Jérôme Pointu (DE BEAUNOIR)

Comédie en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés Amusantes, le 13 juin 1781.

 

Personnages

 

JÉRÔME POINTU, Procureur

LÉANDRE, Maître-Clerc de Monsieur Pointu

BLAISE, Clerc de Normandie

JEANNETTE, Cuisinière de Monsieur Pointu

 

La Scène est à Paris, dans la Maison de Monsieur Pointu.

 

Le Théâtre représente le Cabinet de Monsieur Pointu ; on y voit d’un côté un Bureau sur lequel il y a plusieurs papiers, et de l’autre une petite Table sur laquelle et un Trictrac.

 

 

Scène première

 

LÉANDRE, JEANNETTE

 

Au lever de la toile, Jeannette finit de balayer le Cabinet de Monsieur Pointu. Léandre entre furtivement sur la pointe du pied.

LÉANDRE, à demi-voix.

Jeannette ?

JEANNETTE.

Ah ! c’est vous !

LÉANDRE.

Monsieur Pointu est-il levé ?

JEANNETTE.

Il est même sorti.

LÉANDRE.

M’a-t-il demandé ?

JEANNETTE.

Cinq ou six fois.

LÉANDRE.

Tant pis.

JEANNETTE.

Il est d’une colère de ne vous avoir pas trouve dans l’Étude...

LÉANDRE.

Il fait donc que j’ai découché ?

JEANNETTE.

Certainement.

LÉANDRE.

C’est ta faute aussi.

JEANNETTE.

Comment donc ?

LÉANDRE.

Je suis rentré à minuit, et la porte était fermée à la grosse clef.

JEANNETTE.

Il fallait frapper.

LÉANDRE.

J’avais peur de le réveiller. Où diable aussi t’avises-tu de la fermer ?

JEANNETTE.

C’est par inadvertance. Je vous croyais rentré.

LÉANDRE.

Étourdie.

JEANNETTE.

Vous allez être grondé comme il faut.

LÉANDRE, lui montrant une grosse bourse pleine d’or.

Je m’en moque. Vois-tu ?

JEANNETTE.

Comment ! c’est de l’or tout cela ?

LÉANDRE.

Et ce n’est pas tout encore.

JEANNETTE.

Eh ! où l’avez-vous donc pris ?

LÉANDRE.

Je l’ai bien gagné.

JEANNETTE.

Que vous êtes heureux !

LÉANDRE.

Voyant que je ne pouvais pas rentrer, j’ai bien vite retourné rejoindre une troupe de bons enfants avec lesquels j’avais soupé, et nous avons passé le reste de la nuit à rire, à boire et à jouer.

JEANNETTE.

Et vous avez gagné tout cet or ?

LÉANDRE.

Et le double qui me sera payé avant midi.

JEANNETTE.

À qui donc ?

LÉANDRE.

À un jeune Hollandais. Imagine-toi, Jeannette, qu’il avait encore ses poches pleines de rouleaux. Si j’eusse été hardi, je lui aurais gagné une tonne d’or ; mais il faut se modérer dans la fortune.

JEANNETTE.

Un pareil bonheur n’arriverait pas à une pauvre fille comme moi.

LÉANDRE.

Parbleu, Jeannette, si tu veux je te mets de moitié.

JEANNETTE.

Vous badinez ?

LÉANDRE.

Non : tout de bon. Tu n’as qu’à être un peu moins farouche et permettre...

Il se met en devoir de l’embrasser.

JEANNETTE, le repoussant.

Finissez donc.

LÉANDRE, la pressant.

Oh ! quand tu devrais te fâcher, je t’embrasserai malgré toi.

JEANNETTE, se défendant.

Finissez donc, Monsieur ; mais c’est abominable.

LÉANDRE, l’embrassant.

Oh ! parbleu, tu as beau faire.

 

 

Scène II

 

MONSIEUR POINTU, LÉANDRE, JEANNETTE

 

MONSIEUR POINTU.

Eh bien ! Monsieur, eh bien !

LÉANDRE.

C’est Monsieur Pointu.

MONSIEUR POINTU.

Que faites-vous là ?

LÉANDRE.

Rien, Monsieur ; je badinais.

JEANNETTE, à Monsieur Pointu.

C’était malgré moi.

MONSIEUR POINTU.

Retire-toi, Jeannette, retire-toi.

 

 

Scène IIΙ

 

MONSIEUR POINTU, LÉANDRE

 

MONSIEUR POINTU.

N’avez-vous pas de honte, Monsieur, de vous comporter comme vous faites ?

LÉANDRE.

Qu’est-ce que je fais donc, Monsieur ?

MONSIEUR POINTU.

Ce que vous faites ? J’aime bien encore cette question ! Ce que vous faites ?... D’où venez-vous ?

LÉANDRE.

D’où je viens ?

MONSIEUR POINTU.

Oui, Monsieur ! d’où venez-vous à l’heure qu’il est ? Où avez-vous passé la nuit ?

LÉANDRE.

Chez un de mes amis.

MONSIEUR POINTU.

Chez un de vos amis ?

LÉANDRE.

Oui, Monsieur. Quand je suis rentré, j’ai trouvé la porte fermée à la grosse clef. Je n’ai pas voulu frapper, de peur de vous réveiller, et j’ai retourné passer la nuit dans la maison où j’avais soupé.

MONSIEUR POINTU.

Eh bien ! Monsieur, vous pouvez y aller passer aussi la journée.

LÉANDRE.

Que voulez-vous dire ?

MONSIEUR POINTU.

Que je vous prie de faire emporter, dès aujourd’hui, vos effets de chez moi.

LÉANDRE.

Mais, Monsieur...

MONSIEUR POINTU.

Mais, Monsieur, c’est comme ça. Je vous parle clair, je crois.

LÉANDRE.

Mais on donne des raisons.

MONSIEUR POINTU.

Des raisons ! Ah ! vous voulez des raisons ! Eh bien ! je vais vous en donner. La première, c’est que telle est ma volonté. Entendez-vous ? Vous ne resterez peut-être pas ici malgré moi. La seconde, c’est que vous êtes un libertin.

LÉANDRE.

Un libertin !

MONSIEUR POINTU.

Qui, Monsieur, un libertin ; pétri de défauts.

LÉANDRE.

Eh ! quels défauts avez-vous, je vous prie, å me reprocher ?

MONSIEUR POINTU.

Tous.

LÉANDRE.

Tous ?

MONSIEUR POINTU.

Le vin, le jeu et les femmes.

LÉANDRE.

Le vin ! M’avez-vous jamais vu faire aucun excès ?

MONSIEUR POINTU.

Un Clerc ne doit boire que de l’eau, entendez vous, Monsieur ; que de l’eau.

LÉANDRE.

Comment ! vous voulez que lorsque je suis chez des amis, en partie de plaisir, je refuse un verre de Champagne qu’on m’offrira ? A-t-on jamais fait un crime à quelqu’un d’une petite pointe de gaieté ?

MONSIEUR POINTU.

Une petite pointe de gaieté ! Et c’est sans doute aussi par gaieté qu’on vous voit toujours des cartes en main ?

LÉANDRE.

Il faut bien être utile dans la société. Où est le mal, je vous prie, de faire une partie honnête ? Comment regarde-t-on un homme qui ne joue pas ? Comme un être qui n’est bon à rien.

