I et I font II (Hector CHAUSSIER - Pierre VILLIERS)
Vaudeville épisodique en un acte.
Musique arrangée par Jean-Jacques Dreuilh.
Représenté, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la Gaîté, le 27 juillet 1794.
Personnages
DUMONT
JULIE
La scène est à la campagne.
Le théâtre représente un Salon une porte de fond ; deux à droite, l’une servant d’antichambre, l’autre de chambre d’ami, et communiquant dans la première.
Scène première
DUMONT, une lettre à la main
Cette lettre prouve que j’avais raison de ne pas consentit au mariage de mon neveu avec cette jeune veuve. Mon frère me marque bien que Julie réunit l’esprit et l’amabilité aux talents et aux grâces ; mais il ajoute qu’elle est très coquette, et qu’elle a de plus la fureur de jouer la comédie... Avec de semblables travers on ne peut être une bonne mère de famille ; ainsi mon parti est pris, mon neveu n’épousera point Julie. Une femme qui joue la comédie n’est pas ce qu’il faut à un époux.
Air : D’Arlequin afficheur.
Madame joue avec talent
Les amoureuses, les soubrettes :
Peu de rôles à sentiment,
Mais beaucoup de grandes coquettes,
À l’époux toujours on permet
Les rôles les moins difficiles :
Le financier ou le valet,
Et plus souvent les gilles.
Un post scriptum... Voyons : « Germain vient de me dire en confidence que Julie est partie ce matin pour aller à la campagne, et le jouer quelques tours de sa façon. Tiens toi sur tes gardes. » Ah ! fort bien, madame vient sans doute jouer la comédie. Eh ! bien, nous la jouerons. Jadis, je ne m’en tirais pas mal... J’ai vu ce matin, descendre deus femmes à l’auberge voisine. Peut-être Julie... Allons tout disposer en cas d’attaque. Julie vient sans doute pour étudier mon caractère ; profitons de cette occasion pour connaître le sien.
Air : du vaudeville de Roquelaure.
Sachons avec sagacité,
De l’intrigue suivre les traces ;
Armons-nous de sévérité,
Mais sans effaroucher les Grâces.
On me prépare, quelque tour,
Tenons-nous bien sur la réserve :
Opposons aux traits de l’Amour
Le bouclier de Minerve.
Il sort.
Scène II
JULIE, en soubrette, un carton à la main
Le concierge m’a dit de monter ; mais je ne vois personne. Mon projet est un peu brusque ; mais il n’y aurait d’honneur à l’abandonner. J’espère forcer M. Dumont à consentir à mon hymen avec son neveu. M. Dumont est bon, honnête, mais fortement prévenu contre moi. Il faut triompher de son aveugle obstination. Ce carton me fournira quelques armes. Tromper M. Dumont, ne présenter à lui sous des dehors supposés. Une femme...
Air : Ainsi jadis un grand prophète.
N’est-ce pas la marche ordinaire,
Employons le déguisement
Puisqu’on change de caractère,
Ainsi que d’habit à présent,
De masques l’Univers abonde :
À se déguiser appliqué,
Un chacun fait de ce bas monde
Un véritable bal masqué.
Personne ne paraît... D’où vient donc que je tremble... Mon courage m’abandonnerait-il ?... Ah ! Derville...
Air d’une Folie.
Vous qui reçûtes nos serments,
Vous qui charmez notre existence,
Du plus aimable des amants,
Venez couronner la constance.
Dieux du plaisir, dieux des amours
Venez, venez à mon secours.
Scène III
JULIE, DUMONT
DUMONT, en habit de livrée, a entrouvert la porte du fond à la finale du couplet ; il en reprend le refrain en duo, avec Julie.
Belle, je viens à ton secours.
JULIE.
Vous m’écoutiez depuis longtemps !
DUMONT.
Non, ma belle enfant ; c’est ce qui me fâche. Je vous salue, madame ou mademoiselle.
JULIE.
Je ne suis ni l’une, ni l’autre, mais femme-de-chambre de Mlle Julie ; je me nomme Finette, et je voudrais parler à M. Dumont.
DUMONT, à part.
Bon, faisons-la jaser.
JULIE.
Hé bien, M. Dumont est-il visible, puis-je lui parler lui annoncer l’arrivée de ma maîtresse, lui demander un appartement pour elle ?
DUMONT.
Quelle vivacité ! Votre maîtresse vous suit ?
JULIE.
Oui.
DUMONT.
Dans le dessein ?
JULIE.
D’épouser.
DUMONT.
Mon maître ?
JULIE.
Non, son neveu Derville.
DUMONT.
Il n’est pas ici.
JULIE.
Nous le savons.
DUMONT.
Mais ce que vous ne savez pas peut-être, c’est que M. Dumont ne veut point consentir à ce mariage.
JULIE.
Nous le savons encore.
DUMONT.
Et malgré cela !
JULIE.
Nous épouserons.
DUMONT.
Vous croyez...
JULIE.
J’en suis sûre.
DUMONT.
Malgré l’oncle.
