Juanita (Jean-François Alfred BAYARD - Alexis DECOMBEROUSSE)
Comédie-vaudeville en deux actes.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Gymnase-Dramatique, le 26 mai 1846.
Personnages
CHARENCEY, capitaine de hussards français
DON LOPEZ, colonel espagnol
DON BAZILE, son frère cadet, séminariste
HUBERTO, jardinier de don Lopez
JUANITA, femme de don Lopez
CERBERA, duègne
L’action se passe pendant les deux actes dans le château de don Lopez, près de Villaréal, vers l’année 1812.
ACTE I
Un jardin, des arbustes à droite et à gauche, une charmille sur le deuxième plan. On voit une échappée de mur dans le fond.
Scène première
HUBERTO, seul
Enfin, la chaleur diminue ; on peut montrer le bout de son nez... Ce pauvre jardin ! ça fait peine à voir... tout est brûlé par le soleil, et j’ai beau arroser... Ce qui me console, c’est qu’il n’y a pas un jardin, à Villaréal et dans les environs, je pourrais même dire dans toute l’Andalousie, qui soit plus frais que le mien. Tenez, tout est fané ; ces beaux œillets, que la señora Juanita, ma maîtresse, m’a recommandés, je vais leur donner à boire, et que Dieu me le rende !
Charencey paraît sur le mur au moment où Huberto sort avec ses arrosoirs.
Scène II
CHARENCEY, puis HUBERTO
CHARENCEY.
Ouf ! m’y voilà.
Il se met à cheval sur le mur.
À cheval sur un mur... position romanesque digne d’un officier français amoureux, à la poursuite d’une Andalouse !... Pauvre prisonnier de guerre !
Air de la Barcarolle.
Viens, ô toi qui m’es chère,
Et qui me fuis toujours !
Que la brise légère
Te porte mes amours !
À ton balcon, ma belle,
Sans crainte montre-toi ;
C’est un ami fidèle,
C’est moi.
Regardant.
Personne ! Ma foi, au petit bonheur !
Il se met en mesure de descendre ; Huberto rentre et gagne le mur.
HUBERTO.
Que je relève en passant les jasmins de dona Cerbera.
Charencey saute.
Par saint Jacques ! c’est le diable !
CHARENCEY.
Qu’est-ce que c’est que ça ?
HUBERTO.
Où allez-vous ?
CHARENCEY.
Vous voyez, je me promène.
HUBERTO.
Comment ! vous... vous...
Le reconnaissant.
Eh ! mais, c’est vous que, depuis huit jours, je vois rôder à la porte de mon jardin...
CHARENCEY.
Moi-même, j’adore la botanique, et comme j’ai entendu parler de votre belle collection de roses...
HUBERTO.
Je n’ai que des œillets.
CHARENCEY.
C’est ce que je voulais dire... des œillets superbes ! J’ai pensé que vous me permettriez de les admirer en passant.
HUBERTO.
Ce n’est pas une raison pour escalader la muraille.
CHARENCEY.
Dame ! quand la porte est fermée...
HUBERTO.
On sonne !
CHARENCEY.
Voilà, on sonne... c’est bien dit... mais j’ai craint de réveiller quelqu’un. C’est l’heure où l’on se repose de la chaleur du jour, et si vos dames... car vous devez avoir des dames ici ?...
HUBERTO.
Qu’est-ce que ça vous fait ?
CHARENCEY.
Parbleu ! c’est vrai... ça ne me regarde pas. Vous avez des idées très justes... Nous disons donc que vos œillets...
HUBERTO.
Vous êtes un officier français ?
CHARENCEY.
Capitaine.
HUBERTO.
Prisonnier de guerre à Villaréal ?
CHARENCEY.
Depuis un mois, après l’avoir été six semaines à Grenade, où je serais mort d’ennui, si je n’y eusse pas aperçu la plus charmante personne...
HUBERTO.
Que vous espérez retrouver ici ?
CHARENCEY.
Bah ! vous croyez ?
HUBERTO.
Dame ! notre maîtresse, la señora Juanita, était à Grenade le mois dernier.
CHARENCEY.
Comme ça se trouve ! Je suis curieux de savoir si c’est bien la même. Que je ne vous dérange pas, mon cher, je vais...
HUBERTO, lui barrant le passage.
Où allez-vous ?
CHARENCEY.
Admirer vos œillets... et comme j’en voudrais envoyer une collection en France, j’ai pensé que vous ne refuseriez pas de m’aider. On cultive beaucoup les œillets chez nous. Vous devez aimer la France ?
HUBERTO.
Pas trop... ma femme en était.
CHARENCEY.
Je conçois alors ! Brave homme, vous avez un beau jardin... il se prolonge par là-bas, jusque sous ce balcon que j’aperçois. C’est celui de votre maîtresse ?
HUBERTO.
Il mène tout droit chez dona Cerbera.
CHARENCEY.
La duègne ! Miséricorde !
À part.
Je la retrouve partout !
HUBERTO.
Et au-dessus, la chambre de don Bazile.
CHARENCEY.
Le petit séminariste ? aïe ! avec son petit air niais et ses ze sais, ze veux, il n’est pas commode.
Huberto le regarde ; il se reprend.
Nous disons donc que je veux une collection complète d’œillets, et, comme je paie d’avance, faites-moi le plaisir d’accepter... le portrait de mon souverain.
HUBERTO.
Une pièce d’or !
CHARENCEY.
L’empereur Napoléon... il est très ressemblant. Vous aimez l’empereur Napoléon ?
HUBERTO.
En or, oui.
CHARENCEY.
Ah ! ah ! ah ! excellent homme, va !... Arrosez vos œillets, mon brave, je vais en choisir quelques pieds.
HUBERTO, lui montrant le côté opposé.
La serre est par là. Je vais vous conduire quand j’aurai arrosé par ici.
CHARENCEY.
Bien, bien, ne vous pressez pas, mon ami.
À part.
Animal, va ! Tu as beau faire, j’arriverai jusqu’à elle, jusqu’à Juanita ! ma belle Juanita. Ah ! je ne partirai pas avant de l’avoir vue, de lui avoir parlé ! Voilà deux mois que je la suis partout sans pouvoir approcher d’elle. À Villaréal, comme à Grenade, c’est, de ma part, la séduction la plus entêtée... de loin, malheureusement... à la promenade, à l’église, partout ! je suis là, sur son passage... sans qu’elle ait l’air de me reconnaître... et pourtant elle m’a reconnu, j’en suis sûr. Mon trouble et mes regards ne lui disent-ils pas sans cesse : C’est moi, c’est encore moi, c’est toujours moi !... Et hier, à sa sortie de l’église de San Carlo, lorsqu’en lui offrant l’eau bénite d’une main tremblante, de l’autre j’ai pu glisser adroitement un billet dans les plis de son voile, il m’a semblé qu’elle ne faisait rien pour empêcher la manœuvre ! Oh ! oui, elle l’a reçu... elle l’a lu, seule... cette nuit, en pensant à moi !
Air.
Je viens chercher une réponse :
À mes efforts ce prix est dû ;
Et je l’aurai, tout me l’annonce :
À mon amour ce bonheur est bien dû !
Premier bonheur, si longtemps attendu !
Et cependant, à cet espoir je tremble.
Oui, j’ai voulu, n’importe le moyen,
Incendier son cœur, mais il me semble
Que j’ai commencé par le mien !
Je veux gagner son cœur, mais il me semble
Que j’ai d’abord perdu le mien.
Il arrose ses œillets... si je pouvais, en tournant par là, gagner la maison... oui...
Comme il va pour s’échapper, il se retourne et se trouve en face de don Bazile.
Scène III
BAZILE, CHARENCEY, HUBERTO
BAZILE.
Huberto ! Huberto !
CHARENCEY, à part.
À l’autre, bien !
HUBERTO.
Voici, seigneur Bazile.
CHARENCEY, à part.
Don Bazile, le petit moine en herbe !
BAZILE.
Quel est cet étranger, Huberto ?
CHARENCEY, prenant l’air patelin.
Pardon ! mon frère...
BAZILE.
Son frère !
CHARENCEY.
Mon révérend frère, je passais... et en passant, j’ai vu un jardin magnifique, et je n’ai pu résister au désir d’y entrer. Je ne m’attendais pas à l’honneur d’une rencontre.
BAZILE.
Monsieur n’est pas Espagnol ?
CHARENCEY.
Je suis Français.
HUBERTO.
Prisonnier de guerre.
BAZILE.
Ah ! ah ! vous devriez être à Villaréal, mon cher.
CHARENCEY, se moquant.
La promenade nous est permise dans les environs, mon cher...
Se reprenant.
révérend, et je bénis le hasard...
BAZILE.
C’est un tort, et à la place du corrégidor, je vous mettrais à l’ombre pour vous empêcher de risquer votre teint au soleil.
CHARENCEY.
Vous êtes trop bon pour mon teint.
À part.
Eh bien ! il n’est pas tolérant, le petit !
BAZILE.
Vous dites ?
CHARENCEY.
Je dis, mon frère...
BAZILE.
Je ne suis pas votre frère.
CHARENCEY.
Mon révérend !
BAZILE.
Je ne suis pas un révérend !
CHARENCEY, à part.
Diable !... et pas moyen de lui offrir le portrait de mon souverain, à celui-là !
BAZILE.
D’ailleurs, vous devriez savoir que c’est ici le château du seigneur don Lopez, mon frère, un brave colonel qui se bat pour notre gracieux roi Ferdinand VII, et qu’il y a du danger à en franchir la porte.
CHARENCEY.
Aussi, ce n’est pas par la porte...
BAZILE.
Vous dites, monsieur ?
CHARENCEY.
Je dis que don Lopez entend sans doute l’hospitalité autrement que vous, monsieur.
BAZILE, élevant la voix.
Monsieur...
La baissant.
Mais je ne veux pas effrayer ces dames.
HUBERTO.
Oui, elles pourraient venir au bruit.
CHARENCEY.
Ah ! c’est une idée.
BAZILE.
Huberto, reconduis le seigneur français jusqu’à la grande route.
CHARENCEY.
Merci ! il y fait trop chaud.
S’asseyant à droite.
J’attendrai !
BAZILE.
Vous ne partez pas ?
CHARENCEY.
Ma foi, non ! vous êtes trop aimable pour ça.
BAZILE.
Vous vous moquez de moi, mon petit officier ?
CHARENCEY.
Dieu m’en garde, mon petit moinillon !
BAZILE.
Un moinillon !... il m’a appelé... il a dit... un moinillon !... voilà ce qu’ils disent, tous ces prisonniers de guerre, quand ils me regardent passer à Villaréal, avec un air de dédain.
CHARENCEY.
Peut-être à cause de la couleur.
BAZILE.
Mais il ne faut pas croire que, parce qu’on est un cadet de famille destiné au couvent, on ne soit pas un homme comme vous ! on n’ait pas un cœur comme vous !... ah ! ah ! j’ai une tête !
CHARENCEY.
Oui, elle est bonne, on en ferait quelque chose.
HUBERTO.
Ah ! ah ! c’est que c’est un gaillard, le petit !
BAZILE.
Il ne faut pas croire qu’en face d’une bouteille de vin de Chypre ou de Xérès, je ne lui fasse pas honneur aussi bien que vous !... et mieux.
CHARENCEY.
Comme vos aimables alliés, les Anglais... vous roulez sous la table.
BAZILE, toujours plus fort.
J’y étais encore hier, monsieur.
CHARENCEY.
Vous en êtes bien capable, monsieur.
BAZILE.
Et je joue, et je perds, et je paie, monsieur !
CHARENCEY.
Vous êtes bien heureux, monsieur !
BAZILE.
Et quand il faut se battre, je ne recule pas, monsieur !
CHARENCEY, se levant.
Ah ! vous vous êtes battu, monsieur ?
BAZILE.
Je me suis battu, ou on m’a battu, ça me regarde, monsieur !
HUBERTO.