MONSIEUR POINTU.

Est-ce aussi par honnêteté, que tous les matins Monsieur envoie des petits vers et de gros bouquets à toutes les Belles du quartier ?

LÉANDRE.

Est-il défendu d’être galant ?

MONSIEUR POINTU.

Galant ! Il s’agit bien de cela. Eh ! morbleu, Monsieur, faites-moi de bonnes Requêtes, et non pas des Chansons.

LÉANDRE.

Avez-vous à vous plaindre de mon travail ? Depuis dix ans que je suis dans votre Étude, ne l’ai-je pas fait ce qu’elle est ? Pouvez-vous me reprocher mon incapacité ?

MONSIEUR POINTU.

Non. Je suis juste, vous avez du talent ; vous ne tournez pas mal une Requête ; vous grossoyez fort bien. Vous entendez la chicane à merveille : enfin vous êtes un garçon parfait ; mais vous allez, s’il vous plaît, avoir la bonté de sortir de chez moi.

LÉANDRE.

Comment ! Monsieur, après m’avoir promis votre Charge.

MONSIEUR POINTU.

Rayez cela de vos papiers. Je ne veux pas pour successeur un freluquet, qui, par décence, se per met une petite pointe de gaieté ; par honnêteté joue tous les jeux ; et, par galanterie, donne des baisers aux jolies Cuisinières malgré elles.

LÉANDRE.

N’avez-vous pas vu que c’était un simple badinage ?

MONSIEUR POINTU.

Un simple badinage ! Eh ! de quel droit badinez vous avec ma Servante ? N’est-il pas affreux de vouloir séduire cet enfant si sage, qui est l’innocence même ? Ne devriez-vous pas rougir ?

LÉANDRE.

Mais, Monsieur Pointu, vous avez été jeune comme un autre.

MONSIEUR POINTU.

Oui, Monsieur. Eh bien ?

LÉANDRE.

Eh bien ! quand vous voyiez une femme charmante.

MONSIEUR POINTU.

Quand je voyais une femme charmante, je me disais : demain, ces joues se rideront ; bientôt ces beaux yeux s’éteindront, ces lys et ces roses se flétriront, et certainement cette tête si belle ne faisait pas tourner la mienne.

LÉANDRE.

Et jamais vous n’avez joué ?

MONSIEUR POINTU.

Jamais, Monsieur, jamais. Eh ! quel peut donc être le plaisir d’un Joueur ? Son âme a-t-elle un moment de calme ou de jouissance ? S’il gagne, son gain est toujours au-dessous du désir ; s’il perd, la rage et le, désespoir s’emparent de son cœur ; ce n’est plus contre un ami qu’il joue, c’est contre un homme dont il voudrait dévorer la fortune, et qui brûle d’avoir la sienne.

LÉANDRE.

Mais du moins vous aviez des amis, une société ? La table a ses plaisirs.

MONSIEUR POINTU.

Dites donc ses poisons... Suis-je tenté par la bonne chère, par des vins délicieux, par la séduction de la société, je me représente les suites des excès ; une tête pesante, un estomac embarrassé la perte de la raison et du temps ; je ne mange alors que pour le besoin ; aussi ma santé est toujours égale, mes idées toujours pures et lumineuses... Mais, mais tout cela est si facile, Monsieur, qu’il n’y a pas même de mérite à le pratiquer.

LÉANDRE.

Eh bien ! Monsieur Pointu, il est un moyen de me ranger tout de suite.

MONSIEUR POINTU.

Eh ! quel est-il, s’il vous plaît ?

LÉANDRE.

Vous connaissez mes parents ?

MONSIEUR POINTU.

Ce sont d’honnêtes gens, de braves gens, que je respecte, et que j’aime de tout mon cœur, et qui méritaient un autre fils.

LÉANDRE.

Vous savez quelle est ma fortune ?

MONSIEUR POINTU.

La fortune la plus considérable se fond bien vite si l’on ne travaille pas tous les jours à l’augmenter un peu. T

LÉANDRE.

La vôtre est faite.

MONSIEUR POINTU.

C’est le fruit de longues années de peines et de travaux.

LÉANDRE.

Eh bien ! il est temps de vous reposer. Mademoiselle Pointu compte déjà dix-huit ans, elle est charmante ! retirez-là du Couvent, donnez-moi sa main et votre Charge, c’est le vrai moyen de m’amender sur le champ.

MONSIEUR POINTU.

Voilà donc votre dire ?

LÉANDRE.

Ne le trouvez-vous pas raisonnable ?

MONSIEUR POINTU.

Non, Monsieur.

LÉANDRE.

Eh ! la raison ?

MONSIEUR POINTU.

D’abord, c’est que je ne suis pas encore d’âge à me retirer, et que si le Ciel me conserve la santé, j’espère bien mourir Procureur. Ensuite, c’est que Mademoiselle Pointu est encore une morveuse, et qu’on ne doit marier les filles qu’à un âge mûr, à trente ans au plutôt ; enfin, c’est que je ne veux pas pour gendre un freluquet.

LÉANDRE.

Un freluquet !

MONSIEUR POINTU.

Oui, Monsieur ; est-ce là la mise d’un Maître Clerc de Procureur ? Une coiffure en hérisson, un habit galonné, une épée ; il ne vous manquerait qu’une plume dans votre chapeau. Une épée ! Eh ! morbleu, une bonne écritoire, Monsieur, une bonne écritoire. Prenez-moi un habit noir complet, une perruque quarrée. Voilà ce qui rend un homme respectable, et non pas votre brette montée sur la quarte, et de quarante-deux pouces de longueur.

LÉANDRE.

Si j’étais en charge et marié...

MONSIEUR POINTU.

Monsieur, je vous ai déclaré mes intentions voulez-vous bien me faire le plaisir de vous retirer sur le champ ?

LÉANDRE.

C’est donc votre dernier mot, Monsieur.

MONSIEUR POINTU.

Oui, Monsieur, c’est mon dernier mot, et je vous prie de vous y conformer.

LÉANDRE.

Cela suffit. Nous verrons, nous verrons.

MONSIEUR POINTU.

Comment ! Monsieur, nous verrons.

LÉANDRE.

Oui, nous verrons.

Il sort.

 

 

Scène IV

 

MONSIEUR POINTU, seul

 

Ma Fille... ma Charge... à un pareil étourdi... Que les temps sont changés ! Que les meurs sont corrompues ! Est-ce ainsi qu’un Maître Clerc eût osé se mettre de mon temps !... C’était alors que la Bazoche était une véritable pépinière de dignes Procureurs ! Les jeunes soutiens de la Pratique ne couraient pas les Tripots, les Salles d’Armes. Renfermés toute la semaine dans leurs Études, ils acquéraient des connaissances et des talents, et se permettaient à peine quelque promenade innocente les Dimanches et les Fêtes. Aujourd’hui, ces Messieurs sont les Petits-Maîtres, les Beaux-Esprits, parlent nouvelles, littérature, prennent le thé dans les Cafés, et jugent définitivement et sans appel aux Parterres de nos Spectacles. Je ne veux plus chez moi de pareils freluquets. Maître Ronge-Fer, mon Confrère, qui, depuis cinquante ans, exerce avec honneur au Bailliage de Falaise, m’a promis de m’envoyer un sujet unique, déjà célèbre dans tout le haut et bas-Maine. Voilà le digne Successeur auquel je remettrai ma robe et ma plume, et non pas à cet Étourdi, qui boit, qui joue et qui embrasse ma Cuisinière malgré elle.

