RODOLPHE.

Il a voulu me tuer ; c’est moi qui l’ai tué.

VALENTIN.

Vous l’avez tué ?

SAINTE-AMARANTE.

Comme un lièvre.

VALENTIN.

Et cette fiole ?

RODOLPHE.

C’est un flacon d’acide prussique... Un soir, à Rome...

SAINTE-AMARANTE.

Laisse-moi donc dire... Un soir, à Rome, Rodolphe l’arracha des mains de la Giuliani, qui menaçait de s’empoisonner.

RODOLPHE, à part.

Naïf vieillard !... candeur de l’âge mur !...

VALENTIN.

Et pourquoi la Giuliani menaçait-elle de s’empoisonner ?

RODOLPHE.

Parce qu’elle avait trouvé dans ma poche un gant qui n’allait ni à sa main ni a la mienne.

SAINTE-AMARANTE.

Montre le gant.

RODOLPHE.

Le voilà. Il n’est pas une femme en France qui puisse y glisser deux doigts. Pauvre Rosemonda, qu’elle était belle !...

SAINTE-AMARANTE.

Morte à vingt ans !

RODOLPHE.

C’est la Giuliani qui l’a tuée dans un féroce accès de jalousie.

VALENTIN.

C’était donc une tigresse, cette Giuliani ?

RODOLPHE.

Une Romaine, une Romaine.

VALENTIN.

Et ce poignard ?

RODOLPHE.

Ça ?

SAINTE-AMARANTE.

N’est-ce pas le poignard que la marquise de Grijalva portait à sa jarretière ?

RODOLPHE.

Où je le pris, oui, mon onde.

VALENTIN.

Air : Vaudeville de l’Homme vert.

Quelle est cette garde d’épée ?

SAINTE-AMARANTE.

Saluez-la, mon jeune ami,
Car sa lame absente est restée
Au ventre du comte Orsini.
Généreux gage de bataille,
Qu’il a porté de fameux coups !

RODOLPHE, à part.

Le long du quai de la Ferraille,
Ça m’a coûté trois francs dix sous.

VALENTIN.

Et ces brodequins de satin turc ?

SAINTE-AMARANTE.

Ces brodequins...

RODOLPHE.

Ils étaient aux pieds de la Brambilla quand elle vint à notre premier rendez-vous. Au moment de les remettre : Ils sont tout neufs, dit-elle, et n’ont marché que pour aller vers toi. Je ne veux pas qu’ils fassent un pas de plus... Je te les donne.

SAINTE-AMARANTE.

C’est une de tes plus jolies pages. C’est le plus fin diamant de ton écrin.

VALENTIN.

Je serais curieux de savoir comment la Brambilla retourna chez elle.

SAINTE-AMARANTE.

En bas de soie, mon cher.

RODOLPHE.

Heureusement les chemins étaient secs et il faisait noir comme dans un four.

VALENTIN.

Et ces ciseaux ?

RODOLPHE.

Ils ont coupé des cheveux sur bien des têtes adorées.

SAINTE-AMARANTE.

Et ils en couperont encore !

VALENTIN, à part, passant à gauche.[9]

Qu’il y a des gens heureux !

SAINTE-AMARANTE, regardant dans la cassette.

Ah çà ! mon neveu, je ne vois que des cheveux noirs. Tu n’aimes donc pas les blondes ? Moi, j’en raffolais.

RODOLPHE.

Moi aussi, j’en raffole !

SAINTE-AMARANTE.

Alors, pourquoi n’as-tu pas panaché ton écrin ?

Air de la Famille de l’apothicaire.

Je n’aime pas ce procédé :
Dans ton cours de bonnes fortunes,
Je t’avais tant recommandé
De festoyer blondes et brunes :
Des cheveux blonds, j’en cherche en vain.

RODOLPHE.

Cherchez toujours, cherchez encore,

À part.

Il faut tondre le genre humain
Pour plaire à ce vieux Minotaure.

Il passe à droite, par derrière Sainte-Amarante.[10]

SAINTE-AMARANTE.

Je ne trouve rien ; est-ce une mystification ?

RODOLPHE, il s’approche de Sainte-Amarante par derrière et coupe une mèche de cheveux blonds sur la perruque de son oncle, en disant, à part.

Il avait bien dit qu’ils en couperaient encore.

Haut, montrant la mèche.

Que vous semble de cette mèche soyeuse ?

SAINTE-AMARANTE.

Ah ! ah ! c’est du fruit nouveau !

RODOLPHE.

Il n’y a pas une heure qu’elle est coupée ; mais je vous demande la permission de ne vous conter l’histoire que lorsqu’elle sera terminée.

SAINTE-AMARANTE.

Amoureux et discret. Embrasse-moi.

RODOLPHE, l’embrassant.

Oui, mon oncle.

SAINTE-AMARANTE, à Valentin.

Qu’en dites-vous, mon jeune ami ?

Rodolphe range la table et remet tous les objets dans la cassette, qu’il referme.

VALENTIN.

Je dis, monsieur le chevalier, qu’il y a des gens à qui tout arrive ; ils sont les enfants gâtés du hasard ; malheureusement je ne suis pas de ses gens-là.

SAINTE-AMARANTE.

Bah ! vous ne savez pas ce que la destinée vous réserve. Rodolphe !

Il tire un papier de sa poche.

RODOLPHE, s’approchant.

Qu’est-ce, mon oncle ?

SAINTE-AMARANTE.

Rodolphe, je me plais à le reconnaître solennellement ; vous aurez été la joie, l’orgueil et la consolation de ma vieillesse. Prenez : c’est le prix de votre cassette.

RODOLPHE, il prend le papier et lit, à part.

La copie de son testament !... Tardive récompense de toute une jeunesse consacrée aux travaux de l’imagination !

Haut.

Ah ! mon oncle, que vous ai-je fait pour que vous m’affligiez de la sorte ? Pourquoi me rappeler que vous devez mourir avant moi ? Je l’avais oublié !

Il s’essuie les yeux.

SAINTE-AMARANTE.

Ne vas-tu pas l’attendrir maintenant ? Rassure-toi, Rodolphe : je suis vert encore et dispos... Allons, jeunes amis, qu’une noble émulation s’empare de vos âmes ! Mes enfants, je ne vous quitte plus.

RODOLPHE, à part.

Que dit-il ?

SAINTE-AMARANTE.

Je suis venu pour vous voir à l’œuvre.

RODOLPHE, à part.

Ah ! diable !...

SAINTE-AMARANTE.

Pour me mêler à vos équipées, les diriger, vivre de vos passions...

RODOLPHE, à part.

Je suis perdu... qui m’eût dit qu’à son âge ?...

SAINTE-AMARANTE.

À l’œuvre donc, à l’œuvre !

À Valentin.

Douterez-vous encore que le monde soit plein d’aventures ?

VALENTIN.

Ma foi, monsieur le chevalier, je suis forcé de reconnaître...

PIERRE, en dehors.

Par ici, madame, par ici.

Il entre par le fond précédant Louisanne.

 

 

Scène V

 

SAINTE-AMARANTE, VALENTIN, RODOLPHE, LOUISANNE, LE GARÇON

 

SAINTE-AMARANTE, à Valentin.[11]

Sans aller si loin, tenez, en voici une.

VALENTIN, voyant entrer Louisanne, à part.

Qu’elle est jolie !...

Les trois hommes saluent.

LOUISANNE, au Garçon.

Conduisez-moi à mon appartement.

LE GARÇON, montrant la deuxième porte à droite.

Au n° 7, madame, c’est l’appartement réservé aux princes, aux ambassadeurs et à tous les hauts personnages... Ah ! pardon, je me suis trompé de clef.

Il sort par le fond.

SAINTE-AMARANTE, pendant que Louisanne est remontée.[12]

Allons, Rodolphe, allons.

Bas à Valentin.

Vous allez le voir.

RODOLPHE, à Louisanne qui redescend.

Madame est étrangère ?

SAINTE-AMARANTE, à part.

Jamais embarrassé.

Bas à Valentin.

Écoutez, écoutez, prenez une leçon.

VALENTIN, à part.

Elle est charmante !

RODOLPHE, à Louisanne.

Madame est...

LOUISANNE.

Étrangère, oui, monsieur.

RODOLPHE.

Je l’ai deviné, rien qu’à votre beauté. Ce n’est pas à Paris que poussent de si belles fleurs.

SAINTE-AMARANTE, à Valentin.

Hein ?

LOUISANNE.

Vous, monsieur, vous êtes Parisien : ce n’est qu’a Paris que poussent de si belles fleurs de rhétorique.

RODOLPHE.

Ce sont vos yeux qui les font éclore.

SAINTE-AMARANTE, bas à Valentin.

Quel feu roulant !

VALENTIN, à part.

Qu’il est heureux d’être si bête et d’avoir tant d’aplomb !

RODOLPHE.

Madame voyage seule ?

LOUISANNE.

Non, monsieur. Pour le reste des renseignements, je vous engage à vous adresser à mon mari, que j’ai laissé dans la cour de l’hôtel.

SAINTE-AMARANTE, bas à Valentin.

Elle est mariée !... un adultère en fleur.

Haut à Louisanne.

Excusez, madame, une curiosité indiscrète sans doute, mais bien naturelle à la vue de tant de charmes.

LOUISANNE.

Monsieur est galant.

SAINTE-AMARANTE.

Mais vieux, madame, ce qui m’autorise peut-être à prendre la liberté de me présenter à vous. Il n’est pas que vous n’ayez entendu parler du chevalier de Sainte-Amarante. Ce nom a jeté, je crois, quelque éclat dans les dernières années de la cour de Versailles.

RODOLPHE.

Mais, mon oncle, au temps dont vous parlez, la mère de madame n’était pas encore née.

VALENTIN, à part.

Je ne trouve rien.

SAINTE-AMARANTE.

Mon neveu Rodolphe, madame, le dernier héritier d’une race de héros, et mon jeune ami Valentin tout ébloui de votre présence.

