La Bourbonnaise (DE BEAUNOIR)
Farce bouffonne en un acte.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de Nicolet, le 3 octobre 1768.
Personnages
MONSIEUR SERREFORT, procureur
LA BOURBONNAISE
MADEMOISELLE DES USAGES
MONSIEUR TUE, dragon
RETAPPE, coiffeur de Dames
SUZON, cuisinière de la Bourbonnaise
ARLEQUIN, revendeuse à la toilette, traiteur, tapissier, et commissaire
La Scène est dans l’appartement de la Bourbonnaise.
Scène première
LA BOURBONNAISE, MADEMOISELLE DES USAGES
MADEMOISELLE DES USAGES.
Air : Ma cousine.
Ma voisine,
Ma voisine,
De la raison suivez la loi ; bis.
Recevez, croyez-moi,
L’amant qu’on vous destine.
Air : Pour la Baronne.
Votre tendresse
Pour Retappe est hors de propos ;
Point de faiblesse.
LA BOURBONNAISE.
Mais il est si jeune et si beau !
De mon cœur suis-je la maîtresse,
Il est charmant, jeune et dispos.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Point de faiblesse.
Air : Croyez-vous pour une faiblesse.
Lorsque l’on est dans l’indigence,
Doit-on laisser parler son cœur ?
Ce n’est qu’au sein de l’opulence
Qu’on doit reconnaître un vainqueur
LA BOURBONNAISE.
Même air.
J’aime mon amant, il m’adore ;
Puis-je ne pas combler ses vœux ?
MADEMOISELLE DES USAGES.
Va, je te le répète encore,
L’amour peut vous perdre tous deux.
LA BOURBONNAISE.
Il est vrai que je ne suis pas à mon aise, tu le sais.
Air : Pour héritage.
Pour héritage,
Je n’eus de mes parents
Que l’avantage
De quelques agréments.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Et ne vois-tu pas bien, pauvre innocente,
Que tu dois te faire une rente
De ce petit bien ?
Car enfin que prétends-tu faire avec ton Retappe, si vous êtes tous les deux sans argent ? Écoute un précepte que j’ai lu, je ne sais où.
Air : Du Confiteor,
L’or ne fait point aimer ; mais quelle est la constance
De deux amants toujours suivis de l’indigence ?
Peut-on, en ressentant l’horrible pauvreté,
Mêler les mots d’amour et de nécessité ?
Le travail tout courbé règne dans la chaumière,
L’ennui dans les Palais, et l’amour à Cythère ;
Les chiffres du malheur effarouchent ses yeux,
Le pauvre a la douleur, l’amour fuit les heureux.
Profite de cette leçon, crois-moi : tu es jeune, jolie, sans bien, et tu serais assez folle pour te marier. Fais profiter auparavant tes appas, tu trouveras allez de dupes qui mettent l’enchère à pareille marchandise.
LA BOURBONNOIS E.
Tu me parais trop franche pour ne pas t’ouvrir mon cœur. Apprends donc toute mon histoire, et par hasard je me trouve en ces lieux. Je suis née à Vichy en Bourbonnais : mon père y tenait une auberge allez considérable. Un Abbé qui venait y prendre les eaux pour des vapeurs, vint, malheureusement pour moi, loger chez nous. Il me vit, je lui plus, et je ne sais comment il fit : mais je me trouvai un jour dans sa chaise à cinquante lieues de mon pays, sans savoir où j’allais. Il m’amena à Paris, me logea dans cette maison, my meubla ce petit appartement, continua ses visites pendant six mois ; et depuis quinze jours il est reparti pour aller, je crois, prendre de nouvelles eaux : cependant mon père est mort du chagrin que lui a causé ma fuite, et il m’a déshéritée. Il ne me reste dans le monde que toi et mon cher Retappe : puis-je faire mieux que de le prendre pour époux ?
MADEMOISELLE DES USAGES.
Tu n’y penses pas : Retappe, je le sais, est bon coiffeur ; mais il n’amasse rien. Ce n’est pas là ce qu’il te faut. Je veux te voir, avant peu, bon équipage, petite maison, grand train : va, si j’avais ton âge et tes yeux ; mais malheureusement la beauté est un fruit qui n’a qu’un point de bonté ; encore vert, on n’y touche pas ; trop mûr, on le méprise.
LA BOURBONNAISE.
Mais je ne saurai jamais comment m’y prendre pour mettre à profit des conseils.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Écoute-moi : tu as de la jeunesse et de la beauté ; j’ai vécu et acquis beaucoup d’expérience ; c’est un sonds qu’on peut mettre au plus hait intérêt : soyons seulement de moitié.
LA BOURBONNAISE.
De tout mon cœur.
MADEMOISELLE DES USAGES.
En ce cas je vais te faire part de toute ma science.
Air : Comme v’là qu’est fait.
Avec un homme d’importance
Tu dois, pour bien te faufiler,
Feindre un certain air d’innocence,
N’oser ni rire, ni parler,
Rougir à la moindre équivoque :
Veut-on en venir à l’effet,
Dire : Fi donc, Monsieur se moque ;
Monsieur, finissez, s’il vous plaît.
V’là comme on fait,
V’là comme on fait.
Bientôt avec plus d’assurance
On reçoit chaque jour les soins,
Et sous un air de confiance
On découvre certains besoins ;
On fait bien valoir l’importance
Du sincère aveu que l’on fait ;
On refuse par bienséance,
Par amour on prend le bienfait.
V’là comme on fait. bis.
LA BOURBONNAISE.
Air : Du haut en bas.
Ah ! qu’ils sont bons,
Tous les avis que tu me donnes !
Ah ! qu’ils sont bons !
J’en profiterai sans façon ;
Je ferai ce que tu m’ordonnes,
À tes avis je m’abandonne ;
Car ils sont bons.
Air : De Manon Giroux.
Mais si par malheur Retappe
Devenait jaloux ;
S’il disait que je l’attrape,
Je crains son courroux.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Ne crains rien, laisse-moi faire,
Je vais lui parler ;
Je me ris de la colère,
Et vais tout régler.
LA BOURBONNAISE.
Air : Ah ! Monseigneur.
Mon cœur s’agite : ah ! le voilà ;
Je m’en fuis.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Et non, reste-là ;
N’appréhende pas ce garçon,
C’est un vivant, un bon luron ;
Il entendra bientôt raison :
Je le connais, et t’en réponds.
Scène II
LA BOURBONNAISE, MADEMOISELLE DES USAGES, RETAPPE
RETAPPE.
Air : Chère Annette, reçois l’hommage, etc.
Je reviens, belle Bourbonnaise,
T’offrir cette rose et mon cœur.
Tu connais quelle est ma tendresse,
De mon amour tu vois l’ardeur.
Viens, pour achever ton ouvrage,
Mettre le comble à mon bonheur ;
Et раг les nœuds du mariage,
À jamais joignons nos deux cœurs.
LA BOURBONNAISE.
Air : Des simples jeux de son enfance, etc.
M’unir à l’amant que j’adore,
Est le plus doux de tous mes veux.
Cher amant, que ne puis-je encore
Par les miens accroître tes feux !
Tu sais que dans le mariage
On éprouve mille besoins.
RETAPPE.