JULIE.
Malgré le cher oncle.
DUMONT.
Mais son autorité sur Derville.
JULIE.
Bagatelle.
Air : Connaissez-vous un parlement ?
Sur leurs enfants, nos bons aïeux
Avaient l’autorité suprême ;
Les enfants étaient envers eux,
D’une soumission extrême.
De nos jours, ces mœurs du vieux temps
Paraîtraient des mœurs singulières ;
À présent ce sont les enfants
Que l’on voit conduire les pères.
Mais vous me faites perdre un temps précieux... Annoncez-moi.
DUMONT.
Un instant aimable Finette... Aimez vous votre maîtresse ?
JULIE.
Comme moi-même.
DUMONT.
Eh ! bien, engagez-la à retourner très promptement à Paris, sans hasarder de voir mon maître.
JULIE.
La raison ?
DUMONT.
Faut-il vous le dire ? c’est que M. Dumont n’aime pas du tout votre maîtresse.
JULIE.
Il l’aimera quand il la connaîtra.
Air : Je vous entendrai toujours bien.
Cherchant à se faire estimer,
Ma maîtresse, j’ose le dire,
Préfère l’heureux don d’aimer,
A l’art frivole de séduire.
DUMONT.
Vous flattez un peu le portrait.
JULIE.
Vous pourrez un jour la connaître.
DUMONT.
Vous êtes le premier valet
Qui dise du bien de son maître.
Sans cependant vouloir suivre la méthode ordinaire, je vous préviens moi, que mon maître est d’un caractère détestable.
JULIE.
On n’est pas plus aimable que ma maîtresse.
DUMONT.
Il est brusque.
JULIE.
Elle est douce.
DUMONT.
Exigeant.
JULIE.
Complaisante.
DUMONT.
Emporté.
JULIE.
Patiente.
DUMONT.
Censeur austère, il blâme tout.
JULIE.
Toujours indulgente, ma maîtresse excuse ceux même qui l’attaquent sans la connaître, et la condamnent sans l’entendre.
DUMONT.
Mon maître est fortement prévenu contre votre maîtresse.
JULIE.
Julie lui a déjà pardonné son erreur.
DUMONT.
Si votre maîtresse ressemble au portrait que vous en faites, je suis disposé à la servir.
JULIE.
Je vous en remercie pour elle.
DUMONT.
Valet de M. Dumont, j’ai toute sa confiance.
JULIE.
Vous n’aurez pas la nôtre ma maîtresse ne la prodigue jamais, et elle ne voudra pas plus que moi que, pour la servir, vous trahissiez votre maître.
DUMONT.
Ne peut-on pas accorder l’un et l’autre. Croyez que votre dame se trouverait bien de mes conseils.
JULIE.
Elle n’en prend que de son cœur.
DUMONT.
Mais enfin.
JULIE.
Mais enfin, elle n’a pas besoin d’un intrigant.
Air : Comme j’aime mon Hypolite.
De votre intrigue, sur ma foi,
L’offre nous est peu nécessaire,
Et ma maîtresse, ainsi que moi,
Nous saurons nous tirer d’affaire.
De votre précieux talent
Ne vous montrez pas trop prodigue,
Et pour les auteurs d’à présent,
Monsieur, réservez votre intrigue.
DUMONT.
Des épigrammes.
JULIE.
Je suis fâchée que la vérité vous déplaise.
DUMONT.
Vous êtes une soubrette charmante ; mais je vois le motif qui vous fait agir, et vous rejetez mes propositions dans la crainte qu’en partageant la confiance de votre maîtresse je partage aussi les petits bénéfices qui...
JULIE.
Je vous croyais de l’esprit, mais je vois maintenant que vous n’êtes qu’un sot intéressé, et vous me faites l’honneur de penser que je suis...
DUMONT.
Très aimable.
JULIE.
Vos cajoleries ne me séduiront pas.
DUMONT.
Air : Daignez m’épargner le reste.
Avec moi, vous conviendrez bien
Que vous faites une folie.
JULIE.
Moi, j’ai toujours compté pour rien
L’intérêt et la flatterie.
DUMONT.
Quoi ! la parure, les bijoux,
Rien ne vous fait tourner la tête !
Bon dieu, quelle femme êtes vous ?
JULIE.
Je ne suis qu’une femme honnête.
DUMONT.
Vous êtes encore une femme rare.
JULIE.
Rare ou non, je suis fort ennuyée de perdre mon temps au lieu de n’acquitter de la mission dont je suis chargée.
DUMONT.
Je vais avertir mon maître.
JULIE.
Où puis-je placer ce carton ?
DUMONT.
Dans cette sale. C’est votre arsenal ?
JULIE.
Vous pourriez avoir rencontre juste.
DUMONT.
Des pompons, des chiffons.
Air : de la Croisée.
Dans ce carton assurément
Est la parure de madame,
Car les chiffons sont à présent
Le nécessaire d’une femme ;
Briller par l’esprit, la candeur,
Ce soin-là ne l’occupe guère,
Ainsi que sa tête, son cœur
Est une chiffonnière.