VALENTIN, d’un accent pénétré, passant près de Louisanne.[13]

C’est vrai, madame.

LOUISANNE, à part.

Ah ! il est bien !

RODOLPHE.

Si pendant votre séjour à Paris, madame, vous aviez besoin d’un bras, je serais heureux de vous offrir le mien.

VALENTIN, à part.

J’allais le dire...

RODOLPHE.

J’habite Paris depuis longtemps, et ce serait pour moi une joie de vous en montrer les merveilles.

LOUISANNE.

Vous êtes trop bon, monsieur ; mon mari vous remerciera tout à l’heure.

SAINTE-AMARANTE, bas à Valentin.

Le voilà lancé ! allez donc ! vous n’allez pas !

Entre par le fond le Garçon accompagné d’un laquais à mine rébarbative, chargé d’épées, de poignards, de yatagans et de pistolets.

LE GARÇON.[14]

Voici la clef.

Il va ouvrir la deuxième porte à droite, et entre dans la chambre.

LOUISANNE, au domestique.

Mattéo, que fait donc mon mari ?

SAINTE-AMARANTE, à part.

Mattéo !

MATTÉO.

M. le comte surveille le déchargement de la voiture et va monter... J’apporte ses armes.

RODOLPHE, à part.

Ce Mattéo a mauvais air et son attirail n’annonce rien de bon.

SAINTE-AMARANTE, à part.

Ça se dessine.

LOUISANNE.

Messieurs, je vous salue.

Elle entre dans sa chambre, à droite.

SAINTE-AMARANTE, retenant Mattéo.[15]

Dites-moi, l’ami, à qui appartenez-vous ?

MATTÉO.

À mon maître.

SAINTE-AMARANTE.

C’est d’un bon serviteur.

Lui offrant une pièce.

Et votre maître s’appelle ?

MATTÉO, refusant la pièce.

Le comte de Pietranera.

SAINTE-AMARANTE.

Un Italien ?

MATTÉO.

Un Corse.

Il entre dans la chambre.

VALENTIN et SAINTE-AMARANTE, avec joie.

Un Corse !

RODOLPHE, à part, avec effroi.

Un Corse !... Il y en a donc ?

Le garçon sort de la chambre et se retire par le fond.

 

 

Scène VI

 

SAINTE-AMARANTE, RODOLPHE, VALENTIN

 

SAINTE-AMARANTE, à Valentin.[16]

Eh bien, mon jeune ami, avais-je tort ? les romans n’ont-ils pas raison ? Vous ne croyiez pas aux aventures... en voici une, j’espère, et complète ! un Corse... et quel Corse... que d’épées, que de pistolets ! Il doit être effrayant à voir.

VALENTIN.

Et la comtesse, qu’elle est jolie !... Quel regard ! quelle voix pleine de charmes !

SAINTE-AMARANTE.

Bien, jeune homme ! du feu, de la passion ! Rodolphe, Valentin, à vous deux ! Ah ! sans la goutte, sans la goutte jalouse, nous serions trois à nous la disputer.

RODOLPHE, à part.

Comptes-y que j’irai me fourrer là dedans... Ne mettons pas le doigt entre l’arbre et...

Varembon entre par le fond et a l’air de chercher.

 

 

Scène VII

 

SAINTE-AMARANTE, RODOLPHE, VALENTIN, VAREMBON[17]

 

RODOLPHE, à part.

Voici l’ogre !

SAINTE-AMARANTE, à part.

Il est affreux. Je m’y attendais.

VALENTIN, à part.

Pauvre femme ! Quel mari !

SAINTE-AMARANTE, à Varembon.

Pardon, monsieur, n’ai-je pas l’honneur de parier au comte de Pietranera ?

VAREMBON.

C’est moi-même, monsieur.

SAINTE-AMARANTE.

Il n’est pas que vous n’ayez entendu parler du chevalier de Sainte-Amarante. Ce nom a jeté, je crois, quelque éclat dans les dernières années de la cour de Versailles.

VAREMBON.

Et à Coblentz, pendant l’émigration. Vous seriez ce modèle de gentilhommerie ?

SAINTE-AMARANTE.

Je le suis, monsieur.

VAREMBON.

Sac à papier, je vous fais mon compliment.

RODOLPHE, à part.

Sac a papier ! c’est un homme de plume.

VAREMBON.

Et d’où me vient l’honneur inestimable d’être connu de vous ?

SAINTE-AMARANTE.

Nous avons dû au hasard de faire un instant société à Mme la comtesse, à qui j’ai pris la liberté de décliner mes noms et qualités.

VAREMBON.

Sabre de bois ! monsieur, j’espère que les choses n’en resteront pas là.

RODOLPHE, à part.

Sabre de bois ! décidément, ce n’est pas un homme d’épée.

VAREMBON.

Rencontrer en voyage un homme si éminent est une bonne fortune dont je sens tout le prix.

SAINTE-AMARANTE.

C’est moi, monsieur, qui me félicite...

VAREMBON.

Non, monsieur, c’est moi, ne me contrariez pas ! Messieurs vos fils sans doute ?

SAINTE-AMARANTE.

Hélas ! le sort m’a refusé le bonheur d’être père... Mon neveu Rodolphe et mon jeune ami Valentin, pour qui j’ose réclamer un peu de votre bienveillance.

VAREMBON.

C’est à moi de solliciter la leur.

VALENTIN, à part.

Un Corse apprivoisé !... C’est fait pour moi !

VAREMBON.

Si ces messieurs ont un peu de temps à perdre, ils m’obligeront de me le consacrer. Ma chère Antonia est naturellement triste ; je n’ai d’autre tâche que de l’égayer et de la distraire. Je n’y réussis pas toujours...

RODOLPHE, à part.

Je le crois, sac à papier !

VAREMBON.

Et si ces messieurs veulent bien me donner un coup d’épaule.

SAINTE-AMARANTE.

S’ils le veulent ? ventre de biche !

VAREMBON.

Vous dites ?

SAINTE-AMARANTE.

Je dis ventre de biche : c’est mon juron.

VAREMBON.

Le mien est sabre de bois. Les Pietranera ne jurent depuis cinq cents ans que par sabre de bois.

RODOLPHE, à part.

Ou sac à papier.

VAREMBON.

Pour revenir à nos moutons, je n’ai pas le ridicule d’être un mari jaloux et ne vois pas de mal à ce qu’une honnête femme recherche les distractions de son âge.

RODOLPHE, à part.

Ce Corse est un excellent homme.

SAINTE-AMARANTE, à part.

Il me fait pitié !

VALENTIN, à part.

C’est bien la peine d’avoir une pareille barbe et de marcher précédé d’un faisceau d’épées et de poignards.

VAREMBON.

Enchanté, messieurs, d’avoir fait votre connaissance. À bientôt.

Il remonte.

RODOLPHE, remontant à sa suite.[18]

Monsieur le comte, permettez-moi de vous serrer la main.

À part.

C’est un bon diable !

Varembon entre dans la deuxième chambre à droite.

 

 

Scène VIII

 

SAINTE-AMARANTE, RODOLPHE, VALENTIN

 

VALENTIN.[19]

Vous le voyez, monsieur le chevalier, je suis né sous une funeste étoile... Cette aventure qui s’annonçait si bien aboutit à un mari débonnaire ! Qu’il me prenne fantaisie d’aller chasser dans les jungles de l’Inde, si je rencontre un tigre, il viendra me lécher les pieds.

SAINTE-AMARANTE.

Je conviens que nous n’avons pas de chance.

VALENTIN.

Ce Corse était digne de naître dans la rue Quincampoix.

RODOLPHE.

Ce n’est pas mon sentiment.

SAINTE-AMARANTE.

C’est un mouton bridé.

RODOLPHE.

C’est un Corse !... et avec ces insulaires, on ne sait jamais ce qui peut arriver... Je m’y connais, moi qui en ai tué deux !

À part.

Je suis bien tranquille, celui-là ne tuera personne.

SAINTE-AMARANTE.

Allons, tu me remontes un peu...

RODOLPHE, à part.

Excellent oncle ! pour qu’il prît plaisir à la chose, il faudrait y laisser mes os.

SAINTE-AMARANTE.

Eh bien ! mes enfants, à vous deux l’aventure !...

VALENTIN.

Pour ma part, j’y renonce, monsieur le chevalier ; je me ferais scrupule de tromper un pareil benêt.

SAINTE-AMARANTE.

Vous irez loin, mon bon ami, avec ces principes-là.

 

 

Scène IX

 

SAINTE-AMARANTE, RODOLPHE, VALENTIN, LOUISANNE, VAREMBON, entrant par la deuxième porte à droite

 

VAREMBON.[20]

Encore ici, monsieur le chevalier ! Je comptais me présenter chez vous. L’intimité va vite en voyage. Me ferez-vous l’amitié de dîner ce soir avec moi ? Ma chère Antonia joint ses instances aux miennes.

SAINTE-AMARANTE.

Très volontiers, monsieur le comte.

À part.

Le malheureux ! court à sa perte !

VAREMBON.

Il est bien entendu que ces messieurs seront des nôtres.

RODOLPHE.

Très certainement.

À part.

C’est un homme délicieux.

Haut.

Monsieur le comte...

VAREMBON.

Monsieur...

RODOLPHE.

Je voudrais encore une fois vous serrer la main.

VAREMBON.

De grand cœur, monsieur Rodolphe.

Ils se pressent la main avec chaleur.

RODOLPHE, à part.

Bon Corse, va !

SAINTE-AMARANTE, bas à Valentin.

Comme il le capte !

VAREMBON.

Nous comptons sur vous, monsieur Valentin.

VALENTIN, passant près de Louisanne.[21]

Veuillez m’excuser, monsieur le comte, je ne saurais...

VAREMBON.

Je n’admets pas d’excuse...

VALENTIN.

En vérité, monsieur le comte...

VAREMBON.