Je n’en sais rien ; mais en ménage
J’aurai con cœur, et toi mes soins.
Air : La jeune Annette, etc.
Plein de tendresse Pour ma maîtresse,
J’aurai sans cesse
Le peigne en main. Bis les quatre.
Avec courage,
Dans mon ménage
Je ferai rage,
Frisant sans fin,
Frisant, frisant,
Frisant sans fin.
Avec adresse
Chez la Comtesse,
Chez la Duchesse
Je vais peignant. Bis les quatre.
Chez la Bourgeoise,
Chez la Grivoise,
Chez la Matoise
J’en fais autant :
J’en fais, j’en fais,
J’en fais autant.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Voilà ce qui s’appelle parler à merveilles. Mais, écoute-moi, Retappe ; combien y a-t-il que tu est coiffeur ?
RETAPPE.
Environ six ans.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Et bien, dis-nous ce que tu as amassé.
RETAPPE.
Amassé ? tu badines : et pour qui ? Mais quand je serai marié...
MADEMOISELLE DES USAGES.
Tu seras encore plus gueux. Tu as de la peine à vivre tout seul ; que sera-ce quand une femme, des enfants... Tiens, Retappe, tu es bon enfant ; il faut que je s’associe à notre fortune.
RETAPPE.
Que veux-tu dire ?
MADEMOISELLE DES USAGES.
Que je veux te trouver quelqu’un qui dote ta charmante Bourbonnaise, et qui paye les violons de la noce.
RETAPPE.
Bien obligé de la bonne volonté, Mademoiselle des Usages, c’est-à-dire, que vous voulez faire de moi... bien obligé. Je ne suis pas comme votre Monsieur Tue, qui amant commode vous laisse...
MADEMOISELLE DES USAGES.
Pauvre nigaud ! Il te sied bien d’être délicat, tandis que les gens de qualité ne s’en piquent plus.
Air : Des portraits à la mode, etc.
De l’intérêt méconnaître la voix,
À la vertu conserver tous ses droits,
De l’honneur suivre aveuglément les lois,
C’était la vieille méthode.
Dans l’opulence placer la grandeur,
Ne plus respecter vertu ni pudeur,
Comme un préjugé regarder l’honneur,
Voilà les vertus à la mode.
RETAPPE.
Air : Si vous étiez ma Colette, etc.
Penses-tu que la richesse
Puisse faire le bonheur ?
MADEMOISELLE DES USAGES.
Penses-tu que la tendresse
Puisse suffire à ton cœur ?
RETAPPE.
Chéri de ma Bourbonnaise,
Je braverai l’or des Rois.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Dans les bras d’une maîtresse
La faim perd-t-elle les droits ?
RETAPPE.
Malgré toutes ces raisons, je ne puis me résoudre à n’être qu’un sot.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Mais où as-tu mis ton esprit aujourd’hui ? Qui te parle de cela ? Il s’agit seulement d’attraper quelque nigaud, qui paye les frais de la noce, et qui nous false cire à ses dépens.
RETAPPE.
Mais qui m’assurera qu’il ne rira pas en secret aux miens : que sais-je ?
LA BOURBONNAISE.
Air : Monsieur le Maître, etc.
Cher Retappe,
Cher Retappe,
Ne doute pas de mon cœur ;
Ne crains pas que je t’attrape :
Cher Retappe,
Cher Retappe.
RETAPPE.
Non, je n’en doute plus, et je me rends.
Air : Un mouvement de curiosité, etc.
Pour être heureux, lorsque l’on se marie,
Époux, faites fonds de crédulité.
Ce qui peut troubler le bonheur de la vie,
N’est souvent qu’un grain de curiosité,
Pour être heureux, lorsque l’on se marie,
Époux, faites fonds de crédulité.
Air : Sans le savoir, etc.
Plus d’un mari, quoique fort sage,
Dans son logis fait grand tapage,
Lorsqu’on le contraint à tout voir.
Mais si du fardeau qu’il supporte,
On sait écarter le miroir ;
Il ne dit mot, quand il le porte
Sans le savoir.
Mets ta main là-dedans. Tu me promets de ne me point trahir ?
LA BOURBONNAISE.
Air : De mon Berger volage, etc.
Tendre objet de ma flamme,
Reçois-en le serment :
Va l’amour qui m’enflamme,
Est sincère et constant.
Puis-je briser la chaîne
Qui joint mon fort au tien
Quand le nœud qui m’enchaîne
Est serré par ma main ?
RETAPPE.
C’en est fait, je me rends. Je veux faire plus : je connais certain Procureur riche et voluptueux, grand for ; c’est justement notre fait : je veux vous l’amener, nous en tirerons parti.
LA BOURBONNAISE.
Et d’où le connais-tu ?
RETAPPE.
C’est moi qui coiffe sa femme ; jeune, brune, égrillarde, qui lui rend bien le change.
LA BOURBONNAISE.
Air : Savez-vous ce que fait Lisette, etc.
Ne coiffes-tu que son épouse ?
RETAPPE.
Jalouse,
Je puis ce l’assurer.
LA BOURBONNAISE.
Oserais-tu bien en jurer ?
Ne crains pas que je m’en courrouce.
Ne coiffes-tu que son épouse ?
RETAPPE.
Jalouse,
Je puis te l’assurer.
MADEMOISELLE DES USAGES.
C’est assez causer, songeons à notre affaire. Viens avec moi, voisine, faire un tour. Toi, amènes-nous ton pigeon ; je me charge de le plumer.
LA BOURBONNAISE.
Au revoir.
RETAPPE.
Ne soyez pas longtemps.
Scène III
RETAPPE, seul
Air : Je suis un bon frotteur, etc.
Je suis un bon coiffeur
Qui fait avec cœur
Son ouvrage :
Sans soucis ni chagrin,
Du soir au matin
J’ai le peigne en main. Bis.
Qu’un vieil époux,
Maussade et jaloux,
Chez lui fasse rage ;
Je le coiffe aussitôt :
Mon jaloux bientôt
N’est qu’un sot.
Scène IV
MONSIEUR SERREFORT, RETAPPE
RETAPPE.
Que vois-je ? et c’est Monsieur Serrefort ?
À part.
Son mauvais destin me l’amène sans l’aller chers cher.
Haut.
Que demandez-vous ici ?
SERREFORT.
Ah ! c’est toi, Retappe, je suis ravi de te voir : je cherche un nommé Pilletout, Procureur. On m’a enseigné, je crois, cette maison.
RETAPPE.
On vous a trompé.
SERREFORT.
En ce cas, je m’en retourne bien vice.
RETAPPE.
Non pas, s’il vous plaît ; je suis invité dans cette maison au plus joli souper qu’on puisse trouver : nous y rirons, parbleu. Il faut que je vous en mette.
SERREFORT.
Y a-t-il des femmes ?
RETAPPE.
Les deux plus aimables de Paris.
SERREFORT.
Je me rends : surtout à ma femme motus.
RETAPPE.
Ne craignez rien. Mais où allez-vous donc ?
SERREFORT.
Je vais jusque chez moi porter de l’argent, que je viens de toucher d’une de mes Patries adverses, à qui j’ai bien voulu confier, deux heures, le sac d’un de mes Clients. Je suis à toi dans l’instant.
RETAPPE, à part.