JULIE.
L’impertinent !
Scène IV
JULIE entre dans la salle indiquée, place son carton et sort
Voici l’instant difficile ; je vais enfin voir M. Dumont. Le portrait que son domestique m’a tracé de son caractère me donne quelqu’inquiétude. Je crains que sa brusquerie m’ôte tous les moyens de lui faire entendre raison. Cependant, ne nous décourageons point ; je me suis je crois assez bien tirée de ma première scène : suivons mon plan. Le hasard semble me favoriser, car je viens de découvrir que cette salle communique par une autre porte sur le grand escalier... Par précaution, emparons-nous de la clé... On vient.
Scène V
JULIE, DUMONT, en bon campagnard
DUMONT, d’un ton brusque, qu’il doit garder.
Eh bien ! qu’est-ce ? qui me demande ?
JULIE.
Moi, monsieur.
DUMONT.
Que voulez-vous ?
JULIE.
Pardon, si j’ai pris la liberté.
DUMONT.
C’est bon, c’est bon.
JULIE.
Je vous prie de m’excuser si je vous ai dérangé.
DUMONT.
Point de bavardage, au fait.
JULIE.
Vous saurez donc, monsieur, que je viens de la part de ma maîtresse, madame Julie.
DUMONT.
Julie, dites-vous ? vous pouvez vous en retourner.
JULIE.
Mais, monsieur.
DUMONT.
Je ne veux rien entendre ; je ne pas la voir.
À part.
Je brûle de la connaître.
JULIE.
Quoi ! monsieur, vous refusez un entretien avec une dame ; cela m’étonne : vous feriez une pareille impolitesse ; cela n’est pas possible...
Air : Mes bons amis, pourriez-vous m’enseigner ?
En les créant, le dieu de l’univers
À chaque peuple avec sagesse,
Vous le savez à fait des dons divers :
L’Italien eut la finesse ;
L’Anglais la gravité,
L’Espagnol la fierté ;
À l’Allemand il donna la noblesse ;
Mais en répandant ses bienfaits
Il réserva pour les Français
Et les grâce et la politesse.
DUMONT, à part.
Voilà bien de l’esprit, pour une suivante.
Haut.
Allons, que votre dame vienne, mais elle ne gagnera rien.
JULIE.
Elle y gagnera tout, si vous consentez à la recevoir. Vous allez l’attendre, n’est-il pas vrai, monsieur ?
DUMONT.
Ne soyez pas trop longtemps.
Scène VI
DUMONT
Je ne puis m’empêcher de rire du portrait que je viens de faire ; si Finette me peint à sa maîtresse avec les couleurs que je viens d’employer, il n’en faudra pas davantage pour lui faire perdre l’idée devenir me voir. J’en serais fâché, car le bien que Finette m’a dit de sa maîtresse, me donne envie de la connaître. Le ton brusque que j’ai pris en forçant la jeune veuve à la contrainte, m’ôterait la facilité de démêler toutes les nuances de son caractère et j’aurais manqué mon but.
Air Fidèle époux, franc militaire.
Oui, prenons un air plus traitable,
Quittons ce langage apprêté ;
La douceur seule rend aimable,
On aigrit par la dignité ;
C’est lu raison que l’on préfère
À l’esprit qui sait éblouir ;
Les grâces donnent l’art de plaire,
Mais la bonté nous fais chérir.
La voici... Prenons un nouveau caractère.
Scène VII
JULIE, en robe élégante, DUMONT adoucit son ton, et prend un air délié
JULIE, d’un ton incroyable.
Comment ! personne pour annoncer ; c’est inimaginable. Il n’y a donc point de tenue dans cette maison.
DUMONT, à part.
Que vois-je ? Cette tournure, cette taille.
JULIE.
Ah ! j’aperçois enfin une figure humaine.
DUMONT, à part.
Serait-ce Finette ?
JULIE.
M. Dumont ?
DUMONT.
Je vois, madame que vous ne le connaissez pas ?
JULIE.
Nullement, je ne l’ai jamais vu ; je sais seulement que c’est un homme brusque, emporté, un campagnard bien maussade ; mais je le corrigerai de ces petits défauts-là.
DUMONT, à part.
C’est Finette c’est Julie.
Air : Toujours la même chose.
Vos efforts seraient superflus ;
Malgré ses désirs et son zèle,
Votre écolier ne pourrait plus
Suivre que de loin son modèle.
Ah ! madame, flattez-vous moins
D’une telle métamorphose :
À mon âge, malgré les soins,
On est toujours la même chose. (bis)
JULIE.
Quoi ! vous êtes M. Dumont !
DUMONT.
Lui-même.
JULIE.
Le tour est impayable ! je n’imaginais pas...
DUMONT.
Je crois en effet, que si vous m’eussiez connu, vous ne vous fussiez pas permis...
JULIE.