Antonia ; décidez monsieur, je vous prie.

LOUISANNE, s’approchant de Valentin, bas.

Refusez... fuyez-moi... il y va de vos jours...

VALENTIN, à part.

Quel mystère !

Haut.

J’aurai l’honneur, monsieur le comte, de dîner ce soir avec vous.

Ensemble.

Air de Griselda.

VAREMBON.

Au revoir !
À ce soir !

À part.

Leur cœur qui s’agite
S’enflammera vite !

Haut.

À ce soir !
Au revoir !
Nous comptons vous recevoir.

LOUISANNE.

À ce soir !
Au revoir !

À part.

Son cœur qui s’agite
S’enflammera vite !

Haut.

À ce soir !
Au revoir !
Nous comptons vous recevoir.

SAINTE-AMARANTE.

À ce soir !
Au revoir !

À part.

L’amour les invite !
Ils reviendront vite !

Haut.

À ce soir !
Au revoir !
Nous ferons notre devoir.

RODOLPHE et VALENTIN.

À ce soir !

À part.

L’amour nous invite ;
Nous reviendrons vite !

Haut.

À ce soir !
Au revoir !
Nous ferons notre devoir !

Varembon et Louisanne rentrent dans leur chambre. Valentin sort par la première porte à gauche, et Sainte-Amarante et Rodolphe par le fond. Ce dernier emporte la cassette.

Le rideau ne baisse pas.

 

 

ACTE II

 

Même décoration.

 

 

Scène première

 

VAREMBON, LOUISANNE, sortant de leur chambre

 

VAREMBON.[22]

Tu es donc contente de moi, ma petite Louisanne ?

LOUISANNE.

Ô mon père ! vous jouez votre rôle à merveille.

VAREMBON.

Oui, ça va assez bien, sauf ce diable de sac à papier et ce maudit sabre de bois qui m’échappent de temps en temps... C’est égal, je suis un Corse assez... corsé ! Ce n’est pas pour rien que j’ai joué la comédie bourgeoise a la Nouvelle-Orléans.

LOUISANNE.

Vous n’en aurez jamais joué d’aussi utile que celle d’aujourd’hui.

VAREMBON.

Ah ! si elle peut guérir Valentin de ses lubies !...

LOUISANNE.

Elle le guérira, j’en réponds.

VAREMBON, allant s’asseoir à gauche.

Ma foi ! je le souhaite, car il me plaît, ce garçon, malgré sa folie et son refus de faire connaissance avec nous... et puisque tu l’aimes encore après cela...

LOUISANNE.

Écoutez donc, mon père ; vous l’avez si bien établi dans mon cœur, qu’il ne dépend plus de vous ni de moi de l’en arracher. J’ai été élevée, j’ai grandi dans l’idée que je serais sa femme ; je l’ai associé à tous mes rêves, a toutes mes espérances. Comment ne l’aimerais-je pas ? c’est vous qui m’avez appris à l’aimer.

VAREMBON.

Et pouvais-je deviner que ce fût un extravagant ? Fléchambault dans toutes ses lettres ne m’entretenait que des perfections de son neveu ; à l’entendre, c’était un petit Caton ! Nous arrivons, Caton avait pris la clef des champs.

LOUISANNE.

Un grain de folie sied bien à la jeunesse.

VAREMBON.

Un grain, soit, mais il est fou à lier.

LOUISANNE.

Nous le lierons, et nous donnerons en même temps une leçon à ce vieux chevalier à qui les romans ont tourné la tête... et à son neveu Rodolphe qui m’a tout l’air d’un sot et d’un fat.

VAREMBON, se levant.

Oh ! pour ceux-là, ça me va.

LOUISANNE.

Eh bien ! rappelez-vous notre petite fable et surtout modérez-vous sur le sac à papier.

VAREMBON.

C’est vrai, sabre de bois !

LOUISANNE.

Et aussi sur sabre de bois.

VAREMBON.

C’est vrai, sac à papier !

 

 

Scène II

 

VAREMBON, LOUISANNE, VALENTIN, entrant par le fond

 

VAREMBON.[23]

C’est monsieur Valentin.

VALENTIN.

Excusez-moi, monsieur le comte, je croyais trouver ici le chevalier de Sainte-Amarante.

VAREMBON.

Vous excuser !... sac à papier ! je suis ravi de votre présence.

VALENTIN.

Monsieur le comte...

VAREMBON.

Vous ne pouviez arriver plus à propos. Quelques affaires m’appellent au dehors, et il m’en coûtait, je l’avoue, de laisser, ne fût-ce qu’une heure, ma chère Antonia dans la solitude. Serez-vous assez bon, monsieur Valentin, pour lui tenir compagnie pendant mon absence ?

LOUISANNE, bas à Valentin.

Ne restez pas... fuyez.

VALENTIN.

Monsieur le comte, puisque vous le permettez...

VAREMBON.[24]

Vous acceptez... Merci.

LOUISANNE, bas à Valentin.

Vous vous perdez.

Elle passe près de Varembon.

VAREMBON.

À tantôt, monsieur Valentin.

Il baise Louisanne au front et sort par le fond.

 

 

Scène III

 

LOUISANNE, VALENTIN

 

LOUISANNE.[25]

Malheureux ! êtes-vous las de vivre ?

VALENTIN.

Encore ce langage mystérieux ! De grâce, madame, la clef de cette énigme ?

LOUISANNE.

Je ne puis m’expliquer ; mais, je vous le répète, si la vie vous est chère, fuyez-moi et ne me revoyez jamais.

VALENTIN.

Pour cela, ne l’espérez pas.

Sainte-Amarante et Rodolphe paraissent au fond.

LOUISANNE.

Eh bien ! monsieur, eh bien ! puisqu’il faut tout vous dire, je dirai tout pour vous sauver. Sachez...

 

 

Scène IV

 

LOUISANNE, VALENTIN, SAINTE-AMARANTE, RODOLPHE

 

SAINTE-AMARANTE, bas à Rodolphe en entrant avec lui.[26]

Tu vois, il ne muse pas, lui, le voilà à l’œuvre.

RODOLPHE, de même.

N’ayez pas peur, je vais le rattraper vivement. Belle dame, c’est mon oncle qui a mis mes hommages en retard. Il m’a entraîné, bon gré, mal gré, chez Tortoni, où il m’a offert des glaces. Vaine précaution, madame, contre l’incendie que vous allumez.

SAINTE-AMARANTE, à part.

Bravo !

LOUISANNE.

Il est heureux pour vous, monsieur Rodolphe, que j’aie un secret à éteindre une si belle flamme, un secret infaillible.

RODOLPHE.

Parbleu, madame, mon feu défierait le déluge ; c’est un feu grégeois !

VALENTIN, à part.

Animal !

SAINTE-AMARANTE, à part.

C’est de mauvais goût.

LOUISANNE.

Ainsi, monsieur, votre passion, puisque passion il y a, ne reculerait devant aucun danger ?

RODOLPHE.

Et plût à Dieu, madame, qu’il y en eût, des dangers ! Où sont-ils, que je les affronte !

SAINTE-AMARANTE, bas à Rodolphe.

Bien, Rodolphe ! je reconnais mon sang.

VALENTIN, à Louisanne.

Je n’ai pas l’éloquence de monsieur Rodolphe ?...

RODOLPHE.

Non.

VALENTIN.

Mais pour vous, madame, je donnerais ma vie avec joie.

LOUISANNE, d’un ton solennel.

Asseyez-vous, messieurs, et veuillez me prêter toute votre attention.

On s’assied. Après un silence.[27]

Il y a dans ma vie un secret terrible que je m’étais promis d’emporter au tombeau. L’honneur me fait une loi de vous le révéler, puisque votre galanterie vous pousse étourdiment dans l’abîme ouvert sous vos pas.

RODOLPHE, à part.

Un abîme ?

SAINTE-AMARANTE, à part.

Jamais je ne fus à pareille fête.

VALENTIN, à part.

Je vais donc tout savoir.

LOUISANNE.

C’est une grande preuve de confiance que je vous donne ; mais vous êtes gens d’honneur et n’abuserez pas de ma confidence.

SAINTE-AMARANTE, se levant.

Nous le jurons.

Il se rassied. Rodolphe se lève à son tour ; mais s’apercevant que son oncle s’est rassis, il en fait autant.

LOUISANNE.

Je suis le dernier rejeton d’une famille corse autrefois puissante, de la famille Mammiani, engagée depuis deux siècles dans une guerre d’extermination contre les Pigliaspada.

SAINTE-AMARANTE.

C’est parfaitement exact. Tous les romans corses commencent ainsi.

LOUISANNE.

Mon père est tombé dans un maquis...

SAINTE-AMARANTE.

Un maquis ! comme c’est ça !

LOUISANNE.

Victime de la haine des Pigliaspada sans qu’on ait jamais pu savoir quelle main l’avait frappé. Depuis 1625 jusqu’à l’heure où je vous parle, notre famille a perdu cinquante-trois des siens par le fer ou par le plomb.

RODOLPHE, à part.

Diable ! quel abattoir !

LOUISANNE.

La famille de nos ennemis n’a pas été moins cruellement décimée. Cinquante-cinq Pigliaspada ont payé de leur sang les meurtres qui avaient fait tant de veuves et d’orphelins.

SAINTE-AMARANTE.

Parfaitement exact. Eh bien ! Valentin, qu’en dites-vous ? Voilà la vie, mon bon ami.

VALENTIN.

N’interrompez pas madame.

LOUISANNE.

Cette guerre sans trêve et sans merci paraissait enfin terminée. Les Pigliaspada avaient quitté la Corse et on n’entendait plus parler d’eux. Les procès avaient dévoré les derniers débris de nos domaines.

RODOLPHE.

Les procès et les frais de sépulture.

LOUISANNE.

Je vivais avec ma mère dans un obscur village de la côte. Un jour, on vit arriver dans ce village un homme que personne ne connaissait : c’était le comte de Pietranera.