Oh !ce n’est pas-là notre affaire...
Haut.
Bon, si vous retournez chez vous, votre femme vous retiendra ; et votre argent d’ailleurs est ici en sûreté.
SERREFORT.
Je n’en doute pas... Mais encore, comment se nomme la maîtresse de ce logis ?
RETAPPE à demi voix, et d’un air de mystère.
Vous êtes chez l’aimable Bourbonnaise.
SERREFORT.
D’honneur. Elle fait bien du bruit : le mérite-t-elle ?
RETAPPE.
Sans contredit.
Air : La Bourbonnaise, etc.
La Bourbonnaise
Est fille d’honneur,
La Bourbonnaise
Est fille d’honneur ;
Est fille d’honneur,
La Bourbonnaise ;
Est fille d’honneur,
Et de bon cœur.
Elle est novice
Au doux jeu d’amour,
Elle est novice
Au doux jeu d’amour :
Au doux jeu l’amour
Elle est novice,
Au doux jeu d’amour
Ne sait nul tour.
Elle refuse
De plus d’un Seigneur
Elle refuse
De plus d’un Seigneur :
De plus d’un Seigneur,
Elle refuse,
De plus d’un Seigneur
L’or et le cœur.
À l’innocence
Elle unit la gaieté,
À l’innocence
Elle unit la gaieté :
Elle unit la gaieté
À l’innocence,
Elle unit la gaieté
À la beauté.
SERREFORT.
Ce que tu me dis-là, est admirable : je suis bien curieux de la voir ; je n’en avais pas entendu parler si avantageusement.
RETAPPE.
Et dans ce siècle qui peut éviter les traits empoisonnés de la calomnie ? la vertu même n’en est pas à l’abri. Et sans aller si loin, combien n’en dit-on pas sur le compte des Procureurs, qui cependant...
SERREFORT.
Il est sûr qu’il est indigne de voir des gens d’une conscience aussi timorée exposés aux sarcasmes de l’envie ; cela fait frémir.
RETAPPE.
Ce siècle est bien méchant. Mais, Monsieur, voilà cette aimable enfant qui entre : comment la trouvez-vous ?
SERREFORT.
Charmante. Mais quelle et cette Dame qui est avec elle ?
RETAPPE embarrassé.
C’est, Monsieur... oui... c’est Madame... sa tante.
SERREFORT.
Elle est encore fort aimable.
Scène V
LA BOURBONNAISE, MADEMOISELLE DES USAGES, SERREFORT, RETAPPE
RETAPPE.
Mesdames, voulez-vous bien que je vous présente Monsieur Serrefort ? C’est un honnête homme, Procureur en la Cour, qui voudrait avoir l’honneur de vous faire sa révérence.
Bas à Mademoiselle des Usages.
Tu es la tante rigide.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Monsieur fait beaucoup d’honneur à ma nièce et à moi ; mais vous savez, Monsieur, que nous ne recevons personne. Quand on est femme, et jeune encore, il faut craindre les mauvais bruits. Et un homme fait comme Monsieur est capable d’y donner un grand jour de vraisemblance.
MONSIEUR SERREFORT.
Ah ! Madame, vous êtes trop bonne.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Ma nièce, faites les honneurs ; j’ai quelque chose de conséquence à dire à Monsieur Retappe. Voulez-vous bien permettre, Monsieur ?
MONSIEUR SERREFORT.
Vous vous moquez, Madame.
LA BOURBONNAISE.
Monsieur veut-il s’amuser à jouer ?
MONSIEUR SERREFORT.
Tout ce qu’il vous plaira, Mademoiselle.
LA BOURBONNAISE.
Et bien, je vais approcher cette table, nous ferons un piquer.
MONSIEUR SERREFORT.
Mon Dieu ! Mademoiselle, laissez-moi faire.
LA BOURBONNAISE.
Où vous placez-vous ?
MONSIEUR SERREFORT.
À la place que vous laisserez.
La Bourbonnaise s’assied de façon que Monsieur Serrafort a le dos tourné à Retappe et à Mademoiselle des Usages, qui sont de l’autre côté du Théâtre, et qui lui sont signe quel jeu il a dans sa main.
Cette conversation est à voix basse.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Voilà donc ton original ?
RETAPPE.
Oui. Il est venu lui-même se prendre dans nos filets.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Est-il garni ?
RETAPPE.
Oui, je t’en réponds.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Tant mieux. Mais comment nous y prendrons-nous pour le renvoyer sec ?
RETAPPE.
Laisse-moi faire. J’ai mon garçon perruquier, nommé Arlequin ; c’est un égrillard et un fin matois, je suis sûr qu’il remplira bien son rôle.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Ne tarde pas : battons le fer tandis qu’il est chaud.
Scène VI
SERREFORT, LA BOURBONNAISE, MADEMOISELLE DES USAGES
MADEMOISELLE DES USAGES s’approchant de la table et s’appuyant sur la chaise de Monsieur Serrafort.
Hé bien, ma nièce ; comment menez-vous Monsieur ?
MONSIEUR SERREFORT.
Tout doucement, Madame.
LA BOURBONNAISE.
C’est moi, je crois, qui suis la première.
MONSIEUR SERREFORT.
Oui, Mademoiselle. Mais, Madame, vous êtes mal là ? Permettez que je vous approche un fauteuil.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Ce n’est pas la peine, Monsieur, ne vous dérangez pas.
Tandis qu’il est allé chercher un fauteuil, on regarde son jeu, on lui prend des fiches, et on change les marques.
Que je suis fâchée de la peine.
LA BOURBONNAISE.
Avez-vous écarté, Monsieur ?
MONSIEUR SERREFORT.
Pas encore, Mademoiselle.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Il faut que je vous conseille. Écartez ce cœur.
MONSIEUR SERREFORT.
C’est ma garde.
MADEMOISELLE DES USAGES prenant la rentrée.
Qu’importe ? point d’as. Comptez votre jeu, ma nièce.
LA BOURBONNAISE.
Cinquante-sept en cœur.
MONSIEUR SERREFORT.
Excellents.
LA BOURBONNAISE.
La quatrième à la Dame...
MONSIEUR SERREFORT.
Bonne.
LA BOURBONNAISE.
Cela me dira dix, trois en trèfle, treize, trois dix, seize, et quatorze, sont quatre-vingt-dix.
MONSIEUR SERREFORT.
Mademoiselle a toujours les as.
LA BOURBONNAISE.
Quatre-vingt-onze du cœur.
MONSIEUR SERREFORT.
Et moi rien.
LA BOURBONNAISE.
Comment, Monsieur, le roi seul ?
MONSIEUR SERREFORT.
Eh ! Mademoiselle, en jouant contre vous peut-on jamais avoir garde à cœur ?
LA BOURBONNAISE.
Quatre-vingt-douze, quatre-vingt-treize, quatre vingt-quatorze, quatre vingt-quinze, quatre vingt-seize ; quatre-vingt-dix-sept, du trèfle ; quatre-vingt-dix-huit, quatre vingt-dix-neuf ; cent, du carreau ; cent un ; du pique ; laquelle avez-vous gardée ?
MONSIEUR SERREFORT.
Le pique, Mademoiselle.
LA BOURBONNAISE.