Pourquoi donc ? Je me pique d’être franche ; et pour suivre mes idées je commencerai par vous dire que vous avez tort de rester enfoui dans le fond d’une province, sans compagnie que celle des hiboux. Quels plaisirs pouvez vous y goûter ?
DUMONT.
Vous êtes dans l’erreur.
JULIE.
Quoi ! dans un mauvais hameau ?
DUMONT.
Se trouve le bonheur, dont je ne verrais que l’ombre à la ville.
JULIE.
Morale usée ! lieux communs ! Rien n’est préférable à la ville ; c’est-là que tout est...
DUMONT.
Faux, ridicule.
Air nouveau de Dreuil.
Les grands airs, l’ennui, l’imposture,
N’habitent jamais le hameau :
Tout y plaît comme la nature,
Comme elle, tout est simple et beau !
Des atours d’une fille sage,
La pudeur seule fait les frais ;
Les échos seuls sont indiscrets,
Le papillon seul est volage.
JULIE.
Charmant ! Délicieux ! Et de quel roman les paroles sont elles tirées ?
DUMONT.
Ce n’est point d’un roman, mais de l’histoire de la vérité.
Au hameau, la tendresse assure
Les plaisirs, la paix, le repos :
Au hameau, point d’autre murmure,
Que le murmure des ruisseaux,
Philomèle, l’amant de Flore,
Seuls soupirent parmi les fleurs ;
Et l’on n’y connaît d’autres pleurs,
Que les pleurs que verse l’aurore !
JULIE.
Vous êtes donc marié ?
DUMONT.
Je n’ai pas ce bonheur.
Air : de l’Apollon du Vatican.
Au tableau qu’ici vous tracez,
Je vois qu’il manque quelque chose :
Le lys, l’œillet y sont placés ;
Vous avez oublié la rose.
Ainsi que la rose, en tout temps,
Une femme embellit la terre :
Pour être heureux, l’homme des champs
N’est pas resté célibataire.
Vous vivez ici comme un ours, isolé de la nature entière, et je viens Nous tirer de votre insipide léthargie ; je vous ramène à Paris, je vous présente dans nos cercles brillants, dont je prétends que sous peu vous fassiez l’ornement.
DUMONT.
Le projet est un peu singulier, et vous avouerez, madame...
JULIE.
Que je suis décidée à vous rendre ce service...
DUMONT.
Quoi ! vous prétendez !...
JULIE.
Vous régénérer.
DUMONT.
Mais, madame...
JULIE.
Je le veux. Vous êtes fait pour plaire : le costume seul vous manque ; mais rien de plus aisé à réparer.
Air de Marianne.
Prenez, sans craindre la critique,
Habit court a large collet ;
Les cheveux coupés à l’antique ;
Grand pantalon, petit gilet ;
Jabot plissé,
Le col hissé
Sur une cravate élastique ;
Fin escarpin,
Guêtres nankin ;
Visière verte, à chapeau gris de lin.
Fussiez-vous aussi vieux qu’Hérode,
Vous serez bien... Nos jeunes gens
Ont su mettre depuis longtemps
Les vieillards à la monde.
DUMONT.
Au fait, madame, quel est le sujet de votre visite ?
JULIE.
Vous ne devinez pas ? je suis Julie.
DUMONT.
Je l’ai pensé.
JULIE.
Je viens vous chercher pour être témoin de mon mariage avec votre neveu.
DUMONT.
Madame, croyez que je ne consentirez jamais à une semblable union.
JULIE.
Ah ! ah ! ah ! ah ! ah !
DUMONT.
Quoi ! vous riez !
JULIE.
Eh ! qui pourrait s’en empêcher, en voyant l’air grave que vous prenez pour me dire ce que vous ne pensez pas.
DUMONT.
Ce que je ne pense pas ?
JULIE.
Eh ! non, vous dis-je ?
DUMONT.
Je vous proteste que vous n’aurez pas mon consentement.
JULIE.
Nous pouvons nous en passer.
DUMONT.
Si Derville est assez effronté pour se marier malgré moi, je le déshérite.
JULIE.
Vingt mille livres de rente que je possède nous aiderons à supporter l’effet de cette menace.
DUMONT.
Je lui donnerai ma malédiction.
JULIE.
Air : Femmes, voulez-vous éprouver ?
Non, non, vous n’accomplirez pas
Ce serment cruel et barbare ;
Votre cœur condamne tout bas
La colère qui vous égare.
Contre un fils, justement aigri,
Un père en vain gronde et murmure :
Il ne peut étouffer le cri
De l’amour et de la nature.
Mais pour vous opposer si fortement au bonheur de votre neveu, il faut que vous ayez des raisons.
DUMONT.
Bien fortes, madame ;
À part, brusquons l’attaque.
Mais souffrez que je vous les taise.
JULIE.
Vous m’outragez !
DUMONT.
Vous l’exigez ?
JULIE.
Oui, cher oncle !
DUMONT.
J’étais instruit depuis longtemps de l’amour de mon neveu, et de ses projets ; j’ai voulu connaître si son choix était bon.
JULIE.
Et vos renseignements ?...
DUMONT.