SAINTE-AMARANTE.

C’est plein d’intérêt.

LOUISANNE.

Il était riche : il se montra généreux et se fit aimer de tous.

RODOLPHE, à part.

Je le reconnais bien là, bon Corse !

LOUISANNE.

Il devint bientôt notre hôte familier. Au bout de quelques semaines, il demanda ma main. Je ne l’aimais pas, mais je n’aimais personne, et pour assurer les derniers jours de ma mère, je consentis à l’épouser.

SAINTE-AMARANTE.

Charmant ! délicieux !...

LOUISANNE.

Ma mère mourut. Mon mari m’emmena dans un magnifique château, à quelques lieues d’Ajaccio.

RODOLPHE.

Chef-lieu de département.

LOUISANNE.

Ma belle-mère me reçut avec une politesse froide et hautaine ; mais le comte redoublait de prévenances et de générosité.

RODOLPHE, à part.

Excellent homme ! plein de délicatesse !

LOUISANNE.

Il ne me témoignait jamais la moindre jalousie ; il voyait les jeunes gens s’empresser amour de moi, et loin de s’en alarmer, il les attirait chez lui et me grondait doucement quand je les recevais avec trop de froideur.

RODOLPHE, bas à Sainte-Amarante.

Jusqu’ici je ne vois pas plus d’abîme que sur la main.

SAINTE-AMARANTE, bas.

Attends donc ! ça se creuse.

VALENTIN.

De grâce, messieurs, laissez parler madame.

LOUISANNE.

Parmi les jeunes gens qui me faisaient la cour, j’en avais remarqué un, nommé Giacomo Doria.

VALENTIN.

Vous l’aimiez ?

LOUISANNE.

Non, je ne l’aimais pas ; mais par son esprit il avait su me plaire.

RODOLPHE, à part.

Elle aime les gens d’esprit ! bon !

LOUISANNE.

Sous le prétexte le plus frivole, mon mari le provoqua et le tua d’un coup d’épée.

RODOLPHE, à part.

Fichtre !

SAINTE-AMARANTE.

Il le tua ?

LOUISANNE.

Plus tard, un jeune Anglais, sir Edmond Dudley, me poursuivait de ses hommages.

VALENTIN.

Vous l’aimiez ?

LOUISANNE.

Non, je ne l’aimais pas. Cependant, je le voyais sans déplaisir. Un jour, dans une partie de chasse où était mon mari, sir Edmond Dudley tomba frappé d’une balle partie on ne sait d’où.

RODOLPHE, à part.

Nom de nom !...

VALENTIN.

Et l’on n’a jamais su...

SAINTE-AMARANTE.

Attendez donc ! attendez donc !

LOUISANNE.

Je n’osais pas accuser mon mari, et je me demandais avec effroi si tous ceux qui m’aimaient étaient destinés à mourir.

RODOLPHE, à part.

Moi aussi, je me le demande avec effroi !

LOUISANNE.

La comtesse douairière tomba malade ; je la soignai comme ma propre mère. Un soir, nous étions seules : le comte était allé à la ville. Il faisait une affreuse nuit ; la tempête soufflait au dehors ; la chambre où nous étions n’était éclairée que par la lueur du foyer ; la pluie fouettait les vitres, et la bise sifflait dans les longs corridors.

SAINTE-AMARANTE.

Quel tableau ! je n’ai jamais rien lu de si saisissant.

RODOLPHE, à part.

Je ne sais pas pourquoi, mais je ne suis pas à mon aise.

LOUISANNE.

La comtesse m’attira vers elle, et d’une voix qui empruntait à la mort une étrange solennité...

SAINTE-AMARANTE, se rapprochant.

Redoublons d’attention.

Rodolphe recule sa chaise.

LOUISANNE.

Ma fille, me dit-elle, sais-tu qui tu as épousé ? Le dernier des Pigliaspada ! Il a tué Edmond Dudley par le plomb ; il a tué Giacomo Doria par le fer ; il tuera tous ceux que tu aimeras. Si le fer et le plomb lui manquent, il a le poison des Borgia. S’il ne t’a pas tuée, c’est que chez nous on ne tue pas les femmes ; mais il te tuera dans ton cœur. Tous ceux qu’il attire près de toi sont des victimes vouées à sa vengeance. Défie-toi de ta beauté, défie-toi de ta jeunesse, ton amour donne la mort.

RODOLPHE, à part.

J’ai froid dans le dos.

Il recule sa chaise.

SAINTE-AMARANTE.

Eh bien, Valentin, vous avais-je trompé ? Voilà la vie.

VALENTIN.

C’est une épouvantable histoire !

LOUISANNE.

Maintenant, messieurs, vous comprenez pourquoi je vous éloigne, pourquoi mon mari vous attire ?

RODOLPHE.

Parfaitement.

SAINTE-AMARANTE.

Votre récit est terminé, madame ?

LOUISANNE, se levant.

Vous savez tout, messieurs.

Les trois hommes se lèvent et rangent les sièges.

SAINTE-AMARANTE.

Eh bien, moi, Alfred de Sainte-Amarante, je jure, et je prends à témoin du serment tous mes aïeux, depuis Raoul de Sainte-Amarante, qui mourut en Palestine, jusqu’à Paul de Sainte- Amarante, qui mourut sur la terre d’exil... je jure que nous vous délivrerons du monstre qui vous torture ou que nous périrons tous trois.

RODOLPHE, à part.

Tous trois ? parlez pour vous !

VALENTIN.

Acceptez nos services, madame ; quant à moi, je succomberais sans regret dans une pareille entreprise.

LOUISANNE.

Je suis touchée, comme je le dois, de votre générosité, messieurs. Je crois que le ciel vous a mis sur ma route pour me délivrer, et j’accepte vos offres chevaleresques.

RODOLPHE, à part.

On n’est pas plus indiscret, ma parole !

VALENTIN.

Merci, madame, merci.

SAINTE-AMARANTE.

Choisissez, madame, faites un heureux. Tous deux seront également fiers de vous servir, tous deux sont également braves ; mais Rodolphe a l’avantage de l’expérience, il est fait a ces sortes d’aventures, il a déjà tué deux Corses ; il y a la main.

RODOLPHE, à part.

Ah ! je m’ennuie !

VALENTIN.

Je n’ai encore tué personne, il est vrai ; mais quand le cœur est ferme, la main ne tremble pas.

RODOLPHE.

Mais, madame, il y aurait un moyen bien simple d’arranger tout cela.

SAINTE-AMARANTE.

Pas de coup de tête, mon neveu ! Je le connais : sans plus attendre, il est homme à provoquer le comte.

RODOLPHE.

Mais non, mais non... un moyen plus sûr.

LOUISANNE.

Et lequel, je vous prie ?

SAINTE-AMARANTE.

Oui, lequel ?

RODOLPHE.

Pardieu, que madame dépose une plainte au parquet du procureur du roi !

LOUISANNE.

Ah ! monsieur...

VALENTIN.

Allons donc !

SAINTE-AMARANTE.

Ventre de biche, monsieur ! je donnerais le château de mes pères pour pouvoir racheter cette parole-là. Depuis quand les gentilshommes prennent-ils la cour d’assises pour champ clos et les huissiers pour hérauts d’armes ? Le procureur du roi ? mais, monsieur, avec le procureur du roi, il n’y aurait plus de romans possibles.

VALENTIN.

Monsieur le chevalier a raison, madame ; ne confiez qu’à notre courage le soin de votre délivrance, choisissez entre monsieur Rodolphe et moi.

LOUISANNE.

Le choix est difficile et vaut bien qu’on y réfléchisse.

SAINTE-AMARANTE.

C’est trop juste.

RODOLPHE, à part.

Il s’agit de n’être pas choisi.

 

 

Scène V

 

LOUISANNE, VALENTIN, SAINTE-AMARANTE, RODOLPHE, VAREMBON, paraissant au fond

 

TOUS.[28]

Le comte !

SAINTE-AMARANTE, à part.

Et je n’ai pas deviné cet homme !

VALENTIN, à part.

Comment le provoquer ?

RODOLPHE, à part.

Il est effrayant.

VAREMBON, descendant la scène.

J’ai songé à vos plaisirs, messieurs, et à ceux de ma chère Antonia.

RODOLPHE, à part.

Tigre !

VAREMBON.

En passant devant l’Opéra, j’ai pris une loge pour ce soir. J’espère, messieurs, que vous voudrez bien y accompagner ma femme ?

SAINTE-AMARANTE.

Avec enchantement, monsieur le comte. Voici mon neveu qui raffole de la musique.

RODOLPHE.

Moi, mon oncle ? pas du tout.

LOUISANNE.

Vous n’aimez pas la musique ?

SAINTE-AMARANTE.

Il l’adore. Il joue du violon comme Paganini.

RODOLPHE.

Du flageolet, mon oncle, du flageolet.

LOUISANNE.

C’est l’instrument qui me rappelle les airs de nos montagnes.

RODOLPHE.

J’en joue très mal.

VAREMBON.

Quoi qu’il en soit, vous ne nous ferez pas le chagrin de ne pas nous accompagner.

RODOLPHE, passant près de Varembon.[29]

Mon Dieu, monsieur le comte, mon oncle vous dira que j’ai quelques affaires.

VAREMBON.

À votre âge, monsieur, les affaires cèdent le pas aux plaisirs.

RODOLPHE, à part.

Il est joli, le plaisir.

Haut.

À mon âge, monsieur ! Quel âge me donnez-vous donc ?

VAREMBON.

Mais vous êtes encore au printemps de la vie.

RODOLPHE.

Au printemps ? Je frise la quarantaine.

VAREMBON.

Vous la frisez ? On ne le dirait pas.

SAINTE-AMARANTE, bas à Rodolphe.

Es-tu fou ?

Haut.

Je l’ai vu naître : ce n’était qu’un enfant.

LOUISANNE.

L’éclat de la jeunesse rayonne sur son front.