En ce cas, vous êtes repique et capot, vous voyez, c’est le dix de carreau.
MONSIEUR SERREFORT.
Voilà la partie finie, je perds neuf fiches.
MADEMOISELLE DES USAGES.
À combien ?
MONSIEUR SERREFORT.
Au jeu de Mademoiselle.
LA BOURBONNAISE.
Je ne joue jamais que le plaisir.
MONSIEUR SERREFORT.
Pardonnez-moi, Mademoiselle. Madame, quel est le jeu de votre aimable nièce ?
MADEMOISELLE DES USAGES.
Une bagatelle ; elle ne passe jamais son écu.
MONSIEUR SERREFORT.
En ce cas, je perds vingt-sept livres et les cartes.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Fi donc, Monsieur, des cartes : ma maison n’est pas une académie ; et mon domestique n’est pas assez considérable, pour que ceux qui viennent chez moi, m’en payent les gages. Jamais de cartes ici. Ah ! voilà déjà Monsieur Retappe de retour. Bon, vous êtes homme de parole.
Scène VII
SERREFORT, LA BOURBONNAISE, MADEMOISELLE DES USAGES, RETAPPE, MONSIEUR TUE
MADEMOISELLE DES USAGES.
Mais, qui nous amenez-vous donc là ? Eh ! c’est mon neveu. Vous voilà donc, petit libertin ? Monsieur, voulez-vous bien que je vous le présente ?
MONSIEUR SERREFORT.
Ce m’est beaucoup d’honneur. Monsieur est dans le militaire ? C’est un joli métier.
MONSIEUR TUE.
Oui, Monsieur. Et bien, petite cousine, comment va la santé ?
LA BOURBONNAISE.
Très bien, cousin.
Retappe entraine d’un côté du théâtre Monsieur Serrefort, tandis que Mademoiselle des Usages, la Bourbonnaise et Monsieur Tue sont de l’autre.
RETAPPE.
Comment trouvez-vous la nièce ?
MONSIEUR SERREFORT.
Charmante adorable, mille fois plus honnête encore que tu ne me l’avais dit.
RETAPPE.
Et la tante ?
SERREFORT.
C’est une femme bien aimable, qui sait son monde, et qui est très respectable.
RETAPPE.
Sûrement : et le jeu comment l’avez-vous mené ?
MONSIEUR SERREFORT.
J’ai perdu.
RETAPPE.
Beaucoup ?
MONSIEUR SERREFORT.
Non, peu, vingt-sept livres : mais on n’a pas voulu absolument me laisser payer les cartes.
RETAPPE.
Je le crois bien. Oh ! vous êtes dans une maison honnête : vous me saurez gré de cette connaissance. Elles sont malheureusement un peu gênées dans le moment ; mais dans peu il dois leur rentrer de gros fonds.
MONSIEUR SERREFORT.
Hé bien, si je proposais à la tante de lui avancer quelqu’argent ?
RETAPPE.
Gardez-vous-en bien ; un seul mot la ferait sauter aux nues. Elle n’entend pas raison sur ce chapitre. Si elle voulait, vous ne sauriez croire les offres immenses qui, de ma connaissance lui ont été faites.
MONSIEUR SERREFORT.
Hé bien ?
RETAPPE.
Hé bien, elle a tout refusé, et n’a jamais voulu revoir les personnes. Vous pouvez, par exemple, faire quelque cadeau à la nièce ; cela est sans conséquence.
Il tousse plusieurs fois.
Hem, hem.
Arlequin paraît en Commissaire ; Retappe lui fait signe que non : il paraît en Traiteur. Retappe, qui tient Monsieur Serrafort le dos tourné, lui fait signe que non : il reparaît en Tapissier, il lui fait signe que non. Enfin : il paraît en Revendeuse, et Retappe lui fait signe qu’oui : pendant ce temps Retappe cause avec Monsieur Serrafort.
MONSIEUR SERREFORT.
Oh ! j’en suis charmé. Je te réponds que dès ce soir nous irons faire un tour chez du Lac ensemble. Que pourrais-je lui donner, qui lui fit plaisir ? Tu dois le savoir.
RETAPPE.
Bon : quelque petite bagatelle ; on petit rien joli. Oh ! nous verrons.
MONSIEUR SERREFORT.
Est-elle bien en bijoux ?
RETAPPE.
Comme ça.
MONSIEUR SERREFORT.
Si je lui demandais son goût ?
RETAPPE.
Fi donc ; elle vous refuserait tout net : il faut que cela vienne naturellement.
Scène VIII
MONSIEUR SERREFORT, MADEMOISELLE DES USAGES, LA BOURBONNAISE, RETAPPE, MONSIEUR TUE, ARLEQUIN en Revendeuse à la toilette
RETAPPE.
Eh ! voilà Mademoiselle des Menées Revendeuse à la toilette.
MADEMOISELLE DES MENÉES.
Votre très humble, Madame :
Elle fait la révérence à chacun de la compagnie.
j’ai du joli aujourd’hui et à bon marché.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Bien obligé, Mademoiselle des Menées, nous ne voulons rien voir aujourd’hui ; vous nous tenteriez, et nous ne sommes pas en argent.
MONSIEUR TUE.
Oh ! oui, vous êtes tentante : regardez-moi ce teint ; c’est une brune piquante.
MADEMOISELLE DES MENÉES.
Ah ! ah ! ah ! Monsieur, vous badinez.
Riant.
Ah, ah.
MONSIEUR SERREFORT.
Voyons un peu vos bijoux ; la vue n’en coûte rien.
MADEMOISELLE DES MENÉES.
Non, Monsieur.
Tirant d’un écrin une bague. À Mademoiselle des Usages.
Air : J’ai des vapeurs.
Examinez de cette pierre,
Ma chère,
L’éclat et l’eau.
Tirant une boîte d’or. À la Bourbonnaise.
Cette boîte est toute nouvelle,
Ma belle,
Du dernier beau ;
Elle est d’une délicatesse :
Mais examinez,
Regardez.
À Monsieur Serrefort.
Monsieur, voyez-en la finesse.
À la Bourbonnaise.
Qu’en pensez-vous,
Mon bijou ?
LA BOURBONNAISE.
Ah ! que cette boîte est charmante,
Ma tante !
Mais regardez.
MADEMOISELLE DES USAGES, essayant la bague.
Cette bague est d’une justesse,
Ma nièce :
Mais admirez.
LA BOURBONNAISE.
Ah ! que cette boîte me tente.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Voyez quel éclat !
MADEMOISELLE DES MENÉES.
Gardez-la.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Non, vous êtes trop séduisante ;
Tenez
LA BOURBONNAISE.
Prenez.
MADEMOISELLE DES USAGES et la BOURBONNAISE, ensemble.
Remportez.
MADEMOISELLE DES MENÉES.
Non, je ne remporterai rien : je suis trop de vos amies pour vous laisser manquer ces deux effets ; on les donne pour rien : c’est un marché d’or. La bague vient d’une Danseuse de l’Opéra, à qui un Milord en fit présent : elle a coûté au moins mille écus, on la donne pour soixante louis. Le Milord est parti ; et la Demoiselle en est si affligée, qu’elle ne veut rien garder de lui, qui puisse nourrir son triste souvenir.
MONSIEUR TUE.