Bien ! on a entendu... on sort du château !
CHARENCEY, à part.
Elle viendra ? je vais la voir.
Haut.
Il ne vous manque plus qu’une passion ?
BAZILE.
J’en ai une, monsieur !
CHARENCEY.
Allons donc !
BAZILE.
Comment, allons donc ?
Air : Les Anguilles.
La plus piquante, la plus belle
Des Andalouses... oui, voilà !
Je lui plais et je n’aime qu’elle !
CHARENCEY.
Petit gaillard ! voyez-vous ça !
Lui qui devrait au fond de l’âme
Être un petit saint !
BAZILE.
Je le suis !
Et c’est lorsque j’aime une femme
Que je comprends le paradis.
CHARENCEY, riant.
Allons donc !
BAZILE, de même.
Comment, allons ?... C’est pour moi qu’elle va aux promenades, c’est pour moi qu’elle prend l’air sur son balcon, c’est pour moi qu’elle a un mari.
CHARENCEY.
Un mari ?... allons donc !
BAZILE.
Comment ?... oui, oui... et un mari qui me fait honneur... l’alcade lui-même,
Élevant la voix.
et je vous prie de croire que je ne suis pas indiscret comme vous autres Français... Je me contente d’être heureux... Je n’en parle à personne !
CHARENCEY, riant aux éclats.
Ah ! mais il est complet, le moinillon !
BAZILE.
Le moinillon !... Encore ?... Huberto !...
HUBERTO.
Seigneur Bazile ?
BAZILE.
Aidez-moi à jeter cet homme-là par-dessus le mur.
CHARENCEY.
Je vous en défie, petit !
BAZILE, arrachant à Huberto le râteau qu’il tient.
Comment ?... il m’en... Huberto !
HUBERTO.
Voici !
CHARENCEY, saisissant la chaise sur laquelle il était assis.
C’est ça, bataille !
Scène IV
BAZILE, CHARENCEY, HUBERTO, DONA CERBERA
CERBERA, en dehors.
Qu’est-ce qu’il y a ?
HUBERTO.
Là ! j’en étais sûr !
CHARENCEY, à part, avec joie.
C’est elle !... enfin !
CERBERA, entrant.
Que se passe-t-il ?
BAZILE.
Dona Cerbera !
CHARENCEY, à part.
La vieille, seule, c’est jouer de malheur !
BAZILE.
Il se passe que voici un prisonnier de guerre... un soldat de Joseph...
CHARENCEY.
Un officier français qui causait botanique avec ce garçon, quand cela a déplu à ce petit bonhomme.
BAZILE, furieux.
Ce petit bonhomme !
HUBERTO, le retenant.
Seigneur Bazile !
CHARENCEY, à part.
Mais je n’y arriverai donc jamais !
CERBERA.
Ah ! la señora Juanita avait raison... c’est bien le jeune étranger qui m’offre toujours de l’eau bénite à la paroisse de San Carlo.
BAZILE.
Où il va tendre un piège à l’honneur de quelque noble dame.
CHARENCEY.
Il me semble que je n’ai rien tenté contre l’honneur de la señora Barbara.
BAZILE.
Cerbera !
CERBERA.
Contre le mien ! vous n’y viendriez pas deux fois.
CHARENCEY.
Parbleu !
BAZILE.
Vous dites ?...
CHARENCEY.
Je dis à cette aimable personne... pas à vous... que je suis trop heureux que sa maîtresse, la maîtresse de la maison, m’ait reconnu.
CERBERA.
Et elle m’envoie vous ordonner de sortir de chez elle à l’instant.
CHARENCEY.
De sortir... elle ordonne...
BAZILE.
Voilà qui est clair !... Allons, Huberto, faites sortir Monsieur par où il est entré.
HUBERTO.
Alors par-dessus la muraille ?
CERBERA.
Miséricorde ! c’est par là ?
CHARENCEY.
J’aimerais mieux par la porte, si cela vous est égal.
À part.
J’ai fait là une jolie campagne !
BAZILE.
Soit ! je vais mettre moi-même le prisonnier dehors.
CHARENCEY.
Ah !
À part.
C’est ce que nous verrons.
Haut.
Pour me faire les honneurs du château... à charge de revanche... si quelque jour je vous rencontre à Villaréal, ma prison, vous ne me refuserez pas, j’espère, de boire une bouteille de xérès à vos amours !
BAZILE.
À mon roi !
CHARENCEY.
Comme vous voudrez, je n’y tiens pas !
À Huberto.
N’oubliez pas mes œillets, mon garçon !
Scène V
CERBERA, HUBERTO, ensuite JUANITA
CERBERA.
Mais à quoi pensent donc les guérillas du bois qui nous sépare de la ville, de laisser passer impunément un prisonnier de guerre ?
HUBERTO, prenant ses arrosoirs.
Le fait est qu’il lui arrivera malheur.
JUANITA, entrant vivement et regardant de loin Charencey s’éloigner.
Il part !
HUBERTO, salue et sort.
La señora !
JUANITA, à Cerbera.
Eh bien ! cet étranger...
CERBERA.
Je lui ai ordonné de sortir.
JUANITA.
Mais du moins avec des égards ?
CERBERA.
Oh ! soyez tranquille, señora, je l’ai mis à la porte très poliment.
JUANITA.
Et que voulait-il ? que demandait-il ? Vous l’a-t-il dit ?...
CERBERA.
Rien... des fleurs à voir, à choisir... des prétextes... Je croirais bien plutôt que c’est quelque vagabond.
JUANITA.
Ah ! dona Cerbera !
CERBERA.
À moins que ce ne soit quelque amoureux... Hier encore, à San Carlo, il se tenait sur notre passage, cachant un billet sous son manteau.
JUANITA.
Ah ! vous avez remarqué ?...
CERBERA.
Et, voyez, señora, comme une femme peut être compromise... car enfin j’aurais pu croire que ce billet que vous lisiez ce matin en secret...
JUANITA.
Moi ? que voulez-vous dire ?
CERBERA.
Oh ! je sais que votre vertu... comme la mienne... mais enfin, ces assiduités, ce billet... et cette escalade dans une maison où il n’y a que deux femmes... vous et moi...
JUANITA.
Si c’était pour vous ?...
CERBERA.
Je le voudrais... mon honneur n’aurait rien à craindre... mais je suppose...
JUANITA.
Faites-moi grâce de vos suppositions ! Sera-ce ici comme à Grenade, où je ne pouvais jamais faire un pas sans être surveillée, soupçonnée par vous, parce que je ne sais quel Français soupirait, disait-on, sous ma fenêtre.
CERBERA.
Celui-là, je ne l’ai pas vu... mais il est certain qu’un soir il s’est blessé en cherchant à grimper à votre balcon... son sang avait marqué son passage... Après tout, il n’est pas étonnant que ces gens-là vous aiment, s’ils savent combien vous aimez la France.
Charencey paraît au fond et se cache dans le feuillage.
JUANITA.
J’aime la France, parce qu’elle combat pour une cause... pour une opinion qui est la mienne... celle de ma famille.
CERBERA.
Mais non pas celle de don Lopez, de votre mari ! Oh ! je sais que vous lui en voulez à lui... parce qu’il est dans les rangs de ses chers Anglais qui nous rendront notre bon petit roi Ferdinand VII, notre bonne petite Inquisition !
JUANITA.
Je lui en veux, parce qu’il a résisté aux conseils de mon père qui, pourtant, lui avait donné ma main malgré moi... parce que c’est un mari bourru !
CERBERA.
Si bon !...
JUANITA.
Farouche !
CERBERA.
Si loyal !
JUANITA.
Fort peu aimable !...
CERBERA.
Qui vous aime tant !
JUANITA.
Mais rassurez-vous, j’ai des devoirs que je respecte, et mon honneur est mieux gardé par moi que par tous les gens dont il lui a plu de m’entourer.
CERBERA.
En vérité, señora, vous parlez avec une vivacité !... Vous, si bonne d’ordinaire... vous êtes devenue amère... impatiente !
JUANITA.
Pardon, Cerbera, c’est qu’aussi, tout ce qui se passe autour de moi... me blesse, me fatigue... je suis malheureuse... il y a des moments où j’ai envie de pleurer !... Tenez, voilà Huberto qui nous cherche, voyez ce qu’il veut.
Elle s’assied.
HUBERTO.
C’est un messager qui arrive de Villaréal et qui demande dona Cerbera.
CERBERA.
C’est bien, j’y vais... vous ne rentrez pas, señora ?... Non, restez, restez... l’air du soir vous calmera ! Ce sont peut-être des nouvelles de don Lopez, de votre mari... votre mari... vous en avez un, vous !... Ah ! vous avez beau dire... vous êtes bien heureuse ! ah !
Elle sort, Huberto la suit par la droite.
Scène VI
JUANITA, CHARENCEY
JUANITA.
Elle me laisse seule enfin !... Mais comment a-t-elle pu voir cette lettre,
La tirant de son sein.
ce billet que j’ai eu tort d’ouvrir.
Elle s’assied.
CHARENCEY, à part, entrant par le fond, à gauche.
Enfin, je me suis débarrassé du petit ; maintenant...
JUANITA, lisant.
« Depuis deux mois... deux siècles, je vous suis partout... »
CHARENCEY, à part.
Ma lettre !
JUANITA.
« Sans pouvoir vous dire que... »
CHARENCEY, à genoux près d’elle.
Je vous aime...
JUANITA, se levant vivement.
Ciel ! vous, monsieur !...
CHARENCEY.
Oh ! ne repoussez pas un malheureux qui, depuis qu’il vous a vue, n’a pas été un jour, une heure, un instant, sans chercher à se rapprocher de vous, au péril de la liberté qu’on lui laisse, de la vie à laquelle il ne tient encore, loin de son pays, que pour vous la consacrer tout entière.
JUANITA.
Laissez-moi, monsieur, je ne vous connais pas... je ne sais...
CHARENCEY.
Si fait !... À Villaréal, comme à Grenade, vos yeux ont si souvent rencontré les miens... et
Air : Il me disait souvent ce jour.
Tenez... pourquoi donc en rougir ?
Vous relisiez à l’instant même,
Vous gardiez, comme un souvenir,
La lettre où j’ai dit : Je vous aime...
Ah ! souvent on tremble, on a peur
D’un mot que la bouche prononce !...
Qu’elle reste sur votre cœur !...
Je ne veux pas d’autre réponse !
Juanita, sans répondre, déchire la lettre et en jette les morceaux.
CHARENCEY.
Grand Dieu !
JUANITA.
Et maintenant, monsieur, éloignez-vous !...
CHARENCEY.
Non ! oh ! non ! je ne puis partir ainsi ! après tant d’efforts pour tromper la surveillance qui vous entoure... Je ne devrais à cette première entrevue tant désirée que la perte de mes espérances... seul bonheur qui restât au pauvre prisonnier, mais c’est la mort !
JUANITA.
Monsieur...
CHARENCEY.
Vous êtes émue... vos yeux se détournent malgré vous !... Oh ! laissez tomber sur moi ce regard si tendre, abandonnez à mon amour cette main charmante... laissez-moi croire que vous n’êtes pas restée insensible.
JUANITA.
Non, monsieur, ne le croyez pas !... Cessez des poursuites qui feraient mon malheur... le vôtre !...
CHARENCEY.
Eh ! madame, pour être aimée de vous...
JUANITA.
Oh ! ne le demandez pas !... Si jamais ce mot fatal m’était échappé... c’est que ma raison serait perdue. C’est que... oh ! rien que d’y penser, je tremble !... c’est qu’il n’y aurait plus de devoirs, plus de serments qui pussent me retenir !... prête à fuir ces lieux où je ne pourrais plus rester sans rougir, enchaînée au sort de celui qui m’aurait arraché le secret de mon amour ; oui, je braverais tout pour être libre ou mourir avec lui !...
CHARANCEY.
Juanita !
JUANITA, vivement.
