Histoire du Théâtre Français depuis son origine jusqu’à présent Tome III (Claude PARFAICT - François PARFAICT)

Histoire du Théâtre Français depuis son origine jusqu’à présent. Avec la Vie des plus Célèbres Poètes Dramatiques, des Extraits exacts, et un Catalogue raisonné de leurs Pièces, accompagnés de Notes Historiques et Critiques, François et Claude Parfaict. Tome III. P.G.Le Mercier, Imprimeur-Libraire, rue Saint Jacques, au Livre d’Or et Saillant, Libraire, rue Saint Jean de Beauvais, vis-à-vis le Collège. 1745.

 

 

PRÉFACE

 

En faisant paraître le premier et le second Volume de l’Histoire du Théâtre Français, nous nous étions flattés d’en donner la continuation tous les trois mois, espérant que les Personnes qui ont rassemblé en tout, ou en partie, les Pièces de ce Théâtre, se prêteraient à notre entreprise, en nous permettant d’en faire les Extraits. Différents obstacles ont différé la bonne volonté de quelques-unes de ces Personnes, et les autres, par des événements dont nous ignorons les causes, ont dispersés les Ouvrages qui étaient nécessaires pour la perfection du nôtre : de sorte que nous avons été forcés de suspendre notre travail jusqu’au temps d’une favorable occasion qui s’est présentée, et qui nous a mise en état de remplir notre précédent engagement avec le Public. Ceux que nous avons pris avec de nouveaux Libraires en leur remettant trois Volumes de notre Ouvrage, doivent encore assurer ce même Public, qu’il en verra paraître régulièrement la suite.

Nous commençons ce Troisième Volume par la suite des Extraits, et le Catalogue des Mystères, des Moralités, des Soties et des Farces, jusqu’en 1548, année où les Confrères de la Passion acquirent une partie de l’Hôtel de Bourgogne, où ils firent construire une Salle de Spectacle, pour y continuer leurs représentations.

L’Histoire du Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne jusqu’en 1629 suit les Extraits et le Catalogue, dont on vient de parler ; ce morceau paraîtra neuf, par les recherches que l’on a faites, et l’attention que l’on a eue à débrouiller le peu de faits qui se trouvent sur l’établissement de ce Théâtre, et ceux qui le suivirent.

Cet article ramené à la véritable origine du Théâtre François en 1552, car tout ce qui avait précédé ce temps, ne peut être regardé que comme des représentations Théâtrales, dénuées de tout ce qui constituait le genre de la Tragédie, et de la Comédie.

Nous en exceptons les Farces, qui comme nous l’avons déjà dit à l’article des Enfants sans Souci, furent les modèles sur lesquels les Poètes modernes firent leurs Pièces en trois Actes, et en un Acte.

Jodelle guidé par son seul génie, emprunta des Poètes Dramatiques Grecs et Latins, la forme de ses Pièces ; mais trop indépendant pour les traduire, ou se rendre propres quelques-unes de leurs beautés, il puisa dans l’Histoire et dans l’Énéide les sujets de ses Tragédies, et dans son imagination, celui de sa Comédie.

Cette heureuse hardiesse décrédita à la vérité, et anéantit ensuite le Spectacle des Confrères ; mais elle ne fit pas tout l’effet qu’elle devait produire sur ceux qui coururent la même carrière que Jodelle. Les uns crurent avoir mérité beaucoup de louanges en imitant ses défauts ; d’autres s’en tinrent à traduire servilement les Poètes Tragiques et Comiques Grecs et Latins. Il faut cependant excepter de ce reproche deux Auteurs, qui se distinguèrent de ceux dont on vient de parler. Le premier est Grévin ; le second est Garnier. Grévin arrangea mieux les plans de ses Pièces que Jodelle, et sa versification fut plus coulante. Garnier, supérieur de beaucoup à Jodelle et à Grévin, fut encore plus méthodique dans ses plans : il tâcha de peindre, autant qu’il lui fut possible, les personnages de ses Pièces d’après l’Histoire, ou les anciens Poètes, dont il emprunta ses sujets. Il bannit de sa Poésie l’enflure, le galimatias, et les mots Grecs et Latins que Ronsard avait francisés, et que sa grande réputation avait fait adopter par tous les Poètes de son siècle.

Le peu de progrès que le genre Dramatique fit en France depuis Jodelle jusqu’à Garnier, et de celui-ci, jusqu’à Hardy, paraît d’abord assez difficile à comprendre, vu le grand nombre d’Auteurs qui travaillèrent pour le Théâtre : mais c’est justement de ce grand nombre que naquit la disette des bons Ouvrages. La mode de composer des Tragédies, ou des Comédies, s’introduisit parmi ceux qui cultivaient les Lettres. Tous voulurent se signaler dans le genre Dramatique, et le plus grand nombre n’en avait pas seulement les premières notions.

Un Auteur sans consulter ni son talent, ni les Maîtres de l’Art, croyait devoir joindre à ses Ouvrages, soit en vers, soit en prose, une ou deux Pièces de Théâtre. C’était le bel air du temps : l’espérance de faire représenter ses Pièces ne le hâtait pas, c’était un Bouquet que cet Auteur se donnait, et qu’il offrait ensuite à ses amis. Ces amis, encore moins instruits sur ce genre d’Ouvrage, applaudissaient de tout leur cœur, et cette approbation engageait le Poète à faire imprimer sa Pièce.

À ce manque de talents de la plus grande partie de ceux qui travaillèrent depuis 1552 jusqu’en 1600 (année où se termine ce Troisième Volume) se joignirent les malheurs des Guerres Civiles de France : ces troubles retardèrent les progrès de l’établissement de différents Particuliers, qui sous le titre de Comédiens, avaient pris la place des Confrères de la Passion, et par conséquent retardèrent aussi l’émulation du petit nombre de ceux qui étaient capables de travailler pour ces Comédiens. Ils étaient flattés seulement d’une sorte de réputation qu’ils pouvaient acquérir, en faisant paroître leurs Ouvrages en public ; car du côté de l’intérêt, ils n’y pensaient pas, ce motif leur était alors inconnu.

Nous avons cru devoir donner cette idée générale des Poètes Dramatiques du seizième Siècle, et de leurs productions, avant que de rendre compte du choix, et de l’ordre que nous avons suivi, en remplissant le titre, et le dessein de notre Histoire, qui est de ne parler que des Pièces représentées.

Mais ce principal but de notre Ouvrage n’a pu être exactement rempli dans ce que nous donnons de ce Siècle, et une partie du suivant, par la difficulté de distinguer les Pièces qui furent adoptées par les Comédiens d’avec celles qui ne le furent pas. Dans cette obscurité impénétrable, nous avons pris le parti de parler de toutes les Tragédies, et les Comédies, qui dans cette enfance du Théâtre, pouvaient paroître de quelque mérite.

En usant de cette indulgence pour les Poèmes Dramatiques, dont nous venons de parler, nous avons donné une exclusion totale aux Pièces purement traduites de Sophocle, d’Euripide, d’Aristophane, de Sénèque, de Plaute, et de Térence, ainsi qu’à celles des Auteurs Italiens, tels que l’Arioste, Louis Grotto, etc. qui sont dans le cas des Poètes Grecs et Latins.

Un autre genre de Pièces qui méritent encore plus de sévérité, sont les Pièces composées par des Auteurs de la Religion Prétendue Réformée, qui tendent à semer le poison de l’Hérésie, sous le voile spécieux de Sujets tirés de l’Écriture Sainte ; telles sont les Tragédies de Des Mazures, de Messer Philone, de Beze, etc. et les prétendues Comédies du Marchand converti, du Pape malade, etc.

Il en est d’une troisième espèce, que nous avons également rejetées, qui furent composées à l’occasion des troubles qui dévastaient la France sous les règnes de Charles IX et Henri III, qu’on ne peut qualifier que du nom de Libelles. C’est par cette raison, qu’à l’article de Pierre Matthieu, nous n’avons point parlé d’une Pièce satirique de cet Auteur, intitulée La Guisiade. C’est une loi que nous conserverons exactement à l’égard des Auteurs qui ont composé des Poèmes de ce genre, et dont nous sommes obligés de parler à cause de leurs autres productions pour le Théâtre Français.

En abandonnant aux Compositeurs de Catalogues toutes

les Traductions, et les Pièces prohibées, nous avons cru néanmoins devoir rectifier l’ordre Chronologique qu’ils ont suivi. Le détail de nos Recherches à ce sujet, nous conduirait trop loin : et de plus, en lisant nos Extraits, on trouvera la preuve de ce que nous avançons ici.

Nous espérons que notre exactitude à remplir nos engagements avec le Public, excitera les personnes qui ont des renseignements particuliers sur les Auteurs, les Pièces, et les Acteurs du Théâtre Français, à nous en faire part, nous leur en marquerons notre reconnaissance. Ils les adresseront, s’il leur plaît, à M. Le Mercier, Imprimeur - Libraire à Paris, rue Saint Jacques, au Livre d’Or et en affranchiront les ports.

Nous finissons, en renouvelant nos sincères remerciements, pour les Personnes qui ont bien voulu nous ouvrir leurs Bibliothèques, et nous permettre d’y extraire les Pièces dont nous avions besoin.

 

SUITE DU CATALOGUE,

et Extraits des Mystères, depuis leur origine, jusqu’en 1548, qu’ils furent supprimés.

 

 

Mystère de Saint Christophe[1]

 

L’empereur Dioclétien, à qui l’on vient apprendre que Danus Roi de Lycie[2], de concert avec plusieurs autres Princes, cherche à se soustraire de son obéissance, lui envoie un Messager, pour tâcher à le faire rentrer dans son devoir. Danus méprisant ses menaces, envoie Sautereau aux Rois ses Confédérés. Dans son voyage, ce Messager rencontre un Paysan, qui maltraite la femme, qui ainsi que celle du Médecin malgré lui de Molière, est fâchée lorsqu’on empêche son mari de la battre : et le pauvre Sautereau n’a pour récompense que des coups de bâton : il part avec cela, et fuit la route de Damas ; de là il va à Tripoli, et dans le pays de Cananée, et revient à Samos, Ville Capitale des États de Danus, lui rendre compte du succès de ses négociations.

Tandis que Dioclétien s’apprête à partir à la tête d’une puissante armée, pour punir la rébellion du Roi de Lysie, et de ses Alliés, Lucifer assemble les Esprits Infernaux. Cerbère, et les autres Démons s’empressent à lui apporter des pêcheurs de toute espèce. On amène entre autres une femme de mauvaise vie, un avare, un débauché, et une malheureuse qui avait vendu l’honneur de sa fille. Nous n’entrerons pas dans un plus grand détail de cette Scène, assez curieuse, mais dont nous avons donné des exemples dans les deux premiers Volumes de cette Histoire.

Cependant Dioclétien s’avance vers Samos, suivi de son Connétable, de l’Amiral, du Prince des Souyffes, du Duc d’Albanie, et d’une nombreuse armée. Lorsque ces Troupes sont prêtes à camper sous les murs de cette Ville, deux Soldats Romains s’examinent avec attention, et venant enfin à se reconnaître, ils se racontent mutuellement leurs aventures, et celles de leurs anciens Camarades. Comme cette Scène se passe entre deux bandits, et qu’elle est écrite en langage singulier[3], nous croyons devoir l’insérer ici tout entière pour ne point priver les Curieux des grâces de l’original.

BARRAQUIN, Ier Tyran, commence.

Hé choux, plais Dieu, et quesechechy ?
N’aurai-je jamais de l’aubert ?
Je suis en ce bois tout transi,
Dont j’ai fait endosse de vert.
Je porte le cul découvert,
Mes tirandes sont déchirées,
Les passants rompus, il y perd,
Et porte là lyme nouée.

BRANDIMAS, IIe Tyran, commence.

Tous mes grains ont pris la brouée :
Cap de Dio ! tout est suspendu !
J’ai mon arbalète flouée,
Et le galier pièçà vendu.
Le front est pelé et tondu
Mon comble est à la tarière.
Or ay, que ne suis-je pendu,
Mon jorget n’a pièce entière.

BARRAQUIN, apercevant Brandimas.

Quel mynois !

BRANDIMAS, apercevant Barraquin.

Quelle fière manière ?

BARRAQUIN.

Es-tu narquin ?

BRANDIMAS.

Oui, compain.

BARRAQUIN.

Demeure.

BRANDIMAS.

Tire-toi arrière.

BARRAQUIN.

À mort, Ribaut.

BRANDIMAS.

Rien de la main.

BARRAQUIN.

Broues-tu ?

BRANDIMAS.

Je cours le terrain.

BARRAQUIN.

Où vas-tu ?

BRANDIMAS.

À mon aventure.

BARRAQUIN.

Tu es déchiré.

BRANDIMAS.

Tout à plein
De dormir couché sur la dure.

BARRAQUIN.

Et par Jupiter, je te jure,
Que j’en ai de même que ty.

BRANDIMAS.

Tout un.

BARRAQUIN,

N’ayez paour.

BRANDIMAS.

Je t’assure.

BARRAQUIN.

Ne me congnais-tu point ?

BRANDIMAS.

Nenny.

BARRAQUIN.

Gaultier, où as-tu tant dormi ?

BRANDIMAS, embrassant Barraquin.

Hé gueux, avance-moi la poue.

BARRAQUIN.

Es-tu là, hé, haut, chardemy ?

BRANDIMAS.

Il est bien force que l’on floue.

BARRAQUIN.

Où est Arquin ?

BRANDIMAS.

Il fait la moue

À la Lune.

BARRAQUIN.

Est-il au juc ?

BRANDIMAS.

Il fut gruppé, et mis en roue
Par le défaut d’un allègre.

BARRAQUIN.

Et toi ?

BRANDIMAS.

J’eus longuement le pluc,
De pain et d’eau, tenant au gects.

BARRAQUIN.

Comment échappas-tu ?

BRANDIMAS.

Ce fut

Pour une anse, et l’aspergès.

BARRAQUIN.

Le Rouastre et ses sujets
Me mirent aux Coffres massis,
Par les pieds tenant aux gros septs.

BRANDIMAS.

Y couchas-tu ?

BARRAQUIN.

J’étais assis :
Quant ce vint entre cinq et six
Dedans les septs, laissai ma geste,
Et de peur d’être circoncis,
Des ancêtres sautai la fenêtre.

BRANDIMAS.

Cela fut bien un tour de maître.

BARRAQUIN.

Pourquoi ?

BRANDIMAS.

Hé, pauvre berouart,
Ta sentence était déjà prête,
L’on n’attendait que le Télart,
Pour te pendre haut comme un lart,
Nonobstant tout ton babinage.

BARRAQUIN.

Je m’embrouillai au gourde piard.

BRANDIMAS.

Et je demeurai au passage.

BARRAQUIN.

J’échappai.

BRANDIMAS.

Et j’étais en cage.

BARRAQUIN,

Je piétonnai toute la nuit.

BRANDIMAS.

Et l’Embourreur, pour tout potage
Me mit dehors par faux conduits,
À torches de fer.

BARRAQUIN.

Quel déduit !
Embuchons-nous sous la feuillée,
Pour attendre quelque Syrois.

BRANDIMAS.

S’il avait des grains à l’emblée,
On lui raserait le mynois.

Pendant que ceci se passe d’un côté, de l’autre Bardon, autre soldat de l’Armée de l’Empereur, va à la découverte. Il rencontre Landurée, femme du paysan Landureau, dont on a parlé au commencement de cette journée, et s’arrête pour la cajoler. Le mari qui fait le guet sur le haut de la Tour de Samos, s’apercevant de ceci, et voyant que sa femme reçoit assez familièrement ses caresses, entre dans une extrême colère, et crie l’alarme de toutes ses forces.

LANDUREAU.

Alarme, bonnes gens, alarme,
Je sauterai par ce créneau.

Nycolin, et Pasquelon, sachant de quoi il s’agit, s’en mettent fort peu en peine, et courent en diligence aux portes de la ville, où se fait une escarmouche entre les Lyssiens et les troupes de l’Empereur : Ces derniers sont repoussés avec une perte considérable, et le Duc d’Albanie est fait prisonnier. Pour le ravoir, Dioclétien fait approcher son Artillerie. Contre un péril si pressant, Danus ne trouve pas d’autre moyen que de faire conduire le Duc sur le rempart, et d’ordonner à des bourreaux de le pendre dès l’instant que les ennemis se prépareront à donner l’assaut. En effet, Dioclétien qui craint pour la vie du Duc, propose une trêve d’un an, que Danus accepte, en rendant ce prisonnier. L’Empereur ordonne aussitôt un sacrifice, pour remercier les dieux de ses heureux succès et Sautereau va de la part du Roi de Lyssie ordonner à Antropatos de le faire préparer. J’obéirai, répond ce Grand Prêtre, quoiqu’ajoute-t-il, je ne sois pas né sujet de Dioclétien.

SAUTEREAU.

J’entends assez, je sais que c’est :
Il ne vous chault, soit gain ou perte,
Fors que vous en ayez l’offre.
Adieu, jusqu’à demain matin.

Antropatos dit à Ysengrin son Clerc, de préparer le Sacrifice avec soin : Ne vous embarrassez de rien, répond Ysengrin, je suis au fait, et sais la manière de vous procurer une recette abondante. Le lendemain, la cérémonie se passe avec magnificence, chacun des assistants présente son offrande, et le Duc d’Albanie, par reconnaissance, voue aux dieux le licol qui devait servir à lui ôter la vie. Ensuite chacun se retire chez soi[4].

La première journée de ce Mystère est terminée par l’arrivée d’un puissant et énorme Géant, appelé Reprobe, qui vient offrir ses services au Roi de Canaan, sur les terres duquel il a pris naissance.

 

 

Seconde Journée

 

Elle commence par les entretiens d’un fou, et d’une folle, personnages fort à la mode au temps des Mystères dont nous parlons[5]. Reprobe qui veut s’attacher au service du plus puissant Prince du monde, quitte le Roi de Cananée, et passe à Damas. La Cour brillante du Roi, dont cette ville est le séjour ordinaire, éblouit les yeux de notre Aventurier, et le détermine à accepter les offres avantageuses qu’on lui fait pour s’y établir. Sur ces entrefaites, un Opérateur courant de Province en Province, vient enfin passer quelques jours auprès de Damas. Mauloue, c’est le nom de ce Charlatan, appelle Malassegnée sa servante, et son valet, à qui il ordonne de dresser l’échafaud[6].

MAULOUE.

Bâtons, Bacins, Soufflets, Timbales,
Les Gobelets, les Noix de galle,
Le Singe, la Chèvre, le Chien,
Et l’Ours : Que nous n’oublions rien,
Avec le Mole[7] des images,
Pour courir Villes, et Villages.

Le hasard veut que pendant que Mauloue débite sa marchandise, le Roi de Damas, accompagné de Reprobe, et de plusieurs Seigneurs de sa Cour, vient prendre le frais dans la Plaine, au moment que ce Charlatan chante une chanson dont voici le premier couplet :

Réveillez-vous, gentils Galants,
Et entendez bien mon Latin ;
Gentils Pions, mes bons Chalands,
Ne vous levez point trop matin.
Quand vous aurez bu un tarin,
Cela vous réconfortera ;
Mais si vous mettez d’eau au vin,
Le Diable vous emportera.

Ce dernier vers qui fait le refrain de chaque couplet, produit un effet surprenant le Roi de Damas, qui professe la Religion Chrétienne, fait le signe de la Croix, toutes les fois qu’il entend prononcer le nom de l’ennemi du genre humain : Reprobe s’en aperçoit et lui en demande familièrement la raison ; c’est, répond ce pieux Prince, pour me munir contre un si redoutable adversaire. À cette réponse, qui fait connaître clairement le pouvoir du Démon, Reprobe ne balance pas à prendre le parti de suivre ce nouveau Maître, malgré les prières, et les instances du Roi de Damas. Il rencontre en chemin Landureau ; ce Manant pressé de lui enseigner ce qu’il cherche, répond en tremblant qu’il ne connaît point le diable, mais, ajoute-t-il, en montrant sa femme, voici une diablesse à votre service. Ce discours ne satisfait point Reprobe, et attire au pauvre Landureau une volée de coups de bâton que sa femme lui donne, pour se venger de ses mauvaises plaisanteries.

Reprobe continuant son chemin aperçoit une troupe de Soldats, qui, pour éviter l’oisiveté, se battent avec excès. Il les sépare sans peine avec son bâton : Landureau, spectateur de cet exploit, en marque son étonnement.

LANDUREAU.

Voilà un terrible Milourt !
Quand je regarde son minois,
Qu’il ferait bon à cueillir noys,
Il ne lui faudrait point d’échelle.

À quelques pas plus loin, Satan accompagné de Cerbérus, de Flégéas et de Belzébuth, se présente à Reprobe, sous la figure du Prince du monde, et l’engage à son service. Par bonheur pour Reprobe, Dieu permet qu’il se trouve une Croix plantée sur le grand chemin, par où Satan doit naturellement passer. Il veut l’éviter, et prendre une autre route, lorsque Reprobe le force à lui en dire la raison. Le souvenir que j’ai, répond Satan, d’avoir été vaincu sur un bois taillé de cette manière, m’a donné une si forte aversion pour ceux qui lui ressemblent, que je les évite avec soin. À peine Satan a-t-il dit ces mots, que son nouveau serviteur le quitte avec indignation, pour chercher ce Vainqueur redoutable. Les malins Esprits disparaissent, et reçoivent aux Enfers la peine de leur stupidité. De son côté, Reprobe s’adresse à un Hermite, et lui fait un récit court et naïf de sa vie. Le Solitaire saisissant ce moment précieux, lui conseille avant toutes choses, de prier, et de mortifier son corps par le jeûne. Le Catéchumène est trop grossier pour goûter ces avis.

REPROBE.

Quand je suis saoul, je suis content
De jeûner tant que j’aie faim.

La réponse ne rebute point le Solitaire ; en attendant que Dieu lui ouvre les yeux de l’esprit, il lui enjoint pour pénitence de passer tous ceux qui se présenteront au fleuve voisin, qui est très dangereux par son extrême rapidité. Reprobe sent quelque répugnance à obéir, mais le respect qu’il a pour l’Hermite le fait consentir. Il se laisse conduire aux bords du fleuve par un jeune Hermiton, et remplit exactement son devoir envers plusieurs Bourgeois de Nychomédie, qui profitent de cet avantage.

Sur le soir, et dans le moment que Reprobe veut se reposer des fatigues du jour, le Sauveur, sous la figure d’un jeune enfant, se présente pour passer le fleuve. Quelque las que soit notre Pénitent, la tendresse de l’âge de cet enfant l’emporte sur tout, il le prend sur ses épaules, et se met en devoir de traverser la rivière. Étonné de trouver une charge si pesante, il jette les yeux sur le Sauveur, qui l’illumine au même instant de sa grâce, et disparaît, après lui avoir ordonné de planter son bourdon sur le rivage. Reprobe s’endort, et peu de temps après, le fou dont on a déjà parlé, voulant l’imiter, offre à la folle de lui faire traverser le fleuve, au milieu duquel il la laisse tomber.

À son réveil Reprobe surpris de voir son bourdon, qui a pris racine, chargé de feuilles et de fruits, rend grâce au Seigneur, et va trouver l’Hermite, à qui il demande le Baptême. Le saint homme en le lui conférant, lui impose le nom de Christofle.

Ce nouveau Chrétien, continuant toujours son pénible emploi, passe Brulant, Bourgeois de Nychomédie : mais fâché d’être toujours appelé Reprobe, il lui raconte son histoire, et par quelle manière il a reçu un nouveau nom. Ce récit convertit Brulant ; il va trouver l’Hermite, et en reçoit la même grâce qui vient d’être accordée à Christofle.

D’un autre côté, Alpantin et Marragon, Chrétiens de Damas, sont arrêtés dans Samos par les ordres de Danus. Ce Roi, pour faire sa cour à Diocletian, le prie de lui envoyer des Bourreaux qui plus exercés que les autres, sont plus habiles à tourmenter les Chrétiens. Le martyre d’Alpantin et de son compagnon, suit de près l’arrivée des Bourreaux. Christofle et Brulant ensevelissent leurs corps : et leur mort occasionne la conversion de Pasquelon et de Nycolin.

 

 

Troisième Journée

 

De saint Christofle à la tierce Partie,
Cy en fuyant, et la conversion
De deux fillettes, qui par lui averties,
En Jésus-Christ souffrirent passion.

C’est dans cette Journée que commence la Passion de saint Christofle. Le Prévôt et les Archers que le Roi de Lyssie avait envoyés pour le prendre, viennent rendre compte du peu de succès de leur commission. Christofle se laisse enfin lier et conduire avec Brulant devant Danus. La fermeté que ces deux Chrétiens font paraître, touche le Comte de Triple, et quelques autres, qui embrassent leur Religion, et en donnent des preuves, par les aumônes qu’ils font à un aveugle, et à son valet Picolin[8]. Le Roi les fait arrêter, et ordonne à ses Bourreaux de les faire mourir. On tranche la tête au Comte, Gracien est écorché vif, Florides tiré à quatre chevaux Broadas expire sur un siège garni de pointes de fer : et Andromade que l’on fait mourir le dernier, est étendu sur une table, où on lui coupe les membres l’un après l’autre. Les quatre Bourreaux vont ensuite au Cagnard[9] dépenser l’argent qu’ils viennent de gagner.

Pendant ce temps-là, le Roi de Lyssie, désirant conserver la vie à Christofle, et se l’attacher, assemble son Conseil, et suivant son avis, il envoie chercher des filles pour le séduire. Sautereau s’acquitte de cette commission et conduit à cet effet Aqueline et Nycette à la prison, où est enfermé le serviteur de Dieu. Elles ne sont pas plutôt introduites dans son cachot, qu’elles emploient leurs ruses, et leur adresse, pour remplir l’attente de Danus. Christofle ne répond à leurs caresses, et à leurs discours séducteurs, que par ce Vers :

Et qu’est-ceci, êtes-vous folles ?

Enfin pour achever, ces malheureuses, bien loin de faire succomber ce Soldat chrétien, se rendent à ses remontrances, reconnaissent leur aveuglement, et suivant ses conseils, reçoivent le Baptême de sa main. C’est en vain que le Roi par les tourments veut leur faire changer de résolution, elles persistent jusqu’au dernier soupir. Aqueline est jetée dans la mer, avec une pierre attachée à ses pieds, et Danus après avoir tenté inutilement de faire consumer Nycette dans un brasier ordonne aux Bourreaux de lui trancher la tête[10].

 

 

Quatrième Journée

 

Le martyre de Brulant, et les tourments que l’on fait endurer à Christofle, produisent un effet contraire aux désirs du Roi de Lyssie, en augmentant le nombre des nouveaux Chrétiens. De ce nombre est Épigramus, favori de ce Prince, qui paye ses services par une mort cruelle. Christofle ressent ensuite de nouveaux effets de sa fureur après lui avoir attaché aux pieds une énorme meule de moulin ; on le fait ainsi traîner par des chevaux indomptés, jusqu’à ce que les Bourreaux, croyant qu’il a perdu la vie, l’abandonnent au milieu de la plaine avec cette meule sur l’estomac. Mais le Seigneur qui réserve ce Martyr à de nouvelles souffrances, exauçant les prières de la sainte Vierge, envoie ses Anges, qui le rétablissent en parfaite santé. Une guérison si peu attendue, jette le Roi dans une fureur extrême : on attache par son ordre Christofle à un pilier, et là on lui déchire le corps, à coups de fouets, et ensuite on le perce de flèches. Par la permission divine, une de ces flèches, au lieu d’atteindre le Saint, vient frapper l’œil de ce Roi impie. Vous ne pouvez recevoir de guérison, lui dit alors Christofle, qu’en arrosant votre plaie de mon sang. Soit rage, soit désir de voir l’effet de cette prédiction, Danus ordonne aussitôt aux Bourreaux de lui trancher la tête ;

CHRISTOFLE.

Voici-moi ici[11] prêt d’offrir mon corps
À Dieu, en cette heure présente,
Afin que l’âme soit exempte
D’Enfer, la puante maison.

BARRAQUIN lui coupant la tête.

C’est bien rythmé, tu as raison.

Des Anges portent son âme au ciel, Nycolin et Pasquelon enfouissent son corps, que les Bourreaux abandonnent aux oiseaux de proie. Le Roi revient un moment après, accompagné de ses Courtisans : il se désespère ne voyant plus le corps de saint Christofle, heureusement on aperçoit un peu de son sang répandu à terre. Ce Prince ne s’en est pas plu tôt frotté les yeux, qu’il recouvre non seulement la lumière du corps, mais encore celle de l’âme, après avoir dit Fy, de ses dieux, il déclare qu’il veut mourir Chrétien. Son exemple est suivi par la Reine, et par les Seigneurs et Dames de la Cour. Le Roi de Damas fait complimenter celui de Lyssie, sur son heureuse conversion et lui envoie un Évêque. D’un autre côté, les Bourreaux conjecturant qu’ils n’ont plus rien à faire à Samos retournent à Diocletian, et lui racontent le changement subit de Danus. La Trêve accordée entre les Rois confédérés, et l’Empereur étant prêt à expirer, ce dernier assemble son Armée, et marche vers Samos. Le Roi de Damas accourt avec les troupes, et celui de Cananée, quoique Payen, embrasse la querelle commune.

Le danger pressant où se trouvent les Lyssiens, n’empêche pas la Reine de Samos de commander une magnifique Châsse, dans laquelle on dépose, avec cérémonie, le corps de saint Christofle. Les miracles opérés par son intercession se répandent avec succès, et occasionnent la conversion du Roi de Cananée. Cependant l’armée de Diocletian approche de Samos ; on ordonne à Landureau de monter sur la Tour, et de se tenir au guet. Mais comme Landureau est hors de la Ville, il veut la faire rentrer, pour éviter la violence des Soldats. Vas, vas, je ne crains rien, répond-elle. Tes craintes sont ridicules, ajoute Pasquelon, en l’obligeant à monter.

LANDUREAU.

Je sais bien que je suis C...
Pour dire le cas tel qu’il est :
Mais je ne suis pas tout seulet ;
J’ai des compagnons plus de mille,
Autant aux champs, comme à la ville.
C’est maladie incurable.

Les Chrétiens se confiant aux prières de saint Christofle, vont au-devant des Infidèles, et les taillent en pièces. Cette perte jette Diocletian dans une telle fureur, qu’après avoir invoqué toutes les puissances infernales, il ajoute, que las de gouverner l’Empire Romain depuis une trentaine d’années, il veut pour changer d’état, être Capitaine des Enfers. Les Diables accourent à ses hurlements, et à ses blasphèmes, et l’emportent avec Barraquin, qui vient, par leur inspiration, de se donner un coup de poignard. Et la pièce finit par les actions de grâces que les Chrétiens rendent à Dieu, et au saint Martyr, par l’intercession de qui ils ont obtenu une si belle victoire.

Voilà la fin du glorieux Mystère.
Saint Christofle, qui pour Dieu tant souffrit,
Lequel triomphe, comme Martyr en gloire,
Pour ce qu’il fut ferme en Jésus-Christ.

 

 

Mystère de Saint Andry

 

« S’ensuit la Vie et Mystère de Saint Andry, nouvellement composée et imprimée à Paris : à 86 personnages, dont les noms s’ensuivent etc... Cy finit la Vie et Mystère de Monseigneur Saint Andry, nouvellement imprimée à Paris, par Pierre[12] Sergent, Libraire, demeurant en la rue Neuve Nostre-Dame, à l’enseigne de saint Nicolas[13]. »

Ce Mystère commence de la même façon que celui de S. Pierre et de S. Paul. Le Sauveur, après avoir assemblé ses Apôtres, et fait plusieurs miracles, envoie saint Matthieu, pour confondre deux fameux Enchanteurs qui bien loin de se rendre à ses discours, paraissent fort étonnés de sa conversion.

ZAROÉS Enchanteur, à son frère Arphaxat.

Haro ! frère, j’ai grande envie,
De Matthieu, qui est converti,
À un Prophète si hardi
Qu’il n’a pas vêtu vaillant maille.

Leur obstination oblige l’Apôtre à les livrer au pouvoir des malins esprits. Huet et Burgibus obéissants à ce commandement, sautent au col des deux Magiciens et les étranglent[14]. Saint Matthieu passe ensuite à Margondie, où il est jeté dans une étroite prison, après avoir eu les yeux crevés. Saint Andry envoyé de Dieu, rend la vue à son Confrère. Ces deux Apôtres s’embrassent, et continuent leur saint ministère. Saint Andry va à Nicomédie, et délivre les Habitants de la persécution des esprits malins. Satan, Ébron, Burgibus, et Huet, à qui l’Apôtre ordonne de se retirer, sortent sous la forme de gros chiens noirs, et avant de rentrer aux Enfers, ils étranglent le fils d’un notable Bourgeois de la ville. Saint Andry le ressuscite à la prière du père et de la mère, et emmène ensuite ce jeune garçon avec lui pour l’instruire. Ses parents, après une longue perquisition, découvrent enfin qu’il est dans la maison du Saint, et y mettent le feu, qui s’éteint aussitôt par la puissance de l’Apôtre. Ce miracle convertit les Assistants, ils demandent le Baptême avec empressement. Après le leur avoir conféré, l’Apôtre se rend à Thessalonie. Verrin[15] Prévôt de cette Ville envoie trois de ses Chevaliers pour l’arrêter : les deux premiers se convertissent, et le troisième est assommé par les démons.

Sur ces entrefaites, saint Andry se promenant sur le rivage, une violente tempête jette sur le sable le corps d’un jeune homme, à qui il rend la vie. Ce jeune homme lui apprend qu’il est fils du Roi de Grenade[16], et envoyé exprès pour amener cet Apôtre ; mais que le démon jaloux avait excité cette tempête, qui l’avait submergé, lui quatrième. Ce discours émeut la pitié de saint Andry, il adresse sa prière au Seigneur ; aussitôt l’onde obéissante rend sur le rivage les corps des compagnons du jeune homme, qui reprennent vie à la voix de l’Apôtre.

Peu de temps après, Marsimille[17], femme d’Égéas, Prévôt d’Achaye, se plaint d’une fièvre violente. Son époux en est si alarmé, que de désespoir, il veut se passer une épée à travers du corps. Heureusement Essidimie qui a entendu parler des miracles de saint Andry, va le chercher, par ordre de sa maîtresse. Elle reçoit une prompte guérison, et promet d’embrasser la Religion de son libérateur. Égéas veut le récompenser par de riches présents, que l’Apôtre ne veut pas accepter. Irrité de ce refus, et de la conversion de Marsimille, Égéas jure par Mahom et Jupiter la mort de saint Andry. Ce dernier continue sa mission, jusqu’au moment qu’il est arrêté par les Émissaires du Prévôt d’Achaye.

IIe TYRAN.

Allons à lui tretous ensemble :
Peur a de nous ; je crois qu’il tremble :
Est-ce de peur ? Est-ce de froid ?

Ier TYRAN.

Mieux lui vaudrait à l’hameçon
Avoir pêché, qu’être venu
En ce pays, car bien tenu
Il y sera.

Saint Andry paraît devant Égéas avec une fermeté inébranlable. Sa constance dans les tourments augmente encore la fureur de ce Juge injuste, et touche les cœurs des Principaux de la Province. Stratoclès frère de Marsimille, suivi des Sénateurs et des Chevaliers, oblige Égéas, à coups de bâton, à rétracter sa sentence. Mais saint Andry, préférant la gloire du martyre, refuse ce secours, et prie le Seigneur de l’attirer à lui, Dieu l’exauce, et envoie ses Anges, pour recevoir cette âme bienheureuse.

« Adonc chantent les Anges ce qui s’enfuit, sur le chant de Veni Creator. »

LES ANGES.

Louer faut le doux Roi Jésus,
Qui a voulu Andry aimer,
Plus qu’on ne saurait raconter,
Or allons donc le visiter.

« Adonc chantent ce qui s’enfuit, sur le chant de Vexilla Regis. »

LES ANGES.

Doux Jésus-Christ, tu sois loué,
Qui tant es doux et gracieux,
Tu as Andry très tant aimé,
Qu’il sera couronné lassus.

Au moment que saint Andry expire, Égéas se sent atteint d’une douleur insupportable ; Lucifer ému de ses cris, ordonne à ses Ministres de lui amener en diligence l’âme de ce scélérat.

« Adonc Satan va querir une brouette[18] et l’emmène, et quant il l’a amenée, il dit ce qui s’enfuit. »

SATAN.

Orça, Diables, venez avant,
Allons le quérir.

Satan saisit Égéas par le collet, et l’ayant jeté dans une brouette, le conduit ainsi aux Enfers.

« Adonc les Diables laissent aller l’âme parmi le Jeu[19], et courent tous après, etc. »

Tandis que les Esprits malins se divertissent des tourments de cette âme malheureuse ; Mademoiselle, Stratoclès et les autres Chrétiens d’Achaye, ensevelissent avec beaucoup de pompe le corps de saint Andry.

LE IIe SÉNATEUR.

Nous chanterons sans tarder plus,
S’il vous plaît, Te Deum laudamus.

 

 

Mystère de Saint Nicolas

 

« Mystère et beau miracle de Saint Nicolas, à vingt-quatre personnes imprimé à Paris in-quarto, par Pierre Sergent[20], sans date. » Du Verdier Vauprivaz, Bibliothèque Française, p. 927[21].

 

 

Mystère de Sainte Barbe[22]

 

Après un Prologue, ordinaire[23] ces sortes de Poèmes Dramatiques, paraît l’Empereur Marcien[24] qui voulant offrir un sacrifice à son Dieu Mahom, envoie chercher l’Évêque de sa Loi. Dépêchons-nous, Monseigneur, dit un Prêtre à ce dernier, c’est toujours quelques écus qui vont vous revenir. L’Empereur arrive peu de temps après, et ordonne que l’on porte l’idole de Mahom en procession.

Le Prêtre prend Apolin sur son « col, et trestous vont chantant en tour. »

Marcien offre de l’encens à l’Idole, et Satan qui y est renfermé, lui ordonne d’exterminer les Chrétiens.

« Ici commence le Mystère de sainte Barbe, Vierge. »

Dioscorus, et la Reine son épouse, prêts à entreprendre un pèlerinage au Temple de Mahom, ordonnent à deux Maçons de construire une forte tour, dans laquelle ils renferment Barbe leur fille, qui refuse de se marier, et l’y laissent sous la garde de trois filles ; pendant que ces filles s’occupent à jouer aux cartes, Barbe, pleine de l’esprit du Seigneur, va trouver un saint, Hermite, qui l’instruit, et lui confère le Baptême. D’un autre côté, Lucifer appelle ses sujets, et leur ordonne de monter sur la terre : ces malins Esprits, avant de partir, demandent la malédiction de leur Maître.

 

 

Seconde Journée

 

« Pause ; Second Prologue[25]. »

Jésus, que tous devons prier,
Le Fils de la Vierge Marie,
Veuillez Paradis octroyer
À cette belle compagnie.
Seigneurs, et Dames, je vous prie
S’éez-vous trestous à votre aise,
Et de sainte Barbe la vie
Achèverons, ne vous déplaise, etc.

Au retour de son pèlerinage, Dioscorus apprend que Barbe a embrassé la Religion Chrétienne, il veut la percer de son épée. Elle se sauve miraculeusement au travers de la muraille : le Père ne pouvant prendre la même route, la cherche fort longtemps, et enfin il découvre sa retraite. Dioscorus lui fait endurer divers tourments, ensuite de quoi, il la remet entre les mains de Marcien, qui ayant épuisé les supplices les plus barbares, ordonne à ses Tyrans d’aller chercher une femme folle[26] propre à séduire l’esprit de Barbe.

« La femme de joie chante quelque chanson, et le Diable est avec elle, elle chante, et puis boit. »

L’Empereur, après lui avoir déclaré ses intentions, l’exhorte à le bien seconder.

L’EMPEREUR.

Il la convient par beau langage
Lui tourner trestous le courage
À faire fornication.

D’abord que cette femme paraît devant Barbe, la Sainte commande au Diable qui obéit à cette misérable de la quitter.

« Notez que la folle femme doit vider un Diable, et aura grand peur ladite femme, et se mettra derrière Barbe[27].

Voyez un horrible monstre qui vous tenait sous sa puissance, dit Barbe à cette pauvre femme. Elle se jette ensuite sur l’esprit malin, et prête à l’étouffer, elle le force à lui demander grâce. Satan, pour avoir la liberté, promet de ne point tenter ceux qui imploreront son assistance.

« Ici se fait tempête en Enfer. »

C’est ici que Marcien perdant patience, renvoie Barbe à son Père ; sa vue jette ce Barbare dans une fureur excessive.

DIOSCORUS.

Haro ! Mahom, et quelle angoisse !
Fy de Mahom, et son pouvoir.
Haro ! je crie à pleine voix ;
Maudit soit Mahom, et Jupiter ;
Le Dieu Tarvagant, et Rufin,
Et tous ceux de la Synagogue[28].

BARBE s’adressant à sa mère.

Pitié, vous devez avoir de moi
...
À une chienne prends-toi garde,
Qui a un grand tas de chienneaux,
Qui naturellement les garde,
Et les préserve de tous maux :
Tu es donc pire qu’une lice.

Dioscorus, sans égard pour ses plaintes, lui boute la corde au col, et à peine a-t-elle achevé son In manus tuas, Domine qu’il la frappe sur le col, et lui enlève la tête. Les Anges descendent du Paradis pour recevoir son âme ; après quoi les Démons s’emparent de ses persécuteurs, et les entraînent aux Enfers. Et le Mystère finit par la canonisation de sainte Barbe, et les guérisons miraculeuses opérées par son intercession.

 

 

Mystère de Saint Jean-Baptiste

 

« La Vie et Mystère de Monseigneur Saint Jean-Baptiste par Personnages : imprimée à Lyon, in-quarto, par Olivier Arnoullet, sans date. » Bibliothèque Française de Du Verdier Vauprivaz, page 777.

Pour suppléer à l’extrait de ce Poème, que nous ne connaissons que par ce renseignement, nous renvoyons le Lecteur aux Mystères XXV, XXVIII, et XXX de la Conception, et I, II, III, V, XIII, XXIX, XXX, XXXI, et XXXII de la première Journée de la Passion : où l’on trouvera la Naissance, la Vie, et le Martyre de ce saint Précurseur du Messie.

 

 

Mystère de la Nativité[29]

 

« Mystère de la Nativité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par Personnages, sur divers Chants de plusieurs Chansons[30]. »

« Et premièrement le Voyage en Bethléem, et l’Enfantement de la Vierge, sur le Chant, Le plus souvent tant il m’ennuie. »

Pour obéir aux ordres de l’Empereur, Marie et Joseph vont à Bethléem, lieu de leur naissance.

« Ici vont en Bethléem. »

Arrivés en ce lieu, ils ne peuvent trouver de logement, ce qui les oblige à se retirer dans une pauvre étable.

JOSEPH.

Trouver logis n’est pas possible
Sans argent, pour l’amour de Dieu.
La chose est notoire et visible,
Que pauvreté n’a point de lieu.
Mais voici une Étable,
Aux gens inhabitables,
Où convient demeurer.
Le lieu n’est pas notable,
Pour Roi, ou Connétable,
Il nous faut endurer.

Peu de temps après, Marie enfante le Sauveur du monde, et les Anges annoncent aux Bergers cette heureuse nouvelle.

« L’Annonciation aux Pasteurs, sur le Chant du second couplet, Extrait d’un ancien Noël.

L’ANGE.

Pasteurs, qui veillez aux champs bis.
Oyez mes dits, et mes chants bis.
Je vous annonce la nouvelle
Joyeuse pour vous :
Dieu est né...
Pour racheter tous.
Allez, et l’adorez à genoux.

Trois Bergers, et une Bergère, obéissants aux ordres du Messager Céleste, vont à la Crèche, en chantant une chanson dont le refrain est Gloria in excelsis Deo.

« La venue, et l’adoration des Pasteurs, sur le chant, Sonnez-m’y donc quand vous irez. »

Chantons Noël, quand nous irons
Garder nos brebis sur l’herbe,
Sur l’herbe.

David au son de sa harpe, annonce l’arrivée des Rois Mages, qui présentent leurs dons, et chantent chacun un huitain, terminé par ce vers :

Où est-il né, afin que je l’adore.

 

 

Lyon marchant[31]

 

« Satyre Française sur la comparaison de Paris, Lyon, Orléans, et autres choses mémorables, depuis l’an 1524, sous allégories et énigmes, par Personnages mystiques : joué au Collège de la Trinité à Lyon en 1541. »

Comme cette pièce est allégorique du commencement à la fin, et que de plus il n’y a guère d’apparence qu’elle ait été jouée à Paris, nous serons très succincts dans cet Extrait. Cette pièce donc, renferme les principaux événements arrivés en Europe depuis 1524, jusqu’en 1540, tels que la prise de François Ier à la Bataille de Pavie. La mort du Dauphin son fils, empoisonné par son Médecin. Les changements de Religion en Angleterre, sous le règne d’Henri VIII, etc. Enfin l’ouvrage est terminé par la dispute entre les Villes de Paris, Lyon ; et Orléans. La Vérité donne la préférence à la Ville de Lyon. Ce jugement est en forme de ballade dont voici l’envoi.

Prince, je dis (je qui suis vérité)
Que nul ne soit de nos dits irrité :
En les prenant en quelque sens méchant.
Car tous trois ont grand honneur mérité :
Mais devant tous est le Lyon Marchant.

 

 

Le joyeux Mystère de Trois Rois

 

« À dix-sept Personnages, composé par Jehan d’Abondance, Bazochien » et Notaire Royal de la Ville du Pont Saint-Esprit[32].

Ce serait ennuyer le Lecteur que de lui donner un extrait circonstancié de cette pièce. Il suffit de dire que l’Histoire est suivie assez passablement ; mais pour qu’on puisse juger de la vérification de l’Auteur, nous allons en extraire quelques endroits.

Un Ange défend aux trois Rois de repasser chez le Roi Hérode, comme ils l’avaient promis, et leur ordonne de prendre un autre chemin.

L’ANGE.

Du haut Dieu, Roi altitonant,
De Paradis, suis Messager ;
Et pour vous garder de danger,
Retournez par autre chemin ;
Car Hérode, selon, malin,
Tâche de vous faire mourir,
Pour son ire non encourir,
Vous faut autre voie choisir.
S’il vous tenait en son pouvoir, etc.

Voici comment Hérode débute.

Haut Empereur, Monarque primitif,
Sublimatif, partout dominatif,
Sur tous vivants je suis impératif,
Superlatif, si puissant, ne chétif
N’est contre moi, etc.

 

 

Mystère

 

« Sur Quod secundùm legem debet mori, etc. imprimé à Lyon, Du Verdier Vauprivaz, Bibliothèque Française, pag. 635.

Comme Du Verdier s’est trompé en assurant que le Mystère des trois Rois a été imprimé à Lyon, quoiqu’il ne soit que manuscrit, nous pouvons conjecturer qu’il est tombé dans la même faute, en parlant de celui-ci, d’autant plus qu’on n’en trouve aucun exemplaire. Le sujet du Poème est, comme on le voit, tiré du nouveau Testament, et se trouve compris dans la Quatrième Journée du Mystère de la Passion.

D’Abondance, Auteur de cet Ouvrage, a encore composé quelques Moralités, et une Farce, dont nous parlerons à leur rang.

 

 

Mystère de l’Apocalypse[33]

 

« Ci enfuit le Mystère de l’Apocalypse saint Jean, avec les cruautés de Domicien, Empereur de Rome, composé par Maître Lois Chocquet[34]. »

Polipison Sénateur Romain, vient annoncer au Sénat assemblé, la mort du bon Empereur Titus, ajoutant qu’il faut songer à lui élire un successeur. Toutes les voix se réunissent en faveur de Domicien, à qui on va offrir l’Empire. Ensuite paraissent deux bourreaux, Torneau et Pesart, qui cherchent à se mettre au service de quelque Prince. Le hasard veut qu’ils rencontrent Daru[35], ce fameux exécuteur des cruautés de Néron, qui n’avait jamais voulu s’associer avec ses camarades de profession, et s’était par là rendu leur ennemi. Comme les deux dont nous parlons le trouvent ici sans défense, ils l’assomment, et lui dérobent ses habits et son argent.

TORNEAU.

Puisqu’en faut faire le départ
En cette fosse sera mis :
Et puis irons chez nos amis
En chantant un Libera nos,
Assis à table entre les pots.

« Ici le guettent en l’Apparition[36] et s’en vont à Rome »

Ces deux Bourreaux vont offrir leurs services à l’Empereur, au moment qu’on lui apprend que saint Jean a converti les habitants d’Éphèse. Domicien fait aussitôt partir un Vaisseau pour le lui amener. Comme les Matelots qui doivent monter ce bâtiment sont endormis, et la plupart ivres ; le Pilote est obligé de les faire marcher à coups de canne. Il fait charger les provisions nécessaires, comme pain, vin, viandes salées, morues, harengs, baleines salées, et surtout des cartes et des dés. Ensuite on met à la voile. Arrivés à Éphèse, les Ambassadeurs mettent pied à terre, et reçoivent les compliments des Matelots.

LE Ier MATHELOT.

Perpetuel loz
Soit aux nobles Ambassadeurs.

LE IIe MATHELOT aux Spectateurs.

Ce ne sont méchants Estradeurs,
Ou prometteurs de poires molles.

Ces Ambassadeurs vont droit au Temple, où ils se saisissent de l’Apôtre, à qui ils demandent son nom, saint Jean leur répond sans s’étonner,

Je suis
Juif, nommé Jehan, qui en suis
Les œuvres de Jésus, mon Maître.

L’Apôtre entre dans le Vaisseau, qui le porte à Rome, où Domicien, de l’avis du Sénat, le fait jeter dans une chaudière pleine d’huile bouillante.

« Ici Mollestin fait apprêter une chaudière d’huile, et fourches bois, charbon, tripiers, et soufflets, et les porte devant la Porte Latine. »

L’Empereur surpris de ce que saint Jean sort sain et sauf de ce supplice, le condamne à un exil perpétuel dans l’Île de Pathmos. On conduit l’Apôtre au lieu de son exil, avec Porchorus[37], prisonnier Chrétien, condamné à la même peine. C’est en ce lieu, que le Seigneur, pour couronner les souffrances de son Disciple bien-aimé, lui découvre les secrets les plus cachés, et dont l’accomplissement est réservé à la fin des siècles.

« Ici se doit mettre saint Jean près de quelque Roc, appuyé sur une de ses mains, en forme de contemplation, pendant se fera une grande pause en Paradis, musicale, ou instrumentale, cependant que la première vision s’apparaîtra[38]. Ici saint Jean prend plume, papier et encre. »

Pendant que d’un côté du Théâtre saint Jean rend compte aux Spectateurs des Visions Célestes qui se présentent, de l’autre, Domicien fait massacrer un Pantomime, pour ce seul sujet, qu’il ressemble au Philosophe Paris ; on lui apprend ensuite qu’Hermogènes a composé un Livre, où les tyrans sont dépeints avec les couleurs les plus fortes. Ce cruel Empereur qui y reconnaît son portrait, fait dévorer l’Auteur par des chiens, et attacher à une Croix le Libraire, et l’Enlumineur de l’ouvrage. Ces malheureux expirent, priant Jupiter, Mahomet, Mercure, Apollon et Vénus, d’avoir pitié de leurs âmes. Pour le récréer, Domicien fait arrêter l’Astrologue Asclétarion, et lui demande de quel genre de mort il doit périr. Les Astres, répond-il, m’ont prédit que mon corps doit être dévoré par des chiens. Pour démentir cette prédiction, l’Empereur fait trancher la tête au misérable Asclétarion, dont les chiens mettent le corps en pièces. Tant de cruautés soulèvent le peuple Romain. Étienne Officier du Palais, deux Chambellans de l’Empereur, et quelques Seigneurs, conspirent ensemble contre lui, et prennent la résolution de l’assassiner. Domicien qui a quelque pressentiment de leur dessein, se retire fort triste dans sa chambre : Les Conjurés s’y rendent, Étienne lui présente un libelle, et pendant que ce Prince en fait la lecture, les Conjurés se jettent sur lui, et le percent de coups.

CLODIUS arrêtant ses Camarades.

Il suffit, car je vous promets
Qu’il est au rang des trépassés.

SATURNUS.

Il a reçu des coups assez
Pour avoir mis l’Âme hors de corps.

LE Ier CHAMBELLAN.

Ne reste qu’à penser du corps,
Et regarder qu’on en fera.

« Ici les trois tyrans mettront Domicien en une civière, et le porteront en quelque lieu. »

Phélix, nourrice de Domicien, va chercher son corps à la voirie, et l’ensevelit en secret. Le Sénat s’assemble ensuite, et proclame Nerva. Ce nouvel Empereur, profitant du malheur de son prédécesseur, rappelle les exilés, et rend la liberté aux prisonniers. Du nombre de ceux-ci, sont deux Disciples de saint Clément, qui s’embarquent aussitôt pour aller trouver saint Jean à Pathmos.

 

 

Mystère de Saint Jean l’Évangéliste, étant en l’Île de Pathmos[39]

 

Cynops, fameux Enchanteur, croit dans une grotte, que l’Auteur a voulu qualifier du nom d’Hermitage, et se vante du pouvoir qu’il a sur les habitants des Enfers. Deux Prêtres d’Apollon, et trois Citoyens de Phéra, Ville de Pathmos, viennent lui annoncer les progrès des prédications de S. Jean. Vous ne devez pas négliger une affaire qui pourrait avoir des suites fâcheuses, lui dit un des Prêtres.

GALBANUS, Ier Citoyen.

Il commence à gagner crédit,
Et fait des choses non pareilles.

GAMELLUS, IIe Citoyen.

Il nous rompt à tous les oreilles.

J’y pourvoirai, répond Cynops, en les congédiant. Un moment après, il appelle Astaroth, Bérith, Belzébuth et Belphégor, et ordonne au premier d’aller étrangler le saint Apôtre. Au lieu d’exécuter le commandement de Cynops, Astaroth se trouve lié par celui de saint Jean ; comme le Magicien ne voit point revenir son Messager Infernal, il dépêche Bérith, qui demeure arrêté comme son Compagnon, aussi bien que Belzébuth, qui arrive ensuite.

BÉRITH.

Ton parler si très fort m’étonne,
Que j’en perds le sens et courage.
Harau ! Diables, harau ! j’enrage,
Malin esprit, le hait ne chet
Car je suis pris au trébuchet,
Plus ne puis aller, ne venir.

SAINT JEAN.

C’est pour te faire souvenir
Que ton Maître n’est que un menteur,
Invocateur, et séducteur,
Qui n’a pouvoir, ne force aucune.

Belphégor envoyé après eux, n’ose approcher de la grotte de l’Apôtre, et retourne avertir son Maître du sujet qui retient ses camarades. L’Enchanteur, écumant de rage, invoque un nouveau secours : et Lucifer attentif à sa voix, détache Satan ; et quelques autres.

« Ici pourra avoir trois ou quatre petites Bêtes, qui figureront Esprits. »

Cynops se fait transporter avec sa suite à Phéra, où il trouve l’Apôtre occupé à prêcher. Avec le secours de quelques prestiges, il séduit le peuple au point, qu’au lieu d’écouter le sermon de l’Homme de Dieu, ces insensés se jettent sur lui, et l’assomment de pierres, mais à la confusion de Cynops et de ses spectateurs, puisque saint Jean se relève aussitôt sans ressentir aucun mal. Alors l’Enchanteur, pour conserver son crédit, et son autorité par quelque coup d’éclat, se jette dans la mer, espérant s’en retirer, par le secours des Démons, qui forcés d’obéir au commandement de l’Apôtre, entraînent l’Imposteur au fond des Enfers. Sur ces entrefaites, le Saint rend la vie à trois enfants morts subitement. Ce miracle étonne les assistants, qui se convertissent, à la réserve des deux Prêtres, que rien ne peut retirer de leur aveuglement.

 

 

Comédie de la Nativité de Jésus-Christ[40]

 

Marie et Joseph vont à Bethléem s’y faire inscrire, conformément aux ordres énoncés dans l’Édit de l’Empereur Auguste. C’est en vain qu’ils cherchent un logis pour passer la nuit ; les trois hôtes à qui ils s’adressent les refusent sur différents prétextes. Le premier leur déclare qu’il ne veut loger que des gens riches ; ma maison, répond le second, n’est destinée qu’aux Princes et aux Rois. Pour moi, dit le troisième, je voudrais bien vous rendre service, mais toutes mes chambres sont occupées par de jeunes personnes, qui doivent y passer la nuit à boire et à danser. Après quelques réflexions sur l’avarice et l’aveuglement de ces hôtes, Joseph, pressé par la nuit, fait entrer Marie dans une pauvre étable, et va à la ville chercher de quoi souper. Pendant ce temps-là, Dieu ordonne à ses Anges d’aller servir Marie et adorer le Sauveur du monde. Joseph, en rentrant, se prosterne à ses pieds, et les Anges ne le quittent que pour aller annoncer son heureuse Naissance aux Bergers de la Contrée. Ils accourent, sans s’inquiéter du soin de leurs moutons, qu’ils laissent à la garde du Seigneur, et vont avec joie adorer le Messie.

« Les Bergers, et Bergères s’en vont chantant. »

SOPHRON et PHILÉTINE.

Dansons, chantons, faisons rage,
Puisqu’avons grâce pour pardon :
Chantons Noël de bon courage,
Car nous avons Christ en pur don.

ELPISON et CRISTILLA.

Laissons Adam, et son lignage,
Plus avec lui ne demeurons :
Quittons tous notre vieil bagage,
Chèvres, Brebis, Chiens, et Moutons ;
Chantons Noël de bon courage
Car nous avons Christ en pur don.

NÉPHALE et DOROTHÉE.

Allons voir Marie la Sage,
Avec l’Enfant de grand renom :
Dont les Anges, en doux langage,
Nous ont fait un si beau Sermon.
Chantons Noël, etc.

SOPHRON et PHILÉTINE.

Portons à leur pauvre ménage
De nos biens à grand abandon.

DOROTHÉE.

Je lui porterai mon fromage
Dans cette feisselle de jon.
Chantons Noël, etc.

CRISTILLA.

Et moi ce grand pot de laitage,
Marie le trouvera bon.

PHILÉTINE.

Je lui donnerai ma belle cage,
Où est mon petit oisillon.
Chantons Noël, etc.

ELPISON.

Ce fagot aura pour chauffage,
Il fait froid en cette saison.

NÉPHALE.

Mon flageolet pour son usage,
L’Enfant en aimera le son.
Chantons Noël, etc.

SOPHRON.

Et moi je ferai le message,
J’entends plus que vous la raison.

PHILÉTINE.

Je le baiserai au visage.

CRISTILLA.

Non, c’est bien assez au talon.
Chantons Noël, etc.

SOPHRON et PHILÉTINE.

Courrons tôt à ce saint voyage,
Plus ne faut qu’ici nous tardons,
Ne craignons nul mauvais passage,
Prenons houlette pour bourdon.
Chantons Noël, etc.

ELPISON et CRISTILLA.

Et Dieu, dans ce petit image,
Croyons, adorons, et aimons.
Faisons-lui de nos cœurs hommage,
Car certes rien nous n’y perdons.
Chantons Noël, etc.

NÉPHALE et DOROTHÉE.

Mes frères, encore bien sais-je
Que si en lui nous nous fions,
En nous sera pour héritage,
Et nous en lui toujours serons.
Chantons Noël de bon courage,
Car nous avons Christ en pur don.

En revenant d’adorer le Fils de Dieu, nos Bergers rencontrent Satan, qui sous l’apparence d’un grand Seigneur les interroge, et paraît incrédule sur tout ce qu’ils lui racontent de la naissance du Messie. Confondu de plus en plus par les discours des Bergers, le malin esprit disparaît et retourne aux enfers. Le Mystère finit par les chants des Anges qui remercient Dieu de sa bonté envers les hommes[41].

 

 

Comédie de l’Adoration des Trois Rois à Jésus-Christ[42]

 

Pour étendre ses grâces sur les Nations les plus éloignées, Dieu ordonne à Philosophie, Tribulation, et Inspiration, d’amener les trois Mages à la connaissance du Messie, qui vient de naître. Balthazar, éclairé par Philosophie, se détermine aisément à l’accompagner. Tribulation fait périr tous les parents et amis de Melchior, et par ce moyen le force à le suivre : Et Gaspard, ne pouvant résister aux conseils d’Inspiration, s’abandonne à sa conduite. Ces trois Puissances mènent de cette manière les Mages à l’intelligence Divine : elle les instruit et leur donne l’Étoile pour guide. C’est en suivant ce conducteur que les trois Rois arrivent à la Crèche, pour y adorer le Maître du monde, et lui offrir des présents.

GASPARD.

J’ai cru, j’ai vu ; mais, Dame, ta parole,
M’a confirmé tant que m’y veux tenir.
Par toi je sens que mon âme s’envole
À son Époux, sans plus vouloir tenir,
Au monde bas ; parce que retenir
Elle a bien su ta parole, et tes dits,
Pour à son Dieu pouvoir tôt parvenir,
Mort et tourment lui semblent Paradis.

Les Mages se retirent, et suivant l’avertissement des Anges, ils s’en retournent, sans passer chez Hérode.

 

 

Comédie des Innocents

 

Dieu prévoyant la cruauté d’Hérode, envoie un Ange à Joseph, lui prévoyant la cruauté d’Hérode, lui ordonne de passer en Égypte avec Marie et l’Enfant Jésus, jusqu’à la mort de ce Roi. La sainte Vierge, pénétrée de sentiments de reconnaissance envers le Seigneur, ne s’occupe qu’à lui en rendre des actions de grâces.

MARIE.

Père du Fils, dont suis l’humble servante,
Fille de toi, qui me rend très savante,
Qu’en toi y a nom de paternité :
Tu m’as fait Mère, et telle je me vante.
Que toujours suis ta volonté suivante.
Par pure grâce, en moi humanité
Ton Fils aprins, par ta bénignité,
Un corps semblable à la chair de péché,
Pour en ce corps, tuer la vanité
D’Adam, par qui le monde était taché, etc.

Joseph lui fait part des ordres du Ciel, et passe avec elle et son divin Enfant, dans un Désert aride[43].

Pendant ce temps, Hérode qui craint que le Messie, dont on lui vient d’apprendre la Naissance, ne le chasse un jour de son trône, prend l’avis des Docteurs, ordonne à ses tyrans de massacrer tous les petits Enfants de Bethléem, et des environs. Les femmes de la Contrée ignorant cet ordre barbare, se réjouissent, et témoignent la joie qu’elles ont d’être mères.

LA Ière FEMME.

Est-il plaisir à l’Arbre, que de voir
La cause et fin de sa création ?
Et à la femme est-il en son pouvoir
De n’aimer bien sa génération ?
C’est son beau fruit, sa consolation,
Pour qui tous fruits, et animaux sont faits.
Ô mon Enfant, cette dilection
Joyeusement me fait porter tous fardeaux.

LA IIe FEMME.

Il n’est ennui que la femme n’oublie,
Quand elle voit que le haut Créateur
De tel honneur l’a ainsi ennoblie,
Que l’ouvrier elle est du grand facteur,
Dedans lequel, lui de tout bien Acteur,
Forme l’Enfant à sa similitude ;
Seigneur, soyez de lui conservateur
Car de bon cœur j’en prends sollicitude.

LA IIIe FEMME.

Je dois aimer, et ne m’en puis garder,
L’os de mes os, et la chair de ma chair :
En le voyant, je me peux regarder,
Son Père aussi : c’est un trésor bien cher.
Qui te voudrait, Enfant, par mal toucher,
J’aimerais mieux la douleur endurer :
De te servir je ne me peux fâcher ;
Mais mon travail je veux faire durer.

Arrivent les quatre Tyrans d’Hérode, qui malgré les cris et les pleurs de ces tendres mères, égorgent leurs enfants avec la dernière inhumanité. Leur Capitaine vient ensuite rendre compte au Roi de cette cruelle expédition.

HÉRODE d’un air joyeux.

Je laisse à Dieu de tous les Cieux
La police, et gouvernement. J’en quitte ma part, aimant mieux
Régner en terre puissamment.
Vivre veux plus joyeusement
Que j’en ai fait au temps jadis :
En terre est mon contentement.

Ce Roi impie reçoit bientôt la peine de son crime. La Nourrice du jeune Prince son fils, vient fondant en larmes lui annoncer la mort de cet enfant, enveloppé dans le commun massacre. Hérode paraît ému d’abord, mais le désir de vengeance, et de s’assurer une couronne qui ne lui appartient pas, l’emporte bientôt dans son cœur sur la voix de la nature, et lui fait oublier sa douleur, pour se livrer tout entier à la joie.

HÉRODE.

J’ai un fils perdu,
Aussi j’ai rendu
Mort mon ennemi.
Je l’aime mieux mort,
Que voir vif et fort
Mon fils et ami.

La Nourrice indignée court en ce moment tirer le jeune Prince. Rachel paraît ensuite, déplorant la mort de ses enfants ; Dieu ordonne à ses Anges de lui amener les âmes des Martyrs, qui montant au Ciel, chantent les louanges du Très Haut.

LES ÂMES DES INNOCENTS.

Sur le Chant, Si j’aime mon Ami.
Ô doux Père de tous
Miséricords ; et doux,
Nous te rendons louanges ;
Qui nous as retirés.
Du monde, et attirés
Au rang des bénis Anges.
Chantons Noël, Noël,
Pour le salut nouvel
Qu’un chacun le rappelle :
Qu’à nous Innocents fait
Le Seigneur tout parfait
Par miséricorde.

Ce mystère peut contenir environ douze cent vers.

 

 

Comédie du Désert

 

Joseph, obéissant aux ordres du Seigneur, prend la route de l’Égypte, et traverse un Désert affreux. La sainte Vierge accablée de fatigue, et de sommeil, se met au pied d’un arbre pour y dormir avec l’Enfant Jésus. Joseph prend ce temps pour aller chercher quelque chose pour leur nourriture. Pendant son absence, Dieu ordonne à ses Anges de changer ce Désert en un lieu de délices : Contemplation, Mémoire, et Consolation descendent du Ciel en même temps, pour entretenir la sainte Vierge.

LE Ier ANGE.

Tous arbres secs, ne soyez plus stériles ;
Le Créateur, veut que soyez fertiles,
Donnant vos fruits de très bonne faveur.

LE IIe ANGE.

Apparaissez dans ce Désert sans ombre,
Vous belles fleurs, odorantes sans nombre,
Pour aujourd’hui recevoir grande faveur.

LE TIERS ANGE.

Courez ruisseaux près de la Vierge Mère,
Présentez-lui eau douce, non amère,
Honneur aurez quand de vous en prendra.

LE QUART ANGE.

Ô miel très doux de la subtile mouche,
Viens te montrer, pour consoler la bouche,
Porte du Ciel, dont chacun apprendra.

LE QUINT ANGE.

Serpents, Dragons, et bêtes venimeuses,
Éloignez-vous, et soyez gracieuses,
Sans faire mal à Mère ni Enfant.

LE VIe ANGE.

Tigres, Lions, et furieuses bêtes,
Baillez ici vos forces, et vos têtes,
Car résister contre eux Dieu vous défend.

À son réveil, Marie voit avec surprise ces changements. Au même moment, Contemplation s’approche, et lui présente un Livre, qui renferme toutes les merveilles que le Tout-puissant opère continuellement sur la terre. Mémoire lui fait voir, dans un autre, celles qu’il a opérées depuis la création de l’Univers ; et Consolation, en donnant le sien, l’avertit qu’il est propre à remplir de confiance et de reconnaissance envers le Seigneur, pour toutes ses bontés. La sainte Vierge reçoit avec joie ces Livres précieux, et les présente à Joseph, qui revient alors chargé de quelques fruits ramassés dans ce Désert. Étonné des prodiges qu’il voit, il prend de ces nouveaux fruits, et en mange avec Marie. La nuit suivante, l’Ange du Seigneur l’avertit de la mort d’Hérode, et lui ordonne de retourner en Judée. Joseph se met en devoir d’obéir, lorsque le lendemain matin, il rencontre un homme, qui lui dit qu’Archelaüs fils, et successeur d’Hérode est monté sur le trône de Judée. Prêt d’abandonner son dessein, l’Ange revient la nuit suivante, et réitérant les ordres de Dieu, oblige Joseph à prendre le chemin de sa patrie.