Soixante louis ! Ma tante, ne laissez pas échapper cette occasion : c’est donné pour rien. Qu’en pense Monsieur ?
MONSIEUR SERREFORT.
Il est vrai : ce serait un meurtre de n’en pas profiter.
MADEMOISELLE DES MENÉES.
La boîte est encore à meilleur marché. Une Dame l’a fait faire exprès pour un jeune Militaire, qu’elle estime ; et lui a donnée, ornée de son portrait. Elle a coûté au moins deux cent pistoles : examinez comme c’est fini. Et bien le jeune homme, pour lui témoigner sa reconnaissance, a résolu de garder éternellement le portrait attaché sur son cœur ; et comme la boîte lui devient inutile, il s’en défait, moyennant vingt-cinq louis. Vous voyez que c’est donné pour rien. N’est-il pas vrai, Monsieur ?
MONSIEUR SERREFORT.
Assurément.
RETAPPE.
Mademoiselle, elle vous fait plaisir ; gardez-la.
LA BOURBONNAISE.
Eh bien, ma tante ?
MADEMOISELLE DES USAGES.
Et bien, ma nièce Nous voudrions en vain profiter d’un pareil marché : nous ne sommes pas en état dans ce moment. Quatre-vingt cinq louis ! cela nous est impossible. Si Mademoiselle des Menées pouvait attendre quinze jours seulement... Nous attendons un remboursement de vingt mille écus ; et il y aurait deux louis à gagner pour elle.
MADEMOISELLE DES MENÉES.
Vous êtes bien bonne, Madame : je voudrais que ces bijoux m’appartinssent, ils seraient à vous ; mais je ne suis pas maîtresse de les garder.
MADEMOISELLE DES USAGES.
En ce cas, remportez-les, Mademoiselle.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Bien fâchée, Mesdames, de ne pouvoir pas vous obliger.
MONSIEUR SERRFFORT.
Un instant, Mademoiselle ; je ne souffrirai pas que ces Dames manquent un pareil marché. Voilà ma bourse : prenez vos deux mille quarante livres, et donnez-moi cette bague et cette boîte.
RETAPPE, à demi-voix.
Bien. Ah ! vous êtes un coquin qui en savez long.
MADEMOISELLE DES MENÉES.
Tenez, Monsieur, les voilà.
Elle s’enfuit.
Scène IX
MONSIEUR SERREFORT, MADEMOISELLE DES USAGES, LA BOURBONNAISE, MONSIEUR TUE, RETAPPE
MONSIEUR SERREFORT.
Madame, voulez-vous bien l’accepter de ma main ; et vous, ma belle Demoiselle, recevez cette boîte, qui a paru vous faire plaisir.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Non, Monsieur, je ne souffrirai jamais pareille chose. Ma nièce, remerciez Monsieur de sa politesse, et rendez-moi la boîte.
LA BOURBONNAISE.
La voilà, ma tante.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Monsieur, nous sommes, on ne peut pas plus, sensibles à votre galanterie. Mais il ne nous con vient pas de rien accepter : cela ne serait nulle ment décent. Tenez, Mademoiselle des Menées, reprenez vos bijoux, et rendez l’argent à Monsieur.
LA BOURBONNAISE.
Et mon Dieu ! ma tante, elle est déjà partie.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Voyez cette étourdie : et sans vous rendre votre reste.
MONSIEUR SERREFORT.
Ce n’est rien, Madame : la somme était à peine complète.
RETAPPE.
Et le surplus est son droit de courtage.
MONSIEUR TUE.
Mais n’est-il pas temps de nous mettre à table, ma tante ?
MADEMOISELLE DES USAGES.
Ah ! tu m’y fais penser... Suzon.
Scène X
MONSIEUR SERREFORT, MADEMOISELLE DES USAGES, LA BOURBONNAISE, MONSIEUR TUE, RETAPPE, SUZON
SUZON.
Vous m’appelez, Madame ?
MADEMOISELLE DES USAGES.
Oui, mettez le couvert, et faites-nous souper. Vous voudrez bien excuser, Monsieur, nous sommes logées petitement : c’est ce qui nous oblige à faire de cette pièce notre salle à manger.
SUZON.
Madame ?...
MADEMOISELLE DES USAGES.
Et bien.
SUZON.
Le Traiteur...
MADEMOISELLE DES USAGES.
Après.
SUZON.
Il ne veut pas apporter à souper.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Comment ?
SUZON.
Oui, Madame, il dit qu’il ne veut plus vous fournir, que vous n’ayez payez son mémoire.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Et bien, que ne l’apportait-il cet impertinent, sans toutes ces paroles ?
SUZON.
Tenez, Madame, le voilà lui-même.
Scène XI
MONSIEUR SERREFORT, MADEMOISELLE DES USAGES, LA BOURBONNAISE, MONSIEUR TUE, RETAPPE, ARLEQUIN en Traiteur
MADEMOISELLE DES USAGES.
Qu’est-ce que cela veut dire, Monsieur Fricandeau ? vous refusez de servir une femme comme moi ?
MONSIEUR FRICANDEAU.
Pardonnez-moi, Madame : j’ai dit seulement à votre cuisinière que je ne pouvais plus rien vous fournir, attendu que mon mémoire étant plein, il ne me restait plus de place pour écrire.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Mauvaises raisons que cela. Hé bien, voyons donc ce que chante votre grimoire.
MONSIEUR FRICANDEAU.
Mémoire pour Madame des Usages demeurant rue des Poulies saint Honoré par Jean Léonard Fricandeau, maître Rôtisseur et Traiteur à Paris.
Air : Le premier du mois de Janvier.
D’abord pour le mois de Janvier,
À quarante sols le dîner,
Cela fait bien soixante livres :
De souper vous n’en avez pas ;
D’extraordinaire un poulet gras,
Que je ne compte que deux livres.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Passons au mois de Février.
ARLEQUIN.
C’est à trois livres le dîner :
Cela fait, je crois, neuf pistoles.
Nous avons quatre soupers fins,
Auxquels j’ai fourni jusqu’aux vins,
Quatre louis.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Ah !
MONSIEUR FRICANDEAU.
Point de paroles.
Le mois de Mars est tout entier,
À huit francs souper et dîner ;
Ce qui fait cent soixante livres.
Avril, et le mois qui le suit,
Sur le même taux sont écrit,
Vous le verrez dessus mes livres.
Le total est ici tout fait.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Est-il juste, Monsieur ?
FRICANDEAU.
Parfait.
Soupers fins trente-six et douze,
Soixante-deux, quatre-vingt-dix,
Trois cent soixante et deux fois six ;
Font bien six cent soixante-douze.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Votre total n’est pas juste ; il y a erreur.
MONSIEUR SERREFORT.
Il est aisé de recompter.
LA BOURBONNAISE.
Bon, Monsieur, laissons-les s’arranger ; ne nous melons pas de cela.
MONSIEUR SERREFORT.
Il est vrai qu’auprès de vous, Mademoiselle, il est difficile de penser à autre chose.
LA BOURBONNAISE.
Vous êtes galant.
MONSIEUR FRICANDEAU.
Non, Madame, il ne m’est pas possible de vous fournir davantage ; il me faut de l’argent.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Mais, Monsieur Fricandeau, je vous donne ma parole d’honneur, que dans quinze jours je dois toucher soixante mille francs, et qu’aussi tôt...