RODOLPHE, à part.

Fatale beauté !

VAREMBON.

Antonia, ne trouvez-vous pas que M. Rodolphe ressemble prodigieusement à un de nos bons amis, à lord Dudley !...

RODOLPHE, à part.

Ressemblance lugubre !

LOUISANNE.

Oui, en effet, c’est bien cette belle chevelure blonde...

RODOLPHE.

Si madame désire l’examiner de plus près... On travaille très bien en ce genre aujourd’hui.

Il va pour ôter sa perruque.

SAINTE-AMARANTE, à part.

Il porte perruque !... c’est fait de nous !

Haut.

Tu portes perruque ?...

RODOLPHE.

Je suis chauve depuis vingt ans !

VALENTIN.

Chauve !...

LOUISANNE.

Monsieur Valentin, c’est le cachet du génie !... Je ne comprends que les hommes chauves.

RODOLPHE, à part.

Je n’ai pas de chance.

Il remonte.

SAINTE-AMARANTE, à part.[30]

Ouf ! je respire !

VAREMBON.

Antonia, vous avez quelques colifichets à acheter ; j’ai moi-même une vaste correspondance a mettre à jour : un de ces messieurs ne refusera pas de vous accompagner.

SAINTE-AMARANTE.

Rodolphe !...

RODOLPHE.

Mon oncle ?

SAINTE-AMARANTE.

Vous n’avez pas entendu ?

RODOLPHE.

Si, mon oncle.

SAINTE-AMARANTE.

Eh bien ! alors...

RODOLPHE.

Eh bien ! mon oncle ?

SAINTE-AMARANTE.

Vous ne comprenez pas ?...

RODOLPHE.

Non, mon oncle.

VALENTIN.

Je serais heureux, madame, si vous daigniez accepter mon bras...

SAINTE-AMARANTE, bas à Rodolphe.

Maladroit !

RODOLPHE, à part.

Au contraire !

VAREMBON.

Voilà qui est réglé ; merci, monsieur Valentin ; messieurs, à ce soir.

LOUISANNE.

Monsieur Valentin !...

VALENTIN.

Je suis à vous, madame.

Il remonte.

RODOLPHE, remontant aussi, bas à Valentin.[31]

Faites bien votre cour ! Je vous préviens que j’ai de l’avance.

Ensemble.

Air de M. J. Nargeot.

VALENTIN, à Louisanne.

Daignez accepter mon bras ;
En tous lieux je suis vos pas,
Et je consacre tous mes jours
À ces nouvelles amours ;
Je vous consacre tous mes jours.

RODOLPHE, à part.

Je n’accepte point son bras,
Je ne suivrai pas ses pas ;
Il peut bien consacrer ses jours
À ces nouvelles amours ;
Il peut lui consacrer ses jours.

LOUISANNE, à Valentin.

De grâce, n’acceptez pas,
Vous affrontez le trépas ;
Il veut bien consacrer ses jours
À ces nouvelles amours ;
Il veut me consacrer ses jours.

VAREMBON.

Mon cher, offrez-lui le bras,
Et suivez bien tous ses pas :
Il veut bien consacrer ses jours
À ces nouvelles amours ;
Il veut lui consacrer ses jours.

SAINTE-AMARANTE, à part.

Comment ! il ne bouge pas !
Il ne saisit pas son bras !
Me parlera-t-il donc toujours
De ses anciennes amours ?
M’en parlera-t-il donc toujours ?

Valentin et Louisanne sortent par le fond. Varembon rentre dans sa chambre.

 

 

Scène VI

 

SAINTE-AMARANTE, RODOLPHE

 

SAINTE-AMARANTE.[32]

Monsieur Rodolphe, rendez-moi la copie de mon testament.

RODOLPHE.

Pourquoi, mon oncle ?

SAINTE-AMARANTE.

Pourquoi, misérable ? tu le demandes ! toi qui viens de déshonorer les Sainte-Amarante ! qui m’as fait rougir jusqu’au blanc des yeux ! joueur du flageolet ! cynique quadragénaire ! chauve déhonté ! Vous vous étiez bien gardé de me dévoiler cette calvitie !

RODOLPHE.

Par pure modestie !

SAINTE-AMARANTE.

Comment, par modestie ?

RODOLPHE.

Tous les grands hommes n’ont-ils pas été chauves ? à ce point que ceux qui ne l’étaient pas, feignaient de l’être ! Pour n’en citer qu’un : Louis XIV portait perruque à vingt ans, pour laisser croire à ses maîtresses qu’il n’avait pas de cheveux ! Les Turcs, ce peuple primitif et polygame, ne se rasent-ils pas la tête ?

Air du Piège.

Enfin, mon oncle, enfin l’occasion,
Cette déesse en tous lieux courtisée,
Supposez-vous qu’elle ait un fort chignon
Et soit opulemment frisée ?
Non, mon cher oncle, elle est chauve, et parbleu,
Elle voudrait l’être encor davantage ;
Car elle n’a qu’un malheureux cheveu,
Et c’est par là qu’on l’empoigne au passage.

SAINTE-AMARANTE.

Paradoxe brillant !... D’où vient que tu portes perruque ?

RODOLPHE.

Je l’ôte pour aller dans le monde.

SAINTE-AMARANTE.

Tu n’es qu’un utopiste ; mais je n’entends pas que cette aventure sorte de la famille.

RODOLPHE.

Elle n’en sortira pas.

SAINTE-AMARANTE.

Non, car je vais m’en mêler.

Il va à la table, à droite.

RODOLPHE.[33]

Qu’allez-vous faire ?

SAINTE-AMARANTE.

Tu vas voir. Voici de quoi écrire.

Il s’assied et écrit.

Écoute un peu : apprends de quel style nous écrivions dans mon temps.

Écrivant.

« Madame, je ne puis contenir plus longtemps le transport qui m’agite. »

RODOLPHE, à part.

Ah ! il se met sur les rangs ! Vieux fou ! malgré la goutte... Bien ! très bien !

SAINTE-AMARANTE.

« Percé d’outre en outre par vos regards, je me jette à vos pieds... Je ne suis pas beau... »

RODOLPHE, à part.

C’est vrai.

SAINTE-AMARANTE.

« Mais s’il suffit d’un ardent amour... »

RODOLPHE, à part.

Fanfaron !

SAINTE-AMARANTE.

« Pour trouver grâce à vos yeux, tournez-les vers moi. »

RODOLPHE, à part.

Elle aura un joli spectacle.

SAINTE-AMARANTE.

« Il ne sera pas dit qu’après m’avoir rencontré, vous soyez restée vingt-quatre heures sous le joug d’un tyran délesté. Quand Morphée aura clos les yeux de ce monstre, échappez-vous. Une chaise de poste vous attendra au bout de la rue. Confiez-vous à l’honneur d’un Sainte-Amarante. »

RODOLPHE, à part.

Ah ! oui, elle peut s’y confier !

SAINTE-AMARANTE, pliant la lettre.

Comment trouves-tu cette lettre, hein ?... Voilà du style ! voilà de la passion !

RODOLPHE.

Et vous espérez...

SAINTE-AMARANTE, se levant.

J’en suis sûr. Tu seras étonné du résultat. Donne-moi ce bouquet.

RODOLPHE, à part, prenant un bouquet dans un vase, au fond, à gauche.

Oh ! mon Dieu ! vieux Céladon !

SAINTE-AMARANTE, prenant le bouquet et mettant la lettre dans les fleurs.

Maintenant, l’honneur de la famille est sauvé.

RODOLPHE, à part.

Et moi aussi.

 

 

Scène VII

 

SAINTE-AMARANTE, RODOLPHE, LOUISANNE et VALENTIN, entrant par le fond

 

SAINTE-AMARANTE, à Louisanne.[34]

Eh bien, belle dame, êtes-vous contente de mon jeune ami ?

LOUISANNE, montrant la droite.

Silence ! le comte est là.

SAINTE-AMARANTE.

Chut ! permettez-moi de vous offrir des fleurs moins fraîches que vous.

RODOLPHE, à part.

Il est à croquer, ma parole !

LOUISANNE.

Merci, monsieur le chevalier.

SAINTE-AMARANTE, bas.

Il y a un billet sous les fleurs ; on attend la réponse.

Louisanne rentre ; à Rodolphe.

Voilà comment on remet un poulet...

 

 

Scène VIII

 

SAINTE-AMARANTE, RODOLPHE, VALENTIN[35]

 

SAINTE-AMARANTE.

Eh bien, Valentin, où en êtes-vous ?

VALENTIN.

J’ai suivi le conseil de M. Rodolphe ; j’ai fait ma cour, ou plutôt j’ai dit tout ce que j’ai d’amour et de dévouement dans le cœur ! Ah ! monsieur le chevalier, qu’elle a de grâce et de bonté ! je l’adore... et je ne sais si je m’abuse, mais je ne crois pas lui être indifférent.

SAINTE-AMARANTE.

Allons, tant mieux.

Bas à Rodolphe.

Je viens de lui donner un coup de Jarnac.

RODOLPHE, à part.

La tête n’y est plus.

Mattéo entre par la deuxième porte à droite, une lettre à la main.

MATTÉO.[36]

De la part de madame la comtesse.

SAINTE-AMARANTE, vivement.

Donnez, je sais ce que c’est.

Mattéo sort par la même porte.[37]

RODOLPHE, à part, pendant que Saine-Amarante lit.

Il reçoit son camouflet.

SAINTE-AMARANTE, avec mystère.

Mes enfants, Antonia sera enlevée cette nuit.

RODOLPHE.

Pas possible !

SAINTE-AMARANTE.

Quand je me mêle de quelque chose...

RODOLPHE, à part.

Ce vieux Méphistophélès !

VALENTIN.

Enlevée, Antonia ? et par qui ?

RODOLPHE.

Parbleu ! je vous le donne en cent.

SAINTE-AMARANTE.

Remerciez votre oncle, heureux coquin.