Je n’aime pas, je n’aime personne.
CHARENCEY.
Pourquoi retenir un aveu... oh ! de grâce !...
BAZILE, au dehors.
Cherchez dans le parc !... arrêtez-le !
JUANITA.
Ciel ! mais partez donc, monsieur !... partez ! je le veux... je vous en prie !...
CHARENCEY.
Oh ! j’obéis... J’emporte au fond du cœur l’espérance qui me ramènera demain...
Il veut lui baiser la main.
JUANITA, la retirant.
Jamais !
CHARENCEY.
Air de la Barcarolle.
Si dans une ombre amie,
Et trompant les jaloux !
Quelqu’un risque sa vie
Pour monter jusqu’à vous,
Si tout bas il appelle,
Ouvrez-lui sans effroi !
C’est un ami fidèle...
C’est moi !...
Il sort par la gauche.
Scène VII
JUANITA, BAZILE
BAZILE, entrant par le fond à droite.
Fermez toutes les issues ! qu’il ne puisse s’échapper !
Air du Muletier en sourdine jusqu’à la sortie de Juanita.
JUANITA, émue.
Mon Dieu ! don Bazile... qu’est-ce ?... À qui en avez-vous donc ?
BAZILE.
Comment, à qui ?
S’asseyant.
Je n’en puis plus ! À qui ?... mais à cet infâme prisonnier qui m’a mis à la porte.
JUANITA.
Vous ?... le Français ?...
BAZILE.
Oui...j’allais le jeter dehors... comme il le méritait, quand il m’a poussé sur la route, à sa place, le traître !... Deux tours de clef nous ont séparés, heureusement pour lui !... et voilà un quart d’heure que je suis les murs pour rentrer !... Vous ne l’avez pas vu ?
JUANITA.
Moi ?... non... je...
Elle l’aperçoit sur le mur, prêt à sauter dehors.
BAZILE.
Mais Huberto va le retrouver... et...
Charencey, après avoir envoyé un adieu, saute de l’autre côté.
JUANITA, poussant un cri.
Ah !
BAZILE, effrayé du cri.
Ah ! quoi donc ?
JUANITA.
Rien ! c’est que je croyais voir là... C’est Huberto... Je vais vite m’assurer...
À part.
Oh ! mon Dieu ! qu’il ne revienne pas, mon cœur se trahirait !
Elle sort par la droite.
Scène VIII
BAZILE, HUBERTO
BAZILE.
Eh bien ! l’as-tu trouvé ?
HUBERTO.
Mais puisqu’il vient de partir.
BAZILE.
Mais quand ?
HUBERTO.
Tout de suite...
BAZILE.
Par où ?
HUBERTO.
Par-dessus le mur.
BAZILE.
Ah bah !
HUBERTO.
J’avais laissé la porte ouverte pour qu’il pût s’échapper... mais...
BAZILE.
Tu as eu tort ! j’aurais voulu le rencontrer !... mais si jamais je le retrouve à Villaréal... Écoute-moi !
HUBERTO.
Don Bazile ?
BAZILE.
J’y vais cette nuit, à Villaréal... j’ai un rendez-vous avec des amis qui m’attendent pour fêter gaîment, en secret, au milieu des verres, le triomphe de la bonne cause ! et puis un rendez-vous plus gentil encore ! cette tendre Zaïma...
HUBERTO.
Prenez garde, don Bazile !... si votre frère, le colonel Lopez, savait...
BAZILE.
Miséricorde ! il me renfermerait dans un couvent ! c’est qu’il est inexorable, mon frère !... comme si c’était ma faute !... Vouloir absolument faire de moi un abbé, parce que dans notre famille il y a toujours eu un cardinal.
HUBERTO.
Et c’est vous qui serez...
BAZILE.
Voilà ! mais en attendant et pendant l’absence de mon frère, je jouis de mon reste... et cette nuit, quand tout dormira dans la nature, excepté les buveurs et les amoureux, je trouverai, comme à l’ordinaire, mon cheval à la petite porte du parc.
HUBERTO.
Mais permettez !...
BAZILE.
Ah ! mon petit Huberto !
HUBERTO.
C’est que si vous êtes damné, je le serai aussi.
BAZILE.
Eh bien ! je suis là !...
HUBERTO.
Air de l’Apothicaire.
Cela ne me rassure pas,
Si nous sommes damnés ensemble.
BAZILE.
Allons donc, poltron !... ici-bas
Je fais mon devoir, ce me semble.
Dans un couvent, mes jours cachés
S’écouleront ; or, moi, je pense
Qu’il faut bien faire les péchés
Dont plus tard on fait pénitence !
Oui, faisons d’abord les péchés,
Plus tard nous ferons pénitence.
Scène IX
BAZILE, HUBERTO, CERBERA
CERBERA, entrant par la droite.
Ah ! don Bazile ! la señora Juanita !
BAZILE.
Mon Dieu ! qu’est-ce donc ? Cette émotion...
CERBERA.
C’est que vous ne savez pas... une grande nouvelle... don Lopez annonce son retour.
BAZILE.
Mon frère !
HUBERTO.
Le colonel ?
CERBERA.
Demain... cette nuit, peut-être !
BAZILE.
Déjà !
HUBERTO.
Ah ! diable !
CERBERA.
Comment, déjà !... quand il revient triomphant !... victorieux... il me tarde d’annoncer à la señora... elle est capable d’apprendre cela froidement... Dieu ! moi, si l’on m’annonçait le retour de mon mari, je serais... je... j’en tomberais à la renverse.
BAZILE.
Mais vous n’êtes pas mariée.
HUBERTO.
C’est peut-être pour ça.
Bruit au dehors.
CERBERA.
Eh ! mais... entendez-vous ?
Scène X
BAZILE, HUBERTO, CERBERA, JUANITA
BAZILE.
Quoi donc ?
Juanita entre.
CERBERA.
Ah ! señora !...
JUANITA.
Un coup de feu dans le bois de Villaréal.
HUBERTO.
En effet.
TOUS, écoutant.
Air de contredanse.
Quels cris ! quel bruit affreux
Retentit sur la route !...
C’est quelque malheureux
Qu’on suit jusqu’en ces lieux.
JUANITA.
C’est un ami, sans doute,
Qu’on poursuit sur la route !...
BAZILE.
Quelque drôle, sans doute,
Qu’on poursuit et qui fuit !...
La musique continue.
CERBERA.
Je venais vous apprendre...
JUANITA.
Allez, don Bazile, c’est peut-être un ami.
HUBERTO.
Je cours fermer la grille du parc.
Il sort.
CERBERA.
Señora, apprenez que votre mari...
JUANITA.
Bien ! bien ! venez... suivez-moi... et si l’on demande l’hospitalité...
Reprise de l’ensemble.
JUANITA.
C’est quelque malheureux
Poursuivi sur la route ;
Qu’il puisse, je le veux,
Pénétrer en ces lieux.
BAZILE et CERBERA.
C’est quelque malheureux
Poursuivi sur la route !...
Avec soin tous les deux
Fermons partout ces lieux !
Ils sortent par la droite, et comme Juanita va suivre Cerbera, Charencey entre par le côté opposé. Le jour baisse.
Scène XI
CHARENCEY, JUANITA
CHARENCEY.
De grâce !... ils me poursuivent encore !
JUANITA, s’arrêtant.
Quelqu’un !
CHARENCEY.
Sauvez-moi !
JUANITA, courant à lui.
Ah ! c’est vous !
CHARENCEY.
Juanita !
JUANITA.
Ces coups de feu... ces cris...
CHARENCEY.
Oui, après vous avoir quittée, je retournais à Villaréal, heureux de vous avoir vue, de vous avoir parlé... quand des misérables qui me guettaient au passage...
JUANITA, se soutenant à peine.
Vous êtes blessé ?
CHARENCEY.
Je suis revenu sur mes pas pour leur échapper... et devant moi, une grille ouverte... Ah ! c’est mon amour qui me conduisait encore.
JUANITA.
Vous êtes blessé !
CHARENCEY.
Peu de chose... un coup de feu tiré au hasard... il m’a à peine effleuré... je ne le sens plus en ce moment... près de vous...
La soutenant.
Juanita !... madame !... Grand Dieu ! des larmes !
JUANITA.
Je suis si émue ! si troublée !...
CHARENCEY.
Vous tremblez pour moi ?... ah ! je bénis le danger que je viens de courir !
JUANITA.
Silence ! ce danger dure encore !... ils vous cherchent... ils vous détestent...
CHARENCEY.
Eh ! que m’importe ! je paierais de mes jours les larmes que je vois couler de vos yeux... et que la pitié seule n’a pu vous arracher... oh ! non... qu’ils viennent... qu’ils me chassent ! qu’ils me tuent ! je ne voulais vivre que pour vous aimer !
JUANITA.
Eh bien ! vivez !
CHARENCEY.
Juanita !
JUANITA.
Oui, défendez, conservez ces jours qui m’appartiennent...
CHARENCEY.
Pour être aimé de vous ?
JUANITA.
Eh ! ne le voyez-vous pas ? Croyez-vous donc que depuis deux mois j’ai pu retrouver partout cet amour qui me poursuivait sans cesse... ces regards tendres et suppliants que je voyais encore quand vous n’étiez plus là ? Oh ! ces efforts pour vous rapprocher de moi, cette séduction de tous les instants, cet amour si fidèle... tout cela avait un charme sous lequel ma raison se débattait en vain... Et quand je vous priais de vous éloigner... de ne pas me perdre... vous ne voyiez donc pas que je vous aimais... que j’étais perdue...
CHARENCEY, avec transport.
Ah ! vous êtes sauvée, au contraire ! Je vous arracherai à vos tyrans.
JUANITA, écoutant.
Ciel ! on vient ! taisez-vous.
Scène XII
JUANITA, CHARENCEY, BAZILE, CERBERA, à la fin HUBERTO
BAZILE.
Personne ne s’est présenté, le bruit a cessé, et...
CERBERA.
Señora, vous ne m’avez pas suivie, et...
BAZILE, apercevant Charencey.
Eh ! mais, je ne me trompe pas ?
CERBERA.
Bonté divine !
JUANITA, vivement.
C’est ce seigneur français qui, en retournant à Villaréal, a été attaqué, poursuivi.
CHARENCEY.
Et je revenais sur mes pas vous demander l’hospitalité.
CERBERA.
C’est impossible ! vous ne pouvez vous arrêter ici.
JUANITA.
Cerbera !
BAZILE.
Non, non ! Ah ! vous m’avez mis à la porte, et Vous venez me demander l’hospitalité !
JUANITA.
Don Bazile !
CERBERA.
Non, señora ! on ne donne pas asile à un homme suspect, qui n’use peut-être que d’un prétexte pour pénétrer dans cette maison...
CHARENCEY.
Un prétexte !
BAZILE.
Oui, un prétexte !... on ne vous a pas attaqué !...
CERBERA.
Et vous allez sortir à l’instant !
BAZILE.
Oui, oui, à l’instant !
JUANITA, élevant la voix et passant près de Charencey.
Restez, monsieur, vous êtes chez moi... et c’est moi seule qui suis maîtresse ici !
HUBERTO, annonçant.
Le seigneur don Lopez !
JUANITA.
Mon mari.
CHARENCEY, à part.
Le colonel !
BAZILE.
Mon frère !
Scène XIII
JUANITA, CHARENCEY, BAZILE, CERBERA, DON LOPEZ
DON LOPEZ.
Eh bien ! c’est ici qu’il faut venir vous chercher tous... Ah ! Juanita !
JUANITA.
Seigneur !
DON LOPEZ.
Eh ! mais... on dirait que mon retour vous chagrine !... toujours triste et glacée...
À part.
comme à mon départ.
BAZILE.
Mon frère... je...
DON LOPEZ.
Bonjour, Bazile... Le séminaire de Grenade vous attend avec impatience.
BAZILE.
Le séminaire est bien bon !
CERBERA.