MONSIEUR FRICANDEAU.
Non, Madame, point d’argent, point de Suisse.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Mais, Monsieur, en vous donnant quelqu’acompte ? Ma nièce... ne pourrait-on pas s’arranger ? Ma nièce.
MONSIEUR SERREFORT.
Mademoiselle, Madame votre tante vous appelle.
LA BOURBONNAISE.
Que vous plaît-il, ma tante ?
MADEMOISELLE DES USAGES.
Avez-vous quelqu’argent sur vous ?
LA BOURBONNAISE.
Oui, ma tante, j’ai environ deux louis ; voilà ma bourse.
MONSIEUR SERREFORT.
Que faites-vous, Mademoiselle ? Laissez-moi parler un instant à ce malotru ? Voyons : de quoi s’agit-il ?
MONSIEUR FRICANDEAU.
D’un petit mémoire, Monsieur, que j’apporte à Madame ; j’ai besoin d’argent comptant, Madame me remet à quinze jours, qu’elle en doit toucher : le croyez-vous ?
MONSIEUR SERREFORT.
Comment, si je le crois ? Donnez-moi votre mémoire ? Tenez, voilà votre argent.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Que faires-vous, Monsieur ?
MONSIEUR SERREFORT.
J’ai payé cet homme, Madame.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Je suis honteuse de vos bontés, Monsieur, je vous prie de garder ce mémoire, et d’être sûr que j’y ferai honneur.
MONSIEUR FRICANDEAU.
Que vous faut-il pour souper, Madame ?
MADEMOISELLE DES USAGES.
Mais, vous voyez, nous sommes cinq ; un petit souper, là joli...
MONSIEUR FRICANDEAU.
J’entends : vous serez bien servie ; quatre petites entrées, deux pièces fines pour le rôt, quatre plats d’entremets, le dessert, vin ordinaire, vin de Champagne, vin de liqueur.
À voix basse à Monsieur Serrefort.
Est-ce vous, Monsieur, qui payez ?
MADEMOISELLE DES USAGES.
Sans doute ; combien vous faut-il ? Que vois-je ! Monsieur, prétendez-vous m’insulter ? Sachez, Monsieur, que je ne suis pas femme à souffrir qu’on paye chez moi : cet affront m’est sensible.
MONSIEUR SERREFORT.
Excusez-moi, Madame, je ne voulais pas... j’ai cru...
MADEMOISELLE DES USAGES.
Êtes-vous accoutumé, Monsieur Fricandeau à vous faire payer par les personnes qui sont chez moi ? Pour qui me prenez-vous ?
MONSIEUR FRICANDEAU.
Excusez, Madame, je vais vous envoyer sur le champ, tout est prêt. Holà garçons, apportez le souper.
Scène XII
MONSIEUR SERREFORT, MADEMOISELLE DES USAGES, LA BOURBONNAISE, MONSIEUR TUE, RETAPPE
MADEMOISELLE DES USAGES.
Il m’est bien douloureux, Monsieur, que vous vous me preniez dans un moment de détresse ; cela vous donne de moi des idées...
MONSIEUR SERREFORT.
Point du tout, Madame.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Apprenez, Monsieur, que je ne prétends pas que personne chez moi fasse les honneurs de ma maison et de ma table.
MONSIEUR SERREFORT.
Je vous demande mille pardons de mon...
MADEMOISELLE DES USAGES.
En ce cas, tout est pardonné ; ne songeons qu’à nous divertir.
Scène XIII
MONSIEUR SERREFORT, MADEMOISELLE DES USAGES, LA BOURBONNAISE, MONSIEUR TUE, RETAPPE, SUZON
SUZON.
Voilà le souper, Madame.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Des sièges. Allons, plaçons-nous, mettez-vous ici, ma nièce, moi là ; Monsieur Serrefort, venez, je vous garde cette place entre nous deux.
MONSIEUR SERREFORT.
Ah ! Madame.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Sans façon, placez-vous ; Monsieur Retappe, mettez-vous à côté de ma nièce ; et vous petit libertin, venez auprès de moi, que j’ai l’œil sur vous.
MONSIEUR TUE.
Volontiers, ma tante.
RETAPPE.
Allons, qui veut me faire raison de la santé que je porte à ces dames ?
MONSIEUR SERREFORT.
C’est moi, si ces dames veulent bien me te permettre.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Comment, vous le permettre ; bien plus je prétends soutenir votre assaut : veux-tu me seconder, ma nièce ?
LA BOURBONNAISE.
Volontiers, ma tante ; trinquons.
MONSIEUR TUE.
Ah ! parbleu cousine, il faut que tu nous chantes une chanson.
MONSIEUR SERREFORT.
Ah, oui ! Mademoiselle.
LA BOURBONNAISE.
Voilà un tour du cousin ; il n’en fait jamais d’autres : je ne sais pas chanter, et répondrais mal à votre attente.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Chante toujours ; Monsieur est indulgent, et tu l’amuseras
LA BOURBONNAISE.
Je ne sais laquelle chanter.
RETAPPE.
Bon, la première venue, pourvu qu’elle soit gaie.
LA BOURBONNAISE.
Air : du Prévôt des Marchands.
Que les ris, Bacchus et l’Amour
Dans ces lieux règnent tour à tour.
Aimons, rions, buvons sans cesse :
Que parmi nos jeux la beauté
Conserve toujours la sagesse,
Mais en dépouille la fierté.
À votre tour, Monsieur Serrefort.
MONSIEUR SERREFORT.
Jamais de ma vie je n’ai chanté.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Hé bien, vous en ferez l’apprentissage pour nous.
MONSIEUR SERREFORT.
Mais, Madame.
LA BOURBONNAISE.
Oh ! je ne vous fais pas de quartier.
RETAPPE.
Allons, Monsieur Serrefort ; refuserez-vous ces dames ?
MONSIEUR TUE.
Courage, Monsieur ; la beauté a bien du pou voir.
MONSIEUR SERREFORT.
Vous le voulez ? Il faut vous obéir.
Air : des Folies d’Espagne.
Au Dieu d’amour je fus longtemps rebelle,
Longtemps je bravai ses sommations ;
Mais mon cœur lui fait les offres réelles,
Et s’en tient à ses protestations.
RETAPPE.
Voilà du dernier galant, Mesdames.
MONSIEUR TUE.
Je n’y trouve qu’un défaut, c’est d’être trop court.
LA BOURBONNAISE.
Hé bien, Monsieur va le réparer à ma prière : allons, un second coupler pour moi.
MONSIEUR SERREFORT.
Vous êtes ma Muse : puis-je me refuser à vos inspirations ?
Même air.
De vos rigueurs c’est en vain que j’appelle,
La raison met mon appel au néant ;
Et me montrant combien vous êtes belle,
Me condamne en tous les frais et dépens.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Cela est charmant. À votre tour, Monsieur Retappe.
RETAPPE.
Après vous, Madame.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Non, je me réserve pour la dernière.
RETAPPE.
Air : D’une Allemande.
Boire avec sa maîtresse
Est-il un sort plus doux ?
Rire et chanter sans cesse,
N’être jamais jaloux, bis.