 

 

Scène V

 

MONSIEUR POINTU, JEANNETTE

 

JEANNETTE.

Monsieur ?

MONSIEUR POINTU.

Ah ! c’est toi, mon enfant. Que veux-tu ?

JEANNETTE.

Je viens vous demander, Monsieur, si vous voulez avoir la bonté de compter ma dépense.

MONSIEUR POINTU.

Très volontiers, Jeannette ; très volontiers. Où est ton livre ?

JEANNETTE.

Le voilà, Monsieur.

MONSIEUR POINTU.

Donne, mon enfant, donne ; il y a huit jours que nous n’avons compté.

JEANNETTE.

Oui, Monsieur.

MONSIEUR POINTU.

Je t’ai donné douze francs ?

JEANNETTE.

Ils sont écrits.

MONSIEUR POINTU.

Combien te reste-t-il ?

JEANNETTE.

Trois sols et demi.

MONSIEUR POINTU.

Que cela ?

JEANNETTE.

Certainement.

MONSIEUR POINTU.

Donne.

JEANNETTE.

Les voilà.

MONSIEUR POINTU.

Comme l’argent va vite !

JEANNETTE.

Tout est si cher !

MONSIEUR POINTU.

Mais marchandes-tu bien, mon enfant ?

JEANNETTE.

Je vous en réponds.

MONSIEUR POINTU.

Ces Marchandes sont si friponnes !

JEANNETTE.

Oh ! que je m’en défie.

MONSIEUR POINTU.

Vois-tu, mon enfant, il ne faut pas avoir peur de mésoffrir, parce qu’elles n’ont jamais honte de surfaire.

JEANNETTE.

Oui, Monsieur.

MONSIEUR POINTU.

Il faut toujours offrir moins que plus.

JEANNETTE.

C’est bien aussi ce que je fais.

MONSIEUR POINTU.

Quand on te dit une chose trente sols, combien en offres-tu ?

JEANNETTE.

Vingt.

MONSIEUR POINTU.

C’est trop, ma fille, c’est trop. Je ne m’étonne pas si ton mémoire monte si haut. Il ne faut jamais donner qu’un cinquième.

JEANNETTE.

Oui. Mais c’est qu’elles me disent des sottises.

MONSIEUR POINTU.

Il ne faut pas les écouter.

JEANNETTE.

Et si elles me battent ?

MONSIEUR POINTU.

Tu prendrais sur le champ des témoins, et je te ferais adjuger de bons dommages. Voyons un peu si ton compte est juste.

JEANNETTE.

J’en suis bien sûre.

MONSIEUR POINTU.

Comment cela ?

JEANNETTE.

C’est que Monsieur Léandre a eu la complaisance de me l’additionner.

MONSIEUR POINTU.

Monsieur Léandre !

JEANNETTE.

Oui, Monsieur.

MONSIEUR POINTU.

Mais il t’embrassait quand je suis entré !

JEANNETTE.

C’était bien malgré moi.

MONSIEUR POINTU.

Bien certainement, Jeannette ?

JEANNETTE.

Bien certainement.

MONSIEUR POINTU.

Tu n’y prenais aucun plaisir ?

JEANNETTE.

Voyez le beau plaisir ! il me tord les bras et m’écorche tout le visage.

MONSIEUR POINTU.

Je ne te fais pas de mal, moi ?

JEANNETTE.

Oh ! non.

MONSIEUR POINTU.

Je suis bien content de toi, Jeannette. Ne frappe-t-on pas ?

JEANNETTE.

Oui, Monsieur.

MONSIEUR POINTU.

Va voir qui c’est.

 

 

Scène VI

 

MONSIEUR POINTUT, seul

 

Elle est tout-à-fait gentille cette petite Jean nette ! d’une douceur, d’une innocence, d’une simplicité... Cet étourdi de Léandre l’aurait pervertie... Quel dommage qu’elle n’ait pas un peu de fortune... Eh bien ! qui est-ce, Jeannette ?

 

 

Scène VII

 

MONSIEUR POINTU, JEANNETTE

 

JEANNETTE.

Monsieur, c’est un jeune homme qui arrive de Falaise, en Normandie, et qui a, dit-il, une lettre à vous remettre.

MONSIEUR POINTU.

De quelle part ?

JEANNETTE.

Je ne lui ai pas demandé.

MONSIEUR POINTU.

Fais-le entrer.

JEANNETTE.

Entrez, Monsieur.

MONSIEUR POINTU.

Laisse-nous.

Jeannette en sortant emporte son Livre.

 

 

Scène VIII

 

MONSIEUR POINTU, BLAISE

 

MONSIEUR POINTU.

Qu’y a-t-il pour votre service, mon ami ?

BLAISE.

Monsieur est Monsieur Jérôme Pointu ?

MONSIEUR POINTU.

Oui, mon ami.

BLAISE.

Procureur en la Cour ?

MONSIEUR POINTU.

Oui.

BLAISE.

C’est que j’ai, sauf votre respect, une Lettre å vous remettre en main-propre.

MONSIEUR POINTU.

De quelle part ?

BLAISE.

De la part de Monsieur Ronge-Fer, Procureur Greffier, au Bailliage de Falaise.

MONSIEUR POINTU.

Voyons.

BLAISE.

Tenez, Monsieur.

MONSIEUR POINTU prend la Lettre et lit l’adresse.

À Monsieur, Monsieur Jérôme Pointu, Procureur en la Cour, demeurant à Paris, rue Courteau-vilain. – C’est bien moi. Voyons ce qu’il m’écrit : Monsieur et cher Confrère. – C’est un bien brave homme, un bien honnête homme que Monsieur Ronge-Fer ! Comment se porte-t-il ?

BLAISE.

À merveille ! Il a sa goutte, son asthme et deux rhumatismes qui l’incommodent un peu de temps en temps.

MONSIEUR POINTU.

Le pauvre homme ! On n’en voit plus de cette trempe. – Monsieur et cher confrère, connaissant votre scrupuleuse et exacte probité, – Il me connait bien. – connaissant votre scrupuleuse et exacte probité, et cherchant à remplir, autant qu’il m’est possible, vos intentions, – Je l’ai toujours connu bien obligeant. – je vous envoie – Il m’envoie... Qu’est-ce qu’il m’envoie, mon ami, heim ? Un pâté, peut-être ?

BLAISE.

Oh ! que non, Monsieur.

MONSIEUR POINTU.

Ce n’est pas un pâté. Des chapons, apparemment ?

BLAISE.

Mais ce n’est pas cela.

MONSIEUR POINTU.

C’est donc un dindon ?

BLAISE.

Je ne le crois pas.

MONSIEUR POINTU.

Qu’est-ce qu’il m’envoie donc ? Voyons. – Cherchant à remplir, autant qu’il m’est possible, vos intentions, je vous envoie, – J’aurais assez aimé un pâté ou des chapons. – je vous envoie le jeune homme qui vous remettra cette Lettre. – Ah ! c’est vous qu’il m’envoie ?

BLAISE.

Oui, Monsieur.