Enfin, c’est vous !
DON LOPEZ.
Oui, bien aise de te revoir, ma vieille et fidèle...
Apercevant Charencey.
Ah ! un étranger ici !
Charencey le salue légèrement.
BAZILE.
Oui, un prisonnier de guerre, un Français qui se dit attaqué par la guérilla de Villaréal.
CERBERA.
Et qui demande l’hospitalité...
CHARENCEY.
Qu’on me refuse.
DON LOPEZ.
Ah !
BAZILE.
Qu’on lui refuse...
DON LOPEZ.
Et pourquoi ?
BAZILE.
Parce que nous ne le croyons pas.
CHARENCEY.
Si tout autre que vous...
CERBERA.
Parce que c’est un prétexte.
DON LOPEZ.
Le capitaine Charencey ?
CHARENCEY.
Oui, colonel.
DON LOPEZ.
Dernièrement à Grenade, depuis peu à Villaréal ?
CHARENCEY.
Oui, colonel.
JUANITA, à part.
Il sait !...
DON LOPEZ, à Bazile et à Cerbera.
Monsieur a pu être poursuivi... blessé... et il a bien fait de demander chez moi une hospitalité qu’on n’a jamais refusée à personne, même à un ennemi... Cerbera ! faites préparer une chambre ! monsieur le capitaine restera ici... je le veux ! je réponds de lui !
Souriant.
Je veillerai sur lui !
BAZILE, bas à Cerbera.
Ah ! ah ! il le tient !
DON LOPEZ, s’approchant de Charencey.
Vous devez être fatigué, monsieur, il faut vous retirer, et si vous avez besoin de quelques secours... demandez, Cerbera est à vos ordres... Huberto, fermez toutes les portes.
JUANITA, bas à Charencey.
Il sait tout ! fuyez !
CHARENCEY, de même.
Sans vous, jamais !... À cinq heures, deux chevaux derrière le parc !
Juanita lui serre la main.
ENSEMBLE FINAL.
Air de M. Hormille.
Rentrons tous, car le jour s’enfuit,
Et la nuit
Au repos déjà nous appelle !...
Rentrons tous, quittons le jardin,
Mais demain
Chacun y reviendra fidèle.
La musique continue.
DON LOPEZ, après l’ensemble.
Ah ! ne croyez pas m’échapper, monsieur de Charencey... Allez ! demain, quand vous serez remis, nous causerons.
Charencey s’incline légèrement.
HUBERTO, bas à Bazile.
Vous n’irez pas à votre rendez-vous ?
BAZILE.
Si fait !... c’est le dernier !...
Don Lopez s’approche de Juanita, Charencey suit Cerbera, et Bazile fait signe à Huberto de se taire.
Reprise de l’ENSEMBLE.
Rentrons tous, car le jour s’enfuit,
Et la nuit
Au repos déjà nous appelle.
Rentrons tous, quittons le jardin,
Mais demain
Chacun y reviendra fidèle.
Rentrons soudain,
Mais à demain !
ACTE II
Un intérieur. Une fenêtre. Entrée au fond. Portes latérales dans les deux angles. À gauche, un guéridon.
Scène première
CHARENCEY, BAZILE
Au lever du rideau, la fenêtre s’agite et s’ouvre. On entend la clef dans la serrure de la porte.
BAZILE, paraissant à la fenêtre.
Ensemble.
Air Nocturne de M. Couder.
Ouf ! me voilà dans la maison !
Ici, je puis braver l’orage ;
Plus d’ennemi, plus de soupçon ;
Rentrons et reprenons courage !
CHARENCEY, entrant par la porte.
Sans éveiller aucun soupçon,
Pour mon amour heureux présage !
Je suis rentré dans la maison...
Allons, achevons notre ouvrage !
Ils se retournent et se trouvent en face l’un de l’autre.
CHARENCEY.
Les chevaux sont sous les murs du parc, et... ah !...
BAZILE.
Ah !...
CHARENCEY.
Don Bazile !
BAZILE.
Que le bon Dieu vous bénisse !
CHARENCEY.
Que le diable vous emporte !
BAZILE.
Qu’est-ce que vous faites ici... quand il fait à peine jour ?
CHARENCEY, embarrassé.
Moi... je...
Avec assurance.
Vous voyez, je me promène comme hier.
BAZILE.
Ah çà ! vous avez donc la rage de vous promener, vous !
CHARENCEY.
Je vous conseille... quand vous rentrez par ce drôle de chemin...
BAZILE.
Parbleu cet imbécile de jardinier qui ne m’a pas rendu ma petite clef !
CHARENCEY, cachant sa clef.
Ah bah !... vous venez de...
BAZILE.
Chut !... vous ne m’avez pas vu... vous ne savez rien... Écoutez... les scélérats d’alguazils, ils me poursuivent encore, je crois... mais je serai ferme !
CHARENCEY.
Vous serez ferme, vous serez ferme... mais vous chancelez !
BAZILE.
Ce n’est pas vrai... je ne bronche pas. Voyez là-dessous... Et tenez...
Il veut se redresser et fait un faux pas.
CHARENCEY, le retenant.
Prenez donc garde ! vous avez passé la nuit !...
BAZILE.
Chut !
Baissant la voix.
À Villaréal, monsieur... avec des camarades... des gaillards !
CHARENCEY.
Comme vous !
BAZILE.
Nous avons ri, nous avons chanté, nous avons cassé des bouteilles...
CHARENCEY.
Vides ?
BAZILE.
Vides, parbleu ! Et puis quand nous sommes sortis...
CHARENCEY.
Pleins ?
BAZILE.
Pleins, parbleu ! nous avons rossé les alguazils de l’alcade. Ils courent toujours sans me reconnaître, sans m’attraper... J’ai été plus heureux qu’eux... j’ai attrapé l’alcade sans courir...
CHARENCEY.
La belle Zaïma...
BAZILE.
Chut !
CHARENCEY.
Je conçois que si le colonel savait...
BAZILE.
Il ne sait rien, il ne saura rien... il me renfermerait dans un couvent tout de suite... Avec ça qu’il doit être furieux ce matin...
CHARENCEY.
Furieux !... et pourquoi ?
BAZILE.
Vous ne savez pas, pauvre frère !... Hier au soir... une querelle terrible avec la señora.
CHARENCEY.
Avec sa femme !
BAZILE.
À cause de la politique !... Il lui a parlé de sa famille qui vient de se réfugier en France... Elle s’est fâchée... elle l’a menacé de la rejoindre en exil... Il a voulu la calmer... Elle s’est renfermée dans sa chambre... et il a été forcé de gagner la sienne... seul...
CHARENCEY.
Toujours à cause de la politique.
BAZILE.
Toujours !... voilà un colonel moins heureux...
CHARENCEY.
Qu’un abbé !
BAZILE.
Chut !... Ayez donc une nuit comme celle-là, vous !...
Air du Premier prix.
Adieu ! surtout sachez vous taire !
CHARENCEY.
Ne craignez rien, petit farceur !
BAZILE.
Français, je ne vous aime guère,
Mais je me fie à votre honneur !
Crainte de mauvaise rencontre,
Je vais bravement me coucher.
CHARENCEY.
Oui, c’est l’heure où l’ange se montre,
Et le diable va se cacher !
Bazile sort.
Scène II
CHARENCEY, seul
Et maintenant à Juanita !... Comment parvenir jusqu’à elle ! Elle doit attendre le signal du départ...du départ !... Elle y consent, elle l’a voulu !... Que de courage, que d’audace ! Cette nuit, lorsqu’au bruit que j’ai fait sous son balcon, au risque de me trahir, elle a ouvert sa fenêtre pour me parler... pour me dire qu’elle s’abandonnait à moi... elle seule ne tremblait pas ! Il y avait dans ses accents étouffés je ne sais quelle fièvre d’amour et de colère dont je suis encore ému !... Eh ! vite, avant le réveil des argus... et surtout de ce mari brutal, qui m’avait tout l’air de me retenir comme une victime... Je serai loin, et...
Scène III
CHARENCEY, DON LOPEZ, CERBERA
DON LOPEZ, entrant par le fond.
Ah ! c’est vous, capitaine... je viens de chez vous... déjà délogé... D’où diable venez-vous à cette heure ?
CHARENCEY.
Moi, colonel ? comme vous voyez.
À part.
Ah çà ! est-ce que ça va recommencer ?...
DON LOPEZ, à Cerbera.
Cerbera, des cigares et une bouteille de xérès.
CERBERA.
Tout de suite, colonel.
Elle sort par le fond.
DON LOPEZ.
Je croyais vous trouver dans votre chambre.
CHARENCEY.
Il y fait une chaleur... j’étouffais... et comme il faut que je rentre en ville...
DON LOPEZ.
Eh ! non... restez ! vous savez bien que nous avons à causer ensemble aujourd’hui ; je ne crains plus de vous fatiguer comme hier.
CERBERA, rentrant et posant ce qu’elle apporte sur le guéridon.
Voici...
Bas, à don Lopez.
Seigneur don Lopez, prenez garde à cet homme... il a un air...
DON LOPEZ.
C’est bon ! c’est bon !... Voyez si la señora Juanita se porte mieux, et si je puis enfin pénétrer jusque chez elle.
Cerbera sort.
CHARENCEY, à part.
Est-ce qu’il veut me griser pour me faire parler ?
DON LOPEZ, lui frappant sur l’épaule.
Vous accepterez ?
CHARENCEY.
C’est que... il faut que j’explique mon absence à l’alcade.
DON LOPEZ.
Restez !... J’ai arrangé votre affaire à Villaréal.
CHARENCEY.
Ah ! vous êtes bien bon !
DON LOPEZ.
Et ne faut-il pas que vous sachiez quel est votre hôte... pourquoi je vous ai retenu ?... Asseyez-vous donc.
Il s’assied.
CHARENCEY, à part.
Tout ceci m’annonce une petite explication qui finira mal... Nous nous couperons la gorge, c’est sûr !... Pourvu que sa femme...
DON LOPEZ.
Asseyez-vous donc !... Un cigare, monsieur le Français.
CHARENCEY, s’asseyant.
Je n’en use pas, monsieur l’Espagnol.
DON LOPEZ.
Tant pis pour vous ! tournez-vous de mon côté... du côté de l’ennemi.
CHARENCEY, à part.
Nous y voilà !
DON LOPEZ.
Regardez-moi en face.
CHARENCEY, à part.
C’est inutile, va ! je sais ce que tu veux.
DON LOPEZ.
Capitaine Charencey, vous ne me reconnaissez donc pas ?
CHARENCEY.
Vous, colonel ?
DON LOPEZ.
Regardez bien ! mes traits vous rappelleront peut-être un homme qui vous a fait rudement la guerre et qui est tout disposé à vous la faire encore.
CHARENCEY.
À un prisonnier, ce serait peu généreux.
DON LOPEZ.
Eh bien ?
CHARENCEY.
Eh bien !... je... ne...
DON LOPEZ.
Tenez ! je vais aider votre mémoire, je vais vous rappeler une escarmouche où vous vous trouviez, il y a trois mois environ, près de Zumala.
CHARENCEY.
En effet.
DON LOPEZ.
Au milieu d’une charge où les Espagnols eurent le dessus... je ne m’en vante pas... ils étaient dix contre un, un des vôtres, un jeune capitaine dont le courage vous aurait sauvés tous, si vous eussiez pu l’être, fut blessé, précipité de cheval... toutes les armes étaient tournées contre lui... il allait périr...
CHARENCEY.
C’était moi !
DON LOPEZ, versant à boire.
Lorsqu’un de vos ennemis, qui commandait ce jour-là, accourut et s’écria que c’était une lâcheté de tuer un homme à terre...
CHARENCEY.
Et il détourna les armes, et il brava la colère d’un des siens qui appuyait déjà le canon d’un pistolet sur ma poitrine, et le renversant lui-même avec fureur, il me sauva la vie.
DON LOPEZ.