N’ont pas été satisfaisants.
JULIE.
Vous extravaguez !
DUMONT.
Madame...
JULIE.
Vous perdez la raison !
DUMONT.
Quoi ! vous osez ?...
JULIE.
Vous dire la vérité ; mais comme il n’y a rien à gagner avec vous, je vous quitte, et retourne à Paris. Si le cher oncle se permet la moindre démarche pour s’opposer au bonheur de Derville et de Julie, je le ferai interdire.
DUMONT.
Madame, de grâce, finissez, ou je ne répondrai pas que ma patience !...
JULIE.
Ne vous emportez pas, cher campagnard ! un tête-à-tête avec un fou, n’a rien de bien séduisant... Sans rancune puisque vous ne voulez pas être de la noce.
Scène VIII
DUMONT, seul
Elle est piquée, j’en suis fort aise... La soubrette et la maîtresse s’entendent à merveille ! J’aime à croire que Julie n’est pas telle qu’elle vient de se montrer à mes yeux.
Air du vaudeville du Chat perdu.
Pourquoi, sous un voile imposteur,
Vouloir cacher son caractère ?
C’est toujours aux dépens du cœur
Que l’esprit s’étudie à plaire.
De nous enchaîner constamment
La femme serait bien plus sûre,
Si l’art chez elle, trop souvent,
Ne remplaçait pas la nature.
Je ne sais trop que résoudre, car si Julie...
Scène IX
DUMONT, JULIE, en Jockey
JULIE.
Ah ! monsieur, je suis beaucoup content de rencontrer vous.
DUMONT.
Que désirez-vous ?
JULIE.
Je serai bien obligé de dire à moi s’il y a quelqu’un dans la maison ?
DUMONT.
Mais je crois être quelqu’un.
JULIE.
Oh ! non ; je demande le maître de la maison.
DUMONT.
M. Dumont ?
JULIE.
Précisément.
DUMONT.
C’est moi.
JULIE.
Vous ?
DUMONT.
Oui.
JULIE.
J’en suis fâché ; dans un moment, vous êtes un homme mort.
DUMONT.
Un homme mort !
Air : du petit Matelot.
Mettez fin à ce bavardage,
Vous pourriez vous en repentir.
Changez promptement de langage,
Ou je vais vous faire sortir.
JULIE.
Pouvoir pas me mettre à la porte,
Je dire à vous, sérieusement :
Vous êtes mort ; je vous apporte
Votre billet d’enterrement.
DUMONT.
Vous êtes fou !
JULIE.
Non, non, monsieur ; lisez, et allez mourir tout de suite.
DUMONT.
Qui vous a remis cette lettre ?
JULIE.
Mon maître ; la frère de Mlle Julie.
DUMONT.
Que vois-je ? un cartel !
JULIE.
Oui, monsieur, une invitation pour tuer vous.
DUMONT, lisant.
« Monsieur, un homme de votre caractère n’est point excusable quand il insulte une femme. Vous avez outragé ma sœur ; j’exige une réparation, et je vous attends dans y une demi-heure, à l’entrée du bois. FIERVAL. » Ah ! votre maître m’attend !
JULIE.
Oui, monsieur.
Air : Fanfar de Saint-Cloud.
Votre manière l’irrite,
Moi, dire à vous, sans façon.
Il veut, de votre conduite
Que vous lui fassiez raison,
Vite, au bois, il faut vous rendre ;
Ne tardez pas à venir :
La, mon maître vous apprendre
À vivre, ou bien à mourir.
DUMONT, à part.
Ceci devient sérieux ; mais n’importe, soutenons la gageure.
Haut.
Vous pouvez dire à votre maître que j’accepte son honnête proposition.
JULIE.
Vous allez venir, pour faire tuer vous ?
DUMONT.
Oui, j’irai tout exprès.
JULIE.
Ah ! monsieur, je vous prie en grâce, faites-moi un plaisir... Amenez votre Jokette avec vous, pour que j’aie aussi le plaisir de lui couper la gorge... Sans adieu, monsieur ; au plaisir de vous tuer !
Scène X
DUMONT
Ceci prend une tournure plaisante ! Je vais donc avoir affaire avec le frère de Julie ! c’est-à-dire avec elle-même... Cependant, si je n’était point une nouvelle espièglerie ?... Diable !... Il ne serait point du tout agréable qu’à mon âge, je fusse obligé d’en venir à de pareilles extrémités, et surtout pour empêcher mon neveu de faire une sottise ! ce serait lui donner un assez mauvais exemple, et ce n’est pas là ce qu’il faut.
Air : Si Dorilas médit des Femmes.
On doit, de la vertu sévère,
Donner l’exemple avec grand soin ;
Car on suit que, pour l’ordinaire,
Les jeunes gens en ont besoin :
Mais, remplis d’ardeur et de zèle,
Pour saisir les travers nouveaux ;
Loin d’avoir besoin de modèle,
Ils sont vraiment originaux.
J’aperçois notre militaire... Il a parbleu bon air... Démontons ses batteries.