 

 

Mystère de l’Assomption

 

« S’enfuit l’Assomption de la glorieuse Vierge Marie, à XXXVIII Personnages, dont les noms s’enfuient ci-après[44]... Ci finit le Trépas et Assomption de la glorieuse Vierge Marie par Personnages, imprimé nouvellement à Paris, en la rue Neuve N. D. à l’Écu de France.

Dieu, en exauçant les prières de la sainte Vierge, envoie Gabriel, lui annoncer que le temps de son couronnement s’approche. L’Ange lui apporte en même temps un Rameau de Palme, qui doit être porté à sa sépulture. Après son départ, la sainte Vierge se sent incommodée et se met au lit ; pendant que ses Vierges pleurent cette triste séparation, Dieu ordonne à ses Anges de transporter les Apôtres à la maison de sa mère : elle les prie de se mettre en prières, de réciter le Psautier, et de préparer un Cierge.

« Pause pour aller dîner. »

Lucifer, instruit de tout ceci, et sachant à quel degré de gloire, et de puissance la Vierge Marie va être élevée, fait de ridicules efforts pour y mettre obstacle, et dépêche Satan avec un plein pouvoir, en forme de procuration, écrite par Tithinilus Notaire et Greffier Infernal[45].

« Pause : Orgues : doit venir Jésus en l’Hôtel de Marie ; flambées sans cesser. »

Au son des instruments, et environné de flammes brillantes, Jésus vient trouver sa Mère. Saint Pierre ordonne aux assistants de prendre un cierge allumé ; et saint Michel terrasse Satan.

MICHEL.

Faux Satan, si tu ne te rends,
Je te ferai une escarmouche.
...
Tu es bien présomptueux, Diable.

Jésus monte au Ciel avec l’âme de la sainte Vierge, au milieu des acclamations des Anges, après avoir ordonné aux Apôtres d’ensevelir son corps, à la Vallée de Josaphat, en les assurant qu’il viendra bientôt les consoler. Ils obéissent, et obligent saint Jean à porter la Palme, saint Pierre, saint Paul, saint Matthieu, et saint Simon portent le Bienheureux Corps, et les autres Apôtres l’accompagnent, en chantant le Psaume In exitu.

Une troupe de Juifs infidèles, s’avance pour troubler cette auguste cérémonie : Isachar leur chef, perd l’usage de ses mains sacrilèges, qu’il a osé témérairement poser sur le cercueil ; il reconnaît aussitôt son crime, et reçoit le Baptême, en même temps que la guérison : Ses camarades privés de la lumière du jour, au lieu d’implorer la grâce du Seigneur, se désolent, ne croyant avoir d’autre ressource que de demander l’aumône, ainsi que les pauvres aveugles, et délibèrent entre eux.

JACOB.

Nous sommes droitement en point
De jouer à la cline muche.

JOSEPH.

Hélas, il faut bien nécessaire
Que l’un sache jouer de la guitare
On en a en mainte taverne,
Maint gobet, et maint bon lopin.

JACOB.

Il n’est vie que de coquin.

RUBEN.

Sais-tu point cette chansonnette
Et Dieu te donne bonjour, Jenette ?
Du temps de Balasan paroles ?

JOSEPH.

J’ai vu que j’en tenais écoles,
Mais j’ai piécà tout oublié.

Ces quatre Juifs se heurtent, et ensuite se battent : Isachar survient, qui les sépare, il convertit Lévi et Jacob. Ruben et Joseph persistent dans leur aveuglement, et se poignardent par l’inspiration du malin esprit.

« Orgues : et doivent porter le corps au monument. »

Au bout de quelque temps, Jésus vient y trouver les Apôtres, leur demande leur avis, sur ce qu’il doit faire touchant le corps de la sainte Vierge. Ils lui conseillent de le réunir à son âme, dans le séjour de gloire. Jésus l’ordonne à S. Michel.

« Orgues : et se doit montrer Marie jusqu’à la poitrine. »

Les Apôtres ne trouvant plus ce saint Corps, demeurent persuadés de l’Assomption de Marie ; l’incrédule Thomas, est le seul qui en doute : Pour le convaincre, la sainte Vierge du haut des Cieux, lui jette sa ceinture.

« Et doit choir la ceinture de la Vierge Marie. »

Le Mystère finit par les acclamations des Anges, et des Prophètes, et le couronnement de Marie.

DIEU.

Fille, ceux qui te requerront
De bon cœur en nécessité,
Leurs peticions obtenrons
Sans nulle contrariété ;
Et enfin en félicité,
Après ce monde variable ;
Te verront en sublimité,
Régner en gloire perdurable.

 

« Orgues : Prologues de fin. »

 

Fin du Catalogue des Mystères.

 

 

CATALOGUE CHRONOLOGIQUE, ET EXTRAITS DES MORALITÉS

Depuis leur origine, jusqu’en 1548, qu’elles furent supprimées.

 

Le mépris général que l’on eut pour tous les Poèmes Dramatiques qui parurent avant le règne d’Henri II, occasionné par l’Arrêt du Parlement du 17 Novembre 1548, qui les avait supprimés, les fit tomber dans un tel oubli, qu’au bout de trente ans, ils étaient si peu connus, que les termes de Mystère, et de Moralité devinrent synonymes. Du Verdier Vauprivaz, et la Croix du Maine[46] ont pris si souvent le change, qu’il est aisé de reconnaître leur entière ignorance sur cet article. Faute d’avoir approfondi la matière, cette erreur a continué jusqu’à présent : et presque tous ceux qui en ont voulu parler, ne l’ont fait que superficiellement, sans pouvoir néanmoins éviter le défaut que nous reprochons à ces deux Auteurs. Nous ne sommes point étonnés de trouver ces mêmes fautes multipliées dans des Catalogues copiés d’après eux ; et ce serait abuser de la patience du Lecteur, que de vouloir relever tous ceux qui peuvent les avoir commises : le savant Commentateur de Rabelais servira ici d’exemple. Quelque connaissance qu’il ait eue des anciens Auteurs français, il lui est arrivé de prendre le Mystère de la Passion[47] pour une Moralité. Il qualifie de ce terme le crucifiement de Jésus, dont il fait une pièce séparée[48], qui n’est cependant qu’une action de la quatrième Journée de ce Poème : et ce qui paraîtra encore plus étonnant, c’est qu’il nous donne le titre d’une Pièce imaginaire[49] et de l’invention de l’Auteur qu’il commente par celui d’une Moralité représentée en public. Le Lecteur judicieux sentira aisément combien ces fautes sont grossières, et qu’il est aussi ridicule de confondre les Mystères, les Moralités, avec les farces, ou les Farces, que de ne savoir pas distinguer une Tragédie, d’une Comédie, ou d’une Pastorale.

En joignant à la fin de l’Histoire de chacune des sociétés qui formèrent le commencement du Théâtre français, l’Extrait d’une des pièces qu’elle représentait plus communément, nous croyons avoir mis le public en état d’éviter une pareille erreur. C’est cette raison qui nous a déterminé à donner dans le Volume précédent l’Extrait du Bien-Avisé et Mal-Avisé : comme cette Moralité est des plus anciennes et qu’elle caractérise parfaitement ce genre Dramatique dont elle est, pour ainsi dire, le modèle[50], nous l’avons préférée aux autres.

Il faut cependant remarquer que les Moralités se peuvent diviser en deux classes différentes. Les unes purement morales, où l’on personnifie les vices, les vertus, les passions, et les accidents de la vie humaine. Les autres ressemblent, à la vérité, plus aux Mystères, mais elles conservent néanmoins leur caractère essentiel, qui est d’instruire, et d’exciter à des actions louables, et méritoires.

 

 

Les Vigiles des Morts

 

« Les Vigiles des Morts par personnages, à savoir, »

« CREATOR OMNIUM,

« VIR FORTISSIMUS,

« HOMO NATUS DE MULIERE.

« PAUCITAS DIERUM.

Imprimées à Paris in-folio par Jean Janot sans date. Bibliothèque française, de Du Verdier, p. 727.

Je m’esbai », ajoute cet Auteur, « comme il nomme les personnages » en latin, vu qu’il les fait parler en français, mais possible était-ce trouvé beau de ce temps-là[51].

 

 

Mystère du Bien-Avisé et Mal-Avisé

 

Cette Moralité dont on peut voir l’Extrait Tome II, page 94 et suivantes, est imprimée in-folio, et contient cinquante-cinq feuillets, ou cent dix pages, à deux colonnes : environ huit mille vers[52]. À la fin de l’Ouvrage on lit ce qui suit :

« Ci finit le Mystère du Bien-Avisé, et Mal-Avisé, imprimé à Paris par Pierre le Caron, pour Anthoine Verard, Libraire, demeurant à Paris sur le Pont Notre-Dame à l’image Saint Jean l’Évangéliste, ou au Palais au premier pilier devant la Chapelle où l’on chante la Messe de Messeigneurs les Présidents. »

L’Exemplaire qui nous en a été communiqué à la Bibliothèque du Roi, est sur vélin, et enrichi de quelques miniatures. Cette Moralité est fort rare, et la plus passable de ce genre. Le sujet des Moralités de l’Homme pécheur, de l’Homme produit par Nature, et de l’Homme juste, et de l’Homme mondain, n’est copié que d’après celui-ci.

 

 

Moralité de l’Homme pécheur

 

« L’Homme pécheur par personnages, joué en la Ville de Tours[53]. C’est à savoir la Terre et le Limon qui engendrent l’Adolescent, et est à soixante-quatre personnages, dont les noms s’ensuivent.

LE LIMON DE LA TERRE commence

LA TERRE

L’ADOLESCENT

LE MONDE

FOI

ESPÉRANCE

CHARITÉ

DIEU

LES ANGES

SAPLIENCE DIVINE

MICHEL

GABRIEL

RAPHAËL

LE BON ANGE

RAISON

FRANC-ARBITRE habillé en Roger-Bon-tems

CONSCIENCE

ENTENDEMENT habillé en Légiste

LUCIFER

SATAN

DÉMON

BELPHEMOT

LE DIABLE

PÉCHÉ

SENSUALITÉ

DÉSESPÉRANCE de Pardon

HONTE

CRAINTE de dire ses péchés

ESPÉRANCE de Longue vie

ORGUEIL

AVARICE

LUXURE

ENVIE

GLOUTONNIE

IRE

PARESSE

L’HOMME PÉCHANT

COMPASSION

LE PÉCHEUR

CONCUPISCENCE

FINETTE

CONTRITION

SATISFACTION

CONFESSION

MISÉRICORDE

LE PRÊTRE

PÉNITENCE

HUMILITÉ

LARGESSE

CHASTETÉ

CHARITÉ

ABSTINENCE

PATIENCE

DILIGENCE

PERSEVERANCE

AULMOSNE

ORAISON

JEUNE

AFFLICTION

MALADIE

LA MORT

ESPÉRANCE de longue vie

HONTE de dire ses péchés

Le fonds du sujet de cette Moralité, et comme on le vient de dire, le même que celui du Bien-Avisé, et Mal-Avisé. Ici le Limon de la Terre, et la Terre forment un Adolescent, qui passe successivement par tous les états de la vie, et suit, sans discernement les vertus et les vices mentionnés dans le Catalogue des personnages. Cet homme meurt enfin contrit, et fort bien confessé. Les Diables qui s’attendaient à enlever son âme, crèvent de rage, et la Moralité finit par la tempête qu’ils excitent aux Enfers, pour tâcher de se consoler.

« Adonc les Diables feront grands tonnerres, et tourmenteront lesdits vices, à savoir, Orgueil, Luxure, Envie, Ire, Paresse, etc. »

Lorsque la Pièce est achevée, l’Acteur qui est chargé de réciter le Prologue, s’avance vers les Spectateurs, et les exhorte à recueillir avec soin le fruit de cette Morale.

Le Prologue final.
Nous prierons la Trinité haute
Qu’un chacun pécheur puisse faire
Pénitence, qui sans défaut
Soit poursuite à cet exemplaire.
Seigneurs, ne vous veuille déplaire,
Si faute de faire, ou de dire,
Avez aperçu, mais vous plaise,
Les supporter, sans rien me dire.
Faire ne voudrions, ne déduire
Chose qui ne fût à l’honneur
Et louange, sans contredire,
De Jésus-Christ Notre Seigneur,
Et d’un chacun pauvre pécheur,
Son instruction salutaire :
Extirpant péché, et erreur,
En charité très volontaire.
Et s’il vous plaît les fautes taire
Du départir sommes émeus,
Allons, de par Dieu, nous retirer,
Chantant, Te Deum laudamus.

 

 

Moralité de l’Homme produit par Nature

 

« Moralité de l’Homme produit par Nature au monde, qui demande le chemin de Paradis, et y va par neuf Journées.

« La première est de Nature à Péché.

« La seconde, de Péché à Pénitence, passant par Libéral-Arbitre.

« La troisième, de Pénitence aux Divins Commandements.

« La quatrième, des Commandements aux Conseils.

« La cinquième, des Conseils aux Vertus.

« La sixième, des Vertus aux Sept Dons du Saint-Esprit.

« La Septième, des Dons aux Béatitudes.

« La huitième, des Béatitudes aux fruits dudit Saint-Esprit.

« La neuvième, des Fruits au Jugement et Paradis.

« Imprimé à Paris in-octavo par Simon Vostre. » Bibliothèque Française de Du Verdier Vauprivaz, page 586.

Pour suppléer à la négligence ordinaire des Imprimeurs du temps, qui ne dataient presque jamais l’année de l’Impression, nous avertissons le Lecteur, que Simon Vostre vivait vers l’an 1492. Au reste, les Extraits du Bien-Avisé et Mal-Avisé, de l’Homme Pécheur, et ci-dessous de l’Homme juste et l’Homme mondain, peuvent aisément tenir lieu de celui-ci, que nous ne pouvons donner, n’en ayant pas découvert d’Exemplaire.

 

 

Moralité du Mauvais Riche et du Ladre

 

« Moralité nouvelle du Mauvais Riche, et du Ladre[54], à douze personnages » sans date, et nom d’Imprimeur.

C’est un in-seize contenant trente-deux pages, et environ huit cents Vers.

À Son réveil, Trotemenu va trouver le Mauvais Riche, son Maître, qui lui ordonne de faire apprêter le dîner. Ce Valet obéit, et revient mettre le couvert un moment après.

LE MAUVAIS RICHE à sa femme.

Dame, venez à ce bassin,

Vos mains laver sans retarder,

Afin que nous ayons dîner.

Délivrez-vous apparemment,

Car la viande nous attend,

Ainsi que Trotemenu dit.

Pendant le repas, on entend le Ladre, qui sonnant de sa cliquette[55] demande l’aumône. Qu’on me chasse ce coquin, dit alors le Mauvais Riche,

LE RICHE.

Trotemenu, mon bel ami,
N’as-tu pas ouï ce truand,
Que je t’avais dit ci-devant
Que de ma porte tu chassasses,
Et que les Chiens tu lui harasses ?
Vas-le-moi chasser vitement.

Le Valet exécute cet ordre, mais les chiens moins cruels que leur Maître, viennent caresser le pauvre Ladre, Le Riche plus irrité que jamais, commande à Trotemenu de faire sortir ce malheureux, à coups de bâton.

TROTEMENU au Ladre, en le frappant.

Or ça, truand, passez arrière,
Très fort vilain, méseau pourri[56]
Que de Dieu, soyez-vous puni,
Tant me faites avoir de peine,

Le Ladre accablé de maux, et de misère, prie le Seigneur de l’en délivrer. Raphaël vient chercher son âme, et Satan s’avance d’un autre côté ; pour lui en disputer la possession.

SATAN.

Haro ! que je suis espéré !
Ce Méseau nous échappera ;
Je vois Raphaël par de-là,
Qui a déjà son âme saisie.
Rahouart, allons, je te prie,
Allons à lui, sans arrêter,
Savoir si nous pourrons ôter ;
Si l’amenons à la chaudière,
Où il n’a clarté, ni lumière,
Et nous avançons, je t’en prie.

RAHOUART.

Bien avons perdu ce truand,
Satan, par trop longue demeure,
Et de ce que ne savions l’heure.

Pour réparer cette perte, ces deux Démon vont à la porte du Mauvais Riche, qu’une maladie mortelle saisit subitement. C’est ce Ladre, dit la femme, qui a causé cette révolution à la santé de mon mari.

LA FEMME.

Mais, mon Seigneur, trop le heyait
Pour ce que toujours revenait
Céans à l’heure de dîner :
Ses cliquettes faisait sonner,
Dont Monseigneur s’est courroucé.

Satan, et Rahouart arrivés chez le Mauvais Riche, attendent avec une extrême impatience, le moment de son trépas : il expire enfin, laissant son Épouse dans une grande affliction.

LA FEMME.

Lasse ! dolente, que ferai,
Puisque j’ai mon Seigneur perdu ?
Trop mal il m’en est advenu,
Car il n’aimait de bonne amour.

Prends garde que cette âme ne s’échappe, dit Satan à son camarade.

RAHOUART.

Satan, point ne t’en faut douter,
Ne vois-tu pas que je la tiens ?

Après avoir lié cette âme bien étroitement dans une hotte, ces deux Esprits malins l’apportent à Lucifer qui lui fait endurer les tourments dus à son crime.

 

 

La Diablerie[57]

 

« Le Livre de la Diablerie de Maître Eloy d’Amernal[58] qui traite comment Satan fait démonstration à Lucifer de tous les maux que les mondains font selon leurs états, vacations, et métiers : et comment il les tire à damnation, Paris, Michel le Noir » Privilège du 29 Janvier 1507, in-folio Gothique[59].

Ce poème a été composé vers l’an 1500. Nous ne pouvons pas assurer qu’il ait été représenté sur aucun Théâtre, néanmoins comme il a été composé dans cette intention, et que d’habiles gens[60] l’ont mis au nombre des Poèmes Dramatiques, nous avons cru devoir en donner une légère idée.

La Scène se passe entre deux Acteurs seulement : Lucifer[61] et Satan, qui rend compte au premier de tout ce qu’il a fait, depuis la création d’Adam pour tâcher de l’entraîner, avec sa postérité, au plus profond des Enfers. Voici, ajoute-t-il, par quelle ruse je le fis tomber dans mes pièges. Ce fut par le moyen de sa femme Ève.

SATAN.

Je pris la forme d’un Serpent,
Et la tentai, s’on ne te pend,
À telles enseignes, que la folle
Ajouta foi à ma parole,
Et présenta à son mari
Le fruit dont il fut puis marié,
Quant il connut son grand trépas.

Pour réparer, continue Satan, la perte que la venue du Messie nous a causée, j’inventai l’idolâtrie, l’usure, la mauvaise foi, et les sept péchés mortels. C’est moi, par exemple, qui conduis les Sorciers et Sorcières au Sabbat sur des manches à balai. Comme Lucifer fait quelques questions, auxquelles Satan ne veut pas répondre, ce dernier s’excuse ainsi :

SATAN.

Qui des faits de Dieu trop avant
S’enquiert, il est bien savant.
Chaton aussi Docteur de bien,
À son enfant le défend bien :
Si fait l’Apôtre ad Romanes.

Ce n’est pas tout, continue-t-il, j’ai si bien obsédé l’esprit de certaines femmes, qu’elles croiraient avoir offensé Dieu mortellement, si elles travaillaient le Samedi après midi.

SATAN.

Je leur boute en l’entendement
Que si elles faisaient autrement
Ce jour-là, il leur mécherait.

LUCIFER.

Voilà de bons propos pour rire.
Est-il de telles folles au monde.

SATAN.

J’en connais par tout à la ronde.

Mais retirons-nous, dit Lucifer, de crainte qu’on ne nous écoute.

LUCIFER.

Satan, s’ils t’écoutaient bien,
Ce serait peut-être leur bien ?
Car tu dis ici des mots plusieurs
Bons pour eux, et pour tous pécheurs.
Mais il n’appartient point aux Diables
De raconter si bons notables[62].

 

 

Moralité des Blasphémateurs

 

« Le Mystère des Blasphémateurs du Nom de Dieu, par Personnages. » Sans date, nom d’Imprimeur, ni du lieu de l’impression. Du Verdier Vauprivaz, Bibliothèque Française, page 139.

Nous ne connaissons cette Moralité que par le passage ci-dessus ; il y a cependant apparence que la grossièreté du siècle où elle fut composée fut cause que le péché énorme qu’on y reprend ne devint que trop commun. On sait que les rigoureuses, et en même temps les justes ordonnances des Rois Philippe Auguste et S. Louis, et les excommunications du Clergé de France ne purent cependant arrêter ces excès sacrilèges. On crut apparemment qu’une représentation vivante pourrait faire plus d’impression. Nous joindrons, à propos de ces excommunications, et du peu de cas que les Libertins du siècle passé en faisaient, un passage du Seigneur de Joinville. « Je vis, dit cet Auteur, une Journée que tous les Prélats de France se trouvèrent à Paris, pour parler au bon saint Louis, et lui faire une Requête, et quand il le sut, il se rendit au Palais, pour là les ouïr de ce qu’ils voulaient dire. Et quand tous furent assemblés, ce fut l’Évêque Gui d’Auxerre, qui fut fils de Monseigneur Guillaume de Mello, qui commença à dire au Roi, par le Clergé, et commun assentiment de tous les autres Prélats : Sire, sachez que tous ces Prélats qui sont ici en votre présence, me font dire que vous laissez perdre toute Chrétienté, et qu’elle se perd entre vos mains. À doncques le bon Roi se signe de la Croix, et dit, Évêques, or me dites comment il se fait, et par quelle raison ? Sire, fit l’Évêque, c’est qu’on ne tient plus de comptes des excommuniches, car aujourd’hui un homme aimerait mieux mourir excommunié, que de se faire absoudre, et ne rend nulle satisfaction à l’Église, etc. »

 

 

Moralité de Mundus, Caro, Demonia

 

« Moralité nouvelle de Mundus, Caro, Demonía, en laquelle verrez les durs assauts, et tentations qu’ils font au Chevalier Chrétien et comme par conseil de son bon esprit, avec la grâce de Dieu les vaincra, et à la fin aura le Royaume de Paradis ; et est à cinq Personnages ; c’est à savoir[63]. »

« LE CHEVALIER CHRÉTIEN

« LA CHAIR

« L’ESPRIT

« LE MONDE

« ET LE DIABLE

Le Chevalier Chrétien, assisté de son bon esprit, prie Dieu de lui pardonner les péchés infinis dont il se sent coupable. Le Diable, le Monde, et la Chair s’approchent pour le tenter. Le premier, surtout, qui a intérêt de se cacher, ne l’aborde que sous un nom inconnu.

DIABLE qui s’appelle Démon.

Si on vous demande qui je suis,
Et de quel pays que je suis,
D’où j’ai si fort grand revenu ?
Car du tout je ne suis pas tenu De dire tout soudain mon nom :
Toutefois je suis Démon.

La Chair et le Monde s’avancent avec confiance, et lui conseillent de se bien réjouir. Saint Paul m’apprend, répond le Chevalier, que si je suivais vos conseils, je perdrais l’espoir du Paradis. On peut concilier toutes choses, dit la Chair. Il ne faut, ajoute le Monde, songer à tes plaisirs, que lorsque tu auras rempli tes devoirs envers Dieu. L’Esprit accourt au secours du Chevalier et lui fait voir la fausseté de ces raisonnements.

LE CHEVALIER au Monde.

Ne me hantes donc plus, trompeur,
Car l’Écriture me fait peur.

L’ESPRIT.

Partant, défends-toi de ce Monde,
Par la parole simple et ronde
De la pure sainte Écriture.

LE CHEVALIER au Monde.

Ce n’est pas chose à l’aventure.

Comme le Diable entend que l’Esprit rapporte fréquemment des passages de l’ancien et du nouveau Testament pour confondre le Monde et la Chair ; il allègue en leur faveur celui de la Genèse, où Dieu institua et bénit le Mariage. Tu dis vrai, réplique l’Esprit, mais il faut observer que la Loi de Dieu ne soit pas blessée. Voyez, continue-t-il, en s’adressant au Chevalier, les ruses de votre ennemi.

LE CHEVALIER.

Il expose à son avantage,
Comme sont plusieurs hérétiques,
Adultères, et Hypocrites,
Lesquels extorquent l’Écriture
Pour avoir plus grande pâture ;
Ô le danger !

L’ESPRIT.

Ô la tempête !

LE CHEVALIER.

C’est pour manger.

L’ESPRIT.

La pauvre bête !

Cependant le Démon et ses deux camarades effrayent le Chevalier Chrétien par leurs tentations réitérées. Il s’en plaint à l’Esprit qui le console, et représente qu’il faut souffrir pour mériter.

L’ESPRIT.

Veux-tu avoir premièrement
La couronne, que batailler ?

La Chair lui cause plus de peines que les autres, et proteste de mourir plutôt que d’être séparée du monde. Que je suis malheureux ! s’écrie le Chevalier.

L’ESPRIT.

Il est vrai, tu n’as ennemi
Lequel te fasse plus d’ennui
Comme la chair.

LE CHEVALIER.

C’est un grand cas.

L’ESPRIT.

Et te suit toujours pas à pas,
Et boit et mange avec toi,
Et couche aussi.

LE CHEVALIER.

Ô quelle loi !

C’est pour cette raison, ajoute l’Esprit, qu’il faut que tu la domptes.

LA CHAIR pleurant.

Ce sont ici de dures devises ;
Bien vois qu’il faut que je me rende.

LE MONDE au Chevalier en s’en allant.

Je prendrai donc une autre bande ;
Vous êtes pour moi trop rusé.

Songes plutôt à te convertir, répond le Chevalier. J’aimerais mieux me pendre, réplique le Monde. Laisse-le, dit l’Esprit ; mais comme tu ne peux quitter la Chair, pense uniquement à la réprimer, à la mortifier sans cesse, et lui refuser tout ce qu’elle te demandera.

LE CHEVALIER.

Allons-nous-en donc besogner,
De par Dieu, puisqu’il le commande.

L’ESPRIT.

Allons-nous-en donc besogner :
Nos ennemis sont effondrés ;
Dieu nous veuille garder d’esclandres.

LE CHEVALIER.

Allons-nous-en donc besogner
De par Dieu, puisqu’il le commande.

À l’Assemblée.

Et jusqu’à tant qu’on nous mande,
Ici ou en un autre lieu[64],
Nous vous dirons, à tous, à Dieu,
Qui doint à Messieurs bonne vie,
Et à toute la Compagnie.

 

 

Moralité de l’Homme Juste et de l’Homme Mondain

 

C’est un in-Quarto contenant 454 pages, et environ 36 mille vers, ou lignes de prose, à la fin duquel on lit ce qui suit[65].

« Ci finit ce présent Livre intitulé l’Homme Juste, et l’Homme Mondain, avec le Jugement de l’Âme dévote, et exécution de sa Sentence imprimée à Paris le XIXe jour de Juillet mil cinq cens et huit, pour Anthoine Verard, Marchand Libraire, demeurant audit Paris, devant la rue Neuve Notre Dame, à l’enseigne S. Jean l’Évangéliste. »

La Terre produit deux enfants, qu’elle conduit à Fortune, et au Monde, pour en prendre soin. Ces deux-ci, après leur avoir donné un vêtement, les mènent à l’Église, qui les fait baptiser, par son fils Baptême, et les remet entre les bras d’Innocence, et de ses deux filles Enfance et Adolescence. Les quatre Enfants jouent ensemble jusqu’au moment que Connaissance les vient séparer. Ceci ne se passe pas sans faire verser une abondance de larmes aux uns et aux autres.

Ensuite Dieu, prié par sa Bonté et sa Justice[66], ordonne à deux Anges de veiller sur la conduite des Adolescents et pour leur faciliter le chemin qui doit les conduire à salvation, il envoie en même temps toutes les Vertus sur la Terre. Mais Lucifer, qui ne respire que leur damnation, fait sortir promptement tous les vices des Enfers.

Ces deux Hommes prennent des routes bien différentes, le Juste suivant les conseils de Connaissance, et de Raison, suit le chemin du Salut : et le Mondain, ne voulant pas les écouter, se laisse entraîner par les vices. Quelquefois les Vertus s’approchent pour lui représenter son égarement, mais ce misérable, craignant qu’on l’arrache aux plaisirs trompeurs qu’on lui promet de l’autre côté, prie instamment les vices de le délivrer des discours importuns des Vertus. Les Vices obéissent avec plaisir, et repoussent leurs Adversaires d’une manière outrageante. Au bout de quelque temps, s’étant bien assuré de l’Esprit de l’Homme mondain, ils veulent essayer de corrompre le Juste, qui déjà ébranlé, et incertain sur le parti qu’il doit prendre, s’écrie, fondant en larmes, et accablé de douleur.

L’HOMME JUSTE.

Hélas ! et comment dois-je faire ?
Moi pauvre et méchant malheureux !
Je suis d’ennui tant douloureux,
Et de folie tant langoureux,
Que je ressemble à un pauvre homme ivre.

Comme les Vertus s’avancent à son secours, il les supplie de chasser ces Vices, aux attraits séducteurs desquels il craint de ne pouvoir résister. Les Vertus connaissant sa faiblesse, frappent aussitôt sur les Vices, et les font retirer honteusement.

Les Vices prennent la fuite, et vont retrouver l’Homme Mondain qui, excité par folle Plaisanterie et Prodigalité, s’abandonne à leurs conseils. Ce misérable, aveuglé par Ignorance et la Chair, commence par s’enivrer avec Gloutonnerie. Perdition profite de ce temps pour l’engager à passer la nuit avec Luxure. Le lendemain Paresse, pour l’empêcher de quitter la compagnie de cette impudique, lui fait apporter par Satan un bon déjeuner apprêté par les mains de Gloutonnie. L’après dînée, Folle-Plaisance et Prodigalité, lui cherchant de nouveaux plaisirs, font présenter des cartes. Tromperie s’offre pour jouer, gagne tout l’argent que Prodigalité fournit au Mondain. Privé de ce secours, ce dernier joue sa robe, avec le même malheur, et alors, devenant furieux, Colère lui fait vomir mille imprécations, et Envie lui inspire la pensée de se jeter sur Tromperie, pour lui arracher l’argent qu’il vient de perdre. Comme il ne peut y réussir, il appelle Avarice, qui lui conseille, pour se rétablir, de s’adresser à Usure et Simonie. Par leur moyen, l’Homme Mondain est bientôt conduit à la roue de Fortune, et porté au lieu le plus éminent.

Alors les Vertus, prenant pitié de son état déplorable, vont le trouver pour le retirer, s’il est possible, du chemin de perdition : mais en vain, car ces Vices l’observent sans cesse, et l’empêchent d’écouter les Vertus. Celles-ci, se voyant rebutées, montent au Ciel, et se jettent aux pieds du trône du Tout-Puissant, et le supplient d’étendre sa Miséricorde sur ce pécheur endurci. Comme la Justice Divine traverse leur dessein, elles s’adressent à la sainte Vierge, et obtiennent cette grâce par son moyen. Alors Dieu ordonne à Adversité, Nécessité, et Pauvreté d’aller trouver le Mondain, et l’obliger par une misère extrême à chercher Repentance.

Lorsque le Mondain les aperçoit, il implore le secours des Vices : Ceux-ci, loin de le défendre, ne font que rire de son désespoir, et après l’avoir lié d’une grosse corde, ils l’abandonnent à ses mortelles ennemies. Le Démon, son conducteur, le lie aussi avec sa corde, et descend aussitôt aux Enfers rendre compte à son Maître du succès de ses tentations. Pour achever de perdre cette âme, Lucifer dépêche en diligence Larcin, et Infamie, qui offrent leurs talents à l’Homme Mondain, et chassent Adversité, et sa suite. Cette dernière, avec sa triste Compagnie, va trouver l’Homme Juste, qui la reçoit avec beaucoup d’humilité, et prie Patience, Diligence et Labeur, de le consoler dans son affliction.

Enfin, Larcin, Infamie et Reproche, conduisent leur proie à la Reine de Perdition, et lui déclarent tous les vols, et les actions honteuses qu’ils lui ont fait faire. Les Vices viennent aussi l’accuser de tous les péchés qu’il a commis par leurs conseils. Le Mondain, au désespoir, les accable de reproches et de malédictions ; mais eux, peu sensibles à ces discours superflus, se retirent. Il ne reste plus auprès de lui qu’Impatience, Déconfort, Désespérance et Mallesin, qui lui attachent une corde au col.

En cet état, Raison et Connaissance viennent tenter un dernier effort, et prient le Seigneur de regarder ce misérable en pitié. Comme il s’abandonne entièrement à Désespérance, Dieu commande à sa Justice de faire mourir ce Pécheur obstiné, et à Sagesse de le juger. La Justice Divine ordonne à la Mort d’exécuter l’Arrêt du Très Haut, la Mort obéit, la Terre s’empare du corps de l’Homme mondain, tandis que les Diables emportent son âme, qui entre aux Enfers en vomissant un torrent de blasphèmes.

« Adonc tous les Diables prennent l’âme de l’Homme mondain[67]. »

La Terre et la Mort vont ensuite chercher l’Homme juste, qui s’adresse d’abord à Confession, pour être absous de ses péchés. C’est dans ce moment que les Vices lui livrent de cruels assauts : mais sans s’ébranler, le Juste poursuit sa Confession, et se jette ensuite entre les bras de Bonne-fin, où, frappé par la Mort, il rend son corps à la Terre, et son bon Ange conduit son Âme au Ciel pour y recevoir son Jugement. C’est ce qui compose la seconde Partie de la Moralité.

« Et à tant finit la première Partie de ce Livre, et ensuite la seconde, qui traite du Jugement de l’Âme dévote, avec l’exécution de sa Sentence. »

L’Âme du Juste, conduite par son Ange, arrive à la porte du Ciel chargée de deux besaces, chacune desquelles renferme un Livre, l’un contenant tout le bien qu’il a fait dans le monde ; et l’autre le mal qu’il y a commis. Elle trouve Saint Pierre assis dans une Chaire, assisté de Saint Michel qui tient des balances, de la Justice Divine, et de sa Miséricorde. Le Diable vient aussi se présenter comme Accusateur.

D’abord, la Justice prend les deux Livres qui sont dans les Besaces, et les met séparément dans les deux bassins de la Balance. Malheureusement, le Livre du Mal se trouve plus pesant. L’âme gémit, et se désespère : Miséricorde la console, et va la présenter au Trône de Dieu même, dont voici la décoration.

« Miséricorde mène l’Âme dévote ayant ses Patinostres entre ses mains, en la compagnie des Saints. Et est à noter que Paradis sera fait au côté des Cieux, où sont les Juges, un peu assez loin. Et dans ledit Paradis[68] y aura la Trinité, Notre Dame, et les Saints suivant leur ordre[69] etc... à qui l’Âme fait ses Oraisons. »

Lorsque l’âme a fait sa prière à chaque Saint en particulier, Miséricorde la mène à la Vierge Marie, qui obtient sa grâce.

« Adonc Dieu baille à Notre Dame grâce de Dieu, en façon d’une Lettre scellée comme un pardon. »

Miséricorde, fort satisfaite de ses soins, ramène l’âme à saint Pierre, qui, joignant la Lettre de grâce au Livre des bonnes Œuvres, trouve que ce dernier bassin, l’emporte sur celui du mal. Il ordonne cependant qu’avant d’être reçue au Paradis, cette âme ira expier le reste de ses péchés en Purgatoire. On la conduit dans ce triste lieu, où Raison, Confort, Patience, et Espoir viennent l’y consoler. Et son bon Ange, par un même motif, lui fait parcourir toutes les parties de ce lieu souterrain, et en premier lieu l’Enfer, où il lui fait remarquer des Damnés de tous états. Les vers suivants comprennent un petit abrégé de cette demeure, et nous présentent en même temps un morceau de Poésie assez difficile, et qui est peut-être le seul endroit passable de tout le Poème.

L’ANGE.

En cette montagne et haut roc
Pendus au croc
Abbé y a, et Moine au froc,
Empereur, Roi, Duc, Comte, et Pape :
Bouteiller avecques son broc,
De joie à poc ;
Laboureur aussi à son soc,
Cardinal, Évêque à sa chape.
Nul d’eux jamais delà n’échappe,
Que ne les happe
Le Diable avec un ardent broc.
Mais ils sont en obscure trappe
Puis sort les frappe ;
Le Diable qui tous les attrape,
Avec sa râpe,
Au feu les mettant en un bloc.

Après un détail particulier[70], l’Ange fait passer l’âme dévote[71] par le Limbe des Petits Enfants. Elle paraît fort touchée de leurs pleurs. Son Conducteur la ramène ensuite au Purgatoire, où elle n’est pas plutôt entrée que l’Église arrive et apporte de la part des fidèles qui sont sur la Terre, Prière, et Oraison. Par ce moyen, l’âme délivrée de ses tourments, monte droit au séjour des Bienheureux.

 

 

Moralité de la condamnation du Banquet[72]

 

Bonne Compagnie, Je bois à vous Je pleige d’autant, Accoutumance, Souper, Passe-temps, Gourmandise, et Friandise Personnifiés ouvrent la pièce, après le Prologue, et se préparent à se bien réjouir.

BONNE COMPAGNIE.

Arrière chagrins, et maris,
Car je ne quiers que plaisants ris,
Et de tous ébats abondance.

GOURMANDISE.

Et moi le gras bœuf, et le ris,
Chapons et poules bien nourries,
Car de la panse, vient la danse.

FRIANDISE.

Bon fût, attendant le dîner
D’un petit pâté déjeuner,
Pourvu qu’il soit chaud et friand.

PASSE-TEMPS.

Viens, viens, toujours soulas mener,
Jouer, danser, chanter, tourner,
En babillant, et en criant.

JE BOIS-À-VOUS.

Cela ne vaut qu’un Neret[73]
Mais vin vermeil, et vin claret,
Pour arroser la conscience.

JE PLEIGE-D’AUTANT.

Je préfère mieux le Muscadet[74]
Quand on en verse plein godet
Je le prends bien en patience.

Toute la Troupe se met à table ; cependant « Apoplexie, Paralysie, Épilepsie, Pleurésie, Colique, Esquinancie, Hydropisie, Jaunisse, Gravelle et autres maladies, embâtonnés et habillés si étrangement, que à peine peut-on discerner si ce sont femmes ou hommes, se mettent à une fenêtre de la Salle, et font semblant d’épier les Convives. »

BONNE COMPAIGNIE.

Dansons, rions[75],
Sans nul souci,
Dansons, rions,
Douleur fuyons,
Et peine aussi :
Dansons, rions,
Sans nul souci.

JE BOIS-À-VOUS.

Gourmandise, ma gentille femme,
Je bois à vous ?

GOURMANDISE.

Soupons, soupons,
Laissez-moi en paix, par mon âme,
Je veux entendre à ces chapons.

UN ÉCUYER.

Veez-cy Capes, Lymons, popons[76]
Citrons, Carottes et Radis.

JE PLEIGE-D’AUTANT.

Gentils galants, ne soyez nices,
De verser du vin largement.

À la fin du repas, Souper vient apporter les Maladies qui attaquent les Convives.

ÉPILEPSIE.

À eux !

PLEURÉSIE.

À l’assaut, à l’assaut !

BONNE COMPAIGNIE.

Alarme ! Quels gens sont ceci ?

ESQUINANCIE.

Vous avez l’estomac trop chaud.

IDROPISIE à Gourmandise.

Et vous le ventre trop farci.

GOURMANDISE.

Or je me rends, pour Dieu merci.

SOUPER.

Tous partirez de ma maison.

PASSE TEMPS.

Haa ! l’hôte, faites-vous ainsi ?
Bien vois qu’il y a trahison.

« Après ces mots, seront de grandes manières, abattront la table, les tréteaux, vaisselle, et escabelle : et n’y aura personne des sept qui ne soit battu ; toutefois ils échapperont » comme par force. »

Banquet veut achever ce que Souper n’a pas fait.

BANQUET.

Souper est assez décevable :
Mais ne sonnez mot : toutefois,
Car je leur ferai plus grévable
Qu’il n’a été, cent mille fois.

Il ordonne aux Domestiques de préparer un grand repas, et de le suivre avec des flambeaux, pour aller chercher la Compagnie qui était chez Souper.

BANQUET à la Compagnie.

Dieu vous garde, Dame belle et gente,
Et toute la Brigade chère ;
Je vous prie, soyez diligente
De venir faire bonne chère.

BONNE COMPAGNIE.

Ha ! Banquet, il y a manière,
Car souper, à tous sa cohorte
Nous a chassés de sa tanière
À horions d’étrange sorte.

GOURMANDISE.

Sur ma foi, j’en suis presque morte.

BANQUET.

Vous avez été trop avant.

FRIANDISE.

Il m’a fallu gagner la porte.

JE BOIS-À-VOUS.

Et moi après.

PASSE-TEMPS.

Et moi devant.

Ils se remettent tous à table, et vers la fin du repas, Banquet fait venir les Maladies qui ont déjà paru ci-devant, qui après un chamaillis mettent à mort Je bois-à-vous, Friandise, Je pleige-d’autant, et Gourmandise. Bonne Compagnie s’échappe, et vient porter ses plaintes à Dame Expérience, qui appelle Sobriété, Clystère, Pilule, Saignée, et Diète et leur ordonne d’aller arrêter Banquet, et Souper. Secours le joint à la troupe. Banquet et Souper sont conduits en prison, Expérience tient conseil avec Hippocrate, Galien, Avicenne, Averrois. On interroge les accusés, qui avouent leur crime, et Remède leur lit la Sentence.

REMEDE lit.

Vu le procès de l’accusation,
Qu’on peut nommer, populaire action,
Fait de pieçà, par Bonne-Compagnie,
Car elle touche au peuple, et sa mesgnie,
Vu l’homicide accompli par envie
Des personnes, premier de Gourmandise,
Et d’autres trois, qui ont perdu la vie,
Je bois-à-vous, Je pleige, et Friandise.
Conséquemment Confession ouïe,
Qu’a fait Banquet, sans quelconque torture,
D’avoir occis, après chère esjouïe,
Les quatre Morts, qui sont en pourriture,
Et du Souper, confessant sa bature,
Qu’il perpétra, sans en rien différer.
Partant disons tout pour définitif,
Et juste droit, sans répréhension :
Que le Banquet, pour sa faute excessive,
En commettant cruelle occasion,
Sera pendu à grande confusion,
Et l’étrangler, pour punir sa malice,
Nos gens feront cette exécution :
Et le mettront à l’extrême supplice.
Quant à Souper, qui n’est pas si coupable,
Nous lui ferons plus gracieusement,
Pour ce qu’il sert de trop de mets sur table,
Il le convient restreindre aucunement :
Poignets de plomb, pesants bien largement,
Au long du bras aura sur son pourpoint,
Et du Dîner, pris ordinairement,
De six lieues il n’approchera point.

La Sentence est exécutée, et la pièce finit par des Réflexions morales en prose, qui contiennent six feuillets.

 

 

Moralité

 

« S’enfuit la Moralité[77]. »

Cette Moralité commence par une Dispute entre le Peuple Français, et le Peuple Italique. Toutes mes forces passent chez vous, dit le premier, et je suis épuisé par les guerres où vous m’engagez. J’ai bien plus lieu de me plaindre, répond le Peuple Italique ; je suis accablé, et pillé par les Français, qui aujourd’hui ne valent pas mieux que les Italiens. Il faudrait, pour faire cesser ce malheur, convertir l’Homme obstiné, qui en est le principe. On tâche inutilement de ramener cet homme ; et Punition Divine, ne peut par ses menaces lui faire entendre son devoir. Sur ces entrefaites paraît Symonie, qui vante son pouvoir chez les deux Nations. Et pour couvrir ses défauts, Hypocrisie vient lui offrir son secours. Mais Punition Divine élevant la voix, continue à faire éclater les menaces du Ciel, qui n’opèrent que médiocrement. Chaque Nation se contentant d’examiner légèrement sa conduite. Enfin l’arrivée des Démérites, achève de déshabiller les yeux. Les assistants sont forcés de se reconnaître dans les portraits qu’ils présentent, et se convertissent. Symonie et Hypocrisie promettent même de renoncer à leur honteuse profession. L’Homme obstiné[78] persiste seul dans son aveuglement : ce qui n’empêche pas qu’on ne songe aux moyens de rétablir le bon ordre ; pourquoi les Démérites proposent leur avis, et la pièce finit par ces quatre vers, qui en contiennent le but et la Moralité.

PEUPLE FRANÇAIS.

Punition Divine nous menace,
Pourquoi devons crier à Dieu merci :
Nos Démérites ont à la queue un SI.
Je vous supplie, à tous qu’on l’efface.

 

 

Moralité de l’Assomption

 

« Moralité très excellente à l’honneur de la glorieuse Assomption Notre Dame, à dix Personnages, c’est à savoir,

« LE BIEN NATUREL

« LE BIEN GRACIEUX

« LE BIEN VERTUEUX

« LE BIEN PARFAIT

« LA BIEN HUMAINE

« LES TROIS FILLES DE SYON

« LE BIEN SOUVERAIN

« LE BIEN TRIOMPHANT.

« Composée par Jan Parmentier[79], Bourgeois de la Ville de Dieppe, et jouée audit lieu le jour du Puy de ladite Assomption, l’an de grâce mil cinq cens vingt et sept. Maître Robert le Bouc, Baillif de ladite Ville, Prince du Puy, et Maître de ladite Fête, pour la troisième année[80], imprimée à Paris en la rue de Sorbonne le septième jour de Janvier MDXXXI. » Bibliothèque du Roi.

Le Bien Gracieux vient offrir ses services à la Bien Parfaite, et la loue de son bonheur. La Bien Parfaite reçoit ces compliments avec modestie.

LA BIEN PARFAITE.

Monsieur, Monsieur, on voit bien comme
Vous êtes le Bien Gracieux :
Car ainsi vous plaît à parler.

LE BIEN GRACIEUX.

Demandez au Bien Vertueux.

Je vous assure, Madame, répond Bien Vertueux, que mon Camarade, ne dit en cela que la vérité.

LA BIEN PARFAITE.

Bien vous vous savez recoller.
Que pour Dames hautes extoller,
On les fait de joie voler,
En louant leur beauté faconde.

Aussi accomplie que vous l’êtes, continue le Bien Gracieux, il est impossible que vous n’aimiez point. Oui, j’aime, répond-elle, et d’un feu violent. Mon Amant, continue-t-elle, est le plus parfait, le plus puissant d’entre milliers de milliers. En un mot, c’est le bien Souverain. J’ai une pleine connaissance de ce que vous me dites, réplique le Bien Gracieux, puisque je suis son Secrétaire. Je n’ai point encore perdu l’idée de cet heureux jour qu’il envoya le Seigneur Gabriel vous prier de lui accorder votre amitié. Vous accompagniez, ce me semble, cet aimable Messager, répond la Bien Parfaite. Il est vrai, répond le Bien Gracieux ; mais, continue-t-il, vous souvenez-vous que votre Amant vous fit éprouver trois jours d’absence ? Je n’ai pas oublié, dit la Bien Humaine, le bon tour qu’il fit à vos Noces. Oh ! que le vin qu’il nous donna était délicieux, reprend le Bien Naturel.

LE BIEN NATUREL.

Ce n’était point un gros vin Bourguignon,
J’y avais mis un bon vin naturel.
Mais celui-là fut supranaturel,
Le plus parfait que jamais goûta bouche :
Que plût à Dieu que j’en tinsse une touche !
Il m’est avis que je ferais heureux.

Sur ces entrefaites, le Bien Souverain après avoir demandé au Bien Triomphant, s’il doit épouser la Bien Parfaite, lui ordonne de l’aller chercher dans son Char. Bien Triomphant exécute cet ordre, et fait une harangue à l’Épousée. Les Joueurs sonnent pendant sa marche, et elle arrive enfin chez le Bien Souverain qui l’embrasse, et la couronne Reine du Ciel.

LE BIEN TRIOMPHANT.

Nous conclurons que la Vierge Marie,
Mère de Dieu, qui jamais ne varie,
Par bien aimer, et vertueusement,
Est parvenue à haute Seigneurie
Couronnée de Royale Armairie,
En triomphant perpétuellement
Vélà de quoi, donc curieusement
Tous bien unis, sans aucune discorde,
Présentez-lui vos cœurs dévotement,
Prenant en gré le simple ébattement,
Fait par l’Amant qui voudrait loyalement
Vous aimer tous bien unis en concorde :
Voilà de quoi.

 

 

Moralité de l’Enfant Prodigue[81]

 

« L’Enfant Prodigue par Personnages[82] translatée de Latin en Français, selon le texte de l’Évangile[83].

Le Rustre et l’Enfant Gâté ouvrent la Scène, par le conseil qu’ils tiennent sur les moyens de gagner leur vie : La conclusion de leur discours est que possédant plusieurs talents, ils doivent s’attacher à celui qui peut les entretenir doucement, sans craindre les recherches de la Justice. D’un autre côté, le Père de famille uniquement occupé du chagrin que lui cause le cadet de ses fils, ne peut goûter tranquillement la satisfaction qu’il reçoit de l’aîné : et prie Dieu d’avoir pitié de ce libertin, et de le préserver de mauvaise rencontre.

LE PÈRE.

S’il ne s’amende, sûrement,
Il sera cause de ma mort.
Prince du Ciel, veuillez permettre
Mon fils venir à meilleur port ;
Car si toujours est en tel être,
Il sera cause de ma mort.
Ô quel réconfort !
Quel mauvais rapport
J’ai de lui, j’en suis
Navré si très fort,
Et par tel effort,
Que plus je n’en puis,
Ô combien d’ennuis,
Par jour et par nuits
Prend un pauvre Père,
Pour ses mauvais fils,
En péchez confits.
Ô douleur amère !
Ô fière misère !
Je crois si la mère,
N’eût point enfanté
Enfant qui s’ingère
À tout vitupère,
Que bon eût été,

Pendant ce temps-là, le Prodigue conduit par le Rustre, et l’enfant gâté, va dans une maison de débauche, où il dépense bientôt le peu d’argent qu’il a sur lui. Il court à la maison paternelle, d’où il rapporte quelque argenterie, et de la vaisselle d’étain qu’il vient de dérober. Son retour surprend la Compagnie, qui ne comptait plus le revoir. Cependant le Père apprenant le vol de son fils, redouble ses soupirs. Oubliez cet ingrat, lui dit son fils aîné.

LE PÈRE.

Certes, mon fils, je n’en puis mais,
Car c’est ma génération :
Votre mère, dont Dieu ait l’âme,
Ce me semble était prude femme ;
Bien sais que tous deux êtes miens.

LE FRÈRE.

Père, vous êtes abusé,
D’aimer si fort le Hoqueleur[84]
Qui vous a du tout déprisé,
Et fait au cœur tant de douleur.

De son côté, le Prodigue plus amoureux que jamais, joue avec deux Filles : ceux-ci s’entendent avec la Gorrière, et sa Compagne, qui sous prétexte de le conseiller lui font perdre tout son argent. Il reste une dernière ressource au Prodigue, il va à son Père, et lui demande sa légitime. Le Vieillard la lui remet en pleurant ; et ce misérable ne s’en voit pas plutôt en possession, qui revient la dissiper de la même manière. Le lendemain matin, n’ayant plus d’argent, la Maîtresse du lieu, et les deux filles le dépouillent pour leur payement.

LA GORRIÈRE le chassant.

Allez vilain.

FIN-CŒUR-DOUX.

Allez, Maraud,
Venez-vous chercher les Gorrières[85]
Faire banquets et bonne chère,
Et vous n’avez de quoi fournir ?

Le Prodigue se retire tristement, et n’osant retourner chez son Père, il prend le parti de servir, et entre chez un Maître, qui le prend pour garder ses cochons.

LE PRODIGUE habillé en Valet d’Écurie.

Sou,
Sou, Sou, Gorret, je m’en vois
Garder les pourceaux dans ces bois.

Malgré son état, le Maître soupçonnant que ce Valet peut être d’une condition plus relevée, lui demande qui il est. Le Prodigue lui fait un fidèle récit de son malheur, et le Maître en honnête homme, lui conseille d’aller se jeter aux pieds de son père, et de lui demander pardon. En chemin le Prodigue rencontre l’Ami de Bonne-Foi, qui prévenant l’esprit du Père, l’engage à oublier toutes les fautes de ce fils, et à le reprendre chez lui. Le Père en effet, le reçoit les larmes aux yeux, avec d’autant plus de joie, que cet Enfant, vraiment repentant, déteste si parfaitement sa vie passée ; qu’il la donne pour exemple aux Spectateurs, en leur conseillant d’éviter d’y tomber, et termine ainsi la Pièce.

LE PRODIGUE aux Spectateurs.

Vu aussi avoir les Mystères
Du vilain état de luxure,
Les pauvretés, et les misères
Qu’il faut enfin qu’on y endure.

 

 

Moralité

 

« D’une pauvre Villageoise, laquelle aima mieux avoir la tête coupée par son Père, que d’être violée par son Seigneur : faite à la louange et honneur des chastes et honnêtes filles, à quatre personnages. »

Un Seigneur de Village arrive sur le Théâtre accompagné de son Valet, et fait entendre à ce dernier qu’il est de complexion amoureuse. Le Valet dit qu’il connaît Églantine, fille du pauvre Grouxmoulu.

LE SEIGNEUR.

Son père est à moi tenu,
C’est un des hommes de ma Terre,
Et mon Sujet. Va tôt l’enquerre,
Si d’elle on pourrait finir.
Dis-lui, s’elle vient en ma serre,
Qu’après la ferai marier
Si bien, qu’elle pourra porter
Ceinture d’or, robes fourrées,
Et toujours grand état mener.

Le Valet court chez le bon homme Grouxmoulu, tire en particulier sa fille, et lui dit le sujet de sa commission. Églantine rejette avec horreur la proposition, et défend au Valet de se présenter devant elle. Ce dernier, après avoir rendu compte à son Maître du mépris qu’on a marqué pour ses présents, retourne encore une fois vers la vertueuse fille, et voulant l’emmener de force, elle appelle son Père, qui jugeant aisément que le Seigneur n’a d’autre intention que de déshonorer sa fille, menace le Valet de lui décharger sa cognée sur la tête, s’il ne se retire. Le Valet s’enfuit, et dit au Seigneur ce qui vient de se passer. Ce dernier forme sur-le-champ la résolution d’aller lui-même enlever Églantine, et de maltraiter le père de cette fille.

LE SEIGNEUR à son Valet.

Tiens, prends ce rouge fer moulu ;
Je porterai mon bram[86] d’acier ;
Foi que je dois à saint Richier
Il aura des coups plus de cent.

Le Seigneur et son Valet entrent dans la cabane du bon homme Grouxmoulu.

LE SEIGNEUR.

Vilain de rude entendement,
Qui te meut d’être si hardi,
D’offenser mon commandement ?
Battu feras présentement :
Tiens.

Il frappe le Père.

LE VALET se moquant de Grouxmoulu.

Ta cognée n’est pas ici ?

LE PÈRE.

Ah ! Mon Seigneur, pour Dieu merci.

LE SEIGNEUR.

Merci, coquin ? Vous y mourrez,
De coups aurez le corps noirci.

LE PÈRE.

Mon cher Sire, vous me tuez.

ÉGLANTINE.

Ah, mon Seigneur, pour Dieu, merci.

Églantine voyant qu’elle ne peut éviter de suivre le Seigneur, se jette à ses pieds.

ÉGLANTINE.

Seigneur, je vous requiers un don,
Pour Dieu, qu’il ne soit contredit.

LE SEIGNEUR.

Quel don ?

ÉGLANTINE.

Une heure de répit.

LE SEIGNEUR.

Cela ! et que vous peut-il faire ?

ÉGLANTINE,

Je veux à mon père un petit,
En secret conter mon affaire.

LE SEIGNEUR.

Point ne veux votre gré de faire,
Je suis content de l’accorder :
Mais gardez devers moi méfaire.

Églantine se retire dans une chambre avec son Père, et le conjure de lui conserver son honneur en lui coupant la tête. Le Seigneur écoute cela à la porte.

LE SEIGNEUR,

Je suis ici près à l’écoute,
Mais j’ai de ce que j’ai pitié,

Quelque répugnance que sente le Père à devenir l’homicide de sa fille, il aime cependant mieux commettre ce crime que de la voir déshonorée. Alors le Seigneur le voyant prêt d’exécuter la prière de sa fille, ouvre la porte de la chambre, et arrête le coup.

ÉGLANTINE.

Ah ! Mon Seigneur, vous avez tort ;
Vous rengregez mon déconfort,
J’ai requis en piteux langage
Mon Père de moi décoller. Cher Seigneur, vous devez garder
Vos Sujets, par votre prouesse,
Et vous me voulez diffamer,
Pour un peu de folle jeunesse ;
Par quoi déconfort tant me blesse,
Que j’aime mieux mon temps conclure,
Maintenant honneur, et sagesse,
Qu’être abandonnée à telle ordure.

LE SEIGNEUR.

Ô vénérable Créature,
Sur toutes bonnes la régente,
Je renonce à ma folle cure ;
Pardonnez-moi, pucelle gente :
Levez-vous, si tôt, excellente,
En vertu, la source et fontaine,
De chasteté la fleur régnante,
Et en vous d’odeur souveraine.
Ma fraîche jeunesse humaine
...
Mais votre constance certaine
M’en fait avoir compassion.

« Il prend une couronne, ou chapeau de fleurs, et lui met sur la tête, en disant : »

Or vous aurez pour décoration
De chasteté, cette noble couronne,
Sur votre chef ; pour compensation.
Très hautement ici vous en couronne.

LE VALET aux Spectateurs.

Bien va à qui bien s’adonne :
Pucellettes, regardez-y.

Le Seigneur assure le Père de son amitié, et l’affranchit lui et sa fille de tous droits, et servitude. Après de grands remerciements de la part d’Églantine, et de son père : le dernier finit ainsi la Moralité.

LE PÈRE aux Spectateurs.

Prenez en gré la simple étude
De ces mots simplement touchés :
La matière est similitude
Pour bonnes filles, et sachez
Si les mots ne sont bien couchés,
Nous prierons le doux examen,
Que nous soyons tous mieux logés
En Paradis : Dites Amen.

 

 

Moralité

 

Intitulée « Le Gouvernement d’Humanité, » composée par Jean d’Abundance, et imprimée à Lyon. Du Verdier Bibliothèque Française, pag. 635[87].

 

 

Moralité

 

Intitulée « Le Monde qui tourne le dos à chacun » de la composition de Jean d’Abundance, et imprimée à Lyon. Du Verdier, Bibliothèque Française, page 635.

 

 

Moralité

 

Intitulée « Plusieurs qui n’ont point de conscience[88] » composée par Jean d’Abundance et imprimée à Lyon. Du Verdier, Bibliothèque Française, page 635.

 

 

Moralité

 

« De l’Enfant de perdition, qui tua son Père, et pendit sa Mère, et enfin se désespéra imprimée à Lyon in-16. par Olivier Arnoullet Du Verdier, Bibliothèque Française, page 327.

 

 

Histoire de l’Enfant ingrat[89]

 

« Mirouer et exemple des mauvais Enfants envers leurs Pères et Mères, contenant encore comment les Pères et Mères se détruisent le plus souvent par l’avancement de leurs Enfants, qui souventesfois se déconsidèrent. Le tout par personnages[90]. »

Après le Prologue, le Père et la Mère de l’Enfant ingrat, se félicitent mutuellement du Fils qu’ils ont, et pour lequel ils amassent du bien. Cependant, comme il est à propos d’employer sa jeunesse, ils forment la résolution de le mettre chez un Marchand, pour apprendre le Commerce. Ce projet s’exécute tout de suite ; mais le jeune homme, accoutumé à faire ses volontés, ne veut point s’assujettir aux soins qu’on exige de lui. Il quitte le Marchand, et suivi du Valet de ce dernier, qu’il prend à son service, en courant le Pays, il trouve un Seigneur de Village sur la porte de son Château, qui le voyant magnifiquement habillé (car c’est la première chose à quoi il songe en quittant son Marchand) l’invite à venir se reposer, et l’engage à dîner avec lui. La femme et la fille du Seigneur assistent à ce repas.

LE SEIGNEUR.

Or çà, mon beau Seigneur notable,
Vous n’êtes point marié ?

L’ENFANT.

Non.
Mais je suis jeune Compagnon
De ce faire une fois capable,
Si je trouve lien convenable,
Là où j’agrée selon moi,
Et s’il vient partie agréable,
Ne doutez que j’ai bien de quoi.

LE SEIGNEUR.

Or me dites, par votre foi,
Si cette jeune Demoiselle
Vous donnait, par bonne foi
De mariage ; en noble arroi,
Si vous feriez refus d’elle ?

L’ENFANT.

Par sainte Marie la belle,
Nenni, le mentir rien n’y vaut.

Comme le jeune homme se vante que son Père et sa Mère lui feront un abandon général de leurs biens, quand il voudra, le Seigneur lui dit qu’il est nécessaire qu’il les fasse venir pour cela, et pour consentir à son mariage. Le jeune homme va trouver son père, et sa mère, leur fait part de la proposition qui vient de lui être faite, et ces bonnes gens l’acceptent avec joie.

Le Seigneur reçoit avec beaucoup de politesse le père et la mère de son futur gendre ; et après s’être assuré de la donation entière de leurs biens, en faveur de leur fils, il ordonne à son Maître d’Hôtel d’aller chercher le Curé.

« Ici le Maître d’Hôtel va querir le Curé. »

LE MAÎTRE D’HÔTEL.

Curé, venez légèrement
Au Château, car Mademoiselle
A trouvé un mari pour elle :
Conjoindre ensemble les convient.

LE SEIGNEUR au Curé.

Çà, Curé, vous êtes venu,
Ces deux jeunes gens empoignez,
Et l’un à l’autre conjoignez
Par bon mariage nouveau.

La cérémonie étant finie,

LE SEIGNEUR dit.

Maître d’Hôtel, expressément
Que nous soyons bien festoyés,
En quoi qu’il soit, nous pourvoyez
De Ménestriers et Farceurs,
Pour réjouir, et de Danseurs,
Car je veux pour ce mariage,
Me réjouir.

LE MAÎTRE D’HÔTEL

Ce sera rage
Tant aurez d’états honorables.

L’Écuyer du Seigneur va prier ses voisins de venir au festin. On sert, et tous les Convives prennent place.

« Nota, que les Instruments sonnent ce qu’ils voudront. »

LE SEIGNEUR.

Sus, sus, menons joie plénière,
Voici notre réjouissance.

LE PÈRE.

C’est ma liesse singulière,
Et l’espoir de mon sauvement.

UN VOISIN.

Quelque Farcerie.

AUTRE VOISIN.

Fête ne vaut rien autrement
S’il n’y a Farce ou Mommerie.

« Ici jouent une Farce. »

Ensuite de laquelle, après bien des compliments chacun prend congé des nouveaux Époux.

Le père et la mère du Marié se sont tellement dépouillés de leurs biens, qu’ils se trouvent forcés d’aller lui demander quelque secours pour les aider à vivre. Ils se rendent à la maison de leur fils, et lui exposent leur misère. Ce dernier les reçoit avec dureté, et ne leur veut donner qu’un morceau de pain bis.

LE PÈRE.

Du pain bis ! maudite semence,
Est-ce mot déjà sorti de toi ?

LE FILS.

Corbleu, prenez-en patience,
Et d’aller faites diligence,
Autre chose n’aurez de moi.

Cette cruelle réponse accable le père et la mère de l’Enfant Ingrat : ils reconnaissent, mais trop tard, la faute qu’ils ont faite, et se retirent en versant un torrent de larmes, et en maudissant leur fils, qui peu touché de leur peine, forme le dessein de les méconnaître s’ils venaient encore se présenter devant lui. Il se fait apporter un pâté, et il est prêt à l’ouvrir, lorsque son père, une seconde fois, vient lui demander quelque chose pour manger. Le Fils ingrat fait semblant de ne le pas connaître, et le chasse avec indignité. Alors le désespoir s’empare de l’âme du père : il sort, en souhaitant toutes sortes de malheur à son fils ; et après avoir rendu compte à sa femme du traitement qu’il vient de recevoir, il renouvelle avec elle les malédictions qu’il a déjà prononcées.

Après le départ du père, le fils se fait servir le Pâté.

L’ENFANT.

De ce couteau le vois ouvrir,
Pour savoir qu’on y a bouté.

« Notez qu’ici ouvre le Pâté, et alors vient un Crapaud qui lui couvre tout le visage. »

LA JEUNE FEMME.

Qu’est-ce ceci ? Benedicite !
Cet homme est perdu en effet.

LE MAÎTRE D’HÔTEL.

Quel grand crapaud ord et infect
Sur son visage s’est gectée ?

Le Seigneur qui entend un grand bruit dans la maison de son gendre, vient en savoir le sujet. Il aperçoit le crapaud qui lui couvre le visage.

LE SEIGNEUR.

Allez tous les voisins hucher,
Pour regarder que ce peut être.

L’ÉCUYER.

Venez tôt, voisins, notre Maître
Est mort.

LE Ier VOISIN.

Allons voir qu’il y a.

LE IIe VOISIN.

D’où procède cette pitié ?

LE MAÎTRE D’HÔTEL.

Punition

Divine lui fait cet ennui.

LE SEIGNEUR.

Et comment ?

LE MAÎTRE D’HÔTEL.

Il a aujourd’hui
Son propre père décongnu,
Qui pour le voir est venu
Et l’a fait chasser devant tous.

Tout le monde se récrie sur une si grande ingratitude. On consulte comment on doit agir pour délivrer ce misérable du tourment qu’il endure. Un Voisin conseille de le mener au Curé : mais comme il est hors d’état de confesser son offense, le Valet qu’il a pris chez son Marchand offre de faire le récit de son forfait. Le Curé, ayant entendu la déposition du Valet, renvoie à l’Évêque, et celui-ci au Pape qui seul peut absoudre d’un crime aussi énorme. L’Évêque même accompagne le jeune homme, et comme on assure le Pape, que le coupable est vraiment repentant, le Souverain Pontife ordonne au Crapaud de se départir de sa face.

« Le Crapaud chétif ». L’Enfant Ingrat recouvre l’usage de la parole, se jette aux pieds du Pape, confesse toute l’énormité de son péché, et le conjure de lui imposer une pénitence.

LE PAPE.

Du mal lequel m’a confessé
Je l’absous, mais je lui enjoint
Qu’à deux genoux, joignant les mains
Voit à Père et Mère crier
Mercy, et pour accomplir
La pénitence, il fera
Ce que l’Évêque lui dira,
Qui de nous sera ordonné,
Après que le pardon donné
De Père et Mère lui sera.

L’ENFANT.

Je ferai ce qu’il vous plaira.

L’Enfant ingrat accompagné de son Beau-père, de la femme, de ses amis, et de ses Domestiques, va trouver son Père et sa Mère, et obtient le pardon qu’il demande.

LA MÈRE du fils ingrat.

Au sens moral, Père qui aura vu
Jouer ceci, au moins regardera
Comme à son fils, s’il a biens, les départs.

 

Fin du Catalogue des Moralités.

 

 

CATALOGUE CHRONOLOGIQUE, ET EXTRAITS DES FARCES,

depuis leur origine, jusqu’en 1548.

 

Après avoir donné le Catalogue Chronologique des plus anciens Poèmes Dramatiques qui ont paru en France, savoir des Mystères, et des Moralités, nous sommes obligés de faire la même chose au sujet des Farces, dont l’invention est plus nouvelle. On ne peut disconvenir que les premiers Auteurs de ce spectacle n’aient plus approché que les autres du vrai Comique : ajoutez qu’on ne saurait les accuser d’être plagiaires, et d’avoir pillé les Poètes Grecs et Latins, qu’ils ignoraient parfaitement : on doit leur accorder la gloire de n’avoir fait que suivre leur propre génie, qui, sans le secours de la science, ni des modèles, les a porté à composer un nouveau genre de Comédie, inconnu jusqu’alors, et dont il est certain que l’invention est due à nos anciens Poètes Français. Il est aussi constant que c’est sur ces anciennes Farces[91] et en quelque sorte pour nous en dédommager, sans qu’on doive les regretter, que les Poètes du dernier siècle, ont composé des petites Pièces d’un Acte.

Il n’est pas aisé de marquer au juste, en quel temps ce genre de Poésie parut pour la première fois : et s’il est difficile de fixer l’époque des Mystères, et des Moralités, il l’est encore plus d’établir celle des Farces, dont nous n’avons connaissance, que vers la fin du quinzième siècle. Les Auteurs qui travaillaient alors pour le Théâtre, composaient des Pièces, qui souvent n’étaient pas données au Public, ou n’étaient représentées que longtemps après, par les Confrères de la Passion, les Enfants sans souci, les Histrions[92] ou les Clercs de la Basoche, quoique ces derniers donnassent leur spectacle moins communément que les autres.