C’était moi !
CHARENCEY, se levant.
Vous, colonel ?
DON LOPEZ.
Asseyez-vous donc ! je fis ce que vous eussiez fait à ma place, sans doute... cela, voyez-vous, ce n’était plus la guerre de peuple à peuple, d’homme à homme... c’était un assassinat !
Buvant.
À votre santé ! vous ne buvez pas ?...
CHARENCEY, repoussant de la main.
C’est singulier ! je n’avais pas reconnu d’abord... mais, en effet, il me semble revoir au milieu des cris, de la fumée, du carnage, l’officier qui se multipliait pour faire épargner les... malheureux.
DON LOPEZ.
Vous ne voulez pas dire les vaincus... à la bonne heure !... vous fûtes prisonnier... cela, je ne pouvais pas l’empêcher... mais il y a quelquefois entre braves gens de ces mouvements de sympathie qui vous gagnent le cœur... j’avais admiré votre valeur dans le combat... votre fière résignation au moment de mourir... et quand on me remit les papiers que vous aviez sur vous, j’écrivis un mot pour vous recommander au gouverneur du dépôt voisin, sur lequel on allait vous diriger.
CHARENCEY.
Les lettres de ma mère !...
DON LOPEZ.
Depuis lors, je vous ai perdu de vue sans vous avoir oublié... jugez de ma surprise, de ma joie, lorsqu’hier j’appris que je venais de vous sauver la vie pour la seconde fois.
CHARENCEY.
Que voulez-vous dire ?
DON LOPEZ.
Oui, hier, en traversant ce bois qui nous sépare de Villaréal, et que parcourent sans cesse, en partisans et en guérillas, des jeunes gens de la ville, toujours prêts à guerroyer, j’entends des cris, un coup de feu... je m’élance, j’aperçois un pauvre diable qu’ils allaient atteindre... Arrêtez ! leur criai-je !... au nom du roi Ferdinand ! et à ces mots, ils s’arrêtent... et pendant qu’ils viennent à moi, qu’ils me reconnaissent, qu’ils me félicitent de mon retour, vous avez le temps de leur échapper.
CHARENCEY.
En effet.
DON LOPEZ.
J’apprends alors que vous êtes un prisonnier de guerre, qu’on soupçonne de vouloir s’enfuir... le capitaine Charencey !... À ce nom, qui m’était bien connu : Il m’appartient, leur dis-je... c’est un homme d’honneur et je réponds de lui... Je les quitte, espérant vous rejoindre sur la route... ah bien, oui !... vous alliez trop vite pour cela... mais j’arrive chez moi au moment où vous veniez de vous y réfugier, et tout juste à temps pour vous protéger, pour vous donner l’hospitalité que des imbéciles vous refusaient... Dites donc, capitaine, ne vous semble-t-il pas que Dieu m’ait jeté sur la terre pour être votre bon génie et pour veiller sur vous ?
Buvant.
À vous !
Air d’Yelva.
À ma santé vous refusez de boire,
Et devant moi vos yeux restent baissés !
Souriez donc, mon cher, ou je vais croire
Que d’accepter cela vous rougissez !
Oui, ce récit peut-être vous offense,
Et votre orgueil semble être humilié
De mes services !
CHARENCEY, à part.
Surtout quand je pense
De quel prix il sera payé.
Oui, j’en rougis, mais quand je pense
De quel prix il sera payé !
DON LOPEZ.
Eh bien !...
CHARENCEY.
Ah ! don Lopez, je ne puis vous dire ce qui se passe en moi, ce que j’éprouve... mais soyez certain que ma reconnaissance...
DON LOPEZ.
Oh ! si la reconnaissance est dans votre cœur, je l’y trouverai toujours bien dans l’occasion... qu’elle y reste !... Si elle n’est que dans vos discours... inutile de vous fatiguer la poitrine ! D’ailleurs, j’ai déjà eu ma récompense, lors de notre première rencontre... en vous sauvant, il me sembla que je trouvais un ami, un frère... enfin, je tiens à vous, comme on tient au souvenir du bien que l’on a fait... à une bonne action dont on est heureux... cela repose de la guerre !... votre amitié, rien que votre amitié, en échange de la mienne, voilà ce que je demande, voilà ce que je veux !...
CHARENCEY.
Oui, vous avez raison... je vais partir... adieu !
DON LOPEZ, le retenant.
Eh ! non, morbleu !
CERBERA, rentrant.
Ah ! seigneur don Lopez, voilà des hommes armés, des alguazils qui arrivent de Villaréal... Ils veulent pénétrer dans le château...
DON LOPEZ.
Eh bien, quoi ! cela vous fait peur !... de braves gens qui veulent avoir des nouvelles, sans doute...
CERBERA.
Mais ils se fâchent... ils paraissent furieux !...
DON LOPEZ.
Je vais les recevoir !...
S’approchant.
Capitaine, vous êtes ici chez vous... chez un ami... je vous reverrai à déjeuner... avec ma femme, si elle me fait l’honneur de déjeuner avec moi.
CERBERA.
La señora était dans le parc.
CHARENCEY, à part.
Où je dois la rejoindre !...
CERBERA.
Elle accourt tout effrayée !...
DON LOPEZ.
Voyons, voyons.
À Charencey.
À bientôt... mon ami.
CHARENCEY.
À bientôt, mon sauveur !
Don Lopez sort avec Gerbera par le fond.
Scène IV
CHARENCEY, seul
Il se laisse aller dans un fauteuil.
Mon sauveur !... lui, le mari de cette fière Andalouse, que j’ai poussée à le haïr !... de cette femme qui se livre à moi, que j’enlève !...
Se levant vivement.
Oh ! non, non !... ce serait une lâcheté plus affreuse que celle dont il m’a préservé en me sauvant la vie ! ah ! si du moins le sort m’avait adressé à la digne moitié d’un de ces gredins d’Espagnols qui me tenaient hier sous leur escopette !... c’eût été guerre pour guerre ! double triomphe ! double joie !... mais ici... que répondre ? que faire ? vaincre cette passion que depuis deux mois j’attise moi-même au fond de mon cœur et au moment d’être heureux !... oh ! cela me coûtera... j’aurai du courage... il le faut !... mais Juanita, l’abandonner... je ne le puis ! lui dire que par reconnaissance pour le mari qu’elle veut fuir... oh ! sa tête est trop exaltée, son cœur trop plein de son amour, pour me comprendre... elle est femme à m’aimer cent fois davantage, à s’attacher à mes pas !...
Cerbera entre par le fond.
Scène V
CERBERA, JUANITA, CHARENCEY
JUANITA, entrant par la droite et allant à Cerbera, sans voir Charencey.
Qu’est-ce donc ? que se passe-t-il ? expliquez-moi...
CERBERA.
C’est à don Lopez, à votre mari, que ces soldats se sont adressés... je ne sais ce qu’ils demandent...
JUANITA, apercevant Charencey.
Ah !... savez-vous... vous a-t-on dit ?...
CHARENCEY.
Calmez-vous, de grâce !...
CERBERA.
Le colonel revenait ici quand il a aperçu Bazile qui se cachait... et tenez...
Elle remonte.
JUANITA, à Charencey.
Malheureux !... pourquoi ce retard !... fuyez...
CHARENCEY.
Rassurez-vous !...
À part, se frappant le front.
C’est un moyen !
JUANITA.
Ah ! il n’est plus temps !...
Scène VI
CERBERA, JUANITA, CHARENCEY, DON LOPEZ, BAZILE, PLUSIEURS PERSONNES, au fond
DON LOPEZ, au fond.
Restez ici, messieurs... le coupable vous sera livré.
Entrant, à don Bazile.
Ah ! vous tremblez...
BAZILE.
Ce n’est pas moi !...
DON LOPEZ.
Me direz-vous alors pourquoi vous vous cachiez dans cette armoire ?
BAZILE.
Je me cachais... parce que je croyais la maison assiégée par une armée entière !
DON LOPEZ.
Voilà un beau courage !
BAZILE.
Du courage, ce n’est pas mon état... vous m’avez défendu d’en avoir.
DON LOPEZ.
Expliquez-moi donc...
CHARENCEY, pour détourner.
Que se passe-t-il, colonel ?...
DON LOPEZ.
C’est une troupe de gardes et d’alguazils qui viennent au nom du seigneur alcade réclamer un cavalier qui s’est échappé cette nuit de Villaréal, après une bruyante orgie où il s’était animé avec quelques fous comme lui.
BAZILE, bas à Charencey.
Ne dites pas !... je suis mort !...
CERBERA.
Bonté divine !...
CHARENCEY.
Oh ! une orgie, colonel, ce n’est pas un crime...
DON LOPEZ.
Peut-être, mais quand la garde accourue dans une rue obscure a voulu mettre fin au tumulte, qui jetait l’effroi chez les bourgeois endormis...
BAZILE.
Permettez... s’ils étaient endormis...
DON LOPEZ.
Alors... les tapageurs... qui avaient déjà battu l’aubergiste en guise de paiement... le seul qu’il ait reçu... sont tombés sur les gens de l’alcade et sur les alguazils... et après les avoir rossés, ils ont bravement pris la fuite... sans qu’on ait pu les reconnaître...
BAZILE.
Alors si on ne les connaît pas...
DON LOPEZ.
Mais... on s’est attaché aux traces du plus acharné... qui enfourchant lestement un cheval qui l’attendait s’est réfugié, dit-on, dans ce château...
CERBERA.
Dans ce château où nous étions deux femmes !
DON LOPEZ.
Et en effet on vient de trouver deux chevaux derrière les murs.
BAZILE, à part.
Deux !...
CHARENCEY, à part.
Ciel !...
JUANITA, à part.
Tout est perdu !...
CHARENCEY, à part.
Non, non ! don Lopez ne sera pas seul généreux !
BAZILE.
Permettez, s’il y a deux chevaux, ce n’est pas...
DON LOPEZ.
On réclame le coupable... et je viens de m’engager le livrer, fût-ce mon frère !...
BAZILE.
Moi...
À part.
Mais c’est un Brutus que cet homme-là !
DON LOPEZ.
Ce sera un à-compte sur les jours de retraite qu’il doit au Seigneur !...
JUANITA.
Une pareille conduite !... Quoi ! vous penseriez que don Bazile...
CHARENCEY.
Non, señora... Et dussé-je me perdre... je dois la vérité au colonel, à don Bazile que je ne laisserai pas arrêter à ma place !...
DON LOPEZ.
Hein ?
JUANITA.
Qu’entends-je !
CERBERA.
Il a dit...
BAZILE.
Il a dit à sa place !...
CHARENCEY.
Oui, colonel... quelque pénible qu’il soit de détruire la bonne opinion que vous aviez de moi... il est de mon devoir de détromper telle personne qui peut-être me croyait, cette nuit, dans l’inquiétude, dans d’autres pensées... J’en conviens : cet homme qui passait gaiment son temps...
DON LOPEZ.
À s’enivrer.
CHARENCEY.
À perdre son argent.
DON LOPEZ.
À rosser l’aubergiste.
CHARENCEY.
Et les gens de l’alcade.
DON LOPEZ, riant.
C’était vous ?
BAZILE.
C’était lui !
JUANITA, s’oubliant.
Oh ! non, ce n’était...
CHARENCEY, l’interrompant.
Ma foi si, señora, c’était moi, je ne puis plus mentir ; le moyen de nier, quand je sens encore la chambre tourner autour de moi, et mes jambes chanceler un peu.
BAZILE.
Au fait, je n’avais pas remarqué.
CHARENCEY, à part, regardant Juanita.
Une larme !
CERBERA.
C’est donc ça qu’on a vu un jeune homme escalader les murs du parc.
CHARENCEY.
Voilà !
BAZILE.
Voilà !
DON LOPEZ.
Ah bah ! En effet, je vous ai trouvé ici... mais comme j’avais fait fermer les portes...
CHARENCEY, montrant une petite clef.