Scène XI
JULIE, en colonel de dragons
Ce M. Dumont se fait bien attendre... Ah ! je vais lui faire voir... Il a disparu... Diable ! Il a disparu... Serait-il déjà parti pour notre rendez-vous ?... Mais non, cela n’est pas possible... Je l’aurais vu passer... Ne lui laissons pas le temps de respirer... Pressons l’attaque... Holà ! quelqu’un !... Mais, c’est un désert que cette maison. Lafleur ! Dubois ! Laramée ! Germain !
DUMONT, en dedans.
On y va, on y va ; un instant.
JULIE.
Enfin, on répond ; c’est fort heureux ! mais, personne ne paraît... Eh ! bien, viendra-t-on ?
DUMONT.
V’là, j’y cours.
Scène XII
JUL IE, DUMONT, en jardinier
DUMONT.
Me v’là !
JULIE.
Arrive donc, faquin.
DUMONT.
Monsieur, j’vous demandons bien excuse, si j’vous ont fait attendre ; c’est que, voyez-vous...
JULIE.
Point de bavardage, et réponds.
DUMONT.
Volontiers.
JULIE.
Où est M. Dumont ?
DUMONT.
Dehors.
JULIE.
Il est sorti ?
DUMONT.
Oui, monsieur.
JULIE.
Mais par où ?
DUMONT.
Par la... par la porte.
JULIE.
Ah ! par la porte ! Eh bien ! moi, je te ferai sauter par la fenêtre.
DUMONT.
Après vous, capitaine ; j’sommes trop poli pour passer le premier.
JULIE.
Tu raisonnes, je crois ?
DUMONT.
Pourquoi pas ? comme un autre.
JULIE.
Insolent ! tu oses !...
DUMONT.
Vous dire que monsieur est sorti.
JULIE.
Tu mens, impertinent.
DUMONT.
Pas vrai.
JULIE.
Oublies-tu que je suis militaire ?
DUMONT.
Je l’oublie moins que vous
Air : du vaudeville d’Abuzard.
C’n’est pas l’tout qu’d’avoir, à mes yeux,
Le costume d’un militaire ;
Il faut, c’qui vaut encor ben mieux,
En posséder le caractère.
Ainsi donc, entre nous soit dit,
Pardonnez la franchise extrême,
Pour qu’on respecte votre habit,
Il faut le respecter vous-même.
Ah ! morguienne, ne vous imaginez pas me faire peur avec votre grand couteau d’cuisine.
JULIE.
Ah ! coquin, je te coupe les deux oreilles.
Elle court après Dumont, qui s’enfuit en la narguant, et en répétant les deux derniers vers du couplet.
Parbleu, c’est une chose bien étrange ; l’impertinence de ce maraud est révoltante. Je croyais M. Dumont sur un certain ton... Ma foi, à en juger par ce grossier personnage, on dirait que M. Dumont est un homme d’hier... Quelle idée dois-je avoir du salon, à juger par l’antichambre ?... Ciel ! quel vacarme !
DUMONT, dans la coulisse.
Soyez tranquille, je vais le mettre à la raison.
Scène XIII
JULIE, DUMONT, en invalide
DUMONT.
Mille bombes, où est donc ce monsieur qui veut tuer tout le monde ?
JULIE.
C’est moi, qui n’aime pas les insolents.
DUMONT.
C’est vous mon colonel ? Pardon !
JULIE.
Vous venez fort à propos, mon camarade.
DUMONT.
Qu’y a-t-il pour votre service ?
JULIE.
J’attends M. Dumont, pour me couper la gorge avec lui.
DUMONT.
Mille baïonnettes, vous couper la gorge ! Est-ce donc une chose bien nécessaire ?
JULIE.
Nécessaire, non, mais indispensable. M. Dumont a insulté ma sœur et je viens lui en demander raison.
DUMONT.
Raison !... raison !...
Air de M. Dreuilh.
La raison peut-elle approuver
Une conduite aussi légère ?
Dans le sang, vous voulez laver
L’insulte qu’on a pu vous faire.
Guidé par une aveugle erreur
Vous demandez une victime :
Et pour conserver votre honneur,
Vous commettez un crime !
D’ailleurs, est-il croyable que M. Dumont ait insulté un femme ?
JULIE.
Rien n’est plus vrai.
DUMONT.
Sous le feu d’une batterie de 48, je soutiendrais que cela n’est pas possible. M. Dumont est...
JULIE.
Brusque, emporté, violent.
DUMONT.
Vous ne le connaissez pas ; on vous a fait un rapport infidèle.
JULIE.
Il est portant très vrai qu’il a dit à ma sœur qu’il ne consent irait jamais à son mariage avec Derville.
DUMONT.
Et c’est pour cela que vous voulez vous mesurer avec lui ? Vous conviendrez, mon colonel que vous prenez un singulier moyen pour faire un mariage. Si madame votre sœur ne convient pas à M. Dumont, un coup d’épée donné ou reçu, ne la fera pas paraître plus aimable.
JULIE.