Pour revenir aux Farces, elles furent, comme on le vient de dire jouées par les Enfants sans souci, qui s’en servaient pour terminer leurs Jeux. Du Verdier nous assure que de son temps il était difficile de donner un Catalogue des Farces, dont le nombre était d’autant plus grand, qu’une infinité de personnes s’étaient mêlées d’en composer. Cependant aujourd’hui elles sont très rares. Il y a apparence que le peu de cas qu’on en faisait avec assez de raison, et le peu de goût des siècles précédents, sont cause qu’on en voit si peu.

Nous venons de dire que les anciennes Farces ont donné lieu aux Comédies d’un Acte : ajoutons à cela qu’elles furent très longtemps à la mode, et même très avant dans le dernier siècle. Nous nous contenterons de parler de celles dont nous avons connaissance et qui ont précédé l’année 1548 : Époque remarquable pour le Théâtre, qui changea alors de forme, et nous renvoyons le Lecteur à la suite de cet Ouvrage, où l’on trouvera la continuation des Farces qui ont paru depuis. Terminons ce discours par un passage de La Porte, pris de son Livre des Épithètes. Voici celles qu’il joint au mot FARCE : Joyeuse, Histrionique[93], Fabuleuse, Enfarinée[94], Morale, Récréative, Facétieuse, Badine, Françoise[95], Nouvelle[96].

 

 

La Farce de Pathelin

 

On ignore absolument le nom de l’Auteur de cette Farce, or le temps de sa représentation. Tout ce qu’on sait de plus précis à l’égard du dernier Article, nous le devons à M. De la Caille, dans son Histoire de l’Imprimerie, et de la Librairie de Paris, où il parle d’une Édition de Pathelin, chez Pierre le Caron, qui imprimait vers 1474 : Ainsi nous supposons cette Pièce jouée vers ce temps, qui eut un succès des plus marqués[97], et dont beaucoup de vers passèrent en Proverbes : même le nom du personnage qui donne le titre à la Pièce, devint, et est encore un nom général, pour désigner un homme qui sous une apparence de douceur et de probité, cherche à tromper tout le monde.

Nous allons donner un extrait de cet Ouvrage, quoique extrêmement connu, tant par son mérite, que par la Pièce de M. de Brueys, qu’on joue très souvent, qui porte le titre de l’AVOCAT PATELIN. Nous en rendrons compte à l’Article de cette Pièce ; revenons à celle de l’Anonyme.

Elle ouvre par Pathelin et Guillemette, sa femme. Le premier se plaint peu de gain qu’il a fait depuis quelque temps dans sa profession d’Avocat.

GUILLEMETTE.

Nous mourrons de fine famine
Nos robes sont plus qu’étamine.
Reses[98].

PATHELIN.

Taisez-vous par ma conscience,
Si je veux mon sens éprouver,
Je saurai bien où en trouver
Des Robes et des Chaperons.
...
Je m’en veux aller à la Foire.

GUILLEMETTE.

Vous n’avez denier ne maille,
Que ferez-vous ?

PATHELIN.

Vous ne savez,
Belle Dame, si vous n’avez
Du drap pour nous deux largement,
Si me démentez hardiment.

Pathelin quitte Guillemette, et va aborder Guillaume Joceaume, Drapier. Après les premiers compliments, il entre en matière avec le Marchand, et donne de grands éloges au Père de ce dernier.

PATHELIN.

Ha ! qu’était un homme savant !
Je requiers Dieu qu’il en ait l’âme.
De votre père ; douce Dame ! Il m’est avis tout clairement
Que c’est il de vous proprement.
Qu’était-ce, un bon Marchand et sage ?
Vous lui ressemblez de visage,
Par Dieu, comme droite peinture,
Si Dieu eut oncq de Créature,
Merci, Dieu vrai pardon lui fasse
À l’Âme.

LE DRAPPIER.

Amen, par sa grâce,
Et de nous quand il lui plaira.

PATHELIN.

Par ma foi, il me déclara
Maintes fois, et bien largement
Le temps qu’on voit présentement,
Moult de fois m’en est souvenu :
Et puis, lors il était tenu
L’un des bons...

De ce discours, Pathelin passe à l’état du commerce, et ensuite jetant la vue sur une pièce de drap.

Celui-ci est-il teint en laine ?
Il est fort comme un cordouan.

LE DRAPPIER.

C’est un très bon drap de Rouen
Je vous promets, et bien drapé.

PATHELIN.

Or vraiment, je suis attrapé
...
J’avais mis à part quatre-vingts
Écus, pour retraire une rente,
Mais vous en aurez vingt ou trente,
Je le vois bien, car la couleur
M’en plaît très tant, que c’est douleur ?

LE DRAPPIER.

Écus ? voire, se peut-il faire ?
Que ceux dont vous devez retraire
Cette rente, prennent monnaie ?

PATHELIN.

Et oui, déjà, si je le voulais,
Tout m’en est un en paiement.
Quel drap est ceci ? vraiment
Tant plus le vois, tant plus m’affole :
Il m’en faut avoir une cotte,
Bref, et à ma femme de même.

Guillaume dit le prix de l’aune de son drap ; Pathelin marchandise quelque temps, et enfin il consent à le prendre : on le mesure, et il s’en trouve six aunes,

PATHELIN.

Or Sire, les voulez-vous croire[99]
Jusques à jà quand vous viendrez,
Non pas croire, mais les prendrez
À mon huis, en or, ou monnaie.

LE DRAPPIER.

Notre Dame ! je me tordroye
De beaucoup à aller par-là.

PATHELIN.

Hée ! votre bouche ne parla
Depuis, par Monseigneur saint Gilles,
Qu’elle ne dit pas Évangile :
C’est très bien dit, vous ne voudriez
Jamais trouver nulle occasion[100]
De venir boire en ma maison,
Or y boirez-vous cette fois,

LE DRAPPIER.

Et par saint Jacques je ne vois
Guères autre chose que boire,
J’irai : mais il fait mal d’accroire,
Ce savez-vous bien, à l’estraine.

PATHELIN.

Suffit-il si je vous estraine
D’écus d’or, non pas de monnaie ?
Et si mangerez de mon oie,
Par Dieu, que ma femme rôtit.

LE DRAPPIER.

Vraiment, c’est homme m’affole.
Allez devant, fût, j’irai doncques
Et les porterai.

PATHELIN.

Rien quiconque
Que me grèvera-t-il ? pas maille,
Sous mon aisselle ?

LE DRAPPIER.

Ne vous chaille.
Il vaut mieux pour le plus honnête
Que je le porte.

PATHELIN.

Mallette fête
M’envoie sainte Madeleine,
Si vous en prenez jà la peine.
C’est très bien dit, dessous l’aisselle,
Ceci me fera une belle
Botte ; Ha ! c’est très bien, allez
Il y aura bu, et gallé
Chez moi, ains que vous en alliez.

LE DRAPPIER.

Je vous prie que vous me baillez
Mon argent dès que j’y serai.

PATHELIN.

Serai. Et parbleu non serai
Que n’ayez pris votre repas
Très bien : Et si ne voudrais pas
Avoir sur moi de quoi payer :
Au moins viendrez-vous essayer
Quel vin je bois.

Pathelin emporte le Drap, et revient chez lui, où il fait part à Guillemette, sa femme, de la façon dont il s’est pris pour tromper Guillaume,

Il doit venir manger de l’Oie,
Mais voici ce qu’il faudra faire ;
Je suis certain qu’il viendra braire
Pour avoir argent promptement ;
J’ai pensé bon appointement,
Il convient que je me couche,
Comme un malade sur ma couche,
Et quand il viendra, vous direz
Ha ! parlez bas, et gémirez
En faisant une chère fade :
Las ! ferez-vous, il est malade
Passez deux mois, ou six semaines :
Et s’il vous dit, ce sont trudaines,
Il vient d’avec moi tout venant ;
Hélas ! ce n’est pas maintenant,
(Ferez-vous) qu’il faut rigoler,
Et le me laissiez flagoller,
Car il n’en aura autre chose.

GUILLEMETTE.

Par l’Âme qui en moi repose,
Je ferai très bien la manière.

Guillaume arrive, et demande Pathelin : sa femme Guillemette fait la désolée, et dit que son mari est malade depuis six semaines, et qu’actuellement il est à l’extrémité. Le Drapier ne comprend rien à ce discours, et ne saurait se persuader qu’un homme qu’il a vu le matin en bonne santé, soit dans un état si pitoyable. Pathelin paraît, qui feint un délire des plus violents. Il se sert de cinq ou six jargons, pour répondre à Guillaume, qui lui demande de l’argent du drap qu’il lui a vendu. Enfin ce malheureux Drapier est obligé de s’en aller, après avoir vainement demandé le paiement de sa marchandise. Cependant Guillaume est abordé par son Berger nommé Aignelet.

LE BERGER.

Dieu vous doint benoîte journée,
Et bon vêpres, monseigneur doux.

LE DRAPIER.

Ha ! es-tu là, truaux merdoux,
Quel bon varlet ! mais à quoi faire ?

LE BERGER.

Mais qu’il ne vous veuille déplaire,
Ne sais quel vêtement de royé[101]
Mon bon Seigneur, tout dévoyé,
Qui tenait un fouet sans corde,
M’a dit : mais je ne me recorde
Point bien au vrai ce que peut-être :
Il m’a parlé de vous, mon Maître,
Et ne sais quelle ajournerie,
Quant à moi, par sainte Marie,
Je n’y entends ne gros, ne grêle :
Il m’a brouillé de pêles-mêles,
De Brebis, et de relevée,
Et m’a fait un grand levée
De vous, mon Maître, et du Boucher.

LE DRAPIER.

Si je ne te fais emboucher,
Tout maintenant devant le Juge,
Je prie à Dieu que le déluge
Coure sur moi, et la tempête :
Jamais tu n’assommeras bête
Par moi, qu’il ne t’en souvienne ;
Tu me rendras, quoiqu’il advienne,
Six aulnes... dis-je, l’assommaige
Que tu m’as fait depuis dix ans.

LE BERGER.

Ne croyez pas les médisants,
...
Monseigneur, accordons ensemble,
Pour Dieu, que je ne plaide point.

LE DRAPIER.

Va, ta besogne est en bon point :
Va-t’en, je m’en accorderai.
Pardieu, ne t’en appointerai
Qu’ainsi que le Juge fera.

LE BERGER.

Adieu, sire, qui vous doint joie.

À part.

Il faut donc que je me défende.
Y a-t-il âme-là ?

Frappant à la porte de Pathelin.

PATHELIN.

Dieu te garde, Compain[102]. Qu’il te faut ?

LE BERGER.

On me piquera en défaut
Si je ne vois à ma journée ;
Monseigneur a de relevée,
Et s’il vous plaît, vous y viendrez,
Mon doux Maître, et me défendrez
Ma cause : car je n’y sais rien,
Et je vous payerai très bien,
Partant si je suis mal vêtu.

PATHELIN.

Or viens ici, parle, qu’es-tu ?
Ou demandeur, ou défendeur ?

LE BERGER.

J’ai à faire à un entendeur,
Entendez-vous bien, mon doux Maître,
À qui j’ai longtemps mené paître
Les Brebis, et les lui gardai,
Par mon serment, je regardai
Qu’il me payait petitement.
Dirai-je tout ?

PATHELIN.

Déjà, sûrement,
À son Conseil doit-on tout dire.

LE BERGER.

Il est vrai, et vérité, Sire,
Que je les lui ai assommées,
Tant que plusieurs se sont pâmées
Maintes fois, et sont chutes mortes,
Tant suffisent-elles saines et fortes :
Et puis je lui faisais entendre,
Afin qu’il ne m’en pût reprendre,
Qu’ils mourraient de la clavelée :
Ha ! fait-il, ne soit plus mêlée
Avec les autres, jette-la.
Volontiers, fais-je, mais cela
Se faisait par une autre voie,
Car par Saint Jean, je les mangeais,
Qui savaient bien la maladie.
Que voulez-vous que je vous dise ?
J’ai ceci tant continué,
J’en ai assommé, et tué,
Tant qu’il s’en est bien aperçu,
Et quand il s’est trouvé déçu,
Mais Dieu, il m’a fait épier,
Car on les ouït bien crier,
Entendez-vous, quand on le sait ;
Or j’ai été pris sur le fait,
Je ne le puis jamais nier.
Si vous voudriez bien prier
(Pour du mien, j’ai assez finance)
Que nous deux lui baillons l’avance ;
Je sais bien qu’il a bonne cause,
Mais vous trouverez bien clause
Se voulez, qu’il l’aura mauvaise.

PATHELIN.

Par ta foi, feras-tu bien aise ?
Que donneras-tu, si je renverse
Le droit de ta partie adverse,
Et si je te renvoie absous.

LE BERGER.

Je ne vous payerai point en souls,
Mais en bel or à la couronne.

PATHELIN.

Donc, tu auras ta cause bonne.
...
Si tu parles, on te prendra
Coup à coup aux positions ;
Et en tels cas, confessions
Sont si très préjudiciables
Et nuisent tant que ce sont Diables.
Pour ce, voici que tu feras,
J’â tôt, quand on t’appellera,
Pour comparoir en jugement,
Tu ne répondras nullement
Fors bée, pour rien que l’on te die ;
Et s’il advient qu’en te maudisse,
En disant, hé cornart, puant,
Dieu vous mette en mal, truand,
Vous moquez-vous de la Justice ?
Dis, bée. Ha ! ferai-je, il est nice,
Il cuide parler à ses bêtes :
Mais s’ils devaient rompre leurs têtes,
Qu’autre mot n’isse de ta bouche,
Garde-t’en bien.

LE BERGER.

Le fait me touche
Je m’en garderai bien, vraiment,
Et le ferai bien proprement :
Je vous le promets, et afferme.

PATHELIN.

Or t’en garde, tiens-toi bien ferme,
À moi-même, pour quelque chose
Que je te dise, ne propose,
Si ne réponds point autrement.

LE BERGER.

Moi, nenni, par mon sacrement,
Dites hardiment que j’affole
Si je dis aujourd’hui autre parole
À vous, ne à autre personne,
Pour quelque mot que l’on me sonne,
Fors bée, que vous m’avez appris.

Voici le plus comique de la pièce. Pathelin se présente devant le Juge pour défendre Aignelet. Guillaume arrive, et plaide lui-même sa cause contre son Berger. Il aperçoit Pathelin : à cette vue, il s’embrouille, et confond dans son discours les Moutons égorgés et volés par Aignelet, avec les six aunes de drap emportés par Pathelin. Le Juge s’impatiente des interruptions, et du prétendu galimatias de Guillaume, et lui dit :

Sus, revenons à nos Moutons ;
Qu’en fut-il ?

LE DRAPIER.

Il en prit six aulnes
De neuf francs.

LE JUGE.

Sommes-nous béjaunes,
Ou, Cornart, ou cuidez-vous être ?

Pathelin triomphe du désordre où se trouve Guillaume pour faire entendre au Juge que ce Drapier n’a que de mauvaises raisons à alléguer contre sa partie. Le Juge, pour éclaircir l’affaire, interroge le Berger, qui suivant le conseil de Pathelin, ne répond que Bée.

LE JUGE.

Voici angoisse.
Quel bée est ceci, suis-je chèvre ?

PATHELIN.

Croyez qu’il est fol, ou têtu,
Ou qu’il cuise être entre ses bêtes.

Guillaume recommence son discours, et se confond de plus en plus.

LE DRAPIER.

Or ça, je disais
À mon propos comment j’avais
Baillé six aulnes, dois-je dire,
Mes Brebis ? Je vous en prie, Sire,
Pardonnez-moi. Ce gentil Maître
Mon Berger, quand il devait être
Aux champs, il me dit que j’irais
Six écus d’or, quand je viendrais :
Dis-je depuis trois ans en çà :
Mon Berger me convenança[103]
Que loyalement me garderait
Mes Brebis, et ne m’y ferait
Ne dommage, ne vilenie :
Et puis maintenant il me nie
Et drap, et argent pleinement.
Ha ! Maître Pierre vraiment ;
Ce Ribaut-ci m’emblait les laines
De mes bêtes, et toutes saines
Les faisait mourir et périr,
Pour les assommer, et ferir,
De gros bastons sur la cervelle :
Quant mon drap fut sous son aisselle ;
Il se mit au chemin grand erre,
Et me dit que j’allasse querre
Six écus d’or en sa maison.

LE JUGE.

Il n’y a rime ne raison
En tout quand vous rafardez ?
Qu’esse-ci ? vous entrelardez
Puis d’un, puis d’autre : somme toute,
Par la sangbieu, je n’y vois goute.
Il brouille de drap, et babille
Puis de Brebis, au coup la quille
Chose qu’il dit ne s’entretient.

Guillaume veut reprendre son plaidoyer, et ne s’explique pas mieux que les précédentes fois. Le Juge le prend pour un Visionnaire, renvoie le Berger absous, et s’en va. Guillaume, au désespoir du jugement, fait de grandes menaces à Pathelin, et se retire. Pathelin reste avec Aignelet, et après l’avoir félicité sur le gain de sa cause, il lui demande de l’argent. Aignelet, suivant la parole qu’il a donnée à Pathelin, ne répond que Bée, à tout ce que ce dernier lui dit. Pathelin s’aperçoit enfin qu’il est trompé.

PATHELIN.

Maugrebieu, ai-je tant vécu,
Qu’un Berger, un mouton vêtu,
Un vilain paillard me rigole.

LE BERGER.

Bée.

PATHELIN.

Par saint Jean, tu as bien raison,
Les oisons mènent les oies paîtres
Or cuidais-je être sur tout Maître
Des trompeurs d’ici, et d’ailleurs,
Des fors corbineurs, des bailleurs
De paroles en paiement
À vendre au dernier jugement :
Et un Berger des champs me passe :
Par saint Jacques, si je trouvasse
Un bon Sergent, te feisse prendre.

LE BERGER.

Bée.

PATHELIN.

Heu ! bée, l’en me puisse pendre
Si je ne vois faire venir
Un bon Sergent : mésavenir
Lui puisse, s’il ne t’emprisonne.

LE BERGER.

S’il me trouve, je lui pardonne.

 

 

Farce du Rond et du Carré

 

« Histoire du Rond et du Carré à cinq Personnages, à savoir,

« LE ROND,

« LE CARRÉ,

« HONNEUR,

« VERTU,

« BONNE RENOMMÉE. »

Cette Farce ne nous est connue que par un passage de la Bibliothèque Française de Du Verdier Vauprivaz, qui ajoute qu’elle contenait « plusieurs choses singulières, touchant le Saint Sacrement de l’Autel. » Ces choses devaient être orthodoxes, car Molinet, qui en était Auteur, a vécu et est mort dans la Religion Catholique.

 

 

Farce des Fils sans père et de Colin change au Moulin

 

Nous ne connaissons que le titre de cette Farce, dont Borel dit avoir fait usage, lorsqu’il composa son Trésor, Recherches, et Antiquités Gauloises et Françaises. Nous lui aurions plus d’obligation s’il nous avait fait connaître plus particulièrement un Ouvrage, dont le titre seul excite la curiosité, et semble promettre une intrigue des plus divertissantes.

 

 

Les Savetiers

 

Nous avons transcrit cette Farce en entier, dans le second Volume de cet Ouvrage[104], pour donner une idée de ce genre de Poésie. Celle-ci fut représentée à la suite de la Moralité intitulée Mundus, Caro, Demonia. Ces deux pièces étaient précédées d’une Sottise, qui n’existe plus dans l’exemplaire unique qui nous en a été communiqué. Ce que nous en avons déjà dit, nous dispense de rien ajouter ici.

 

 

Dire et faire

 

La Farce dont on parle ici, parut pour la première fois le Mardi Gras de l’année 1511, sur un Théâtre dressé aux Halles à Paris ; à la suite d’une Sottise, et de la Moralité de l’Homme Obstiné. Nous avons déjà parlé de celle-ci, et nous rendrons compte de l’autre à son rang. Ces trois Pièces étaient de la composition de Pierre Gringore, qui y représenta un Rôle, aussi bien que le fameux Jean de Pontalais : Voici en deux mots l’Extrait de la Farce[105].

Doublette femme de Raoullet Ployart, Vigneron fort âgé, se plaint que ses vignes demeurent en friche, faute d’être façonnées. Taisez-vous, lui dit le mari.

RAOULLET.

Qui la voudrait
Servir à son gré, il faudrait
Houer la vigne jour et nuit.

À peine Raoullet s’est retiré, qu’arrivent deux Ouvriers, dont l’un se nomme Dire, et l’autre Faire. Doublette appelle le premier : mais comme tout son mérite ne consiste qu’à jaser, elle le congédie, et sans perdre de temps elle ordonne à Faire de prendre sa place. Faire entreprend l’ouvrage, et l’exécute avec succès. Sur ces entrefaites Raoullet arrive, et fâché que sa femme, malgré ses défenses, emploie des ouvriers, en porte ses plaintes au Seigneur de Valletreu. Le Valet Mausecret tâche à éviter un éclat entre les deux Époux.

MAUSECRET.

Elle est bonne femme, mon Maître,
Et aussi vous êtes bon homme.

Le Seigneur de Valletreu informé de la querelle, décide en faveur de Doublette, qui l’en remercie. Raoullet, peu content, déclare qu’il en appelle ; mais le Seigneur persiste dans son jugement, et ajoute que sa Sentence sera toujours exécutée par provision.

 

 

Farce de Touaneau du Treu

 

Comme nous n’avons vu aucun exemplaire de cette pièce, nous en ignorons l’Auteur ; n’étant pas même sûr si elle doit entrer dans cet Ouvrage. Une note manuscrite que nous tenons de bonne main, nous apprend qu’elle parut en 1514. On en donna une édition en 1595.

 

 

Le Testament de Pathelin

 

« Farce à quatre Personnages, savoir,

« PATHELIN.

« GUILLEMETTE.

« L’APOTHICAIRE.

« MESSIRE JEHAN LE CURÉ. »

Comme nous ne connaissons cette Farce que par la réimpression que feu Coustelier en fit en 1723, à la suite de celle de Pathelin, nous ne pouvons fixer la date de sa première Édition. À en juger par le langage, elle paraît avoir été composée vers 1520. C’est l’époque que nous lui donnons en attendant d’autres éclaircissements. Au reste, elle n’est pas d’un grand mérite. Voici en peu de mots quel en est le sujet.

Pathelin ouvre la scène, et appelle sa femme Guillemette, pour qu’elle lui donne son sac, dont il a besoin pour aller aux plaids. À peine Pathelin est parti, qu’il revient, en disant qu’il se meurt. Sa femme court chercher l’Apothicaire, et le Curé. Ces derniers arrivent. Le premier assure que le Malade n’en peut revenir, et le Curé le confesse. Ensuite Pathelin fait son Testament, et expire en disant :

Hélas ! Guillemette, ma femme,
Il est à ce coup fait de moi ;
À Dieu, jamais mot ne dirai,
La mort va faire son effort.

GUILLEMETTE.

Ah ! Notre Dame de Montfort,
Le bon Maître Pierre est bas.

MESSIRE JEHAN.

Le remède est prier pour lui,
Et requiescant in pace.
Oublier faut le temps passé,
Rien n’y vaut le déconfort.

L’APOTHICAIRE.

Jésus lui fasse miséricors,
Et à tous ceux qui sont en vie.

GUILLEMETTE,

Amen, et la Vierge Marie.

MESSIRE JEHAN.

Or pensons de le mettre en bière :
Jésus lui fasse miséricors.

GUILLEMETTE.

Hélas ! quant de lui me recors,
Je suis amèrement marie.

MESSIRE JEHAN.

Jésus lui fasse miséricors.

GUILLEMETTE.

Amen, et la Vierge Marie.

MESSIRE JEHAN.

Jésus lui fasse miséricors,
Et à tous ceux qui sont en vie.
Adieu toute la Compagnie.

 

 

Farce de la Cornette

 

« Farce de la Cornette, nouvelle, très bonne, et fort joyeuse, à cinq Personnages, c’est à savoir,

« LE MARI.

« LA FEMME.

« FINET, Varlet.

« LES DEUX NEVEUX. »

La pièce ouvre par la femme, qui demande à Finet s’il a fait le message dont elle l’a chargé.

FINET.

Très bien.

LA FEMME.

Que dit-il ?

FINET.

Il se maudit
Au cas qu’il ne vous aime plus
Que lui-même.

LA FEMME,

Au surplus ?

FINET.

Qu’en tout temps il vous servira,
Et fera ce qu’il vous plaira.
Par mon serment, il est mignon.

LA FEMME.

N’est-il pas gentil compagnon,
Finet ?

FINET.

C’est un fin affiné,
De soupirer il n’a finé
Tant qu’on lui a parlé de vous.

LA FEMME.

Ton Maître n’est-il point jaloux ?
À ton avis ?

FINET.

Je crois que non,
Posé qu’ayez mauvais renom,
Pas n’entend que lui faites tort.

LA FEMME,

Il se fie en moi le plus fort
Du monde.

FINET.

Il a bien raison.

LA FEMME.

Femmes savent une oraison
Pour endormir maris.

Cette scène finie, les deux Neveux du Mari arrivent dans l’intention d’avertir leur oncle des mauvais déportements de sa femme ; Finet qui entend leurs discours, en instruit la femme, qui prévient son mari, de façon que lorsque les deux Neveux commencent à lui parler contre elle, il les fait taire ajoutant qu’il connaît la vertu de sa femme ; et qu’il prétend qu’elle fasse ce qu’elle voudra.

LE MARI.

Elle ira derrière, de là,

Tout partout à mont, et à val,
Son aller ne m’est pas travail :
Allez, et ne m’en parlez plus.

LE Ier NEVEU.

Elle ira doncques ?...

LE MARI.

Il est conclu,

Il ne s’en faut plus échauffer.
Je donne à l’ennemi d’enfer
Le premier qui m’en parlera.

 

 

Comédie des deux Filles et des deux Mariées[106]

 

Deux jeunes Filles, dont la première ne veut point aimer, et l’autre a un Amant, paraissent sur le Théâtre, chacune d’elles soutenant que sa situation est préférable à celle de l’autre. Arrivent deux femmes mariées, dont la première est aimée par un jeune homme, mais quoiqu’elle ne réponde point à son amour, elle ne laisse pas d’éprouver l’humeur jalouse de son mari. La seconde aime son mari uniquement : mais par malheur pour l’infidélité de cet époux la jette dans le désespoir. Pendant que ces deux femmes se racontent leurs peines mutuelles, les jeunes Filles s’approchent pour apprendre le sujet de leurs larmes. Sur ces entrefaites, paraît une Vieille âgée de cent ans, dont elle en a passé vingt dans le célibat, autant dans l’état du mariage, et soixante depuis la mort de son époux. Les quatre personnes ci-dessus vont l’aborder, et la prient de leur donner conseil sur leur situation.

La Vieille après les avoir écoutées très attentivement, dit à la première Mariée, qu’elle prenne patience, que le temps effacera la jalousie de l’esprit de son mari ; mais qu’au cas qu’elle ne puisse pas attendre l’effet du temps, elle lui conseille d’écouter plus favorablement son Amant. Elle excite la seconde à prendre exemple sur son infidèle, et à se dédommager avec un Amant du mépris qu’elle reçoit. À l’égard des deux Filles, elle prédit à la dédaigneuse, qu’un jour l’Amour se vengera de ses froideurs. Et dit à la seconde, qu’elle doit s’attendre à perdre son Amant, et à souffrir un tourment d’autant plus insupportable, qu’il surpassera le plaisir passé. Ces quatre personnes ne voulant point ajouter foi à ces prédictions, traitent la Vieille de folle. Un Vieillard s’approche pour tâcher de leur faire entendre raison.

LE VIEILLARD.

Dames, si je ne suis déçu,
Trop grandement vous vous fourvoyez
Dont cette Dame ne croyez.

Comme la dispute s’échauffe, quatre jeunes Hommes, attirés par le bruit, viennent offrir leurs services pour la faire cesser.

LE Ier HOMME.

Que veut ce Vieillard à ces Dames ?
Qu’il est caduc, et défailli !

LE IIe HOMME.

Pensez qu’il veut sauver leurs âmes,

Sait que de nous soit assailli ?

LE IIIe HOMME.

Pas n’aurons le cœur si failli
Que d’un Vieillard pousser et battre.

LE IVe HOMME.

Menons les danser toutes quatre,
Et vous les verrez bien tancer.

LE VIEILLARD.

Tancer ? non ; mais bien vous combattre

Ma Vieille, et moi, de bien danser.
Or dansons, sans plus y penser
Vous verrez leur orgueil rabattre.

 

 

Farce de Trop, de Prou, Peu, Moins

 

Ce Titre est aussi bizarre que l’Ouvrage. Peu et Moins semblent se moquer de Trop et de Prou. C’est une allégorie depuis le commencement jusqu’à la fin. Le seul début de cette Farce pourra en donner l’idée.

TROP, commence.

Qui voudra savoir qui je suis,
Descende au plus profond du puits,
Et parlent à ceux qui plus haut chantent
À ceux qui courent d’huis, en huis,
Et à ceux qui par un pertuis
Les gens de Sarbatane enchantent ;
À ceux qui plus parlent, plus mentent ;
À ceux à qui tout est rendu,
Et à ceux qui joyeux lamentent
Leur gain, ou quelqu’autre a perdu.

Tout le reste de cette Farce est un tissu de termes, et d’idées aussi énigmatiques. Mais nous ne nous y arrêterons pas davantage, ne voulant point entreprendre d’expliquer les allégories de la Reine de Navarre, Auteur de cet Ouvrage.

 

Fin du Catalogue des Farces.

 

 

CATALOGUE CHRONOLOGIQUE DES SOTTISES OU SOTTIES,

depuis leur origine, jusqu’à leur suppression.

 

La suite du Catalogue des Farces, le Lecteur attend avec justice celui des Sottises, ou Sotties, espèce de Poème Dramatique d’une invention plus récente, mais presque ignoré, ou confondu avec les Moralités. Il est vrai qu’à le prendre dans un sens, les Sottises leur ressemblent fort, et tendent également à corriger les vices : mais c’est d’une façon bien différente. Au lieu que la Moralité est une espèce de Sermon réduit en action, et débité sur un Théâtre, au reste, long, ennuyeux, exprimé suivant la grossièreté du siècle, et dont le but est général. La Sottise infiniment plus courte, badine, et légère, (vu le temps où on les composait,) ne s’attachait qu’à critiquer un événement présent, avec la hardiesse que peut inspirer la protection des Rois, par l’ordre, et l’autorité desquels elle paraissait en public. Nous avons dit, dans l’Histoire des Enfants sans souci, que le règne de Louis XII, époque brillante pour cette Société, vit naître le plus grand nombre de ces Poèmes. Mais la licence un peu outrée, et les traits hardis que la politique de ce Prince leur avait permis, causèrent sa suppression. François Ier, plus jaloux de sa Majesté, et n’agissant pas par les mêmes motifs commença par retrancher cette liberté, qui n’épargnait pas les Princes, et les Têtes couronnées, et que son Prédécesseur avait autorisé ouvertement. Dans la suite, les Auteurs n’osant se mêler des affaires de l’État, se contentèrent de railler les Particuliers : ceux-ci se plaignirent, de façon que pour les satisfaire, les sottises eurent le sort des autres Pièces de Théâtre, dont la représentation fut défendue par l’Arrêt du 17 Novembre 1548. La Satyre qui en faisait le principal mérite, doit servir à décider la question que l’on peut faire, pourquoi d’un si grand nombre de ces Pièces, il nous en reste si peu ? En effet, il y a apparence que les personnes qui y étaient maltraitées, employèrent leur crédit pour en empêcher l’Impression, ou pour en supprimer les Exemplaires. Nous sommes fâchés que cette raison, et le peu de curiosité de nos Ancêtres, nous ait privés de la plupart de ces Ouvrages dont la perte ne peut qu’être sensible si l’on en juge par le peu qui nous en reste, et dont nous allons rendre compte.

 

 

Sottise

 

« À huit personnages, c’est à savoir :

« LE MONDE.

« ABUS.

« SOT DISSOLU.

« SOT GLORIEUX.

« SOT CORROMPU.

« SOT TROMPEUR.

« SOT IGNORANT.

« SOTTE FOLLE.

Ils se vendent à la Juifrie, chez Guillaume Eustace, à l’enseigne des deux Sagittaires, et au Palais au troisième Pilier... Ensuite le Privilège du Roi, signé Des Landes, donné audit Guillaume Eustace, Libraire et Relieur de l’Université de Paris, pour deux ans. »

Nous avons donné l’Extrait de ce Poème Tome II, page 175 et suivantes, en le proposant pour un modèle de ce genre d’ouvrage : et nous avons rendu suffisamment compte tant du mérite de la Pièce, que des raisons qui l’occasionnèrent. Il faut remarquer que cette sottise ne fut pas représentée comme celle de Gringore, qui était suivie d’une Moralité et d’une Farce. La Sottise dont on parle ici, fut jouée seule, comme étant capable par sa longueur, de pouvoir remplir un spectacle ordinaire. L’Exemplaire qui nous en a été communiqué à la Bibliothèque du Roi, et que nous croyons unique ; est un in-octavo de trente-sept feuillets, ou soixante-quatorze pages : l’Ouvrage peut contenir quatorze à quinze cents Vers.

 

 

Sottise du Nouveau Monde

 

« Le Nouveau Monde, avec l’Estrif

« Du Pourveu, ou de l’Électif,

« De l’Ordinaire, et du Nommé :

« C’est un Livre bien renommé

« En suivant la forme authentique

« Ordonnée par la Pragmatique.

« À Paris pour Guillaume Eustace... ils se vendent à la Juiverie à l’enseigne des deux Sagittaires, et au Palais au troisième Pilier. » C’est un in-octavo, de vingt-huit feuillets, ou cinquante-cinq pages, qui peut contenir environ quatorze cents Vers[107].

Selon la louable et ancienne coutume, Bénéfice Grand, et Bénéfice Petit, viennent pour être pourvus Pragmatique[108], qui appelle Élection et Nomination, et loue Dieu de ce que tout se passe avec une grande simplicité. Cette joie est troublée par l’arrivée de l’Ambitieux, qui s’adressant à Légat, lui dit sans autre façon[109]

L’AMBITIEUX.

Monseigneur Révérendissime,
Bénéfice grand est vacant.

LÉGAT.

Est-il vrai ? je suis, allez courant
À Quelqu’un, je viens après vous ;
Pleurez, criez à deux genoux,
Demandez-le par récompense ;
Je viendrai comme qui pense,
Et dirai que droit et raison
Veulent que par son oraison
Soit pourvu, et non autrement

Allez.

L’AMBITIEUX.

Je vois donc vivement.

LÉGAT.

Ne dites point que de moi vienne.

Suivant ce conseil, l’Ambitieux revient trouver Légat, et feint de lui annoncer pour nouvelle, que Bénéfice grand est vacant : il ajoute qu’on n’y peut nommer d’autre que lui, attendu ses services, et ceux de sa famille, tant dans les emplois militaires, qu’autres. Légat approuve sa demande, et ordonne à Quelqu’un de le satisfaire.

QUELQU’UN.

Or suis-toi donc, prenez la plume
Écrivez ce que vous voudrez :
Car qui qu’en parle, vous prendrez
Les fruits : c’est mon intention.
Et mandez à Élection
Qu’elle ne soit pas si enragée,
Que à mon vouloir ne soit rangée,
En l’épousant, et l’autre non.

Pour montrer à l’Ambitieux qu’il prend ses intérêts avec chaleur, Quelqu’un enjoint à Vouloir-extraordinaire, d’y tenir exactement la main. L’Ambitieux content au-delà de son espérance, vient remercier Légat, qui lui dit avec affabilité.

LÉGAT.

Voulez-vous Lettres
Cachées, ou chose davantage ?
Ay-je point joué mon personnage ?
Que voulez-vous ? Je puis tout faire.

L’AMBITIEUX.

Pour mieux conduire mon affaire
De blancs signets pour contrefaire,
Les Mandements il me faudrait.
C’est ce dont plût à Dieu adviendrait
Mon affaire à perfection.

LÉGAT.

Pour avoir votre élection,
Voyez-en la un pour le Prévost,
Un pour l’Abbé : ne sonnez mot.
Pour les Archidiacres aussi ;
Les Sacristains, Chantres aussi ;
Voyez-en la pour tous les Chanoines,
Pour Prébendiers, Prêtres ou Moines,
Pour Clergeons, pour Valets d’étable,
Votre cas s’en va tout valable.
Je puis tout en voulez-vous plus ?

L’AMBITIEUX.

Hey, Monseigneur, pour les Consuls,
Officiers, et Gens de Justice.

LÉGAT.

À peine de perdre l’office
Qu’ils ont vus en ci de tout chaux,
À Juges, Baillis, Sénéchaux,
À trois ou quatre Capitaines,
Afin qu’ils frottent leurs mitaines
Un peu des biens, etc.

VOULOIR-EXTRAORDINAIRE à l’Ambitieux.

Vous semble-t-il que soit assez ?
Demandez, il en tient boutique.

Muni de ces pouvoirs, l’Ambitieux ne veut cependant en faire usage, qu’à s’extrême, et tâche à gagner Élection par ses politesses, mais voyant que ses soins sont inutiles, il appelle du secours.

VOULOIR-EXTRAORDINAIRE.

Si faut-il plaise, ou non plaise
Le prendre, car Quelqu’un le mande.

Pragmatique, Bénéfice-grand, et Élection réclament en vain la justice de leur cause. Gardez, car nous sommes en France, dit l’Ambitieux.

VOULOIR-EXTRAORDINAIRE.

À l’Aide, au Roi, à l’aide au Roi,
Je vous arrête, et vous ajourné,

La dispute s’échauffe, Vouloir-extraordinaire, et l’Ambitieux meurtris de coups, viennent demander mainforte à Légat.

LÉGAT.

À vous eu cops ?

VOULOIR-EXTRAORDINAIRE,

Voire par Dieu, Sire, à cent fols.

Pour réduire cette rebelle, dit Légat, il faut absolument nous adresser à Père Saint, qui nous enverra sa grande fille Authentique, et Provision qu’on dit Apostolique. Je crois que le voici, dit Vouloir-extraordinaire.

L’AMBITIEUX.

Voir, mais il ressemble à un Prêtre ?
Pensons-y.

Père Saint qu’on ne fait parler qu’en Langue Italienne, écoute favorablement la Requête de l’Ambitieux et donne ses dépêches à Provision Apostolique. Pragmatique résiste avec tant de force contre ces derniers venus, et contre Collation ordinaire, qui veut s’emparer de Bénéfice petit, que Légat irrité ordonne l’assaut.

LÉGAT.

Allez, Vieille, allez dire un Pleur.

QUELQU’UN.

Or suis, grand Père, oula, oula.
Rendons ce faux cœur étonné.

PÈRE SAINT.

Je tiengne preste le mio bastonne.
Carbato beno quel boccone,
Posco mathar questo beretiqua.

PRAGMATIQUE s’écrie.

Ha ! Dieu, ha ! pauvre Pragmatique,
Cil qui te devrait maintenir,
Premier te veux faire mourir.
Dieu je t’en demande vengeance.

Elle tombe à terre.

Après la chute de Pragmatique, on ne tarde pas à violenter les deux Bénéfices.

BÉNÉFICE-GRAND,

Volens nolo, nolens volo.

Sans s’embarrasser de ce langage qui lui est inconnu, Légat unit Bénéfice grand avec l’Ambitieux, et le petit avec collation ordinaire, Élection et Nomination après avoir pleuré leur Mère Pragmatique, se retirent auprès d’Université leur aïeule, et lui font part de leur désastre. Université au désespoir fait de vifs reproches à Père Saint, à Quelqu’un, et à Légat. Voici ce qu’elle ajoute :

Droit et Raison, je vous commande,
Que alliez sans que plus m’attendent,
La Pragmatique sublever :
Lever chaud, or pour approuver
Ces faits, mettez Élection
Au plus près de Grand Bénéfice,
Près du Petit Nomination :
Ainsi le veut Droit et Justice,

Et la Pièce finit par les Vers suivants, qui en contiennent le but et le sens moral.

Prince qui mettez tous faits en excellence,
Cette balance qu’est pleine d’insolence,
D’un coup de lance, rends-la-moi toute éthique,
Remettant sur du tout la Pragmatique.

 

 

Le Jeu du Princes des Sots et Mère Sotte

 

« Joué aux Halles de Paris, le Mardi-gras, l’an mil cinq cens et onze... Fin du Cri, Sottie, Moralité, et Farce, composées par Pierre Gringore, dit Mère Sotte, et imprimées pour icelui. »

S’enfuit la Sottie[110].

Le Spectacle s’ouvre par les préparatifs pour l’assemblée des Sots. On réveille le Seigneur de Pont-Alletz[111] pour se mettre en devoir de recevoir les Chefs de l’État. Arrivent le Prince de Nates, le Seigneur de Joie, et le Général d’Enfance.

LE SEIGNEUR DE JOIE.

Me voici auprès de la proie,
Passant temps au soir et matin,
Toujours avec le féminin,
Vous savez que c’est mon usage.

LE GÉNÉRAL D’ENFANCE.

Hon, hon, men, men, pa, pa, tet, tet,
Du lolo, au cheval fondu.

LE IIe SOT.

Parbleu voilà bien répondu
En Enfant !

Qu’y a-t-il donc, Messieurs, dit le Seigneur du Plat, en entrant, je suis fort complaisant, et ne refuse jamais hospitalité à tous

Pipeux, joueux, et hasardeux,
Et gens qui ne veulent rien faire.

Un moment après paraît le Seigneur de la Lune, accompagné des Abbés de Frévaulx, et de Plate-Bource : enfin arrive le Prince des Sots, suivi du Seigneur de Gayecté, qui promet sa bienveillance à toute l’Assemblée.

LE PRINCE DES SOTS.

Honneur, Dieu garde les Sots et Sottes :
Benedicite ! que j’en vois !

Le Prince s’informe ensuite de l’état de ses Sujets. Seigneur, dit le premier Sot.

Nos Prélats ne sont point ingrats,
Quelque chose qu’on en babille,
Ils ont fait durant les jours gras
Banquets, bigne, et tels fracas
Aux Mignonnes de cette Ville.

L’ABBÉ DE FRÉVAULX.

Par devant vous veux comparaître :
J’ai dépensé, notez cela,
Et mangé par ci, et par là,
Tout le revenu de mon cloître.

LE PRINCE.

Vos Moines ?

L’ABBÉ.

Et ils doivent être
Par les champs pour se pourchasser :
Bien souvent quand ils cuident repaître,
Ils ne savent les dents où mettre,
Et sans souper s’en vont coucher.

L’arrivée de Sotte Commune empêche le Prince de continuer ses questions. Que voulez-vous ? dit le Prince des Sots à cette dernière. Je ne sais ce que signifie tout ce que je vois, répond-elle.

SOTTE COMMUNE.

Tant d’allées, et tant de venues,
Tant d’entreprises inconnues,
Appointements rompus, cassés,
Trahisons secrètes, inconnues,
Mourir de fièvres continues,
Breuvages, et bouquons braisés,
Blancs scellés en secret passés,
Faire feux, et puis voir rancune.

En un mot, ajoute-t-elle, je dépéris de jour en jour, et l’Église enlève tout mon bien. Comme le Prince se dispose à écouter ses raisons, il en est empêché par l’approche de « la Mère Sotte, habillée par dessous en Mère Sotte, et par dessus en habit ainsi comme l’Église, » qui entrant sur la Scène, déclare à Sotte Occasion, et Sotte Fiancé, ses deux Confidentes qu’elle veut usurper le temporel des Princes. Disposez entièrement de moi, dit la dernière : Je consens à éblouir le Peuple par mes amples promesses. En tout cas, continue-t-elle, je ne ris que pas beaucoup, car

On dit que vous n’avez point d’honte
De rompre votre foi promise.

SOTTE OCCASION.

Ingratitude vous surmonte,
De promesse ne tenez compte,
Non plus que Boursiers de Venise.

Votre entreprise est fort difficile, ajoute Sotte Occasion. Je ne puis faire autrement, réplique Mère Sotte, car un Médecin Juif très habile, m’a prédit que,

Aussitôt que je cesserai
D’être perverse, je mourrai :
Il est ainsi pronostiqué.

Au reste, continue-t-elle.

La bonne foi c’est le vieux jeu.

Suivant cette résolution, elle tâche à séduire les Prélats sujets du Prince des Sots.

MÈRE SOTTE.

Or je vous dirai tout le cas,
Mon fils la Temporalité
Entretient, je n’en doute pas,
Mais je veux par fas ou nephas
Avoir sur lui l’autorité
De l’Espiritualité,
Je jouis ainsi qu’il me semble.
Tous les deux veux m’élire ensemble.

Je suis résolue à pousser la chose à l’extrémité, ajoute-t-elle ; et s’il le faut, décider ma querelle par la voie des armes.

PLATE BOURCE.

Mais gardons le Spirituel :
Du Temporel ne nous mêlons.

MÈRE SOTTE.

Du Temporel jouir voulons.

Vous n’entendez pas vos intérêts, continue Mère Sotte ; et de plus, ne vous ferai-je pas part des dignités ; dont je dispose à ma fantaisie.

L’ABBÉ DE FRÈVAULX.

Nous ferons treize Cardinaux ;
Je l’entends bien à cette fois.

Les Seigneurs Sujets du Prince des Sots, loin de se laisser surprendre par ces promesses, renouvellent leurs protestations de fidélité à leur Souverain. Le Seigneur de la Lune seul quitte son parti, pour se ranger dans celui de Mère Sotte.

LE SEIGNEUR DU PONT-ALLETZ.

Je n’entends pas ce contrepoint ;
Notre Mère devient Gendarme ?

MÈRE SOTTE.

Prélats debout, alarme, alarme :
Abandonnez Églises, Autel :
Chacun de vous se trouve ferme.

« Ici se fait une bataille de Prélats et Princes. » Ce Combat se termine plus heureusement qu’on n’aurait cru. Le Prince des Sots découvre la Robe de Mère Sotte, et la fait connaître pour ce qu’elle est, ainsi que ses deux Compagnes ; et on conclut à la déposer.

LE IIIe SOT.

Punir la faute de son forfait,
Car elle fut posée de fait
En sa chaire par simonie.

 

Fin du Catalogue des Sotties ou Sottises.

 

 

THÉÂTRE DE L’HÔTEL DE BOURGOGNE

 

Nous avons laissé[112] les Confrères de la Passion possesseurs d’un terrain de dix-sept toises de long, sur seize de large, faisant partie de l’ancien Hôtel de Bourgogne, acquis par Jean Rouvet, qui leur en avait cédé cette portion le 30 août 1548[113].

Cette acquisition faite, les Confrères usèrent de toute la diligence possible pour mettre leur Salle de Spectacle en état d’y représenter leurs Mystères. Ils se flattèrent, sans doute, que ceux de l’ancien, et du nouveau Testament leur seraient permis ; car ils mirent sur la porte de leur Hôtel une pierre, où était en relief le Mystère de la Passion. Mais le Parlement, en leur accordant la liberté de continuer leurs Jeux, leur défendit en même temps les Mystères Sacrés, et ceux des Saints et des Saintes[114]. Ainsi les Confrères restèrent à ne faire usage que des Pièces profanes, en représentèrent dans ce genre pendant plus de trente ans, et ce ne fut que vers 1588 qu’ils louèrent leur privilège, et leur Hôtel à une troupe de Comédiens.

Ce fait que nous prouverons par les Lettres Patentes des Rois Henri II, François II, Charles IX, Henri III, par plusieurs Arrêts du Parlement où les Confrères y sont nommés seuls, et exécutants des pièces tirées de l’Histoire, et des Romans. Ce fait, dis-je, n’a pas été éclairci par les Historiens, qui n’ont point mis d’intervalle entre l’Arrêt du Parlement du 17 novembre 1548, et l’accommodement des Confrères avec cette troupe de Comédiens[115]. Ainsi, rien n’est plus sûr que les Confrères continuèrent leurs Spectacles par eux-mêmes, mais à la vérité avec moins de succès que par le passé : les gens de goût depuis longtemps méprisaient les productions qui paraissaient sur leur Théâtre : Ajoutons, que peu d’années après l’établissement des Confrères à l’Hôtel de Bourgogne, il parut tout d’un coup cinq ou six Poètes, qui firent connaître aux Français le véritable genre de ce Spectacle, en composant des Tragédies, et des Comédies sur le modèle des Poètes Grecs et Latins. Malheureusement pour les progrès de cet Art, les Latins l’emportèrent sur les Grecs, et Sénèque fut préféré à Euripide. Les Sentences, et le langage ampoulé du premier étaient plus à la portée de l’esprit, et de l’Idiome Français de ce temps. Ronsard qui avait francisé le Grec et le Latin dans ses Ouvrages[116] donnait le ton aux beaux esprits, qui étaient si grands admirateurs de ce Poète, qu’on étudiait la langue dans ses vers[117]. De sorte que les barbarismes de Ronsard, et le style enflé de Sénèque, étaient les bases sur lesquelles toutes les Tragédies furent taillées, non seulement pendant le cours de ce siècle, mais encore plus de trente années dans le suivant.

Malgré les défauts qui règnent dans les Ouvrages Dramatiques des Poètes dont nous venons de parler, il faut cependant avouer qu’ils ouvrirent une route fort utile à de grands hommes. Sans Jodelle et Grevin, peut-être que Garnier et Théophile n’eussent jamais pensé à devenir Auteurs Tragiques ; et sans ces derniers, Mayret, Rotrou et du Ryer n’auraient pas tant donné d’émulation au grand Corneille : c’est ce que nous ferons voir dans l’ordre Chronologique des Pièces de Théâtre.

Ce fut en 1552 que Jodelle, par une heureuse hardiesse, substitua aux Spectacles ridicules de son temps, la Comédie, et la Tragédie dans le goût des anciens. Ce nouveau genre de pièces, eut tout le succès que l’Auteur pouvait s’en être promis. Le Roi Henri II honora plusieurs fois de sa présence les pièces de Jodelle, qui aidé de ses amis, les représenta lui-même. Les Confrères de la Passion ne furent pas oubliés dans le Prologue de la Comédie d’Eugène[118]. Le public approuva la critique, et c’est ce qui commença à donner du discrédit au Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne ; d’autant plus que les autres Poètes, tels que Baïf, la Péruse, et Grevin suivirent Jodelle dans le même genre.

Cependant, malgré le peu de cas qu’on faisait du Spectacle des Confrères, ils ne laissèrent pas d’obtenir du Roi Henri II de nouvelles Lettres Patentes[119] en faveur de leur Confrérie. François II leur en accorda de pareilles au mois de Mars 1559. Charles IX fit plus ; il leur remit ses droits de lods et ventes du terrain de l’Hôtel de Bourgogne, tant du passé que de l’avenir[120], pour lesquels le Substitut du Procureur Général de la Chambre du Trésor, les avait fait assigner, et saisir tous leurs effets.

Cette affaire finie, les Confrères quelque temps après en échafaudèrent une autre, qui fut encore plus fâcheuse. Le Curé de Saint Eustache, Monsieur René Benoît, obtint de la Chambre séante au Châtelet, que les Confrères n’ouvriraient les portes de leur Spectacle qu’après Vêpres dites. Il fallut obéir à l’Arrêt, et le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne devint presque désert. Les Confrères représentèrent au Parlement « Que cette Ordonnance rendait leurs Privilèges illusoires, et sans effet, parce qu’il leur serait impossible, les jours étant courts, de vaquer à leurs dits Jeux, pour les préparatifs desquels, ils avaient fait une infinité de frais ». Ils ajoutèrent dans cette même Requête « Qu’ils payaient cent écus de rente à la recette du Roi, pour le logement, et trois cent livres tournois de rente aux Enfants de la Trinité, tant pour le Service Divin, que pour l’entretien des Pauvres : » Et conclurent « Qu’il leur fût permis d’ouvrir les portes de leur Jeu, pour les allants, et les venants, à la manière accoutumée, à la charge toutefois qu’ils ne commenceraient leurs jeux qu’à trois heures sonnantes, à laquelle heure les Vêpres avaient accoutumées d’être dites. » Le Parlement, par Arrêt du 17 novembre 1574, accorda ces demandes ; mais le Curé de Saint Eustache ayant fait de nouvelles oppositions, suspendit encore près de trois ans l’effet de cet Arrêt. Enfin en 1577, les Confrères obtinrent un nouvel Arrêt du Parlement qui permit ce qu’ils demandaient, mais à condition qu’ils répondraient des scandales qui pourraient arriver à leurs Jeux[121].

Pendant que les Confrères disputaient pour leurs Privilèges, il s’élevait une foule de Poètes, qui, sur les traces de Jodelle, composaient des Tragédies, et des Comédies. Le nombre de ces pièces devint si considérable, et si fort à la mode, qu’il se forma plusieurs Troupes d’Acteurs, sous le titre de Comédiens, pour les représenter. Ces Comédiens coururent pendant un assez long temps les Provinces, le Privilège des Confrères les excluant de jouer à Paris. Cependant en 1584, une de ces Troupes, flattée par les applaudissements qu’elle avait reçus en plusieurs Villes du Royaume, vint de sa propre autorité s’établir à Paris à l’Hôtel de Cluny rue des Mathurins, où elle loua un lieu propre à ses représentations. Cette Troupe eut tout le succès que la nouveauté donne ordinairement, mais ce succès fut court : à peine avait-elle joué une semaine, que le Parlement, averti de son entreprise, rendit un Arrêt pour en arrêter le progrès. Il « fait défenses à ces Comédiens de jouer leurs Comédies, ni de faire aucunes assemblées, en quelque lieu de la Ville, ou des Faubourgs que ce soit, et au Concierge de l’Hôtel de Cluny de les y recevoir, à peine de mille écus d’amende. » Cet Arrêt leur fut à l’instant signifié, et ils se retirèrent[122].

Deux autres Troupes parurent à Paris, quatre ans après, et firent de nouvelles tentatives pour s’y établir. L’une était de Français, et l’autre d’Italiens[123]. Ceux-ci introduisirent des Pantomimes dans leurs pièces, en sorte qu’à l’imitation des anciens Histrions, c’était un mélange de récits, et de gesticulations, ou de tours de souplesse : cela leur attira d’abord un fort grand concours, mais l’ordre public ne put pas les souffrir longtemps. Le Parlement rendit un Arrêt le 10 Décembre 1588, par lequel il fit défenses à tous Comédiens, tant Italiens que Français, de jouer des Comédies, ou de faire des tours de subtilités, soit aux jours de Fêtes, ou aux jours ouvrables, à peine d’amende arbitraire, et de punition corporelle.

Nous voici enfin arrivés à l’époque, où les Confrères furent obligés de louer leur Privilège, et leur Hôtel à une Troupe de Comédiens. Le Jeu et le genre des pièces que ces derniers représentaient, avait pris le dessus des Moralités et des Mystères profanes. De plus, ces Confrères occupaient bien les mêmes places de leurs Prédécesseurs, mais ils n’en possédaient pas les talents ; et depuis plusieurs années, les honnêtes gens avaient abandonné leur Spectacle, et même on s’en était plaint très sérieusement[124] ; au lieu que les Comédiens étaient souhaités, et méritaient de l’être, par les pièces qu’ils représentaient, dans lesquelles, si on ne trouvait guère plus d’art, du moins y trouvait-on plus de bon sens. Voilà ce qui engagea, sans doute, les Confrères à se retirer du Théâtre. Les plus fins répandirent dans le monde, que le titre Religieux qui caractérisait leur Société, ne leur permettait pas de jouer des pièces profanes.

Sans avoir des Mémoires particuliers, on peut affirmer que cette première Troupe Française, fut souvent interrompue dans les représentations, par les guerres civiles et étrangères, qui dévastèrent le Royaume, particulièrement la Ville de Paris, depuis 1588 jusqu’en 1593. Mais lorsque le Roi Henri IV fut devenu paisible possesseur de ses États, tout reprit une face riante, les plaisirs revinrent en foule, et les Comédiens ne furent pas les derniers à ressentir la douceur du règne, et les bienfaits de ce grand Monarque[125].

Les Foires ont une prérogative de franchise que nos Rois leur ont accordée en faveur du Commerce, ce qui fait cesser pour un temps, et en certains lieux, tous les Privilèges des Corps, ou Communautés. Sur ce fondement, quelques Comédiens de Province élevèrent un Théâtre à Paris, dans les lieux, et dans les temps de la Foire Saint Germain[126]. Les Propriétaires de l’Hôtel de Bourgogne s’en plaignirent au Lieutenant-Civil, et firent assigner devant lui les Comédiens Forains. Ils cessèrent aussitôt leurs représentations, en attendant que le Magistrat eût levé cet obstacle[127] ; mais pendant l’Instance, le peuple toujours impatient, et amateur des nouveautés, entreprit de s’en venger sur l’Hôtel de Bourgogne, et il s’y fit des attroupements et des insolences aux jours ordinaires de la Comédie. L’affaire discutée en peu de jours, fut enfin jugée par Sentence du 5 Février 1596. Le Magistrat n’estima pas que le Privilège exclusif accordé aux Maîtres de l’Hôtel de Bourgogne fût plus fort que les Statuts des Corps des Marchands, et des Arts et Métiers de Paris, dont l’effet est suspendu en faveur des Forains, pendant la Foire. Ainsi, appliquant ce motif au sujet qui se présentait, et voulant aussi calmer le peuple, et maintenir la tranquillité des Spectacles, il permit, par Sentence, à ces Comédiens Forains, de jouer pendant la Foire Saint Germain seulement, et sans tirer à conséquence, à la charge de ne représenter que des sujets licites, et honnêtes, qui n’offensassent personne : comme aussi à condition de payer par chacune année qu’ils joueraient, deux écus aux Administrateurs de la Passion, Maître de l’Hôtel de Bourgogne ; et par la même Sentence, faisant droit sur les Conclusions du Procureur du Roi, il fit défenses à toutes personnes, de quelque condition qu’elles fussent, de faire aucune insolence en l’Hôtel de Bourgogne, lorsqu’on y représenterait quelques Jeux ; d’y jeter des pierres, de la poudre, ou autres choses qui pussent émouvoir à sédition, à peine de punition corporelle, et que cette Sentence serait publiée à son de trompe devant l’Hôtel de Bourgogne, un jour de Comédie, et aux lieux que besoin serait ; ce qui fut exécuté.

Cette Ordonnance, qui devint dans la suite une espèce de loi, porta un coup terrible aux Confrères : ils le sentirent, et crurent le parer, en présentant une Requête adressée au Roi Henri IV, dans laquelle, non seulement ils le suppliaient de leur accorder la continuation de leurs Privilèges, mais encore la permission de représenter des Mystères tels que ceux qui avaient paru sous les Règnes des Rois Charles VI, Charles VII, Louis XI, Charles VIII, Louis XII, et François Ier.

Henri IV, par ses Lettres du mois d’Avril 1597, en confirmant les Lettres de ses Prédécesseurs, permit aux Confrères de la Passion, de donner les Mystères de l’ancien et du nouveau Testament, et toutes autres pièces honnêtes, et récréatives, avec défenses à tous autres de les représenter ailleurs que dans la Salle de l’Hôtel de Bourgogne. Ces Lettres furent portées au Parlement qui ne les enregistra le 28 Novembre 1598, qu’à l’égard des pièces profanes, licites, et honnêtes, avec défenses de représenter la Passion, ni aucun autre Mystère sacré[128] ; de sorte que le projet des Confrères fut anéanti par cet Arrêt, puisqu’il les mettait dans le cas de jouer eux-mêmes des pièces, pour lesquelles le public depuis longtemps marquait un fort grand mépris, et qu’ils étaient hors d’état de représenter, attendu que depuis dix ou douze ans, ils n’avaient point exercé une pareille profession.

D’un autre côté, une troupe de Comédiens de Province, qui peut-être était venue à Paris, pour y jouir des franchises de la Foire Saint Germain, forma le dessein de s’établir dans cette Ville. Il faut croire qu’elle avait de fortes protections ; car malgré une Sentence contradictoire du 28 Avril 1599[129], qui défendait à tous Bourgeois de louer aucun lieu, pour y représenter la Comédie, elle ne laissa pas de paraître l’année suivante 1600, sur un Théâtre qu’elle avait fait bâtir au Quartier du Marais du Temple, en une maison nommée l’Hôtel d’Argent[130]. Il est vrai que ces Comédiens furent obligés de payer aux Confrères toutes les fois qu’ils jouaient[131], un écu tournois.

Chapuzeau va nous rendre compte de l’établissement, des progrès, et de la fin de ce Théâtre, dont nous aurons souvent sujet de parler dans le cours de cet Ouvrage[132].

« Les accroissements de la Ville de Paris, donnèrent occasion à une troupe de Comédiens, (mais avec le consentement de celle qui représentait à l’Hôtel de Bourgogne) d’élever un Théâtre dans une maison nommée l’Hôtel d’Argent, au Quartier du Marais du Temple. Cette Troupe s’y est maintenue jusqu’en 1673, et a toujours été pourvue de bons Acteurs, et d’excellentes Actrices, à qui les plus célèbres Auteurs ont confié la gloire de leurs Ouvrages. Elle n’avait qu’un désavantage, qui était celui du poste qu’elle avait choisi à une extrémité de Paris, et dans un endroit de rue fort incommode : mais son mérite particulier, la faveur des Auteurs qui l’appuyaient, et ses grandes pièces de machines, surmontaient aisément les dégoûts que l’éloignement du lieu pouvait donner aux Bourgeois, surtout en hiver, et avant le bel ordre qu’on a apporté pour tenir les rues bien éclairées jusqu’à minuit, et nettes partout et de boue, et de filous. Cette Troupe allait quelques fois passer l’Été à Rouen, étant bien aise de donner cette satisfaction à une des premières Villes du Royaume ; de retour à Paris de cette petite course dans le voisinage, à la première affiche, le monde y courrait, et elle se voyait visitée comme de coutume.

« Il est arrivé de temps en temps de petites révolutions dans cette Troupe, et toujours causées par quelques mécontentements des Particuliers, ou par quelques intérêts nouveaux. Il y a eu de bons Comédiens qui ont quitté le Marais où ils étaient estimés, sans nulle nécessité, et de gaieté de cœur, le poste de Paris leur plaisant moins que la liberté de la Campagne. Mais la plus grande révolution de la Troupe du Marais a été l’abandon du lieu, et sa jonction avec la Troupe du Palais Royal, dont le Spectacle fut interrompu par la mort de Molière, qui arriva au commencement du Carême, le Vendredi 17 Février 1673. La Troupe de ce dernier s’attendait à continuer après Pâques les représentations du Malade imaginaire, que tout Paris souhaitait de voir, mais quatre personnes de cette Troupe s’étant engagées avec l’Hôtel de Bourgogne, et se trouvant en possession des premiers rôles de beaucoup de pièces, ceux qui restaient furent hors d’état de continuer. Il se fit de part et d’autre des voyages à la Cour, chacun y eut ses patrons auprès du Roi : le Marais se remuait de son côté, et comme État voisin, songeait à profiter de cette rupture, le bruit courant alors que les deux anciennes Troupes travaillaient à abattre entièrement la troisième qui voulait se relever.

« Sur ces entrefaites, le Roi (Louis XIV) ordonna que les Comédiens n’occuperaient plus la Salle du Palais Royal, et qu’il n’y aurait plus que deux troupes Françaises dans Paris. Les premiers Gentilshommes de la Chambre eurent ordre de ménager les choses dans l’équité, et de faire en sorte qu’une partie de la troupe du Palais Royal, s’étant unie de son chef à l’Hôtel de Bourgogne, l’autre fut jointe au Marais, de l’aveu du Roi. L’affaire fut quelque temps en balance, les intérêts des Comédiens étant difficiles à démêler par des personnes qui ne peuvent entrer dans ce détail, et n’ayant pu être terminée avant le départ du Roi, Sa Majesté ordonna à M. de Colbert d’avoir également soin de la troupe du Marais, et du débris de celle du Palais Royal, en faisant choix, comme il le jugerait à propos, des plus habiles de l’une et de l’autre, pour en former une belle Troupe. Ce grand Ministre d’État, chargé du poids des premières affaires du Royaume, se déroba quelques moments, pour régler celles des Comédiens. Il nomma les personnes qui devaient composer la nouvelle Troupe, ordonna des parts, des demi-parts, des quarts, et trois quarts de parts ; fit défenses, de la part du Roi, aux Comédiens du Marais en général, de paraître jamais sur ce Théâtre, et en tira des Particuliers, selon qu’il le trouva bon, pour les unir à ceux du Palais Royal[133], qui ne fit plus qu’une seule Troupe, sous le nom de la Troupe du Roi. »

Revenons présentement aux Comédiens de l’Hôtel de Bourgogne, dont nous suivrons l’Histoire préférablement à celle de leurs camarades, avec d’autant plus de raison, qu’ils furent les premiers établis à Paris, qu’ils obtinrent les premiers le titre de Comédiens du Roi, avec une pension de douze mille livres, et que successivement les uns aux autres, avec le même titre et prérogatives, ils ont passé de l’Hôtel de Bourgogne, au Théâtre de Guénégaud, et de ce dernier dans un Hôtel bâti à leurs dépens, rue des Fossés Saint Germain où ils représentent tous les jours.

Pendant que la Troupe du Marais s’établissait, celle de l’Hôtel de Bourgogne continuait ses représentations. Elle n’avait aucun sujet de se plaindre de la permission que les Comédiens du Marais avaient obtenu, puisqu’elle en tenait une pareille des Confrères de la Passion ; et ces derniers se trouvaient trop heureux de recevoir de deux endroits de quoi payer leurs dépenses nécessaires, et fournir encore à d’autres qu’ils faisaient pour leur propre satisfaction ; mais ce bonheur dura peu ; la Société des Enfants sans Souci, qui subsistait encore sous le titre de la Sottise, leur fit essuyer un procès qui dura plus de cinq ans : ensuite les Comédiens du Marais s’élevèrent contre eux, et les réduisirent à recevoir simplement le loyer de leur Hôtel. Ce Règlement fut fait en 1629. C’est par où nous finissons l’Article des Confrères de la Passion que nous reprendrons dans l’ordre Chronologique de l’Histoire du Théâtre, lorsque nous y serons arrivés. Rendons compte présentement de ce qui se passa depuis 1600 jusqu’en 1629.

Ce fut en 1603 que commença le procès du Prince de la Sottise contre les Confrères de la Passion, et les Comédiens qui représentaient à leur Hôtel. Ces derniers, sous le prétexte de la défense qui avait été faite à la Société des SOTS ATTENDANTS, (c’est le titre qu’ils prenaient) de faire une entrée dans la Ville, leur refusèrent celle de leur Spectacle, avec la collation le jour du Mardi-Gras, ainsi qu’ils en étaient convenus, et qu’il avait été d’usage jusqu’alors : Disant, que cette Société n’étant reçue à l’Hôtel de Bourgogne qu’en vertu de son entrée, les Confrères, et ceux qui représentaient, n’étaient plus tenus aux mêmes conditions, cette entrée leur ayant été interdite. Le Prince des Sots allégua, pour évincer ce refus, qu’à la vérité le Roi avait suspendu la permission de faire le Mardi-Gras une entrée solennelle avec la Troupe dans la Ville de Paris, mais que cette défense n’était point relative aux droits qu’il avait sur l’Hôtel de Bourgogne, dont il était chef, avec les Confrères, puisqu’il avait été caution et preneur avec eux, lors de leur acquisition de cet Hôtel, ainsi qu’il le justifiait par les titres de possession. Malgré cette réponse, les Confrères refusèrent de remplir leurs engagements, et même usèrent de main mise contre le Prince des Sots, et ses Sujets. Enfin en 1608 intervint un Arrêt du Parlement, qui nous a paru nécessaire de placer ici en entier.