Noyer dans des flots de vin
L’humeur et le chagrin,
Et tenir soir et matin
Verre plein
À la main.
LA BOURBONNAISE.
À ton tour à présent, cousin.
MONSIEUR TUE.
Volontiers.
Air : Servir le Roi, etc.
Les Dragons, aux champs de Bellonne,
Savent moissonner le laurier.
Aussitôt que Louis l’ordonne
Je pars sans demander quartier.
Mais lorsque la paix me ramène
Dans les bras d’un jeune tendron,
L’amour à ses genoux m’enchaîne,
Et de myrte couvre mon front.
Je partage toute ma vie
Entre mon Prince et mes amours.
Quand je reviens près de ma mie,
Elle est la reine de mes jours.
Des ennemis bravant l’audace,
Contr’eux je marche avec dédain.
À table Bacchus me terrasse,
Et l’Amour désarme ma main.
Buvons, ne parlons plus de guerre,
Tous nos rivaux sont nos amis.
Ne nous battons qu’à coups de verre,
Ne redoutons que les soucis.
De notre Roi, de notre père,
Je vous porte à tous la santé.
Amis, les veux les plus sincères
Sont ceux qu’enfante la gaieté.
À votre tour, ma tante.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Je ne m’en défends pas.
Air : Le bonheur suprême, etc.
Le plaisir m’inspire :
Quel doux délire !
Bacchus et l’Amour
Me commandent tour à tour, Bis.
L’un chantant victoire
Nous force à boire.
L’autre fait aimer,
Et sait nous enflammer.
Au Dieu de l’ivresse
Donnons nos jours :
Au Dieu des amours
Donnons notre jeunesse.
En chorus,
Allons.
TOUS ; en chorus.
Au Dieu de l’ivresse
Donnons nos jours :
Au Dieu des amours
Donnons notre jeunesse.
MADEMOISELLE DES USAGES.
La décence austère
Au front sévère,
Nous défend les jeux
Qu’amènent ici ces Dieux. Bis.
Mais qu’à la sagesse
La douce ivresse
Montre un verre plein,
Elle dira soudain :
Au Dieu de l’ivresse
Donnons nos jours :
Au Dieu des amours
Donnons notre jeunesse.
TOUS, en chorus.
Au Dieu de l’ivresse
Donnons nos jours :
Au Dieu des amours
Donnons notre jeunesse.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Chérir sa maîtresse,
L’aimer sans cesse,
La voir sans rigueur,
La posséder sans langueur, bis.
Consacrer sa vie
À la folie,
Maîtriser l’humeur ;
Voilà le vrai bonheur.
Au Dieu de l’ivresse
Donnons nos jours :
Au Dieu des amours
Donnons notre jeunesse.
Tous en chorus.
Scène XIV
MONSIEUR SERREFORT, MADEMOISELLE DES USAGES, LA BOURBONNAISE, MONSIEUR TUE, RETAPPE, ARLEQUIN en Tapissier, avec une échelle et un marteau à la main, entrant brusquement avec deux garçons Tapissiers
MADEMOISELLE DES USAGES.
Qui entre chez moi si brusquement ? Hé, c’est Monsieur Trumeau ! Qui vous amène si tard ?
TRUMEAU.
Presque rien, Madame.
Il pose son échelle, et se met en devoir de détendre la tapisserie.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Mais, que faites-vous donc, Monsieur Trumeau ?
TRUMEAU.
Tenez, Madame, je vais le dire tout net. Je vous ai fourni pour deux mille écus de meubles à crédit : il y a trois mois que je devais être payé, je n’ai pas encore reçu un sol. Vous me remettez de jour en jour ; je ne puis plus attendre, j’ai besoin de mon argent, et j’ai vendu vos meubles à d’autres. Ils sont à moi, je puis les remporter.
LA BOURBONNAISE.
Mais vous savez, Monsieur...
TRUMEAU.
Oui, Mademoiselle, je sais que si Madame votre tante eût voulu, il y a longtemps que mes meubles seraient payés. Ce riche Financier, qui lui proposait d’acquitter mon mémoire, m’en eût fait mettre pour dix mille écus peut-être dans cette petite maison, qu’il voulait vous meubler à Auteuil. Morbleu, Madame, le scrupule était hors de saison : j’aurais mon argent, vous vos meubles ; et pour si peu de chose... Cela fait pitié.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Tout doux, Monsieur Trumeau, respectez plus ma maison.
TRUMEAU.
Ah ! mon Dieu, Madame, je sais que vous êtes très respectable : vous ne l’êtes que trop. Mais enfin, mon argent ou mes meubles.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Mais, Monsieur, ne pouvez-vous pas attendre quinze jours seulement ? je vous donne ma parole d’honneur que vous serez payé.
TRUMEAU.
Non, Madame, je n’attendrais pas seulement un quart d’heure.
La tirant à part, et faisant semblant de lui parler bas, mais assez haut pour être entendu de Monsieur Serrefort.
Madame, il est un moyen d’empêcher l’enlèvement de vos meubles. Le Milord, dont je vous ai parlé, s’offre d’acquitter non-seulement votre mémoire, mais encore de tenir votre maison, si vous voulez seulement lui permettre de venir faire sa cour à votre nièce.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Monsieur Trumeau, vous abusez de ma situation, pour me tenir de pareils propos. Enlevez vos meubles, Monsieur, et ne me parlez plus. Que je suis malheureuse !
TRUMEAU.
Vous le voulez, Madame ? c’est votre faute.
LA BOURBONNOISE, à Monsieur Serrefort.
Ah ! Monsieur, faut-il que vous vous trouviez à un pareil spectacle ? Qu’allez-vous penser de nous ?
MONSIEUR SERREFORT.
Ah ! Mademoiselle, vos malheurs redoublent mon estime pour vous.
RETAPPE.
Un instant, Monsieur Trumeau, je ne souffrira jamais qu’on fasse une pareille insulte à Madame Je prends le mémoire sur mon compte, et je suis sa caution.
TRUMEAU.
Comment vous appelez-vous, Monsieur ?
RETAPPE.
Je me nomme Retappe, et suis Coiffeur de Dames.
TRUMEAU.
Coiffeur de Dames ! Je ne puis vous obliger, Monsieur. Vos revenus sont fondés sur quelque chose de trop frivole : j’ai besoin d’argent comptant.
LA BOURBONNAISE.
Ah ! Monsieur Retappe, que je vous ai d’obligation de votre bonne volonté ! Mais nous sommes nées pour être malheureuses. Ah ! ma tante.
MONSIEUR TUE.
Monsieur Trumeau, si la caution de Monsieur Retappe ne vous suffit pas, je m’engage avec lui.
TRUMEAU.
Qui êtes-vous, Monsieur ?
MONSIEUR TUE.
Madame est ma tante : je m’appelle Tue. Je suis Lieutenant réformé de Dragons.
TRUMEAU.
Lieutenant réformé de Dragons ! Je ne puis vous obliger, Monsieur : j’ai besoin d’argent comptant.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Ah ! mon neveu.
LA BOURBONNAISE.
Ah ! mon cher cousin.
TRUMEAU.
Et bien, Madame...
MADEMOISELLE DES USAGES.
Non, vous cherchez en vain à profiter de mon malheur : démeublez, Monsieur Trumeau, dé meublez.