Tu sais, mon brave camarade, que le préjugé...
Air : de Claudine.
Malgré sa philosophie,
L’homme se trouve engagé ;
Le plus sage sacrifie
La raison au préjugé.
En vain, il veut s’y soustraire,
Esclave de ce tyran,
Le préjugé lui fait faire
Ce que l’honneur lui défend.
DUMONT.
Permettez-moi de vous parler avec la franchise d’un vieux militaire. Je crois que votre vivacité est plus nuisible qu’avantageuse aux intérêts de madame votre sœur. Quelle opinion voulez-vous qu’on ait d’une femme, dont toute la défense est au bout de l’épée de son frère ? Si M. Dumont (est prévenu contre elle, c’est par sa conduite qu’il faut combattre son opinion. Je connais le cour de M. Dumont ; il m’a toujours honoré de sa confiance, et je me flatte que si vous me permettiez de prendre votre cause, le succès, je crois, couronnerait mon entreprise.
JULIE.
Vous rendriez la vie à ma sœur !
DUMONT.
Retournez à l’auberge où sans doute vous êtes descendu ; calmez madame votre sœur, calmez votre agitation... et soyez sûr...
JULIE.
Je l’avouerai, mon brave, je suis plus calme depuis que je vous ai vu ; je suis charmé de vous avoir rencontré... car si M. Dumont s’était présenté le premier, j’aurais pu m’échapper, et gâter la bonté de ma cause... Ma sœur, peut être, a mal interprété... Une ferme... et surtout une femme en colère... Je revole près d’elle... Pendant ce temps, annoncez ma visite... Je reviens à l’instant ; je m’abandonne à vous.
Scène XIV
DUMONT, seul
Elle est charmante... Ce dernier trait m’a peint Julie telle que je la voudrais. Avec quel expansion elle a fait l’aveu de ses torts... C’est vraiment édifiant.
Air du Confiteor.
Bien humilié, bien contrit,
Des fautes qu’il aura commises,
Il serait beau que chacun fit
L’aveu de toutes ses sottises ;
Ah ! si jamais (bis) vient ce jour-là,
Bon dieu que de MEA CULPA. (bis)
Allons trouver Julie et rendons-nous à ses vœux... Mais c’est encore elle... Laissons-lui le champ libre... Dépêchons...
Scène XV
JULIE, en paysanne niaise
Jusqu’ici je m’amuse ; mais je manque le but que je me suis proposé. C’est assez longtemps filer le dialogue, hâtons le dénouement. M. Dumont va passer par ici, attendons-le : qu’il me brusque ou non, je ne désempare pas ; j’aime Derville, et rien ne doit me couter...
Scène XVI
JULIE, DUMONT, en robe de chambre, et parlant à la cantonade
DUMONT.
Dépêchez-vous, Dubois, de faire avancer la voiture ; monsieur va descendre.
JULIE.
Monsieur, je suis bien votre servante.
DUMONT.
Que demandez-vous, la belle enfant ?
JULIE.
C’est peut-être bien vous, si, par hasard, vous étiez M. Dumont ?
DUMONT.
Non, ma petite je ne suis que son intendant.
JULIE.
En ce ces, ce n’est pas à vous que j’ai affaire, car on n’a bien recommandé de parler à M. Dumont, en personne naturelle.
DUMONT, à part.
En personne naturelle ! elle joue fort bien la niaise.
Haut.
Dans un moment, vous allez voir M. Dumont, qui se dispose à partir.
JULIE.
Pour aller ?...
DUMONT.
À Paris, marier son neveu.
JULIE.
Ah ! bien, il faut lui dire de ne pas partir, parce que la future de son neveu vient d’arriver chez nous.
DUMONT.
Chez vous ?
JULIE.
Oui, Monsieur, à l’auberge de l’Étoile ; et cette dame m’a dit de venir pour prévenir Monsieur qu’elle allait venir.
DUMONT.
Ah ! vous demeurez à l’Étoile.
JULIE.
J’en suis la servante, pour vous servir.
DUMONT.
C’est ma bonne étoile qui m’a conduit ici ; mais il est bien étonnant que je ne vous connaisse pas.
JULIE.
Dame ! c’est qu’on ne peut pas connaître tout le monde.
DUMONT.
Vous êtes la seule jolie personne avec laquelle je voudrais faire connaissance.
JULIE.
C’est bien de l’honneur pour moi.
DUMONT.
Il faut venir me voir, pendant que Monsieur sera absent. Je pourrai vous être utile. Vous n’êtes pas faite pour rester au village.
Air des deux Croisées.
Vous ne pouvez, avec autant d’attraits,
Vous ne pouvez rester ici, ma chère.
Pour obéir, vos charmes sont-ils faits ?
Ah ! c’est à nous d’être tous vos sujets.
C’est pour briller à la cour de sa mère
Que Cupidon a dessinés vos traits ;
C’est dans vos mains qu’il a remis ma chère,
Tout son pouvoir, son carquois et ses traits.
Il faut aller à Paris, je me charge de vous у mener.