« Du 19 Juillet de relevée. Entre Nicolas Joubert, Prince des Sots, Chef de la Sotie de l’Hôtel de Bourgogne, demandeur en exécution des Arrêts de la Cour, selon sa Requête du 3 Juillet 1606, d’une part, et les Maîtres de l’Hôtel de Bourgogne, et Valleran le Comte, Comédien audit Théâtre dudit Hôtel, et Jacques Resneau, défendeurs et opposants d’autre : Vu par la Cour, les demandes, défenses, appointement en droit, productions des dites parties ; Arrêt du 7 Février 1606, entre ledit Joubert, appelant de la Sentence donnée par le Prévôt de Paris le 19 Mars 1605, et demandeur en Requête du 10 Mai audit an, d’une part, et Macloud Poullet, Guidon de la Sotie et Nicolas Arnault, Hérault de ladite Sottise, et les Maîtres dudit Hôtel de Bourgogne, intimés et défendeurs d’autre : par lequel sur ledit appel, les parties auroient été appointées au Conseil, et ordonné que les Arrêts seraient exécutés, et à eux enjoint d’y obéir, à peine de punition. Autre instance d’entre ledit Joubert, demandeur et requérant l’entérinement des Lettres par lui obtenues le 30 Août dernier, tendant à fin d’être dispensé de faire entrée dans cette Ville de Paris, ainsi qu’il y était tenu, et nonobstant qu’il n’ait fait ladite entrée, qu’il jouirait des droits et profits à sa charge appartenant, d’une part : et lesdits Gouverneurs et Administrateurs du dit Hôtel de Bourgogne, défendeurs, d’autre. Productions, et contredits desdites parties sur ledit au Conseil. Autre production dudit Joubert, en ladite Instance de Lettres. Forclusion de produire par lesdits Maîtres, Administrateurs en ladite Instance. Information faite à la requête dudit Joubert les 15 Décembre 1603, 14 et 28 Janvier 1604. Autre information faite par Cordelle, Huissier en ladite Cour, à la requête dudit Joubert les 26 Février, et 9 Mai audit an. Procès verbal de Toussaint de Charneau Sergent, du 23 Janvier 1605, voulant mettre ledit Joubert en possession de sa loge audit Hôtel de Bourgogne, contenant l’empêchement, et injures à lui faites. Autres informations aussi faites à la requête dudit Joubert, par les Commissaires Oudet, Boudyer, et Jacquet, et par Gaultier aussi Huissier en ladite Cour, les 4 Avril et 12 Août 1604 ; 14 Mars 1605, 11 Février et 4 Mai 1606, et 29 Septembre 1609. Conclusions du Procureur Général du Roi. Tout considéré, il sera dit ; Que ladite COUR faisant droit sur ladite demande à exécution d’Arrêts, a ordonné et ordonne, que les Arrêts du 2 Mars et 27 Octobre 1604, et 5 Février 1606, et 19 Février 1608, seront exécutés, et conformément à iceux, a maintenu et gardé, maintient et garde ledit Joubert en la possession et jouissance de sa Principauté des Sots, et des droits appartenant à icelle, même du droit d’entrée par la grande porte dudit Hôtel de Bourgogne, et préséance aux assemblées qui s’y feront, et ailleurs par lesdits Maîtres et Administrateurs, et en jouissance et disposition de sa loge, à lui adjugée par lesdits Arrêts ; a condamné et condamne lesdits Administrateurs lui en rendre et restituer les fruits depuis son installation, sauf à déduire ce que ledit Joubert aura reçu. Et fait inhibition et défenses auxdits Administrateurs de le troubler et empêcher en la possession, et jouissance de ses droits, de lui méfaire, médire, ni injurier, sous peine de punition. Et pour les contraventions auxdits Arrêts, condamne lesdits Administrateurs en quatre-vingt livres parisis, qui seront distribués aux Pauvres, et ès dépens pour ce regard. Et sur l’appel de ladite Sentence du 19 Mars, et incidents de Lettres ; a mis et met l’appellation, et ce dont a été appelé au néant, sans amende et sans dépens, tant de la cause principale que d’appel ; en émendant ayant égard auxdites Lettres, a déchargé et décharge ledit Joubert de faire son entrée en cette Ville de Paris, jusqu’à ce que par la Cour en ait été ordonné, et condamne lesdits Administrateurs ès dépens de ladite Instance. Et pour le regard desdits Valleran le Comte, et Resneau, a mis, et met lesdites parties hors de Cour et de procès, sans dépens. »

L’Arrêt que nous venons de rapporter, n’eût apparemment qu’une exécution de peu de durée : car depuis, il n’est plus fait mention du Prince des Sots, ni de sa Société, et même, en 1612, quatre ans après ce même Arrêt, dans la Requête que les Comédiens présentèrent au Roi Louis XIII pour lui demander l’extinction des privilèges des Confrères de la Passion, on y parle du Prince de la Sotie, comme d’un titre méprisable, et qui n’existait plus[134].

Depuis plusieurs années, les Comédiens de l’Hôtel de Bourgogne cherchaient à s’affranchir du droit qu’ils payaient aux Maîtres et Gouverneurs de la Passion, pour avoir celui de représenter sur leur Théâtre. Ces premiers ne voulaient plus dépendre d’une Société, qui par succession de temps, était devenue le réceptacle des plus vils Artisans, plus méprisables encore par leurs débauches, que par leur profession. Ils se crurent d’autant plus autorisés à faire éclater leurs mécontentements, que le Roi (Louis XIII) les avait nommés ses Comédiens, et que conséquemment à cette grâce, ils affichaient dans Paris avec le titre de Troupe Royale. C’est pourquoi ils ne balancèrent plus à demander la révocation des Privilèges accordés aux Confrères, par une Requête qu’ils présentèrent au Conseil, que nous allons rapporter en son entier, comme une pièce nécessaire à l’Histoire du Théâtre.

 

 

Remontrance au Roi, et à nos Seigneurs de son Conseil,

pour l’Abrogation de la Confrérie de la Passion, en faveur de la Troupe Royale des Comédiens.

 

Après un préambule, qui contient un Éloge de la Comédie, ils continuent.

« Ainsi, vos Comédiens, SIRE, qui par leurs bonnes qualités ont acquis des amis assez puissants pour leur faciliter l’entrée de votre Cabinet, et assez zélés en leur intérêt, pour les favoriser de leur présence, ils s’adressent de plein vol à Votre Majesté, sans aucune autre recommandation, ni assistance que leur bon droit, dans lequel ils ont établi l’espérance de leur victoire.

« Leurs prétentions, SIRE, à présent, ne sont autres que celles même à mes qui ont donné lieu au différend qui se mût, il y a quelque temps votre Conseil, entre vos Comédiens, et les soi-disant Maîtres de la Confrérie de la Passion, lors duquel Votre Majesté trouva bon d’adjuger à ceux-là l’Hôtel dit de Bourgogne, pour trois ans seulement, par provision, et aux charges portées par l’Arrêt, attendant la décision du principal[135], laquelle, vos Comédiens poursuivent aujourd’hui ; et pour cet effet, supplient humblement Votre Majesté, en exécutant les Ordonnances de nos Rois vos Prédécesseurs, qu’il lui plaise abroger cette Confrérie de la Passion inutile, préjudiciable, et scandaleuse à la Religion, à l’État, et au Particulier, avec défenses aux soi-disant Confrères, de la continuer, à peine d’être convaincus de Lèse-majesté : et en conséquence ordonner que les biens et revenus de ladite Confrérie seront unis et incorporés au Domaine des Pauvres, ou de l’Hôtel-Dieu ou des Petites Maisons de Paris, à la réserve néanmoins dudit Hôtel de Bourgogne, lequel demeurera perpétuellement affecté à la Troupe de vos Comédiens, en payant par eux annuellement toutes les réparations, rentes, et charges foncières, dont ils demeureront chargés, la somme de cinq cents livres, ou telle autre que Votre Majesté arbitrera ès mains du Receveur à ce commis, de quartier en quartier, et à la charge de bailler par eux, et leurs successeurs, bonne, et sûre caution, pour assurance desdits paiements et charges. Il est vrai que d’abord cette Requête semblera aucunement étrange : mais Votre Majesté, qui pèse les intérêts communs d’autre sorte que ne sont pas les Particuliers, qui ne s’attachent jamais à l’utilité publique, sinon en tant que la leur s’y trouve mêlée jugera que cette demande est raisonnables et juste, puisque l’exécution d’icelle est utile et nécessaire. Juste, d’autant qu’elle est fondée sur tant de saintes Ordonnances, et de si bons exemples : Utile, d’autant que les pauvres en tireront tout le profit, qui leur est beaucoup mieux dû, qu’à ces gorges de Diotime[136] : Nécessaire faire, parce que c’est le vrai moyen de retirer de la débauche tant de malheureux Artisans, qui ayant souvent mis femmes et enfants en chemises pour arriver à ces Maîtrises, où leur vie semble assurée, négligent tout à fait le soin de leur pauvre famille... Il est même sans difficulté que la Comédie a l’avantage du temps sur cette Confrérie, laquelle encore n’a jamais obtenu aucun établissement ni privilège dont elle ne soit redevable à la Comédie, puisqu’ils n’ont été accordés qu’afin d’entretenir le Peuple, par les représentations qui se faisaient en ce temps-là, et pour donner courage à d’autres d’entrer dans la Confrérie, et monter sur le Théâtre. »

Ensuite, les Comédiens rapportent différentes Ordonnances des Rois François Ier, Henry II, Charles IX et Henri

III, et plusieurs Arrêts du Parlement, qui ont abrogé différentes Confréries, comme illicites, et ajoutent au sujet de celle de la Passion.

« Cette Confrérie est du tout préjudiciable aux mœurs, et au bien des familles. »

« Aux mœurs, pour autant qu’en elle repose le fondement de la débauche de tous ces prétendus Confrères, lesquels dépensent inutilement l’argent qu’ils amassent sans peine, et dissipent librement le fonds, pour lequel ils n’ont jamais beaucoup sué ; car il est vrai qu’ils mangent annuellement entre eux quatre à cinq mille livres qu’ils ont de revenus, à la réserve seulement de ce qu’il faut pour l’entreteement d’une Messe tous les Dimanches ; et laquelle, s’il est permis de le dire, sert de prétexte, ou plutôt de rendez-vous, pour passer aux débauches tout le reste de la semaine ; cependant que la plupart des femmes, et des enfants de ces Confrères, à l’imitation de ceux dont parle Jérémie, demandent inutilement du pain pour sustenter leur vie ; au reste entre les pots, et les tréteaux, Dieu sait si les échos se passent sans médisances, sans blasphèmes, sans jeux, et sans ivrogneries.

« Au bien des familles, parce qu’aujourd’hui l’avarice a corrompu les lois, et les plus saintes Ordonnances, en sorte que pour arriver aux Maîtrises de cette Confrérie, il faut faire tant de dépenses, de beuvettes et de festins, que tous, ou la plus part demeurent incommodés le reste de leur vie. »

Après cela on trouve un éloge de la Comédie, et des Acteurs qui la composaient alors : et la Requête finit ce qui suit.

« Cette Confrérie au contraire, n’a jamais reçu, ni produit que de gros Artisans, comme on le voit dans leur par institution, et dans le contrat d’acquisition de l’Hôtel de Bourgogne, quelque vanité qu’ils se donnent par leurs écrits, en se qualifiant honnêtes gens, et bons Bourgeois, honorés la plupart des charges des Paroisses, et du Quartier : aussi tels honneurs répugnent-ils à leur profession, qui les oblige la plupart de mendier leur vie du ministère de leur main, au moyen de quoi ils ne peuvent savoir beaucoup d’honneur ni de civilité, comme dit Aristote ; par conséquent sont incapables des honneurs et des charges publiques, et indignes du titre de Bourgeoisie, par la raison des anciens qui faisaient marcher les esclaves de pair avec les Artisans. »

Cette Requête, qui paraîtra sans doute, assez mal arrangée, mais qui était passable alors, fut assez favorablement écoutée. Les Comédiens furent maintenus à jouer sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, sans craindre d’être dépossédés par les Confrères ; et les premiers continuèrent le procès qu’ils avaient commencé. Enfin en 1629 : ils présentèrent une nouvelle Requête, à laquelle les Confrères répondirent, et sur lesquelles intervint un Arrêt du Conseil ; c’est par ces trois Pièces que nous finirons l’Histoire du Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, que nous reprendrons dans l’ordre Chronologique de ce Ouvrage.

 

 

Au Roi et à nos Seigneurs de son Conseil

 

SIRE,

« Robert Guérin dit la Fleur, Hugues Guéru dit Fleschelles, Henry le Grand dit Belleville, Pierre le Messier dit Bellerose, et leurs associés, tous, Comédiens de Votre Majesté, Vous remontrent très humblement que depuis qu’il aurait, plût au feu Roi, que Dieu absolve, et à Vous, SIRE, les retenir pour leur représenter, et au Public, la Comédie, ils se seraient, à l’exemple de leurs Prédécesseurs, servis d’une Maison sise en votre Ville de Paris, vulgairement appelée l’Hôtel de Bourgogne, qu’ils avaient louée de quelques Particuliers prenant la qualité de Maîtres de la Confrérie de la Passion et Résurrection de N. S. J. C. qu’ils disent leur appartenir, les lesquels ayant fait croire que par quelque laps de temps, que c’était le lieu seul destiné pour représenter toutes Histoires, et Comédies ; et ont souventes fois empêché, non seulement les Suppliants, mais leurs devanciers, et autres Comédiens étrangers de représenter ailleurs, pour s’attribuer de grands profits, et deniers qu’ils tirent et exigent, tant pour ledit louable de la dite Maison, que pour la réserve de plusieurs Loges qui sont en icelle, en sorte qu’il se rencontre ordinairement que lesdits prétendus Maîtres profitent du travail desdits Comédiens, qui bien souvent se font trouver sans profit, toutes charges faites, et payées ; et non contents de ce, et dudit profit qu’ils tirent de leur Bail, il s’est encore trouvée ainsi louée par les Comédiens Italiens, et autres Étrangers, qui en payent grande somme outre les exactions : ils ont, par Sentence, fait défendre le Théâtre auxdits Suppliants, qui s’accommodaient en autres lieux, s’il ne leur était par eux payé un écu par jour[137] lesquelles condamnations lesdits Suppliants ont été forcés d’exécuter par le peu ou point de connaissance qu’ils avaient de l’usurpation desdits lieux, et des mauvaises actions qu’un grand gain qu’ils exigent, produisent journellement : ce qu’ayant appris lesdits prétendus Maîtres, et que les Suppliants avaient tiré quelque lumière par plusieurs personnes qui n’ont pu souffrir la mauvaise application de si grands deniers, quoique levés sous prétexte d’œuvres pies, ils ont, par une pure malice, et au préjudice de la parole qu’ils avaient donnée auxdits Suppliants pour la continuation de leur bail, convenu avec quelque Compagnie de Comédiens nouvellement venus à Paris pour chasser les Suppliants qui sont près de Votre Majesté, pour satisfaire à ses commandements, afin de leur ôter l’envie de faire connaître le mauvais emploi desdits deniers ; de quoi étant avertis, ils se seraient plaints à Elle, qui aurait eu agréable d’y interposer son autorité : et d’autant qu’il est juste que Votre Majesté connaisse comme icelle possession n’est qu’une pure usurpation, ou quoique, ce soit sous un titre précieux et simulé, ils ont recours à Votre Majesté, à ce qu’il leur soit pourvu. À CES CAUSES, SIRE, et attendu ce que dessus, il Vous plaise ordonner que dans huitaine lesdits Maîtres de ladite prétendue Confrérie, apporteront leurs Titres et Contrats en vertu desquels ils s’attribuent ledit lieu nommé l’Hôtel de Bourgogne, les lesquels ils seront tenus de mettre par devers tel de Messieurs qu’il vous plaira commettre, et députer, dont les Suppliants pourront prendre communication, et contre iceux dire ce qu’ils verront : ce fait prendre telles conclusions qu’il appartiendra. Et les Suppliants prieront Dieu pour Votre Majesté. Signé ROUSSEAU, après les Suppliants.

« Il est ordonné que la présente Requête sera signifiée auxdits Maîtres de ladite Confrérie, et à eux enjoint de mettre ès mains du Sieur de Pommereu, Conseiller du Roi, et Maître des Requêtes ordinaires de son Hôtel, dans quinzaine pour tout délai, les Titres et Pièces justificatives du droit prétendu, pour les communiquer auxdits Suppliants, et rapport fait au Conseil, être fait droit ainsi que de raison. Fait au Conseil du Roi, tenu à Fontainebleau le 12 Octobre 1629. Signé POTEL.

 

 

Réponse des Confrères de la Passion

 

« À La Requête des Doyen, Maîtres et Gouverneurs de la Confrérie de la Passion, Maison et Hôtel de Bourgogne, soit déclaré et signifié pour réponse à la Requête présentée au Roi en son Conseil, par Robert Guérin dit la Fleur, Hugues Guéru dit Fleschelles, Henry le Grand dit Belleville, Pierre le Messier dit Bellerose, et leurs Associés, Comédiens de Sa Majesté, à ce que lesdits Doyen, Maîtres et Gouverneurs soient tenus de représenter, et leur communiquer les Titres et Contrats en vertu desquels ils jouissent de ladite Maison et Hôtel de Bourgogne, et Ordonnance dudit Conseil, mise sur ladite Requête le douze du présent mois d’Octobre ; que lesdits Comédiens ne sont Parties capables pour leur faire telle demande, n’étant Propriétaires, Possesseurs, ni Créanciers de ladite Maison, et n’ayant aucun droit ni intérêt quelconque d’en voir les Titres et Contrats : et quand ils seraient capables de ladite Demande, il la faudrait intenter par-devant le Prévôt de Paris, ou son Lieutenant Civil, Juge ordinaire des Parties, et de ladite Maison, et Hôtel de Bourgogne, et par-devant lesquels ils seront, lorsque besoin sera, et à qui il appartiendra, l’exhibition, et communication de leurs Titres et montreront qu’eux, ou leurs Prédécesseurs, ès dites charges ont légitimement acquis la place, sur laquelle ladite Maison est bâtie ; icelle fait bâtie à leurs propres coûts et dépens, et qu’au surplus, ce qu’on leur impute par ladite Requête, a été par eux légitimement fait, et en vertu des Jugements, Sentences et Arrêts contradictoires, à ce que lesdits Guérin et Associés n’en prétendent cause d’ignorance ; Signé : RÉVEILLON, PHILIPPE BRISSE, J. COUILLARD, J. FONTENY, MARTIN BOYVIN, BERTRAND-GUILLAUME JAVELLE. Signifiée le 26 Octobre 1629.

 

 

Arrêt du Conseil

 

« Au sujet de la Contestation entre les Comédiens, et les Confrères de la Passion.

« Sur la Requête présentée au Roi en son Conseil, par Robert Guérin dit la Fleur, Hugues Guéru dit Fleschelles, Henry le Grand dit Belleville, Pierre le Messier dit Bellerose, et leurs Associés Comédiens ordinaires de Sa Majesté, tendante à ce que pour les causes y contenues, il plaise à Sa Majesté, sans s’arrêter à la réponse faite par quelques Particuliers, se disant Maîtres de la Confrérie de la Passion, et Résurrection de Notre Sauveur et Rédempteur J. C. et qui, sous cette qualité, et autres Titres spécieux, se sont emparés de la Maison sise à Paris vulgairement appelée l’Hôtel de Bourgogne ; ordonner que lesdits prétendus Maîtres satisferont à l’Arrêt du Conseil du 10 Octobre dernier. Cependant, attendu que les Suppliants paient le prix convenu pour le louage d’icelle Maison, de laquelle lesdits prétendus Maîtres se réservent la meilleure partie des Loges, et Galeries autour d’icelle, par des puissances comme absolues : ordonner pareillement qu’ils jouiront de toute la totalité d’icelle Maison sans réservation d’aucunes Loges avec défenses auxdits prétendus Maîtres, de commettre, ni préposer aucun à la perception des deniers qui se reçoivent aux portes, aux jours que lesdits Suppliants représentent la Comédie, à peine de cinq cents livres d’amende, contre chacun desdits prétendus Maîtres, et de prison contre ceux qui seront commis pour ladite recette. Vu la Requête signée Rousseau, Avocat. Autre Requête présentée au Conseil par lesdits Suppliants le 10 Octobre, à ce qu’il fut ordonné que dans huitaine lesdits prétendus Maîtres apporteraient leurs Titres, et Contrats en vertu desquels ils s’attribuent le lieu nommé l’Hôtel de Bourgogne, au bas de laquelle est l’Arrêt du Conseil dudit jour, par lequel est ordonné que ladite Requête sera signifiée aux Maîtres de ladite Confrérie, et à eux enjoint de mettre ès-» mains du sieur de Pommereu, Conseiller du Roi, et Maître des Requêtes ordinaires de son Hôtel, dans quinzaine pour tous délais, les Titres, et Pièces justificatives, du droit par eux prétendu, pour iceux communiquer auxdits Suppliants, et Rapport fait au Conseil, être fait droit, ainsi que de raison. Signification d’icelui du 12 dudit mois d’Octobre ; Acte contenant la réponse desdits Maîtres de ladite Confrérie à ladite Requête, par laquelle ils demandent leur renvoi, par-devant le Prévôt de Paris, et que lesdits Suppliants ne sont Parties capables. Signifié le 26 dudit mois d’Octobre dernier. Ouï le Rapport dudit Sieur de Pommereu, Commissaire à ce député, et tout considéré. LE ROI ÉTANT EN SON CONSEIL, conformément audit Arrêt donné en icelui le 10 Octobre a ordonné, et ordonne que lesdits Maîtres de ladite Confrérie mettront entre les mains du Commissaire à ce député dans huitaine pour tous délais les Titres et Pièces justificatives dudit droit par eux prétendu en l’Hôtel de Bourgogne, autrement, et à faute de ce faire, sera fait droit sur la demande desdits Comédiens, sans aucune forclusion, ni signification de Requête. Fait au Conseil privé du Roi, à Saint Germain en Laye, le sept Novembre 1629. signé, LE TENNEUR. Signifié le 8 Novembre 1629. »

 

 

ORDRE CHRONOLOGIQUE ET HISTORIQUE DES POÈTES ET DES PIÈCES DU THÉÂTRE FRANÇAIS

depuis 1552, jusqu’à présent[138].

 

 

Jodelle

 

ÉTIENNE JODELLE, Seigneur du Lymodin, naquit à Paris l’an 1532 et se distingua de bonne heure dans le monde par ses Poésies Françaises. La connaissance qu’il avait des Langues Grecque et Latine, le mit à portée de connaître les Auteurs Dramatiques de ces deux Nations, et de former le dessein de les imiter, en donnant aux Français des Pièces d’un tout autre goût, que celles qui étaient en possession d’y paraître depuis plus de cent cinquante ans. Ce projet était digne d’un homme d’esprit, mais il fallait en même temps avoir le courage de s’élever contre un spectacle accrédité, autant par une dévotion mal entendue, que par une longue habitude. Jodelle, rempli de ses idées, composa la Tragédie de CLÉOPÂTRE CAPTIVE, sujet qu’il prit dans les Historiens, ne voulant emprunter des Anciens que la forme de leurs Pièces. Il lut cette Tragédie à ses amis, en reçut des compliments, et fut excité à la faire paraître. Cela n’était pas aisé où trouver des Comédiens ? Cependant la difficulté ne subsista pas longtemps ; Jodelle et ses Amis, dont la Péruse, et Remi Belleau étaient du nombre, se chargèrent du soin de la représenter. L’Hôtel de Rheims parut propre à leur dessein, on dressa dans la cour un Théâtre, où la Tragédie fut représentée, et honorée de la présence du Roi Henry II et des personnes les plus distinguées de sa Cour. Jodelle fut applaudi universellement[139]. « Le Roi lui donna cinq cens écus de son épargne, et lui fit tout plein d’autres grâces, d’autant que c’était chose nouvelle et très belle, et très rare. » Ce succès engagea Jodelle à de nouveaux efforts ; mais plus résolu que jamais à ne point copier les mœurs étrangères, il fit une Comédie, dont tous les caractères étaient Français. Cette Comédie intitulée EUGÈNE OU LA RENCONTRE, fut jouée à la suite de Cléopâtre, au même Hôtel de Rheims, par la même Société : et depuis au Collège de Boncourt se trouva Pasquier, qui nous en a rendu compte[140].

Ces deux Pièces donnèrent à Jodelle une réputation supérieure. La Cour et la Ville admirèrent ses productions ; les Poètes célébrèrent son nom, et son heureuse hardiesse. Ronsard se distingua entre tous les autres.

Et lors Jodelle heureusement sonna
D’une voix humble, et d’une voix hardie,
La Comédie, avec la Tragédie :
Et d’un ton double, ores bas, ores haut,
Remplit premier le français échafaud.

Et dans une Pièce adressée à Grevin, Ronsard dit encore au sujet de Jodelle,

Jodelle le premier, d’une plainte hardie[141]
Françaisement chantait la Grecque Tragédie.
Puis en changeant de ton, chanta devant nos Rois
La jeune Comédie en langage François,
Et si bien les sonna, que Sophocle, et Ménandre,
Tant fussent-ils savants, y eussent pu apprendre[142].

La Tragédie de DIDON suivit de près les deux Pièces dont nous venons de parler ; et dans la suite elle fut jouée, ainsi que ses aînées, mais on en ignore le succès. Quoi qu’il en soit, Jodelle s’en tint là, et voici la raison qu’il en rend. « J’avais des Tragédies, et des Comédies, les unes achevées, les autres pendues au croc, dont la plus part m’avaient été commandées par la Reine, et par Madame, sœur du Roi, sans que les troubles du temps eussent permis d’en rien voir, et j’attendais une meilleure occasion[143].

Souvent les hommes se peignent dans leurs Écrits, et y représentent leur façon de penser. Jodelle qui ne voulait rien devoir aux Anciens pour ses Ouvrages, tint la même conduite à l’égard de ses Contemporains, au sujet de sa fortune. Philosophe un peu cynique, il ne sut point faire sa Cour et profiter de sa réputation. Livré à ses plaisirs, il eut trop peu de biens pour les satisfaire longtemps[144]. Il tomba dans une extrême indigence, et mourut âgé de quarante et un ans au mois de Juillet 1573. Charles De la Motte son ami, qui prit soin de faire imprimer ses Poésies, finit ainsi la Préface qu’il a mise au-devant des Œuvres de Jodelle. « Ayant encore (Jodelle) en son extrême faiblesse, fait ce Sonnet (qui est la dernière chose par lui composée) qu’il nous récita de voix basse et mourante, nous priant de l’envoyer au Roi Charles IX, ce qui ne fut pas fait, pour n’avoir eu besoin de ce que plus par colère que par nécessité, il semblait requérir par icelui. »

Alors qu’un Roi Périclès Athènes gouverna,
Il aima fort le sage et docte Anaxagore,
À qui (comme un grand cœur soi-même se dévore)
La libéralité l’indigence amena.

Le sort, non la grandeur, ce cœur abandonna ;

Qui pressé, se haussait, cherchant ce qui honore
La vie, non la vie, et repressé encore
Plutôt qu’à s’abaisser, à mourir s’obstina.

Voulant finir par faim, voilà son chef funeste.
Périclès, entendant ceci, accourt, crie, et déteste
Son long oubli, qu’en tout réparer il promet.

L’autre tout résolu, lui dit, ce qu’à toi, SIRE,
Délaissé, demi-mort, presque je puis bien dire)
Qui se sert de la lampe, au moins de l’huile y met.

Quoique La Motte dise que la colère plus que la nécessité a dicté ce Sonnet, je serais fort tenté de croire, que c’est la dernière qui a fait parler la colère, et ce doute est fondé sur une Strophe d’une Pièce de Vers faite sur le trépas de Jodelle, qui se trouve à la fin des Œuvres de cet Auteur.

Jodelle est mort de pauvreté.

La pauvreté a eu puissance
Sur la richesse de la France.
Ô Dieu ! quel trait de cruauté !
Le Ciel avait mis en Jodelle
Un esprit tout autre qu’humain,
La France lui nia le pain,
Tant elle fut mère cruelle.

 

 

Cléopâtre captive[145]

 

Tragédie d’Étienne Jodelle.

Les Amateurs du Théâtre qui cherchent autant l’Historique d’une Pièce que la Pièce même, seront bien aises d’apprendre (et c’est le célèbre Pasquier qui prendra ce soin) que la Tragédie de Cléopâtre, qui fut suivie de la Comédie d’Eugène, (dont nous parlerons après celle-ci) « fut représentée devant le Roi Henri II[146] à Paris à l’Hôtel de Rheims en 1552, avec de grands applaudissements de toute la Compagnie ; et depuis encore au Collège de Boncourt, où toutes les fenêtres étaient tapissées d’une infinité de personnages d’honneur et la Cour si pleine d’Écoliers que les portes du Collège regorgeaient. Je le dis (continue Pasquier) comme celui qui y était présent avec le Grand Tournebus en une même chambre ; et les interprètes étaient tous hommes de nom : car même Remi Belleau, et Jean de la Péruse, jouaient les principaux rôles, tant était alors en réputation Jodelle. » Ce passage, quoique extrêmement connu, ne doit pas déplaire, puisque c’est ici la véritable place. Passons présentement à l’extrait de la Pièce.

Elle commence par un Prologue adressé au Roi Henri II. Il y a lieu de croire que ce fut Jodelle lui-même qui récita cette pièce de vers : Quoi qu’il en soit, en voici un passage qui donnera en même temps le plan de la Tragédie.

Nous t’apportons, (ô bien petit hommage)[147]
Ce bien peu d’œuvre, ouvré de ton langage ;
Mais tel pourtant que ce langage tient,
N’avait jamais dérobé ce grand bien
Des Auteurs vieux : C’est une Tragédie,
Qui d’une voix et plaintive, et hardie,
Te représente un Romain Marc-Antoine,
Et Cléopâtre Égyptienne Reine :
Laquelle, après qu’Antoine son ami,
Étant déjà vaincu par l’ennemi,
Se fut tué ; déjà se sentant captive,
Et qu’on voulait la porter toute vive
En un triomphe, avec ses deux femmes
S’occit, etc.[148]

Cette Tragédie est si faible, tant pour la conduite que pour la vérification, que nous en terminerons l’extrait par quelques vers que dit Cléopâtre, lorsqu’elle a pris la résolution de se faire mourir pour éviter d’être conduite à Rome : elle souhaite qu’on mette sur son tombeau, et sur celui d’Antoine,

Ici sont deux Amants, qui heureux en leur vie,
D’heur, d’honneur, de liesse ont leur âme assouvie :
Mais enfin tel malheur on les vit encourir,
Que le bonheur des deux fut de bientôt mourir.

Et elle continue ainsi.

Reçois, reçois-moi donc, avant que César parte,
Que plutôt mon esprit, que mon honneur s’écarte :
Car entre tout le mal, peine, douleur, encombre,
Soupirs, regrets, soucis que j’ai soufferts sans nombre,
J’estime le plus grief ce bien petit de temps,
Que de toi, ô Antoine, éloigner je me sens.

 

 

Eugène ou la rencontre[149]

 

Comédie d’Étienne Jodelle.

Cette Comédie, comme on le vient de dire, fut représentée après la Tragédie de Cléopâtre devant le Roi Henri II. Elle est en vers de huit syllabes. La qualité d’Historien nous oblige d’étendre un peu cet Extrait, qui sert à caractériser le genre Comique dès sa naissance, en faisant voir la différence sensible de ce Poème comparé avec ceux d’aujourd’hui, tant pour le fonds, que pour la forme, et combien le Théâtre Français s’est épuré depuis environ deux siècles.

Eugène, riche Abbé Commendataire, ouvre le premier Acte, par l’aveu qu’il fait à Messire Jean son Chapelain, du dessein qu’il a formé de vivre heureux, qui est d’oublier le passé, et ne s’occuper que du bien, et du plaisir présent. Après quelques traits satiriques, il ajoute qu’il vient de donner en mariage la jeune Alix à un bon lourdaud nommé Guillaume, avec trois cents écus de dot : mais qu’il craint que Guillaume, tout bête qu’il est, ne devienne jaloux, ou qu’Alix ne lui manque de fidélité, et quittant son Chapelain, il le prie d’apporter tous ses soins pour prévenir l’un et l’autre de ces inconvénients. Messire Jean dans un monologue se moque de la folie d’Eugène, et se détermine néanmoins à le servir de son mieux ; dans la vue d’obtenir de lui quelque Bénéfice, pour prix de ses peines. Autre monologue du bon Guillaume, où il exalte les prétendues vertus de la femme que Dieu lui a donnée, et qu’il regarde comme l’exemple de son Sexe. Alix arrive, et dans un à parte, se rit de la sotte crédulité de cet époux, avec lequel elle cause ensuite d’une façon très cordiale, en apparence. Messire Jean vient ensuite leur faire une visite, pour les intérêts de son Maître.

Le second Acte commence par Florimond, ancien Amant d’Alix, qui de retour de l’Armée, s’entretient seul de réflexions sur la folie des Militaires, qui aussitôt qu’ils sont revenus à Paris, engagent tout pour briller aux yeux de leurs Maîtresses. La seconde scène est une conversation entre le même Florimond, et Arnaut son Intrigant, à qui il donne ordre d’aller chez Alix, l’avertir de son retour. La troisième est un monologue d’Hélène, sœur de l’Abbé Eugène ; cette fille ayant par hasard aperçu Florimond, qui a été autrefois son Amant, et pour qui elle sent encore de l’inclination, raconte comment, rebuté de ses rigueurs, il s’était laissé prendre aux filets de la coquetterie Alix, dont les charmes avaient également séduit Eugène. Ce dernier entre, et Hélène lui apprend le retour inopiné de Florimond, ajoutant qu’il est homme à se venger de lui et d’Alix, pour l’avoir trahi pendant son absence.

Dans la première scène du troisième Acte, Arnaut vient rendre compte à Florimond de la commission qu’il lui a donnée : et dit qu’il a trouvé Alix mariée à un certain Guillaume, et qu’ils étaient à table avec Messire Jean, Chapelain de l’Abbé. À ces nouvelles Florimond entre en fureur, et jure de se venger. Scène seconde, Messire Jean vient trouver Eugène, et lui fait part de ce qui s’est passé dans l’entrevue d’Arnaut, de Guillaume, d’Alix, et de lui. Les menaces de cet Intrigant jettent l’Abbé et sa sœur dans une telle épouvante, que sans savoir quel parti prendre, ils se retirent dans leur maison. Cependant Florimond accompagné d’Arnaut et d’un Laquais, entre chez Alix, l’accable de reproches sur son infidélité, et en même temps fait enlever tous les meubles qu’il lui avait donnés. Tout cela s’exécute en présence de Guillaume, et de sa femme, qui n’osent presque ouvrir la bouche, tant ils sont effrayés.

Guillaume ouvre le quatrième Acte, déplorant son malheur, et celui de sa femme, qu’il croit toujours fort vertueuse, malgré l’aveu du contraire ; aveu que Florimond l’a forcé de faire en sa présence. Arrive Eugène, à qui Guillaume fait part de son infortune. Son récit est interrompu, par Matthieu, Créancier de ce mari affligé, qui vient lui demander le paiement de ce qu’il lui doit, et le menace, à faute d’y satisfaire, de le faire mettre en prison. La troisième Scène se passe entre Florimond et Arnaut. Le premier ne se promet pas moins que d’assommer Eugène, cause du changement d’Alix. Scène quatrième, l’Abbé et son Chapelain cherchent des moyens pour se délivrer des fureurs de Florimond, et mettre Alix en sûreté.

Le premier de ces moyens, comme on le voit dans la première Scène du cinquième Acte, est qu’Hélène doit renouer avec Florimond son ancien Amant, et l’amener au point de pardonner, en sa considération, à l’Abbé l’injure qu’il en a reçue. L’autre est de donner à Matthieu, Créancier de Guillaume, un Bénéfice pour éteindre sa dette. Dans la seconde Scène, Hélène se rend aux instances de son frère, et du Chapelain, et consent à rendre Florimond heureux. Quoique cela se fasse sans violence de la part d’Hélène, l’Abbé ne l’en remercie pas moins, et charmé du bon train que prend l’affaire, envoie sur le champ son Chapelain instruire Florimond du bonheur qui l’attend, et le conjurer d’être de ses amis. Il le fait aussi prier de renvoyer à la pauvre Alix tout ce qu’il lui a enlevé, et d’ajouter à cette grâce celle de lui faire l’honneur de venir souper chez lui. Dans la troisième Scène, l’Abbé Eugène s’arrange, comme on vient de le dire, avec le Créancier de Guillaume, et au comble de sa joie, exagère à ce pauvre mari toutes les obligations qu’il lui a, et de quels embarras il vient de le tirer, tant en acquittant sa dette, qu’en lui faisant restituer ses meubles, et réconciliant sa femme avec Florimond. Guillaume lui en marque sa reconnaissance les larmes aux yeux, et Eugène saisit cet instant favorable pour convenir, une bonne fois, de quelle façon il veut en user dans la suite, tant à son égard, qu’à celui d’Alix, et pour prévenir tous soupçons. Le bon mari proteste qu’il se conformera à ses volontés et qu’il a reçu trop de bien de lui, pour s’aviser d’être jaloux. Florimond, à qui Messire Jean vient d’annoncer qu’Hélène lui redonne son cœur, épanche avec Arnaut son confident toute la joie que lui cause cette nouvelle. Dans la cinquième et dernière Scène, il donne la main à Hélène, Alix fait sa paix, et jure à son bienfaiteur Eugène une vive reconnaissance, et toute la Compagnie, fort contente de son sort, entre dans la maison de l’Abbé pour le mettre à table.

 

 

Didon se sacrifiant

 

Tragédie d’Étienne Jodelle.

Il est assez difficile de fixer une date à cette Tragédie ; mais nous conjecturons qu’elle parut la même année que les précédentes, par la facilité que Jodelle avait dans la composition de ses Ouvrages[150].

La Tragédie de Didon est divisée en cinq Actes, de même que celle de Cléopâtre. La pièce ouvre par Achate, qui fait part à Ascagne et à Palinure de l’ordre qu’il vient de recevoir d’Énée, de préparer toutes choses pour mettre sa flotte à la voile, et d’abandonner le séjour de Carthage, où l’amour de Didon le retient depuis assez longtemps. Les vaisseaux prêts, Énée, pour obéir aux ordres des Dieux, qui l’appellent au Latium, s’embarque avec les siens, perd bientôt de vue les côtes de Carthage, et laisse Didon dans une affliction que rien ne peut égaler. Enfin cette malheureuse Princesse succombe à sa douleur, et ne pouvant survivre à la perte de son Amant, elle se frappe d’un poignard, et se jette dans un bûcher ardent, qu’elle a fait préparer à dessein, dans l’intérieur de son Palais.

 

 

Médée

 

Tragédie de Jean de la Péruse.

Nous plaçons cette Tragédie en 1553 ou 1554, attendu que la Péruse mourut en 1555, comme le dit formellement la Croix du Maine dans sa Bibliothèque Française, page 256. Pasquier en parle comme d’une pièce qui suivit de près celle de Jodelle[151]. Nous ne donnerons point d’extrait de cette Tragédie, d’autant qu’elle n’est qu’une traduction de la Médée de Sénèque. Nous remarquerons seulement que les vers de cette Tragédie sont à rimes plates masculines, et féminines ; règle qui a été suivie inviolablement par tous les autres Poètes Tragiques et Comiques.

 

 

La Péruse

 

JEAN DE LA PÉRUSE, de la Ville d’Angoulême, n’est connu que par ce qu’en disent la Croix du Maine[152], et Pasquier[153], qui nous apprennent qu’il joua un rôle dans la Tragédie de Cléopâtre, et un autre dans la Comédie d’Eugène. Il ajoute que la Péruse fit la Tragédie de MÉDÉE, « qui n’était pas trop délaissée, et toutefois, par malheur, elle n’a été accompagnée de la faveur qu’elle méritait. » La Péruse mourut en 1554 ou au plus tard en 1555.

 

 

Agamemnon

 

Tragédie de Charles Toutain[154].

Comme cette pièce n’est, suivant la coutume de plusieurs auteurs du temps, qu’une mauvaise imitation de celle de Sénèque, et qu’elle n’a d’autre mérite que son ancienneté et sa rareté, nous nous contenterons de quelques passages propres à donner une juste idée de l’ouvrage et de l’auteur, qui malgré ce qu’on vient de dire, a eu assez d’amour-propre pour croire servir un jour de modèle à la postérité[155].

Acte II. Scène I. La Nourrice de Clytemnestre, tâche à dissuader cette reine de l’horrible assassinat qu’elle médite contre son mari.

NOURRICE.

Modère cette ardeur, et toi-même t’arrête.
Vois quel grand est le cas que ton audace apprête ?
...
Tu veux ce traitement, ô folle, recueillir,
Quoique Achille ne peut par armes assaillir.
Combien que renforcé sa main il eût armée :
Non le meilleur Ajax, dont l’âme supprimée
De rage et de fureur sa mort précipitait ;
Non Hector seul qui Grecs et guerres arrêtaient ;
Non l’Archer sûr Paris, et Memnon l’Éthiopien ;
Non Zanthe débordé par la Pergame trop ;
Non Simoïs roulant son eau rouge de sang ;
Non Cigne le négéale à Neptune le fils blanc ;
Non l’enfance de Thrace à Rhèse obéissante,
Ni des flèches, et d’arc l’Amazone effrayante, etc.

Après la mort d’Agamemnon, Électre sauve Oreste son jeune frère. Clytemnestre l’ayant appris, se répand en injures contre elle.

CLYTEMNESTRE.

Malheureuse éhontée, à tes meilleurs parents
Folle g... ennemie, à quels propos aux rens[156]
Des hommes t’es-tu, vierge, en public exposée ?

ÉLECTRE.

J’ai chassé la maison d’une p... laissée.

CLYTEMNESTRE.

Qui te croira pudique ?

ÉLECTRE.

Engendrée de toi !

CLYTEMNESTRE.

Avise de parler plus sagement à moi.

ÉLECTRE.

L’ai-je de toi appris ? etc.

L’Auteur, qui comme on vient de le dire, a cherché à se donner pour modèle, nous présente ici celui des vers de seize pieds, qu’il a placés spirituellement dans la bouche de Cassandre qui prophétise, sans savoir ce qu’elle dit.

CASSANDRE.

Voici les noires Sœurs qui ont leurs fouets sanglants forcenés ;
Elles roulent en leur gauche main un à demi-brûlé flambeau.
Leur vis[157] étincelle inhumain : leurs flancs sont serrés d’un bandeau
De noires flammes tout roux ; et des nuits les frayeurs murmurent :
Des Géants corporeux aussi les terreux offrandes emmurent
D’iceux les palus entourés ; et voici le lassé Vieillard
Sur les bords des flots conjurés, qui ne fuit le branle raillard
De l’eau, toute fois oubliant, fâché des malheurs futurs ;
Dardain[158] se gaudit, en riant, joyeux de telles aventures.

 

 

Les Femmes salées[159]

 

Farce anonyme, en un Acte, et en Vers.

Cette Farce qui est imprimée en caractères Gothiques nous a semblé être du nombre de celles que les Enfants sans souci jouaient sur les échafauds en certains endroits de la Ville de Paris.

Marceau qui a épousé une femme, qu’il trouve trop douce, en porte sa plainte à son ami Julien, qui se trouve dans le même cas. Ces Époux cherchent un moyen pour corriger ce défaut.

MARCEAU.

Tout de ce pas nous en irons
À Maître Macé, lequel est
Grand Philosophe, s’il lui plaît,
Aigres les fera toutes deux.

Julien applaudit au Conseil, et sort avec Marceau. Arrive Maître Macé, qui dans un court monologue, dit que toute sa magie consiste à tromper les dupes qui s’adressent à lui, et que par ce moyen

Il a force argent amassé.

Marceau et Julien viennent exposer à Maître Macé le chagrin qu’ils ont d’avoir des femmes trop douces.

Me MACÉ.

Il les faut saler seulement.

JULIEN.

Saler ? Que dites-vous ? Comment
Seraient-elles aigres à ce point ?

Me MACÉ.

Qui leur baillerait sel à point,
On les amenderait vraiment.
Savez-vous par certainement
Que quand les vivres sont trop doux,
Soit en chair, potage, ou choux,
Il les faut saler bravement.

MARCEAU.

Or ça, les sauriez-vous saler,
Qui bon argent vous donnerait ?

Me MACÉ.

Amenez-les-moi, amenez.

Les deux maris donnent une pistole à Maître Macé, et vont chercher leurs femmes ; et après les avoir présentées au Docteur, ils les laissent avec lui. Maître Macé, après s’être moqué de Marceau et de Julien, conseille à leurs femmes de n’être plus si douces avec eux et de se rendre les maîtresses. Les femmes promettent de suivre son avis.

MARCEAU.

Voici ta femme, avec la mienne
Qui reviennent drues, et saines.

GILLETTE, femme de Marceau.

Sont vos fortes si fièvres quartaines,
Vilains et gaudisseurs infâmes :
Faites-vous donc saler vos femmes
Pour acquérir un déshonneur.

FRANÇOISE, femme de Julien.

Malheureux ! êtes-vous sans cœur ?
Êtes-vous sans entendement,
De nous bailler vilainement
Comme des tripes à saler.

Gillette et Françoise battent leurs maris et s’en vont en les menaçant de recommencer de temps en temps.

MARCEAU.

Je suis de ce coup mal content.
Le Diable emporte le salage.

Marceau et Julien courent chez le Docteur Macé, et lui rendent compte de l’effet de son remède, et en demandent un autre.

MACÉ.

Les douces je sais bien saler,
Mais touchant de dessaler point.

MARCEAU.

Le Diable vous en fit mêler.

JULIEN.

Nous voici donc en piteux point.
Or bien, il nous faut endurer,
Sans aucunement murmurer.
Ainsi celui ne se contente
D’une femme douce et plaisante,
Qui fait un hon este devoir,
Mérite (comme vous avez pu voir)
D’en avoir une fort fâcheuse,
Mal plaisante, et mal gracieuse ;
Et vous en veuille souvenir,
Adieu, jusqu’au revenir.

 

 

La Trésorière[160]

 

Comédie par Jacques Grévin.

« Mise en jeu à Paris au Collège de Beauvais, après la Satyre qu’on appelle communément les Veaux[161], le 5 Février 1558. »

 

 

Grévin

 

JACQUES GRÉVIN, né à Clermont en Beauvoisis vers l’an 1540 : dès l’âge de quinze ans, amant de Nicole Étienne, fille de Charles Étienne, médecin ; il fit pour cette belle beaucoup de poésies galantes qu’on trouve imprimées, sous le titre de l’Olympe, Paris 1561. Mais comme le plus fidèle n’est pas toujours le plus heureux, Grévin eut le chagrin de voir sa maîtresse mariée à Jean Liébaut, médecin, auteur de la Maison Rustique. Grévin en fut sans doute fâché, mais son goût pour la Poésie Française ne l’abandonna pas, au contraire, il s’y attacha encore plus fortement, et travailla dans le genre Dramatique. LA TRÉSORIÈRE, Comédie qui parut en public en 1558 : LA MORT DE CÉSAR, tragédie, et LES ÉBAHIS, Comédie, Pièces représentées le même jour en 1560 en font une preuve convaincante : et l’on peut dire qu’il effaça les Auteurs qui l’avaient précédé. Huit ou dix Poètes comme lui auraient mis le Théâtre Français sur un pied assez passable. La Versification de Grévin est coulante, surtout dans ses deux Comédies : et ses plans sont assez bien faits. Ronsard, chantre banal de tous les beaux esprits de son temps, lui adressa les Vers que voici.

Et toi, Grevin, après, toi, mon Grévin, encore,
Qui dore ton menton d’un petit crêpe d’or,
À qui vingt-deux ans n’ont pas clos les années,
Tu nous as toutefois les Muses amenées,
Et nous as surmontés, qui sommes déjà Griffons,
Et qui pensions avoir Phœbus en nos maisons.
Amour, premièrement, te blessa la poitrine
Du dard venant des yeux d’une beauté divine,
Qu’en mille beaux papiers tu as chanté, afin
Qu’une si belle ardeur ne prenne jamais fin.
Puis tu voulus savoir des herbes la nature[162],
Tu te fis médecin, et d’une ardente cure
Doublement agité, tu appris les métiers
D’Apollon que j’estime, et te fuis volontiers
Afin qu’en notre France, un seul Grévin assemble
La docte médecine, et les vers tout ensemble[163].

Grévin mourut à Turin le 5 Novembre 1570, n’ayant pas encore trente ans. Il était allé en cette Ville en qualité de Médecin de Marguerite de France, épouse d’Emanuel Philibert, duc de Savoie, qui le regretta beaucoup, et lui fit faire de magnifiques funérailles. Grévin était marié ; il laissa une fille, dont la Duchesse de Savoie prit soin, aussi bien que de la Mère.

Passons présentement à l’Extrait de sa Comédie de la Trésorière.

Constance, femme du Trésorier Richard, est une Coquette fieffée, qui a deux Amants, un Protonotaire, et un Gentilhomme nommé Louis, qui lui font des présents considérables ; mais par malheur pour elle, ayant fait entrer le Protonotaire dans sa maison, pendant l’absence de son mari, Richard, le Valet du Gentilhomme, en avertit son Maître qui, dans l’instant, aidé de ce Valet, et d’un autre Domestique, enfonce la porte, et surprend son infidèle avec le Protonotaire. Le Mari arrive, qui reste fort étonné du fracas qu’on a fait dans sa maison ; Louis lui en apprend le sujet, et se fait rendre l’argent qu’il a donné à sa femme. La Comédie est terminée par la réconciliation du Trésorier et de Constance. Cette dernière se promettant bien de prendre à l’avenir un peu mieux ses précautions.

 

 

Mellin de Saint Gelais

 

MELLIN DE S. GELAIS, né au mois d’Avril 1491, était fils d’Octavien de S. Gelais, Évêque d’Angoulême. S. Gelais fit ses études à Paris, et à l’âge de vingt ans, il passa en Italie, où il s’attacha à la Jurisprudence. Dégouté de cette étude, il suivit la Philosophie, et ensuite l’Astrologie. De retour en France, il excella dans la Poésie Française, et devint le plus digne rival de Marot. Le roi François Ier, qui connut son mérite, le chargea du soin de sa Bibliothèque de Fontainebleau, emploi qui lui fut continué par Henri II. S. Gelais mourut d’une fièvre continue, au mois d’Octobre 1558[164], âgé de soixante-sept ans, huit mois et quinze jours, et fut enterré à Saint Thomas du Louvre. S. Gelais était d’une forte faible complexion. L’Auteur dont nous empruntons les faits de son histoire, ajoute qu’il était d’une taille médiocre, et assez maigre, les cheveux cendrés, le front ouvert, le sourcil un peu élevé, les yeux d’un bleu foncé, et la bouche moyennement grande. S. Gelais était naturellement éloquent, mais son inclination portée à la raillerie, un peu trop libre, lui fit beaucoup d’ennemis. C’est ce qui obligea Ronsard à dire de lui, en s’adressant au Ciel, dans un temps où il n’avait pas encore recherché son amitié comme il fit depuis

Préserve-moi d’infamie,
De toute langue ennemie,
Et de tout esprit malin :
Et fais que devant mon Prince,
Désormais plus ne me pince
La tenaille de Melin.

Il paraît fort étonnant que Mellin de S. Gelais, à qui les Vers devaient coûter peu, ayant entrepris une Tragédie, l’ait composée en prose. Nous parlons de SOPHONISBE, qui fut représentée à Blois en 1559, devant le roi Henri II, et qui n’entre dans notre Histoire que par cette seule raison. Ce fut son ami François Habert, connu sous le nom du Banni de Liesse, possesseur de cet Ouvrage, qui prit soin de sa représentation[165].

 

 

Sophonisba

 

Tragédie de Mellin de S. Gelais, représentée devant le roi Henri II à Blois en 1559.

Cette Tragédie est en prose, excepté les Chœurs qui sont en Vers. Elle n’a été représentée qu’après la mort de l’Auteur ; ce fut, comme je le viens de dire, son ami François Habert, à qui S. Gelais l’avait confiée en Manuscrit, qui prit soin de sa représentation. Voilà la première Tragédie en prose ; c’est à quoi beaucoup de personnes n’ont pas pensé, pendant la dispute de M. de la Motte, et de ses Adversaires.

 

 

La Mort de César[166]

 

Tragédie de Jacques Grévin, mise en jeu au Collège de Beauvais à Paris, le 16 Février 1560.

Le sujet de cette Pièce est trop connu pour en donner un Extrait. Il suffira d’en rapporter quelques passages comme un essai de la vérification de Grévin.

Brutus se propose de rendre la liberté à sa patrie, en lui sacrifiant César.

BRUTE.

Et quand on parlera de César et de Rome,
Qu’on se souvienne aussi qu’il a été un homme,
Un Brute, le vengeur de toute cruauté,
Qui aura d’un seul coup gagné la liberté.
Quand on dira : César fut maître de l’Empire,
Qu’on die quant et quant, Brute le sut occire.
Quand on dira : César fut premier Empereur,
Qu’on die quant et quant, Brute en fut le Vengeur.

Calpurnie, femme de César, agitée Par un songe qui l’effraye au sujet de son mari, Envie le sort des personnes qui vivent dans un état borné.

CALPURNIE.

Heureux, et plus heureux l’homme qui est content
D’un petit bien acquis, et qui n’en veut qu’autant
Que son train le requiert : las ! il vit à sa table
Toujours accompagné d’un repos désirable :
Il n’a souci d’autrui, l’espoir des grands trésors
Ne lui va martelant ni l’âme, ni le corps :
Il se rit des plus grands, et leurs maux il écoute :
Il n’est craint de personne, et personne il ne doute.
Il voit les grands Seigneurs, et contemplant de loin,
Il rit leur convoitise, et leurs maux, et leur soin.
Il rit des vains honneurs qu’ils bâtissent en tête,
Dont les premiers de tous ils sentent la tempête.
Si le Ciel murmurant les voit d’un mauvais œil,
Accablent d’un seul coup leur bien et leur orgueil.

 

 

Les Ébahis

 

Comédie de Jacques Grévin, mise en jeu au Collège de Beauvais à Paris, le 16 Février 1560, après la Tragédie de Jules César[167], et les Jeux Satyriques, appelés communément les Veaux[168].

Un vieux Marchand, nommé Josse, dont la femme s’est fait enlever par un Gentilhomme, devient amoureux de la Fille d’un autre Marchand de ses amis, et la lui demande en mariage ; elle lui est accordée, et tout se prépare pour la noce ; mais cette jeune fille qui aime, et est aimée d’un Avocat, fait entrer son Amant dans sa chambre, sous les habits du bonhomme Josse. Girard, père de la fille, qui croit que c’est son futur gendre, ne s’en fâche point : au contraire, ayant rencontré Josse, il le complimente sur ses galanteries. Josse soutient qu’il n’est point entré dans la maison de Girard, et ajoute que c’est apparemment un tour qu’on prend pour lui faire épouser une franche coquette. Girard n’est pas moins piqué du prétendu mensonge de Josse. Enfin la dispute est poussée au point, que les deux Vieillards se mettent en devoir de se battre. Arrive un Italien nommé Messire Panthalone, et un Gentilhomme qui tâchent à les séparer. Une femme, que la curiosité fait approcher des combattants, est reconnue par le Gentilhomme et par l’Italien pour la Maîtresse de l’un et de l’autre : mais cette surprise n’est rien en comparaison de celle de Josse, qui retrouve sa femme dans cette même personne, qui, étant informée du sujet de la querelle, veut arracher les yeux à son mari. Le bon Josse, quoiqu’il se soit aperçu de la familiarité avec laquelle le Gentilhomme et l’Italien ont abordé sa femme, ne laisse pas de lui demander pardon. La fille de Girard et son Amant viennent avouer le tour qu’ils ont joué à Josse, et déclarent l’amour qu’ils ont l’un pour l’autre ; de sorte que Girard est obligé de consentir à leur mariage.

 

 

La Soltane[169]

 

Tragédie de Gabriel Bounyn.

La Sultane Rose[170] de concert avec le Vizir Rustan, prend des mesures pour faire périr Mustapha, fils de Soliman. Tu sais, dit la Sultane à ce Vizir, qu’indépendamment du crédit que j’ai sur l’esprit de l’Empereur, je peux faire agir les Démons par la force de mes charmes.

ROSE.

Là accourra Vulcan avec ses Argoulets,
Ses poudreux Cabarins, qui à coups de boulets,
De mousquets affûtés, plus vifs que le foudre,
Épouvantablement l’emmèneront en poudre.

Le Sultan séduit par ses discours, croit Mustapha coupable d’un complot avec le Sophe, à la Cour duquel il est alors ; le mande, et sans vouloir l’écouter, il ordonne à des muets de l’étrangler, ce qui s’exécute dans le moment, et en sa présence.

MUSTAPHA.

Ô meurtre !

SOLTAN.

Sans tarder, que l’on lui courre sus.
Or il est mort.

GABRIEL BOUNYN[171] Auteur de cet Ouvrage, naquit à Châteauroux en Berry, d’où étant sorti assez jeune, il vint à Paris achever ses études, et s’y fit recevoir Avocat. Ensuite il devint Bailli du lieu de sa naissance, et enfin Conseiller et Maître des Requêtes du Duc d’Alençon[172]. Si nous en croyons La Croix du Maine, on pourrait présumer qu’il était mort avant 1584. Cependant il donna son Alectriomachie en 1586 : on croit même qu’il a vécu jusqu’au commencement du XVIIe siècle. Outre la Soltane, Du Verdier donne les titres de deux autres Ouvrages de Bounyn, qui ne nous ont pas paru devoir occuper une place dans celui-ci.

 

 

Agamemnon

 

Tragédie de François Le Duchat

FRANÇOIS LE DUCHAT, connu fréquemment par une misérable Traduction de l’Agamemnon de Sénèque, qui parut en 1561 et qui est encore au-dessous, s’il est possible, des autres de même nom, données par ses Contemporains. Du Verdier Vauprivaz[173], et La Croix du Maine, nous apprennent que Le Duchat était de Troyes en Champagne. Ce dernier ajoute qu’il avait encore composé une autre Tragédie intitulée SUSANNE. Mais n’ayant été ni imprimée, ni représentée, nous ne croyons pas en devoir rien dire de plus. Au reste, la lecture de la Tragédie qui fait le sujet de cet article, nous empêche de regretter le peu de Mémoires qu’on trouve sur la vie de Le Duchat, qui ne peut avoir occupé qu’une des dernières places entre les Auteurs Dramatiques de son siècle. Il semble qu’il était déjà mort dès le temps que Du Verdier et La Croix du Maine composaient leurs Bibliothèques.

 

 

Tragédie

 

« À huit personnages, traitant de l’amour d’un serviteur envers sa Maîtresse, et de tout ce qui en advint, par Me Jean Bretog[174]. »

Cette Pièce tient beaucoup de la Moralité, car l’Auteur y introduit Vénus et Jalousie. C’est un Valet qui répond à la passion de sa Maîtresse. Le Mari de cette dernière le surprend, et le fait conduire par un Archer devant le Prévôt, à qui le Mari demande justice.

LE PRÉVÔT.

Viens çà, pauvre homme ; as-tu ainsi entré
Dedans son lit ?...
Dis vérité ; car si tu veux mentir,
Je t’en ferai cinq cents fois repentir.
Mais si le fait, ainsi que l’as commis,
Tu reconnais, plus tôt seras remis
En liberté. Par quoi dis-moi comment
Le cas se porte ? et ne faux nullement.

LE VALET.

Las, Monseigneur, mon Seigneur, et mon Maître,
Je ne pourrais mon péché méconnaître :
Car il m’a pris encore dans son lit,
Où je venais commettre le délit.
Mais je vous prie, ne soyez rigoureux,
Vers moi chétif, et pauvre malheureux.

Pendant cet interrogatoire, le Mari meurt de chagrin : le Prévôt sur l’aveu du Criminel, ordonne à l’Archer de le pendre. Le Patient harangue le Public, et finit son discours par ces deux Vers.

LE VALET.

Là sus, en point, Archer, fais ton devoir
Exécutant l’Arrêt de la Justice.

L’ARCHER aux Spectateurs.

Noble assistance, il vous prie de bon cœur,
Que requérez pour lui le Créateur,
Et qu’il le veuille en Paradis réduire.

Serrant la corde.

Va, mon ami, Dieu t’y veuille conduire.

 

 

Jean de La Taille

 

JEAN DE LA TAILLE, naquit à Bondaroy, Village à une demi-lieue de la petite Ville de Pithiviers, dans le Diocèse d’Orléans. Il fut envoyé à Paris par son père, où il apprit les humanités sous Marc-Antoine Muret : Ensuite il vint à Orléans, pour étudier la Jurisprudence : mais enchanté des Œuvres de Ronsard et de Du Bartas, il retourna à Paris, se livra à son génie poétique, et inspira le même goût à son jeune frère Jacques de La Taille. Jean de La Taille suivit assez longtemps le parti des armes, et mourut en 1607 ou 1608. Cet Auteur n’a jamais rimé que malgré Minerve. SAUL LE FURIEUX ET LES GABAONITES, sont deux Tragédies si misérables, qu’il n’est pas possible d’en soutenir la lecture. Il s’en faut bien que je pense de même de sa Comédie des CORRIVAUX. On y trouve du Comique, et un plan de Pièce assez passable. Ce qu’on vient de dire des deux Tragédies nous détermine à en supprimer les Extraits, pour passer à celui de son autre Pièce.

 

 

Les Corrivaux

 

Comédie en Prose[175] et en cinq Actes, par Jean de La Taille.

Restitue, fille de Madame Jacqueline, Bourgeoise de Paris, apprend à sa Nourrice, qu’elle a été abusée par un homme qui demeure en pension chez sa Mère, et que ce jeune homme, appelé Filadelfe, l’a abandonnée pour la belle Fleur-de-lys, fille adoptive d’un Bourgeois nommé Fremin. La Nourrice console Restitue et lui conseille de demander permission à sa Mère, d’aller prendre l’air à la campagne. Monologue de Filadelfe, où il se reproche d’avoir quitté Restitue, mais il s’en prend à l’amour, qui plus fort que sa raison, le force d’aimer Fleur-de-lys. Claude, Valet de Fremin, vient avertir Filadelfe, que son Maître part pour la campagne, et qu’il faut saisir cette occasion pour enlever Fleur-de-lys. Filadelfe convient d’un signal avec Claude, et l’Acte finit. Euverte, fils de Girard, riche Bourgeois de Paris, dit à son Valet qu’il est amoureux de Fleur-de-lys, mais que, comme Girard son père, ne consentira jamais qu’il l’épouse, à cause que Fremin n’est pas riche, il a résolu d’enlever Fleur-de-lys, et que pour cet effet, il a gagné Alison, sa servante. Alison survient, et annonce à Euverte le départ de Fremin, et convient avec lui du signal qu’elle fera pour qu’il puisse exécuter le dessein qu’il a formé. Madame Jacqueline, inquiète de la langueur où elle voit sa fille Restitue, envoie chercher un Médecin, qui sans faire un long verbiage, lui dit que sa fille est enceinte. À cette nouvelle Jacqueline se désespère, bat sa fille, et lui demande le nom du séducteur. Cependant Claude fait entrer Filadelfe dans la maison de Fremin, dans le même temps qu’Alison rend le même service à Euverte. Les deux Rivaux se rencontrent, se querellent, et mettent l’épée à la main. Aux cris de Fleur-de-Lys, et du voisinage, le Guet vient, arrête les Combattants, et conduit Euverte, Filadelfe et Claude chez le Chevalier du Guet, où ils restent prisonniers. Bernard, père de Filadelfe, qui arrive de Metz, est abordé par Madame Jacqueline, qui l’accable d’injures, en lui demandant raison de son fils qui a séduit sa fille. Dans le moment survient Fremin, instruit par Alison de ce qui s’est passé chez lui. Il reconnaît Bernard, et ce dernier lui fait part de son chagrin, et d’un autre, qui est la perte d’une fille nommée Fleur-de-lys qui lui a été enlevée du temps que le Connétable de Montmorency faisait le siège de Metz. Fremin lui répond que cette même Fleur-de-lys est chez lui, et qu’il en a toujours pris soin, comme de la sienne propre. Survient Girard, qui a été informé que son fils Euverte est en prison. Les Vieillards causent ensemble, et comme on dit à Girard que Fleur-de-lys est fille de Bernard, homme riche, il consent au mariage d’elle et de son fils. Il ne s’agit plus que de délivrer les prisonniers. Le Chevalier du guet se trouve être des amis de Girard et de Fremin : et l’affaire s’accommode en un moment. Filadelfe épouse Restitue et Fleur-de-lys est donnée en mariage à Euverte[176].

 

 

Jacques de La Taille

 

JACQUES DE LA TAILLE, frère du précédent, naquit à Bondaroy en 1542. On l’envoya étudier de bonne heure à Paris, et son frère aîné lui conseilla de s’adonner à la Poésie Française, pour laquelle, (à ce qu’il s’imaginait) il avait un talent décidé. Jacques de la Taille suivit si bien les avis de son frère, qu’à l’âge de dix-sept ou dix-huit ans, il avait composé plusieurs Tragédies et Comédies ; une mort prématurée l’arrêta dans ses travaux. Il mourut de la peste au mois d’Avril, âgé seulement de vingt ans, avec un de ses frères qui n’en avait que treize, et un de ses cousins, qui leur avait communiqué ce mal. Jacques de la Taille n’avait pas plus de disposition pour le Dramatique que son aîné. Ses pièces sont d’une vérification ampoulée, et pleine de phrases ridicules. Faute de renseignement, nous sommes obligés de les placer sous l’année de leur impression.

 

 

Daire

 

Tragédie de Jacques de la Taille.

Quelques vers qui nous ont paru mériter d’être mis au jour, par leur extrême ridicule, tiendront la place de l’Extrait de cette pièce, dont le sujet est connu de tout le monde. Au second Acte, Darius accompagné de tous ses Capitaines, exhorte ces derniers à se défendre courageusement, Artabaze dit :

Celui vraiment aurait le cœur grossier,
Environné d’une masse d’acier,
Ô Monseigneur, et n’aurait sentiment,
Non plus qu’un roc, non plus qu’un diamant,
Qui ne serait ému de vos propos, etc.

Acte III. Darius averti de la trahison de Bessus et de Nabazarnes, déplore son sort, et finit par les trois vers suivants.

Ores je veux demeurer solitaire,
Rien ne me peut que le déplaisir déplaire :
Le seul ennui mes ennuis désennuie, etc.

Au cinquième Acte, on vient apprendre à Alexandre la mort de Darius, et qu’il a fini sa vie en disant :

Ô Alexandre ! adieu, quelque part que tu sois,
Ma mère, et mes enfants ayez en recommanda... tion)[177]
Il ne put achever car la mort l’engarda.

 

 

Alexandre

 

Tragédie de Jacques de la Taille ?

C’est la mort d’Alexandre empoisonné par Cassandre. Même ridicule de vérification.

Cléon, vil courtisan d’Alexandre, conseille à ce Prince de se faire déifier et ajoute.

Doncques si vous voulez, je m’en irai querir
Sur l’heure vos sujets, afin de vous offrir,
Et moi tout le premier, encens et sacrifice :
Car je vous ai voué tellement mon service,
Que mon père pour vous je voudrais égorger :
Pour vous je me tuerais, et n’y a nul danger
Ou pour vous je n’allasse : et repasser dussai-je
Le sablon de Libye, et du Taureau[178] la neige.

Théssale vient prier Alexandre d’honorer de sa présence un festin qu’il lui a préparé. Alexandre promet de s’y trouver. Théssale, dans un à parte, dit en sortant.

Va va, ô fier tyran, ta fière tyrannie
Sera par des gens si fiers, bien fièrement punie.

 

 

Achille

 

Tragédie de Nicolas Filleul[179]

Cette Tragédie, qui ne mérite aucun extrait, fut représentée à Paris au Collège d’Harcourt le 21 Décembre 1563.

 

 

Philandre[180]

 

Tragédie française de Claude Rouillet.

« Quelques années se sont passées depuis qu’une Dame de Piémont impétra du Prévôt du lieu, que son mari, lors prisonnier pour quelque concussion, et déjà prêt à recevoir jugement de mort, lui serait rendu, moyennant une nuit qu’elle lui prêterait. Ce fait, son mari, le jour suivant lui est rendu, mais déjà exécuté de mort. Elle, désolée de l’une et de l’autre injure, a son recours au Gouverneur, qui pour lui garantir son honneur, contraint ledit Prévôt à l’épouser, et puis le fait décapiter : et la Dame cependant demeure dépourvue de ses deux maris[181].

 

 

La Reconnue

 

Comédie de Rémy Belleau.