MONSIEUR POINTU.

Je vous envoie le jeune homme qui vous remettra cette Lettre, pour remplir votre place de Maître Clerc. – C’est apparemment vous dont il m’a souvent parlé dans ses Lettres. Il fait beaucoup de cas de vous. – Je crois que vous en serez très satisfait. Je vous en réponds. – Vous avez-là une bonne caution. – Il se nomme Blaise ; il est de cette Ville. – Vous vous appelez Blaise ?

BLAISE.

Oui, Monsieur.

MONSIEUR POINTU.

Et vous êtes de Falaise ?

BLAISE.

Oui, Monsieur.

MONSIEUR POINTU.

J’en suis fort aise. – Il a tout plein de bonnes qualités : – Effectivement, vous avez la physionomie heureuse, ingénue. – Il a tout plein de bonnes qualités : c’est un cheval... – Comment ! mon ami, un cheval ! Mais ce n’est point du tout cela qu’il faut dans notre état. Il faut être doux souple, insinuant... Vous êtes un cheval ?...

BLAISE.

Oh ! Monsieur, je puis bien vous affirmer le contraire, Si j’ai un défaut, c’est d’être trop doux.

MONSIEUR POINTU.

Mais, Monsieur Ronge-Fer me l’écrit cependant. Voyez. – C’est un cheval pour le travail. — Ah ! j’entends, j’entends... C’est-à-dire que jamais le travail ne vous lasse.

BLAISE.

Oui, Monsieur.

MONSIEUR POINTU.

Que vous le faites toujours avec ardeur ?

BLAISE.

Justement.

MONSIEUR POINTU.

C’est fort bien, mon ami, c’est fort bien. – C’est un cheval pour le travail. Il a perdu le boire et le manger, – Mais c’est un vrai cadeau que me fait-là Monsieur Ronge-Fer ! Un Clerc qui ne boit, ni ne mange ! Il n’y en a pas deux comme vous à Paris. — Il a perdu le boire et le manger, tant il a l’amour de l’étude. Il est est état de faire la barbe – Ah ! ah ! vous savez faire la barbe ?

BLAISE.

Oh ! pour cela Monsieur s’amuse, c’est un badinage...

MONSIEUR POINTU.

Mais ça n’est pas désagréable du tout. Au contraire, ça m’épargnera mon Perruquier.

BLAISE.

Ah ! Monsieur...

MONSIEUR POINTU.

Pourquoi donc Monsieur Ronge-Fer m’écrit-il que vous êtes en état de faire la barbe ? Vous la lui faisiez, apparemment ?

BLAISE.

Jamais, Monsieur.

MONSIEUR POINTU.

Mais j’y vois clair, peut-être. – Il est en état de faire la barbe aux plus vieux Praticiens. – C’est à-dire de leur en remontrer.

BLAISE.

Eh ! oui, c’est cela.

MONSIEUR POINTU.

C’est qu’il a un style haché. – Je souhaite que vous en soyez aussi content que moi. – Je l’espère bien. – C’est un vrai sacrifice que je vous fais. – Il a raison. – Je suis avec une parfaite considération, Monsieur et cher Confrère, – Un brave et digne homme ! – votre très humble et très obéissant serviteur, RONGE-FER, Procureur-Greffier au Bailliage de Falaise. – C’est fort bon, mon ami. Dès que Monsieur Ronge-Fer me répond de votre capacité, je vous reçois avec plaisir ; venez dès aujourd’hui prendre possession de votre place. Je vais vous faire balayer le petit grenier.

BLAISE.

En ce cas, je vais chercher mon paquet.

MONSIEUR POINTU.

Vous ne l’avez pas fait apporter ?

BLAISE.

Nenni ; il est encore au coche.

MONSIEUR POINTU.

Allez, mon enfant ; allez, et ne tardez pas.

 

 

Scène IX

 

MONSIEUR POINTU, seul

 

Voilà ce qui s’appelle un joli garçon ! qui a des meurs, et qui s’occupe de son état. Je reconnais bien là les sages principes de Monsieur Ronge-Fer. Je puis à présent mourir tranquille, je laisse un digne successeur. Voyons maintenant un peu le compte de Jeannette... Où donc est son Livre ? Jeannette, Jeannette ?

 

 

Scène X

 

MONSIEUR POINTU, JEANNETTE

 

JEANNETTE.

Monsieur.

MONSIEUR POINTU.

Est-ce que tu as remporté ton Livre, mon enfant ?

JEANNETTE.

Oui, Monsieur.

MONSIEUR POINTU.

Mais nous n’avions pas achevé de compter.

JEANNETTE.

Le voilà.

MONSIEUR POINTU.

Elle est charmante !... Voyons un peu :

Six et neuf font quinze,
quinze et trois font dix-huit,
et six font vingt-quatre,
vingt-quatre et six font trente.

Pose six, et retiens deux.

Deux et cinq font sept,
et sept valent quatorze,
quatorze et quatre font dix-huit,
et deux font vingt,
et six, valent vingt-six.

Pose six, et retiens deux.

Deux,
trois,
quatre
et cinq :

La moitié de cinq est deux et demi ; pose un, et retiens deux.

Deux et trois font cinq,
et quatre font neuf,
et deux font onze.

Onze livres, seize sols, six deniers.

JEANNETTE.

Et les trois sols six deniers que je vous ai remis...

MONSIEUR POINTU.

Font juste douze francs. Le compte est juste. Tiens, mon enfant, voilà douze autres francs pour cette semaine ; ménages-les bien.

JEANNETTE.

Je ménage tant que je peux. 

MONSIEUR POINTU.

Tu as raison, mon enfant, tu as raison. Après la sagesse, rien ne sied mieux à une fille que l’économie.

JEANNETTE.

Je suis bien sage aussi.

MONSIEUR POINTU.

Sois-la longtemps, Jeannette ; conserve ton innocence et ta simplicité. Rien n’est plus aisé à perdre ; méfie-toi surtout des jeunes gens.

JEANNETTE.

Oh ! je ne les aime pas.

MONSIEUR POINTU.

Tout de bon ?

JEANNETTE.

Tout de bon. Ils ne songent jamais qu’à faire enrager les pauvres filles.

MONSIEUR POINTU.

Tu m’enchantes... Il faut que je te faffe un petit cadeau.

Il tire d’un des tiroirs de son Bureau un petit anneau enveloppé de plusieurs petits papiers qu’il déploie.

JEANNETTE.

Vous êtes bien bon.

MONSIEUR POINTU.

Tu me promets d’être toujours bien sage ?

JEANNETTE.

Oui, Monsieur.

MONSIEUR POINTU.

De ne jamais badiner avec mes Clercs ?

JEANNETTE.

Jamais.

MONSIEUR POINTU.

Encore moins avec les Domestiques du quartier ?

JEANNETTE.

Fi donc !

MONSIEUR POINTU.

Donne-moi ta main, Jeannette ; donne.

JEANNETTE.

La voilà.

MONSIEUR POINTU.

La jolie petite menotte !

JEANNNETTE.

Ce n’est pas celui-là ; vous me chatouillez.

MONSIEUR POINTU.

Conserve bien cet anneau pour l’amour de moi.

JEANNETTE.

Il est d’argent ?

MONSIEUR POINTU.