JULIE.
Air de Fanchon.
Votre offre assurément me flatte,
Mais mon honneur est tout mon bien ;
C’est une fleur trop délicate,
L’air de Paris ne lui vaut rien ;
Je craindrais, malgré ma prudence,
Qu’on m’enlevât mon bien, mon cœur et l’innocence.
DUMONT.
À Paris ainsi qu’au village,
On sait respecter la pudeur ;
Fanchon même sut être sage
Fanchon conserva son honneur ;
Pendant trente ans, avec prudence,
Elle garda son cœur, sa vielle et l’innocence.
JULIE.
Ah ! c’est une admirable histoire
Que cette histoire de Fanchon ;
Mais ses talents et sa mémoire
Seraient plus dignes de renom,
Si la vertueuse fillette
Nous eut laissé son cœur, sa vielle et sa recette.
DUMONT.
On ne croirait jamais que ces charmantes mains sont celles d’une fille d’auberge.
JULIE.
Ah ! monsieur, c’est que je ne fais pas de gros ouvrages ; mais laissez mes mains, et faites-moi parler à M. Dumont.
DUMONT.
Un moment.
JULIE.
Mais il faut que je m’en retourne, cette dame m’attend.
DUMONT, à part.
Prenons-la dans ses propres filets.
Haut.
Écoutez : j’ai deux mots à dire à M. Dumont, avant son départ ; ils sont indispensables... Entrez un instant dans cet appartement,
Il indique celui où Julie, a son vestiaire.
et il ira vous donner audience.
JULIE.
Que je lui parle, et dans ce cabinet, seule ?
DUMONT.
Je l’entends ; allons, petite... niais, diable, où est la clef ? Je la croyais sur la porte.
JULIE, à part.
Cherche ! Cherche !
DUMONT.
Heureusement que j’en ai une seconde !
JULIE, à part.
Je suis découverte !
DUMONT.
Que dites-vous !
JULIE.
Je dis que la porte est bientôt ouverte.
DUMONT l’ouvrant.
Vous avez raison ; entrez... allons, point de façon.
Il la pousse dans le cabinet.
Scène XVII
DUMONT, puis JULIE
DUMONT.
Ah ! je la tiens ! Maintenant que l’ennemi est bloqué, il faut qu’il capitule, ou ce qui vaut mieux, qu’il se rende, et dupe, et vous êtes la mienne ! Amusons-nous à ses dépens.
Il s’approche de la porte.
La belle enfant de l’auberge de l’Étoile ? t
JULIE, en dedans.
Me voilà, Monsieur l’intendant.
DUMONT.
Voici Monsieur Dumont
Il ôte sa robe.
JULIE.
Comment ! vous m’ayez enfermée ! Ouvrez donc, Monsieur, ouvrez donc...
DUMONT.
Dites moi d’abord votre nom, afin que je vous annonce... Répondez donc... elle garde le silence... N’est-ce pas Julie que l’on vous nomme ? Allons, allons, il est inutile de feindre : je connais Finette, le jockey, le colonel.
Julie paraît dans le fond, vêtue avec une élégante simplicité.
Je les tiens tous sous la clef. Avouez que vous ne vous attendiez pas à ce tour-là.
JULIE, à part.
Ni lui non plus.
DUMONT.
Elle est confondue... Mais c’est assez prolonger son embarras ; brisons ses fers, et que j’embrasse ma nièce dans Julie !... Jouissons de son étonnement.
JULIE, à M. Dumont.
Comme je jouis du vôtre.
DUMONT.
Que vois-je ?
JULIE, contrefaisant les personnages.
Finette, la veuve altière, le jockey, le colonel, Marianne, et votre nièce, car vous m’avez promis de vous appeler de ce nom. Mais, monsieur, puis-je vous demander comment ?...
DUMONT.
Cette lettre vous mettra au fait.
JULIE.
Le trait est perfide !
DUMONT.
Je le trouve admirable, puisqu’il me fournit l’occasion de voir que vous réunissez le talent à l’esprit et aux grâces.
Vaudeville.
Air.
JULIE.
D’onze rôles tous différents ;
Nous avons pris le caractère ;
Et grâce à mes déguisements
J’ai su vaincre votre colère,
Enfin, par notre effort commun,
Tout en cherchant à nous combattre,
Nous avons prouvé qu’un et un
Font onze, en se mettant en quatre.
DUMONT.
En prenant cinq déguisements.
Je crus résister à vos charmes ;
Dans six rôle, vos agréments
M’obligent à rendre les armes.
Vaincu par l’esprit, les talents,
Je voudrais en vain me débattre,
À vos grâces, oui, je me rends
Car vous en avez comme quatre.
JULIE, au Public.
Sous plus d’un travestissement
J’ai cherché le moyen de plaire ;
À la critique, en ce moment,
Puis-je espérer de me soustraire.
Oui, son effort deviendra vain
Si, lorsqu’elle voudrait m’abattre,
Pour me donner un coup de main,
L’indulgence se met en quatre.