RÉMY BELLEAU, naquit à Nogent le Rotrou, Ville du Perche au commencement de l’année 1528. Il s’attacha à René de Lorraine, Marquis d’Elbeuf, Général des Galères de France, et le suivit dans le voyage qu’il fit en Italie en 1557, pour l’expédition de Naples, et en divers autres endroits. Ce Prince fut si content de son esprit, de ses talents, qu’il lui confia la conduite, et l’éducation de Charles de Lorraine, son fils, qui fut depuis premier Duc d’Elbeuf, et grand Écuyer de France. Belleau s’appliqua avec beaucoup de soin à la Poésie Française, et il y réussit au goût de son siècle. Il est Auteur de divers Ouvrages, qu’on a recueillis après la mort, en deux Volumes in-12. parmi lesquels se trouve une Comédie intitulée : LA RECONNUE, dont nous allons donner l’Extrait. Belleau mourut à Paris dans la maison du Duc d’Elbeuf, le 6 Mars 1577, ayant à peine commencé sa cinquantième année. Ses amis portèrent son corps sur leurs épaules, jusqu’à l’Église des Grands Augustins, où il fut enterré. On mit sur son tombeau cette épitaphe Française, dont les vers sont de Ronsard.

Ne taillez, mains industrielles,
Des pierres pour couvrir Belleau.
Lui-même a taillé son tombeau.
Dedans ses pierres précieuses[182].

 

 

La Reconnue

 

Comédie.

À la prise de Poitiers par le Maréchal de Saint André[183], un Capitaine Français, nommé Rodomont, obtint pour sa part du pillage, une jeune Religieuse, qui après sept années de profession, quitte le voile, pour embrasser la Religion prétendue réformée. Le Capitaine conduit cette belle à Paris, mais rappelé pour le service du Roi, il remet Antoinette (c’est le nom de la Demoiselle) entre les mains d’un vieil Avocat de ses cousins, homme riche et sans enfants. Après le départ de Rodomont, l’Avocat épris des charmes de sa nouvelle hôtesse n’oublie rien pour s’en faire aimer : mais elle aussi peu sensible aux caresses importunes de ce vieillard, qu’à ce qu’elle doit au Capitaine, écoute avec plaisir les vœux d’un jeune Avocat, fils d’une voisine. Voilà de quelle façon la Scène s’ouvre.

D’abord Jeanne, servante de l’Avocat, vient se plaindre du mal qu’elle souffre en servant un vieil extravagant, et une maîtresse querelleuse et jalouse. Ce monologue est interrompu par l’arrivée de cette maîtresse, qui de retour de l’Église, commence par donner des preuves de sa mauvaise humeur ; et emmène la servante, afin de prendre avec elle des mesures pour rompre les intrigues de son mari. Cette Scène est suivie d’un monologue d’Antoinette qui déplore sa situation, d’autant plus fâcheuse, que depuis quelque temps elle n’a aucune nouvelle de son Capitaine. Elle sort à l’approche de l’Avocat et de sa voisine, dont la conversation roule sur la passion du mari de la première. À peine sont-elles sorties, qu’arrive Maître Jean, Clerc de l’Avocat, revenant du Palais, avec un grand appétit.

Sur mon Dieu je ne viens jamais
Tôt ou tard de notre Palais,
Que je n’apporte la famine.

Après une description assez comique de la vie à laquelle lui et ses camarades sont assujettis, il se souvient que l’Avocat lui a parlé d’un certain mariage, et rentre pour réfléchir pendant le dîner à une chose de cette importance. Cependant le vieil Avocat, dont la passion augmente de plus en plus, pour donner quelque couverture, et tranquilliser en même temps l’esprit de sa femme, propose à Maître Jean une charge d’Huissier, ou de Clerc du Greffe, pour la dot d’Antoinette qu’il faut lui donner en mariage. Maître Jean accepte cette offre avec joie. Alors l’Avocat sûr de ce côté, fait une fausse confidence à sa femme, et lui dit qu’il vient de recevoir la nouvelle que le Capitaine Rodomont a été tué à la prise du Havre ; et que dans cette conjoncture, il croit qu’il est de son devoir de songer à pourvoir la pauvre Antoinette, en la mariant à Maître Jean, à qui il veut faire présent d’une petite charge, en faveur de ce mariage. La bonne Dame donne aisément dans ce piège, et presse son mari pour la conclusion de cette affaire. D’un autre côté, le jeune Avocat instruit par Potiron son valet, de tout ce qui se trame, veut s’opposer à cette union, tandis que la désolée Antoinette, ajoutant foi à la fausse nouvelle de la mort de Rodomont, se résout d’épouser Maître Jean, plutôt que de vivre dans le célibat. Les choses sont en cet état, lorsque Rodomont arrive, et par sa présence renverse tous ces projets. Dans ce même instant un Gentilhomme entre chez l’Avocat pour s’informer d’un procès ou de conséquence, qu’on lui assure aussitôt qu’il a gagné avec dépens. Ce Gentilhomme se trouve être le père d’Antoinette. Après quelques démonstrations de tendresse paternelle, et une légère information touchant la famille du jeune Avocat ; ce Gentilhomme qui connaît le caractère de sa fille, sente à lui donner en mariage, avec une charge de Conseiller au Parlement pour sa dot, et se fait fort d’obtenir une dispense du Pape, qui relèvera Antoinette de ses vœux. Pour consoler Rodomont, il promet de l’unir avec une très aimable nièce, et de lui faire avoir l’agrément pour entrer dans la Compagnie des Gendarmes de la Garde du Roi. Il fait présent au vieil Avocat de tous les dépens du procès, et de cent écus à sa femme pour ses épingles. Il oblige ensuite l’Avocat de céder à son Clerc la petite Charge, dont jusqu’alors il n’avait été que le Prête-nom. Ainsi tout le monde se trouve content, même les Domestiques que l’on fait habiller de neuf, pour honorer la fête des Noces.

 

 

Lucrèce

 

Tragédie de Nicolas Filleul, représentée au Château de Rouen le 29 Septembre 1566.

Cette Tragédie ne mérite ni Extrait, ni Critique.

 

 

Les Ombres

 

Pastorale de Nicolas Filleul, représentée au Château de Rouen le même jour 29 Septembre 1566, après la Tragédie de Lucrèce.

Le titre de cette Pastorale n’a aucun rapport au sujet de la pièce. Mélisse, et Myrrine, Bergères, sont aimées du Berger Tircis, et d’un Satyre. Après bien du verbiage inutile, l’Amour unit ces quatre personnes[184].

 

 

Baïf

 

JEAN-ANTOINE DE BAÏF, fils naturel de Lazare de Baïf, Ambassadeur du Roi de France, François premier, auprès de la République de Venise, et d’une jeune Demoiselle de cette Ville, naquit à Venise en 1529. Lazare de Baïf mourut peu de temps après son retour en France, n’ayant pu laisser à son fils qu’un bien très médiocre, joint à la vérité à une grande éducation. Baïf fut grand Poète Latin, mais ses Vers Français furent peu estimés, d’autant plus qu’il en voulut faire sans rimes, avec des brèves et des longues, suivant l’usage des Auteurs Latins. Sur la fin de ses jours il se retira au Faubourg Saint Marcel, dans une maison qui lui appartenait, où tous les beaux esprits du temps le venaient visiter, et écouter ses concerts, qu’il donnait deux fois la semaine, où le chantaient ses vers Latins francisés. Baïf mourut âgé de soixante ans en 1589. Il a traduit en vers français ANTIGONE, Tragédie de Sophocle ; l’EUNUQUE, Comédie de Térence : et le Miles Gloriosus, Comédie de Plaute, sous le titre du BRAVE ou TAILLEBRAS. Nous ne parlerons que de cette dernière, attendu que : c’est la seule qui ait été représentée.

 

 

Le Brave ou Taillebras[185]

 

Comédie par Jean-Antoine de Baïf, jouée devant le Roi en l’Hôtel de Guise à Paris le 28. Janvier 1567.

Il serait assez inutile de donner un extrait de cette Comédie, qui n’est qu’une traduction du Miles Gloriosus, de Plaute. Les vers de Baïf sont durs, et aussi peu réguliers que ceux de Jodelle. Le Cardinal du Perron avait raison de dire que Baïf était un fort bon homme, mais un fort mauvais Poète[186].

 

 

Jephté ou le vœu

 

Tragédie de Florent Chrestien.

Outre que cette Tragédie est traduite du Latin de celle de Buchanan, elle ne mérite aucun extrait.

FLORENT CHRESTIEN, Auteur de cet Ouvrage, naquit à Orléans l’an 1540, de Guillaume Chrestien, Gentilhomme originaire des confins de la Bretagne, qui s’attacha à la Médecine, et s’y rendit si habile, qu’il devint Médecin du Roi François Ier. Florent Chrestien apprit sous Henri Estienne les langues Latine et Grecque avec tant de succès, qu’il mérita la place de Précepteur du Prince de Béarn, qui fut depuis Roi de Navarre et ensuite de France, sous le nom d’Henri IV. Florent Chrestien s’acquitta avec distinction de l’emploi dont on l’avait chargé, et se retira ensuite à Vendôme. Cette Ville ayant été prise par les Ligueurs, Florent Chrestien fut fait prisonnier de guerre ; mais sa rançon fut payée aussitôt par le Roi de Navarre, son Disciple. Florent Chrestien professa longtemps la Religion Calviniste, mais il revint quelques années avant sa mort à la Religion Catholique, et mourut à Vendôme au commencement d’Octobre 1596. Il est, comme on vient de le dire, Auteur de JEPHTÉ ou LE VŒU, Tragédie Française, traduite de la Latine de George Buchanan, et imprimée à Orléans en 1567.

 

 

Saül le Furieux

 

Tragédie de Jean de la Taille.

L’ordre Chronologique nous force à mettre ici le titre de cette Tragédie, n’ayant pas de dessein d’en parler, par les raisons que l’on a dites à l’article des Corrivaux, Comédie du même Auteur.

 

 

Porcie

 

Tragédie de Robert Garnier.

Voici le coup d’essai d’un Auteur qui surpassa ceux qui l’avaient précédé, et ceux qui le suivirent dans le même siècle. Garnier est le premier qui ait observé scrupuleusement la coupe masculine et féminine des vers à rimes plates dans les Tragédies. Quand on ne lui devrait que cet usage, qui a été suivi inviolablement depuis, ce ne serait pas peu de chose. Ajoutez qu’il a tâché de peindre ses personnages d’après les Historiens qui en ont parlé, et que sa versification est coulante et assez châtiée pour le temps où il a travaillé. Nous en pourrons donner quelques morceaux, en parlant de ses autres Tragédies. À l’égard de celle-ci, elle n’a aucune singularité qui mérite l’attention du Lecteur. Nous parlerons ci-dessous de Garnier, à l’article de sa Cornélie.

 

 

Panthée

 

Tragédie de Caye Jules de Guersens.

Comme on pourrait chicaner sur le titre de cette pièce[187], que quelques personnes mal informées attribuent à la Demoiselle des Roches, il est nécessaire de faire connaître ici son véritable Auteur.

CAYE JULES DE GUERSENS[188] naquit à Gisors, Ville de la Haute-Normandie, Diocèse de Rouen, l’an 1543 ou 1545. Il était d’une assez bonne famille. On dit que dès ses plus tendres années il vint à Paris, où il fit ses études avec un tel succès, qu’il s’acquit un nom parmi les gens de Lettres de son siècle. Il avait une mémoire prodigieuse, et possédait plusieurs Langues. Ces talents lui acquirent la bienveillance du Duc de Joyeuse, et d’Artus de Cossé, Évêque de Coutances, qui le firent connaître au Roi. La passion qu’il conçut dans la suite pour Catherine Fradonnet, Demoiselle des Roches, lui fit faire un long séjour à Poitiers, qu’il employa à donner des preuves de son amour à cette Demoiselle, et à la Dame des Roches, sa mère. Il fit plus, connaissant le caractère de cette Dame, et de sa fille, porté au bel esprit, après avoir composé sa Tragédie de PANTHÉE, qu’il regardait comme son chef-d’œuvre, il voulut en faire le sacrifice à sa maîtresse, et la fit imprimer à Poitiers en 1571, sous le nom de la Demoiselle des Roches, protestant dans l’Épître Dédicatoire, qu’il adresse à l’Évêque de Coutances, son Mécène, qu’il n’a d’autre part à cette pièce, que celle de l’avoir mise en ordre. « Je proteste, dit-il, devant Dieu, que cet ouvrage n’est jamais sorti de la boutique de mon esprit, mais d’un Jupiter, du cerveau duquel la Pallas de notre France l’a fait naître. » La Croix du Maine[189] doute de la sincérité de cette protestation, attendu, dit-il, qu’on reconnaît aisément dans cette Tragédie le style, et façon d’écrire de Guersens. Mais du Verdier[190] n’hésite point à la donner entièrement à ce Poète. On ignore les raisons qui empêchèrent son mariage avec Mademoiselle des Roches ; tout ce qu’on sait, c’est que Guersens, qui avait déjà été reçu Avocat au Parlement de Bretagne, vint s’établir à Rennes, dont il obtint la charge de Sénéchal, et y mourut de la peste le Jeudi cinquième jour de Mai 1583, âgé de 38 ou 40 ans.

Il paraît par ses Ouvrages qu’il n’était guères pénétré des vérités de la Religion. Sa façon de penser était singulière, et même cynique, si nous en jugeons par son Poème intitulé, Les Cornes, qui contient une louange des Cocus, et du Cocuage. C’est aussi le sentiment qu’en a porté Baillet dans ses Jugements des Savants. Au reste, Guersens était un Poète assez mauvais, peu estimé même par ses contemporains. Scaliger[191] nous assure que ses vers ne paraissaient passables que lorsqu’il les déclamait lui-même. Disons présentement un mot de sa Tragédie, dont le sujet extrêmement connu, a été si souvent traité par les Auteurs Dramatiques, et toujours avec un faible succès. Nous sommes persuadés que cet Ouvrage de Guersens ne doit pas en avoir eu beaucoup dans son temps ; il y introduit un certain Balthazar, Roi de Babylone, et rival d’Abradate. À peu de choses près, on peut dire qu’au reste, il a suivi l’Histoire, à la façon des Poètes du siècle. Les deux passages suivants serviront à faire connaître le génie, et la versification de l’Auteur.

Au premier Acte, Balthazar, amant respectueux, se plaint des mépris de Panthée, Achate, son Confident, lui conseille de tenter la voie des présents, en l’assurant que ce moyen est infaillible.

ACHATE.

La richesse corrompt et la terre et les Cieux,
Les Mânes, les Démons, les Hommes et les Dieux.
Il n’y a rien de si Saint qui pour or ne se change :
Un Diable même par or deviendrait Ange.

Au Quatrième Acte, Panthée déplore ainsi la mort d’Abradate.

Tu es donc mort, ami, il faut aussi bien, morte
Que je te fasse escorte.
Non je ne puis plus vivre ; ayant perdu mon bien,
Pourrais-je vivre bien ?
Non je ne puis plus vivre, ayant perdu ma vie :
De vivre aurais-je envie ?

 

 

La Famine ou les Gabaonites

 

Tragédie de Jean de la Taille.

S’il était possible de faire un plus mauvais Poème que la Tragédie de Saül le Furieux, celui-ci le surpasserait.

 

 

Les Morts vivants

 

Farce anonyme.

« En l’an 1550, au mois d’août[192], un avocat tomba en telle mélancolie, et aliénation d’entendement, qu’il disait, et croyait être mort : à cause de quoi il ne voulut plus parler, rire, ni manger, ni même cheminer, mais se tenait couché... Enfin il devint si débile qu’on attendait d’heure à heure qu’il dût expirer ; lorsque voici arriver un neveu de la femme du malade, qui, après avoir tâché à persuader son oncle de manger, ne l’ayant pu faire, se délibéra d’y apporter quelque artifice pour sa guérison. Par quoi il se fit envelopper en une autre chambre d’un linceul, à la façon qu’on agence ceux qui sont décédés, pour les inhumer, sauf qu’il avait le visage découvert, et se fit porter sur la table de la chambre où était son oncle et se fit mettre quatre cierges allumés autour de lui, et avait commandé aux enfants de la maison, serviteurs et chambrières, de contrefaire les pleurants autour de lui. En somme, la chose fut si bien exécutée, qu’il n’y eut personne qui eût pu se contenir de rire, même la femme du malade, combien qu’elle fût fort affligée, ne s’en put tenir, ni le jeune homme inventeur de cette affaire, apercevant quelques-uns de ceux qui étaient autour de lui, faire laides grimaces, se prit à rire. Le patient pour qui tout cela se faisait, demanda à sa femme ce que c’était qui était sur la table : laquelle répondit que c’était le corps de son neveu décédé. Mais, répliqua le malade, comment serait-il mort, vu qu’il vient de rire à gorge déployée ? La femme répond que les Morts rient. Le malade en veut faire l’expérience sur soi, et pour ce, se fait donner un miroir ; puis s’efforça de rire ; et connaissant qu’il riait, se persuada que les Morts avaient cette faculté, qui fut le commencement de sa guérison. Cependant, le jeune homme, après avoir demeuré environ trois heures sur cette table étendu, demanda à manger quelque chose de bon : on lui présente un chapon qu’il dévorera avec une pinte de bon vin ; ce qui fut remarqué du malade, qui demanda si les Morts mangeaient. On l’assura que oui : alors il demanda de la viande, qu’on lui apporta, dont il mangea de bon appétit. En somme, il continue à faire toutes actions d’homme de bon jugement, et peu à peu cette cogitation mélancolique lui passa. Cette histoire fut réduite en Farce imprimée, laquelle fut jouée un soir devant le roi Charles neuvième, moi y étant[193]. »

 

 

Hippolyte

 

Tragédie de Robert Garnier.

Les ennemis de Monsieur Racine, du temps que cet illustre auteur travaillait pour le Théâtre, débitèrent sourdement que les pièces de Garnier et de Rotrou, lui avaient été d’un grand secours dans la composition de ses Tragédies. En lisant ces deux derniers poètes, je me suis souvenu de ce prétendu fait, qu’on m’avait dit tout bas, et je n’ai rien trouvé qui ne m’ait persuadé du contraire. Commençons par Garnier. La Tragédie qui fait le sujet de cet article est Hippolyte, que Monsieur Racine a traité depuis avec tant de gloire sous le titre de Phèdre. Prenons dans Garnier la déclaration d’amour que Phèdre fait à Hippolyte, et nous la comparerons avec celle de l’Euripide des Français.

Phèdre veut déclarer sa passion, et la honte la retient : elle ajoute cependant.

L’Amour consume enclos
L’humeur de ma poitrine, et dessèche mes os ;
Il rage en ma moelle, et le Cruel m’enflamme
Le cœur et les poumons d’une cuisante flamme.

HIPPOLYTE.

C’est l’amour de Thésée qui vous tourmente ainsi ?

PHÈDRE.

Hélas, voire, Hippolyte, hélas ! c’est mon souci.
J’ai misérable, j’ai la poitrine embrasée
De l’amour que je porte aux beautés de Thésée,
Telles qu’il les avait, lorsque bien jeune encor
Son menton cotonnait d’une frisure d’or,
Quand il vit, étranger, la maison Dédalique,
De l’homme mi-taureau, critique, notre monstre
Hélas ! que semblait-il ? Ses cheveux crépelés
Comme soie retorse en petits annelets,
Lui blondissaient la tête, et sa face étoilée
Était entre le blanc de vermillon mêlée.
Sa taille belle et droite, avec ce teint divin,
Ressemblait égale à celle d’Apollin,
À celle de Diane, et sur tout à la vôtre,
Qui en rare beauté surpasse l’un et l’autre.
Si nous vous eussions vu, quand votre géniteur
Vint en l’Île de Crète, Ariane ma sœur
Vous eût plus fort que lui, par son fil salutaire,
Retiré des prisons du Roi Minos mon père.

Voyons présentement la même situation chez Monsieur Racine, et la question par là se trouvera décidée. Phèdre parle de Thésée, et dit :

PHÈDRE.

On ne voit point deux fois le rivage des morts,[194]
Seigneur ; puisque Thésée a vu les sombres bords,
En vain vous espérez qu’un Dieu vous le renvoie,
Et l’avare Achéron ne lâche point sa proie
Que dis-je ! il n’est point mort, puisqu’il respire en vous.
Toujours devant mes yeux je crois voir mon Époux,
Je le vois, je lui parle, et mon cœur... je m’égare,
Seigneur, ma folle ardeur malgré moi se déclare.

HIPPOLYTE.

Je vois de votre amour l’effet prodigieux.
Tout mort qu’il est, Thésée est présent à vos yeux.
Toujours de son amour votre âme est embrasée.

PHÈDRE.

Oui, Prince, je languis, je brûle pour Thésée ;
Je l’aime, non point tel que l’ont vu les Enfers,
Volage adorateur de mille objets divers,
Qui va du Dieu des Morts déshonorer la couche ;
Mais fidèle, mais fier, et même un peu farouche,
Charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi
Tel qu’on dépeint nos Dieux, ou tel que je vous vois.
Il avait votre port, vos yeux, votre langage,
Cette noble pudeur colorait son visage,
Lorsqu’il de notre Crète il traversa les flots,
Digne sujet des vœux des filles de Minos.
Que faisiez-vous alors ? Pourquoi sans Hippolyte
Des Héros de la Grèce assembla-t-il l’élite ?
Pourquoi trop jeune encore, ne pûtes-vous alors
Entrer dans le vaisseau qui le mit sur nos bords ?
Par vous aurait péri le monstre de la Crète,
Malgré tous les détours de sa vaste retraite.
Pour en développer l’embarras incertain,
Ma sœur du fil fatal eût armé votre main.
Mais non, dans ce dessein je l’aurais devancée,
L’amour m’en eût d’abord inspiré la pensée.
C’est moi, Prince, c’est moi, dont l’utile secours
Vous eût du Labyrinthe enseigné les détours.
Que de soins m’eût coûté cette tête charmante ?
Un fil n’eût point assez raflé votre Amante ;
Compagne du péril qu’il vous fallait chercher,
Moi-même devant vous j’aurais voulu marcher ;
Et Phèdre au Labyrinthe avec vous descendue,
Se serait avec vous retrouvée, ou perdue.

 

 

Cornélie

 

Tragédie de Robert Garnier.

Nous ne remarquerons dans cette Tragédie que le personnage de Cornélie[195] dont les sentiments romains, pour la liberté de la Patrie, sont assez passablement exprimés. Mais Cornélie se contente de pleurer ses malheurs et ne cherche point à s’en garantir.

ROBERT GARNIER né l’an 1534, à la Ferte-Bernard, ville du Maine, fut destiné à la Jurisprudence, mais son goût pour la Poésie Française l’emporta sur toutes les autres occupations. Étant encore écolier à Toulouse, il remporta aux Jeux Floraux le prix de l’Églantine ; depuis, donnant l’effort à son penchant, il s’attacha au genre dramatique, et composa huit Tragédies[196], qui furent l’admiration de son siècle. En effet, il méritait quelques louanges ; ses vers sont coulants et châtiés, ses sujets de Tragédies nobles, et les personnages peints d’après les historiens ou poètes qui en ont parlé. Ronsard lui donna la palme sur tous les autres.

Quel son mâle et hardi ! quelle bouche héroïque,
Et quels superbes vers entends-je ainsi sonner ?
Le lierre est trop bas pour ton front couronner,
Et le Bouc est trop peu pour ta Muse tragique.

Si Bacchus retournait au manoir Plutonique,
Il ne voudrait Eschyle au monde redonner :
Il te chérirait seul, qui peut seul étonner
Le Théâtre Français de ton cothurne antique.

Les premiers trahissaient l’infortune des Rois,
Redoublant leur malheur d’une trop basse voix :
La tienne comme foudre en la France s’écarte.

Heureux en bons esprits ce siècle plantureux :
Après toi, mon Garnier, je me sens bienheureux,
De quoi mon petit Loir est voisin de la Sarthe.

Dans un autre Sonnet, Ronsard dit :
Par toi, Garnier, la Scène des François,
Se change en or, qui n’était que de bois.

Garnier fut d’abord Conseiller au Présidial du Mans, et devint ensuite Lieutenant-Criminel au même Siège. Il mourut au Mans l’an 1590, âgé de cinquante-six ans, et fut enterré aux Cordeliers auprès de sa femme, qu’il avait perdue quelque temps auparavant. Elle s’appelait Françoise Hubert. La Croix du Maine en fait mention dans sa Bibliothèque, et en parle comme d’une personne versée dans la Poésie Française.

 

 

Adonis

 

Tragédie française de Guillaume le Breton.

Quoique l’Éditeur de cette Tragédie nous assure qu’elle était les délices du Roi Charles IX, nous osons cependant dire qu’elle est des plus mauvaises ; comme le sujet est trop connu, nous n’en donnerons que quelques passages.

Au premier Acte, Vénus se ressouvient avec une douleur amère, du tour que Vulcain lui a joué, en découvrant ses amours avec le Dieu Mars.

VÉNUS.

Cruel souffle charbon, à la fumeuse trongne,
Quand tu me procuras une telle vergogne,
Je n’avais le moyen de seulement cacher
...
Or puisqu’il m’a brassé tels terribles écornes,
Je lui ferai porter dessus le front des cornes
Et ne s’en faudra rien, advienne qui pourra.
Ainsi de ses abus l’amende il me fera.

Au troisième Acte, cette Déesse piquée de ce qu’Adonis lui préfère le plaisir de la chasse, s’en prend à Cupidon, et le rogne d’importance.

CUPIDON.

Ô Le dos ! ô la tête, ô main appesantie !
Jupiter au secours, ma mère me châtie.

VÉNUS.

Ha ! petit boutefeu.

CUPIDON.

Hélas ! je vous supplie.

VÉNUS.

Ha ! petit impudent.

CUPIDON.

Mettez tout en oubli.

VÉNUS.

Pestes, rage, malheur du haut et bas repaire.

CUPIDON.

Je vous requiers pardon à deux genoux, ma mère.

 

 

Le Muet insensé

 

Comédie de Pierre le Loyer.

Le fils d’un riche bourgeois devient amoureux d’une jeune fille, et n’en pouvant rien obtenir, il a recours à un magicien, qui lui donne une bague, dont la vertu est de faire aimer la personne qui la porte. Cet expédient ne réussit pas. Le jeune homme retourne au magicien qui lui fait voir le Diable. Cette apparition fait un si grand effet sur les sens de cet amoureux, qu’il en devient sur-le-champ muet, et fou. Le père de ce dernier apprend cet accident, et ce qui en a été la cause ; et sur-le-champ il va trouver le père de la fille, qui est de ses amis intimes, et obtient son consentement pour le mariage. Il n’est plus question que de guérir le Muet Insensé. Le magicien fait cette cure, les jeunes gens sont unis[197].

 

 

Lucelle[198]

 

Comédie de Louis le Jars.

Cette Comédie est en cinq Actes et en prose, en voici le sujet.

Lucelle, fille d’un riche Banquier Italien, est recherchée en mariage par le Baron de Saint-Amour ; mais cette jeune personne éprouve d’un jeune Inconnu, qui tient les Livres de compte de son père, l’épouse en secret. Philippin, valet du Banquier, instruit son Maître de ce qui s’est passé. Ce dernier surprend la fille et Ascagne, (c’est le nom du Commis du Banquier), et après les avoir enfermés, chacun dans une chambre, suivi de Philippin, qui tient d’une main un pistolet et de l’autre du poison dans un gobelet, il aborde ainsi Ascagne.

LE PÈRE.

Tenez, Ascagne, le nouveau marié, je vous apporte à votre premier réveil le breuvage de vos noces. Prenez-le devant moi, si vous n’aimez mieux souffler dans cette pistolet,

Il présente le pistolet.

choisissez le meilleur, et ne prenez pas le pire.

ASCAGNE.

Ah ! Monsieur, est-ce là la récompense de mes fidèles services ?

LE PÈRE.

Mot, taisez-vous, mot.

ASCAGNE.

Hé ! Monsieur, écoutez-moi un peu, je vous en supplie très humblement, à mains jointes ; vous ne vous en repentirez pas.

LE PÈRE à Philippin.

Donnez-moi cette pistolet, que je lui en donne par la tête.

ASCAGNE.

Je vous obéirai donc.

LE PÈRE.

Tenez, n’en buvez que la moitié.

Le poison pris, Ascagne tombe, et le Père fait porter son corps à Lucelle, qui après avoir déploré son sort, achève le breuvage préparé. Un moment après arrive un Courier, qui demande Ascagne, et vient lui annoncer qu’il est Prince Polonais, mais qu’on lui avait caché sa naissance pour certaines raisons. Le Père se désespère de sa cruauté. Heureusement l’Apothicaire a fait un quiproquo, et n’a donné qu’une potion somnifère. Il réveille les Amants, le père demande pardon à Ascagne, et approuve le mariage qu’il a contracté avec sa fille.

 

 

Didon

 

Tragédie de Guillaume de la Grange.

GUILLAUME DE LA GRANGE, natif de Sarlat, Ville Épiscopale dans le Périgord, était, si l’on veut en croire l’Éditeur de sa Tragédie, un excellent poète tragique français. On ignore entièrement sa vie, et sans le plus grand hasard, sa pièce ne serait point parvenue jusqu’à nous, et aurait péri avec son auteur, si les soins d’un ami ne l’avaient tiré deux fois de l’oubli. Ainsi, au lieu d’une vie de La Grange, que l’on soupçonne avoir gagné des prix aux Jeux Floraux, nous donnerons l’Histoire de sa Tragédie de DIDON.

Barthelemy Balliste, Docteur en Droit, et Lieutenant Général des Viguier et Juge de Narbonne, envoya, du vivant de la Grange, son ami, cette Tragédie à Paris, avec quelques Poésies du même Auteur, capables de composer en tout un assez bon volume. L’Ami de Balliste, qui s’était chargé à Paris de l’édition de ce Livre, soit par négligence, soit faute de trouver un Libraire, qui voulût faire les frais de l’impression, ne répondit point à ses souhaits. Enfin, après quelques années, lorsqu’on croyait ces Poésies entièrement égarées, ou perdues, le Docteur Balliste reçut cette Didon, comme il s’y attendait le moins, mais extrêmement défigurée, et corrompue. La Grange était mort alors ; mais Balliste, à qui ce Poète avait communiqué plusieurs fois cette Pièce, répara habilement ce qui manquait. Quelque temps après, Marcellin Gueyton, l’un des Élus de Lyon, homme qui se faisait un plaisir singulier de tirer à ses propres dépens une foule d’Auteurs de l’oubli, pria Balliste de lui faire part des Poésies des personnes célèbres, et surtout de ceux qui avaient gagné les prix aux Jeux Floraux. Balliste pour obliger l’Élu, et en même temps faire vivre la mémoire de La Grange, son ancien camarade d’étude, ne tarda pas à lui faire tenir la Tragédie de Didon. Gueyton la remit à Rigaud, Libraire de Lyon, qui la communiqua aussitôt à Du Verdier Vauprivaz. Ce dernier conseilla au Libraire de la mettre au jour le plus tôt possible, ajoutant que, quoiqu’Étienne Jodelle eût travaillé le même sujet, néanmoins celle-ci étant traitée différemment, elle ne pourrait que faire plaisir. Rigaud la fit paraître en 1582, plusieurs années après la mort de l’Auteur, et autorisé par tant d’éloges, il ne craignit point d’ajouter au titre de Didon « que cette Tragédie, tant pour l’argument, que pour la gravité des Vers, et Sentences, outre ce qu’elle n’a par ci-devant été vue, n’est moins digne de voir (imprimée) que profitable à tous ». Passons présentement à l’Extrait de la Tragédie.

Suivant l’usage des anciens Poètes, l’Auteur fait paraître au commencement l’Ombre de Sichée, qui instruit sommairement le Spectateur de tout ce qui va se passer sous les yeux. Ensuite Didon fait part à sa confidente Barcé, d’un songe affreux, qui semble lui présager quelque événement sinistre. Peu de temps après Énée ordonne à Achate de préparer tout pour sa fuite. Didon, instruite de ce projet, accable l’infidèle de reproches sanglants. Voyons comment La Grange a paraphrasé Virgile en cet endroit.

DIDON.

Au moins puisque joué j’ai mon honneur et moi,
Si avant ton départ j’étais grosse de toi :
Ou si ayant déjà Lucine réclamée,
Tu me laissais ici quelque petit Énée,
Qui te représentant, de face seulement,
Je pourrais plus constante endurer ce tourment :
Et par le grand malheur de ta fuite obstinée,
Je ne semblerais pas du tout abandonnée.
...
...
Car Vénus onc chargée
Ne fut de ta portée : une fée enragée
Te prit pour t’allaiter, aussitôt qu’une roche
Au Mont où Prométhée est butin du bec croche,
Grosse t’eût poussé hors de ses entrailles dures
Pour le monde infester de cruelles injures.
...
Et je me plains de toi, furie abominable,
Damnable, inexorable, effroyable, exécrable.

Au cinquième Acte, Didon perdant tout espoir, tombe dans une espèce de délire.

DIDON.

Ha ! ha ! ha !

CHŒUR.

Quels soupirs ?

DIDON.

Las ! hélas !

CHŒUR.

Quelles plaintes !
Quel grand est le deuil dont son âme est atteinte.

DIDON.

Que ne l’ai...

CHŒUR.

Les sanglots interrompent sa voix !

DIDON.

Que ne l’ai-je gardé !...

CHŒUR.

Ô Dieux !

DIDON.

Quand je l’avais ;
Je ne verrais errer la mort sur tous mes membres,
Si je l’eusse gardé dans l’une de mes chambres.

CHŒUR.

Elle parle d’Énée, etc.

Après plusieurs plaintes de cette nature, Didon monte sur un bûcher, et se perce le sein avec un poignard. Quoique La Grange ne soit pas bon poète, on ne saurait lui refuser le talent d’avoir versifié passablement pour son temps. On trouve même chez lui des Vers assez bons, et quelques pensées, à la vérité mal exprimées. Pour servir d’exemple, rapportons la réflexion que fait Énée au troisième Acte, lorsqu’il déplore le malheur des Grands, il porte envie à l’état médiocre.

Ceux vraiment sont heureux
Qui n’ont pas le moyen d’être fort malheureux :
Et dont la qualité, pour être humble et commune
Ne peut pas illustrer la rigueur de fortune.

 

 

Les Délicieuses amours de Marc-Antoine et de Cléôpatre

 

De Guillaume Belliard[199].

Cette pièce est si mauvaise, en causeuse, et mal en ordre, que nous aurions cru rendre un fort mauvais office aux Lecteurs, si nous lui en avions donné un Extrait. Nous doutons même qu’elle ait été jouée.

Ce serait ici la place de quatre Poèmes Dramatiques de Guillaume Le Breton, Auteur de la Tragédie d’Adonis, dont nous avons donné l’Extrait ci-dessus, intitulés

TULLIE.

CHARITÉ.

DIDON.

DOROTHÉE.

Mais outre que ces Pièces n’ont jamais été représentées, c’est qu’elles n’ont pas paru imprimées, et que conséquemment aux bornes que nous nous sommes prescrites, elles ne peuvent entrer dans cette Histoire. Ajoutons seulement ici quelques faits sur la vie de cet Auteur.

GUILLAUME LE BRETON, Seigneur de la Fon, naquit à Nevers, et vint dans sa jeunesse à Paris y faire ses humanités. D’abord il se destina pour la Robe, et dans ce dessein, il se fit recevoir Avocat au Parlement ; mais le goût de la Poésie l’emportant, au lieu de suivre le Barreau, il donna dans le bel esprit. Entre plusieurs Pièces qu’il a composées, la seule qui ait paru est sa Tragédie d’ADONIS, qui fut représentée devant le Roi Charles IX. Le succès qu’on dit qu’elle eut alors, ne put cependant déterminer le Poète à livrer cet Ouvrage à l’impression. Ce ne fut qu’au bout de cinq ans, que François d’Amboise, ami particulier de l’Auteur, la fit imprimer, afin de l’engager à donner au Public les autres Tragédies[200] de sa composition. C’est cependant ce que Le Breton n’a osé hasarder. La Croix du Maine assure[201] qu’il vivait en 1584, et il y a apparence qu’il n’était pas encore mort en 1597 ; puisque l’Édition de sa Tragédie d’Adonis, qui parut cette année, porte qu’elle fut revue, et corrigée de nouveau par l’Auteur.

 

 

Marc-Antoine

 

Tragédie de Robert Garnier.

Cette Pièce n’a pas été inconnue, ni inutile à M. de la Chapelle, lorsqu’il composa sa tragédie de Cléopâtre. Le parallèle de ces deux Pièces paraîtrait les bornes d’un Extrait ; nous nous arrêterons au récit de la mort d’Antoine fait par ces deux Auteurs. Le plus ancien commencera.

Antoine, croyant Cléopâtre morte, se frappe de son épée : dans le moment arrive

L’homme de Cléopâtre,
Qui dit être chargé par son commandement,
De le faire porter vers elle au monument.
À ces mots le pauvre homme ému de grande joie,
Sachant qu’elle vivait, à nous prier s’emploie
De le rendre à sa Dame : et lors, dessus nos bras
Le portons au sépulcre, où nous n’entrâmes pas,
Car la Reine, craignant d’être faite captive,
Et à Rome menée en un triomphe vive,
N’ouvrit la porte, ainsi qu’une corde jeta,
D’une haute fenêtre où l’on l’empaqueta :
Puis les femmes, et elles, à mont le soulevèrent,
Et à force de bras jusqu’en haut l’attirèrent.
Jamais rien si piteux au monde ne s’est vu,
On montait d’une corde Antoine peu à peu
Que l’âme allait laissant, la barbe mal peignée,
Sa face et sa poitrine étaient de sang baignée :
Toutefois, tout hideux, et mourant qu’il était,
Ses yeux demi-couverts sur la Reine jetaient,
Lui tendait les deux mains, se soufflait lui-même ;
Mais son corps retombait d’une faiblesse extrême.
La misérable Dame, ayant les yeux mouillés,
Les cheveux sur le front sans art éparpillés,
La poitrine de coups sanglantement plombée,
Se penchait contre bas, à tête recourbée,
S’enlaçait dans la corde, et de tout son effort ;
Courageuse, attirait cet homme demi-mort.
Le sang lui dévalait au visage de peine,
Les nerfs lui raidissaient, elle était hors d’haleine.
Le peuple qui d’en bas, amassé, regardait,
De gestes, et de voix à l’envi lui aidait :
Tous criaient, l’excitaient, en souffraient en leur âme,
Peinant, suant ainsi que cette pauvre Dame.
Toutefois invaincue, ce travail durant tant,
De ses femmes aidée, et d’un cœur si constant
Qu’Antoine fut tiré dans le sépulcre sombre,
Que je crois que des morts il augmente le nombre.

L’Auteur moderne fait ainsi parler Agrippa à Octavie, femme d’Antoine.

Vers ces tombeaux fameux, où j’ai porté mes pas,
Excité par les cris que poussaient nos Soldats,
J’ai vu dans un état trop digne de vos larmes,
Ce chef si renommé pour la gloire des armes,
Qui naguère suivi de mille légions,
Se faisait obéir par tant de Nations.
Cet Antoine, en un mot, si fier, si redoutable,
À qui de sa grandeur César est redevable ;
Je l’ai vu dépouillé des marques de son rang,
Pâle, défiguré, tout couvert de son sang.
Quatre esclaves honteux, dans leur douleur profonde,
De voir entre leurs mains un des Maîtres du monde
Sur leurs bras tous souillés, le portaient en tremblant,
Et détournaient leurs yeux de cet objet sanglant.
Cependant avec soin Cléopâtre enfermée,
Et de tant de Soldats justement armée,
N’ose ouvrir le tombeau, regarde Antoine en pleurs,
Dont sa présence encore augmente les douleurs :
Lorsqu’une Charmion[202] l’adresse favorable,
Surmonte par les soins tout ce qui les accable :
Dans ce besoin pressant, elle ajuste en liens
Les voiles précieux de la Reine, et les siens.
Pitoyable secours, ou malgré vous, et Rome,
Un malheureux amour réduit un si grand homme ;
Qui, tandis que les siens prennent soin d’arrêter
Les nœuds infortunés qui doivent le porter,
Plein de ce même amour, que tout semble combattre,
N’ouvre les yeux mourants, que pour voir Cléopâtre.
Déjà par Charmion les tissus préparés
Étaient de mille nœuds autour de lui ferrés ;
Déjà la Reine même, attachée au cordage
Prêtait ses belles mains à ce pénible ouvrage,
Un Maître, un Empereur du Monde, et des Romains,
Élevé lentement par de si faibles mains,
Paraissait comme en butte, avec ignominie,
Aux insolents regards d’une Armée ennemie.
Chacun l’encourageait, et lui-même animé,
Par les tendres regards d’un objet trop aimé,
Tâchait de ramasser ses forces languissantes,
Et vers la Reine encore tendait ses mains sanglantes.
Que vous dirai-je ? Enfin un secours si nouveau
Le conduit à nos yeux jusqu’au tombeau.
La Reine, entre les bras, le reçoit éperdue :
Leur amoureux transport éclate à notre vue ;
Tout le monde est touché de joie, et de douleur,
Et d’un si tendre amour déplore le malheur.

 

 

Le Laquais

 

Première comédie de Pierre de la Rivey, en cinq Actes et en Prose.

Avant de donner un Extrait de cette Comédie, et des autres du même auteur, nous croyons qu’il est propos de dire quelque chose sur un homme tel que la Rivey, qui, quoique moins connu, n’a pas laissé dans son temps de se distinguer dans le genre Comique, autant que Garnier dans le grand Cothurne.

PIERRE DE LA RIVEY[203] Champenois nous a laissé neuf Comédies de sa composition, dont les six premières parurent imprimées au commencement de l’année 1579, sous le titre suivant, « Les Comédies facétieuses de Pierre de la Rivey, Champenois, à l’imitation des anciens Grecs et Latins, et modernes Italiens, à savoir,

LE LAQUAIS.

LA VEUVE.

LES ESPRITS.

LE MORFONDU.

LES JALOUX.

LES ÉCOLIERS.

« Paris, Abel l’Angelier 1579. » Elles furent imprimées ensuite à Lyon en 1597, et pour la troisième fois à Rouen en 1601.

Nous ne pouvons que savoir mauvais gré à la négligence, ou à la jalousie des Écrivains contemporains de la Rivey, de ne nous avoir instruits d’aucun fait particulier de la vie de ce Poète, qui le méritait avec d’autant plus de justice, que nous assurons qu’avant le règne de Louis XIII, le Théâtre français n’avait point vu d’Auteur qu’on pût lui comparer. En effet, la Rivey qui, conformément au titre de ses Pièces, avait travaillé d’après les anciens Maîtres de l’art, a laissé dans ses Ouvrages d’excellents modèles, dont ses Successeurs ont su profiter, sans en marquer de reconnaissance. Cette raison nous engage à donner des Extraits un peu détaillés, pour justifier ce que nous avançons. Il ne faut pas oublier, que la Rivey est un des premiers Auteurs qui aient écrit des Comédies en prose, et celui qui en a composé le plus grand nombre. Voici les raisons qu’il en donne dans sa Préface adressée à M. d’Amboise, Avocat en Parlement, en date du premier Janvier 1579[204]. Ce morceau servira encore à donner une juste idée de la Poétique du temps.

« J’ai toujours pensé (dit la Rivey) que ma nouvelle façon d’écrire en ce nouveau genre de Comédie qui n’a encore été beaucoup pratiquée entre nos Français, ne sera tant bien reçue de quelques-uns trop sévères... occasion qui m’a fait longtemps douter, si je devais faire voir le jour à ce mien petit Ouvrage, bâti

à la moderne, et sur le patron de plusieurs bons Auteurs italiens[205] comme Laurent de Médicis, père du Pape Léon dixième, François Graffin, Vincent Gabian, Jérôme Razzi, Nicolas Bonnepart, Loïs Dolce, etc... J’en ai voulu jeter les premiers fondements... non que par-là je veuille insérer que je sois le premier qui fasse voir des Comédies en Prose ; car je sais qu’assez de bons Ouvriers, et qui méritent beaucoup par la promptitude de leur esprit, en ont traduit quelques-unes : mais aussi puis-je dire ceci, sans arrogance, que je n’en ai encore vu de françaises, j’entends qui aient été représentées comme advenues en France[206]. Or si je n’ai voulu en ce peu, contre l’opinion de beaucoup, obliger la franchise de ma liberté de parler, à la sévérité de la Loi de ces Critiques qui veulent que la Comédie ne soit un Poème, si elle n’est au nombre et mesure des Vers, (ce que sans me vanter, j’eusse pu faire) je l’ai fait, parce qu’il m’a semblé que le commun peuple, qui est le principal personnage de la Scène, ne s’étudie tant à agencer ses paroles, qu’à publier son affection, qu’il a plutôt dicté que pensé. Il est bien vrai que Plaute... Mais, comme vous savez, c’est l’opinion des meilleurs antiquaires, que le Querolus de Plaute, et plusieurs autres Comédies qui sont perdues par l’injure du temps, ne furent jamais qu’en pure Prose. Joint aussi que le Cardinal Bibienne, le Picolomini, et l’Arétin, tous les plus excellents de leurs siècles, et les autres dont j’ai parlé ci-devant, et lesquels j’ai voulu principalement imiter et suivre en ce que j’ai pensé m’être possible, et permis, n’ont jamais en leurs Œuvres Comiques (j’ai beau qu’ils fussent des premiers en la Poésie) voulu employer la rythme, comme n’étant requise en telle manière d’écrire, pour sa trop grande affectation, et abondance de paroles superflues. Et ce sont les raisons, desquelles vous, et Monsieur Le Breton, que j’honore beaucoup, pour ses rares vertus, m’avez plus aiguillonné pour donner commencement à ces fables, qu’ici je vous offre et dédie etc. »

En 1611, la Rivey fit la revue de ses portefeuilles, et y trouva six autres Comédies qu’il retoucha pour les mettre en état de voir le jour. Il en fit imprimer trois, savoir LA FIDÈLE, LA CONSTANCE, et LES TROMPERIES, cette même année, et les dédia encore à son fidèle ami François d’Amboise, l’assurant que dans peu, elles seraient suivies de trois autres. Il ne nous a pas tenu sa parole ; je ne sais si l’on en doit être trop affligé, si l’on fait réflexion que ses dernières pièces sont fort inférieures aux premières, et que selon les apparences, et le train ordinaire des Auteurs, il n’aurait employé dans ces dernières, que les faibles restes de sa verve Poétique, noyés dans la poussière de son Cabinet.

 

 

Le Laquais

 

Première Comédie de La Rivey[207].

Malgré le poids des années, Siméon, époux d’une femme assez ragoutante, et père de Maurice et de Françoise, personnes très nubiles, veut encore se mêler de faire l’amour à Marie, jeune fille, amoureuse de Maurice, qui n’écoute qu’à regret les soupirs de ce Vieillard. De son côté, Siméon engage à force d’argent un intriguant[208] nommé Thomas, à le servir auprès de sa maîtresse. Thomas lui promet tout, mais dévoué au service de Maurice, et de sa sœur, il prend des mesures pour introduire ce jeune homme chez Marie dès le soir même, et facilite en même temps l’entrevue de Françoise, et d’Horatio, Gentilhomme d’un Cardinal, et Amant de cette belle. Ensuite, pour amuser Siméon, Thomas oblige Jacquet[209], laquais d’Horatio, à se déguiser en fille, et à passer pour Marie auprès du Vieillard amoureux. Tu réussiras d’autant mieux, ajoute l’intriguant, que tu as beaucoup de ressemblance avec cette fille. Après les instructions convenables sur la manière dont il doit jouer son rôle, Thomas quitte Jacquet, et conduit Siméon au rendez-vous indiqué par la prétendue Marie. Françoise profite de l’absence de son père, pour sortir travestie sous les habits de Jacquet. Le hasard veut que Valère, Laquais de Siméon, la rencontre et la reconnaît. Heureusement Horatio survient, et facilite l’évasion de sa maîtresse, qu’il conduit en sûreté.

Jacquet, qui, comme on le vient de dire, a joué le personnage de Marie, ouvre le quatrième acte, et raconte à Thomas de quelle manière ils s’en sont tiré, ajoutant que malgré ses précautions, la fourberie a été découverte, mais qu’il a habilement réparé la chose, en faisant accroire à Siméon, qu’il est

frère de Marie, envoyé exprès pour éprouver si la passion de ce Vieillard est sincère. Le bonhomme, continue Jacquet, a si bien ajouté foi à mes discours, qu’en me quittant, il m’a remis ce beau rubis, dont il veut faire présent à sa maîtresse. À peine Jacquet et Thomas ont quitté la scène, que Belle-Couleur, toute essoufflée, vient dire à Valère que Maurice, surpris dans la chambre de Marie par l’oncle et les deux Cousins de cette belle fille, a été forcé, le pistolet sous la gorge, de signer une promesse de mariage ; apercevant ensuite Lucian, précepteur de Maurice, qu’elle prend pour un Prêtre, elle lui fait part de cette même aventure, et le prie de venir au plus tôt donner la bénédiction nuptiale à ces deux personnes. Lucian lui répond avec un ris moqueur qu’elle se trompe, ce qui met Belle-Couleur dans une étrange colère.

Au cinquième acte, Siméon, instruit par Valère, déplore son malheur et reconnaît sa folie. Dans le moment, le Pédant, gagné par les promesses du Cardinal, Protecteur d’Horatio, vient

par un long discours, lardé de passages latins, apprendre au Vieillard que Françoise est dans la maison de ce Prélat, qui veut bien accommoder cette affaire, en faveur de son Gentilhomme. Effectivement, toutes choses se terminent au gré de chacun, par l’entremise de Messer Antoine, Secrétaire de son Éminence : Siméon consent au mariage d’Horatio et de Françoise ; et à celui de Maurice et de Marie, qui reconnaît son frère dans la personne de Jacquet.

 

 

La Veuve

 

Seconde Comédie de Pierre de La Rivey.

Clémence, riche bourgeoise de Paris, qui ignore depuis longtemps le sort de son mari, est recherchée en secondes noces par deux Vieillards ; le premier est un étranger appelé Bonaventure, qui fait parler à Clémence par Guillemette, intrigante, qui, sous couleur de dévotion, trouve le secret de s’introduire dans les meilleures maisons. Ambroise, c’est le nom du second poursuivant, fait confidence de son dessein au paraclet Gourdin, qui promet de le servir. Guillemette et Gourdin se rencontrent, et s’étant mutuellement rendu compte de leurs commissions, conviennent de tromper ces vieillards, et d’en partager le profit, tandis qu’ils vont de bonne foi travailler pour Anne et Émée, l’une fille, et l’autre nièce de Clémence, dont la première aime l’ingrat Constant qui soupire inutilement pour Émée, amante d’Alexandre. Guillemette, dans ce dessein, va chez Clémence, pour rendre à Émée une lettre d’Alexandre. Léonard, frère d’Ambroise, la trouvant dans cette maison, la chasse honteusement, et conseille à Clémence de ne plus souffrir cette misérable. Sainte Servante de la Veuve, moins scrupuleuse que sa maîtresse, donne une bouteille de vin à l’intrigante, et après lui avoir exagéré le malheur des filles qui sont au service, elle la prie de lui chercher une maison, où on ait besoin d’une Nourrice, attendu, ajoute-t-elle, qu’elle est enceinte, sans savoir de qui, ni depuis quel temps. Guillemette lui promet ses soins, et vide la bouteille, en chantant ce qui suit.

Ma bouteille, si la faveur
De ce vin répond à l’odeur,
Je prie Dieu, et Sainte Hélène,
Qu’ils te maintiennent toujours pleine.

En sortant du logis de Clémence ; Guillemette trouve une courtisane, du même nom que la Veuve, qui lui fait confidence, qu’assurée par la ressemblance qu’elle a avec cette Dame, elle a résolu de passer pour elle, auprès de Bonaventure, son mari, que l’on croit mort. Elle ajoute, qu’étant instruite des particularités du naufrage qui a séparé ces deux époux, elle est en état de lui en imposer aisément. En effet, Bonaventure, trompé par ces fausses apparences, croyant revoir sa femme, reçoit la Courtisane avec joie. Anselme, prêtre âgé, ami de Bonaventure, plaint au contraire le sort de ce pauvre mari : Guillemette lui proteste qu’elle est alors fort sage : mais à propos, continue-t-elle, après vous avoir rendu autrefois de si bons offices, il me semble que vous m’avez oublié ? Oh ! répond Anselme, j’ai quitté la bagatelle, et d’ailleurs, j’ai trop de neveux. De son côté, Ambroise, qui s’est aperçu que le paraclet Gourdin, ne fait que l’amuser, s’adresse à Guillemette, et lui donne deux écus pour parler en sa faveur à la Dame Clémence. L’intrigante le flatte d’un heureux succès ; et pour être en état d’y travailler promptement, elle lui emprunte dix francs, qu’elle veut employer, dit-elle, à retirer son frère de prison. Ainsi finit le second Acte.

Léonard et Valentin, son fils, ouvrent le troisième Acte, et songent aux moyens de traverser l’amour d’Alexandre et d’Émée, et favoriser celui de Constant. Suivant ce dessein, Léonard prend la résolution de faire entrer secrètement ce dernier dans la chambre d’Émée, sous les habits et le nom d’une de ses parentes. Le Parasite entend ce projet, et court en avertir Alexandre, qui, sous le déguisement projeté, prévient Constant, et se présente à la porte de Clémence. Léonard, méconnaissant la voix de Constant, veut empêcher cet Amant d’entrer, mais à la faveur de la nuit, et de Robert, Valet d’Alexandre, qui fait ici le Matamore, il entre dans la chambre de sa maîtresse. Gourdin, profitant de l’obscurité, fait passer Ambroise dans une autre où est Guillemette, que ce Vieillard cajole, croyant tenir Madame Clémence. Sur ces entrefaites, Constant vient au rendez-vous, et Sainte avec Robert l’introduisent chez Anne. Ces travestissements, et ces tromperies s’éclaircissent au cinquième Acte. La Dame Clémence est reconnue pour la véritable femme de Bonaventure, qui chasse la Courtisane, en lui laissant par pitié quelque argent, pour la dédommager des frais qu’elle a faits pour parvenir à ses fins. À leur retour, ils apprennent que Constant a violé Anne, leur fille. Léonard nie le fait, et voulant prouver ce qu’il avance, il découvre le stratagème d’Alexandre. Ambroise trouvant à son réveil Guillemette auprès de lui se retire fort honteux de cette aventure : et la Comédie finit par les doubles mariages d’Alexandre et de sa chère Émée, et d’Anne avec Constant, qui promet de lui être toujours fidèle.

 

 

Les Esprits

 

Troisième comédie de Pierre de La Rivey.

Urbain et Fortuné, fils de Séverin, homme riche et très avare, cherchent à profiter de tous les plaisirs que l’âge leur permet. Le premier qui n’a jamais quitté la maison de son père, fait le temps de son absence pour se livrer à la débauche : tandis que Fortuné, élevé avec une honnête liberté auprès de son oncle Hilaire, garde un peu plus de mesures. Quoique plein de confiance en la bonté de cet oncle, Fortuné est néanmoins dans de vives inquiétudes au sujet d’Apolline sa maîtresse, d’autant plus pressantes, que cette belle prête à accoucher, est dans un Couvent, dont sa tante est Abbesse. Pendant que ce jeune homme cherche tous les moyens imaginables pour se tirer de cet embarras, l’imprudent Urbain se plonge dans un autre. Par le moyen d’un Intrigant nommé Ruffin, il fait connaissance d’une Courtisane qu’il mène dîner dans la maison de son père, après avoir promis à l’Intriguant de le récompenser libéralement.

Frontin ouvre le second Acte, en annonçant le retour de Séverin. Cette circonstance désespère l’amoureux Urbain, qui voudrait bien n’être pas si tôt séparé de sa chère Féliciane (c’est le

nom de sa maîtresse.) Rassurez-vous, dit le Valet, pourvu que vous vouliez bien jouer votre rôle. Après avoir dit quelques mots à l’oreille d’Urbain, Frontin va au-devant du bon homme, et lui fait accroire que les esprits malins se sont emparés de sa maison[210], qu’ils y font un vacarme étrange, et accablent les passants de pierres et de tuiles. À peine Séverin avance-t-il vers sa maison, qu’il voit les preuves des discours de Frontin. Il déplore son malheur, et comme en parlant entre ses dents, le Valet lui entend nommer le mot de Bourse, il demande aussitôt si sa bourse aux deux mille écus est dans la maison ? Et où prendrais-je deux mille écus ? répond brusquement Séverin. Il renvoie ensuite Frontin sous quelque prétexte, pour avoir le temps de se décharger d’une grosse bourse, qu’il croyait aller remettre dans sa maison. Ce n’est qu’après bien des façons que ce Vieillard se résout enfin à cacher son argent dans un trou, conjurant cette chère bourse, et le trou même de ne se pas laisser trouver. « Eh ! mon petit trou, mon mignon, je me recommande à toi : Or sus ! au nom de Dieu, et de saint Antoine de Padoue. »

Lorsque Séverin est sorti, Désiré, Amant de Laurence, fille de cet Avare, arrive, et trouvant la bourse, il en ôte l’argent, pour lui tenir lieu de la dot de sa Maîtresse, et met des pierres à la place. Séverin revient ensuite sur la Scène avec Frontin, qui promet de l’adresser à un homme assez habile pour forcer les Esprits à quitter sa maison. En sortant, l’Avare jette les yeux du côté de sa bourse, et se tranquillise, parce qu’il la voit au même état.

Au troisième Acte, il revient accompagné du Sorcier Maître Josse. Frontin qui répond en dedans de la maison au nom des Démons, aux conjurations comiques de Maître Josse, consent enfin à l’abandonner, et offre trois signes pour certitude de la sortie des Esprits impurs : Qui sont, de réduire la maison en cendres, ou de prendre le rubis qui est au doigt de Séverin, ou enfin d’entrer dans son corps. Cet Avare que ces mots remplissent de frayeur, surpris au dernier point que les diables sachent qu’il porte une telle bague, quoique couverte de son gant, consent avec bien de la peine à la perte de ce bijou ; mais craignant de voir les malins Esprits, il prie le Sorcier de lui bander les yeux. Frontin profite de ce moment pour faire son coup, et faciliter la sortie d’Urbain et de Féliciane. Ensuite Séverin conduit par Maître Josse dans sa maison, lui offre pour salaire un souper si frugal, que cet homme tout affamé qu’il est, le remercie, et s’en va. Ruffin arrive dans le moment et comme il est mécontent d’Urbain, il instruit le père des déportements de ce jeune homme, qui, ajoute-t-il, vient de lui remettre pour nantissement un rubis qu’il croit faux. Malgré sa crédulité naturelle, Séverin se serait désabusé, sans l’arrivée de Frontin, qui lui fait entendre que Ruffin est un extravagant. L’Avare, partie par faiblesse, partie pressé par le désir de visiter sa bourse, paraît se contenter de ces raisons, et renvoie Frontin ; et se voyant seul, il court à son trou, où il voit avec douleur son argent métamorphosé en cailloux. Ce coup jette Séverin dans un désespoir affreux, il s’effondre, et fait ici une Scène assez semblable à la dernière du Quatrième acte de l’Avare de Molière[211]. Frontin accourt à ses cris ; l’Avare lui en déclare la cause, et proteste qu’il veut « aller trouver le Lieutenant Criminel, afin d’avoir commission de faire emprisonner tout le monde. » C’est ainsi qu’est terminé le troisième acte.

Au quatrième, Hilaire frère de Séverin, et homme très pacifique, se trouve assez embarrassé, d’un côté, il faut qu’il console cet Avare sur la perte qu’il vient de faire ; et de l’autre, il est question d’apaiser l’Abbesse du Couvent, où Apolline vient de mettre au jour un fort beau garçon. Toutes ces difficultés se trouvent levées au cinquième Acte, par un dénouement qui a bien du rapport à celui de l’Avare de Molière. Ici Gérard, riche marchand, de la Religion prétendue réformée, mais qui a eu le bonheur d’échapper au massacre général[212], vient se faire connaître pour le père de Féliciane. Ruffin l’amène en cette qualité à Séverin, en lui disant qu’il l’a trouvé dans le moment même. L’Avare[213] qui s’imagine qu’on lui veut parler de sa bourse, répond en conséquence, ce qui fait un quiproquo très plaisant. Gérard et Ruffin, qui n’y comprennent rien, le prennent pour un insensé et vont trouver Hilaire. Les soins que ce Vieillard a pris, ont réussi au gré de ses souhaits, il vient annoncer avec joie à Fortuné, que l’Abbesse est satisfaite, sur la parole qu’il lui a donnée de lui faire épouser Apolline dans le jour même. Désiré rend la bourse à Séverin qui consent à ce prix à son mariage avec Laurence, mais comme il ne veut pas entendre parler de dot, Hilaire s’en charge : Urbain s’unit avec plaisir à Féliciane, et tout le monde se retire satisfait.

 

 

Le Morfondu

 

Quatrième Comédie de Pierre de La Rivey.

Joachim, père de Lucrèce, engagé de parole avec Charles, fils d’un Conseiller son voisin, se laisse ensuite éblouir par les avantages que lui fait espérer un vieux Gentilhomme appelé Lazare, et ne veut plus entendre parler du premier. Lambert, ci-devant valet du Gentilhomme, et alors au service de Philippe, fils de Joachim, entreprend de renverser ce projet, et comme il connaît la portée de l’esprit de son ancien Maître, il lui fait accroire que Lucrèce, cédant aux instances de Charles, reçoit très souvent cet Amant la nuit dans sa chambre, ajoutant qu’il ne tiendra qu’à lui d’être témoin oculaire de la chose. Lazare y consent, et Lambert l’ayant revêtu de méchants habits, l’introduit dans la maison de Joachim, comme son jeune frère nouvellement arrivé à Paris.

Le second Acte est employé à prendre des mesures convenables au projet de Lambert, et à y engager Agathe, femme de Joachim ; de sorte qu’au troisième, du consentement de la Maîtresse, Claire, servante de Lucrèce, travestie sous les habits que cette Demoiselle met aux jours de Fête, paraît sur la porte de la maison, feignant de parler à Charles, qu’elle fait entrer dans une chambre, où elle s’enferme avec lui. Il n’en faut pas davantage pour convaincre Lazare du mépris, et de l’infidélité de Lucrèce. Comme il est fort tard, et qu’il meurt de froid étant très mal vêtu, Lambert prie Boniface, valet de Charles, de faire coucher son jeune frère dans quelque coin, jusqu’au lendemain, qu’il pourra lui chercher une condition. Boniface lui rend volontiers ce petit service, en raillant beaucoup ce prétendu frère sur sa figure, et son justement singulier.

Au quatrième Acte, Lazare qui vient de passer une nuit très désagréable, crie et tempête dès le point du jour pour qu’on lui ouvre la porte. Joachim réveillé par ce bruit, descend dans sa cour pour lui faire donner la liberté, mais le voyant transi, par commisération, il lui dit de passer dans sa chambre et de s’approcher du feu. L’équipage grotesque sous lequel Lazare paraît empêche que Joachim le reconnaisse, Agnès, servante de ce vieux Gentilhomme, le méconnaît aussi à son retour chez lui. Il est bien surpris d’apprendre de la propre bouche de sa nièce Hélène, que pendant son absence, elle a cédé aux empressements d’un jeune homme de très bonne mine, qui l’a assurée avoir son consentement pour l’épouser. Lazare reconnaît alors une partie des tours et des fourberies de Lambert, mais n’y pouvant trouver de remède et dégoûté d’ailleurs d’une Maîtresse qu’il croit infidèle, il consent au mariage de Charles et de Lucrèce, et à celui de Philippe, fils de Joachim, et d’Hélène, son Amante dont l’honneur se trouve ainsi réparé.

 

 

Les Jaloux

 

Cinquième Comédie de Pierre de La Rivey.

Vincent, fils du bonhomme Jérôme, préférant l’agrément d’une vie libertine aux liens du mariage, cherche à éluder celui où son père veut l’engager avec Renée, fille de Nicaise. Gothard, valet de Vincent, ne trouve pas d’autre expédient, que de faciliter à Alphonse les moyens d’enlever cette Belle, dont il est éperdument amoureux. Sur ces entrefaites, Vincent, prêt à rompre avec la Courtisane Magdelaine, se raccommode, sur l’assurance, que l’homme qu’il a vu dans sa chambre, est le Capitan Fierabras, son frère, nouvellement de retour, et qui doit partir dans peu. Quelque court que soit ce délai, Vincent, pressé par l’amour et la jalousie, importune tant Gothard, que ce Valet, pour le satisfaire, le porte au logis de sa Maîtresse, enveloppé dans une couverture. Par malheur, le Capitan est à la maison, occupé avec un Fripier, à qui il veut vendre ses vieux équipages. Il arrête Gothard, et découvre bientôt sa fourberie. Ce valet se tire d’embarras, en disant à Fierabras, que son maître, qui est ainsi enveloppé, vient de se battre en duel, et de tuer son homme, ce qui l’oblige à se mettre en sécurité. Le Capitan, charmé de pouvoir rendre service à un si brave Cavalier, après les politesses ordinaires, fait apporter des rafraîchissements. Magdelaine et Vincent font semblant de ne se pas connaître. La première, sous prétexte d’égayer la conversation, a si bien soin de faire boire Fierabras, et ses gens, que livrés à un profond sommeil, ils laissent à nos Amants la liberté de s’évader, et d’emporter leurs nippes et les meilleurs effets du frère. Ce dernier, apprenant cette nouvelle, court après le Ravisseur, et rencontre à sa place Alphonse, qui vient d’enlever Renée, et qu’il veut arrêter. Alphonse, peu ému de ses fanfaronnades, et uniquement occupé de sa Belle, passe son chemin, et gagne sa maison ; où Fierabras vient l’assiéger accompagné de Marquet, son valet, et de trois autres Domestiques : au premier bruit, le Capitan quitte la place, et fuyant à toutes jambes, il ordonne à ses gens de tenir bon, et les assure qu’il va les rejoindre avec un renfort. Après son départ, les Valets suivent le même exemple ; et enfin tout s’arrange par le moyen de Zacharie, père d’Alphonse, qui s’abouche avec Nicaise, et le fait consentir au mariage de Renée avec son fils. On promet au Capitan cent écus, et la restitution de ses hardes, et il s’engage à cette condition, à ne plus troubler les entretiens de Vincent, et de sa sœur.

 

 

Les Écoliers

 

Sixième Comédie de Pierre de La Rivey.

Lactance, jeune Écolier, Amant de Suzanne, fille d’Anastase, fait confidence de sa passion à Hippolyte, logé, comme lui, chez un Hôte Tonnelier de profession, au reste homme fort accommodant. Hippolyte avoue à son camarade qu’il est épris d’une jolie personne appelée Lucrèce, femme du Médecin Théodore. Ne sachant comment venir à bout de leurs desseins, nos deux Écoliers s’adressent à leur Hôte, et le prient de les servir. Nicolas (c’est le nom de l’Hôte) craignant de désobliger ces jeunes gens qui lui apportent un grand profit, leur promet de s’y employer. En effet, il introduit Hippolyte déguisé en Garçon Tonnelier, dans la maison de Théodore, et tandis que ce Médecin est en ville auprès d’un Malade, où il est obligé de passer la nuit ; l’Écolier se glisse dans la chambre de Lucrèce. « À présent, » dit Luquain, Valet d’Hippolyte, « voilà mon Maître occupé à bailler une médecine à la Médecine. »

De son côté, Lactance trouve le secret de voir sa chère Suzanne par moyen de Gillette, servante d’Anastase, qui lui assigne l’heure du rendez-vous[214]. Quoique Anastase ignore cette amourette, il se trouve néanmoins dans une grande perplexité ; car il a promis sa fille au fils de Gontran, et le Vieillard Silvestre vient lui apprendre que son fils, à qui Suzanne a été fiancée dès la jeunesse, est de retour d’un long voyage, où on l’avait cru mort. « Voici une aventure bien étrange, » s’écrie Anastase, « qu’une fille ait deux maris tout à la fois. Vous êtes bien abusé (dit alors Gillette à part) Elle en a bien trois : Bon, prou lui face., » Agité de ces pensées[215], ce Vieillard passe dans la chambre de Suzanne, et pour surcroît d’étonnement, y trouve Lactance enfermé dans un coffre. Outré de colère, et suivant le conseil d’un ami, il ordonne à ses Domestiques de porter le coffre tel qu’il est, à la rivière, et de passer par la rue des Bernardins, et le Quai de la Tournelle[216]. Heureusement, Eugène, Camarade de Lactance, aidé de Luquain, et de Nicolas, empêche cette violence, et rend la liberté à son ami. Après un tel éclat, il ne reste plus d’autre parti à Anastase que de consentir au mariage de Suzanne, et de Lactance ; et c’est ainsi qu’il sort d’embarras. Hippolyte en est quitte à bien meilleur marché, car Théodore revenant le lendemain matin, frappe, et met toute la maison en rumeur, Hippolyte éveillé par ce bruit, se lève brusquement, ouvre la porte, renverse d’un grand coup de poing le valet du Médecin qui s’oppose à sa fuite, et laisse ce pauvre mari dans l’incertitude si la personne qu’il vient de surprendre a attenté à ses biens, ou à son honneur. Et la Pièce finit par l’entrevue des deux Écoliers, qui se rendent mutuellement compte de leurs aventures.