Et d’or. C’est l’alliance que portait ma pauvre défunte. C’était une bien brave femme qui m’aimait ; le Ciel en me l’ôtant m’a ravi le bonheur, Pour toi, Jeannette, fois toujours sage, douce, économe... On ne fait pas ce qui peut arriver. Ma fille, éloignée du monde depuis l’âge de six ans, annonce beaucoup de vocation pour le Couvent. En bon père, je ne gênerai jamais ses inclinations ; mais d’un autre côté, je fais ce que je dois à la société, je me sens encore propre à faire un bon mari, et si je trouvais une femme jeune, douce, honnête comme ma Jeannette...

JEANNETTE.

Allons donc, Monsieur, vous vous moquez de moi.

MONSIEUR POINTU.

Non, Jeannette, non. Je t’aime, je t’adore.

JEANNETTE.

Votre Servante !

MONSIEUR POINTU, voulant l’embrasser.

Tu es ma Reine, ma Divinité.

JEANNETTE.

Mais finissez donc.

MONSIEUR POINTU.

Laisse-moi, Jeannette ; laisse-moi t’embrasser.

JEANNETTE.

Oh ! que non... Comme vos yeux brillent !

MONSIEUR POINTU.

C’est d’amour, Jeannette.

JEANNETTE.

Vous me faites peur.

MONSIEUR POINTU.

Où vas-tu donc ?

JEANNETTE.

Je m’enfuis.

MONSIEUR POINTU.

Reste, Jeannette, reste ; je t’en conjure... à genoux.

JEANNETTE.

Relevez-vous donc, j’entends du bruit.

 

 

Scène XI

 

MONSIEUR POINTU, LÉANDRE, JEANNETTE

 

Léandre entre brusquement, et surprend Monsieur Pointu aux pieds de Jeannette. Il est costumé en Marin Anglais. Plus son déguisement sera chargé, plus il donnera à cette Scène un air de vérité. IL serait même essentiel que l’Acteur, chargé de ce rôle, pût changer sa voix, et prendre la prononciation Anglaise.

LÉANDRE.

Ferme, papa ; ne vous dérangez pas.

MONSIEUR POINTU.

C’est que...

LÉANDRE.

La petite est ma foi charmante. 

JEANNETTE.

C’est mon Maître, Monsieur.

LÉANDRE.

C’est votre Servante. Eh bien ! rien de plus naturel !

MONSIEUR POINTU.

Oh ! Monsieur...

LÉANDRE.

Parbleu ! l’on ne doit pas rougir d’embrasser les filles quand elles sont gentilles, et si vous per mettez...

MONSIEUR POINTU, à Jeannette.

Retire-toi.

LÉANDRE, à part.

Je ne suis pas reconnu, bon !

 

 

Scène XII

 

MONSIEUR POINTU, LÉANDRE

 

MONSIEUR POINTU.

Puis-je savoir ce qui me procure l’honneur de votre visite ?

LÉANDRE.

Volontiers. Vous êtes Monsieur Pointu ?

MONSIEUR POINTU.

À vous servir.

LÉANDRE.

Procureur ?

MONSIEUR POINTU.

En la Cour, depuis quarante-cinq ans.

LÉANDRE.

Honnête homme ?

MONSIEUR POINTU.

Ça ne se demande pas.

LÉANDRE.

Eh bien ! Monsieur, j’ai besoin de vous.

MONSIEUR POINTU.

Je suis tout à votre service, Monsieur ; de quoi s’agit-il ?

LÉANDRE, jetant une bourse sur le Bureau de Monsieur Pointu.

Tenez, Monsieur, voilà toujours une centaine de louis d’avance pour les frais que vous aurez à faire ; ne les ménagez pas.

MONSIEUR POINTU.

Rapportez-vous-en à moi.

LÉANDRE.

Si ceux-là ne suffisent pas, j’en ai cinq cent, j’en ai mille à sacrifier.

MONSIEUR POINTU, présentant un siège à Léandre.

Donnez-vous la peine de vous asseoir, Monsieur.

LÉANDRE, en s’asseyant.

Volontiers...

MONSIEUR POINTU.

Quel plaisir d’être Procureur, si tous les Plaideurs vous ressemblaient, Monsieur ! Mais il semble qu’on leur arrache l’âme, quand on leur demande une dizaine de pistoles.

LÉANDRE.

Je ne suis pas de même, et la seule grâce que j’exige de vous, c’est de ne point ménager ma bourse.

MONSIEUR POINTU.

N’ayez aucune inquiétude. Votre affaire est apparemment très importante ?

LÉANDRE.

De la dernière importance.

MONSIEUR POINTU.

Il s’agit de votre fortune ?

LÉANDRE.

De bien plus, Monsieur.

MONSIEUR POINTU.

De la vie ?

LÉANDRE.

Ce ne serait rien.

MONSIEUR POINTU.

De quoi donc ?

LÉANDRE.

De l’honneur.

MONSIEUR POINTU.

J’entends ; un moment de faiblesse, de diffraction... cela arrive tous les jours aux plus honnêtes gens. Mais quand on s’y prend comme vous, tout s’arrange. Voyons, expliquez-moi le fait.

LÉANDRE.

Un instant, Monsieur ; il fait fort chaud, je suis fort altéré, et jamais je ne parle, ni ne traite d’affaire, que le verre à la main.

MONSIEUR POINTU.

Qu’à ça ne tienne...

Il appelle.

Jeannette ?

LÉANDRE.

Vous avez du bon ? 

MONSIEUR POINTU.

Vous m’en direz des nouvelles.

Il appelle.

Jeannette ?

 

 

Scène XIII

 

MONSIEUR POINTU, LÉANDRE, JEANNETTE

 

JEANNETTE.

Que voulez-vous, Monsieur ?

MONSIEUR POINTU.

Descends à la cave, mon enfant, et monte-nous une bouteille de vin vieux.

JEANNETTE.

Du petit caveau ?

MONSIEUR POINTU.

Justement.

LÉANDRE.

Comment ! est-ce que vous me laisserez boire seul ?

MONSIEUR POINTU.

Non, assurément.

LÉANDRE.

Mais à moi seul je bois tous les matins mes deux bouteilles, et c’est les jours que je suis au régime, encore.

MONSIEUR POINTU.

J’entends. Jeannette, monte-nous-en quatre.

LÉANDRE.

Voilà ce qui s’appelle parler.

MONSIEUR POINTU.

Mangez-vous quelque chose ?

LÉANDRE.

Jamais. Une croute de pain, si vous voulez...

MONSIEUR POINTU.

C’est sans façon ?

LÉANDRE.

Je n’en fais jamais.

MONSIEUR POINTU, à Jeannette.

Va, mon enfant, et dépêche-toi.

 

 

Scène XIV

 

MONSIEUR POINTU, LÉANDRE

 

LÉANDRE.

Elle est, ma foi, gentille votre petite Servante !

MONSIEUR POINTU.

Pas mal.

LÉANDRE.

Vous êtes amateur, papa !

MONSIEUR POINTU.

Que voulez-vous ? Je suis vieux ; mais j’aime encore la jeunesse ; sa vue fait toujours plaisir.

LÉANDRE.

Vous avez parbleu raison. C’est dommage qu’elle ait l’air un peu farouche !

MONSIEUR POINTU.

Ça s’apprivoise assez vite.