Recommandez donc à votre jardinier de mieux garder la petite clef que voici !
BAZILE.
Parbleu ! je la reconnais.
À part.
La mienne !
JUANITA, à part.
Ah ! mon Dieu !
CHARENCEY.
Je rentrais quand vous m’avez surpris ce matin, ici, un peu dégrisé par la peur, et par votre présence...
Riant.
Mais tenez, vous parliez, vous parliez, j’en ai perdu la moitié, le diable m’emporte !...
À Juanita.
Pardon, señora.
DON LOPEZ.
Et moi qui vous croyais l’homme le plus rangé... même un peu romanesque !
CHARENCEY.
Ma foi il y a des jours où je crois aussi... quand il faut prendre un air gentil, briser mon cigare et mon verre, et soupirer quelques romances amoureuses... ce n’est pas que je ne sois... oh ! mon Dieu ! amoureux pour la vie ! mais farceur et bon enfant ! Là-dessus, ne craignez rien, et, puisque l’alcade me réclame, mon ami l’alcade, envoyez-moi à Villaréal pour me défendre. L’alcade est un brave homme, nous nous expliquerons ensemble.
Bas à Bazile.
J’arrangerai votre affaire.
BAZILE.
Merci !
CHARENCEY.
Chut !
À part.
C’est cela, je pars ! je suis sauvé !...
CERBERA.
Dans le bon temps, on aurait brûlé cet homme-là !...
CHARENCEY, aux agents restés dans le fond.
Allons, messieurs...
DON LOPEZ.
Moi, vous laisser aller ! vous livrer à ces enragés qui vous réclament ! Allons donc ! Vous êtes mon hôte, mon prisonnier à moi ! Tout ce que vous avez fait, faute grave pour un jeune moinillon...
BAZILE, à part.
Hein ! lui aussi.
DON LOPEZ.
N’est que peccadille pour un brave officier... pour un prisonnier de guerre qui cherche gaîment à s’étourdir !
BAZILE.
Au fait ! un brave officier, c’est son état à lui !
CERBERA.
Quoi ! señor, vous retenez un mauvais sujet comme...
DON LOPEZ.
Je connais notre alcade, je vais lui répondre. Vous nous restez, je le veux ! Et toi, qui l’échappes belle, va-t’en dire qu’on rentre les chevaux qui sont restés à la petite porte du parc.
À Cerbera.
N’allez-vous pas craindre pour votre vertu, vous ?
Retenant Charencey qui fait un mouvement pour sortir.
Eh bien ! eh bien !
CHARENCEY.
Mais permettez ; il vaut mieux m’éloigner.
DON LOPEZ.
Ah ! vous m’obéirez, morbleu ! Je reviens.
Reconduisant Juanita jusqu’à sa porte, à gauche.
Juanita, je vous rejoins dans un instant.
CHARENCEY, à part.
Vous verrez qu’il ne voudra plus me laisser partir.
Ensemble.
Air : Fragment de Nabuchodonosor.
Ah ! l’aventure est singulière !
En vain c’est moi qui veux partir ;
Près de sa femme j’ai beau faire,
C’est lui qui va me retenir !
DON LOPEZ.
Ce n’est qu’une faute légère,
Je vous garde, j’y dois tenir.
Encore un service, j’espère,
Que vous acceptez sans rougir !
BAZILE.
Ah ! l’aventure est singulière !
De peur je me sentais mourir ;
Il prend ma place, laissons faire,
C’est un Français qu’il faut bénir !
JUANITA.
Ô ciel ! quel est donc ce mystère ?
Je me sens trembler et frémir !
Mais, non, c’est une erreur, j’espère,
Il veut le tromper pour mieux fuir !
CERBERA.
Cette nuit, on avait beau faire,
De ces lieux il a pu sortir !...
Il faut le livrer au contraire,
Et l’alcade doit le punir !
Ils sortent tous, excepté Charencey et Juanita.
Scène VII
JUANITA, CHARENCEY
CHARENCEY fait un pas pour sortir.
Oh ! je ne reste pas ! il y a trop de danger !
JUANITA, qui s’est arrêtée à sa porte, le retenant.
M. Charencey !
CHARENCEY.
Madame...
À part.
Soutenons notre rôle, ferme !
JUANITA.
Oh ! tout cela, c’est un rêve, n’est-ce pas ?
CHARENCEY.
Pardon, je viens de me trahir... il n’y a pas de mal, peut-être... Vous vous figuriez que j’étais un homme accompli, sans les défauts que vous détestez chez don Lopez... Eh bien ! non, je ne vaux pas mieux que lui. Fumer, boire et jouer, voilà ma vie !...
Air : Eau merveilleuse.
Je la mène joyeuse et douce
Partout où la guerre me pousse ;
Et sans songer au lendemain,
Je poursuis gaiment mou chemin,
Fredonnant un joyeux refrain !
De nos soldats c’est l’habitude,
Et s’ils peuvent faire une étude,
Ce n’est que celle du plaisir !
Si leur cœur s’agite,
S’enflamme bien vite,
Frémit et s’irrite,
C’est pour le saisir.
Vive le plaisir ! (bis.)
Si mon cœur s’agite, (bis.)
Frémit et s’irrite,
C’est pour le plaisir !
JUANITA.
Vous !
CHARENCEY.
Ce qui ne m’empêche pas d’entremêler tout cela d’un peu d’amour... de beaucoup d’amour... car je vous aime, ma parole d’honneur ! Mais, que voulez-vous, j’ai joué l’homme aimable, élégant... et je ne suis qu’un soldat, pas trop digne de vous. Vous ne m’aviez vu qu’en perspective ; de loin, on se monte la tête !... Vous vouliez tout sacrifier pour moi, c’était bien, c’était gentil !... mais au bout de tout cela, voyez-vous, il y avait des regrets, du repentir ! Maintenant, vous me connaissez... eh bien ! tant pis, ou plutôt tant mieux, pendant qu’il en est temps encore ; cela nous épargnera à vous une faute, à moi un remords. Encore un coup, pardon, madame. Je pars, mais je suis sûr au moins que vous direz quelquefois : Il n’était pas digne de moi, mais c’est un brave garçon.
JUANITA.
Quel langage... c’est un mélange d’honneur, de rudesse et de bonté !
CHARENCEY, à part.
Diable ! ce n’est pas ça !
JUANITA.
Vous m’aimiez ?
CHARENCEY.
Oh ! oui, comme un brave soldat qui passe, qui s’en va, mais à qui il en coûte trop de se faire meilleur qu’il n’est. Vous avez cru que, cette nuit par exemple, je pensais à vous, que j’étais tenu éveillé par mon amour, par mon inquiétude, comme vous, qui étiez bien malheureuse, peut-être en pensant à moi ? Eh bien ! non, j’avais quitté ce château pour retourner près des amis, leur faire gaiment mes adieux au milieu des éclats de rire, du bruit des verres et de la fumée des cigares !... voilà !...
JUANITA.
Comment ?
CHARENCEY.
Mais je ne vous ai pas compromise ; soyez tranquille, on ne sait rien, et quand je serai parti, personne n’aura le droit de vous soupçonner. Pour moi, vous ne pouvez plus m’aimer... Vous ne me reverrez plus... Adieu !...
JUANITA.
Ne plus vous aimer ! mais est-ce que je le puis ! Et ma lettre ?
CHARENCEY.
Quelle lettre ?
JUANITA.
Après m’avoir exaltée, entraînée malgré moi, après m’avoir arraché avec un aveu fatal ce cœur que je défendais en vain... croyez-vous qu’il dépende de vous de me rendre la raison que vous m’avez ravie ? Non, une femme qui s’est perdue ainsi ne retourne plus en arrière... pour rougir, pour trembler devant un maître ! Non !... Et vous ne sentez donc pas que si je n’étais vaincue déjà, je le serais par tant de loyauté et de franchise !... Ah ! je vous avais rêvé sans ces défauts, qui sont ceux de votre état, peut-être ; mais je sais que vous étiez loyal et sincère dans votre amour ! je sais que vous ne m’avez pas trompée quand vous m’avez dit je t’aime !... que me fait le reste ?...
CHARENCEY.
Ce que je vous ai dit...
JUANITA.
Je vois tout et je pardonne... parce que moi aussi... je...
CHARENCEY, l’interrompant.
Juanita !... Mais songez donc...
JUANITA.
J’ai songé à tout, quand j’ai écrit à don Lopez que tout était rompu entre nous et que je partais !
CHARENCEY.
Vous avez écrit !...
JUANITA.
Ce matin même.
CHARENCEY.
Mais cette lettre !
JUANITA.
Parmi ses papiers... sur le contrat qui m’enchaînait à lui... il l’a sans doute en ce moment.
CHARENCEY.
Quoi ! vous avez osé... pour moi !...
JUANITA.
Ne craignez pas un regret, pas un remords de cette âme, dont l’énergie est votre ouvrage !... Si vous m’aimez, je serai loin de lui !... Si je reste, c’est que vous ne m’aimez pas !... Il me tuera, que m’importe !
CHARENCEY.
Oh ! c’en est trop, Juanita... Ordonne, dispose, je suis ton amant, ton esclave !... Il n’existe au monde rien qui puisse nous séparer... ni amitié, ni honneur, ni reconnaissance... On n’est pas aimé ainsi deux fois dans sa vie !... On ne goûte pas deux fois un bonheur aussi grand... Et quand il s’offre à nous, quand il nous saisit, quand il nous embrasse, de quelque prix qu’il faille l’acheter, il n’est pas de puissance au monde, il n’est pas de force au fond de l’âme qui puisse y faire renoncer !... Et moi aussi, je suis à toi !... Partons !...
Scène VIII
JUANITA, CHARENCEY, DON LOPEZ, BAZILE
DON LOPEZ, en dehors.
Oui, oui ! je répondrai !
CHARENCEY, s’éloignant.
Don Lopez !
JUANITA.
Ciel !...
DON LOPEZ, en dehors.
Bien ! bien ! cette lettre !...
CHARENCEY.
Cette lettre ! il l’a trouvée !...
BAZILE, entrant par la gauche.
Ils sont partis !
DON LOPEZ, toujours au fond et parcourant un papier.
Dites au seigneur alcade que je le verrai ce matin.
Il entre sans voir Charencey.
Ah ! Juanita, je vous demandais... pour vous parler d’une lettre que je reçois à l’instant.
CHARENCEY.
Une...
DON LOPEZ, se retournant.
C’est vous, capitaine, cela vous concerne aussi...
CHARENCEY.
Une lettre ?
DON LOPEZ.
Dans laquelle on m’ordonne de me rendre immédiatement à Madrid...
CHARENCEY.
Ah !
À part.
Je respire !
BAZILE.
Oui, nous partons pour Madrid... que je désire voir depuis si longtemps !... Madrid, la ville des plaisirs !...
DON LOPEZ.
La ville des couvents !
BAZILE.
C’est ce que je voulais dire !
DON LOPEZ.
Quant à vous, señora, vous m’accompagnerez aussi.
JUANITA.
À Madrid... Je ne puis...
DON LOPEZ.
Oh ! à cet égard, point de caprices !... J’en ai trop souffert... Mais, quant à ce départ... il le faut, je le veux.
JUANITA.
Puisque mon maître l’ordonne !
DON LOPEZ.
Votre maître ! Eh ! vous savez bien que je ne le suis pas ! Allez... songez qu’il faut partir aujourd’hui même.
Elle sort par la droite.
Scène IX
CHARENCEY, BAZILE, DON LOPEZ
DON LOPEZ, la regardant sortir.
C’est heureux ! on ne résiste pas... C’est la première fois.
CHARENCEY, à part.
Que va-t-elle faire ? comment la rejoindre ?...
BAZILE, bas à Charencey.
Seigneur français, mon frère a grande confiance en vous.
Mouvement de Charencey.
Tâchez donc d’obtenir...
Voyant don Lopez s’approcher.
Hum ! hum !