Terminons cet Extrait par un jugement précis sur le génie et les ouvrages de La Rivey. Il est certain qu’il avait saisi le genre de la vraie Comédie, dont il a tâché d’observer les règles. Sa diction est passable pour le temps, l’intrigue divertissante, quoique un peu confuse. Peu de caractères et la plupart mal suivis. C’est en cela que consiste le principal défaut du Poète, qui manquant d’imagination, et travaillant après des modèles, a été obligé de fondre plusieurs Comédies pour en composer une des siennes. Il a voulu imiter Plaute : mais il n’appartenait qu’à Molière de rectifier, et d’ajouter à ses originaux d’ailleurs, jusqu’à la Comédie du Menteur de M. Corneille l’aîné, quel caractère a-t-on présenté sur la Scène Française ? Le reproche qu’on pourrait encore faire à notre Auteur au sujet des mœurs, et du bas Comique, serait trop général pour diminuer sa réputation. Ce n’est que longtemps après lui qu’on a senti qu’une morale instructive et amusante devait faire le fondement de la bonne Comédie et l’expérience ne nous montre que trop souvent, combien il est difficile d’exécuter un projet si juste et si sensé, sans tomber dans l’ennui, et s’écarter du caractère essentiel du Poème.

 

 

Holopherne

 

Tragédie sacrée d’Adrien d’Amboise.

Nous ne dirons rien de cette Tragédie sacrée, dont le sujet est tiré de l’Écriture Sainte, où l’Auteur a presque suivi le Texte, et a semé sa Pièce de traits de Morale et de Piété.

 

 

D’Amboise

 

ADRIEN D’AMBOISE, fils de Jean d’Amboise, Valet de Chambre et Chirurgien des Rois Charles IX et Henry III, fut destiné de bonne heure à l’État Ecclésiastique. Il fut Recteur de l’Université en 1579, et reçut le degré de Théologie l’an 1582. Le Docteur, Évêque de Senlis, et Grand-Maître du Collège de Navarre, ayant été chassé de Paris en 1594 pour son attachement à la Ligue, le Roi Henri IV, nouvellement reçu en cette Ville, donna à d’Amboise sa place de Grand Maître. Le 11 Février 1596, d’Amboise fut élu par la Nation de France, Curé de Saint André des Arcs. Enfin le Roi Henri IV le nomma en 1604 Évêque de Tréguier, et il conserva cette dignité jusqu’à sa mort, qui arriva le 29 Juillet 1616, et fut enterré dans sa Cathédrale. Le seul ouvrage qu’on ait d’Adrien d’Amboise est la pièce dont on vient de parler, intitulée HOLOPHERNE, Tragédie sacrée, extraite de l’Histoire de Judith, imprimée à Paris en 1580.

 

 

Antigone

 

Tragédie de Robert Garnier.

Quelques Vers assez passables tiendront la place d’un Extrait peu nécessaire, puisque le titre de la Pièce met le Lecteur au fait du Sujet.

Jocaste dit à son fils Polynice :

Ô mon fils, mon cher fils, ma crainte et mon espoir,
Que j’ai tant souhaité, tant désiré de voir :
Vous me privez du bien que je devais attendre,
Nous venant assaillir, au lieu de nous défendre.
Hélas ! faut-il, mon fils, mon cher fils, Eh faut-il,
Qu’au retour désiré de votre long exil,
Par le commun esclandre en larmes je me noie,
Au lieu que je pensais ne pleurer que de joie ?

 

 

Les Contents[217]

 

Comédie en prose d’Odet de Tournebu.

Geneviève, Amante de Basile, est recherchée par le Capitaine Rodomont, dont la passion se trouve souvent traversée par les fâcheuses poursuites de ses Créanciers. Madame Louise, Mère de Geneviève, rejetant ces deux partis, veut la marier à Eustache, fils d’un riche Bourgeois nommé Gérard. Pour dégoûter ce dernier prétendant, Madame Françoise, vieille intrigante que Basile a mise dans ses intérêts, fait accroire à Eustache que sa Maîtresse a le sein perdu d’un Cancer. Ce mensonge produit tout l’effet possible sur l’esprit de notre Bourgeois, qui ne veut plus entendre parler de cette fille. Saucisson, fameux intriguant, pour amuser ce jeune sot, et l’empêcher en même temps d’approfondir ce mystère, lui propose une jolie personne qui se contentera d’un repas et de peu d’argent. Eustache accepte la proposition pour le jour même, attendant son père dîne en Ville.

En sortant de dîner avec Eustache, Rodomont est surpris par trois Sergents, conduits par Thomas, Marchand, Créancier de ce Capitaine, qui leur sert de mouche. Les belles promesses, et les menaces qu’il fait alors ne peuvent l’empêcher d’être mené en prison. Heureusement un de ses amis, le rencontrant avec cette triste escorte, paie au Marchand la moitié de ce qui lui est dû, et s’oblige pour le reste. Sur ces entrefaites, Basile, revêtu des habits d’Eustache, se rend auprès de Geneviève. Madame Louise, qui l’aperçoit par le trou de la serrure, le prenant pour celui dont il porte l’habit, enferme ces deux Amants sous la clef, et court chez Gérard lui demander raison de l’affront que son fils lui vient de faire. Basile, averti de cette démarche par son valet Antoine, s’enfuit promptement par la fenêtre, va chez Eustache, lui fait confidence du danger où il se trouve, et le prie, pour tromper la mère de sa Maîtresse, de substituer la Courtisane que Saucisson lui a amenée, à la place de Géneviève : tout ceci s’exécute pendant l’absence de Madame Louise. Cependant Thomas, croyant reconnaître la femme dans la personne de cette Courtisane, n’ose ajouter foi au témoignage de ses yeux, tant bientôt cette fâcheuse pensée, il loue le Ciel de lui avoir donné une épouse, qui possédant tout le mérite de cette Prostituée, est exempte de ses vices. D’un autre côté, Gérard, instruit par Eustache du tour de Basile, va trouver Madame Louise pour tâcher de la tranquilliser au sujet de la sagesse de Geneviève. Cette femme, voulant éclaircir ce fait, ouvre la porte, et trouve, au lieu de sa fille, la belle Alix, femme du Marchand Thomas, qui proteste ne s’être abaissée à une démarche si honteuse, que dans le dessein de se venger d’un indigne mari, qui l’abandonne pour une débauchée.

Madame Louise, rebutée du côté d’Eustache, que cette aventure achève de détacher de Géneviève, veut par dépit la marier au Capitaine Rodomont. Mais ce dernier, qui est au fait de tout ce qui s’est passé, soit par honneur, soit par la crainte de Basile, déclare qu’il ne veut point enlever à ce Cavalière une Demoiselle qui lui appartient, et dont il a reçu un précieux gage. Ainsi la Mère est obligée de consentir au mariage de Basile et de Geneviève : et tout le monde se retire Content. C’est au Lecteur à juger si ce titre est exactement rempli.

ODET DE TOURNEBU OU TOURNEBEUF, était fils du fameux Adrien Turnebe, Professeur en Langue Grecque au Collège Royal. Odet eut pour précepteur Antoine Valet, Docteur en Médecine à Paris. Ses études finies, Odet se fit recevoir Avocat au Parlement de Paris, et en 1579, il assista aux grands jours de Poitiers. Deux ans après, il fut pourvu de la charge de Premier Président de la Cour des Monnaies à Paris, qu’il garda peu, étant mort d’une fièvre chaude en 1587, âgé de 28 ans, 8 mois et 28 jours. Il laissa en manuscrit une Comédie en Prose, intitulée LES CONTENTS, dont on vient de voir l’Extrait que Pierre Ravel[218] trouva dans ses papiers, et fit imprimer en 1584.

 

 

Clitemnestre ou l’Adultère

 

Tragédie de Pierre Matthieu.

Il est nécessaire, avant de donner l’Extrait de cette pièce, de commencer par la vie de l’Auteur.

PIERRE MATTHIEU, fils de Pierre Matthieu Francomtois, naquit à Salins le 10 Décembre 1563, comme nous l’apprenons par un Distique imprimé à la suite de sa Tragédie d’Esther. Quoiqu’on y exalte fort la naissance, on peut cependant croire qu’elle n’était pas des plus relevées, ou que sa fortune fut très médiocre, puisqu’après avoir fait ses humanités à Valence, Matthieu accepta avec plaisir, étant encore bien jeune, la place de Principal du Collège de Verceil en Piémont, où il employa ses heures de loisir à cultiver la Poésie, pour qui il se sentait un goût dominant. Ce fut dans cette ville qu’il composa sa première Tragédie intitulée CLYTEMNESTRE, et un autre Ouvrage Dramatique sous le titre de TRAGÉDIE DE L’HISTOIRE TRAGIQUE D’ESTHER, qui parut pour la première fois en 1578, avec un succès éclatant, si nous en voulons croire le Distique suivant, qui nous apprend en même temps la date de cette représentation.

DISTICHUM NUMERALE.

LUXIt VerCeLLIs Ester Regina theatro,

Ins IgnI tragICa CarMIna VoCe beans.

L’accueil favorable qu’on fit à cette Pièce engagea Matthieu à présenter dans la suite à Messieurs de Verceil un méchant Poème, à qui il donna le nom de Pastorale, qui se passe entre deux Acteurs, et où l’Auteur sous le nom de Pollux, instruit les Auditeurs de la plus grande partie de ses aventures et des obligations qu’il a aux Seigneurs d’Orsans : mais ajoute-t-il,

J’avais déjà passé de mes ans le tiers lustre,
Quand je vins habiter de Bourgogne le lustre[219].
...
Là j’ai osé chanter avec plusieurs Orphées
Du très grand Philippot[220] la vie et les trophées.
...
J’ai fait sonner la scène en la publique place,
J’ai fait ensanglanter un horrible échafaud,
Arrangeant les Rois tantôt bas, tantôt haut.
...
Voilà comme Phœbus a pris de moi souci :
Mais je le veux quitter, etc.
...
Je veux suivre plutôt l’argenteux Galien,
Ou le doré Parquet du bruit Bartholien, etc.

Nous ignorons de quelle façon cette pièce fut reçue à Verceil. Tout ce qu’on sait, c’est que notre Poète fit imprimer en 1584, avec l’approbation de Pierre Maignen, Docteur en Théologie, et Chanoine de Besançon, en date du premier Juin de la même année, sa Tragédie d’Esther, la prétendue Pastorale dont on vient de parler, et quelques autres petits Ouvrages de sa composition, et les dédia à Madame de la Villeneuve, de la Maison de Granvelle, et à Madame d’Achey de celle de Peloux, ajoutant une Préface au Lecteur, où suivant le style ordinaire, il se retranche fort sur sa jeunesse, et les importunités de ses amis, qui l’avaient obligé à faire part au Public de ses productions. « Que si, » continue-t-il, « ce premier coup d’essai va droit, je serai encouragé d’avantage à produire d’autres compositions, qui, comme il me semble, auront plus d’emphase que cette nombreuse cadence de Vers français, desquels j’ai fait apprentissage à Verceil... Ce Carme[221] que j’ai façonné lourdement, n’ayant ainsi que les autres pour patrons Æschyle, Sophocle, Euripide, Pacuvius, Accius, ou Sénèque, la traduction desquels est plus facile que l’argument que j’ai choisi. »

En effet, quoiqu’il n’en dise rien, on sent aisément que la véritable raison qui empêcha Matthieu de publier alors sa Clytemnestre, est, soit par amour-propre, soit pour paraître plus excusable, en suivant une route nouvelle, sans y être guidé par aucun des anciens Tragiques, il se donnait bien de garde d’exposer dans celle-ci une traduction de Sénèque estropiée si maladroitement ; on lui aurait plus facilement pardonné, s’il avait présenté une traduction de quelque Poème de Pacuvius, ou d’Accius, toute détestable qu’elle eût été.

Matthieu qui comprit apparemment que les fades louanges dont il accabla le Roi d’Espagne ne lui produiraient rien, se retira à Lyon, où, pour servir de son expression, il embrassa le doré Parquet du bruit Bartholien, et suivit le Barreau en qualité d’Avocat au Présidial de cette Ville. Là, l’envie de rimer le possédant toujours, faute de nouveaux sujets, il prit la résolution de refondre son Poème d’Esther, et d’en composer deux Tragédies, l’une sous le nom de VASTHI, et l’autre qu’il intitula AMAN[222]. Ces deux Pièces ne parurent cependant imprimées qu’en 1589, suivies de la Clytemnestre, retouchée, et mise dans la meilleure forme que l’Auteur pût lui donner[223]. Depuis ce temps-là, Matthieu, discontinuant ce genre d’écriture, s’attacha à l’Histoire de France, et fut connu d’Henri IV, qui lui donna la place de Du Haillan, avec une pension. Après la mort de ce Prince, le Roi Louis XIII ne témoigna pas moins d’amitié pour Matthieu, qui le suivit au siège de Montauban. Matthieu fut attaqué de la maladie qui régnait dans le camp, et s’étant fait transporter à Toulouse, il y mourut peu de jours après, le 12 d’Octobre 1621, âgé de près de 58 ans, et fut enterré dans le Cloître de S. Étienne de cette Ville. Matthieu est encore Auteur des Tablettes de la Vie et de la Mort, Ouvrage dans le goût des Quatrains de Pibrac. Molière, en faisant parler un Vieillard contre les Romans de Cyrus et de Clélie, lui fait dire à sa fille :

Lisez-moi, je vous prie, au lieu de ces sornettes,
Les Quatrains de Pibrac, ou les doctes Tablettes[224]
Du Conseiller Matthieu, Ouvrages de valeur,
Et pleins de beaux dictons à réciter par cœur.

Finissons l’article de Matthieu par l’éloge que lui donne le sieur de Saint-Germain d’Apchon, son ami, dans un Sonnet adressé à ce Poète qu’il ose comparer à Euripide. En voici les six derniers Vers.

Si Homère vivait, avec le Mantouan,
Le mignon de Mécène, et le vieux Ascréan,
Il aurait eu Ronsard, ou du Bartas pour guide.
Ainsi pour un Pindare, un Ovide, on a vu
Des Portes, Du Bellay, qui ont tout Pinde bu :
Pour Sophocle Garnier, Matthieu pour Euripide.

 

 

Extrait de la Tragédie de Clytemnestre

 

Au lieu d’un Extrait superflu d’une traduction de Sénèque, et d’un sujet extrêmement connu, contentons- nous des passages suivants, qui donneront une idée des Vers erronés, et énervés, dont l’Auteur convient que sa Pièce est composée. Clytemnestre déclare à sa nourrice que pour punir le mépris d’Agamemnon, elle veut imiter ses infidélités.

CLYTEMNESTRE.

Eh bien, ce beau Palais sera-ce une prison ?
Perdrai-je de mes ans, sans plaisir, la saison ?
Il faudra que toujours je bourelle mon âme,
Sans jouir comme il fait de la Cyprine flamme ?
Égiste mon souci plantera le premier
Sur son front enlevé des cornes un cimier.

LA NOURRICE.

Les esprits déréglés de vous autres toujours,
Pratiquent les effets des infâmes amours ;
Les amours défendus plus souvent vous chatouillent,
D’incestes ou d’adultères elles souvent se souillent.
Les grandes ont toujours leurs esprits allumés
De vouloir non permis, et peu accoutumés.

Clytemnestre répond qu’elle ne peut résister au doux penchant qu’elle ressent pour Égiste, et cherche à s’autoriser par des exemples des siècles précédents, et à venir, qu’elle arrange à sa fantaisie.

CLYTEMNESTRE.

L’amour surmonte tout, pour lui Jupiter lamente,
Pour lui Titan pâlit, l’amour chacun tourmente ;
L’amour surmonte tout : la fille de Cérès
Passionna Pluton : Adon laissa ses rets,
Pour courtiser Vénus, Mars vers elle se garbe ;
Polyphème se peigne, et prend soin de sa barbe :
Narcisse aime son ombre, et Pan veut un miroir,
Hercul Jole suit. L’amour fait tout paroir.
L’amour échelle tout : dessus Carthage il guide
Le brave Scipion, et sur Pergame Atride.
Tout fléchit à l’amour, et moi j’en ai le cœur
Pour repousser son dard, qui est du mica vainqueur.

Voici une Scène de tendresse entre Égiste et la Reine ; elle pourra paraître singulière.

CLYTEMNESTRE.

Tu seras désormais ma plus sûre Momie ;
L’essence de ton cœur sera mon Alchimie :
Tu seras mon Moly, Nepenthe brise ennui,
Du Parc Hespérien et la garde, et le fruit.

ÉGISTHE.

Ah ! que n’ai-je cent yeux pour t’admirer, Madame,
Et que n’ai-je cent nez, pour odorer le bâme,
Le Cinnabre, et le Musc qui de ta bouche sort ?
Que n’ai-je encore cent mains, pour toucher le beau port
De ce corps, rare prix du Ciel, et cent oreilles
Pour écouter tes mots, tes mots pleins de merveilles.

À la fin de la Pièce, Électre fait ces reproches à Clytemnestre, au sujet du meurtre d’Agamemnon.

ÉLECTRE.

Quel Nil Égyptien, ou quel Ob Asien,
Quel Tane Européen, quel Rhin Rauracien.
Quel fleuve écrevissant, mais quel Persien Tigre,
Quelle rage Ibérienne, quel Romanesque Tibre,
Misérable ! quelle eau lavera votre main ?

 

 

De la Pucelle de Dom-Rémy, autrement d’Orléans

 

Nouvellement départie par Actes et représentée par Personnages.

Avant de parler de cette Pièce, il est nécessaire d’en faire connaître l’Auteur, qui a été ignoré par tous les Écrivains qui ont donné des Catalogues des Ouvrages Dramatiques : puisque qu’il est évident, par un Sonnet de C. Vallée, et par le propre témoignage de Jean Barnet, qui avoue n’être que le Reviseur, et l’Éditeur de ce Poème, et non l’Auteur, comme l’ont cru, sans fondement, ceux qui n’ont pas voulu prendre la peine de lire l’Épître dédicatoire[225]. Mais il est certain qu’elle est de la composition du R. P. FRONTON DU DUC, de la Compagnie de Jésus. Nous sommes redevables de cette découverte au P. Niceron[226], qui dans la vie de ce Jésuite, en parlant de l’Ouvrage en question, ajoute : Voici ce que je trouve sur ce sujet dans l’Histoire manuscrite de Pont-à-Mousson composée en latin par Nicolas Abram, Jésuite, connu par d’autres Ouvrages imprimés. « L’an 1580, le Roi Henri III et la Reine Louise sa femme résolurent de prendre les eaux de Plombières vers le mois de Mai. Le Père Fronton, pour amuser leurs Majestés, voulut faire représenter devant Elles une Tragédie Française qu’il avait composée sous le titre, de Jeanne La Pucelle de Lorraine, mais les maladies contagieuses qui se firent sentir en plusieurs endroits, firent avorter ce projet, et manquer tous les préparatifs que l’on avait fait pour cette représentation. La Tragédie fut cependant représentée le septième jour de Septembre, en présence de Charles III Duc de Lorraine. Ce Prince, continue l’Historien, en fut si satisfait, que voulant récompenser l’Auteur, qu’il voyait couvert d’une pauvre robe toute déchirée, qui caractérisait la pauvreté évangélique, lui fit compter sur le champ cent écus d’or, ajoutant qu’il voulait qu’il employât cet argent en l’achat d’un habit neuf, dont il avait un si grand besoin[227]. »

Fronton du Duc naquit à Bordeaux. Si l’on en croit le R. P. Ribadeneïra, il était très savant, profond Théologien ; et avait au reste une parfaite connaissance de l’antiquité. Sans vouloir entrer dans un plus grand détail de la vie, et des Ouvrages de notre Auteur, passons à l’Extrait de la Pièce qui nous oblige à lui donner une place dans cette Histoire.

 

 

Extrait

 

ACTE PREMIER.

 

Louis, Comte de Bourbon, déplore les malheurs où la France se trouve réduite, sous la tyrannie des Anglais. Saint Michel ordonne à la Pucelle d’aller se présenter au Roi, qui lui fait faire plusieurs questions.

 

ACTE II.

 

À Pucelle ayant obtenu l’agrément du Roi et de son Conseil entreprend de faire lever le Siège d’Orléans, que les Anglais et les Bourguignons[228] tiennent bloqué : elle y réussit, et conduit le Roi à Reims, où il se fait sacrer.

 

ACTE III.

 

À peine le Roi commence à ressentir la joie de ces heureux succès, que la Hire arrive éperdu.

LA HIRE.

Car nous avons perdu,
Sire, de votre Camp la plus vaillante pièce.

LE ROI.

Ha ! j’attendais cela.

RENÉ, Duc de Lorraine.

Mais dis-nous donc, et qu’est-ce ?

LA HIRE.

Hélas ! c’est la Pucelle...

RENÉ.

Est-elle morte, ou non.

Elle est prisonnière, ajoute la Hire.

LE ROI.

Ô mon cas est perdu.

 

ACTE IV.

 

Cet Acte se passe en interrogatoires que les Juges font subir à la Pucelle.

 

ACTE V.

 

Un Messager, vient rendre compte à un Gentilhomme Français, du Supplice et de la mort de la Pucelle.

LE MESSAGER.

Ô Spectacle piteux ! ô malheur déplorable !
Ô cruauté infâme ! ô massacre admirable !

LE GENTILHOMME, aux Spectateurs.

Vois comme ce forfait déplaît même aux Enfants ?

Avant sa mort, continue le Messager, la Pucelle a fait une courte prière à Dieu.

À peine elle achevait, quand le bourreau farouche
Lui a d’un fer tortu bridé toute la bouche.

On la jette ensuite dans le feu.

Alors vous eussiez ouï les voix des assistants,
Coupe, coupe, bourreau, la corde, et plus n’attends :
Tu l’as assez rôtie.

LE GENTILHOMME.

Ô cruauté horrible,
Où est le fier Lion, le tigre tant terrible,
Le Buffon qui passe en cruauté ceux-ci ?

Ce n’est pas tout, ajoute le Messager, on a trouvé au milieu des cendres le cœur de cette fille tout entier : et tout le peuple a vu une Colombe, qui sortant du bûcher, a pris son vol vers le Ciel.

LE GENTILHOMME.

Tu me racontes bien des choses exécrables.

 

 

Le Jeune Cyrus ; La Joyeuse

 

Le Jeune Cyrus : Tragédie et La Joyeuse : Comédie de Nicolas de Montreux.

Ces deux Pièces furent représentées ensemble à Poitiers en 1581. C’est tout ce que nous savons de ces Poèmes, qui n’ont jamais été imprimés, et que nous ne connaissons que par un passage de la Croix du Maine, qui nous apprend que le sujet de la Tragédie est tiré de Xénophon. Nous avons déjà remarqué qu’en ce temps, il était assez ordinaire de représenter une Comédie en cinq Actes, à la suite d’une Tragédie. Ainsi l’Eugène de Jodelle parut avec la Cléopâtre et la Didon du même Auteur. Les Esbaïs de Grévin, à la suite de son César, et nous verrons ci-dessous, les Déguisés de Godard, donnés après sa Tragédie de la Franciade.

 

 

Bradamante[229]

 

 Tragi-Comédie de Robert Garnier.

Voici la première Tragi-Comédie, ou pour mieux dire le premier Poème de Théâtre, qui a porté ce titre, puisque la Tragi-Comédie est une action singulière qui se passe entre des personnes d’une naissance distinguée, même entre des Rois et des Princes, dans laquelle il n’y a aucun danger pour la vie des principaux Personnages. Cette règle n’a pas été observée dans la Tragi- Comédie de Bradamante ; Garnier ne connaissait pas assez les finesses de l’art qu’il professait, pour faire cette attention ; tenons-lui cependant compte d’avoir le premier, et sans le secours des anciens, ni de ses contemporains, fait entrevoir une idée, qui n’a pas été inutile à beaucoup d’Auteurs du dernier siècle. Au reste, la Pièce qui fait le sujet de cet article, n’est pas le plus faible Ouvrage de Garnier. Thomas Corneille, dans sa Tragédie du même nom, n’a pas dédaigné de faire usage de plusieurs endroits de cette Pièce. Finissons cet Extrait, par celui de la Scène suivante, dont voici l’intelligence.

Aymon a promis sa fille Bradamante en mariage au fils de l’Empereur des Grecs. Renaud de Montauban fils d’Aymon, vient dans le dessein de détourner son père du parti qu’il a pris.

 

ACTE II.

 

Scène II.

 

AYMON, RENAUD, LA ROQUE, Écuyer d’Aymon

 

RENAUD.

Quoi ! Monseigneur, voulez-vous forcer une amitié ?
Êtes-vous maintenant un père sans pitié ?
Qui veuille Bradamante, une fille si chère,
Bannir loin de vos yeux, et des yeux de sa mère ;
Pour, malgré son vouloir, qu’elle ne peut changer,
La donner pour épouse à un Prince étranger ?
Pensez-y bien, Monseigneur, c’est un fait reprochable :
Vous en serez un jour devant Dieu responsable.

AYMON.

Ô le bon sermonneur ! l’Hermite du rocher
T’a volontiers appris à me venir prêcher.

RENAUD.

Je ne vous prêche point : mais ce dévot Hermite,
Qui au milieu des flots sur une roche habite,
Par lequel fut Sobrin, et Olivier guéri,
Fut d’avis que Roger, de ma sœur, fut mari
Et lors comme si Dieu, par la voix du Prophète,
Nous eût dit qu’il voulût cette chose être faite,
Nous l’approuvâmes tous ; Roger s’y accorda,
Et sous cette espérance, en France il aborda.
Ne gémissez point ma sœur, mais consacrez sa vie
À Roger, dont elle est l’amante, et l’ami.

AYMON.

Plutôt l’eau de Dordogne en contremont ira,
Le terroir Quercinois plutôt s’aplanira,
Le jour deviendra nuit, et la nuit ténébreuse,
Comme un jour de soleil deviendra lumineuse,
Que Roger, ce Roger que j’abhorre sur tous,
Soit, tant que je vivrai, de Bradamante époux.

RENAUD.

Roland et Olivier maintiendront leur promesse
Les armes à la main, contre toute la Grèce.

AYMON.

Et moi, je maintiendrai contre eux, et contre toi,
Qu’on n’a pu disposer de ma fille sans moi.
Page ! çà mon harnois, mon grand cheval de guerre,
Apportez-moi ma lance, avec mon cimeterre,
Ah ! ah ! parbleu je vous...

RENAUD.

Monseigneur, vous colérez ?

Vous en trouverez mal.

AYMON.

Corbieu ! vous en mourrez.

RENAUD.

Ne vous émouvez point.

LA ROQUE, à part.

Le bon homme a courage.

AYMON.

Par la mort ! j’en ferai si horrible carnage,
Qu’il en sera parlé.

RENAUD.

De quoi vous fâchez-vous ?

AYMON.

Je n’épargnerai rien.

LA ROQUE, à part.

Il fera de beaux coups.
Dieu m’en veuille garder, s’il m’atteint d’aventure.

AYMON.

Je ferai dans le sang jusqu’à la ceinture.

LA ROQUE.

Monsieur, entrons dedans, je crains que vous tombiez
Vous n’êtes pas trop bien assuré sur vos pieds[230].

AYMON.

Ah ! que ne suis-je au temps de ma verte jeunesse,
Quand Mambrin éprouva ma force dompteresse ;
Que j’ôtai Clarinel, dont les gestes guerriers,
Le faisaient renommer entre les Chevaliers, etc.

 

 

Régulus

 

Tragédie de Jean de Beaubrueil.

JEAN DE BEAUBRUEIL, Limousin, Avocat au siège Présidial de Limoges, étudia sous le fameux d’Aurat, appelé le Poète du Rot, et devint, dit-on, assez bon Poète Latin et Français. Le goût des belles Lettres, qui, si on veut l’en croire, était héréditaire dans sa famille, lui fit entreprendre le voyage d’Italie[231]. Marc-Antoine Muret, son ami et son compatriote, qui était alors à Rome, fut charmé de voir une personne qui lui était chère. À son retour, Beaubrueil composa cette Tragédie de Régulus : et l’ayant fait imprimer à Limoges en 1582, il la dédia à d’Aurat, par un motif de reconnaissance. C’est le seul Ouvrage Dramatique sorti de sa plume. L’argument qui est à la tête nous apprend qu’il est tiré du quatrième Livre de Paul Orose, Chapitres VII et VIII et du second Livre d’Eutrope.

La Tragédie, s’il est permis de lui donner ce nom, contient effectivement un précis de l’Histoire de Régulus, que l’on nomme simplement Attilie. Les Romains lui donnent le commandement de l’Armée qu’ils envoient contre les Carthaginois ; ce Général refuse les conditions d’une paix assez avantageuse que ses ennemis lui proposent, et engage un combat, qui se donne sur le Théâtre, et où il est fait prisonnier. Darion, Ambassadeur de Carthage, présentant ce Consul à Xanthippe, Roi de Lacédémone, ajoute ces vers, qui serviront d’échantillon à la Poésie de Beaubrueil.

DARION.

Roi puissant, nous avons ores en notre pouvoirCelui que ma prière oncq ne put émouvoir :
Tant fût de ce Consul le cœur hautain et rogue ;
Et crois, sans me tromper, que l’effroyable dogue,
Qui garde des Enfers le portail ténébreux,
Se fût en notre endroit montré plus gracieux.

Attilie, pour obéir aux Carthaginois, va à Rome, et revient par sa fermeté irriter ces Barbares, qui lui arrachent les yeux et lui font souffrir les tourments les plus cruels.

« Attilie étant ainsi accoutré se met de genoux, et dit comme il s’enfuit. »

La pièce est terminée par trente ou quarante vers qu’il récite en forme de prière, et qui font à peu près de la même force que le reste de l’Ouvrage.

Beaubrueil a bien senti que les règles n’étaient pas trop exactement observées dans son Poème, c’est pourquoi il a voulu s’excuser sur l’exemple de ses Contemporains, ajoutant ce mot d’avis au Lecteur.

« Au demeurant, pour cause des longs intervalles des temps, qui font en l’Histoire de Régulus, tu ne trouveras pas étrange, si pour te la mieux faire entendre, j’ai voulu que les cinq Actes (qui parsèment la Tragédie) ne fussent étroitement compassés à la forme de quelques Tragiques trop superstitieux, qui ont pensé qu’il ne fallait représenter en la Tragédie autre chose que ce qui se pouvait faire en un jour. Car j’ai reconnu (premier qu’y mettre la main) qu’il ne se pouvait autrement faire : joint que plusieurs doctes personnages de notre temps, versants en pareil sujet, ont usé de même licence. »

Qu’on ne s’étonne pas si un écrivain du seizième siècle traite de superstitieux ceux qui n’ont pas osé sortir des bornes prescrites au Poème Dramatique ; puisque le siècle suivant nous fournit assez fréquemment de semblables exemples. Rien de plus commun sous le règne de Louis XIII et le commencement de celui de Louis XIV, que de trouver à la tête des pièces, des avis aux Lecteurs tendant au même but que celui de Beaubrueil. On doit au contraire savoir quelque gré aux Auteurs qui se sont efforcés de combattre l’observation de ces règles, qui leur paraissaient trop gênantes, et mêmes ridicules : c’est une preuve certaine qu’ils les connaissaient, et en témoignaient une espèce de scrupule, au lieu que la plupart de leurs contemporains n’y faisaient aucune attention. C’est ce que nous aurons lieu de remarquer plus amplement dans la suite de cette Histoire.

 

 

Méléagre

 

Tragédie de Pierre de Boussy.

Cette pièce ne contenant rien d’assez passable, ni d’assez singulier pour en faire part au Lecteur, nous nous contenterons de lui en donner le titre et la date[232].

 

 

Sédécie ou les Juives

 

Tragédie de Robert Garnier.

Comme ce sujet n’a été traité devant, ni après Garnier, nous croyons en devoir donner un Extrait plus détaillé que des autres pièces de cet Auteur.

Sédécias, Roi de Juda, à la persuasion du Roi d’Égypte, se révolte contre Nabuchodonosor, Roi des Assyriens, à qui il avait promis une fidélité inviolable. Ce dernier, à la tête d’une nombreuse armée, entre en Judée, subjugue tout le pays, et met ensuite le siège devant Jérusalem, qu’il emporte d’assaut. Sédécias, et toute sa famille tombent entre les mains du Vainqueur. (C’est ici où commence la Pièce) Amital, mère de Sédécias, se jette aux pieds de Nabuchodonosor, et implore sa clémence.

AMITAL.

Ne vous refusez point ; s’il n’était point d’offense,
Un Roi n’aurait moyen de montrer sa clémence :
Sire, il est tout certain le crime d’un sujet
Certes aux bontés d’un Roi d’honorable sujet.
Et plus le crime est grand, que vainqueur il pardonne,
Et plus en pardonnant de louanges il se donne :
C’est plus de se dompter, dompter ses passions,
Que commander, Monarque, à mille Nations.
Vous avez subjugué maintes belles Provinces,
Vous avez combattu les plus belliqueux Princes,
Et les plus redoutés ; mais vous l’étiez plus qu’eux.
Tous ensemble n’étaient tant que vous belliqueux.
Mais en vous surmontant, qui êtes indomptable,
Vous acquerrez victoire, à jamais mémorable.
Vous avez double honneur, de nous avoir défaits,
Et d’avoir, comme Dieu, pardonné nos méfaits.

Nabuchodonosor feint de se rendre aux prières d’Amital, et répond.

Bien que j’eusse à bon droit, de l’égorger envie,
Pour vous gratifier, je lui donne la vie,
Non qu’il ne soit puni ; car un si grand forfait
Ne doit couler sans peine à celui qui l’a fait.
Je veux voir son maintien, et ses raisons entendre.
Sus, amenez-le moi.

Nabuchodonosor fait venir Sédécias, et lui reproche sa perfidie ; pour l’en punir, il ordonne qu’on lui crève les yeux, mais qu’auparavant de lui faire éprouver ce supplice, il en subisse un autre, qui est de voir égorger ses enfants, et couper la tête au Grand Pontife de Jérusalem. C’est ce qu’on apprend par un récit. Le cinquième Acte est terminé par Sédécias aveuglé, qui soumis aux volontés de Dieu, reconnaît dans ses malheurs, la juste punition de ses péchés.

 

 

Esther

 

Tragédie de l’histoire tragique d’Esther de Pierre Matthieu.

C’est ici la seconde Tragédie de cet Auteur, et peut-être celle qui a paru la première en public. Nous avons donné dans la vie de Matthieu, la preuve qu’Esther a été représentée en 1578. Elle ne fut cependant imprimée qu’en 1584[233]. C’est une mauvaise pièce, qui comprend toute l’histoire d’Esther, depuis la répudiation de Vasthi, jusqu’à la mort d’Aman. L’extrait des deux Tragédies que l’Auteur a donné dans la suite sous ces deux derniers titres, suppléera à celui-ci, avec d’autant plus de raison, qu’à quelques additions près, Matthieu y a conservé le fonds, et les vers de sa première Tragédie.

 

 

Sophonisbe

 

Tragédie de Claude Mermet.

« La Tragédie de Sophonisbe, Reine de Numidie, où se verra le désastre qui lui est advenu, pour avoir été promise à un mari, et épousée par un autre ; et comme elle a mieux aimé être la mort, que de se voir entre les mains de ses ennemis traduite de l’Italien en Français par Claude Mermet. »

Ce sujet a été traité tant de fois, que nous croirions ennuyer le Lecteur, et abuser de sa patience, en lui en offrant un Extrait. On remarquera que dans cette pièce, le terme de Pause y tient lieu d’Acte.

À la quatrième Pause, ou Acte, Scipion se fait amener ses prisonniers, et voyant Syphax dans ce nombre, ému de pitié sur son sort, il fait cette sérieuse réflexion :

C’est Syphax misérable ! en mon cœur déploré !
Ah ! quand je vois sa ruine, et perte nonpareille,
Je m’avise qu’autant m’en peut pendre à l’oreille.

CLAUDE MERMET, Notaire Ducal et Écrivain de Saint Rambert en Savoie, vint s’établir à Lyon, où il fit imprimer en 1583, cette Tragédie de SOPHONISBE, REINE DE NUMIDIE, traduite en vers français sur l’original Italien de Jean-George Triffino. Du Verdier Vauprivaz, parlant de Mermet dans sa Bibliothèque Française, ajoute, que cet Auteur a fait quelques Épigrammes entre celles qu’il rapporte, nous en avons choisi deux, qui sont peut-être extrêmement connues, mais qu’on ne soupçonne pas de ce Poète.

Un Boucher, consul de Village,
Fut envoyé loin pour chercher
Un Prêcheur, docte personnage,
Qui vint en Carême prêcher.
On en fit de lui approcher
Demi-douzaine en un Couvent.
Le plus gras fut pris du Boucher,
Croyant qu’il fût le plus savant.

Les Amis de l’heure présente
Ont le naturel du melon ;
Il en faut essayer cinquante
Avant qu’en rencontrer un bon.

 

 

Thyeste

 

Tragédie de Roland Brisset.

Cette pièce étant une mauvaise traduction du Thyeste de Sénèque, nous dispensons d’en donner aucun Extrait.

 

 

Baptiste

 

Tragédie de Roland Brisset.

Nous ne répéterons point ici ce que nous venons de dire en parlant de la Tragédie de Thyeste : nous ajouterons seulement que celle-ci est traduite du latin de Buchanan.

ROLAND BRISSET, Sieur du Sauvage, naquit à Tours d’une famille noble, (puisque dans le titre de ses Œuvres, il prend la qualité de Gentilhomme Tourangeau.) Il étudia à Paris, et s’y fit passer Avocat. Le goût qu’il avait pour la Poésie Dramatique, l’engagea à travailler pour le Théâtre, mais ne se sentant pas assez d’invention, il s’en tint à des traductions, presque littérales des Pièces Latines, ou Italiennes. La Croix du Maine[234] qui était de ses intimes amis, nous assure qu’en 1584, il en avait déjà vu trois de sa composition, savoir, THYESTE, ANDROMACHÉ et BAPTISTE. Enfin en 1589, les troubles du Royaume ayant forcé le Roi Henri III à se retirer à Tours, et à appeler auprès de sa personne le Parlement de Paris, et la Chambre des Comptes, notre Auteur qui avait peut-être quelque accès auprès du Roi, s’enhardit à faire imprimer cinq de ses Tragédies, et les présenta à ce Prince, comme les prémices de ses Ouvrages. C’est ce qu’il nous apprend lui-même dans l’avertissement qui le précède : où il dit, « que ses pièces n’auraient peut-être jamais vu le jour, (et je crois qu’il aurait mieux fait) si le Sieur de la Croix du Maine n’en avait daigné faire mention dans sa Bibliothèque Française, ce qui avait engagé ses amis à le prier de les publier. Depuis, le Roi Henri III, ayant honoré Tours, par l’établissement d’une Cour Souveraine, il crut qu’il était à propos de lui présenter ses Œuvres, espérant dans la suite d’en offrir d’un âge plus mûr. »

Les Œuvres Dramatiques de Brisset, imprimées à Tours en 1589, outre THYESTE et BAPTISTE, annoncées en 1584 par la Croix du Maine, comprennent[235] HERCULE FURIEUX, AGAMEMNON et OCTAVIE, qu’il composa apparemment depuis. Il fit paraître dans la même Ville en 1592[236], LA DIÉROMÈNE ou LE REPENTIR D’AMOUR, Pastorale traduite de l’Italien de Louis Grotto. C’est tout ce que nous avons de cet Auteur, qui n’a pas jugé à propos d’en faire imprimer davantage.

 

 

Athlète

 

Pastourelle ou Fable bocagère de Nicolas de Montreux.

Délfe, fameuse Magicienne, ne pouvant gagner le cœur du Berger Ménalque, Amant de la jeune Athlète, croit que le moyen le plus sûr pour réussir, est de faire périr la Rivale. Dans ce dessein, elle parle à Rustic, Berger rebuté d’Athlète, et lui donnant une pomme empoisonnée, elle lui fait accroire que si la Maîtresse mange de ce fruit, elle oubliera la passion qu’elle a pour Ménalque. Rustic reçoit la pomme ; mais par un motif de timidité craignant que la Bergère fasse difficulté de recevoir un présent de sa main, il remet la pomme à Ménalque. Athlète n’a pas plutôt touché ce funeste don, qu’elle ressent les effets du poison le plus violent. Ménalque au désespoir, proteste qu’il veut accompagner son Amante au tombeau. Enfin la Magicienne craignant que la mort d’Athlète, n’entraîne celle du Berger, donne du contrepoison à cette fille, et répare ainsi le mal qu’elle a causé. Et par pitié pour le pauvre Rustic elle le guérit de l’amour qu’il sent pour cette Bergère. Mais ce qui n’a point d’exemple, c’est qu’à la fin de la Pièce, elle trouve le secret, au moyen de ses charmes, de se guérir elle-même de la folle passion qu’elle avait conçue pour Ménalque.

NICOLAS DE MONTREUX, Gentilhomme de la Province du Maine connu sous le nom d’Olenix de Mont-Sacré, qui est l’Anagramme du sien, naquit vers l’an 1561[237]. Il passa une grande partie de sa vie à Paris, où il s’occupa à composer des Romans, et des Pièces de Théâtre. Nous laissons à ceux qui ont eu la patience de lire les ouvrages dont nous parlons, à décider dans lequel des deux genres, Montreux fait éprouver le plus d’ennui. À notre égard, trop contents de la lecture de ses Poèmes Dramatiques, nous nous promettons bien de n’y jamais retourner. Revenons à Montreux, qui commença à composer dès l’année 1577, et qui presque d’année en année donna différents ouvrages jusqu’en 1608. Il y a grande apparence qu’il mourut vers ce temps. Car un génie, comme le sien, n’aurait pas resté un an sans donner des marques de sa fertilité.

Voici le catalogue de ses Pièces imprimées. Nous parlerons après de celles qui ne le sont pas.

ATHLÈTE, Pastorale, ou Fable Bocagère : en trois Actes, et en Vers, 14 Juin 1585.

La Fable de DIANE, Pastorale, 30 Octobre 1593.

La Tragédie d’ISABELLE, 25 Août 1594.

La Tragédie de CLÉOPÂTRE, 1594.

L’ARIMÈNE, Pastorale, 1597.

SOPHONISBE, Tragédie, 1601.

Pièces non imprimées.

LE JEUNE CYRUS, Tragédie, représentée à Poitiers en 1581.

LA JOYEUSE, Comédie, représentée à Poitiers en 1581.

HANNIBAL, Tragédie.

CAMMA, Tragédie.

PARIS et ŒNONE.

LA DÉCEVANTE, Comédie.

Les Titres de ces Pièces non imprimées, se trouvent dans la Bibliothèque Française de la Croix du Maine.

 

 

Acoubar ou la Loyauté trahie

 

Tragédie de Jacques du Hamel.

JACQUES DU HAMEL, Avocat en la

Cour du Parlement de Normandie, composa en 1586, cette Tragédie d’ACOUBAR ou LA LOYAUTÉ TRAHIE dont le sujet est tiré d’un mauvais Roman intitulé Les Amours de Pistion et de Fortunie en leur Voyage de Canada : et la dédia au célèbre Philippe Desportes, Abbé de Tyron et de Bonport. En 1600, il fit paraître sa Tragédie de SICHEM, RAVISSEUR. Le faible succès de ces deux Pièces, ayant un peu refroidi la verve de notre Poète, il se contenta de mettre en Vers la Comédie de LUCELLE, que Louis Le Jars avait donnée en Prose en 1576. Celle de Du Hamel parut vers l’an 1603 ou 1604, ce dernier Ouvrage lui acquit plus de réputation que les précédents. Passons présentement à l’Extrait de celui que nous venons d’annoncer.

Acoubar, Roi de Guylan, reconnaissant la supériorité des forces de Castio, Roi de Canada, Protecteur de Pistion, Gentilhomme Français, et de Fortunie, Infante d’Astracan son Amante, engage un Magicien à jeter l’épouvante dans l’armée de son ennemi. Ce projet réussit, Castio perd la vie dans le combat, Pistion blessé légèrement, se retire en désordre auprès de Fortunie, et fuit ensuite lâchement à l’approche d’Acoubar, qu’il laisse maître de la liberté, et de la personne de sa Princesse, dont il n’ignore pas que ce Roi est amoureux. Peu de temps après, on vient apprendre à Acoubar que Pistion est du nombre de ses Prisonniers. Le Prince consulte avec Ergaste son Confident, de quelle façon il doit en agir envers son Captif.

ERGASTE.

Respirez-vous la mort ? lui vouez-vous la corde ?

Non, répond le Roi, je consens à lui pardonner. Acoubar pousse plus loin la générosité, non seulement il donne la liberté à ce Cavalier, mais il lui permet de se trouver au Tournoi qu’il fait célébrer à l’honneur de Fortunie, et dont cette Infante doit donner

le prix. Pistion déguisé en Sauvage Canadien, le gagne, et vient le recevoir des mains de sa Maîtresse, qui feint de ne le pas connaître, et qui ensuite par une noire perfidie, fait entendre au Roi, qu’il est honteux que ce soit un Sauvage qui soit resté vainqueur du Tournoi, et que pour rétablir sa gloire, il doit aller combattre cet Étranger, et lui enlever le prix avec la vie. Le pauvre Acoubar aveuglé par son amour, suit ce conseil extravagant et court chercher Pistion. Les discours que lui tient ce dernier, découvrent, mais trop tard, la trahison de l’Infante.

ACOUBAR.

Quel Sauvage voici ? ô qu’il a bien appris
Les traverses de Mars, et les mots de Cypris !
Je doute... j’ai grand’peur, ...je crains bien, je pantelle...
Que je ne sois trahi d’une Dame infidèle.

PISTION.

Tu soupçonnes ton mal, tu es pris à ce coup.

Pistion saisissant son avantage, force le Roi à se battre, et lui porte un coup mortel ; Acoubar tombe, prie son vainqueur de lui laisser un reste de vie, et lui offre sa Couronne et sa Maîtresse.

ACOUBAR.

Tu aimes Fortunie ; hélas ! je te la cède.

PISTION.

Ainsi j’en dirai bien, si j’étais sans remède.

ACOUBAR.

Franchement je la quitte.

PISTION.

Et franchement aussi
De visiter Pluton tu prendras le souci,

Acoubar expirant, prie le Ciel de ne pas laisser cette perfidie impunie, et Pistion content de son exploit se retire, se moquant de ces prédictions frivoles.

 

 

Vasthi[238]

 

Tragédie de Pierre Matthieu.

Le premier Acte de cette Tragédie contient les louanges que se donne le Roi Assuere, et les compliments qu’il reçoit des Seigneurs de sa Cour, dans lesquels ils lui représentent les qualités qui doivent orner la vie d’un grand Prince. Au IIe Acte, le Roi ordonne les préparatifs d’un festin magnifique.

ASSUERE.

Que nul ait en buvant l’appétit dissolu
Vin sur vin entassant, et verre dessus verre,
Pour en son chef mouvoir un tout tournant tonnerre.

LES PRINCES.

Et que pourrait-on voir de plus voisin de la tombe,

Que celui qui au faix du Cuisse-né succombe.
Noé, Loth, Ésaü, Holopherne, Samson, etc.

Pendant le repas, la conversation tombe sur les femmes : les Princes en disent beaucoup de mal, et le Roi voulant les convaincre par l’exemple de la sienne, dont il exalte surtout l’obéissance, ordonne qu’on fasse venir la Reine Vasthi, qui refuse de se rendre à ses ordres, malgré les remontrances des Dames de sa suite.

LES PRINCESSES.

Il faut que la douceur d’une Princesse flanque.

VASTHI.

Baste, je n’irai pas, et si je vais le foudre
De l’Haut tonnant m’éclate, et m’amenuise en poudre.

Au IIIe Acte, le Roi répudie la rebelle Vasthi. Il épouse Esther au IVe. Et au dernier il charge un Messager d’annoncer ces nouvelles à Vasthi.

LE MESSAGER.

Madame, apaisez-vous, un Prince ne demande
Raison de son vouloir, seulement il commande.
Un Roi a pour sa loi, je le veux, il me plaît :
Quand ces mots sont en jeu, il faut que tout soit fait.

VASTHI.

Il n’y a rien qui soit au malheur plus fâcheux
Que l’âpre souvenir d’avoir été heureux.

 

 

Aman

 

Tragédie de Pierre Matthieu.

Tout le monde connaît le sujet de cette Pièce ; contentons-nous d’en rapporter ici quelques passages, pour montrer que Matthieu, toujours semblable à lui-même, ne s’est point démenti dans celle-ci.

Aman élevé au faîte de la grandeur, témoigne sa satisfaction par ces Vers.

Commence donc, Aman, d’un vol et raide et haut,
De surpasser des Cieux l’étoilé échafaud.
Je ferai le fusil de l’infernale troupe :
Je tiens à mon vouloir la cime de Rhodope ;
J’irai ravir là-bas la femme de Pluton,
Je prendrai le trident de Neptune pour bâton.

Ce Ministre outré de fureur contre Mardochée, qui refuse de lui rendre des respects honteux, invoque les Furies. Zarés sa femme l’interrompt par ce discours.

Tu t’abuses, appelant les Ombres infernales,
Les filles de Pluton, ou les Vierges fatales,
Tu pourras mieux de moi attirer la façon
Pour l’audace punir de ce vieux hérisson.
Les tours mieux décevants, les plus subtiles ruses
Aux esprits inventifs des femmes sont infuses.

Esther vient se jeter aux pieds du Roi, pour lui demander justice des indignes complots de son favori, et s’écrie les yeux baignés de pleurs.

Conjurer contre un Roi, contre moi, contre Isaac,
Le chasser, le bannir avecques le bislac :
Ah ! Dieu ! si tu permets régner telle injustice,
On verra triompher de la vertu le vice.

Aman qui voit sa perte certaine, veut prier Esther de parler en sa faveur.

ESTHER.

Ô homme abominable, oses-tu me toucher ?
Retire-toi d’ici de peur de me tacher.

ASSUERE.

Mais voyez le P... Quelle amoureuse amorce
Lui fait prendre la Reine entre ses bras à force ?

Prêt de monter sur l’échafaud, Aman s’adresse aux Spectateurs, et prie les Courtisans qui sont de ce nombre de venir assister à son supplice, et de prendre exemple sur lui.

AMAN.

Vous qui engeolez des Princes le cerveau,
Pour d’un honneur fuitif avoir le renouveau :
Et vous qui excitez l’affection inique
D’un Roi, pour acquérir un état magnifique ;
Venez tous, je vous prie, accourez tous afin
De voir du pauvre Aman la douloureuse fin.

 

 

Hercule furieux ; Agamemnon ; Octavie

 

Tragédies.

Ces trois Pièces sont de Roland Brisset, mais comme il n’a fait autre chose que traduire grossièrement les Tragédies de Sénèque que nous avons sous ces Titres, nous ne rapporterons que le passage suivant, pour qu’on puisse juger de la vérification de l’Auteur. Il est pris de la dernière Scène de l’Agamemnon, où Clytemnestre suivie d’Égiste vient reprocher à Électre l’évasion du jeune Oreste dont elle est la cause.

CLYTEMNESTRE.

Déshonneur de ta mère, effrontée, avollée[239]
Ô ! qu’il te fait bon voir entre un peuple mêlée,
Fille comme tu es !

ÉLECTRE.

Fille, j’ai délaissé
Un Hôtel où serait mon honneur offensé.

CLYTEMNESTRE.

Fille ! qui le croira ?

ÉLECTRE.

Votre fille.

CLYTEMNESTRE.

À sa mère
N’avoir point de respect !

ÉLECTRE.

Ô le bel exemplaire !

CLYTEMNESTRE.

Tu as courage d’homme ? Ah ! Je te ferai bien
Contrefaire la fille, ou tu sauras combien
Pèse mon mal talent.

ÉLECTRE.

C’est chose fort séante
En la main d’une femme, une dague sanglante.

CLYTEMNESTRE.

Babouine, oses-tu bien t’accomparer à nous ?

ÉLECTRE.

À vous ! mais qui est-il ce beau nouvel Époux ?

CLYTEMNESTRE.

Que j’abaisserai bien l’arrogante parole
Dont tu uses envers moi, audacieuse folle.

ÉLECTRE.

Veuve, parlez plus bas, votre mari est mort.

CLYTEMNESTRE.

Qu’as-tu fait de ton frère !

ÉLECTRE.

Il est hors de ces bords, etc.

 

 

La Diéromène ou le Repentir d’amour

 

Pastorale de Roland Brisset.

Cette Pastorale qui, suivant l’aveu de l’Auteur, est imitée de l’Italien de Luigi Grotto, est en cinq Actes et en prose : sa longueur ne sert qu’à la faire paraître encore plus détestable. Il y a des endroits fort libres, et un nombre infini de bas, et de puériles. Voici en deux mots le sujet de cette Pièce. La Bergère Diéromène est recherchée par deux aimables Bergers, son cœur donnant la préférence à celui qu’elle aime, l’autre pour se consoler, épouse une jeune Bergère dont il est aimé.

 

 

La Fable de Diane

 

Pastourelle de Nicolas de Montreux.

On ne doit pas être étonné si ce sujet qui a été traité plusieurs fois par différents Auteurs, et toujours avec un succès médiocre, a été si misérablement estropié par Nicolas de Montreux, plus capable, qu’aucun autre, de gâter les plans les plus favorables.

 

 

Isabelle

 

Tragédie de Nicolas de Montreux.

Ce sujet est tiré de l’Arioste, l’Auteur n’a fait que le mettre en mauvais vers Français, et lui donner une forme Dramatique à la manière de son temps, introduisant au commencement de la Pièce l’Ombre de Zerbin, époux d’Isabelle, qui vient instruire le Spectateur de la cause de sa mort, et de la triste destinée que cette Princesse va éprouver. Isabelle, pour se délivrer de l’importune passion de Rodomont, meurtrier de Zerbin, lui fait accroire qu’elle a le secret d’une recette qui rend invulnérable, et s’offre à en souffrir l’épreuve sur elle-même. Le Roi d’Alger accepte la proposition, et ôte malgré lui la vie à Isabelle. Un ennuyeux Messager vient faire le récit de cette triste aventure à Fleurdelys, et en disant qu’il est fort pressé, il reprend toute l’Histoire de Zerbin et de sa tendre Épouse, depuis le combat de ce Prince avec Mandricard, jusqu’à l’issue de celui où il succomba sous les coups de Rodomont.

 

 

Cléopâtre

 

Tragédie de Nicolas de Montreux.

L’Auteur suppose dans cette Pièce, qu’après la mort d’Antoine, Cléopâtre devint captive d’Auguste, qui la fit garder étroitement. La Reine après avoir déploré ses malheurs[240], ne trouve pas d’autre moyen de les terminer, qu’en quittant la vie, ce qu’elle ne peut faire, encore que très secrètement, en se servant d’un aspic, qu’un Paysan lui apporte, caché au fonds d’un panier de figues. Au cinquième Acte, Épaphroditus vient raconter sa mort à Auguste.

ÉPAPHRODITUS.

Lors tenant le panier, en sa main assurée,
Découvre de l’aspic la tête exorée,
Qui sifflait à sacquets ; elle rit doucement,
Ha ! dit-elle, es-tu-là, remède à mon tourment, etc.

CÉSAR.

Ô Constance admirable, etc.

Quoique cette Tragédie soit des plus mauvaises, on y peut encore remarquer le caractère du Philosophe Arée, que Montreux donne pour Confident à Auguste, et qui joue le personnage d’un indigne flatteur, et du valet le plus détestable.

 

 

La Franciade

 

Tragédie de Jean Godard.

JEAN GODARD, Poète Français, naquit à Paris le 15 de Septembre 1564. comme il nous l’apprend dans le trente-deuxième de ses Sonnets, sur les Trophées du Roi Henri le Grand.

Droit au quinzième jour de ce prochain Septembre,
À quatre heures au matin, j’aurai vécu trente ans.
Car nature me fit sortir en un tel temps
Hors des flancs maternels, ma naturelle chambre.

Mais, ajoute-t-il, ce qui me flatte le plus,

C’est pour ce que je vis dessous le règne heureux
De Henry de Bourbon, Roi juste, et valeureux
Dont j’espère être un jour le Virgile et l’Homère.

Nous ignorons quelle était sa profession, et soupçonnons qu’il ne s’attacha à aucune. Voluptueux, et même un peu libertin, il ne s’occupa uniquement que de la Poésie, excepté les moments qu’il passait auprès d’une fille qu’il aimait, et qu’il a célébrée dans ces vers sous le nom de Lucrèce[241], et le temps qu’il était obligé de donner à ses amis qui aidaient à le faire subsister. Il est certain qu’il fut assez mal partagé du côté de la fortune, et ses Ouvrages nous présentent fréquemment des preuves de son indigence. Dans cette vue il chanta les louanges de Jean Pissevin, Auvergnat, de Claude le Brun, Jurisconsulte Beaujolais, de Claude Bourbon, Sieur de Saint Font, Conseiller et Receveur du Roi de cette dernière Province, et de plusieurs autres. Mais ses amis particuliers, et ses principaux protecteurs, furent les deux frères Jean et Audebert Heudon, ses Compatriotes, auxquels il dédia plusieurs de ses Ouvrages. Son Poème de l’Amitié est rempli de louanges ridicules qu’il donne au premier. Vous êtes, lui dit-il, sans contredit,

Un qui fera revivre
Nos vieux preux Chevaliers par ses vers, et son Livre ;
Livre déjà commencé d’un art laborieux
Livre qui fait rougir les plus industrieux,
Et lequel franchissant ton coffre et ses cloisons
Au monde fera voir tes rares aventures.
Un trophée éternel par là tu te bâtis.

Il finit ainsi :

Ô divine Amitié...
Je te salue encore et trois et quatre fois,
Pour ton hymne chanter, toujours Vierge accompagne
Ton Godard et Heudon par monts et par campagne.

Dans un autre intitulé la Pauvreté, après en avoir fait une peinture très vive, et des plus naturelles, il expose ainsi la sienne à Audebert Heudon,

Je ne saurais chanter des choses inconnues ;
Aussi veux-je à ce coup chanter la pauvreté,
Laquelle est près de moi, et l’a toujours été :
C’est tout ce que je tiens, et ce que je possède.
...
Fassent pourtant les Cieux, que la bonne fortune
Chasse la Pauvreté, qui toujours m’importune,
Qui toujours me guerre, et qui toujours m’assaut.

La Pauvreté devait en effet être très insupportable à un homme paresseux, et attaché à tous ses plaisirs, tel que l’était Godard[242], qui au reste, quoique très faible, peut passer pour un des plus passables Poètes du temps, lorsqu’il n’a pas eu la démangeaison de travailler le Théâtre. On trouve dans les Œuvres qu’il fit imprimer en 1594. La Tragédie dont on vient de rapporter le titre, avec LES DÉGUISÉS, Comédie en cinq Actes, composée pour être représentée à la suite de la Tragédie. Godard mourut fort âgé sur la fin du règne de Louis XIII à qui il dédia la seconde édition de ses œuvres, qu’il donna en 1624. avec quelques augmentations de peu de conséquence.

 

 

Extrait de la Tragédie de La Franciade

 

L’Ombre de Gaulas fait l’Argument de la Pièce[243], et remplit le premier Acte. Sarmante, Roi des Gaules, paraît ensuite, et déclare qu’il veut employer toute sa puissance, pour s’opposer à l’invasion des Troyens, conduits par Francion. Ce dernier, animé par la voix des oracles, ne balance pas à livrer le combat aux troupes de Sarmante, commandées par le Prince Orolin son fils. Et tandis que le Chœur chante par avance la victoire d’Orolin, on vient annoncer sa mort, et la défaite de son armée. Alors le Chœur des filles Gauloises est remplacé par celui des Soldats Troyens, qui se réjouissent de leur victoire. À cette vue, Sobrine, épouse de Sarmante, se perce le sein d’un poignard : le Roi veut imiter son exemple, mais Carol, Capitaine de ses Gardes, empêche ce funeste coup, en représentant à son Maître que le salut de la Princesse Melune, doit lui faire souhaiter la vie. Sarmante se rend à ses raisons.

SARMANTE.

Puisqu’ainsi plaît aux Dieux d’apaiser ces Troyens,
De peur d’abandonner au pouvoir d’un seul homme
Tout ensemble ma fille et ce pauvre Royaume :
Tandis, nobles esprits, vivez, vivez là-bas,
Aux Champs Élyséens en aise, et en ébats ;
Et moi, ce temps pendant, ayant toujours envie
De vous suivre bientôt, je traînerai ma vie.

 

 

Les Déguisés

 

Comédie en cinq actes et en vers de huit syllabes de Jean Godard, représentée à la suite de la Tragédie de La Franciade, du même Auteur.

Olivier, fils de Pierre Galland, Dauphinois, envoyé par son père pour achever ses études à Toulouse, y devient amoureux de Louise, fille du Marchand Grégoire. Pour avoir accès auprès de sa belle, il troque d’habit avec Maudolé son valet, et se présente en cet équipage au Marchand, qui l’accepte pour Garçon de Boutique. Bien loin de pénétrer ce dessein, Grégoire qui est tuteur d’un Capitan, fieffé poltron, nommé Prouventard, voudrait engager ce pupille à épouser Louise, espérant que de cette façon, il ne sera point obligé à lui rendre compte. Le Capitan épouvanté par les fanfaronnades extravagantes de Maudolé, déclare à Grégoire qu’il ne prétend point à son alliance. Louise de son côté, rejette avec beaucoup de fierté les premières propositions d’Olivier. Heureusement pour lui, Grégoire qui le prend en affection, lui fait part du refus de Prouventard, et le prie de lui chercher un parti convenable à sa fille, qui est très nubile, et dont la garde lui devient importune. Olivier promet de s’y employer utilement ; et ordonne à Maudolé de venir faire la demande de sa belle, sous le nom, et les habits d’Olivier Galland. Cette ruse réussit avec d’autant plus de facilité, que Louise, d’accord avec son Amant, feint de se soumettre sans répugnance aux volontés de son père. Maudolé, malgré ses airs ridicules, et ses façons de petit maître affectées, est donc reçu avec plaisir, il ne reste plus qu’à faire paraître le père du prétendu. Autre embarras pour Olivier et son Valet. Le hasard leur fournit une occasion favorable, et leur fait faire la rencontre d’un homme qui vient de ramasser une bourse. Olivier et Maudolé qui le remarquent sur son action, menacent de le dénoncer à la Justice ; Passetrouvant (c’est le nom de ce pauvre homme), leur demande grâce, et l’obtient, à condition qu’il viendra faire le personnage de Pierre Galland. L’arrivée du véritable père d’Olivier, dérange tout ce tissu de fourberies. Malgré l’impudence de Passetrouvant, qui continue à jouer son rôle avec la dernière effronterie, Pierre Galland se fait reconnaître pour le père d’Olivier, et le maître de la bourse en question. Il consent cependant au mariage de son fils et de Louise ; et pour dédommager Prouventard, il lui offre sa fille avec dix mille francs de dot. À l’égard de Passetrouvant, on lui laisse quelques pistoles de l’argent qu’il est obligé de restituer, et ainsi finit la Pièce. Quoiqu’on y trouve un fonds d’intrigue assez divertissante, et des caractères, que les Poètes du dernier siècle ont quelquefois imités, cependant on peut dire que cette Comédie est très mal versifiée, qu’elle est sans ordre, et inférieure à celles de la Rivière, dont nous avons déjà donné les Extraits.

Au reste, le sujet est tiré d’une Pièce intitulée : Comédie très élégante, en laquelle sont contenues les amours récréatives d’Érostrate, fils de Philogone de Catania en Sicile, et de la belle Polymneste, fille de Damon, Bourgeois d’Avignon, qui parut imprimée en vers français, à Paris en 1545. Et cette dernière n’est qu’une traduction de la Comédie des Supposés de l’Arioste, à la différence près de quelques noms, et que le lieu de la Scène est à Ferrare dans l’original italien.

 

 

La Machabée

 

Tragédie du Martyre des Sept Frères et de Solomone leur mère de jean du Virey du Gravier.

Cette Tragédie ressemble beaucoup aux anciens Mystères, on ne trouve aucune division d’Actes, ni de Scènes. Comme personne n’ignore le sujet qu’on y a traité, nous nous en tiendrons à quelques passages, qui feront connaître que l’Auteur était digne du siècle de Jean Michel ou de Parmentier. Nous aurons occasion de parler de lui à l’article de La Tragédie Divine, et heureuse victoire des Machabées, sur le Roi Antiochus, autre Pièce de sa façon.

Le Roi irrité contre les Sept Frères, les livre à ses bourreaux, qui leur font endurer les tourments les plus cruels ; on met Machabée sur une roue.

 

LE IIIe SOLDAT.

S’il ne meurt promptement par cette rude entorse,
Il faut dire qu’il a son âme de travers.

Comme ce supplice n’est pas assez fort pour lui ôter la vie, on le jette dans une chaudière pleine d’eau bouillante. Après quelques tortures, Antiochus fait ouvrir l’estomac d’Abas, le second des Frères.

Horrible chose à voir ! j’en ai le cœur tranquille.

S’écrie un des Soldats. Machir le troisième frère, expire par la rigueur d’un tourment fait en forme de rondeau. Ensuite le Roi voyant ses Soldats fatigués, s’offre à les aider, et attache lui-même Judas Machabée sur une roue. Le cinquième appelé Achar est rôti tout vif par l’ordre du tyran, qui fait pendre par les pieds Areth son jeune frère.

LE ROI.

Pour mieux lui étourdir son éventé cerveau,
Par descentes d’humeurs froides et aquatiques.

LE Ier SOLDAT, aux Spectateurs.

Qui voudrait bien purger des fluxions bachiques,
En voilà le moyen.

À peine Jacob, le dernier des sept Frères, et Solomone, leur mère sont expirés, que le tonnerre tombe, et réduit en cendres une partie du palais d’Antiochus. Ce Roi impie, surpris de ce prodige, s’en prend à ses Dieux, et vomit mille imprécations.

LE ROI.

Garde le Ciel voûté ses flambeaux et la nue,
Je ne veux plus de toi, car la paille est rompue
Entre nous, pour le meilleur : Je désire bien mieux
Commander aux Enfers qu’être second aux Cieux.
Un jour aux lieux profonds, je ferai bien paraître
À Pluton, où je suis, que je veux être Maître.

 

 

Dioclétian

 

Tragédie de Pierre de Laudun Daigaliers[244].

Cette Pièce contient l’Histoire du Martyre de saint Sébastien, quoiqu’elle ne soit pas sous ce titre, comme on l’a assuré dans les Catalogues. Le passage suivant suffira pour donner une idée de la Poésie de Daigaliers. C’est Dioclétian qui s’applaudit du nombre des Chrétiens qu’il a fait périr, pour avoir refusé d’adorer ses faux Dieux.

Ce guerrier morfondu avec tous ses Thébains,
Maurice, n’ont point su échapper de mes liens,
Ni Agnès, Anastase, Barbe, ni Boniface,
Crespin, Crespinian, Christophle à la grand’face,
Ni Cosme, ni Damian, Vincent, Blaise, Protais,
Quintin, Pantaleon, Adrian, George, Gervais,
Ni même Marcellin que le Chrétien honore,
Luce, ni Ciriac, Alban, ni Théodore,
Ne m’ont pu échapper, ni maints autres Chrétiens
Qui voulaient opposer leur Loi à mes desseins.

À la fin de la Pièce, Diocletian, pressé par les remords de sa conscience, quitte ses habits Impériaux pour se revêtir de ceux de Jardinier ; et enfin se tue pour terminer une vie qui lui est à charge.