LÉANDRE.

Et vos Clercs ?

MONSIEUR POINTU.

J’y mets bon ordre.

LÉANDRE.

Revenons à notre affaire.

MONSIEUR POINTU.

Volontiers.

LÉANDRE.

Je suis anglais. Je m’appelle Georges Tribord. Depuis l’âge de dix ans, je suis au service des trois Royaumes. J’ai fait deux fois le tour du monde et sept fois le voyage des grandes Indes. Je montais une Frégate de trente-six canons, et je revenais en Angleterre, lorsque le vingt-six Octobre dernier, à la hauteur d’Ouessant, nous signalâmes un Bâtiment Français de vingt-six canons seulement. Il était sous le vent. Il fit force voiles sur nous, et fut en l’instant à la portée du canon. Aussitôt le feu commença : il fut vigoureux de part et d’autre, et vivement servi. Toutes nos mâtures furent brisées, et ne pouvant plus manœuvrer, nous n’eûmes d’autre parti à prendre que de tenter l’abordage ; mais dans ce moment, quelques grenades lancées sur mon Bâtiment y mirent le feu. Voyant qu’il allait sauter, je fis lancer la Chaloupe, et ordonnai à tout ce qui restait de mon équipage : d’y descendre. De leur côté les Français, voyant notre danger, cessèrent sur le champ leur feu, et nous portèrent tous les secours possibles. Cependant seul j’étais resté sur le gaillard : je voulais périr avec mon Bâtiment ; un jeune Officier Français qui était venu dans la Chaloupe à notre secours, voit ma résolution, jette ses armes à la mer, ose sauter sur mon bord, s’avance vers moi un mouchoir blanc à la main, me conjure de me sauver ; et dans le moment où j’y pensais le moins me saisissant à brasse-corps, le précipite avec moi dans la mer, à l’instant même où mon Vaisseau saute et disparaît pour toujours. Je dois rendre cette justice à vos Guerriers ; ce sont des lions dans le combat. Sont-ils vainqueurs ? Ce sont des hommes. Toute haine, tout ressentiment cesse, et l’on ne retrouve plus en eux que des amis sensibles et généreux.

MONSIEUR POINTU.

Monsieur le Capitaine, il est bien doux d’entendre un Anglais faire notre éloge !

LÉANDRE.

Nous ne vous aimons pas ; mais vous nous forcez quelquefois à l’estime, et souvent à la reconnaissance.

 

 

Scène XV

 

MONSIEUR POINTU, LÉANDRE, JEANNETTE

 

JEANNETTE.

Monsieur, voilà tout ce que vous m’avez demandé.

MONSIEUR POINTU.

C’est bon, Jeannette... Je n’y suis pour personne, entends-tu ?

LÉANDRE.

Bien pensé.

JEANNETTE.

Vous n’avez besoin de rien ?

MONSIEUR POINTU.

Non, mon enfant ; tu peux nous laisser.

LÉANDRE.

Ah ! parbleu, cette belle enfant-là nous versera le premier verre.

MONSIEUR POINTU.

Tope.

LÉANDRE.

À votre santé, la belle.

JEANNETTE.

C’est bien de l’honneur, Monsieur.

MONSIEUR POINTU.

À ta santé, Jeannette.

JEANNETTE.

Bien obligée...

Tandis que Monsieur Pointu boit, Léandre baise furtivement la main de Jeannette.

Vous n’avez plus besoin de moi ?

MONSIEUR POINTU.

Non, mon enfant.

 

 

Scène XVI

 

MONSIEUR POINTU, LÉANDRE

 

LÉANDRE.

Charmante ! en vérité, charmante !

MONSIEUR POINTU.

Comment trouvez-vous ce vin-là ?

LÉANDRE.

Ma foi, la verseuse m’a fait oublier la liqueur : goûtons-le.

MONSIEUR POINTU.

Eh bien ?

LÉANDRE.

Excellent ! divin ! En avez-vous beaucoup ?

MONSIEUR POINTU.

Il tire vers sa fin ; mais j’espère que nous en viderons encore quelques bouteilles.

LÉANDRE.

Très volontiers... Lorsque ce jeune Officier Français me sauva la vie en me précipitant dans la mer, j’avais heureusement sur moi mon portefeuille assez bien garni. Ayant appris que mon libérateur était un simple Officier de fortune, je voulus au moins partager avec lui ce qu’il avait sauvé. Jamais je ne pus parvenir à lui faire accepter une seule guinée. Enfin, après quatre jours de marche, nous entrâmes heureusement dans le Port de Brest. Depuis ce moment, je me suis emparé de lui. Nous sommes venus ensemble à Paris. Nous logeons dans le même Hôtel. Ma table est la seule chose que j’aie pu lui faire accepter. Nous ne nous quittons pas un instant. C’est le plus honnête homme que je connaisse, et c’est contre lui que je veux plaider.

MONSIEUR POINTU.

Comment donc cela ?

LÉANDRE.

La mer est mon élément. Quand je suis sur terre, je me trouve désœuvré. L’oisiveté, dit-on, est mère de tous vices, et j’ai trois défauts cruels.

MONSIEUR POINTU.

Qui sont ?...

LÉANDRE.

Le vin, le jeu et les femmes.

MONSIEUR POINTU.

Et vous appelez cela des défauts, Capitaine ?

LÉANDRE.

Mais oui.

MONSIEUR POINTU.

Mais vous badinez. C’est ce qui caractérise en France un homme bien né, un homme de qualité.

LÉANDRE.

En vérité ?

MONSIEUR POINTU.

C’est en honneur. Eh ! que peut-on donc aimer de mieux ? Allez, Capitaine, la vraie sagesse est d’être heureux. Eh ! l’est-on sans un peu de vin, un peu de jeu, un peu d’amour ?

LÉANDRE.

Vous avez là une morale charmante !

MONSIEUR POINTU.

C’est la vraie Philosophie, Capitaine.

LÉANDRE.

Eh ! la mettez-vous en pratique ?

MONSIEUR POINTU.

Quelquefois, quelquefois.

LÉANDRE.

Avouez cependant, Monsieur Pointu, que les Femmes sont bien dangereuses, et que la beauté n’est qu’une fleur passagère.

MONSIEUR POINTU.

C’est justement à cause de cela qu’il faut se hâter de la cueillir. Eh ! qu’y a-t-il de plus doux au monde que l’amour ? C’est lui qui fait le bonheur de la jeunesse ; c’est lui qui fait naître encore quelques fleurs sous les glaces même de la vieillesse.

LÉANDRE.

Je veux bien convenir que l’amour a quelque chose de séduisant ; mais le vin, la table ?...

MONSIEUR POINTU.

Le vin, Capitaine ! la table !... Est-il de plaisirs plus vrais ! Il n’est point d’âge pour les goûter. Lorsque l’hiver des ans nous glace, et ne permet plus à nos cœurs de battre à l’approche d’un objet charmant, où nous consolons-nous ? À la table. Qui nous réchauffe encore ? C’est le vin. Le vin est le plus doux présent fait à l’humanité. L’homme n’est véritablement heureux qu’à table. Il n’est charmant que lorsqu’il a une petite pointe de vin.

LÉANDRE.

Buvons donc un coup.

MONSIEUR POINTU.

Tope.

LÉANDRE.

Mais le jeu ?...