DON LOPEZ.
Maintenant, mon cher hôte, à nous deux.
CHARENCEY, à part.
Que je me sens mal à l’aise près de lui !
BAZILE, bas à Charencey.
Qu’il ne me fasse pas entrer au couvent... J’y ferai une révolution d’abord !
DON LOPEZ.
Bazile !
BAZILE.
Mon frère !
DON LOPEZ.
Venez, prenez ce papier, vous allez remplir les blancs qui s’y trouvent... M. le capitaine va vous dicter.
CHARENCEY.
Moi, monsieur le colonel ?...
DON LOPEZ.
C’est un petit service que je veux vous rendre... le dernier...
CHARENCEY.
Merci... seigneur Lopez !... Vous avez déjà trop fait pour moi... Je ne saurais accepter...
DON LOPEZ.
Vous refusez sans savoir de quoi il s’agit...
CHARENCEY.
N’importe ! c’est trop ! et d’un ennemi...
DON LOPEZ.
Hein ! est-ce que vous rougissez de me devoir la vie ?...
CHARENCEY.
Je ne dis pas... mais...
BAZILE, à part.
Ah ! mon Dieu ! ils vont se rebrouiller.
DON LOPEZ.
Est-ce que je vous ferme ma maison ?... Est-ce que je me suis cru le droit de vous frapper sans défense ? quoique vous veniez nous disputer ce qu’un peuple a de plus cher, de plus précieux au monde, notre indépendance...
CHARENCEY.
Monsieur, je fais mon devoir.
BAZILE, à part.
Oui, notre indépendance !... et on me fait moine !
CHARENCEY.
Oui, mon devoir, et je ne souffrirai pas...
DON LOPEZ.
Assez, capitaine, laissons les fautes à ceux qui les ont faites... Dans une guerre comme celle-ci, on ne discute pas, on se bat, et, quand on se tire des coups de fusil, la colère et la vengeance finissent toujours par s’en mêler... Mais, après le combat, homme à homme, admis dans l’intérieur d’une famille, on se juge, on s’apprécie, et l’on se rappelle que l’on a été, que l’on sera, que l’on est toujours frères !
CHARENCEY.
Oh ! cela, je le pense comme vous.
BAZILE.
Et moi aussi !
CHARENCEY.
Mais quand il s’agit de l’honneur.
DON LOPEZ.
Et justement, c’est votre honneur que je viens sauver !...
CHARENCEY, stupéfait.
Hein ?
DON LOPEZ.
Prisonnier sur votre parole, vous pensez à y manquer !... on se fie à votre honneur, et vous cherchez à vous échapper !
CHARENCEY.
Plaît-il ?... qui vous a dit ?...
DON LOPEZ.
On le sait à Villaréal, on vous surveille... Et pourquoi donc seriez-vous toujours sur cette route ?
BAZILE.
Ça, c’est vrai !
CHARENCEY.
Sur cette route...
DON LOPEZ.
Eh bien !... je vous rends la liberté, moi, et cela ne coûtera rien à votre honneur !
CHARENCEY.
Colonel !
DON LOPEZ.
J’ai là un cartel d’échange... qui m’arrive de Cadix... Je l’avais demandé... après notre première rencontre... à votre intention... Je n’ai pas changé d’avis depuis ce jour-là... le voici... Bazile, date-le de Villaréal, septembre 1812, le capitaine Charencey... Je m’en remets à vous du choix d’un officier que la France nous rendra à votre place... C’est une bonne action que je vous laisse à faire... encore un service... et celui-là, vous ne le refuserez pas !...
Il va à Bazile.
CHARENCEY, à part.
Diable d’homme, il a juré de ne pas me laisser une minute sans remords !... c’est un poids trop lourd !
DON LOPEZ, revenant à lui et lui prenant le bras.
Partez... retournez dans votre patrie.
CHARENCEY.
Mais...
DON LOPEZ.
Et quelquefois...
Air du Grand Eugène.
Parlez de moi comme d’un frère,
En contant nos tristes combats,
À vos amis, à votre mère,
Qui, pour moi, priera Dieu tout bas,
En pressant son fils dans ses bras !
Votre femme, sans me connaître,
De loin aussi me bénira...
Pour son bonheur... mon ouvrage... et peut-être,
La mienne ici me le rendra !
CHARENCEY, à part.
Ma mère !
DON LOPEZ.
Votre femme est-elle jolie ?
CHARENCEY.
Je ne suis pas marié, colonel.
DON LOPEZ.
Ah ! je n’ose pas vous plaindre... car s’il faut juger par mon bonheur de celui des autres...
CHARENCEY.
Vous n’êtes pas heureux !
DON LOPEZ.
Moi... C’est à en perdre la tête !... Je l’aime... Rien que je n’aie fait pour gagner son amour... et à mon dernier départ pour l’armée, il me semblait que j’avais commencé... ça n’allait pas mal... et je comptais sur l’absence, sur les regrets pour être adoré !... Mais pas du tout... hostilité complète !... À mon retour, une migraine... une querelle... que sais-je !... pour avoir le plaisir de me fermer sa porte.
BAZILE, à part.
Comme la tendre Zaïma pour son pauvre mari !...
DON LOPEZ.
Et ce matin, vous avez vu...
CHARENCEY.
J’ai vu... J’ai vu que vous n’avez pas été très aimable avec elle... vous lui parlez militairement... Il le faut, je le veux.
DON LOPEZ.
Je parle comme un soldat !
CHARENCEY.
Un peu bourru.
DON LOPEZ.
Et très mécontent.
Bazile se lève avec son papier et va se placer près de don Lopez.
CHARENCEY.
Et puis, vous ne lui dites pas un mot pour sa famille exilée... vous lui faites l’éloge des Anglais qu’elle n’aime pas.
DON LOPEZ.
Ni moi non plus... mais la politique veut...
CHARENCEY.
Est-ce qu’on fait de la politique avec sa femme !... ou plutôt est-ce qu’il ne faut pas en faire un peu... mais de la politique de ménage... Pour gagner son cœur, il faut être doux, complaisant, aimable.
DON LOPEZ.
Ce n’est pas trop mon genre.
BAZILE.
Oh non !
CHARENCEY.
Les femmes veulent quelquefois être trompées.
BAZILE.
Elles le veulent toujours.
DON LOPEZ.
Vous croyez ?
CHARENCEY.
C’est un mauvais sujet qui vous parle...
BAZILE.
Oui, c’est un mauvais sujet qui vous parle.
CHARENCEY.
Moi, j’ai fait une étude particulière du cœur de ces dames...
BAZILE.
Oui, j’ai fait une étude particulière...
DON LOPEZ, se retournant vers Bazile.
Hein ?... toi aussi !
BAZILE.
C’est-à-dire, non... Je... Voici le cartel rempli.
DON LOPEZ.
Bien !... Voyez, capitaine... Ciel ! ma femme !
À Bazile.
Va-t’en !...
BAZILE.
Je sors !...
Bas à Charencey.
Il est bien disposé... parlez donc.
Il sort par le fond au moment où Juanita entre par la droite.
Scène X
CHARENCEY, JUANITA, DON LOPEZ
Juanita entre vivement et voilée.
CHARENCEY, bas.
Courage, colonel !...
Il feint de lire le papier qu’il tient.
DON LOPEZ, allant à elle.
Eh ! Juanita, où allez-vous ainsi ?... Pourquoi ce voile, cet air agité ?...
JUANITA.
Tout est prêt pour votre départ... J’ai obéi... je me suis soumise à vos ordres.
Charencey regarde don Lopez.
DON LOPEZ.
Je ne vous ai point donné d’ordres, Juanita... Je vous ai fait une prière...
Charencey l’approuve d’un signe de tête.
Vous me suivez à Madrid avec plaisir ?
JUANITA.
Non, monsieur !...
DON LOPEZ, vivement.
Eh ! madame...
Charencey le regarde, il se reprend.
Vous me gardez rancune... Je vous ai offensée peut-être par un ton brusque... qui n’est pas fait pour vous... Pardonnez-le-moi.
Charencey approuve.
Air de l’Art d’aimer.
Plus tard vous saurez mieux connaître
Ce cœur que l’amour vous soumet.
Juanita, ce n’est pas un maître,
C’est un ami qui vous promet
Des jours de bonheur en échange
D’un regard plus doux !...
JUANITA, à part.
Ciel ! qu’entends-je ?
CHARENCEY, à part.
Il a beau faire, je le vois,
Le regard est toujours pour moi !...
DON LOPEZ.
Dites-moi, que puis-je en ce moment ?...
JUANITA.
Me permettre de descendre à la ville... où j’ai quelques adieux à faire.
DON LOPEZ.
À qui donc ?
Charencey le regarde.
Pardon, Juanita... allez, on va vous accompagner.
JUANITA.
C’est inutile... J’irai seule.
Elle jette un regard sur Charencey.
CHARENCEY, à part.
Ah ! mon Dieu !...
DON LOPEZ.
Mais cependant !
Charencey le regarde.
Soit...
Même air.
Un soupçon serait une offense,
Soyez libre !... Mais en ce cas,
Quand vous avez ma confiance,
La vôtre, ne l’aurai-je pas ?
Gage de paix, je vous en prie,
Laissez-moi cette main amie !...
Il lui prend la main, elle regarde Charencey.
CHARENCEY.
La main est à lui, je le vois,
Mais le cœur est toujours à moi.
Don Lopez va lui baiser la main, elle la retire doucement.
Scène XI
CHARENCEY, JUANITA, DON LOPEZ, CERBERA, BAZILE
CERBERA, entrant.
Mais je parlerai au seigneur don Lopez !...
BAZILE, la suivant.
Mais non, je vous le défends !...
CERBERA.
Je parlerai.
DON LOPEZ.
Qu’est-ce donc ? parlez, Cerbera...
BAZILE.
Cerbera, je vous en prie !...
DON LOPEZ.
Silence !... Eh bien ?...
CERBERA.
C’est le corregidor en personne qui vient réclamer le tapageur de cette nuit.
JUANITA, à part.
Ciel !
CHARENCEY, à part.
Ah !
DON LOPEZ.
Et pourquoi ?...
BAZILE.
On lui dira qu’il n’est plus ici, voilà...
DON LOPEZ.
Pourquoi donc ?...
CERBERA.
Il prétend...
BAZILE.
Des bavardages !...
CERBERA.
Il dit...
BAZILE.
Ce n’est pas vrai !
DON LOPEZ.
Vous tairez-vous ?...
CERBERA.
Qu’il est coupable d’escalade... de vol, peut-être.
TOUS.
De vol !...
CERBERA, continuant.
Et que lorsqu’on l’a poursuivi, il s’échappait de la maison de l’alcade...
BAZILE, à part.
Aie !...
CERBERA.
Par le balcon de la señora !...
DON LOPEZ.
Comme un amant !...
JUANITA.
Un amant !...
Elle attache sur Charencey un regard jaloux.
BAZILE, à part.
Cette fois, il ne me sauvera pas.
DON LOPEZ.
Seigneur prisonnier... que dites-vous ?...
CHARENCEY.
Je dis qu’il y a là un secret que je ne puis dévoiler qu’à vous... à vous seul !...
DON LOPEZ.
Je conçois !... Juanita, vous êtes libre de descendre à la ville... Quant au voyage de Madrid, c’est moi qui attends vos ordres.
Il la conduit à la porte de gauche.
Bazile, priez le corrégidor de m’attendre un instant.
BAZILE.
J’y vais...
DON LOPEZ, à Cerbera.
Allez, Cerbera... et placez dans mon pupitre de voyage tous les papiers de famille qui sont dans mon secrétaire...
CERBERA.
Oui, seigneur.
Cerbera, au moment de sortir, voit Bazile entrer à droite. À part.
Il veut entendre !
Elle sort par le fond.
Scène XII
CHARENCEY, DON LOPEZ
CHARENCEY, à part, regardant la porte à gauche.