 

 

Horace

 

Tragédie de Pierre de Laudun Daigaliers.

Ce sujet est le même qui a été traité depuis par le grand Corneille. Ici les Horaces et les Curiaces combattent sur le Théâtre ; Horace y poignarde aussi sa sœur ; il est arrêté, et ensuite déclaré absous par le peuple, et la Pièce finit par la mort du Roi Tullus Hostilius, qui est écrasé d’un coup de foudre. L’Auteur ne pouvait terminer la Tragédie d’une façon plus bruyante.

 

 

Radégonde, Duchesse de Bourgogne

 

Tragédie de Du Souhait.

Le sujet de cette Pièce est purement de l’invention de l’Auteur.

Radégonde, épouse de Ferdinand Duc de Bourgogne, éprise d’amour pour Floran, favori de son époux, lui découvre sa passion, et sur son refus, l’accuse au Duc, comme un audacieux, qui a osé lever les yeux sur elle. Le Duc interroge Floran, et apprenant son innocence il découvre la passion de sa nièce, et de ce favori. La Duchesse à qui Ferdinand rapporte cette conversation, la rend aussitôt à la nièce, mais d’une façon si maligne, que cette pauvre Amante, outrée de douleur, se perce le sein. Floran qui survient, voit l’état où est sa Maîtresse, et ne tarde pas à suivre son exemple : Enfin le Duc arrivé, demande le sujet du tragique spectacle qui s’offre à ses yeux.

MARCELINE.

Quel importun malheur tâche de nous poursuivre ?
Votre Nièce est déjà morte et Floran va la suivre.

FERDINAND.

Qui vous a fait mourir ? qui vous cause ce tort ?

FLORAN.

Votre langue, Monseigneur, a causé notre mort.

MARCELINE.

Votre Nièce jalouse, a quitté la première,
Après mille regrets, la vie, et la lumière ;
Puis Floran est venu, et du même couteau,
De sa main homicide a cherché le tombeau.

FERDINAND à Radégonde.

Perfide Créature, et mensongère femme,
Qui pour cacher ta faute, et pour couvrir ton blâme,
As causé le trépas de ces Amants ici :
Il faut que maintenant tu en meures aussi.

« Il tue Radégonde. »

 

 

Beauté et Amour

 

Pastorale de Du Souhait.

Cette Pastorale ne contient qu’une froide et ennuyeuse allégorie. La Beauté et l’Amour disputent sur la préférence, et enfin leur querelle est terminée par un jugement, où la Beauté remporte l’avantage sur son adverse.

DU SOUHAIT, Auteur des deux Pièces ci-dessus, fut un Poète très médiocre pour son temps : c’est le même qui nous a donné une mauvaise traduction de l’Iliade d’Homère avec une continuation de sa façon, et l’Histoire de ce qui a précédé la guerre de Troyes.

 

 

Sophonisbe

 

Tragédie d’Antoine de Monchrétien.

Sophonisbe, épouse de Syphax, Roi de Numidie, le voyant captive de Massinisse, qu’elle a autrefois aimé, mais dont sa vertu lui défend d’écouter la passion, fait promettre à cet Amant qu’il ne la livrera pas vive au pouvoir des Romains, ses mortels ennemis. Massinisse le lui ayant juré, et connaissant que malgré ses prières, il ne peut opérer la liberté de cette Princesse, qu’il est forcé de remettre, pour obéir aux ordres des Consuls Romains, c’est alors que préférant la parole qu’il a donnée à sa propre satisfaction, il charge Hiempsal de porter Sophonisbe du poison pour la soustraire à ses ennemis. Hiempsal exécute cet ordre, et vient porter à la Reine ce fatal présent de Massinisse.

HIEMPSAL.

Pleurant, il m’a donné ce boucon, qui fera
Qu’avec sa liberté Sophonisbe mourra.

SOPHONISBE.

M’en doutais-je pas bien ? Nourrice, mon souci.

Elle tâche ensuite à rappeler toute sa fermeté.

SOPHONISBE.

Sophonisbe, tu crains ta face devient pâle :
Ce n’est rien qu’un poison ; bon cœur, avale, avale,
Ô liqueur agréable, ô nectar gracieux !
En boit-on de meilleur à la table des Dieux ?

NOURRICE.

Ah ! je crois qu’elle expire : Hélas ! hélas ! Madame ?
Madame ? Elle n’ait plus ; ce n’est qu’un corps sans âme.

C’est ici la troisième Tragédie de ce nom, qui a place dans notre Histoire ; et le coup d’œil de l’Auteur, qui la corrigea dans la suite, et la fit reparaître sous le titre de LA CARTHAGINOISE ou LA LIBERTÉ. « Voici, » dit-il, dans l’avertissement qui précède cette Pièce dans les dernières éditions : « Voici Sophonisbe qui revient sur le Théâtre vêtue d’un habit neuf, et mieux seyant à sa grandeur, que celui dont auparavant je l’avais accommodée. » Elle devait être bien mauvaise à sa première représentation, puisqu’après l’avoir retouchée dans un âge plus mûr, Monchrétien n’en a pu faire qu’une très médiocre Tragédie ; il est vrai que c’est son premier Ouvrage. Avant de passer à l’article suivant, le Lecteur attend ici que nous lui rapportions la vie de cet Auteur, qui n’était pas sans mérite du côté de la Poésie Dramatique, si l’on veut bien faire attention au temps où il vivait.

ANTOINE DE MONCHRÉTIEN, ou MONCRÉTIEN, (car c’est de ces deux façons qu’il a écrit son nom) était fils d’un Apothicaire de la Ville de Falaise ; son père le laissa en bas âge, et sans bien, sous la tutelle du Sieur André Bernier, qui en qualité de proche voisin, fut condamné en Justice à s’en charger. Monchrétien fit ses études, apprit à monter à cheval, et à faire des armes, par les bienfaits de Messieurs des Essarts et Turnebe, qui l’avaient pris en amitié. Ensuite il s’attacha à la Poésie Française, et donna en 1596 la Tragédie de SOPHONISBE, dont nous venons de parler ; Pièce qui fut suivie de plusieurs autres. Ces occupations furent suspendues par une querelle que Monchrétien eut contre le Baron de Gourville, qui était accompagné de son Beau-frère, et d’un soldat : il mit l’épée à la main contre eux, mais n’étant pas assez fort contre trois personnes, il fut laissé pour mort. Il en revint cependant, et ayant porté ses plaintes contre ses adversaires, il tira du Baron et de son Beau-frère, plus de douze mille livres, qui le mirent en état de faire l’homme d’importance, et d’ajouter à son nom de Monchrétien, celui de VASTEVILLE, pour faire croire qu’il avait quelque terre ou fief ainsi appelé. Il se rendit ensuite le solliciteur d’un procès qu’une Dame de bonne maison avait contre son mari, Gentilhomme fort riche, mais imbécile. Après la mort de ce Gentilhomme, Monchrétien épousa secrètement sa veuve, mais peu de temps après son mariage, ayant été accusé d’avoir tué en trahison le fils du Sieur de Grichi-Moynes près Bayeux, il fut obligé de se sauver en Angleterre, et il y demeura jusqu’à ce que le Roi de la Grande Bretagne, (Jacques Ier), à qui il dédia sa Tragédie de l’ÉCOSSAISE, eût obtenu sa grâce du Roi Henri IV. Revenu en France, Monchrétien après avoir passé quelques années à Paris, dans une situation assez peu honorable[245], alla offrir ses services aux Réformateurs de France, et se signala par plusieurs actions d’éclat. Au mois de Juillet 1621, Monchrétien se trouva à l’assemblée de la Rochelle ; et comme il était né assez éloquent, les principaux de l’assemblée lui délivrèrent plus de cent commissions, avec de l’argent, et des lettres de change, pour lever des Régiments de Cavalerie et d’Infanterie, dans les Provinces de Normandie et du Maine. Monchrétien délivra ses commissions à plusieurs Gentilshommes, et courut tout le pays, pour se faire des partisans. Il arriva le 7 d’Octobre 1621, sur les neuf ou dix heures du soir, au Bourg de Tourailles, distant de cinq lieues de Falaise, et de Domfront, accompagné seulement de six Capitaines et de son Valet de Chambre. L’Hôte persuadé sur quelques indices que c’était Monchrétien, dont on parlait beaucoup dans le pays, crut devoir en avertir le Seigneur de Tourailles, qu’il savait être fort affectionné au service du Roi. Ce Gentilhomme ayant fait aussitôt part de cette nouvelle à quelques-uns de ses voisins, se rendit avec eux, ses domestiques, et quelques Soldats, tous au nombre de vingt, à l’Hôtellerie, qu’ils entourèrent. Monchrétien qui entendit du bruit, sortit avec son monde, et tua deux Gentilshommes et un soldat ; mais il fut peu après tué lui-même de plusieurs coups de pistolets et de perruques. Monsieur de Matignon, Lieutenant-Général de la Province, ayant eu avis de cette mort, fit transporter le corps à Domfront, où les Juges du lieu le condamnèrent à être traîné sur la claie, et à avoir les membres rompus, et ensuite jeté au feu, et réduit en cendres. Ce qui fut exécuté le même jour du jugement, c’est-à-dire, le douze Octobre mil six cents vingt-un.

Voici les titres des Pièces de sa composition, non pas suivant le rang qu’elles tiennent dans les dernières éditions des Œuvres de Monchrétien, mais selon la date des années qu’elles ont été représentées, autant que nous l’avons pu conjecturer.

SOPHONISBE, Tragédie, ou La Carthaginoise, ou La Liberté, 1596.

LES LACÈNES, ou LA CONSTANCE, Tragédie, 1599.

DAVID, ou L’ADULTÈRE, Tragédie, 1600.

AMAN, ou LA VANITÉ, Tragédie, 1601.

HECTOR, Tragédie, 1603.

BERGERIE, en cinq Actes et en prose, 1603.

L’ÉCOSSAISE, ou LE DÉSASTRE, Tragédie, 1605.

 

 

Farce

 

« Joyeuse et profitable à un chacun, contenant la ruse, méchanceté et obstination d’aucunes femmes : par Personnages ; savoir,

« LE MARI,

« LE SERVITEUR,

« LA FEMME,

« LE SERRURIER.

Par un Auteur Anonyme.

Cette Farce est dans le goût des Femmes Salées, dont nous avons donné l’Extrait. Dans celle-ci, le Mari trouve sa femme si aigre, et si méchante, qu’il est obligé d’envoyer son serviteur chercher un Serrurier, pour inventer un moyen capable de mettre sa femme à la raison : ce qui s’exécute au grand contentement du mari, et des Spectateurs qui voudraient se servir de cet exemple.

 

 

L’Arimène

 

Pastorale de Nicolas de Montreux

Cette Pièce fut représentée le 25 Février 1596, en présence du Duc de Mercœur, à qui l’Auteur la dédia. Nous ignorons si elle eut alors un grand succès, mais nous en doutons fort car quoique Montreux fût un assez méchant Poète, il semble qu’il ait encore renchéri dans la composition de cette Pastorale.

 

 

Cammate

 

Tragédie de Jean Hays[246].

C’est moins pour donner un extrait de cette Tragédie, dont le sujet assez connu, a été traité avec succès par Thomas Corneille, que pour faire voir ce que notre Auteur a ajouté de son invention, et la façon dont il a distribué les sept Actes, qui composent sa Pièce. Cette connaissance pourrait n’être pas tout-à-fait inutile aux Auteurs qui voudraient imiter Hays, et qui s’étant proposé une pareille distribution d’Actes, seraient fort aises d’avoir un exemple, et une autorité.

Le premier Acte s’ouvre par Sinate et Cammate son épouse, qui se témoignent réciproquement leur vive affection, qui n’est troublée que par le regret qu’ils ont de n’avoir aucun gage de leur hymen. Pour obtenir cette grâce, ils vont faire leurs prières au Temple de Diane.

Au second, Synnoris, amoureux de Cammate, lui fait une déclaration en forme mais rebuté par cette fière épouse de Sinate, il prend la cruelle résolution d’affaiblir cet époux trop chéri ce qu’il exécute peu de temps après, tandis que Sinate est seul à la chasse.

Un Paysan qui trouve au troisième Acte le corps de Sinate sur le chemin, s’abandonne à une foule de réflexions morales, et tâche ensuite de consoler Cammate, qui ne sachant ce qu’est devenu son mari, vient le chercher dans ce même lieu.

Acte IV. Synnoris n’osant aborder cette Princesse, fait part de ses craintes à son Valet, qui est en même temps son conseil, et le complice de son crime. Ce Valet va trouver Cammate, et lui remet une Lettre de son Maître. Comme la Veuve de Sinate lui parle, sans faire paraître aucune aigreur, le Valet revient transporté de joie annoncer cette nouvelle favorable à son maître.

Au cinquième Acte, Cammate découvre les secrets sentiments, et que elle s’est contrainte en présence du Messager de Synnoris, c’est pour le venger plus facilement de ce perfide.

Synnoris s’imaginant que la douleur de Cammate commence à diminuer, va rendre visite à cette Princesse au suivant, et emploie toute son éloquence, pour l’engager à lui donner la main. Cammate continuant de feindre, lui dit qu’elle y consent, et qu’il peut tout faire préparer.

Enfin au septième et dernier Acte, Synnoris se rend au Temple avec empressement. Polite, Nourrice de Cammate lui présente, de la part de sa Maîtresse une coupe, cet Amant en boit la moitié, et la remet à la Princesse, qui achève le reste. À peine la cérémonie est achevée, que le perfide Synnoris ressent les effets du poison qu’il vient de prendre, et s’exhale en injures contre Cammate : cette dernière, assurée de sa vengeance et de la mort du coupable, expire satisfaite d’avoir achevé ce sacrifice aux mânes de son époux. Le Serviteur de Synnoris le tue sur le corps de son Maître, et Polite sur celui de Cammate.

 

 

Polyxène

 

Tragi-Comédie de Jean Béhourt.

Le titre de cette Pièce nous apprend qu’elle fut représentée au Collège des Bons-Enfants à Rouen, le Dimanche septième jour de Septembre 1597. Cette Tragi-Comédie est un sujet tiré des Histoires Tragiques de Pierre Boisteau. Nous ne croyons pas en devoir donner aucun extrait, cependant l’Auteur l’a cru si bon, qu’il l’a dédiée à Madame la Princesse de Montpensier, et assure que ce qui l’a déterminé à la donner à l’impression, c’est que quelques Auteurs du temps avaient voulu s’en attribuer la gloire, et s’en approprier l’invention.

JEAN BÉHOURT, Régent du Collège des Bons-Enfants à Rouen, composa quelques mauvaises Pièces de Théâtre, qu’il fit représenter au Collège où il régentait. Nous doutons fort que les Comédiens de son temps en aient jamais fait usage. Ces Pièces sont,

POLYXÈNE, Tragi-Comédie, 7 Septembre 1597. Nous en avons parlé.

HYPSICRATÉE ou LA MAGNANIMITÉ, Tragédie, en 1597.

ESAÜ, ou LE CHASSEUR, Tragi-Comédie, 2 Août 1598.

Quoique l’Auteur ait tiré beaucoup de vanité de ces Poèmes, ils ont été certainement moins connus que le Rudiment intitulé, le Petit Béhourt, dont il est aussi l’Auteur.

 

 

Hypsicratée ou la Magnanimité

 

Tragédie de Jean Béhourt.

C’est la mort d’Hypsicratée, femme de Mithridate, Roi de Pont, qui ayant suivi ce Prince dans toutes ses traverses, s’empoisonna pour ne le pas survivre. Le sujet est pris de Plutarque dans la vie de Lucullus.

Cette Pièce fut représentée, aussi bien que la précédente, à Rouen au Collège des Bons-Enfants en 1597.

 

 

Thobie

 

Tragi-Comédie de Jacques Ouyn[247].

Voici une Pièce d’un Auteur compatriote de Béhourt, et qui peut entrer en parallèle avec lui. On trouve une histoire complète des deux Thobies, père et fils. Au quatrième Acte, le jeune Thobie arrive dans la maison de Raguel, et devient aussitôt épris des charmes de la belle Sarra. L’Ange Raphael, conducteur de Thobie, sous le nom d’Azarias, parle à Raguel en faveur de cet Amant trop timide.

AZARIE, à Raguel.

L’excellente beauté de votre fille unique,
Sa vertu, sa douceur, et sa grâce pudique,
Ont si bien enlacé le cœur de celui-ci,
Que si vous ne prenez souci de son souci,
Vous le verrez bientôt à la fin de sa vie.

Raguel représente à Azarias le funeste sort des précédents maris de Sarra : mais l’Ange le rassure par ce discours concluant.

AZARIE.

Monsieur, ne craignez point : les maris de Sarra
Sont tous morts l’ayant eue, et cet autre mourra
Si vous ne lui donnez : Vaut-il pas mieux qu’il meure
Avec elle content que mourir à cette heure ?

Au cinquième Acte, Azarie fait soumettre Thobie qu’il est temps d’aller chercher l’argent que son père l’a chargé de recevoir de Gabel. Ce jeune homme voudrait bien obéir, mais il ressent une peine extrême à quitter sitôt son aimable épouse.

THOBIE.

Ô grand Dieu immortel !
Je l’avais oublié : mais, mon frère Azarie,
De grâce, excusez-moi... Hé, vais-y, je te prie :

Azarie sort, et revient dans le moment accompagné de Gabel.

THOBIE.

N’ai-je pas entendu mon ami Azarie ?
Je le vois, je le vois... à propos je te prie
Racontez-moi comment Gabel s’est comporté ?
Quel discours a-t-il tenu ? Avez-vous apporté
L’argent qu’il nous devait ?... Vous me semblez tout blême ?
Que songez-vous ainsi ?

AZARIE.

Voilà Gabel lui-même.

Cette vue dissipe le soupçon que Thobie semble avoir conçu sur la bonne foi d’Azarie. Le reste est conforme à l’Histoire Sainte.

 

 

Clorinde ou le sort des Amants

 

Pastorale de Pierrard Poullet[248].

Voici en peu de paroles le sujet de cette Pièce, qui est en cinq Actes, et en Prose, et entièrement de l’invention de l’Auteur.

Une Magicienne poussée par sa seule malignité, emploie son pouvoir pour détruire Clorinde et son Amant ; et enfin jouit de la noire satisfaction de voir cette Bergère engagée par l’Hymen avec un autre Berger que celui qu’elle aimait. Cette Pastorale est encore plus méprisable, que le sujet n’en est bizarre.

 

 

Ésaü ou le chasseur

 

En forme de Tragédie de Jean Béhourt.

Le sujet est tiré du XXVIIe Chapitre de la Genèse, ainsi nous n’en rapporterons que le passage suivant, qui est le plus essentiel de la Pièce, puisqu’il contient l’action principale et une invention de l’Auteur, qui glosant sur la Sainte Écriture, ne veut pas que son Héros, ait vendu son droit d’aînesse, pour une chose aussi peu considérable qu’une écuellée de lentilles.

ÉSAÜ.

Donnez-moi donc, de grâce
Un peu de bon potage, et de bonne chair grasse,
Pour me remettre sur.

JACOB.

Qu’il ne tienne à cela
Que je ne vous secoure : avancez, en voilà :
Mais sous condition, que sans dol, et finesse,
Vous me viendrez céder tout votre droit d’aînesse.

ÉSAÜ.

Je vais bientôt mourir, que me servira-t-il ?
Je vous cède tout.

NACHOR, Ami de Jacob à part.

Voilà un tour gentil.

Cette Pièce fut représentée au Collège des Bons-Enfants à Rouen, le 2 Août 1598.

 

 

Jean Heudon

 

JEAN HEUDON[249], fils d’un riche Bourgeois de Paris, ayant fait connaissance au collège avec Jean Godard, devint peu de temps grand admirateur des Ouvrages de ce Poète. Celui-ci s’en apercevant avec plaisir, lui inspira le désir de versifier. Mais la nature qui, en donnant à Heudon le goût de la Poésie, lui en avait refusé le talent, y suppléa par le bien dont il fut pourvu dès sa naissance, et qui lui servit à s’attacher Godard, Poète très pauvre. Il fit donc accroire à Heudon que s’il voulait travailler, il réussirait infailliblement, et s’offrit même à lui prêter l’épaule pour monter sur le double mont. Heudon ajouta foi à ses promesses, et composa les Tragédies de PYRRHE, et de SAINT CLOUAUD, où malgré les corrections de Godard, on s’aperçoit aisément que son Élève était peu propre à la Poésie Dramatique. La première de ces Tragédies parut en 1598, et l’autre l’année suivante. On ignore le temps de la mort de ce Poète, Godard dans son Poème de l’Amitié qu’il lui adresse, nous apprend que cet Auteur infatigable avait entrepris un Ouvrage considérable, et capable de l’immortaliser. Voyez ci-dessus, page 421.

 

 

Pyrrhe

 

Tragédie de Jean Heudon.

Comme cette Tragédie est assez singulière, le Lecteur ne sera pas fâché que nous entrions un peu plus en détail, que pour les précédentes. Pyrrhe remplit le premier Acte des plaintes qu’il fait de l’infidélité d’Hermione, qui ne pense qu’à son cher Oreste.

Et ce qui fait encore que je déprécie
Cette rude beauté, cette fière Hermione.

Il joint quelques réflexions morales, car c’est en cela que notre Poète a voulu briller.

Les femmes de nature (ô l’étrange animal)
Sont ordinairement sujettes à ce mal,
De choisir en amour celui qui est le pire.

Au second Acte, Andromaque déplore les malheurs qu’elle a éprouvés depuis la ruine de Troie, étant devenue alors Esclave, puis Concubine de Pyrrhe, et maintenant Épouse d’Hélénus.

ANDROMAQUE.

Ô trois et quatre fois, plus que très fortunée
Celle qui au Pays sa misère a bornée
Sur la tombe ennemie ayant souffert la mort,
Et qui n’a comme nous été lotie au sort,
Pour entrer par après captive dans la couche
D’un superbe vainqueur, et Seigneur trop farouche,
Et lequel pour une autre, étant saoulé de nous,
Serve nous a baillé à un Esclave Époux.

Didaime effrayée d’un songe, où elle a vu Pyrrhus son fils poursuivant une Ourse à la chasse, et mise ensuite en pièces par le mâle de cet animal en demande l’explication à Hélénin.

HÉLÉNIN.

Jamais il ne devait par amour poursuivre
La rebelle Hermione, et enfin la ravir.
Elle est toute pareille à cette Ourse effroyable
Pour qui Pyrrhe laissa cette Serve[250] amiable :
Et Oreste ressemble à ce dangereux Ours,
Qui cherche à revancher le tort de ses amours.
Un jour on le verra venir à l’improviste,
De la même façon qu’il a fait à Égisthe.
Si bientôt on ne songe à y remédier.
À un tel homme il est dangereux se fier.

LYCOMÈDE.

Vos paroles nous sont à merveilles obscures.

HÉLÉNIN.

Et qui peut clairement voir les choses futures ?

DIDAIME.

Nous ne comprenons rien en vos dits ambigus.

HÉLÉNIN.

Voyez-les de plus près.

DIDAIME.

Ils sont par trop aigus.

HÉLÉNIN.

Si Pyrrhe ne rend tôt Hermione ravie,
Comme à son père, Amour lui coûtera la vie.

DIDAIME.

Las ! il faut lui donner avis de ce hasard.

Hermione ouvre le troisième Acte, en reprochant à Pyrrhus la cruauté avec laquelle il l’a arrachée à son Amant. Vous êtes injuste, lui répond le Roi, de me préférer un Prince sans mérite.

Et qui jamais ne fit
Preuve de sa valeur en guerre, ni conflit.

HERMIONE.

Sa vaillance n’est pas si faiblement petite :
Ni sa méchanceté si grande que vous dites.

PYRRHE.

C’est un homme rempli de toute impiété.

HERMIONE.

Il n’a jamais commis nulle méchanceté.

PYRRHE.

Non, il n’a seulement que massacré sa mère.

À la fin de cet Acte, Oreste et Pylade prennent des mesures pour assassiner Pyrrhus, et les mettent à exécution au suivant, dont la scène se passe à Delphes. Macarée, Pontife du Temple d’Apollon, gagné par Oreste, engage Pyrrhus à venir offrir un sacrifice. Oreste et Pylade suivent le Roi dans le Temple, tandis qu’un Messager qui reste sur le Théâtre, fait aux Spectateurs une description du combat et de la mort de Pyrrhus, comme si cet événement se passait sous ses yeux.

Au cinquième Acte, ce même Messager vient annoncer ce malheur à Didaime, prévenue déjà de la haine d’Oreste.

LE MESSAGER.

Madame, il est bien vrai, c’est lui qui l’a tué,
Et m’a par-devant vous puis après envoyé
Vous porter dans ce plat... Las ! je n’ose le dire,
Tant la pitié m’étreint.

DIDAIME.

Quoi ? la tête de Pyrrhus ?
Tu es bien empêché à me dire cela.

LE MESSAGER.

Madame, il est ainsi, regardez, la voilà.

DIDAIME.

Ah ! je sens que c’est fait : je suis morte, autant vaut.
Hélas ! je n’en puis plus, le pauvre cœur me faut.

Didaime tombe évanouie : le Messager, ce spectacle, fait ici une réflexion digne de l’Auteur qui le fait parler.

LE MESSAGER.

Ô bons Dieux ! que je sens en mon cœur de tristesse !
De voir tant endurer cette pauvre Princesse !
Las ! si j’eusse pensé tellement l’affliger
Je n’en eusse jamais été le Messager.

Didaime, revenue de sa faiblesse, veut terminer son tourment par une prompte mort.

DIDAIME, tirant son poignard.

C’est par trop vivre,
Entre lame pointue en mon ventre, et délivre
Mon corps de son esprit ; mon esprit de langueur.

Lycomède survient, et après avoir déploré ces tristes accidents, finit la Pièce par ces Vers.

LYCOMÈDE.

Mais ores, il me convient retirer dans mon Île,
Puisque mes ennemis maîtrisent cette ville ;
Et s’ils ont contenté leur haine, et leur courroux,
Impétrer d’eux vos corps, pour les garder des loups.

 

 

Clorinde

 

Tragédie d’Aymard De Veins.

Cette Pièce dont le sujet est tiré du Tasse, ne mérite aucun Extrait ; observons seulement qu’elle semble composée exprès en dépit des règles du Théâtre. On y trouve un Abrégé de l’Histoire de Tancrède, et de Clorinde, en cinq Actes. Après avoir cherché quelques Vers qui puissent mettre le Lecteur en état de juger de la capacité de De Veins pour la Poésie, nous ne pouvons lui présenter que ces deux-ci, que Clorinde, blessée mortellement par Tancrède, prononce en expirant.

Adieu, je vois le Ciel qui m’ouvre son allée :
Heureuse, je vais là reprendre ma volée.

AYMARD DE VEINS, Sieur de C*** était un Poète fort ignorant, qui composa, et fit imprimer en 1599, cette Tragédie de CLORINDE. On ignore qui il était, et le pays de sa naissance. Il paraît cependant qu’il avait suivi la profession des armes ; c’est ce qu’on peut conjecturer par le Vers suivant, qui commence un Sonnet qui lui est adressé.

Ce que tu composais au siège de Mayence.

Cette Tragédie est le seul Ouvrage que nous ayons de cet Auteur. On ne sait ce qui l’empêcha de faire paraître les deux autres qu’il avait promis, dans le premier desquels il voulait faire voir les religieuses Amours d’Olind et Sophronie : et dans l’autre les beautés, les ruses, et les allèchements de la belle Princesse Armide, amoureuse de Renaud.

 

 

Octavie, femme de l’Empereur Néron

 

Tragédie anonyme.

Quoique l’Auteur de cette Tragédie n’ait pas voulu se nommer, il nous apprend cependant que l’Anagramme de son nom est

Un à lui m’est à gré.

Mais comme cette Pièce ne mérite aucune Analyse, nous ne nous mettrons pas en peine de deviner le véritable nom d’un Auteur digne d’un parfait oubli.

 

 

Les Lacènes ou la Constance

 

Tragédie d’Antoine de Monchrétien.

Le sujet de la Tragédie est la mort de Cléomène, Roi de Sparte, prise de la fin de la Vie de ce Prince, écrite par Plutarque.

L’Ombre de Théricion vient annoncer à Cléomène qu’il verra bientôt finir son sort à la Cour d’Égypte. Sur cet avis le Roi de Sparte prend la cruelle résolution de s’arracher la vie de peur que ses ennemis n’en disposent à leur gré. Cette action convient à mon désespoir, ajoute-t-il,

CLÉOMÈNE.

Moi, qui d’un cœur plus grand que n’était ma Cité,
Vainquis, et mon bonheur, et mon adversité[251].

Au second Acte, Cratésicléa, mère de ce Prince, vient faire part aux filles de Sparte, de l’espérance qu’on lui a donnée de la douceur du Roi d’Égypte. Cette joie change en pleurs au troisième Acte. On vient dire à la Princesse que Cléomène n’est plus. Cratésicléa, au désespoir, paraît cependant encore plus inquiète de savoir si son fils a péri par une mort honorable.

CRATÉSICLÉA.

Que je crains qu’une corde à son col attachée

N’ait suffoqué l’esprit de sa gorge empêchée.

Phéax, soldat Lacédémonien qui fait ce récit, la rassure, ajoutant que Cléomène assisté d’un petit nombre d’amis, a succombé sous l’effort et la multitude des Soldats Égyptiens, après en avoir fait un sanglant carnage.

Acte IV. Cratésicléa reproche à ses femmes le soin qu’elles ont pris pour la retirer de l’évanouissement où la fatale nouvelle de la mort de Cléomène l’avait plongée. Une des Dames vient en diligence lui apprendre l’accident d’un des fils de ce Roi infortuné.

Votre fils s’est jeté d’une haute fenêtre
La tête contre bas : envoyez-le quérir.
Hélas ! Madame, il est en danger de mourir.

CHŒUR.

Au secours, au secours, compagnes, je vous prie.
S’il n’est encore mort, empêchons sa furie.

Le Roi d’Égypte arrive au cinquième Acte, et apprenant que Cléomène s’est soustrait à sa vengeance, la fait retomber sur la mère et les enfants de ce Roi, qu’il fait immoler, au lieu de Vaches et d’Agneaux.

 

 

Saint Clouaud

 

Tragédie de Jean Heudon.

C’est l’Histoire de la conversion de S. Cloud, fils de Clodomir, Roi de France. Elle est trop connue pour en donner un Extrait, d’autant plus inutile, que l’on doit être persuadé qu’Heudon était bien éloigné de vouloir réformer l’usage de presque tous les Poètes ses contemporains, qui pour éviter les frais d’une exposition, donnaient une Histoire complète des Héros de leur Tragédie, qui, à proprement parler, commençait, et était finie dans l’espace du cinquième Acte. Nous ne nous arrêterons ici qu’à quelques endroits singuliers.

Belleroche, Écuyer de Clotaire, vient demander à Clotilde sa dernière résolution sur le sort des trois fils de Clodomir, de souffrir qu’ils soient égorgés, ou renfermés dans un Cloître. La Reine qui ne peut croire que ses propres enfants s’abandonnent à cet excès de férocité, rejette absolument la dernière condition.

CLOTILDE.

Il n’est pas quelque Scythe, il n’est pas un Tartare :
Je ne l’ai pas conçu sur la rive barbare
Du Phase aux flots glacés, où la pucelle apprend
À meurtrir son germain, la mère, son enfant :
Je ne l’ai pas nourri dans les roches riphées
Qu’on n’aperçoit jamais du Soleil échauffées,

À son retour, Belleroche rend compte de sa commission. Je viens de voir la Reine votre mère, dit-il à Clotaire.

BELLEROCHE,

L’épée elle a choisie.

CLOTAIRE.

Elle veut voir de mort leur poitrine saisie

À ses enfants ?

BELLEROCHE.

Plutôt que de les voir tondus,
Et dedans un Couvent être Moines rendus.

CLOTAIRE.

Eh bien donc, son envie en sera tôt passée.
Elle veut voir la dague en leur gorge enfoncée ?
Elle les veut voir morts ? Et par le Dieu vivant,
Elle ne verra plus différer plus avant
Ce qu’elle a souhaité. Elle a droit, c’est ma mère,
Vraiment c’est bien raison que je lui obtempère.
Un Couvent lui déplaît ? Ils n’y entreront pas :
Le trépas lui agrée ? Ils auront le trépas.
Son vouloir sera fait.

Clotaire enfonce un poignard dans le sein de Théodoald, l’aîné de ses neveux. Le second, appelé Gontran, arrive, et pâlit à la vue du corps sanglant de son frère.

GONTRAN.

Mon Oncle, hélas ! pourquoi vous plaît-il que je meure ?

CLOTAIRE, le frappant de son poignard.

Ce coup vous l’apprendra.

Le troisième qui est Clouaud est sauvé par les soins du Comte d’Artois, ce jeune Prince va trouver la Reine, à qui il raconte la cruauté de ses Oncles, et surtout de Clotaire.

CLOTILDE.

Peut-on avoir sans plus l’âme tant impitoyable,
D’effrayer des enfants d’une peur si hideuse ?

CLOUAUD.

S’il s’en fut contenté, ce serait peu de cas.

Le Comte d’Artois survient, et tandis que lui et la Reine songent à la sûreté de ce jeune Prince, il les tire d’inquiétude :

CLOUAUD.

Ne vous tourmentez point pour mon regard, Madame,
Car je n’ai jamais eu ces grandeurs en mon âme,
Ils me veulent meurtrir afin de dominer ?
Mais dans une forêt je m’en vais confiner.
Qu’ils prennent mon Royaume, et qu’ils me laissent vivre.

Il finit par cette réflexion.

Voyant que ces grandeurs n’ont ni foi, ni pitié,
Or permettez-moi donc de m’en aller, Madame.

La Reine lui dit adieu, en pleurant, et le Comte d’Artois se charge de le conduire à un Hermitage.

 

 

Ulysse

 

Tragédie de Jacques de Champ-Repus.

Ce sujet tiré de l’Odyssée d’Homère, comprend le retour d’Ulysse dans Ithaque, et la façon dont il se vengea des Amants de sa femme. Rapportons les deux passages suivants, comme un échantillon de la Poésie de l’Auteur[252]. À la fin du premier Acte, allas conseille à Ulysse de se déguiser pour surprendre plus aisément ses Rivaux.

PALLAS.

Ôte-moi ces habits, cette pompe royale.
Ôte ce coutelas, prends un vieil habit sale.
Feins ce que tu veux servir : mais cependant il faut
Savoir bien endurer.

ULYSSE.

Madame, il ne m’en chaut.
Plutôt j’endurerai cent mille bastonnades ;
Puisque me conseillez leur dresser embuscades.

Au troisième Acte, Pénélope fatiguée des continuelles protestations amoureuses de ses poursuivants, s’informe à Laërte de la source et des effets de la passion qui les cause.

PÉNÉLOPE.

Mon Père, dites-moi (si vous avez loisir)
D’où s’engendre l’Amour ?

LAËRTE.

D’une passion folle.

PÉNÉLOPE.

Que peut faire l’Amour ?

LAËRTE.

Les sages il affole.

PÉNÉLOPE.

Et qu’est-ce que l’amour ?

LAËRTE.

C’est un enchantement.
Un doux venin couvert de morne pensement.

PÉNÉLOPE.

Combien dure l’Amour ?

LAËRTE.

Autant que fait la vie,

PÉNÉLOPE.

Peut-il durer toujours ?

LAËRTE.

Mourant, il reprend vie.

Convenons que l’Auteur aurait mieux fait de ne se pas proposer des questions qu’il résout si mal ; que cette conversation est tout à fait déplacée dans la bouche de Pénélope, qui est peinte ici un peu trop novice ; et que Laërte étant mort avant le retour d’Ulysse à Ithaque, était encore moins que l’Auteur en état d’y répondre.

 

 

Tragédie de la divine et heureuse victoire des Machabées sur le Roi Anthiochus

 

De Jean du Virey.

JEAN DU VIREY Sieur DU GRAVIER, était natif de la Basse-Normandie, aux environs de Caen. Il suivit la profession des armes dès l’année 1571, et s’étant attaché au Maréchal de Matignon, Lieutenant Général de la Province, ce Seigneur le fit entrer dans le service, et le protégea avec tant de bonté, qu’il obtint enfin pour lui le commandement de la Ville, et du Château de Cherbourg. Du Virey remplit assez bien ce poste, et passa le reste de ses jours à Valognes. Les guerres civiles étant apaisées, il employa ses heures de loisir à l’étude de la Poésie, pour laquelle il avait, à ce qu’il croyait, beaucoup d’inclination, mais aucun talent. Il entreprit une traduction en Vers du Livre des Machabées, et excité par l’exemple des Poètes Dramatiques de son temps, dont plusieurs étaient ses Compatriotes, il s’imagina qu’en détachant quelques centaines de Vers de son Poème, il pourrait en composer une Tragédie, qui à la vérité n’a ni règle, ni ordre, et qu’il intitula LA MACHABÉE. Il présenta cet Ouvrage à Madame la Maréchale de Matignon, épouse de son Bienfaiteur, avec une Épître Dédicatoire datée du 25 Mars 1596. Enhardi par ce coup d’effroi, Du Virey créa une seconde Tragédie, de la même manière que la précédente, sous le nom de TRAGÉDIE DIVINE ET HEUREUSE VICTOIRE DES MACHABÉES SUR LE ROI ANTIOCHUS[253], qu’il fit paraître en 1600, après l’avoir présentée et dédiée à Monsieur l’Évêque de Coutances : il avait menacé le Public, dans cette dernière Épître Dédicatoire, qu’il ferait peut-être voir le jour à son grand Ouvrage en entier, si le conseil de ses amis le jugeait à propos. Il y a lieu de croire que dans leur nombre, il s’en est trouvé quelqu’un pourvu d’assez de jugement pour l’en empêcher ; car Du Virey n’a jamais fait paraître que ces deux Poèmes.

 

 

Sichem, ravisseur

 

Tragédie de Jacques du Hamel.

Voici l’extrait de cette tragédie, qui, quoique mauvaise, peut-être regardée comme une des plus passables du temps. Le caractère de Sichem n’est pas sans mérite, et intéresse infiniment.

Au premier Acte, Émor inquiet de voir son fils Sichem accablé d’une affreuse tristesse, dont on ignore la cause, exprime ainsi sa douleur.

ÉMOR.

Ah ! Roi qui n’est plus Roi, mais serf de la fortune,
Roi, non plus Roi, mais serf de la caverne brune,
Roi, non plus Roi, mais bien la proie du Destin,
Roi, non plus Roi, mais bien du hasard le butin.
Roi, non plus Roi, mais, hélas ! un animal difforme :
Roi, qui ne retient plus de l’homme que la forme.

À peine a-t-il quitté la Scène, que Sichem arrive, et fait à Sobal son Confident, l’aveu de l’amour extrême qu’il ressent pour la belle Dina. Ce Confident surpris de la violence de ses feux, s’écrie

Où êtes-vous Sichem ?

SICHEM.

Hors de ma patience.

Cet Amant passionné enlève sa maîtresse au second Acte, et pour la consoler, et apaiser sa famille offensée, Émor, Sichem, et tous leurs sujets reçoivent la circoncision. Le troisième Acte, qui est assez long, est terminé par le Chœur des Sichimites, qui déplore le malheur des Peuples soumis aux caprices de leurs Princes : et après une peinture, mieux faite qu’on ne s’y serait attendu, du siècle d’innocence suit une chanson sur l’aveuglement des Amants.

Siméon et Lévi désirant tirer vengeance de l’outrage du fils d’Émor ouvrent l’Acte suivant en s’affermissant dans leur cruelle résolution.

LÉVI.

Tu sentiras que vaut la force de ce bras,
Sous lequel aujourd’hui tout mort tu tomberas.
Étonne infâme chair, ou plutôt ta charogne,
Sera pour le repas d’une vieille lionne.

SIMÉON.

Ce serait être à toi (sale bouquin) trop doux,
Qui t’enfermerait dans la panse des loups.

LÉVI.

Ils sont tous circoncis et voici la vraie heure
Qu’il faut que de Sichem toute la race meure.

SIMÉON.

Ils traînent languissants un corps demi pâmé,
Qui a vidé son sang par le lieu entamé.
Mais je leur tirerai, par le grand Ciel, j’en jure,
L’esprit déjà damné, par une autre ouverture.

Le massacre des Sichimites s’exécute à la fin de cet Acte, et au cinquième, Lévi et Siméon ramènent leur sœur, qui les yeux en pleurs, se jette aux pieds de Jacob.

DINA.

Ah ! Père, je partis d’avec vous pucelle ;
Mais tant que vous vivrez, vous ne me verrez telle.

Après avoir répandu des larmes, Jacob reprend les fils avec aigreur, et maudit leur violence.

LÉVI.

La mort me sera douce, après l’âpre vengeance,
Qui a puni le tort d’une exécrable offense.

 

 

L’Adamantine ou le désespoir

 

Tragédie de Jean le Saulx d’Espanney.

Atamalacq, Roi d’un pays voisin du Pôle Arctique, dit à Garamante sa femme, qu’il a promis la Princesse Bezemonde leur fille, à Selpion, Prince des Sauvages.

GARAMANTE.

Hélas ! d’autres amours la pauvreté est éprise.

ATAMALACQ.

Sans mon aveu ! de qui ?

GARAMANTE.

D’un Français, ce dit-on.

ATAMALACQ.

Pour l’y voir d’un beau poil duveter le menton ?
Ah ! non je ne veux pas approuver cette Farce.
Je serais un veau d’Inde.

Cependant Darimant (c’est le nom du Cavalier Français) va dans un bois pour y soupirer à loisir. Bezemonde conduite par Cilinde, Princesse de ses amies, et confidente de ses amours, arrive au même lieu, et lui demande le sujet de ses plaintes.

BEZEMONDE.

Qui peut à vos douleurs donner de l’allégeance ?

DARIMANT.

Je n’en puis espérer que par la jouissance.

BEZEMONDE.

Vous voulez, je le crois, de l’honneur abuser ?

DARIMANT.

Non, mais bien, s’il vous plaît, ce jour vous épouser.

CILINDE les faisant embrasser.

C’est assez mes amis, sans plus de cavillage,
Donnez-vous, comme Époux, la foi de mariage.Vous êtes mariés : ne reste que la nuit,
Pour éteindre vos feux.

Alfarin, Valet de Darimant, vient à l’instant annoncer que le vaisseau est prêt à mettre à la voile. Darimant se lève avec sa compagnie, et prend le chemin du port. Selpion survient, le Français met l’épée à la main et tue son rival, après en avoir reçu un coup mortel, dont il expire entre les bras de sa maîtresse, qui se perce le sein de dépit. On apprend qu’Atamalacq est mort subitement, de sorte qu’il ne reste plus que la Reine Garamante, pour faire enterrer tous ces personnages. Pourrait-on refuser à ce Poème le titre de Tragédie ?

JEAN LE SAULX D’ESPANNEY, Auteur de cette Tragédie, qui fut imprimée en 1600, la dédia à Messire Gilles de Seran, Seigneur d’Andrieu, de Canivet et d’Yclon. Comme la pièce est des plus faibles, d’Espanney qui s’en est aperçu, a cru devoir la faire précéder par les vers suivants, qui témoignent le peu de temps qu’il dit avoir employé à la composer, et la raison qui l’a déterminé à la rendre publique.

Sachez que dans trois jours.
J’ai parfini le cours
De cette œuvre amoureuse,
Pour plutôt la donner
À la nuit ténébreuse,
Que de l’abandonner.

Quoiqu’une telle fécondité dût faire craindre une multitude d’Ouvrages de cet Auteur, cependant on n’en connaît point d’autre que celui dont on vient de parler, soit qu’il n’ait pas eu le temps de les faire paraître, soit qu’il n’en ait pas eu la commodité.

 

 

Pryam, Roi de Troie

 

Tragédie de François Berthrand.

Juger de la Pièce par le titre, On croirait qu’elle ne contiendrait que la mort de Priam, et on se tromperait fort. L’Auteur[254] pour mettre les Spectateurs mieux au fait, fait entrer dans son action, toute l’Histoire de la guerre de Troie, en commençant par le Jugement de Paris, qui forme le premier Acte.

PARIS, regardant les trois Déesse.

Bons Dieux ! que j’ai d’amours ! Amour, que j’ai de Dieux
Dans le cœur, dans les os, dans le sein dans les yeux !

Au second, Paris comptant sur les promesses de Vénus, prend la résolution de ravir Hélène à Ménélas. Il voit cette Princesse dans l’Acte suivant. Hélène craignant que ce nouvel Amant n’ait pas assez de fermeté, montre quelque répugnance.

HÉLÈNE.

Serais-tu bien Thésée, ou quelqu’un de sa race ?
Lequel étant ravi des appas de ma grâce,
Me ravit par amour, puis après me rendit,
Et par armes jamais, soit, ne me défendit.
Sot, qui ne devait pas cette audace entreprendre,
S’il ne voulait aussi par armes me défendre

Le quatrième Acte, contient l’assemblée des Grecs au sujet de l’enlèvement d’Hélène, et le sacrifice d’Iphigénie.

Cette disposition d’Actes force l’Auteur, en supprimant entièrement ce qui se passa devant Troie, que l’on suppose être arrivé dans l’espace du quatrième au cinquième Acte, à remplir ce dernier par le récit que fait l’Ombre d’Hector, des malheurs et de la prise de cette Ville. Priam fait ensuite un monologue, sur le même sujet, mais l’arrivée de Pyrrhus interrompt un peu brusquement le fil de son discours.

PYRRHUS.

Tu radotes, Vieillard,
...
Tu as beau pendre au col l’idole à Jupiter,
Idole sans pouvoir, qui ne te peut ôter
Du danger qui te presse. Hé ! pauvre créature,
Penses-tu que les Dieux aient soin de la Nature
Ni de ce qui se fait entre nous ici-bas ;
De celui que l’on tue, ou que l’on ne tue pas ?[255]

En achevant ces mots, Pyrrhus lui perce le sein, et termine d’un seul coup la Tragédie, et la vie de ce Roi infortuné.

 

 

Les Amours de Dalcméon et de Flore

 

Tragédie d’Étienne Bellone[256].

D’Alcméon, gentilhomme d’une agréable figure, ayant osé lever les yeux sur De Flore, fille d’Atamente, Roi de Thèbes, lui fait en tremblant l’aveu de son amour. La princesse rejette d’abord ses propositions avec beaucoup de fierté, mais éprouve au même instant du même feu, elle se radoucit au point de donner un rendez-vous à son amant, qui, encouragé par cette marque de bonté, veut embrasser sa maîtresse, et voit avec joie que son audace ne lui déplaît pas.

DE FLORE.

Mon fils, tout est à toi, approche cette bouche.

DALCMEON.

Le Pactole n’a point de si riche présent.

DE FLORE.

Recommence, mon cœur.

Comme De Flore sait que le Roi veut la marier au Prince Lapside, pour éviter cet engagement, elle propose à Dalcméon de l’enlever avec Tramille, sa Confidente. Tandis que nos Amants se préparent à la fuite, l’Ombre du père d’Atamente, vient l’instruire de ce dessein. Le Roi profite de cet avis, et fait arrêter De Flore avec sa Compagnie.

ATAMENTE.

Viens, indigne objet, de ma mort le flambeau
...
Mais, qui est ce coquin ?

DE FLORE.

L’honneur des Cavaliers.

C’est un Prince parfait.

ATAMENTE.

Oui, en chose imparfaite.
Ôtez-moi ces coquins, arrachez cette peste :
Qu’on les fasse mourir, et puis qu’on s’en enquête.

Dalcméon supportant son malheur avec patience, n’est inquiet que du sort de sa Princesse, lorsque l’Ombre de l’Épouse d’Atamente, s’interrogeant au bonheur de sa fille, la ramène à ce Cavalier. Ces deux Amants se trouvant réunis, contre toute espérance, oublient le danger où ils sont, et profitant de leur liberté, vont ensemble dans une forêt, pour s’y entretenir avec plus de tranquillité. Atamente qui découvre leur retraite, vient troubler la joie qu’ils goûtent, et faisant saisir De Flore et son Amant, ordonne qu’on les jette dans une obscure prison.

ATAMENTE.

Attrapez ce vipère :
Attrainez, attrainez ; te voilà misérable.

DALCMÉON.

Sire, c’est à moi seul qu’appartient ce supplice.
...
Pardonnez, s’il vous plaît, Madame est innocente.

C’est ici que Dalcméon, désespérant de recouvrer sa Maîtresse, et sa liberté, prend la résolution de se percer le sein, et l’exécute en disant.

Adieu, Flore, mon cœur, et ma seule pensée.
Adieu, il faut laisser ce monde malheureux
Pour habiter le Ciel, séjour des Bienheureux.
Seigneur, c’est en tes bras que mon esprit j’envoie :
Ouvre le Paradis, et lui montre sa voie :
Mais j’écrirai ces vers, avant que de périr.
C’est un Amant qu’Amour a contraint de mourir.

De Flore s’empoisonne pour ne pas survivre à son Amant, et Tramille, après avoir reproché au Roi sa cruauté, dans les termes les plus forts, suit l’exemple de sa Maîtresse.

TRAMILLE.

Survie, monstre puant, que tout malheur t’arrive,
Tandis que je m’en vais sur l’infernal rive.

ATAMENTE.

Sus, Atamente, sus, en l’enfer dévalons...
Hé que faire en enfer ?.. Il n’y a point de supplice
Qui soit assez cruel, pour approcher mon vice.
Qu’on m’allume du feu, ...apportez des cordeaux :
Qu’on m’attache le col... Ha ! je sens des bourreaux
Qui pincent mon cœur, et tirent mes entrailles
Avecque des fers chauds et flambantes tenailles.
Chers, enfants, pardonnez à ma sévérité...
Secours, amis, secours... l’Enfer... ô cruauté,
A logé dedans moi une rage dépiste,
Qui veut que dans l’Enfer, mon corps se précipite.

ARCADE, son confident, pleurant.

Je vais suivre le Roi, faites porter ces corps
Pour les ensevelir dans la tombe des morts.

 

 

David ou l’adultère

 

Tragédie d’Antoine de Monchrétien.

David éperdument amoureux de Bethsabée, cherche vainement des moyens pour cacher son crime, et la grossesse de sa maîtresse. Urie qui a de violents soupçons sur la sagesse de sa femme, refuse obstinément de la voir. Pour tirer le Roi de cet embarras, Nadab, son confident, lui conseille de faire assassiner ce mari importun. Non, répond David, je sais un moyen plus assuré, je veux qu’Urie soit lui-même le porteur de l’arrêt de sa mort.

Ô le brave dessein ! la belle invention !

S’écrie Nadab. À la fin du troisième acte, Urie reçoit du Roi une lettre pour remettre à Joab. Au quatrième, on vient apprendre à David que les ennemis ont fait une vigoureuse sortie, mais qu’ils ont été repoussés avec la même vivacité. Le messager ajoute qu’Urie a perdu le jour dans cette action, après avoir donné des preuves éclatantes de sa valeur. Ce prince feint une douleur excessive à cette nouvelle.

Bethsabée fondante en pleurs, ouvre le cinquième acte. David s’approche pour la consoler, et trouve tant de grâces dans les larmes de cette belle veuve, que jaloux du sort d’Urie, il s’écrie avec transport.

Ton deuil, chère maîtresse, a trop longtemps duré.
Je voudrais être mort pour être ainsi pleuré.

Consolez-vous, lui dit-il, si le Ciel vous ôte un sujet, il vous rend un Roi. Peu de temps après arrive Nathan, envoyé de la part du Seigneur.

NATHAN, à part.

L’arrêt donné de Dieu, contre toi je prononce.
Je m’en vais l’aborder. À propos, je le vois.

David surpris à la vue du Prophète, lui demande le sujet de son arrivée. Nathan implore sa justice contre un seigneur violent, qui a enlevé une brebis qui compose tout le bien d’un pauvre homme. Le prince irrité contre cette injustice, demande quel est le criminel, qui a osé la commettre.

NATHAN.

C’est toi, faux hypocrite, hypocrite, c’est toi.

Le Prophète lui annonce ensuite les fléaux que le Ciel irrité va employer pour la punition de son forfait. Le Roi gémit, et confesse son péché. Ce n’est pas tout, ajoute Nathan,

L’enfant qui naîtra de cet engrossement,
Sera demain porté du ventre au monument.

David reconnaît l’énormité de son crime, et implore la miséricorde du Ciel, par une prière qui contient une paraphrase du Miserere.

 

 

ACTEURS

 

Nous croyons devoir terminer ce volume en rapportant quelques faits sur les Acteurs qui parurent sur la fin de ce siècle. Ce n’est que depuis 1600 qu’on commence à trouver les noms de ceux qui représentaient sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, et sur celui du Marais : mais ces noms, pour la plupart, ne sont accompagnés d’aucuns renseignements sur la naissance de ces Acteurs, sur les différents événements de leur vie, ni enfin sur leurs talents. Ainsi nous prions le Lecteur de nous accorder son indulgence sur la sécheresse de quelques-uns des articles suivants.

 

 

Marie Vernier

 

Femme de Mathurin le Févre, qui prit le nom de La Porte, lorsqu’il monta sur le Théâtre, est la plus ancienne Comédienne du Marais. Il y a toute apparence qu’elle était de la première Troupe qui s’y forma en 1600, car l’Abbé de Marolles dans ses Mémoires, à l’année 1616, en parle comme d’une Actrice prête à finir sa carrière pour le genre Théâtral : Voici les termes. « Et pour la Comédie, où il nous menait quelquefois, lorsque cette fameuse Comédienne, appelée la Porte, montait encore sur le Théâtre, et qu’elle se faisait admirer de tout le monde avec Valeran. »

 

 

Mathieu Le Févre, La Porte

 

Comédien du Marais, et mari de l’Actrice dont nous venons de parler, semble avoir été le chef de sa Troupe ; car dans la Sentence du 13 mars 1610, qui condamne les Comédiens représentants à l’Hôtel d’Argent au Marais, à payer aux Doyens, Maîtres et Gouverneurs de l’Hôtel de Bourgogne, trois livres tournois, par chaque jour de représentation ; La Porte y est seul dénommé pour les Camarades.

 

 

Valeran Le Comte

 

Acteur de la Troupe de l’Hôtel de Bourgogne[257] passa dans celle du Marais, où il joua avec la célèbre Demoiselle La Porte, ainsi qu’on vient de le voir par le passage des Mémoires de l’Abbé de Marolles que nous venons de rapporter. Valeran était en possession des premiers rôles de sa Troupe.

 

 

Jacques Resneau

 

Comédien de l’Hôtel de Bourgogne, ne nous est connu que par l’Arrêt du Parlement du 19 Juillet 1608, rendu entre Nicolas Joubert, Prince des Sots, et les Maîtres de l’Hôtel de Bourgogne, que nous avons rapporté plus haut.

 

 

Périne

 

Nom d’un personnage introduit dans les Farces qu’on représentait au commencement du siècle passé. L’Acteur qui avait adopté ce caractère, n’est point connu par son propre nom. Il jouait travesti en femme avec Gaultier Garguille. C’est ce que nous apprenons de deux passages de l’Abbé de Marolles. Le premier se trouve dans ses Mémoires à l’année 1616, où après avoir parlé de la Demoiselle La Porte et de Valeran, il ajoute : « Et que Périne et Gaultier étaient des originaux qu’on n’a jamais su imiter. » Le second est tiré du dénombrement des Auteurs, page 411. « Depuis la mort de Périne, qui de son temps, sous Valeran et La Porte, fut un personnage incomparable. »

 

 

Dame Gigogne

 

Caractère imaginé par un Acteur dont nous ne connaissons point le véritable nom, et qui succéda à celui qui avait joué le rôle Périne. L’Abbé de Marolles dans son dénombrement des Auteurs, page 411, parle de Dame Gigogne.

 

 

Le Docteur Boniface

 

Acteur de la Troupe de l’Hôtel de Bourgogne, qui ne nous est connu que sous ce nom de Théâtre, qu’il adoptait dans les Farces, et dans les pièces comiques.

 

 

La Fontaine

 

ÉTIENNE RUFIN, dit LA FONTAINE, Comédien, est nommé comme camarade et associé de Flechelle, La Fleur, et Belleville, dans la Sentence du 16 février 1622, rendue au profit des Confrères de la Passion. L’Abbé de Marolles en parle aussi dans ses Mémoires.


[1] Lycie. Voyez la Vie de Chevalet Tome II, page 259.

[2] ANTOINE CHEVALET, Auteur de ce Mystère, était selon Guy Allard* Gentilhomme de Dauphiné : sa famille, qui était établie à Vienne, Ville considérable de cette Province, portait pour armes de gueule au Cheval chargé d’argent : Il ajoute que Chevalet vivait en 1530. c’est en quoi nous croyons qu’il s’est trompé, puisque ce Mystère fut représenté dès 1527. peut-être après la mort de l’Auteur, dont on parle au titre du Livre, comme d’une personne qui n’est plus. Le Sizain suivant qui est à la fin de la première Journée nous fournit la date de la première Représentation.

« Quant à Pentecôte, ce fut le neuf, M. D. vingt et sept, ce fut fait neuf, ce présent Livre ; et en ce lieu et terre de Grenoble, ce fut joué son Mystère. Duquel finit la première Journée, nouvellement audit lieu imprimée. »

La seule édition que l’on connaisse de ce Mystère, est celle que cite du Verdier Vauprivaz**, et qui parut à Grenoble en 1530. C’est un petit in-folio, de 192 feuillets, ou 386 pages, à deux colonnes, qui peut contenir environ vingt mille vers. En voici le titre : « S’enfuir la Vie de Sainct Christofle élégamment composée en rime françoise, et par personnages, par Maître Chevalet, jadis souverain Maître en telle composition, nouvellement imprimée... Icy finit le Mystère du glorieux Sainct-Christofle, composé par personnages, et imprimé à Grenoble le vingt-huit de Janvier, l’an comptant à la Nativité de Nostre-Seigneur, mil cinq cens trente, aux dépens de Maître Anemond Amalberti, Citoyen de Grenoble. »

Quoique nous ayons dit T. II, p. 160, que Chevalet est loué en plusieurs endroits de son Ouvrage, on ne doit pas insérer de-là que nous prétendions le faire passer pour un excellent Poète : Ces louanges, pour être vraies, ne peuvent regarder la Poésie, qui est des plus faibles, et des moins correctes. On ne peut cependant lui refuser le talent d’avoir versifié avec une extrême facilité, et même d’avoir séduit quelquefois. Chevalet avait aussi beaucoup d’invention ; dont il a fait ici un grand usage ; car comme le sujet qu’il a traité est très peu connu, il a réparé amplement ce vide par la fécondité de son imagination. C’est par-là qu’il a mérité les éloges qu’on lui a donnés, avec assez de justice, si l’on considère la barbarie de son temps : Ces raisons nous ont aussi déterminé à étendre un peu cet Extrait, persuadé que le Public ne nous en saura pas mauvais gré.

* Guy Allard, Bibliothèque du Dauphiné, p. 71.

** Du Verdier, Bib. Françoise, p. 161.

[3] Ce langage singulier n’est autre chose que l’Argot en usage parmi les Filous, et les Archers : Il a eu le même sort de la Langue Française ; aujourd’hui nous entendons à peine le langage du XIVe et XVe siècle. L’Argot, ou le Jargon a changé aussi, Villon s’en est servi pour composer quelques Ballades, qui se trouvent, page 170 et suivantes de la nouvelle édition des Œuvres de ce Poète. Chevalet, Auteur plus récent le place ici très convenablement dans la bouche de deux fripons, qui après une fuite de crimes, dignes des derniers supplices, s’enrôlent dans les recrues que l’Empereur fait faire précipitamment, et où on reçoit indifféremment tous ceux qui se présentent. En comparant ce langage avec celui de Villon, on s’apercevra qu’il y a peu de différence. Cependant le célèbre Marot qui a donné une édition de ce Poète, avec ses corrections, n’a pas osé les hasarder sur ce Jargon. Au reste, Dioclétien paraît ici avec une fuite telle que pouvait alors avoir un Roi de France. Les anciens Poèmes Dramatiques fourmillent de pareilles bévues. Les Lecteurs peuvent aisément les remarquer.

[4] On peut voir de pareils sacrifices pages 20 et 462 du IIe Volume de cette Histoire, aux Extraits du mystère de sainte Barbe, et de la destruction de Troie.

[5] Nous avons remarqué* à quel usage nos vieux Dramatiques employaient les personnages de fou et de folle, et en quoi consistaient leurs discours : on croira aisément que ceux que l’Auteur leur fait ici tenir sont fort libres, puisque l’on regardait alors ces obscénités comme un agrément nécessaire à ces sortes de caractères, et que d’ailleurs elles étaient du goût de Chevaler.

* Tom. II pag. 30.

[6] Pour achever de donner une idée des Opérateurs du siècle auquel notre Auteur vivait, et de la façon dont ils attrapaient les dupes de leurs temps, nous joindrons les vers suivants, c’est Mauloue qui parle, et appelle le peuple.

Seigneurs, voici la pourtraiture
Du glorieux saint Alpantin*
Qui fut écorché d’un patin,
Le jour de Carême prenant.
Après voici saint Pimponant,
Avecques saint Tribolandeau,
Qui furent tous deux d’un seau d’eau
Décollés, dont ce fut dommage.
...
...
Si vous avez intention
De les avoir, je vous les baille
Les deux pour trois deniers et maille.
Mais toutefois argent content.
Un peintre n’en ferait pas tant
De bonnes couleurs, pour deux francs.
Avant, avant, petits enfants,
Vous n’en payez pas la façon.

* Voyez Rabelais Liv. II, Ch. VII, et la note de Duchat.

[7] Le moule.

[8] Nous supprimons les Scènes de l’Aveugle, dont on peut voir des exemples dans les deux premiers volumes de cette Histoire, et surtout journée II du Mystère de la Résurrection, de la composition de Jean Michel. Il suffit de dire que celui-ci recouvre la vue au même temps que S. Christofle, à la journée suivante.

[9] Ce passage apprend la véritable signification de ce mot, et de ses dérivés. On voit combien se sont trompés ceux qui l’ont expliqué autrement que par un lieu de débauche.

[10] L’Auteur qui s’est apparemment aperçu qu’il avait rempli cette journée d’une infinité de discours que nous n’avons pu rendre dans cet Extrait, a voulu faire connaître qu’il n’en avait usé ainsi, que pour inspirer plus d’horreur pour le vice qu’il y dépeint avec des couleurs, à la vérité un peu fortes ; c’est ce que signifie le Quatrain suivant qui se trouve à la fin de cette troisième Journée.

« Ici finit la tierce Journée,
« Nouvellement à Grenoble imprimée.
« Laquelle apprend que chacun ait la cure
« De se garder du vice de Luxure. »

[11] Pour me voici. Licence assez ordinaire dans ce temps.

[12] Pierre Sergent imprimait vers 1530. V. La Caille, Histoire de l’Imprimerie, p. 103.

[13] C’est un petit in-quarto, contenant feuillets, ou 122 pages, à deux colonnes, qui peut, comprendre environ dix mille vers.

[14] Suivant la tradition vulgaire, ce fut en Éthiopie que saint Matthieu vainquit les deux Magiciens Zaroés et Arphaxat : ces Enchanteurs ne périrent point ici, comme le dit notre Auteur ; ils passèrent à Babylone, et servirent par leur défaite, à illustrer le triomphe des Apôtres S. Simon et S. Jude. Voyez Abdias Livre VI, de son Histoire des Apôtres, et Vincent de Beauvais, Miroir Historial, Liv. IX, Chapitres 78, 79, et 80. Les Grébans ont été plus exacts, comme on le peut voir Livre VI, du Mystère des Actes des Apôtres, Tom. II, de cette Histoire, p. 417, et suivantes.

[15] Les Auteurs que nous venons de citer, nomment Quirin ce Prévôt de la Ville de Thessalonique : ils appellent aussi Myrmidonie, celle qui est ici sous le nom de Margondie.

[16] Vincent de Beauvais Livre IX, Chap. 70, de son Miroir Historial, dit que ce jeune homme était fils de Sostrate Macédonien, dont on a parlé (Tome II. p. 343) et qu’il avait été noyé avec trente-neuf de ses Compagnons, en revenant d’Italie. L’Auteur du Mystère, a voulu ennoblir ses personnages.

[17] Les Auteurs qui ont rapporté la Vie de saint André, la nomment Maximille. On peut voir sur ce sujet Abdias, Vies des Apôtres : Vincent de Beauvais, Miroir Historial, Livre IX, Chapitre 67 et suivants ; Surius au XXX de Novembre : et les sixième et septième Livres du Mystère des Actes des Apôtres.

[18] Voyez le Tome II de cette Histoire, pages 39, 65, et 337 et ci-dessous la Moralité du mauvais Riche et du Ladre.

[19] On peut voir Journée V du Mystère de sainte Barbe, dont on a donné l’extrait au commencement du second Volume, et Section VI et VII de la Moralité de bien avisé et mal avisé, un jeu de Théâtre semblable, qui donnera une idée complète de celui-ci.

[20] Pierre Sergent imprimait, comme on l’a déjà remarqué, vers l’an 1530. La Caille, Histoire de l’Imprimerie, p. 103. On trouve dans le Mercure de France, deuxième volume du mois de Décembre 1729, p. 2981, et suivantes, et Avril 1735, p. 698, deux Lettres sur les anciennes représentations des Mystères dans les Églises : et entre autres un assez long Extrait de celui qui portait le nom de saint Nicolas, tiré d’un Manuscrit du XIIIe siècle, que l’on conserve dans la Bibliothèque du Monastère de saint Benoît sur Loire. Suivant l’Auteur, ce Poème est composé en vers latins, on présume aisément de l’élégance du style ; il est divisé en quatre parties, que l’on peut nommer Actes ou Journées. La première contient le miracle de ce Saint, et sa charité envers les filles du pauvre homme, à qui il donna le moyen de se marier. La seconde présente le plus connu, qui est celui de la résurrection des trois petits enfants. Dans la troisième, on trouve l’Histoire du Juif, et la protection visible de S. Nicolas, qui empêcha le vol qu’on voulait lui faire. Le passage qui suit en donnant le détail de la décoration, nous instruit en même temps du sujet de la quatrième et dernière Partie.

[21] Ad reprasent andum quo, modo sanctus Nicolaus Getron filium de manu Marmorini Regis Agarenorum liberavit, paretur in competenti loco, cum Ministris suis armaris, Rex Marmorinus, in alta sede, quasi in regno sedens. Paretur in alto loco Excoranda civitas Getronis : in eâ Getron cum consolatricibus suis, uxor ejus Euphrosina, et filius ejus. Sir què ab Orientali parte civitatis Excoranda Ecclesia sancti Nicolai, in quâ puer rapietur. « Pour représenter de quelle manière S. Nicolas délivra le fils de Gétron de la main de Marmorin Roi des Sarrazins, il faut faire apparaître en lieu convenable le Roi Marmorin sur un haut siège, accompagné de ses Chevaliers armés, comme un Roi sur son trône. De l’autre côté on doit voir Excorande ville de Gétron, où sera Gétron, avec les femmes qui viennent pour le consoler, sa femme Euphrosine, et son fils. Du côté Oriental de la ville d’Excorande, il doit y avoir une Église de saint Nicolas, où on enlèvera l’Enfant. » C’est moins pour parler de ce Poème, qui n’est point de notre compétence, puisqu’il n’a été représenté que dans des Églises, que nous avons rapporté ce passage, que pour donner une idée du Mystère de saint Nicolas, que nous ne connaissons que par la citation de Du Verdier, et qui vraisemblablement, devait contenir à peu près la même chose.

[22] Ce Mystère est très différent de celui du même nom divisé en cinq Journées, dont nous avons déjà donné l’Extrait, et ne peut être confondu que par des ignorants, qui s’arrêtent au seul titre. Le premier, quoique supérieur en tout, n’a jamais paru imprimé : au lieu que celui-ci a eu trois Éditions. La plus ancienne est celle que cite Du Verdier* in-16, par Olivier Arnoullet, imprimeur de Lyon, qui vivait en 1584 : ** Pierre Rigaud le fit paraître depuis sous la même forme. Enfin vers le commencement du XVIIe siècle, il en parut une troisième Édition, sous le titre suivant, « La Vie de Madame sainte Barbe par personnages chez Nicolas Oudot demeurant en la rue Notre Dame au Chapon d’Or couronné. » C’est un in-16 contenant 58 feuillets, ou 116 pages, et environ 3500 vers.