MONSIEUR POINTU.

Quand il n’est pas poussé à l’excès, qu’il n’est pas une passion, une fureur... Le jeu n’est qu’un amusement que prennent tous les gens honnêtes.

LÉANDRE.

Eh bien ! j’ai ces trois passions-là, et je voulais prendre sur moi de les vaincre.

MONSIEUR POINTU.

Gardez-vous-en bien, Capitaine, gardez-vous-en bien. Aimons, buvons,

Il chantonne.

et faisons joujou,

Tous deux ensembles chantonnent.

et faisons joujou.

LÉANDRE.

Je me suis écarté de mon affaire, j’y reviens. Je vous disais donc que je demeurais avec ce jeune Officier Français.

MONSIEUR POINTU.

Et que c’était contre lui que vous vouliez plaider.

LÉANDRE.

Justement. Il a les mêmes goûts que moi.

MONSIEUR POINTU.

Je le crois bien, puisqu’il est Militaire et Français.

LÉANDRE.

Toute la matinée, nous faisons notre cour aux Belles ; l’après-midi, nous buvons ; et le soir, nous jouons.

MONSIEUR POINTU.

C’est fort bien fait.

LÉANDRE.

Hier au soir, fatigué des plaisirs de la journée, je lui ai proposé une partie de Triomphe ; il a accepté. Je ne suis pas ordinairement heureux ; je puis même dire que sur vingt fois que je joue je perds au moins dix-huit.

MONSIEUR POINTU.

Effectivement, ce n’est pas être heureux.

LÉANDRE.

C’est égal. Je joue pour jouer, et non pas pour gagner. Eh bien ! Monsieur, hier j’ai joué d’un bonheur si continu, que j’ai gagné jusqu’à vingt-cinq louis d’or à mon Officier.

MONSIEUR POINTU.

Et il ne veut pas vous les payer ?

LÉANDRE.

Si-fait ; nous jouions argent sur table.

MONSIEUR POINTU.

Eh bien ?

LÉANDRE.

Eh bien ! En nous levant de table, nous avons trouvé une carte par terre ; j’ai prétendu qu’en conséquence le jeu étant faux, il n’avait pas légitimement perdu, et qu’il devait reprendre son argent. Il a soutenu que la partie était bonne, et n’a jamais voulu le reprendre. Nous nous sommes échauffés ; j’ai jeté l’argent par les fenêtres, et lui les cartes.

Ici Monsieur Pointu prend avec vivacité la bourse de cent louis que Léandre avait jeté sur son Bureau, et la serre dans sa poche.

Vis-à-vis de tout autre, je me serais battu ; mais je lui dois la vie, je ne peux l’attaquer qu’en Justice, et j’y mangerai, s’il le faut, dix mille guinées.

MONSIEUR POINTU.

C’est là votre Procès ?

LÉANDRE.

Oui, Monsieur : est-ce que vous trouvez ma Cause mauvaise ?

MONSIEUR POINTU.

Excellente ! Capitaine, excellente.

LÉANDRE.

Nous le forcerons à prendre l’argent.

MONSIEUR POINTU.

Je le prendrais plutôt.

LÉANDRE.

Vous ne me flattez pas ?

MONSIEUR POINTU.

Que ce verre de vin soit le dernier que je boive.

LÉANDRE.

N’épargnez rien, je vous prie.

MONSIEUR POINTU.

Aviez-vous des témoins ?

LÉANDRE.

Non.

MONSIEUR POINTU.

N’importe ! Je vous en trouverai.

LÉANDRE.

Vous m’en trouverez !...

MONSIEUR POINTU.

Oui, Capitaine ; quand je devrais les faire venir de la Basse-Normandie.

LÉANDRE.

Faites, Monsieur Pointu, faites. Vous entendez, bien l’état de ma Cause ?

MONSIEUR POINTU.

À merveille !

LÉANDRE.

Jouez-vous quelquefois ?

MONSIEUR POINTU.

Quelquefois.

LÉANDRE.

Mais, rarement ?

MONSIEUR POINTU.

Pardonnez-moi ; toutes les fois que l’occasion s’en présente.

LÉANDRE.

Le jeu dissipe.

MONSIEUR POINTU.

Il délasse, il rafraîchit. Il est même nécessaire aux gens de Cabinet.

LÉANDRE.

Quand on a beaucoup travaillé.

MONSIEUR POINTU.

Ou parlé longtemps d’affaire, comme dans ce moment-ci, par exemple.

LÉANDRE.

Oh ! dans ce moment-ci, je craindrais d’abuser de votre complaisance.

MONSIEUR POINTU.

Mais point du tout. Je suis tout à vos ordres ; et pour peu que cela vous fasse plaisir...

LÉANDRE.

Vous êtes trop honnête.

MONSIEUR POINTU.

C’est sans façon.

LÉANDRE.

C’est que je crains réellement de vous gêner.

MONSIEUR POINTU.

Moi, point du tout.

LÉANDRE.

Et puis vous aimez peut-être à jouer petit jeu ?

MONSIEUR POINTU.

Non ; le petit jeu ennuie.

LÉANDRE.

Est maussade. J’aime mieux perdre mille louis en deux minutes, que d’en gagner cent en une heure.

MONSIEUR POINTU.

Je suis de votre avis. Tout ou rien.

LÉANDRE.

Eh bien ! ferons-nous une petite partie ?

MONSIEUR POINTU.

Très volontiers.

LÉANDRE.

Nous pouvons attendre le dîner.

MONSIEUR POINTU.

Fort aisément. Vous me ferez, j’espère, l’honneur d’accepter le mien.

LÉANDRE.

Avec grand plaisir.

MONSIEUR POINTU.

Vous êtes un brave homme. À quel jeu voulez vous jouer ?

LÉANDRE.

Je les joue tous. Choisissez.

MONSIEUR POINTU.

Au Piquet.

LÉANDRE.

C’est bien triste.

MONSIEUR POINTU.

Un Trictrac !

LÉANDRE, courant au Trictrac.

Tope, un Trictrac. Justement en voici un.

MONSIEUR POINTU.

Laissez donc, Monsieur le Capitaine ; laissez donc. Je vais appeler... Jeannette.

LÉANDRE.

N’appelez personne. Le voilà tout dressé. Combien jouerons-nous la partie ?

MONSIEUR POINTU.

Tout ce que vous voudrez.

LÉANDRE.

C’est bien long un Trictrac !

MONSIEUR POINTU.

Oui, c’est bien long.

LÉANDRE.

Un petit passe-dix est bien plus vif et bien plus égal.

MONSIEUR POINTU.

Vous avez, ma foi, raison.

LÉANDRE.

Tenez, je joue cent louis contre les frais du Procès.

MONSIEUR POINTU.

Volontiers. À vous le dé, mon Capitaine.

LÉANDRE.

Non ; c’est moi qui propose.

MONSIEUR POINTU.

Je suis chez moi.

LÉANDRE.

Je ne jouerai plutôt pas.

MONSIEUR POINTU.

C’est donc pour vous obéir. Va les cent louis.

Il tire de sa poche la bourse que lui avait donné Léandre, et la jette dans le Trictrac.

LÉANDRE, présentant le cornet à Monsieur Pointu.

À vous, Monsieur Pointu.

MONSIEUR POINTU.