RODOLPHE.

Hein ?

SAINTE-AMARANTE.

Oui, que dis-tu de mon système ? Je t’avais bien dit que tu serais étonné des résultats.

RODOLPHE.

Pardon, je ne comprends pas.

SAINTE-AMARANTE.

J’ai écrit une lettre en ton nom à Antonia, et voici sa réponse.

RODOLPHE.

En mon nom ? Cette lettre que vous écriviez tout à l’heure... où vous proposiez à Antonia de l’enlever...

SAINTE-AMARANTE.

Je l’ai signée Rodolphe ! Viens dans mes bras.

RODOLPHE.

Mais c’est un faux !

SAINTE-AMARANTE.

Ah bah ! ta signature m’a souvent coûté assez cher pour que j’en dispose une fois.

VALENTIN.

Est-il possible qu’elle se soit jouée de moi à ce point !

Il prend la lettre des mains de Sainte-Amarante et lit.

« J’accepte, M. Rodolphe, et je serai prête à partir avec vous. »

RODOLPHE.

Partir avec moi ! nous verrons.

SAINTE-AMARANTE.

Comment ! nous verrons ; c’est tout vu.

RODOLPHE.

Je trouve plaisant, c’est-à-dire je trouve très déplaisant que vous disposiez de moi sans me consulter.

VALENTIN.

Monsieur Rodolphe, si vous enlevez la comtesse, vous m’en rendrez raison.

RODOLPHE.

Soyez tranquille... je ne l’enlèverai pas.

SAINTE-AMARANTE.

Qu’est-ce que c’est ? Vous l’enlèverez et vous en rendrez raison à Valentin.

RODOLPHE.

Ah ! c’est trop fort !

SAINTE-AMARANTE.

Est-ce que vous croyez avoir mon héritage sans le gagner ?

RODOLPHE.

Je l’ai assez gagné comme cela, il me semble.

SAINTE-AMARANTE.

Je ne vous ai jamais vu à l’œuvre, mon bon ami. Vous m’avez montré des poignards, des brodequins, tout cela est bel et bon ; mais...

RODOLPHE.

Soupçonneriez-vous ma cassette de déloyauté ?

SAINTE-AMARANTE.

Je ne m’explique pas... Enlevez la comtesse, et je crois tout, sinon je refais mon testament.

RODOLPHE, à part.

Il le referait, comme il le dit.

SAINTE-AMARANTE.

Êtes-vous décidé ?

VALENTIN.

Songez, monsieur Rodolphe, que vous aurez à m’en rendre raison.

SAINTE-AMARANTE.

Oui, quand il aura tué le comte.

RODOLPHE.

Mais si j’enlève ce soir la comtesse, qui est-ce qui tuera demain le petit baron ?

SAINTE-AMARANTE.

Il s’en passera.

RODOLPHE, à part.

Il a réponse à tout.

SAINTE-AMARANTE.

Tu enlèveras ?

RODOLPHE.

Mais...

SAINTE-AMARANTE.

Rendez-moi mon testament.

RODOLPHE.

J’enlèverai.

 

 

Scène IX

 

SAINTE-AMARANTE, RODOLPHE, VALENTIN, VAREMBON, LOUISANNE

 

Ils entrent par la deuxième porte à droite.

VAREMBON.[38]

Voici l’heure du dîner, messieurs. Eh ! bonjour, monsieur Rodolphe ! touchez là !

RODOLPHE, passant près de Varembon et lui prenant la main.

Monsieur...

À part.

Quelle poigne !

VAREMBON, à Sainte-Amarante.

Quel neveu délicieux vous avez là, monsieur le chevalier !

RODOLPHE, à part.

Il caresse sa proie avant de l’égorger.

VAREMBON.

Regardez donc M. Rodolphe, Antonia ; ne vous rappelle-t-il pas aussi ce pauvre Giacomo Doria ?

RODOLPHE, à part.

J’entends le glas de mes obsèques...

LOUISANNE.

Cette ressemblance m’avait déjà frappée.

VAREMBON.

Le nez, surtout, le nez...

RODOLPHE, à part.

Le nez ! Je ne puis pas l’ôter.

VALENTIN, bas à Louisanne.

Ah ! madame, qu’avez-vous fait ?

LOUISANNE, bas.

Vous saurez tout.

VAREMBON.

Êtes-vous en appétit, monsieur Rodolphe ?

RODOLPHE.

Euh ! euh !

À part.

Je ne suis pas capable d’avaler un morceau.

VAREMBON.

Monsieur le chevalier, le bras aux dames.

SAINTE-AMARANTE, passant près de Louisanne et lui offrant son bras, lui dit tout bas.[39]

Merci, madame, au nom d’une race de preux.

Ensemble.

Air : Final du 1er acte des Coups de pied.

VAREMBON.

À table donc, messieurs, à table !
Quand la compagnie est aimable,
Rien ne se peut imaginer
De plus charmant qu’un bon dîner.

RODOLPHE, à part.

Quelle aventure abominable !
Il s’agit de trouver à table
Un expédient pour sauver
Et l’héritage et l’héritier.

SAINTE-AMARANTE, bas.

C’est une aventure admirable !
Qu’il est doux de se mettre à table,
Lorsqu’on est sûr, après dîner,
Madame, de vous enlever !

VALENTIN, à part.

C’est une aventure incroyable !
Eh quoi ! cette femme adorable
Par ce faquin, sans hésiter,
Consent à se faire enlever !

LOUISANNE.

Allons, messieurs, allons, à table !

À part.

La leçon sera profitable,
Et j’espère qu’après dîner
Nous partirons pour les Cormiers.

Ils sortent tous par la deuxième porte à droite. Le rideau ne baisse pas. La nuit vient, un garçon apporte deux flambeaux qu’il pose sur la table et sort. Le jour se fait.

 

 

ACTE III

 

Même décoration.

 

 

Scène première

 

SAINTE-AMARANTE, RODOLPHE

 

Ils entrent par la deuxième porte à droite.

SAINTE-AMARANTE.[40]

Or ça, pendant qu’ils achèvent de prendre le café, convenons de nos faits.

RODOLPHE.

Convenons d’abord que je suis un fier luron ! Y vais-je assez gaiement, à ce gouffre ! Votre sang vous fait un peu d’honneur, hein ?

SAINTE-AMARANTE.

C’est vrai, mon ami, je suis content de toi. Je ne regrette plus que le ciel m’ait refusé un fils.

RODOLPHE.

Ni moi non plus.

SAINTE-AMARANTE.

Seulement, tu es un peu gris.

RODOLPHE.

C’est possible, de joie et d’amour.

SAINTE-AMARANTE.

De vin du Rhin aussi.

RODOLPHE.

Il fallait bien griser ce satané Pietranera pour assurer nos derrières ; il est à peu près ivre, et j’en ai les éclaboussures. Je n’en suis que plus en train d’enlever.

SAINTE-AMARANTE.

Il faudra nous assurer d’une chaise de poste, pour dix heures.

RODOLPHE.

Et de l’argent ?

SAINTE-AMARANTE.

Sois tranquille ; les femmes qu’on enlève emportent toujours leurs diamants.

RODOLPHE.

Attention délicate !

SAINTE-AMARANTE.

Quant à moi, je me déguise en cocher et monte sur le siège.

RODOLPHE.

En cocher ?

SAINTE-AMARANTE.

Tu verras : carrick mirabelle, perruque de laine frisée, chapeau sans cocarde. Il faut un air de mystère.

Il va regarder à la deuxième porte à droite.

RODOLPHE.[41]

C’est juste, on n’a jamais fait d’enlèvement sans un ami déguisé en cocher sur le siège.

SAINTE-AMARANTE.

Tout concourt à nos projets. L’ogre, gorgé de viande et de vin, s’est endormi sur sa chaise. Profitons de son sommeil. Occupe-toi de la berline ; moi, je vais m’occuper du cocher.

Il sort par le fond.

RODOLPHE, seul.

Au premier relais, je détale, et je laisse le cocher achever l’aventure... Il t’en cuira, mon vieux !

Il sort par le fond.

 

 

Scène II

 

VALENTIN, puis LOUISANNE

 

VALENTIN, entrant par la deuxième porte à droite.

Qu’Antonia ait donné la préférence à ce Rodolphe, c’est ce qui me passe ! Si elle est capable d’aimer un pareil homme, elle est indigne de mon amour, et je lui fais trop d’honneur de la regretter. C’est une femme vulgaire ; mais alors, d’où lui vient ce charme irrésistible qu’elle exerce sur moi ? La voici.

Entre Louisanne sortant de chez elle.

LOUISANNE.[42]

M. Rodolphe n’est plus là, le malheureux !

VALENTIN.

Vous le plaignez, madame ; il n’a pas tenu à moi qu’il n’échappât à ce malheur.

LOUISANNE.

Comment cela ?

VALENTIN.

J’ai voulu le lui disputer les armes à la main.

LOUISANNE, à part.

À la bonne heure.

VALENTIN.

Mais il a refusé toute rencontre avant de vous avoir arrachée au comte. Pardonnez-moi, madame, d’avoir voulu traverser votre choix.

LOUISANNE.

Mon choix ? Le comte a surpris la lettre de M. Rodolphe ; je n’y voulais pas répondre ; mais il m’a forcée avec son poignet de fer à écrire ce que vous avez lu. Tenez, mon bras porte encore la marque de cette violence.

VALENTIN.

Ainsi vous n’aimez pas Rodolphe ?

LOUISANNE.

Ayez-vous pu le penser, vous ?

VALENTIN.

Mais vous partez avec lui.

LOUISANNE.

Partir ! Mon mari va nous surprendre sur le marchepied de la voiture, provoquer Rodolphe et le tuer ! voilà son plan.

VALENTIN.

Mais il dort.

LOUISANNE.

Son ivresse est une feinte ; il ne s’enivre que de sang ! Je n’ai pas encore pu avertir monsieur Rodolphe de ce guet-apens. Avertissez-le, vous.