Elle écoute !... tant de beauté, tant d’amour !... ah ! c’est trop...
DON LOPEZ, lui frappant sur l’épaule.
Nous sommes seuls... eh bien ! capitaine ?
CHARENCEY.
Eh bien ! colonel !...
Ils partent tous deux d’un éclat de rire.
DON LOPEZ.
Ce voleur ?...
CHARENCEY.
C’était un amant !...
DON LOPEZ, le montrant du doigt.
Et cet amant ?...
CHARENCEY.
Chut !... vous y êtes !
La porte de gauche se referme.
DON LOPEZ.
Vrai !... ce cher alcade !... chargé de veiller sur la vertu publique !... et sa femme, sa chère Zaïma...
CHARENCEY.
Zaïma !... c’est ça !... joli nom, hein ?
DON LOPEZ.
Elle n’est pas mal.
CHARENCEY.
Superbe.
DON LOPEZ.
Elle qu’on dit si sévère, si dévote...
CHARENCEY.
Bah ! un moinillon !
La porte de droite se referme.
DON LOPEZ.
Plaît-il ?
CHARENCEY, se reprenant.
C’est-à-dire... que moi aussi j’ai pris avec elle l’air un peu cafard...
DON LOPEZ.
C’est ça... vous vous y entendez ! vous prenez avec toutes les femmes l’air qui leur convient...
CHARENCEY.
Voilà !...
DON LOPEZ.
Un petit saint avec nos béguines.
CHARENCEY.
Un héros de roman avec vos fières Andalouses... pour leur monter la tête.
DON LOPEZ.
Et vous vous en moquez après ?
CHARENCEY.
Quelquefois.
Il voit la porte de gauche se refermer, et dit à part avec émotion.
Ah ! pauvre femme !
DON LOPEZ.
Et cet amour dure depuis...
CHARENCEY, avec effort.
Depuis deux mois ! deux mois que je l’aime comme un fou !
DON LOPEZ.
C’est beau ! c’est héroïque !... et je suis sûr que ce n’est pas le seul cœur tendre que votre départ va déchirer !
CHARENCEY, prenant un ton dégagé.
Ma foi non ! depuis que je suis à Villaréal, j’ai beaucoup aimé !... mais beaucoup !... Je n’avais que ça à faire !... Dame ! un malheureux prisonnier !...
DON LOPEZ.
Malheureux ! malheureux ! pas trop !
CHARENCEY.
Et je changeais souvent d’amour... Que voulez-vous ? nous autres Français, nous aimons bien, mais vite... comme des gens qui sont pressés d’en finir pour changer.
DON LOPEZ.
Et puis on mène plusieurs intrigues à la fois... et en ce moment peut-être...
CHARENCEY.
En ce moment, j’en ai quatre ! un feu croisé !...
DON LOPEZ.
Eh bien ! je vais trouver le corrégidor... lui dire que vous partez... que vous êtes libre... et que, dans l’intérêt du seigneur alcade et des autres maris, on fera bien de ne pas vous retenir !... C’est patriotique ce que je fais là !...
CHARENCEY.
Sans doute ; mais ne parlez pas de mes amours... vous me feriez du tort !...
DON LOPEZ.
Bah ! puisque vous partez !
CHARENCEY.
C’est égal... on ne sait pas ce qui peut arriver... et puis, je ne veux pas laisser une mauvaise opinion de moi à la señora Juanita.
DON LOPEZ.
Vous avez raison ! il faut tenir à l’estime d’une honnête femme. Je donnerais ma vie pour lui épargner un chagrin !... J’obtiendrai le retour de son père... et quant à moi, si elle ne peut m’aimer... Eh bien !... pour la laisser libre, heureuse, j’irai me faire tuer sur un champ de bataille !... Attendez-moi !
Il va pour sortir, Cerbera entre.
Scène XIII
CHARENCEY, DON LOPEZ, CERBERA
CERBERA, du fond.
Seigneur don Lopez... ah ! sur les papiers que vous m’avez indiqués... cette lettre cachetée pour vous.
DON LOPEZ, la prenant.
Pour moi !
Juanita s’élance, pâle, défaite.
JUANITA.
Ma lettre !
CHARENCEY.
Madame !...
DON LOPEZ, se retournant.
Vous ici, Juanita !... je vous croyais à Villaréal.
JUANITA.
Non, don Lopez... ce ton de bonté avec lequel vous m’avez parlé m’a trop émue... parce que je crois à votre franchise... Tromper une femme, ce serait infâme, et mon mépris...
CHARENCEY, à part, avec abattement.
Ah ! son mépris !...
DON LOPEZ, bas à Charencey.
Le conseil était bon !...
Haut.
Mais pardon !... cette lettre... en effet... je ne l’ai pas ouverte ; de qui est-elle ?...
Il va pour l’ouvrir.
JUANITA.
De moi !... oui... une lettre injuste, cruelle... que je me repens d’avoir écrite... car elle ne contient pas ma pensée !...
DON LOPEZ.
Ah !
Il va pour l’ouvrir. Après un moment d’hésitation, il la déchire, puis regarde Charencey qui l’approuve.
Je ne l’ai pas lue.
Il sort.
Scène XIV
CHARENCEY, BAZILE, JUANITA, CERBERA
JUANITA.
C’est bien !
Regardant Charencey avec mépris, à Cerbera.
Venez, sortons !
BAZILE, s’élançant de la droite avec impétuosité.
Quel dévouement ! quelle bonté !...
CERBERA, épouvantée.
Miséricorde, c’est le diable !
JUANITA, s’arrêtant.
Don Bazile !
BAZILE, se jetant au cou de Charencey.
Mon ami, mon sauveur, le plus généreux des hommes ! j’en suis ému aux larmes !
CHARENCEY.
Taisez-vous !...
BAZILE, à Juanita.
Car vous ne savez pas ! Tout ce qu’il a dit est un mensonge.
JUANITA.
Lui !
CERBERA.
Quoi donc !
BAZILE.
Oh ! je puis, à elles !... elles ne me trahiront pas... et, voyez-vous... j’ai le cœur trop plein.
CHARENCEY.
De grâce, ne dites pas...
BAZILE.
L’orgie !... la femme de l’alcade, mes amours...
CHARENCEY.
Malheureux !
BAZILE.
Non, non, très heureux !... il a tout pris sur lui, tout !
JUANITA.
Grand Dieu !...
CERBERA.
Ah ! le damné !...
BAZILE.
Parce que lui... un soldat, mon frère en a ri... mais moi, il m’aurait... Je suis sauvé, je ne crains rien ! Et moi, qui maudissais les Français, qui les détestais tous en masse !... je les estime maintenant, je les aime... je prierai pour eux !... ce sont de braves gens !... oui, et si pendant que vous y êtes vous pouvez obtenir que je ne sois plus dans les ordres, je crierai... tant pis !... je crierai : Vive l’empereur !
CERBERA.
C’est affreux !
BAZILE, à Juanita.
Ne dites rien, petite sœur.
À Charencey.
Adieu, adieu !
À Cerbera.
Venez, et moi aussi je pars !...
CERBERA, sortant par le fond.
Vous êtes un mauvais sujet !...
BAZILE, de même.
Parbleu !
Scène XV
CHARENCEY, JUANITA
JUANITA.
Que nous dit-il ? quel est ce mystère ?...
CHARENCEY.
Madame, ne me le demandez pas... oubliez-moi !... adieu !...
JUANITA.
Non ! non !... je saurai tout !... quand je n’avais plus au fond du cœur que de la haine et du mépris pour vous...
CHARENCEY.
Du mépris !... oh ! c’est le seul sentiment que je n’accepte pas... et au risque de rallumer cet amour que j’ai voulu éteindre !... à quoi bon des efforts que l’on a rendus inutiles ?... Eh bien ! qu’il en soit donc ce que vous voudrez, je m’abandonne à vous.
JUANITA.
Quoi ce que vous disiez ici !...
CHARENCEY.
Quand vous m’écoutiez... là.
JUANITA.
Vous saviez !...
CHARENCEY.
Oui, Juanita !... Ivre d’espérance et de bonheur... digne de votre tendresse, quand je venais vous enlever de ces lieux, comme un trésor auquel ma vie était attachée... j’appris que votre mari avait sauvé mes jours au milieu des combats... que sa pitié généreuse m’avait suivi dans ma captivité pour l’adoucir... qu’hier dans ce bois... que je traversais pour lui dérober son bien !... il m’avait sauvé une seconde fois, en répondant de moi sur cet honneur que je voulais flétrir !... et tout à l’heure encore... il m’a fait rendre la liberté... Par lui, je puis revoir ma patrie... embrasser ma mère !... Alors, j’ai rougi, j’ai eu honte... j’ai voulu lutter avec don Lopez de générosité, d’honneur... de courage... mais j’ai douté du vôtre !...
Elle le regarde fièrement.
Quand il me jurait de vous rendre heureuse, j’ai craint de laisser entre vous et lui, comme un germe de malheur, l’amour qui vous livrait à moi.
Air de M. Couder.
Oui, j’ai voulu vous forcer, vous, madame,
À m’oublier, peut-être à me haïr !...
Mais le mépris pèserait sur mon âme
Comme un remords dont il faudrait mourir !
C’est déjà trop de revoir ma patrie,
Seul... malheureux... aux regrets condamné !...
De vous laisser à qui j’ai dû la vie...
Ah ! je lui rends plus qu’il ne m’a donné !...
Mais votre mépris, à moi qui emporte tant d’amour !... vous vous taisez... Juanita !... ce regard fixe... cette pâleur... oh ! parlez !...
Elle reste immobile, comme étouffée par la douleur.
Scène XVI
CHARENCEY, JUANITA, BAZILE, ensuite DON LOPEZ
BAZILE, accourant, à Charencey qui, sans l’écouter, regarde toujours Juanita.
Seigneur Français, votre cheval est prêt... j’ai mis moi-même dans les fontes d’excellents pistolets... en souvenir de moi... et dans un petit coffre... peu gênant... deux flacons de Xérès... et des cigares excellents... toujours en souvenir de moi !
CHARENCEY, voyant entrer don Lopez.
Don Lopez !
De ce moment, et pendant ce qui suit, le calme et le sourire reviennent peu à peu sur les traits de Juanita.
DON LOPEZ, à Charencey.
Vous n’avez plus à craindre, vous pouvez partir !... Quant à nous, Juanita, il est tard... et la route ne vous semble peut-être pas assez sûre, la nuit...
JUANITA, souriant.
Pourquoi donc ? je ne veux pas que l’on dise ici que les hommes seuls ont du courage !... j’en ai aussi, moi... donnez vos ordres, don Lopez, je suis prête à partir pour Madrid.
DON LOPEZ.
Sans peine !...
JUANITA.
Avec joie !... vous avez été si généreux pour votre ennemi... il m’a tout dit !... et vous êtes si bon pour moi !... que je me sens rassurée !...
Musique jusqu’à la fin. À Charencey.
Adieu, monsieur, nous ne suivons pas la même route... mais si vos yeux et votre pensée se tournent quelquefois de notre côté, n’oubliez pas que vous laissez en Espagne des amis... qui vous estiment !
DON LOPEZ.
Qui vous aiment !...
BAZILE.
Qui vous doivent tout !
Charencey le regarde, il appuie.
Tout !
CHARENCEY, comprenant.
Ah ! j’entends.
À don Lopez.
Je réclame encore un service de vous, don Lopez... c’est que ce pauvre garçon, qui a de la vocation pour l’uniforme, ne soit pas forcé d’être moine !...
DON LOPEZ.
Soldat, lui !
BAZILE.
C’est le seul moyen de n’être pas damné.
DON LOPEZ.
Allons, soit... pour que tout le monde ici vous doive son bonheur.
Il lui serre la main.
CHARENCEY.
Oui...
Jetant un regard sur Juanita et à part.
Nous sommes quittes !
BAZILE, serrant la main de Charencey, bas.
Merci pour Zaïma !