MONSIEUR SERREFORT.
Non, Madame, non, Monsieur n’emportera rien : je n’ai pas d’argent sur moi ; mais voici un billet au porteur de cinq mille francs. Voulez-vous l’accepter, Monsieur ? je vais vous faire une obligation des cent pistoles excédents. Je m’appelle Serrefort, Procureur en la Cour, demeurant rue Vide-gousset.
TRUMEAU.
Monsieur, il faut en passer par ou vous voulez ; et le désir que j’ai d’obliger Madame, me fait accepter vos offres. Tenez, Monsieur, voila le mémoire de Madame : voulez-vous mettre un petit mot d’écrit ?
MONSIEUR SERREFORT.
Volontiers.
LA BOURBONNAISE.
Ah ! Monsieur, que je vous ai d’obligations ! Non, je ne les oublierai jamais.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Monsieur, soyez certain de ma reconnaissance ; et qu’aussitôt que j’aurai touché mon remboursement, je n’aurai rien de plus pressé que d’acquitter toutes les obligations que je vous ai.
TRUMEAU.
Madame, j’espère que vous voudrez bien oublier la petite vivacité que m’a causée le besoin.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Allez, Monsieur, vous avez fait votre métier.
Scène XV
MONSIEUR SERREFORT, MADEMOISELLE DES USAGES, LA BOURBONNAISE, MONSIEUR TUE, RETAPPE
MONSIEUR SERREFORT.
Allons, Mesdames, remettons-nous à table, oublions le passé, et ne songeons qu’à nous réjouir.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Ah ! je ne suis guère en état de tenir ma place ; j’ai une migraine à mourir.
LA BOURBONNAISE.
Ah ! ma tante ; je lui défie de tenir contre la bonne humeur de Monsieur, allons, c’est à la fan té que je bois : je veux qu’on m’en fasse raison.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Comme tu sais me prendre.
À Retappe, bas.
Avançons-nous.
RETAPPE, bas.
Nous touchons au dénouement.
Il laisse tomber son verre plein sur l’habit de Monsieur Tue.
MONSIEUR TUE.
Vous êtes bien maladroit.
RETAPPE.
Je ne l’ai pas fait exprès.
MONSIEUR TUE.
Il fallait y prendre garde.
RETAPPE.
Le malheur n’est pas grand.
MONSIEUR TUE.
Qu’importe ? cela me déplaît.
RETAPPE.
J’en suis fâché.
MONSIEUR TUE.
Vous raillez, je crois
RETAPPE.
Pourquoi non ?
MONSIEUR TUE.
Vous êtes un drôle.
RETAPPE.
Et vous un polisson.
MONSIEUR TUE, lui donnant un soufflet.
Tiens, voilà ton polisson.
RETAPPE, mettant l’épée à la main.
Malheureux j’en aurai raison.
LA BOURBONNAISE.
Au guet, au guet, un Commissaire.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Messieurs, vous me perdez ; sortez.
MONSIEUR SERREFORT.
Eh ! Messieurs.
LA BOURBONNAISE.
Au guet ; on s’assassine, au meurtre.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Taisez-vous, Monsieur Retappe.
RETAPPE.
Un soufflet ? Non, il faut qu’il périsse par ma main.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Mon neveu...
MONSIEUR TUE.
Un polisson ! ma tante ; moi, un Militaire ! Ah ! je lui ferai voir...
LA BOURBONNAISE.
Eh ! Monsieur ! ils vont s’égorger ; séparez-les donc : au meurtre, à l’assassin, au guet.
Scène XVI
MONSIEUR SERREFORT, MADEMOISELLE DES USAGES, LA BOURBONNAISE, MONSIEUR TUE, RETAPPE, ARLEQUIN en Commissaire
ARLEQUIN.
Gardez bien la porte, que personne n’entre ni ne sorte ; ne laissez échapper âme qui vive. De par le Roi, rendez vos épées : qu’est-ce ceci ? ah, ah ! Mademoiselle des Usages, on fait du tapage chez vous ; et vous, gentille Bourbonnaise, on s’égorge pour vos beaux yeux. Allons, une petite retraite de trois mois vous tendra plus sage. Vos noms, Messieurs, vos demeures et vos qualités. ?
MADEMOISELLE DES USAGES.
Ah ! Monsieur Tigret, ayez pitié de nous.
LA BOURBONNAISE.
Monsieur Tigret, voyez mes larmes.
ARLEQUIN.
Non, je vous ai déjà pardonné trop de fois : faites vos petits paquets. Quant à ces Messieurs l’air de Gentilli leur fera sûrement du bien.
MONSIEUR SERREFORT.
Où suis-je ? Ah ! ciel, je suis pris pour dupe. Malheureux Retappe ! Tâchons de nous échapper : la leçon me coûte cher, Mais heureux l’oiseau qui ne laisse au trébuchet que quelques plumes.
Il s’évade.
Scène XVII
LA BOURBONNAISE, MADEMOISELLE DES USAGES, MONSIEUR TUE, RETAPPE, ARLEQUIN
LA BOURBONNAISE.
Il est parti.
RETAPPE.
Victoire.
ARLEQUIN.
Monsieur le Commissaire a le gosier altéré : permettez-lui de boire.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Bois, mon cher, bois. Et bien, mes enfants ?
LA BOURBONNAISE.
Tu es une femme unique.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Nous en tiendrons-nous là ?
LA BOURBONNAISE.
Si notre histoire transpire...
RETAPPE.
Ne craignez pas qu’il ose s’en vanter.
ARLEQUIN.
Et qui de nous mérite le laurier ?
LA BOURBONNAISE.
Va, tu es le plus adroit coquin du monde.
MONSIEUR TUE.
Ne nous reprochons rien : chacun de nous a rempli son rôle tout au mieux.
LA BOURBONNAISE.
Il se fait tard : demain nous parlerons de noce. Allons nous reposer.
MADEMOISELLE DES USAGES.
Tu as raison.
ARLEQUIN.
Un instant. Quitterons-nous la compagnie sans boire à la santé ?
RETAPPE.
Non : et qui plus est, il faut que chacun chante son coupler.
Vaudeville
MADEMOISELLE DES USAGES.
Air : La Bourbonnaise.
La Bourbonnaise
Sous un air décent,
Par mon adresse,
Attrape un amant ;
Avec un cil doux,
Une caresse,
Les femmes de tout
Viennent à bout.
LA BOURBONNAISE.
De mon village
J’apporte en ces lieux
Gentil corsage,
Air futé, doux yeux :
J’enchaîne partout
Le fou, le sage ;
Les femmes etc.
RETAPPE.
Plein de tendresse,
J’étais fort jaloux ;
Mais ma maîtresse
Calme mon courroux :
Avec un œil doux
On nous apaise ;
Les femmes, etc.
MONSIEUR TUE.
Avec courage
Bravant le trépas,
Je fais carnage
Au fort des combats ;
Mais un minois doux
Calme ma rage ;
Les femmes, etc.
ARLEQUIN.
Vous qu’on révère,
Qu’on aime en tous lieux ;
Daignez nous faire
Signe gracieux :
Au censeur jaloux
Nous saurons plaire.
Les femmes partout
Fixent le goût.