VALENTIN.

Oui, madame, il n’ira pas à ce rendez-vous. C’est moi qui prendrai sa place.

LOUISANNE.

Vous !

VALENTIN.

Oui, moi qui vous aime, moi qui ne veux pas laisser à d’autres la gloire de votre délivrance ; si je succombe, eh bien, je serai mort pour vous.

LOUISANNE.

Non, Valentin, abandonnez-moi à ma destinée. Prévenez Rodolphe du danger qui le menace, et songez que je vous défends de prendre sa place. Adieu.

Elle rentre.

 

 

Scène III

 

VALENTIN seul, puis RODOLPHE et SAINTE-AMARANTE déguisé en cocher, un grand fouet à la main

 

VALENTIN.

Va, je te sauverai malgré toi. Ô joie inespérée ! C’est moi qu’elle aime ! et j’ai pu l’accuser d’aimer ce Rodolphe !

Entrent Rodolphe et Sainte-Amarante par le fond.

SAINTE-AMARANTE.[43]

Tout est prêt, mon cher Valentin ; il est neuf heures. Dans une heure le rapt sera consommé.

VALENTIN.

Un instant...

Passant près de Rodolphe.[44]

Monsieur Rodolphe, la comtesse m’a chargé de vous avertir. Son mari a surpris la lettre du chevalier et a dicté la réponse que vous avez reçue.

RODOLPHE.

Mais c’est un guet-apens !

VALENTIN.

Ou un coupe-gorge, ad libitum.

SAINTE-AMARANTE.

Ainsi, tout à l’heure, quand les fugitifs monteront en voiture, le comte apparaîtra pâle et l’œil sanglant, l’épée au poing ! Quelle complication inattendue ! voilà la vie.

RODOLPHE, à part.

Diable ! cela se gâte.

VALENTIN.

Voulez-vous me céder votre place ?

SAINTE-AMARANTE, passant près de Rodolphe.[45]

Moins que jamais, mordieu !

RODOLPHE.

Permettez, mon oncle...

SAINTE-AMARANTE.

Hésites-tu ?

RODOLPHE, à part.

On hésiterait à moins... Comment me tirer de là ? Ah ! une idée !

SAINTE-AMARANTE.

Malheureux ! si tu ne vas pas au rendez-vous, je te déshérite.

VALENTIN.

Si vous y allez, vous êtes tué !

RODOLPHE, passant au milieu.[46]

Ah ! parbleu, ceci me décide. J’irai, mon oncle, j’irai. Ah ! il reste un Pigliaspada ! Ah ! il veut tuer un Sainte-Amarante ! Nous allons rire !

SAINTE-AMARANTE.

À la bonne heure ! Je savais bien que bon sang ne peut mentir ! Mais je te l’avoue, j’ai cru un instant que tu avais peur.

RODOLPHE.

Peur, moi ?... peur d’un homme ? Mais tous les Pigliaspada sortiraient du tombeau que je les y replongerais. Vous ne me connaissez pas !

VALENTIN.

C’est bien, monsieur. Votre résolution brise toute mon espérance ; mais à votre place je ferais comme vous, et si vous succombez, je jure de vous venger ou de mourir.

SAINTE-AMARANTE, venant entre eux.[47]

Jeune homme, un vieillard reçoit votre serment.

À part.

Quel tableau !

RODOLPHE.

Mon oncle, courez chez moi, demandez a Galaor l’épée avec laquelle j’ai tué le comte Orsini.

SAINTE-AMARANTE.

Mais tu oublies que la lame est restée au ventre de ce même comte.

RODOLPHE.

C’est vrai... Eh bien ! l’épée avec laquelle j’ai tué le marquis de Barbarossa !

SAINTE-AMARANTE, après une fausse sortie.

Si je la bénissais ?

RODOLPHE.

Je craignais d’être indiscret en vous le demandant.

SAINTE-AMARANTE.

Eh bien ! mon ami, je la bénirai.

RODOLPHE, passant au milieu.[48]

Et alors, vienne le comte !... Où voulez-vous que je le frappe ?... au cœur ou au foie ?... par devant ou par derrière ?... Choisissez !... Je me sens fort comme tous ceux avec qui Dieu combat !...

Il chancelle.

SAINTE-AMARANTE.

Noble enthousiasme ! Mais qu’as-tu ?

RODOLPHE.

C’est étrange... une sueur glacée... un frisson de mort... Mon oncle... Valentin...

SAINTE-AMARANTE, le recevant dans ses bras.

Tu défailles ?

Valentin avance une chaise ; on fait asseoir Rodolphe.

RODOLPHE.

Le Corse a pris sa victime... Je brûle.

SAINTE-AMARANTE.

Malheureux !... Je pressens quelque chose d’épouvantable...

RODOLPHE.

Rappelez-vous les paroles de la vieille comtesse à Antonia... Il lui reste le poison... le poison des Borgia !

VALENTIN.

Ciel !

SAINTE-AMARANTE.

Mais quand t’aurait-il empoisonné ?

RODOLPHE.

Avez-vous oublié qu’au dessert il m’a servi mon café lui-même, et que j’y ai trouvé un goût de chicorée ? Je m’en suis même plaint avec amertume.

SAINTE-AMARANTE.

Grand Dieu !

RODOLPHE.

Ce n’était pas de la chicorée ! Edmond Dudley... Giacomo Doria... je vais vous rejoindre... Oh ! le lâche !

VALENTIN.

Du secours, je vais...

RODOLPHE, à part.

De l’émétique ? Ah ! non.

Haut.

Il est trop tard, le poison des Borgia ne pardonne pas.

SAINTE-AMARANTE.

Rodolphe, mon pauvre enfant ! C’est moi qui t’ai poussé à ta perte... c’est moi qui t’ai tué.

À Valentin.

Débarrassez-moi de ça.

Il lui donne son fouet.

RODOLPHE.

Je vous pardonne... Valentin, vous vouliez ma place, prenez-la.

SAINTE-AMARANTE.

Il s’agit bien de cela !

RODOLPHE.

Ne vous occupez pas de moi.

À part.

Je m’enterrerai tout seul.

VALENTIN.

Je vous vengerai, mon ami.

RODOLPHE.

Ce n’est pas la peine... Mais partez vite pour ce fatal rendez-vous ; enlevez la comtesse

À part.

et allez tous au diable.

 

 

Scène IV

 

VALENTIN, RODOLPHE, SAINTE-AMARANTE, LOUISANNE

 

LOUISANNE, sortant de sa chambre.[49]

M. Rodolphe est-il averti ?

SAINTE-AMARANTE.

Trop tard.

LOUISANNE.

Que signifie ?

SAINTE-AMARANTE.

Il se meurt : l’infâme Pietranera...

RODOLPHE.

Vous expliquerez tout cela en voiture ; mais partez.

SAINTE-AMARANTE.

Je ne peux pourtant pas te laisser ici vivant !

RODOLPHE.

Dites au garçon de faire venir un fiacre pour transporter mon cadavre chez moi, rue de l’Échaudé, 4... Galaor me recevra... il sait ce que c’est... mais partez, au nom du ciel !

LOUISANNE, à part.

Quelle comédie joue-t-il ?

SAINTE-AMARANTE.

Adieu donc, crème de chevalerie !...

Il remonte avec Valentin.

 

 

Scène V

 

VALENTIN, RODOLPHE, SAINTE-AMARANTE, LOUISANNE, VAREMBON, MATTÉO

 

VAREMBON, sortant de chez lui suivi de Mattéo.[50]

Demeurez, messieurs, il n’est plus temps de fuir.

RODOLPHE, à part.

Il va nier son crime, mais on ne le croira pas.

SAINTE-AMARANTE.

Misérable ! regarde ton ouvrage !

VAREMBON.

Mon ouvrage ?

LOUISANNE, à part.

Je commence à comprendre.

SAINTE-AMARANTE.

Tu l’as empoisonné... n’essaye pas de nier, nous savons tout.

RODOLPHE, à part.

Tâche de leur persuader que non.

VAREMBON, allant à Rodolphe et après lui avoir tâte le pouls.[51]

Je ne croyais pas que ce poison tut si rapide. C’est vrai, messieurs, je l’ai empoisonné.

RODOLPHE, bondissant.

Au meurtre ! au secours ! Mon oncle, allez chercher l’émétique !

Il passe au milieu.

VAREMBON.[52]

Ne dérangez personne... Votre affaire est faite ; vous n’en avez pas pour cinq minutes.

RODOLPHE.

Ah ! scélérat ! assassin ! malfaiteur ! Mais il y a un Dieu ! il y a des cours d’assises.

Il se laisse aller sur un siège que lui apporte Valentin.

Je soutire horriblement ! Mourir à quarante-trois ans et demi !

LOUISANNE.

Il est beau de mourir jeune !

RODOLPHE.

Laissez-moi donc tranquille ! C’est vous, mon oncle, avec vos sornettes, qui me poussez au tombeau !

SAINTE-AMARANTE.

Tu m’avais pardonné !

RODOLPHE.

Je me rétracte.

SAINTE-AMARANTE, à Rodolphe.

Va, meurs en paix ! Tu seras bien vengé ! je vais saisir les tribunaux de l’affaire.

RODOLPHE.

On lui accordera des circonstances atténuantes.

VALENTIN.

J’ai juré de vous venger, Rodolphe, et je tiendrai parole.

RODOLPHE.

Oui, mon ami, vengez-moi... mais tout de suite, je vous prie, que je voie expirer mon assassin.

VALENTIN.

Monsieur le comte, votre haine s’est trompée ; c’est moi qu’il fallait empoisonner !...

RODOLPHE.

Oui !...

VALENTIN.

C’est moi qui suis aimé de votre femme.

VAREMBON.

Sabre de bois ! est-il vrai, madame ?

LOUISANNE.

Oui, je l’aime ! Il est vaillant, il est généreux, et je suis fière de son amour.