Capitaine, je suis au jeu.

LÉANDRE, tirant de sa poche un rouleau de louis.

Je vous entends... C’est un oubli involontaire... Voilà mes cent louis...

MONSIEUR POINTU, jouant.

Onze, mon Capitaine.

LÉANDRE.

Emportez.

MONSIEUR POINTU.

Voulez-vous votre revanche ?

LÉANDRE.

Volontiers.

MONSIEUR POINTU.

Rien de fait.

LÉANDRE.

Recommencez. Je double mon jeu, si vous permettez.

MONSIEUR POINTU.

Tout ce que vous voudrez. Rafle de quatre.

LÉANDRE.

C’est à vous. Combien passez-vous de coups ?

MONSIEUR POINTU.

Je ne compte, ni ceux que je bois, ni ceux que je passe.

LÉANDRE.

C’est répondre en brave.

MONSIEUR POINTU.

Je vous gagne trois cent louis. Les voulez-vous d’un coup ?

LÉANDRE.

Très volontiers.

MONSIEUR POINTU.

Quinze.

LÉANDRE, se levant.

C’est trois cent louis que je vous dois. Attendez.

MONSIEUR POINTU.

Où allez-vous donc ?

LÉANDRE.

Jusques chez moi chercher quelques rouleaux.

MONSIEUR POINTU.

Fi donc ! fi donc ! Est-ce qu’entre honnêtes gens la parole ne vaut pas l’argent ?

LÉANDRE.

À la bonne heure.

À part.

Je m’en ressouviendrai.

Haut.

Vous ne quittez pas les dés ?

MONSIEUR POINTU.

Je veux passer dix-sept fois de suite.

LÉANDRE.

Je n’ai donc qu’à me tenir ferme.

MONSIEUR POINTU.

Combien ?

LÉANDRE.

Cinq cents. Les tenez-vous ?

MONSIEUR POINTU.

Mille, si vous voulez.

LÉANDRE.

Eh bien ! va les mille.

MONSIEUR POINTU.

Tope... dix.

LÉANDRE.

Voilà un coup manqué.

MONSIEUR POINTU.

Voilà vos quatre cents louis. Je vous en dois six à mon tour, et c’est à vous le dé.

LÉANDRE.

J’ai la main malheureuse. Combien jouez-vous ?

MONSIEUR POINTU.

Je prends ma revanche. Les mille.

LÉANDRE.

Va les mille. Combien ai-je ?

MONSIEUR POINTU.

Onze.

LÉANDRE.

Comment ! j’ai donc passé ?

MONSIEUR POINTU.

Oui. Ça fait...

LÉANDRE.

Mille et six cent.

MONSIEUR POINTU.

Seize cent !

LÉANDRE.

Ça peut faire ça.

MONSIEUR POINTU.

C’est beaucoup, Monsieur le Capitaine.

LÉANDRE.

Voulez-vous cesser le jeu ?

MONSIEUR POINTU.

Encore un coup, au moins.

LÉANDRE.

Dix, si vous voulez.

MONSIEUR POINTU.

Seize cents !...

LÉANDRE.

Je vous les joue d’un coup.

MONSIEUR POINTU.

Tope.

LÉANDRE.

Rafle de six.

MONSIEUR POINTU.

C’est jouer heureusement.

LÉANDRE.

Je n’ai passé que deux fois, et vous avez passé trois.

MONSIEUR POINTU.

Oui ; mais je vous dois à présent trois mille louis et plus.

LÉANDRE.

C’est une misère.

MONSIEUR POINTU.

Pour vous, peut-être, Monsieur le Capitaine ; mais pour moi qui n’ai d’autre fortune que ma Charge de Procureur...

LÉANDRE.

Eh bien ! je vous la joue votre Charge, contre ce que vous me devez.

MONSIEUR POINTU.

Et vous garderez le dé.

LÉANDRE.

Tant que vous voudrez.

MONSIEUR POINTU.

Jetez donc, Monsieur le Capitaine.

LÉANDRE.

La Charge ?

MONSIEUR POINTU.

Allons, la Charge.

LÉANDRE.

Rien de fait.

MONSIEUR POINTU.

Que je vous serve.

LÉANDRE.

Oh ! voilà mon bonheur rompu.

MONSIEUR POINTU.

Je le souhaite.

LÉANDRE.

Quinze. –

Léandre se levant.

Ma foi, me voilà Procureur.

MONSIEUR POINTU, courant après lui.

Monsieur le Capitaine...

LÉANDRE.

Eh bien ?

MONSIEUR POINTU.

Est-ce que vous quittez le jeu ?

LÉANDRE.

Quand on le pousse trop loin, ce n’est plus un délassement, il devient une étude un travail. Et puis je me sens aujourd’hui dans ma veine de bonheur. Vous n’êtes pas riche, je serais fâché de vous ruiner.

MONSIEUR POINTU.

Je le suis bien, de par tous les diables.

LÉANDRE.

Demain, si vous voulez, je vous donnerai votre revanche. En attendant, voulez-vous bien me faire un petit mot d’écrit.

MONSIEUR POINTU.

Mais, Monsieur ?

LÉANDRE.

On ne fait ni qui meurt, ni qui vit.

MONSIEUR POINTU.

Mais que ferez-vous d’une Charge de Procureur ?

LÉANDRE.

C’est le moyen de me venger un peu des Français, et soit dit entre nous, Monsieur Pointu n’est point changer d’état : un Procureur vaut un Corsaire et demi.

MONSIEUR POINTU.

Vous voulez donc me ruiner.

LÉANDRE.

Non, Tenez, je vais vous faire une proposition qui vous plaira peut-être. Vous avez une fille au Couvent, et qui, dit-on, est charmante ?

MONSIEUR POINTU.

Oui, Monsieur.

LÉANDRE.

Donnez-la-moi en mariage avec votre Charge, et je vous tiens quitte de tout.

MONSIEUR POINTU.

Vous riez.

LÉANDRE.

Non. Je parle très sérieusement.

MONSIEUR POINTU.

Mais comment voulez-vous qu’un Capitaine de Vaisseau Anglais devienne Procureur ?

LÉANDRE.

L’Amour fait tous les jours de plus grandes métamorphoses, et si vous en voulez une preuve, regardez-moi.

MONSIEUR POINTU.

Comment ! c’est...

LÉANDRE.

Votre Maître-Clerc.

MONSIEUR POINTU.

Ah ! le coquin !

LÉANDRE.

Nous n’avons, je crois, rien à nous reprocher. Je vous ai surpris aux genoux de Jeannette ; vous avez une bonne petite pointe de vin, et le jeu vient de vous mettre à ma discrétion.

MONSIEUR POINTU.

Tu es un malin fourbe !

LÉANDRE.

Eh bien ?

MONSIEUR POINTU.

Eh bien ? Est ce que je puis rien te refuser.

LÉANDRE.

Je suis donc votre gendre ?

MONSIEUR POINTU, embrasant Léandre.

Et mon Successeur. – Mais plus de vin, plus de jeu, plus de baisers à Jeannette.

LÉANDRE.

Je vous le promets. – Mais vous voyez, Monsieur Pointu, que le plus raisonnable s’oublie quelquefois. Le projet d’être sage est aisé, l’exécution en est difficile. Et pour bien prêcher, il faut prêcher d’exemple.

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