VAREMBON, passant près de Rodolphe.[53]

Alors, monsieur, veuillez recevoir mes excuses. Je regrette un montent d’erreur.

RODOLPHE, se levant.

Un moment d’erreur, brigand !

Il passe à droite et s’assied près de la table.

VALENTIN, à Varembon.[54]

À nous deux maintenant, monsieur le comte ! Un de nous ne doit pas sortir vivant de cette chambre.

VAREMBON.

Je vous laisse le choix des armes.

LOUISANNE.

Le choix des armes ! Il les manie toutes avec une adresse infernale.

VAREMBON.

C’est vrai.

VALENTIN.

Pour égaliser les chances, on peut se battre, à cinq pas, avec un seul pistolet chargé. L’oserez-vous, monsieur le comte ?

VAREMBON, remontant.

Mattéo, chargez un pistolet.

Pendant que Mattéo feint de charger, Sainte-Amarante s’approche de Rodolphe.

SAINTE-AMARANTE.[55]

Mon pauvre Rodolphe, dans l’état où te voilà, tu n’as pas grand’chose à perdre ; si tu prenais la place de Valentin ?

RODOLPHE.

Allez-vous promener. Comment ! vous voulez qu’on me tue deux fois ? C’est trop fort ! je vous déshérite !

VAREMBON, à Valentin.

Veuillez, monsieur, choisir entre ces deux pistolets.

SAINTE-AMARANTE.

Ils vont se battre ici ? sous mes yeux ? J’en ai la chair de poule.

VAREMBON.

Tirez le premier, monsieur.

Valentin tire, le coup ne part pas ; Sainte-Amarante se laisse tomber à genoux en poussant un grand cri.

VALENTIN.

Adieu, Antonia !... À vous, monsieur, tuez-moi.

SAINTE-AMARANTE, à genoux.

Je vais me trouver entre deux cadavres... quelle horreur !

VAREMBON lève son pistolet et le baisse aussitôt.

Il ne tremble pas ! Allons, ma fille aura un fier mari.

TOUS.

Comment ?

VAREMBON.

Dans mes bras, mon gendre !...

LOUISANNE, qui est remontée, le poussant vers Varembon.[56]

Embrassez votre père ; c’est le mien.

VAREMBON.

Eh ! oui, le père Varembon !

Mattéo sort par le fond.

SAINTE-AMARANTE.

Ouf !

Il se lève et passe à droite.

VALENTIN.

Est-ce un rêve ?

RODOLPHE, à part.

Je ne suis donc pas empoisonné ?

LOUISANNE.[57]

Vous aviez dédaigné Louisanne ; Antonia s’est chargée de votre bonheur : a-t-elle réussi ?

VALENTIN.

Ô chère Louisanne !

SAINTE-AMARANTE,
il s’approche de Rodolphe et lui prend l’oreille.

Et le poison des Borgia ?

Il le fait lever.

VAREMBON, à Rodolphe.

Pardonnez-moi, monsieur, la peur que je vous ai faite.

RODOLPHE.

Peur ? Je savais tout ; depuis le commencement, j’avais tout deviné !

LOUISANNE.

Et comment aviez-vous tout deviné ?

RODOLPHE.

Est-ce que je ne me suis pas aperçu tout de suite de la fausse barbe de monsieur Varembon ?

Louisanne et Valentin remontent.

VAREMBON.

Fausse barbe ! c’est pardieu bien la mienne que j’ai laissée pousser pendant la traversée.

RODOLPHE, s’approchant de Varembon.[58]

Eh bien ! c’est étonnant ! je l’ai toujours crue fausse, et c’est ce qui m’a tout fait deviner.

SAINTE-AMARANTE.

Mon neveu, je vous déshérite.

RODOLPHE.

Bon ! et pourquoi ?

SAINTE-AMARANTE.

Parce que vous êtes un vaurien, un coureur d’aventures.

RODOLPHE.

S’il ne tient qu’à cela, rassurez-vous ; je n’ai jamais eu la queue d’une aventure...

À Varembon.

Jamais !...

SAINTE-AMARANTE.

Mais cette cassette... ces gages d’amour ?

RODOLPHE.

Je les ai achetés chez les marchands de bric-à-brac, tout le long des quais.

SAINTE-AMARANTE.

Tu me trompais donc ?

RODOLPHE.

Pour vous plaire. Qu’auriez-vous pensé d’un neveu sans aventures, vous qui en avez eu tant ?

SAINTE-AMARANTE.

Ainsi tu n’en as pas eu une seule ?

RODOLPHE.

Je vous le jure !

SAINTE-AMARANTE, bas à Rodolphe.

Eh bien, ni moi non plus.

Entre Mattéo par le fond.

Ah ! voilà Mattéo !

Mattéo reste au fond, à gauche.

LOUISANNE.

Pardonnez-lui de s’appeler tout simplement Mathieu.

MATTÉO, ôtant sa fausse barbe.

Faut-il renvoyer la chaise de poste, monsieur ? Le postillon jure comme un charretier.

VAREMBON.

Mes enfants, partons pour les Cormiers, et si monsieur le chevalier veut monter sur le siège ?...

Tout le monde rit.

SAINTE-AMARANTE, à part.

On se moque de moi, ventre de biche !

CHŒUR FINAL.

Air des Impressions de voyages.

Partons pour la Bretagne,
Partez pour la Bretagne,
Sans attendre à demain :
L’amour nous accompagne,
L’amour vous accompagne,
Et montre le chemin.

LOUISANNE, au public.

Et vous, messieurs, de grâce,
Traitez-nous doucement :
Ne donnez pas la chasse
À la chasse au roman.

Reprise du chœur.


[1] Le Garçon, Sainte-Amarante.

[2] Sainte-Amarante, le Garçon.

[3] Le Garçon, Sainte-Amarante.

[4] Sainte-Amarante, Valentin.

[5] Valentin, Sainte-Amarante.

[6] Valentin, Sainte-Amarante, Rodolphe.

[7] Valentin, Rodolphe, Sainte-Amarante.

[8] Rodolphe, Valentin, Sainte-Amarante.

[9] Valentin, Rodolphe, Sainte-Amarante.

[10] Valentin, Sainte-Amarante, Rodolphe.

[11] Valentin, Sainte-Amarante, Louisanne, le Garçon, Rodolphe.

[12] Valentin, Sainte-Amarante, Louisanne, Rodolphe.

[13] Sainte-Amarante, Valentin, Louisanne, Rodolphe.

[14] Sainte-Amarante, Valentin, Louisanne, Matteo, Rodolphe.

[15] Valentin, Sainte-Amarante, Matteo, Rodolphe.

[16] Valentin, Sainte-Amarante, Rodolphe.

[17] Valentin, Pietranera, Sainte-Amarante, Rodolphe.

[18] Valentin, Sainte-Amarante, Rodolphe, Varembon.

[19] Valentin, Sainte-Amarante, Rodolphe.

[20] Valentin, Sainte-Amarante, Louisanne, Varembon, Rodolphe.

[21] Sainte-Amarante, Valentin, Louisanne, Varembon, Rodolphe.

[22] Varembon, Louisanne.

[23] Varembon, Valentin, Louisanne.

[24] Varembon, Louisanne, Valentin.

[25] Louisanne, Valentin.

[26] Sainte-Amarante, Rodolphe, Louisanne, Valentin.

[27] Rodolphe, Sainte-Amarante, Louisanne, Valentin.

[28] Rodolphe, Sainte-Amarante, Varembon, Louisianne, Valentin.

[29] Sainte-Amarante, Rodolphe, Varembon, Louisanne, Valentin.

[30] Rodolphe, Sainte-Amarante, Varembon, Louisanne, Valentin.

[31] Sainte-Amarante, Varembon, Rodolphe, Valentin, Louisanne.

[32] Sainte-Amarante, Rodolphe.

[33] Rodolphe, Sainte-Amarante.

[34] Rodolphe, Valentin, Louisanne, Sainte-Amarante.

[35] Rodolphe, Sainte-Amarante, Valentin.

[36] Rodolphe, Sainte-Amarante, Matteo, Valentin.

[37] Rodolphe, Sainte-Amarante, Valentin.

[38] Sainte-Amarante, Rodolphe, Varembon, Louisanne, Valentin.

[39] Rodolphe, Varembon, Sainte-Amarante, Louisanne, Valentin.

[40] Sainte-Amarante, Rodolphe.

[41] Rodolphe, Sainte-Amarante.

[42] Valentin, Louisanne.

[43] Valentin, Sainte-Amarante, Rodolphe.

[44] Sainte-Amarante, Valentin, Rodolphe.

[45] Valentin, Sainte-Amarante, Rodolphe.

[46] Rodolphe, Valentin, Sainte-Amarante.

[47] Valentin, Sainte-Amarante, Rodolphe.

[48] Valentin, Rodolphe, Sainte-Amarante.

[49] Valentin, Rodolphe, Sainte-Amarante, Louisanne.

[50] Rodolphe, Valentin, Sainte-Amarante, Varembon, Louisanne, Mattéo, au fond.

[51] Rodolphe, Varembon, Valentin, Sainte-Amarante, Louisanne, Mattéo, au fond.

[52] Varembon, Valentin, Rodolphe, Sainte-Amarante, Louisanne, Mattéo, au fond.

[53] Valentin, Varembon, Rodolphe, Sainte-Amarante, Louisanne, Mattéo, au fond.

[54] Valentin, Varembon, Sainte-Amarante, Rodolphe, Louisanne, Mattéo, au fond.

[55] Varembon, Valentin, Sainte-Amarante, Rodolphe, Louisanne, Mattéo, au fond.

[56] Varembon, Valentin, Louisanne, Sainte-Amarante, Rodolphe, Mattéo, au fond.

[57] Varembon, Valentin, Louisanne, Rodolphe, Sainte-Amarante.

[58] Sainte-Amarante, Louisanne, Valentin, Varembon, Rodolphe.

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