* Page 135, de sa Biblioth. Française.

** Voyez le même Ouvrage p. 785.

[23] Nous avons dit, Notes b et l du Mystère de la Résurrection, composé par Jean Michel, à quel usage ces Prologues étaient employés, et par quels Acteurs ils étaient récités.

[24] Marcien n’était point Empereur. L’Auteur du Mystère de sainte Barbe en cinq Journées, a suivi, en cela plus exactement l’Histoire.

[25] Ce passage prouve clairement que c’est le commencement d’une seconde Journée. Nous passons légèrement le Martyre de sainte Barbe l’ayant détaillé plus au long dans l’Extrait de celui en cinq Journées.

[26] Cette folle est une fille de joie, comme on l’explique plus bas.

[27] Pour éclaircir ce terme le corps de la fille de jeu de Théâtre, nous la joindrons le passage qui suit, pris du Mystère de la Passion. C’est lorsque Jésus-Christ ordonne au démon Astaroth de quitter le corps de la fille de Cananée, on ajoute « Ici sort une fumée et un canon de dessous la Fille, et Astaroth sort de la fille. » Voyez le premier Mystère de la seconde Journée de la Passion. Tome I.

[28] On aperçoit aisément l’assemblage monstrueux des divinités qu’adore Dioscorus, que l’on fait ici idolâtre, Mahométan et Juif tous ensemble.

[29] Voici le titre entier de l’Ouvrage, à la fin duquel ce Mystère se trouve. « Chant natal contenant sept Noëls, un Chant Pastoral, et un Chant Royal avec un Mystère de la Nativité, par Personnages, composés en imitation verbale, et Musicale de diverses Chansons, recueillies sur l’Écriture Sainte, et d’icelle illustrés. Apud Sebastianum Gryphium, Lugduni. 1539. in-4°. Du Verdier Vauprivaz, pag. 109. de sa Bibliothèque Française s’est trompé en parlant de cet Ouvrage, qu’il dit in-8°.

[30] Ce Mystère de la composition de Barthelemy Aneau, dont nous avons donné la Vie, (Tome II, page 216.) contient environ trois cent vers. Il y a une chose à remarquer, qu’étant tout en Chansons, et sur des airs du temps, il se trouve le modèle de cette espèce de Poème Dramatique, à qui l’on n’aurait peut-être pas donné une telle antiquité.

[31] Imprimé à Lyon, Rue Mercière, par Pierre de Tours, 1542, in-8°. Cette pièce est de Barthelemy Aneau, Auteur de la précédente.

[32] Ce Mystère des trois Rois n’est point imprimé, quoiqu’en ait dit Du Verdier (page 635 de sa Bibliothèque). Il n’existe que Manuscrit ; nous n’avons pu le trouver que dans le Cabinet curieux de M. le Marquis de C*** à qui nous sommes redevables de plusieurs pièces rares. À la tête de cet Ouvrage est la note suivante, que nous transcrirons ici avec plaisir, en faveur des amateurs du Théâtre. « Ce Mystère est aussi rare qu’aucun de tous ceux qu’on recherche avec tant de soin ; J’ai tiré celui-ci d’un Manuscrit presque indéchiffrable. Le Farceur de cette pièce (car il

En fallait toujours un suivant le génie de ce temps-là) est un vilain, ou Paysan, à qui l’Auteur fait toujours parler un mauvais patois Languedocien, qui donne lieu à beaucoup d’équivoques, avec les Serviteurs des trois Mages.

« Il n’y a nulle division particulière en différents Actes, mais seulement des pauses qui annoncent ordinairement l’arrivée de quelqu’un des Personnages, et qui doivent par conséquent tenir lieu de Scènes. La devise ou le dicton de Jehan d’Abondance, était Fin sans fin. C’était parmi ces ouvriers, une espèce de signalement. »

[33] Ce Poème pourrait porter avec raison le titre du Mystère de Saint Jean l’Évangéliste, puisqu’en effet il contient la plus grande partie de la vie de cet Apôtre, et que les Révélations prophétiques contenues dans l’Apocalypse, ne forment ici qu’une espèce d’épisode détaché entièrement du reste de l’Ouvrage. Il est de la composition de Louis Chocquet, assez mauvais Poète, même pour son temps ; et fut représenté en 1541, à l’Hôtel de Flandres à Paris par les Confrères de la Passion, à la suite des Actes des Apôtres, et parut imprimé la même année à la fin de la seconde édition de ce Mystère. En voici le titre. « L’Apocalypse Saint Jean Zébédée, où sont comprises les visions, et révélations que iceluy Saint Jean eut en l’Île de Pathmos : le tout ordonné par figures convenables, selon le texte de la Sainte Écriture : ensemble les cruautés de Domicien César... Fin du Mystère de l’Apocalypse Saint Jean l’Évangéliste, nouvellement rédigé par Personnages, avec les miracles faits en l’Île de Pathmos, le tout historié selon les visions, et achevé ledit Livre d’imprimer le XXVIIe jour de Mai, l’an mil trois cent quarante et un, par Arnoul et Charles les Angeliers frères : in-folio gothique, avec des figures en bois. Environ neuf mille vers.

[34] Voyez sa Vie Tome II, p. 223.

[35] Ce Daru est le Bourreau banal du Mystère des Actes des Apôtres qu’on peut voir T. II de cette Hist. avec sa généalogie p. 349 du même Vol.

[36] Nous avons expliqué Note DD. des Mystères de l’ancien Testament, ce que qu’une Apparition, et à quel usage on s’en servait.

[37] Prochore.

[38] Ces Visions, qui sont au nombre de quatorze n’ont rien de singulier, et ne contiennent qu’un abrégé infidèle de celles de l’Apocalypse. Nous en supprimons le détail ; il suffira au Lecteur de savoir que ce sont comme des espèces de Tableaux que l’on présente à S. Jean, et dont cet Apôtre rend compte aux Spectateurs, en écrivant, ou plutôt en feignant écrire. Un Ange lui parle de temps en temps ; ceci se passe en interlocutoire. Nous avons expliqué dans les deux précédents Volumes, ce que signifie ce terme.

[39] C’est ici la seconde partie du Mystère de l’Apocalypse.

[40] Ce Mystère, et les trois suivants sont de la composition de Marguerite de Valois, Reine de Navarre, dont nous avons donné la vie, T. II, pag. 224. Ils furent imprimés avec les autres Poésies, par les soins de Simon de la Haye, sous le titre des Marguerites de la Marguerite des princesses, très illustre Reine de Navarre, in-8°, à Lyon, Jean de Tournes, 1547. Voyez la Bibliothèque Française de Du Verdier Vauprivaz, pag. 843. La Vérification de cette Princesse est assez bonne pour le siècle où elle vivait. Elle a mis de l’esprit et de l’invention dans ces Poèmes, mais elle affectait si fort les allégories, que les deux Farces de sa composition, (dont nous parlerons ci-dessous) en sont tout à fait inintelligibles. Nous croyons qu’elle avait pour en agir ainsi, des raisons, dans lesquelles nous ne voulons point entrer, et qui sont étrangères à notre sujet.

[41] Ce sujet se trouve traité avec quelque différence, dans les Mystères de la Conception, de l’Incarnation, que l’on a vus Tomes I et II et aussi dans le Mystère de la Nativité d’Aneau.

[42] Ce Mystère contient environ seize cents vers. On le peut voir d’une autre façon dans ceux de la Conception et des Trois Rois de Jean d’Abondance.

[43] La suite de ceci forme le sujet de la Pièce suivante intitulée La Comédie du Désert.

[44] S’enfuient les Noms des Personnages de ce présent traité, et premièrement,

DIEU LE PÈRE

JÉSUS

MARIE

THAMAR, Vierge

DINA, Vierge

ATHALIE, Vierge

LUCIFER

SATAN

ASMODEUS

BÉRICH

TITHINILUS

ZABULON, parent de Marie

MANASSEZ, parent de Marie

GABRIEL

MICHEL

RAPHAËL

CHÉRUBIN

URIEL

JEHAN

PIERRE

ANDRY

JACQUES le Grand

PHILIPPES

MATTHIAS

BARTHÉLÉMY

SIMON

JUDE

THOMAS

JACQUES, Mineur

MATTHIEU

PAUL

ABRAHAM

DAVID

ISAÏE

ISACHAR, Prêtre des Juifs

RUBEN, Juif

JOSEPH, IIe Juif

JACOB, IIIe Juif

LÉVY, IVe Juif

C’est un petit in-4° de cent cinquante-huit pages ; contenant environ deux mille cinq cents vers. L’Extrait de ce Mystère est ici hors de son rang. Nous en avons donné le titre Tome II, p. 455, tiré de la Bibliothèque François de Du Verdier : C’était tout ce que nous en connaissions. Depuis l’impression nous en avons recouvré un exemplaire, dont nous donnons l’Extrait que voici.

[45] Nous supprimons les Scènes des Diables, qui sont très fréquentes dans ce Mystère ; mais nous croyons devoir transcrire ici la procuration en question, qui est morceau singulier, digne de la curiosité des Lecteurs.

À tous ceux, et toutes celles
Qui se sont choses non pareilles
En Forteresses, Châteaux, Donjons,
Riches Palais, Châteaux, Maisons,
Lucifer Prince général
De l’horrible gouffre infernal.
Pour salutation nouvelle
Malédiction éternelle ;
Savoir faisons, qu’en notre Hôtel,
Où il y a maint tourment cruel,
En personnes sont comparus
Un grand tas de Diables plus drus
Que moucherons en air volant
Devant nous ; en constituant
Leur procureur irrévocable,
Fondé en puissance de Diable,
Satan notre conseil féal,
Lui donnant pouvoir général
De procurer toutes matières,
Soient parties, ou entières,
Dont il nous peut soustraire profit :
Premièrement par cet écriture,
De procurer pour gens d’Église
En simonie et convoitise
Soient Évêques ou Prélats,
Curés, Prêtres de tous États,
Qui sont soumis à notre Cour.
Et de procurer bref et court
Pour hautains Princes terriens,
Qui se gouvernent par moyens
D’orgueil et de présomption,
Qui ne quièrent que ambition
Pour vivre en plaisance mondaine,
Et n’ont jamais leur bourse pleine,
Sans point avoir de suffisance.
De procurer à toute instance
Pour le fait de tous faux marchands
Qui sont en terre, en mer, en champs,
Comme Merciers, Chaucetiers,
Taverniers, aussi Pantoufliers,
Pâtissiers, Bouchers, et Brassiers,
Conteurs de Cuirs, Tanneurs, Pareurs,
Teinturiers, Telliers, Tisserands,
Boulangers, Mangeurs connaissant
Quant leurs voisins sont une perte,
De procurer par voie experte
Pour Seillers, et pour Hôtellains,
Pour Mariniers de pitié plains,
Charpentiers, Manouvriers, Maçons,
Cordiers, Naveliers, et Charrons,
Serruriers, Pelletiers, Maréchaux,
Parmentiers, Marchands de Chevaux,
Et tous autres, conséquemment
Qui se mêlent de faussement
Communiquer leur marchandise.
De procurer par feinte guise,
Pour tous déloyaux Justiciers,
Praticiens et Officiers.
Comme Procureurs, Avocats,
Qui sont souvent mouvoir débats
Par fausses causes maintenir
Dont grands maux en peuvent venir.
De procurer pour les Sergents
Royaux, et à marche faisans
Aucune fois outre leur charge.
Et pour ce hautain pouvoir et large,
De procurer sans point d’arrêt
Afin que sans tenir long plaid,
Soient bientôt expédiées
Les causes de ces mariés
Que leurs femmes belles et bonnes
Laissent là pour ces matrones
Maintenir en concubinage,
Pour femmes qui leur mariage
Faussent aussi à leurs maris.
De tous nos amis dessudits
Et autres point ici nommés,
Dont nous sommes bien informés,
À Satan notre Conseiller,
Contre toute œuvre vertueuse
Tout ce, nous à la furieuse
Route défavorable, infernale,
Privé de grâce spéciale,
Donner à Satan ce pouvoir,
Sans jamais contre aller vouloir,
Lequel lui donnons pleinement,
Sans fin irrévocablement.
Donné en l’Hôtel des feuds
Puant, détestable, maudit,
En l’an de perdition,
D’humaine génération,
Scellé de cent mille Serpents,
De Crapauds enlacés dedans,
Pendant à deux crignes de Diable,
Signé de notre abominable
Secrétaire Tithinilus.

[46] Ces deux Auteurs vivaient sur la fin du seizième siècle, et composaient leurs Bibliothèques avant 1584.

[47] « La Diablerie de Saumur. La Passion à Personnages ainsi appelée, apparemment, par rapport à cinq ou six Démons, comme Lucifer, Satan, Belzébuth et autres, qui y jouèrent leurs rôles. On représentait à Saumur toutes sortes de Moralités, mais particulièrement celle-ci » : Du Chat, note 8. sur le XIIIe Chapitre du IV. Livre de Rabelais.

[48] Le Crucifiement de Jésus, Moralité. Idem, note 75. sur le VIIe Chapitre du II, Livre de Rabelais.

[49] « L’Invention Sainte Croix à six Personnages jouée par les Clercs de Finesse », Rabelais, Liv. II, Chap. 7. « Sans doute », ajoute le Sieur Du Chat « que du temps de l’Auteur, entre autres Moralités, comme on parlait alors, on avait représenté en public, à plusieurs Personnages l’Invention Sainte Croix. » Si ce savant Commentateur avait eu un peu plus de connaissance de nos anciennes Pièces, il aurait évité une erreur aussi grossière.

[50] Si cette pièce est le modèle des Poèmes de cette espèce pour le plan et la forme du sujet, il ne l’est pas pour le nombre des vers : Celle-ci excédant de beaucoup la quantité prescrite par les anciens Maîtres de l’Art. Gratian du Pont dans son Art de Rhétorique, nous apprend qu’une Moralité ne doit avoir que mille vers, ou douze cents, au plus.

[51] Cette Moralité est de la composition de Jean Molinet dont nous avons donné la vie Tom. II. pag. 201-202. Comme nous n’avons vu aucun exemplaire de cet Ouvrage, et ne le connaissons jusqu’à présent que par ce passage de Du Verdier, nous ne pouvons en donner un plus grand détail. Remarquons que le même Du Verdier a confirmé de plus en plus son ignorance sur les conforts de Poèmes : puisque rien de si commun dans les Moralités que de voir des personnages dont le nom soit latin, quoique cependant ils parlent français : on peut s’en convaincre en parcourant les suivantes, et celle de Bien-Avisé, Section VI.

[52] Pour donner plus d’ordre, et de clarté à notre Extrait, nous avons distingué cette Moralité par Sections, quoi que cette division ne soit pas dans l’Original.

[53] La première Édition de cet Ouvrage fut donnée par Verard en 1481, à la fin de laquelle on lit ces mots : « À l’honneur et à la louange de Notre Seigneur Jésus-Christ, et de sa très digne Mère, et de toute la Cour célestielle de Paradis, a été fait ce Livre appelé l’Homme pécheur, naguères joué en la ville de Tours, et imprimé à Paris par Anthoine Verard, Libraire, demeurant à Paris sur le Pont Notre-Dame, à l’image Saint Jean l’Évangéliste, ou au Palais au premier Pilier devant la Chapelle où l’on chante la Messe de Messeigneurs les Présidents. » In-fol, sur vélin avec des Miniatures, Il fut imprimé ensuite aussi in-folio, sous le même titre : « À Paris, par le petit Laurens pour vénérable homme Guillaume Eustace, Libraire, demeurant à Paris, tenant sa boutique en la Grant Salle du Palais, du côté de la Chapelle de Messeigneurs les Présidents ou sur les grands degrés par où on monte audit Palais du côté de la Conciergerie, à l’enseigne de Saint Jean l’Évangéliste. » La veuve feu Jean Treperel, et Jean Jeannot, rue Neuve Notre-Dame, à l’enseigne de l’Écu de France, réimprimèrent cette Moralité en 1529, quoique ces trois différentes Éditions ne soient que le même ouvrage. Nous sommes obligés d’avertir, que quelques-uns se sont avisés de les prendre pour trois Poèmes différents, ce qui est très faux. Au reste, cette Moralité peut contenir environ vingt mille vers. La Poésie en est très mauvaise.

[54] Le Lazare.

[55] Cliquette. On appelait ainsi la sonnette que les Ladres et Lépreux étaient obligés de porter pour avertir ceux qui se trouvaient sur leur chemin, de s’en détourner.

[56] Méseau. Mésel, Lépreux, Ladre.

[57] « La Diablerie, ou la grande Diablerie. On représentait autrefois à plus ou moins de personnages, des pièces de dévotion, dans lesquelles on faisait d’ordinaire paraître les Diables qui devaient un jour tourmenter éternellement les pécheurs endurcis. Ces représentations s’appelaient petite ou grande Diablerie. Petite, quand il y avait moins de quatre Diables : Grande, quand il y en avait quatre. D’où est venu le Proverbe : faire le Diable à quatre. » Le du Chat Noir (1) sur le IVe Chapitre du premier Livre de Rabelais.

[58] Ou d’Amernal. Voyez sa vie Tome II, p. 203.

[59] Cet Ouvrage a été imprimé depuis in-4°, sous le titre de la Grant Dyablerie, à Paris par la veuve feu Jehan Trepperel, et Jehan Jehannot, Libraire-Imprimeur, demeurant rue Neuve Notre-Dame, à l’enseigne de l’Écu de France. Il peut contenir environ vingt à vingt-deux mille vers.

Du Verdier Vauprivaz, page 275. de sa Bibliothèque Française, cite l’Édition de Michel le Noir, mais il se trompe de date, et la dit de 1508. à la page 270 de ce même Livre, cet Auteur parle d’un Ouvrage intitulé « La petite Diablerie, autrement appelée l’Église des mauvais, dont Lucifer est le Chef, et ses membres sont les Joueurs Iniques, Pécheurs, et Réprouvés : imprimée à Lyon in-seize, par Olivier Arnoullet, » mais on ne sait si c’est un Abrégé, ou un Ouvrage différent de celui dont nous parlons. Si Du Verdier était plus exact, nous aurions tort de former ces doutes.

[60] Le savant Naudé, qui connaissait assez bien ces sortes d’Ouvrages, n’a point hésité à le mettre au rang de nos anciens Poèmes Dramatiques. Après avoir parlé de quelques Poètes François, vivants avant le règne de François Ier. Il ajoute : « Si la Comédie de Pathelin a eu plus de vogue, et que Pasquier en a fait un Chapitre de ses recherches, voire même qu’elle ait été traduite en latin par Alexandrum Conimbertum, et imprimée à Paris, il y a plus de cent ans, ç’a été plus souvent à cause de la Moralité, et des intrigues, des finesses de la Femme, et du Berger, et de la diversité du langage, et autres considérations semblables, que pour être d’un style plus soutenu que les précédents. Si tu cherchais l’antiquité de notre burlesque François, dans ces représentations que l’on faisait autrefois par toutes les bonnes villes, les Histoires du Vieil et du Nouveau Testament, de la Passion de Notre Seigneur, ou de Sainte Catherine, et autres Saints, tu aurais beaucoup plus de raison : car il est impossible de traiter des matières de telle importance, avec une expression plus basse ni plus ridicule. Et je t’avoue n’avoir jamais lu le Mystère du Vieil Testament, joué à Paris, celui de la Passion représenté moult triomphantement à Angers ; Les Actes des Apôtres, que l’on s’étouffait pour voir en cette Ville, dans l’Hôtel de Flandres, l’an 1541. La Vengeance de Notre Seigneur, l’Homme pécheur, jouée à Tours, l’Homme juste et mondain : LA GRANDE DIABLERIE et semblables pièces, que Monseigneur Brigadier prit un soin particulier de recueillir, comme Du Moustié faisait les Romans, que je ne me sois souvenu aussi de ce Vers d’Horace : Spectatum admissi risum teneatis, Amici. »

[61] Les Scènes où les Diables paraissaient, faisaient tant de plaisir aux Spectateurs, qu’on ne doit pas trouver extraordinaire qu’Eloy d’Amernal ait voulu composer un Poème, où il n’introduit que des personnages de cette espèce. On peut voir que presque tous les Mystères, et les Moralités sont remplis de ces Scènes : une nouvelle preuve de ce goût, est l’aventure vraie ou fausse que Rabelais raconte du Poète Villon* « Sus ses vieux jours, il se retira à Saint-Maixent en Poitou, sous la faveur d’un homme de bien, Abbé du lieu. Là pour donner passe temps au peuple, entreprit faire jouer la Passion en gestes et langage Poitevin. Les Rôles distribuées, les Joueurs rassemblés, le Théâtre préparé. dit au Maire et Échevins, que le Mystère pourrait être prêt à l’issue des Foires de Niort, restait seulement trouver habillements aptes aux personnages. Le Maire et Échevins donnèrent ordre. Lui, pour un vieil Paysan habillé, qui jouait Dieu le Père, requit Frère Étienne, Secrétaire des Cordeliers du lieu ; lui prêter une Chape, et une Étole. Le Secrétain le refusa, alléguant que par leurs Statuts Provinciaux, était rigoureusement défendu de rien prêter ou bailler pour les Jouants. Villon répliquait que le Statut seulement concernait Farces, Mommeries, et Jeux dissolus ; et que ainsi l’avait vu pratiquer à Bruxelles, et ailleurs... Adoncques fait la montre de la Diablerie, parmi la ville, et le marché. Ces Diables étaient tous déguisés de peaux de loups, de veaux, et de béliers, passementées de têtes de mouton, de cornes de bœufs, et de grands havets de cuisine : ceints de grosses courroies, esquelles pendaient grosses cymbales de vaches, sonnettes de Mulets à bruit horrifique. Tenait en mains quelques bâtons noirs pleins de fuseaux : d’autres portaient longs tisons allumés, sur lesquels chacun carrefour jetait pleines poignées de paraffine en poudre, dont sortaient feu et fumée terrible... Villon voyant advenu ce qu’il avait pensé, dit à ses Diables, vous jouerez bien, Messieurs les Diables, vous jouerez bien, je vous assie : oh, que vous jouerez bien ; je désire la diablerie de Saumur, de Doué, de Montmorillon, de Langeais, de Saint-Espain, d’Angers, voire de pardieu, de Poitiers, avec leur parlouoire, au cas qu’ils puissent être à vous paragonés, etc.

* Rabelais, Liv. V, Chap. XIII. Voyez aussi Guillaume Bouchet Serée, 19page 124. de l’édition de Lyon.

[62] Dans le Prologue l’Auteur déclare le but de son Ouvrage. Un jour, dit-il, étant couché seul dans ma chambre, il me sembla qu’on me transportait aux portes des Enfers : et que j’entendais Satan, qui conversait familièrement avec Lucifer, et lui racontait toutes les ruses qu’il employait pour tenter les Chrétiens : car pour les Hérétiques, et les Infidèles, continuait-il, comme ils me sont dévoués, je ne m’en embarrasse guères. Le Diable, ajoute l’Auteur, croyant n’être entendu de personne, découvrait à son Maître toutes les ruses, sans déguisement. Et lorsque je fus de retour chez moi, continue Eloy d’Amernal, je pris promptement une plume, de l’encre et du papier ; et m’étant mis à écrire, je couchai sur le papier, non tout ce que j’avais entendu, mais seulement ce que ma faible mémoire avait pu retenir. Afin que les Chrétiens instruits des tours de Satan, puissent les prévenir, et les éviter.

[63] Nous ajoutons à ce que nous avons dit du Jeu des Enfants sans soucy, que leur Spectacle était ordinairement composé de trois pièces, dont la première était une Sorise, suivie d’une Moralité, terminée d’une Farce. Ce fut ainsi que Gringore fit paraître son Jeu de Mère sotte en 1511. La Moralité dont nous donnons l’Extrait, était précédée d’une farce, qui ne se trouve plus dans l’exemplaire, qui nous a été communiqué par feu M. Barré, Auditeur des Comptes ; elle est suivie d’une Farce, qui est celle des Savetiers, rapportée toute entière Tome II, page 124 de cette Histoire.

[64] Ce vers nous prouve que les Enfants sans soucy n’avaient point de Théâtre particulier pour y donner leurs Jeux : et qu’ils les exécutaient tantôt dans un endroit et tantôt dans un autre. À Paris, leur Théâtre était ordinairement aux Halles.

[65] On ne doit pas s’imaginer qu’une Moralité si longue ait jamais été représentée dans un seul jour. Il en était de ces Pièces comme des Mystères, qui lorsqu’ils étaient plus étendus se jouaient à différentes Journées. Voyez la Remarque (BB) de l’Extrait du Mystère des Actes des Apôtres.

[66] Justice divine paraît ici armée de trois grands dards, l’un vermeil, le second noir, et le troisième de couleur pâle, signifiant Guerre, Moralité, Famine. Au reste, nous avons déjà dit que Simon Bougoin, Auteur de cette Moralité, n’avait fait que paraphraser le sujet de celle du Bien-Avisé, et Mal-Avisé. Voici ce qu’en dit Du Verdier Vauprivaz, pag. 1136 de sa Bibliothèque Française. « Simon Bourgoin, Valet de Chambre du Roi, a composé l’Homme Juste, et l’Homme Mondain, avec le Jugement de l’Âme dévote, et l’exécution de la Sentence : le tout par Personnages, en nombre quatre-vingt-deux : imprimé à Paris in-8° par Anthoine Verard 1508. Du Verdier se trompe sur la forme du Livre qu’il annonce in-8°, mais on ne peut qu’approuver le jugement qu’il donne des vers de l’Auteur, qui non seulement composait, comme il l’accuse, en rime grossière, et en mauvais termes, mais qui, lorsque sa verve, toute basse qu’elle était, ne lui fournissait pas, ne faisait aucune difficulté de s’exprimer en prose : Voyez la vie de Bougoin, Tome II, pag. 204.

[67] On peut voir comment ce jeu de Théâtre s’exécutait Journée V du Mystère de sainte Barbe Manuscrit : Section VI et VII de la Moralité du Bien-Avisé, et Mal-Avisé ; Liv. IV du Mystère des Actes des Apôtres, et la Passion de saint André, dont on trouvera l’extrait au commencement de ce Volume.

[68] On voit par ce passage que nos anciens mettaient une différence entre les Cieux, et le Paradis, et qu’ils regardaient ce dernier endroit comme le séjour particulier de la Majesté Divine, et des Saints. Voyez la description du Paradis dans l’extrait du Mystère de l’Incarnation, Tome II. p. 403.

[69] Voici l’ordre et les noms des Saints et Saintes, à qui l’Âme dévote adresse ses prières. Les Anges, Chérubins, Gabriel, saint Jacques, saint Paul, saint Jean l’Évangéliste, saint André, tous les Apôtres, saint Jean Baptiste, saint Étienne, saint Sébastien, saint Laurent : À tous Martyrs, saint Nicolas, saint Claude, saint Antoine, sainte François, sainte Anne, la Madeleine, sainte Marguerite, sainte Catherine, sainte Barbe, sainte Apolline, sainte Geneviève, et à tous les Saints et Saintes.

[70] On peut trouver une description de l’Enfer dans nos notes sur le Mystère de la Résurrection de Jean Michel, Tome II, page 416. Ajoutons ici que tant cette description, que toutes celles qu’on a faites à ce sujet, sont copiées d’après la fameuse vision qu’un certain Hibernois appelé Tundall eut en 1149. Cette vision se trouve rapportée par Vincent de Beauvais, Miroir Historial, Livre XXVI, Chapitre 88, et suivants : et Miroir Moral, Livre II, Partie III. Distinction VI et par Denys le Chartreux, article 49 de son Livre des Quatre Fins de l’Homme, et article 21 de son Jugement de l’âme.

[71] L’âme étant purement spirituelle, ne peut avoir de forme qui tombe sous les sens. Cependant, comme nos anciens Poètes Dramatiques en introduisaient assez communément, on leur pardonnera aisément de leur avoir attribué un corps capable d’être aperçu des spectateurs. Nous avons des exemples fréquents, que les âmes bienheureuses étaient représentées par des personnages couverts d’un grand voile blanc. Au lieu que celles des réprouvés paraissaient sous de longues robes noires ou couleur de feu. Cette idée leur parut apparemment la plus convenable, car ils ne pouvaient ignorer ce que leurs prédécesseurs avaient écrit sur ce sujet. Sans vouloir entacher des citations, nous nous contenterons de rapporter le témoignage de Césaire*, Religieux du Monastère d’Heisterbach, qui vivait sous le règne de S. Louis, et qui, dans son temps, tant par la sainteté de sa vie, que par son érudition, passa pour l’ornement de l’Ordre des cisterciens. Ce Religieux, dis-je, rapporte qu’un certain Ecclésiastique, étant décédé, son âme fut portée par les malins esprits aux lieux destinés pour son supplice : mais que peu de temps après, par la miséricorde de Dieu, elle fut remise dans son corps, qui ressuscita dans le moment même, au grand étonnement de tous ceux qui assistaient à ses obsèques. Je passe le surplus du récit, pour venir à la question que fait à l’Auteur le Novice Apollonius, qui paraît étonné que cet Ecclésiastique, depuis sa résurrection, n’ait rien dit de la figure, ni des facultés de l’âme. C’est d’Heisterbach qu’il n’a pas manqué de faire, répond Césaire : car il assura qu’une âme est figurée comme une boule de verre de forme sphérique, ayant des yeux sur toute sa circonférence, possédant au reste une entière connaissance de toutes choses.

* Césaire d’Heisterbach, Histoires Mémorables, Liv. I, Chap. 32, pag. 45. Liv. IV, Chap. 39, p. 244. et Liv. VII, Chapitre 16, pag. 479.

[72] La condamnation du Banquet se trouve à la suite de la Nef de Santé, et du Gouvernail du corps humain. Deux Traités en prose, « imprimés à Paris par la veuve feu Jehan Trepperel et Jehan Jehannot, demeurant en la rue Neuve Notre-Dame, à l’enseigne de l’Écu de France, » in-4° gothique. La Moralité du Banquet commence à la page 49 doublée, et est à deux colonnes. Elle remplit 37 pages doubles, et peut contenir environ six à sept mille vers. Cet Ouvrage fut fait sous le règne de Louis XII. Car il est dit dans un endroit de la Nef de Santé « en l’honneur et excellence de Lois douzième Roi de France. » La première et la plus belle édition de ce Livre est celle d’Anthoine Verard, in-4°, à Paris, 1507. Du Verdier Vauprivaz, page 917 de sa Bibliothèque Française, cite celle de Philippe le Noir, Paris in-4° et la troisième est celle dont nous rapportons le titre, imprimée en 1511.

Au reste, cette pièce peut n’avoir pas été représentée : car voici comment l’Auteur s’exprime dans son Prologue. « Et pour ce que telles œuvres que nous appelons Jeux ou Moralités, ne sont pas toujours faites à jouer, ou publiquement représenter devant le simple peuple, et aussi que plusieurs aiment autant en avoir, ou ouïr la lecture, comme voir la représentation, j’ai voulu ordonner cet opuscule en telle façon, qu’il soit propre à démontrer à tous visiblement, par Personnages, gestes et paroles, sur échafaud, ou autrement, etc. » Cependant, nous nous sommes déterminés à l’insérer dans notre Histoire, à cause que les Comédiens de ce temps peuvent l’avoir adoptée, et qu’elle mérite d’être tirée de l’oubli où elle a été jusqu’à présent.

[73] Un Neret denier, fol. Le Neret était une petite monnaie valant un quart moins que le tournois : au lieu que le Paris valait un quart plus que ce dernier.

[74] Le Vin Muscat.

[75] Ceci semblerait être une chanson de table.

[76] Melons.

[77] « Le jeu du Prince des Sotz, et Mère Sotte joué aux Halles de Paris le Mardi gras l’an mil cinq cens et onze ». Après le cri* et la Sottise, suit la Moralité dont nous donnons l’Extrait, qui se trouve terminée par une Farce. Ces trois Pièces sont de Pierre Gringore**, dit Mère Sotte, Hérault d’Armes du Duc de Lorraine, Poète assez estimé dans son temps. Elles furent représentées pour la première fois le Mardi Gras 1511. Dans la forme que nous venons de dire. La Moralité peut contenir environ cinq cents cinquante vers.

* Voyez le Tome II, p. 1736.

** Voyez sa vie, Tome II. p. 206.

[78] Cette Pièce est comme l’on sait purement allégorique, et contient l’histoire des démêlés du Pape Jules II et du Roi Louis XII par l’ordre exprès duquel elle fut représentée.

[79] Ce sujet a été traité par plusieurs Auteurs. Les Grébans l’ont placé Livre V du Mystère des Actes des Apôtres. Un Anonyme en a composé une pièce, sous le titre du Trépassement de N. D. Nous avons rapporté ci-devant l’Extrait du Mystère de l’Assomption ; mais aucun de ces Poètes ne l’a pris de la façon de Parmentier qui ne s’est servi que du sens Mystique. Voyez la vie de Parmentier, Tom. II, p. 218 et la Biblioth. de Du Verdier, p. 737.

[80] Toute faible qu’est la vérification de Parmentier, elle lui a cependant acquis beaucoup d’honneur dans son temps, et dans le Recueil de ses Œuvres, à la fin duquel se trouve cette Moralité, on voit plusieurs Chants Royaux, qui avaient remporté le prix tant à Dieppe qu’à Rouen. D’un si grand nombre de Moralités, Farces, etc. que Pierre Crignon son Éditeur, nous assure qu’il avait composé il ne reste que celle-ci, dont la lecture nous console de la perte des autres.

[81] On ignore le nom de l’Auteur de cette Moralité, aussi bien que la date de l’impression. Du Verdier Vauprivaz, page 327 de sa Bibliothèque Français, en parle en ces termes. « L’Histoire de l’Enfant Prodigue par Personnages, imprimée à Lyon par B. Chauffard. » Comme l’Exemplaire que M. Gueulette nous en a communiqué manque de première page, nous n’avons pu distinguer si l’ouvrage dont nous parlons, est le même mentionné dans la Bibliothèque de Du Verdier, (et qui est antérieur à l’Arrêt qui a supprimé ces espèces de représentations) ou celui que la Croix du Mayne annonce sous le même titre, de la façon d’Antoine Tyron, et qui parut en 1564 sans pouvoir précisément éclaircir ce fait ; nous croyons cependant ces deux Ouvrages différents : et celui-ci comme composé vers les dernières années que les Moralités ont été représentées.

* La Croix du Mayne Bibliothèque Française, page 21.

[82] En cette présente Histoire sont douze Personnages, c’est-à-dire.

LE RUSTRE

LE PÈRE

LE PRODIGUE

LE MAÎTRE

LA MAÎTRESSE

LA GORRIÈRE

FIN-CŒUR-DOUX

L’ENFANT GÂTÉ*

LE FRÈRE AÎNÉ*

LE VALET DU PÈRE

L’ACTEUR*               

L’AMI DE BONNE FOI.

* Voyez L’emploi de ce Personnage, Tome II, page 384 et 422.

[83] Le sujet de cette Moralité est pris de la Parabole que Jésus Christ rapporte à ses Disciples, Chapitre XV, verset 11 et suivants de l’Évangile de S. Luc. C’est ce qui nous engage à abréger d’autant plus cet Extrait. À la fin de la pièce, qui peut contenir environ quinze cents vers, l’Auteur ajoute un discours en prose qui explique le sujet et le but principal de sa pièce. Il est à noter, dit-il, que lesdits Personnages sont trois principaux : le Père et ses deux Enfants : desquels le plus jeune est l’Enfant Prodigue. Et moralement ce Père est Dieu, et ses deux Enfants sont deux manières de gens au monde les uns bons et les autres pécheurs. Par l’Enfant aîné sont entendus les Justes, qui toujours demeurent avec Dieu leur père, par grâce et par l’Enfant Prodigue, les Pécheurs, qui dépensent les biens reçus de Dieu follement en volupté, et plaisance mondaine.

[84] Hoqueleur, Débauché avec excès.

Voyez l’explication du mot Hoquelerie Tom. II, pag. 105.

[85] Gorrière, Femme parée, fière de sa parure. La Grand’ Gorre, Habit magnifique des Dames, contre lequel les Prédicateurs du temps déclamaient vivement. Isabeau de Bavière, Reine de France, et femme du Roi Charles VI était appelée vulgairement la Grand’ Gorre.

[86] Espèce de sabre.

[87] Cette Moralité et les deux suivantes sont de la composition de Jean d’Abundance Bazochien, et Notaire du Pont Saint-Esprit, dont nous avons parlé, Tome II, p. 222. Outre ces Moralités qui, à la réserve du titre, nous sont inconnues : D’Abundance a composé le Mystère des trois Rois, dont on peut voir l’Extrait ci-devant page 47, et un autre sur ces paroles de l’Évangile, Quod secundum legem deber mori, et une farce intitulée La Cornette, dont nous rendrons compte.

[88] On pourrait s’imaginer qu’il y a ici une faute d’impression, mais nous croyons que l’Auteur a voulu personnifier Plusieurs, par un seul personnage.

[89] Cette Histoire se trouve en original dans le Livre des Abeilles de Thomas de Cantipré, Liv. II, Chap VII, Part. IV. Il assure qu’elle arriva en Normandie, et que cet Jean de Grand-Pont, Religieux Dominicain lui a affirmé avoir vu dans sa jeunesse ce misérable à Paris, portant sur son visage la terrible marque de la Justice Divine : mais il ne parle point de sa guérison. L’Auteur Anonyme du Miroir des Exemples, Titre des Pères et Mères, Exemple III, pages 787 et 788, rapporte la même Histoire, d’après l’Auteur ci-dessus. Ajoutez que César d’Heisterbach, Liv. VI, Chap. XXII de ses Histoires mémorables, en raconte une assez approchante, d’un jeune homme nommé Henry, qui usa d’une semblable ingratitude envers sa mère : mais au lieu du Crapaud, il sortit du pâté un Serpent qui s’entortillant autour de son col et de ses bras, le pressait de telle sorte, qu’il lui faisait sortir les yeux hors de leur place, et lui ravissait le meilleur de ce qu’on lui présentait pour sa nourriture. Césaire dit qu’il n’y avait que treize ans que ce malheur était arrivé, et qu’on promena ce jeune homme dans une charrette par toute la Province de la Moselle, cherchant inutilement le secours des Saints. Sa pauvre mère le suivait partout, et excitait la compassion de tous ceux qui les voyaient.

[90] On ignore le nom de l’Auteur ; car de dire, comme on l’avance dans les Recherches des Théâtres, que cette Pièce est d’Antoine Tyron, ce serait assurer un fait, qui n’a aucun fondement.

[91] « Or, une Farce n’a qu’un Acte de Comédie, et la plus courte est estimée la meilleure, afin d’éviter l’ennui, qu’une prolixité et longueur apporteraient aux spectateurs. Car, comme dit Gratian Du Pont, en son Art de Rhétorique. Quand Farces, ou Sottises passent cinq cents Vers, c’est trop. » Du Verdier, Bibliothèque Française, pag. 427.

[92] Du Verdier page 427 de sa Bibliothèque Français, a confondu mal à propos les Enfants sans souci avec les Historiens, puisque ces derniers n’étaient autres que des Comédiens de Province, qui parurent quelquefois à Paris, sur la fin du seizième siècle et s’y établirent enfin à l’Hôtel de Bourgogne, comme nous allons le faire voir dans la continuation de cet Ouvrage.

[93] Cet adjectif est donné à cause de l’espèce de Comédiens qui les représentaient, et qu’on appelait vulgairement Histrions.

[94] Les Acteurs qui jouaient les Farces avaient coutume de se frotter le visage de farine.

[95] Les Épithètes de Morale, etc. font assez connaître le but de ces Ouvrages : à l’égard de celle de Française, elle lui a été donnée à cause de la Nation, à qui elle doit son invention.

[96] Cet Adjectif se donnait assez ordinairement aux Farces. Voyez ci-dessous les Titres de celles des deux Savetiers, et de la Cornette.

[97] La grande réputation de cette Farce, pénétra jusques chez les Étrangers, en faveur desquels Alexandre Connibert en donna une Traduction en Vers Latins, qui fut imprimée à Paris en 1543, par Simon de Colines, pour François Étienne, sous le titre suivant : Patelinus nova Comœdia, alias veterator, è vulgari linguâ in Latinam traducta per Alexandrum Connibertum Legum Doctorem, et nuper quàm diligentissime recognita : ut conferenti cùm veteri. Exemplari planè nova, hoc est longè tersior, Latinisquè auribus gratior videatur. Cette Traduction est, à la vérité, assez exacte. On y a ajouté le Rôle d’un Acteur (personnage que l’on introduisait assez communément dans ce temps-là, et qui servait à faire remarquer aux Spectateurs les plus beaux endroits de la Pièce.

[98] Razes, usées.

[99] Croire, credere aliquid alicui. Prêter quelque chose à quelqu’un.

[100] Achoison, Occasion.

[101] Les Sergents étaient vêtus alors d’habits rayés aussi Thibault Aignelet, qui affectait ne connaître pas même un Sergent, ni les marques par lesquelles ils étaient reconnus, dit,

« Ne sais quel vêtement de royé,

Qui tenait un fouet sans corde. »

C’est-à-dire, une verge.

[102] Compain, Compagnon.

[103] Convenancer, Promettre.

[104] Tome II, p. 124 et suivantes.

[105] ACTEURS.

RAOULLET PLOYART, Vigneron.

DOUBLETTE, femme de Ployart.

MAUSECRET, Valet de Ployart.

LE SEIGNEUR DE VALLETREU.

FAIRE.

DIRE.

[106] Quoique cette pièce porte le nom de Comédie, cependant on ne peut la placer qu’au rang des Farces, puisque la véritable Comédie n’était pas encore connue, et que celle-ci n’a reçu ce nom qu’improprement ; comme les Comédies de la Nativité, de l’Adoration des Rois, des Innocents, et du Désert, dont nous avons rendu compte en parlant des Mystères, au rang desquels elles doivent être. Ces dernières pièces, ainsi que la Farce dont nous parlons, et la suivante, sont de la composition de Marguerite de Valois, Reine de Navarre, et sœur de François Ier. Voici les noms des Personnages de cette Farce, qui peut contenir environ neuf cent vers.

LA Ière FILLE.

LA IIe FILLE.

LA Ière FEMME, mariée.

LA IIe FEMME, mariée.

LA VIEILLE.

LE VIEILLARD.

QUATRE JEUNES HOMMES.

[107] ACTEURS.

BÉNÉFICE GRAND.

BÉNÉFICE PETIT.

PRAGMATIQUE.

ÉLECTION.

NOMINATION.

L’AMBICIEUX.

LÉGAT.

QUELQU’UN.

VOULOIR EXTRAORDINAIRE.

PÈRE SAINT.

PROVISION APOSTOLIQUE.

COLLATION ORDINAIRE.

UNIVERSITÉ.

LE HÉRAULT.

SOT DISSOLU.

ABUS.

SOT TROMPEUR.

SOTTE FOLLE.

SOT GLORIEUX.

SOT IGNORANT.

SOT CORROMPU.

[108] Pour être au fait du sujet de cette Pièce, il faut se transporter au temps où elle fut composée, et se rappeler les circonstances qui y ont donné lieu. Avant le Concordat, qui a décidé la question, celle de la Pragmatique était agitée avec beaucoup de chaleur et de vivacité. On sait que Louis XII la favorisait ouvertement. Ce fut par son ordre, et suivant ses intentions, que les Enfants sans souci composèrent et représentèrent cette Pièce, pour faire sentir des abus, que la prudence de ses Successeurs a su prévenir. Au surplus la Pièce est très rare, et presque inconnue, quoique Du Verdier en ait donné le titre, mais il la désigne si mal, que ce renseignement n’a jusqu’ici servi qu’à tromper ceux qui ne sont pas au fait de ce genre de Poésie. Le seul Exemplaire qui en soit venu à notre connaissance, est à la Bibliothèque du Roi, numéroté Y. 3121.

[109] L’Auteur du Menagiana*, après avoir rapporté le titre de la Pièce dont voici l’Extrait, et copié d’après la Bibliothèque Française de Du Verdier Vauprivaz**, ajoute que « Claude Barthélemi Maurisot a tiré de là l’idée du Conte, touchant Madame la Pragmatique, inséré dans un Roman Latin, intitulé Peruviana, où sous les noms du Pérou, il a caché l’Histoire du Cardinal de Richelieu, avec Marie de Médicis, et Gaston, Duc d’Orléans. Ce Conte étant sans difficulté le meilleur en droit du Livre, mérite d’être rapporté. Le voici, (continue-t-il,) » en Français.

« Il y avait en France une noble et riche veuve nommée Pragmatique, qui avait deux Filles à marier, toutes deux belles, mais de vertu équivoque. L’aînée s’appelait Élection, la Cadette Nomination. Forces amoureux les recherchaient en mariage. La Mère embarrassée sur le choix, s’adressa au Souverain Pontife et au Roi, pour savoir ce qu’elle avait à faire. Tous deux d’un commun avis, lui conseillèrent de donner l’Aînée à un jeune homme nommé Grand-Bénéfice ; et la Cadette à un autre nommé Petit-Bénéfice. Pragmatique en cette occasion, suivant le mauvais exemple de plusieurs Mères idolâtres de leurs filles, se dépouilla de tous ses biens en faveur des siennes. Les Noces se firent solennellement, et dans la suite du temps, les Mariées donnèrent plusieurs fois des marques de leur fécondité. Elles eurent chacune trois Enfants. Élection eut Abus, Simonie, et Impiété. Nomination eut Ignorance, Luxe et Dissolution. Pragmatique qui s’était épuisée pour l’avancement de ses filles, étant tombée dans l’indigence, priait humblement ses Gendres de la secourir au besoin. Ils s’excusaient l’un et l’autre sur leur famille nombreuse, sur la dépense qu’il leur fallait faire pour entretenir leur train, la parure de leurs femmes, les plaisirs tant ordinaires qu’extraordinaires où les engageaient leur condition. Qu’ils n’avaient pour toute ressource que l’attente de quelque libéralité, soit du Prince, soit du Pontife, promettant de ne pas manquer, s’ils venaient à en recevoir, d’en faire part à leur Belle-Mère. Pragmatique ne comptant pas beaucoup sur des promesses si vagues, fut réduite à chercher un autre moyen, de pourvoir à sa subsistance. Il y avait alors dans le Royaume deux sortes de Bêtes étrangères, l’une nommée Réserve, et l’autre Expectative. Elles avaient jusqu’alors vécu à discrétion, et terriblement multiplié ; personne dans l’État quelques désordres qu’elles y fissent, n’osant les écarter, ou leur courir sus. Pragmatique néanmoins, comme nécessité n’a point de loi, et que de deux maux on choisit toujours le moindre, encore aima mieux hasarder une irruption sur ces Bêtes toutes sacrées qu’elles étaient, que de se laisser mourir de faim. En ayant donc attaqué quelques-unes à son avantage, elle en fit une gorge chaude, et s’en trouva fort bien. Ensuite, y prenant goût, elle se mit à les poursuivre ouvertement, rôties, bouillies, peu lui importait ; c’était pour elle une pâture délicieuse. À son exemple, la Noblesse, et le Tiers État en voulurent tâter. Le mets leur parut excellent. Mais enfin la chasse étant devenue trop générale, il arriva de ces Bêtes comme des Loups d’Angleterre, à force d’en prendre, la race s’en perdit, et la pauvre Pragmatique retomba dans sa première disette. Le Pontife de son côté, ayant appris le carnage qu’on avait fait des animaux qui étaient sous sa protection, dépêcha au Roi des Légats pour tirer vengeance de l’injure. Les Seigneurs les plus qualifiés, pleins encore du souvenir d’une si douce proie, voulaient persuader au Prince de n’entrer ni près, ni loin dans cette affaire. Mais lui qui avait la Religion à cœur, étant informé des excès où l’affamée Pragmatique s’était portée, ordonna que pour punition de son crime, elle fût exposée à la fureur d’un cruel Lion. L’Arrêt étant prononcé, il ne restait qu’à conduire la criminelle au supplice : la question était de trouver un Ministre de cette exécution. Personne, pas même aucun des Bourreaux du lieu, ne se présentait pour cela. Le rang que la vieille Dame avait autrefois tenu en France la rendait encore vénérable aux yeux du Public : et peut-être malgré sa condamnation aurait-elle échappé, faute d’exécuteur, si l’un des Légats, homme barbare, nommé Concordat, expressément désigné pour cette fonction, n’eût menée l’infortunée jusqu’à l’arène de l’Amphithéâtre. C’est là qu’étant arrivée, elle fut livrée au Lion, qui s’étant battu trois fois les flancs de sa queue, et ayant autant de fois secoué sa crinière, se jeta sur la triste Pragmatique, la déchirant d’abord avec rage, et quittant aussitôt avec mépris, un corps maigre, et sec, qui n’avait que la peau et les os. »

En comparant ce passage avec l’Extrait que nous donnons de la Sottise du Nouveau Monde, le Lecteur jugera si Morisot a suivi bien exactement l’Original, et si son récit pourrait y suppléer, comme Ménage paraît le vouloir faire entendre.

* Menagiana. Tom. I. pag. 100. et suivantes.

** Du Verdier Vauprivaz, Bibliot. Fr, pag. 898. et 899.

[110] Cette Sottie ou Sottise, le Chef-d’œuvre de Pierre Gringore, était, comme on l’a déjà dit, suivie d’une Moralité. Et de la Farce intitulée Dire et faire, de la composition du même Auteur, qui y joua même un Rôle. Tout le monde sait que ces trois Pièces furent composées et représentées par ordre exprès du Roi Louis XII et peu de gens ignorent les raisons qui les occasionnèrent, aussi bien que les personnes qu’on y a voulu désigner. C’est ce qui fait que ce Poème étant le plus connu de ceux de cette espèce, nous serons plus succincts dans l’Extrait de cette Pièce, dont voici les Acteurs.

MÈRE SOTTE.

LE PRINCE DES SOTS.

LE SEIGNEUR DE GAYECTÉ.

LE PRINCE DE NATES.

LE SEIGNEUR DE JOIE.

LE SEIGNEUR DU PLAT D’ARGENT.

LE SEIGNEUR DE LA LUNE.

L’ABBÉ DE FRÉVAULX.

L’ABBÉ DE PLATE BOURCE.

LE SEIGNEUR DE PONT-ALLETZ.

LE GÉNÉRAL D’ENFANCE.

SOTTE COMMUNE.

SOTTE OCCASION.

SOTTE FIANCE.

COURLIEU.

LE DROIT, PREMIER SOT.

LE DEUXIÈME SOT.

LE TROISIÈME SOT.

[111] C’est le même Jean du Pont-Allais, Auteur, et Acteur célèbre entre les Enfants sans souci dont nous avons parlé Tome II, pag. 208.

[112] Tome I, p. 52.

[113] « Par devant Jehan Allart et Philippe Palanquin, Clercs et Notaires du Roi notre Sire, en son Châtelet de Paris, fut présent honorable homme Sire, Jehan Rouvet, Marchand Bourgeois de Paris, lequel de son bon gré a confessé avoir baillé et délaissé à titre de rente annuelle et perpétuelle, du tout dès maintenant, et à toujours, et promet garantir de tous troubles et empêchements quelconques à honorables hommes Jacques le Roi, et Jehan le Roi, Maîtres Maçons, Hermant Jambefort, Maître Paveur et Nicolas Gendreville Conducteur du Charoy, et de l’Artillerie du Roi notre Sire, Bourgeois de Paris, à présents Maîtres et Gouverneurs de la Confrérie de la Passion et Résurrection de N. S. J. C. fondée en l’Église de la Sainte Trinité de cette Ville de Paris, grande Rue Saint Denis, présent preneurs audit titre... une masure contenant dix-sept toises de long, sur seize de large, assise en cette Ville, en l’Hôtel de Bourgogne, n’a guères par icelui Jehan Rouvet bailleur, acquis le Mardi dix-huit Mars mil cinq cent quarante-quatre, pour d’icelle masure jour à toujours par la dite Confrérie, Maîtres et Gouverneurs présents et à venir d’icelle, moyennant la somme de deux cent vingt-cinq livres tournois de rente annuelle, et perpétuelle ; et ont lesdits Preneurs promis, garanti, promettent et gagent par ces présentes, rendre et payer audit Rouvet ses hoirs et ayants cause, ou au porteur, dorénavant par chacun an, aux quatre termes en l’an Paris accoutumés. Fait et passé le Jeudi trente Août mil cinq cent quarante-huit. »

[114] Voyez cet Arrêt, Tome II, p. 13. et suiv.

[115] Les Confrères de la Passion ne pouvant même exécuter les nouvelles pièces qui ne convenaient plus au titre religieux qui caractérisait leur Compagnie, acceptèrent les offres d’une troupe de Comédiens, qui se forma pour la première fois, et qui prit à loyer le privilège de l’Hôtel de Bourgogne. Les Confrères s’y réservèrent seulement deux loges, pour qu’eux, et pour leurs amis : elles étaient les plus proches du Théâtre, distinguées par des barreaux : On les nommait les Loges des Maîtres. Histoire de la Ville de Paris, Tome II. Liv. XX. En mettant un intervalle de plus de trente ans, entre l’origine de l’Hôtel de Bourgogne, et cette Troupe de Comédiens, dont on parle ici, tous les faits sont vrais ; c’est ce que nous éclaircirons plus bas.

[116] Ronsard, qui le suivit*, par une autre méthode.Réglant tout, brouilla tout, fit un art à sa mode
Et toutefois longtemps eut un heureux destin.
Mais sa muse, en français, parlant Grec, et Latin,
Vit dans l’âge suivant, par un retour grotesque,
Tomber de ses grands mots le faste pédantesque. Despreaux.

 * Marot.

[117] Jean de la Taille, Poète Dramatique qui vécut du temps de Ronsard, va nous apprendre le respect que l’on avait pour les Poésies. « Mais pour revenir à mon frère, voyant en lui un entendement et savoir plus grand que le commun, et qu’aussi par son destin commençant à suivre Apollon, et les Muses, faisant ses vers Latins et Français, je lui voulus ouvrir davantage l’esprit, et lui donnant goût de la Poésie, par les œuvres de Ronsard, je lui communiquai tout ce que je savais de l’Art Poétique. » Par ce que nous apprend la Taille : on doit juger que les autres Poètes pensaient à peu près de même. C’est ce qu’on verra dans la vie de ces mêmes Poètes.

[118] « L’invention n’est point du vieux Ménandre,
« Rien d’étranger on ne vous fait entendre
« Le style est noble, et chacun personnage
« Se dit aussi être de ce langage.
« Sans que brouillant avec nos Farceurs,
« Le saint Ruisseau de nos plus saintes Sœurs,
« On moralise un Conseil, un écrit,
« Un temps, un tout, une chair, un esprit,
« Et tel fatras, dont maint et maint folâtre
« Fait bien souvent l’honneur de son Théâtre.

Grevin dans le Prologue de sa Trésorière, s’explique encore plus clairement.

Non ce n’est pas de nous qu’il faut
Pour accomplir cet échafaud,
Attendre les Farces prises,
Qu’on a toujours moralisées :
Car ce n’est notre intention,
De mêler la Religion
Dans le sujet des choses feintes ;
Aussi jamais les lettres saintes
Ne furent données de Dieu,
Pour en faire après quelque jeu.
Celui donc qui voudra complaire
Tant seulement au populaire,
« Celui choisira les erreurs
« Des plus ignorants bateleurs...
« Quoi ? demandez-vous ces Romans.
« Jouez d’une aussi sotte grâce,
« Que sotte est cette populace,
« De qui tous seuls ils sont pris ?
« Vous êtes bien mieux avisés...
« N’attendez donc en ce Théâtre
« Ni Farce, ni Moralité,
« Mais seulement l’antiquité,
« Qui d’une face plus hardie
« Représente la Comédie, etc.

[119] En Janvier 1554.

[120] Lettres d’amortissement accordées par le Roi Charles IX, aux Confrères de la Passion, pour l’acquêt d’une portion de l’Hôtel de

Bourgogne.

« CHARLES, par la grâce de Dieu, Roi de France, à tous présents et à venir, Salut. Savoir faisons, Nous avons reçu l’humble supplication de nos chers et bien-aimés les Doyen, Maîtres et Gouverneurs de la Confrérie de la Passion de N.S. J.C. contenant que feu de bonne et louable mémoire, le Roi Charles VI, notre Prédécesseur, que Dieu absolve, pour certaines bonnes causes à ce le mouvant, créa, et institua dès l’an 1402 ladite Confrérie, à laquelle il donna et concéda plusieurs beaux privilèges, franchises, et libertés, à plein contenus et déclarés par les Lettres de chartres de notre dit Prédécesseur, qui leur auraient successivement par nos Prédécesseurs Rois été dûment confirmés et continués, même par le feu Roi Henri, notre très honoré Seigneur et Père, que Dieu absolve, du vivant duquel, et dès le 30 août 1548, lesdits Suppliants pour le bien et augmentation d’icelle Confrérie, acquis d’un nommé Jehan Rouvet, Marchand, demeurant en notre dite Ville de Paris, une belle masure, et place assise en icelle Ville en l’Hôtel de Bourgogne contenant dix-sept toises de long, sur seize de large, tenue et mouvant de nous à la charge de payer par chacun an à notre Recepte ordinaire dudit lieu la somme de seize livres parisis de cens et rente, etc. ainsi qu’il est plus au long déclaré par le Contrat ; pour raison de laquelle vente et acquisition, et des lods et ventes qui nous en peuvent être dus à cause d’icelle, notre Substitut de notre Procureur Général en la Chambre de notre Trésor à Paris les aurait pu certain temps mis en procès en ladite Chambre... Pour ce est-il que Nous désirons le bien et augmentation d’icelle Confrérie, et autres bonnes considérations à ce Nous mouvant, avons permis, accordé et octroyé, permettons, accordons et octroyons, Voulant, et Nous plaisant de grâce spéciale, pleine puissance et autorité Royale, par ces Présentes, que lesdits Suppliants et leurs successeurs Doyens, Maîtres, et Gouverneurs de ladite Confrérie, puissent en leur Loi se tenir et posséder perpétuellement et à toujours, ladite masure, ensemble les bâtiments et édifices susdits, jouir et posséder par iceux Suppliants, et leurs dits successeurs à quelque valeur et estimation que le tout se puisse montrer, comme choses amorties, et indemnisées, et lesquelles nous amortissons et indemnisons du tout dès à présent, et à toujours, et icelle dédions à ladite Confrérie ; et laquelle finance et indemnité, pour le regard d’icelui amortissement ensemble tous et chacun les droits de relief, et lods et ventes, et autres droits Seigneuriaux qui nous peuvent ou pourraient être dus, tant pour raison dudit amortissement, que de ladite acquisition, à quelque somme valeur, et estimation que le tout se puisse monter, revenir, Nous avons aussi lesdits Suppliants, en faveur que dessus donné, quitté, et remis, donnons, quittons, et remettons par ces Présentes, à la charge de nous payer, et continuer... ladite somme de seize livres parisis de cens et rente seulement. Si donnons en mandement, etc... Donné à Moulins au mois de Janvier l’an de grâce mil cinq cents soixante et six, et de notre Règne le six. Signé, CHARLES, et sur le repli, par le Roi. De l’Aubespine, et scellé de cire verte sur lacs de soie rouge et verte, Registrées en la Chambre des Comptes le vingt-cinq février 1567. »

[121] Du Vendredi vingt Septembre 1577. « Vu par la COUR, la Requête à elle présentée par les Doyen et Maîtres de la Passion, fondée en cette Ville de Paris, par laquelle, attendu que plusieurs privilèges des Rois, confirmés par Arrêts de ladite Cour, leur aurait été permis exhibé au peuple certains Jeux anciens, Romans, et Histoires aux jours accoutumés, après le Service Divin, ils requéraient leur être permis exhiber lesdits Jeux en la forme et manière accoutumée à eux préférée par les Arrêts de ladite Cour, en défendant à tous de les troubler, ni empêcher, à peine de mille livres parisis ; Vu aussi l’Arrêt obtenu par lesdits Suppléants le 17 novembre 1574, ensemble les conclusions et consentement du Procureur Général du Roi, et tout considéré : LA COUR, ayant égard à ladite Requête, et conformément audit Arrêt, a permis, et permet aux Suppléants de jouer en la manière accoutumée, pourvu que ce ne soit point pendant le Service Divin, et à l’heure qu’on ne le puisse empêcher ; et à la charge qu’ils ne commenceront qu’à trois heures sonnantes, et qu’ils répondront des scandales qui pourront advenir, suivant ledit Arrêt. »

[122] « Du Samedi 6 Octobre 1584 Ce jour, ouï, le Procureur Général du Roi en ses conclusions et remontrances, a été arrêté, et ordonné, que présentement tous les Huissiers d’icelle se transporteront au logis des Comédiens, et du Concierge de l’Hôtel de Cluny, près les Mathurins, auxquels seront faites défenses par Ordonnance de la Chambre des Vacations, de jouer leurs Comédies, ni faire assemblée en quelque lieu de cette Ville, et Faubourgs que ce soit ; et au Concierge de Cluny les y recevoir, à peine de mille écus d’amende ; et à l’instant a été enjoint à l’Huissier Bujot d’aller faire ladite signification et défenses. »

[123] Ces Italiens étaient depuis longtemps en France. Henry III les avait fait venir de Venise. On les appelait les Gelosi. Ils jouèrent d’abord aux États de Blois en 1577, ensuite à Paris à l’Hôtel de Bourbon en 1588, où ils représentèrent malgré l’Arrêt du Parlement du 10 Décembre de la même année. Cette Troupe trouva le moyen de rester en France, jusqu’à vers 1600 mais comme ceci ne regarde point notre Histoire, nous ne suivrons point les progrès, et la fin de cette Troupe.

[124] Voici ce qu’on trouve dans un Livre intitulé : Remontrances très humbles au Roi de France du nom, imprimé en 1588 à l’occasion des États Généraux que ce Prince venait de convoquer, et qu’on appelle communément les Seconds États de Blois, « Il y a encore un autre grand mal qui se commet et tolère en votre bonne Ville de Paris, aux jours de Dimanches et de Fêtes ; ce sont les Jeux et Spectacles publics qui se font lesdits jours de Fêtes et Dimanches, tant par des Étrangers Italiens, que par des François, et par-dessus tous, ceux qui se font une cloaque et maison de Satan, nommée l’Hôtel de Bourgogne, par ceux qui abusivement se disent les Confrères de la Passion de J. C. En ce lieu se donnent mille assignations scandaleuses, au préjudice de l’honnêteté, et pudicité des femmes, et à la ruine des familles des pauvres artisans desquels la Salle basse est toute pleine, et lesquels plus de deux heures avant le Jeu, passent leur temps en devis impudiques, en jeux de dés, en gourmandises, et ivrogneries, tant publiquement, d’où deviennent plusieurs querelles et batteries... »

[125] Nous tirons la preuve de ce que nous avançons ici, des Lettres Patentes du Roi Henri IV données aux Confrères de la Passion au mois d’Avril 1597et de l’établissement d’une seconde Troupe Française au Marais du Temple, dans une maison, dite l’Hôtel d’Argent. C’est de quoi nous parlerons plus bas.

[126] Histoire de la Ville de Paris.

[127] Traité de la Police du Commissaire La Mare.

[128] « Du 28 Novembre 1598. Vues par la COUR les Lettres patentes du Roi, données à Paris au mois d’Avril 1597, par lesquelles ledit Seigneur inclinant à la supplication des Maîtres, Gouverneurs de la Confrérie de la Passion et Résurrection de la Trinité à Paris, leur confirme, ratifie et approuve les privilèges, libertés, et exceptions à eux accordés par les Rois ses Prédécesseurs, pour en jouir, et user, comme ils en ont ci-devant bien et dûment et justement joui et usé, et encore sont à présent ; leur donnant de ce nouvel, (en tant que besoin serait) congé et licence de faire jouer les Mystères de la Passion et Résurrection de N.S. des Saints et Saintes, et mettre toutes fois et quand qu’il leur plaira, ensemble autres Jeux honnêtes et récréatifs, sans offenser personne, en la Salle de la Passion, dite l’Hôtel de Bourgogne, ou autre lieu et place licite à ce faire, qu’ils pourraient trouver plus commode, si bon leur semblait, avec défenses à tous autres de jouer ni représenter dans la Ville, Banlieue et Faubourgs de Paris, ailleurs qu’en ladite Salle, au profit, et sous le nom de ladite Confrérie suivant l’Arrêt du 17 Novembre 1548. Ladite COUR a ordonné et ordonne, que lesdites Lettres seront enregistrées en icelle, ouï le Procureur Général du Roi, pour jouir par les Impétrants du contenu en icelles, pour le regard des Mystères, et Jeux profanes, honnêtes et licites, sans offenser ni injurier personne, sans pouvoir jouer les Mystères sacrés, ce que ladite Cour leur défend, suivant l’Arrêt du 17 Novembre 1548, à peine d’amende arbitraire, et de privation desdits Privilèges. Et outre fait défenses à tous autres jouer, ou représenter aucuns Jeux ou Mystères, tant en ladite Ville, Faubourgs et Banlieue sous autre nom que de ladite Confrérie, et au profit d’icelle conformément audit Arrêt. »

[129] Par Sentence contradictoire du 28 Avril 1599, défenses sont faites à Léon Fournier, Menuisier, et à tous autres Bourgeois, de louer aucune cours, ni autres lieux aux Comédiens Français, ni Étrangers, pour y représenter : et à Tous Comédiens de représenter ailleurs qu’à l’Hôtel de Bourgogne.

[130] Ce lieu occupé par ces nouveaux Comédiens, fut nommé le Théâtre du Marais, qui subsista pendant soixante-treize ans. Mais en deux endroits différents : le premier nommé l’Hôtel d’Argent, était au coin de la rue de la Poterie près la Grève : en 1620, les Comédiens transférèrent leur Théâtre dans un Jeu de Paume, au haut de la Vieille rue du Temple, au-dessus de l’Égout.

[131] Par Sentence contradictoire du 13 Mars 1610, et pour les causes y contenues, Matthieu le Fevre, dit la Porte, Marie Vernier sa femme, et leurs Compagnons Comédiens, représentant en l’Hôtel d’Argent (l’Hôtel de Bourgogne étant alors occupé par d’autres Comédiens) sont condamnés de payer aux Doyens, Maîtres et Gouverneurs, trois livres tournois par chaque jour de représentation, et aux dépens ; laquelle Sentence a été exécutée.

[132] Chapuzeau, Théâtre Français, Liv. III, pag. 189 et suivantes.

[133] Cette Déclaration du Roi du 3 Juin 1673, que nous rapporterons par la suite, portait que les Comédiens du Marais ne joueraient plus sur leur Théâtre, et qu’ils s’établiraient avec ceux qui étaient ci-devant au Palais Royal, dans le Jeu de Paume de la rue de Seine, ayant issue dans celle des Fossés de Nèfle, vis-à-vis la rue Guénégaud. Et à cet effet, Sa Majesté leur ordonnait d’y faire transporter les Loges, Théâtre et décorations, qui étaient dans la Salle du Palais Royal. De sorte que cette Troupe, avec celle du Marais, n’en fit plus qu’une sous le nom de la Troupe du Roi : ce qui était gravé en lettres d’or, sur une pierre de marbre noir, au-dessus de la porte de leur Hôtel. Elle fit l’ouverture de son Théâtre le Dimanche 9 Juillet 1673, et elle subsista jusqu’au 21 Octobre 1680, que la Troupe de l’Hôtel de Bourgogne y fut réunie, jusqu’en 1688, qu’elle vint s’établir où elle est présentement.

[134] « Et puisque la vanité les emporte si avant, (ils parlent des Confrères) si l’on épluche leur Confrérie, on trouvera qu’anciennement le Chef se qualifiait Maire Sotte, et depuis Prince des Sots, jusqu’au règne d’Angoulême, qui a fait encore depuis quinze ans, éclater hautement ce titre dans le Parlement, avec ces beaux éloges que son Avocat lui donna, disant que c’était un Prince qui portait la peste et la ruine des poêles et marmites ; qu’il était né, et nourri dans la Confrérie des grossiers bêtes, qu’il n’avait jamais étudié qu’en la Philosophie Cynique, qu’il n’était savant qu’en la faculté des bas souhaits ; que c’était une tête creuse, une courge éventée, vide de sens, comme une canne, un cerveau démonté, qui n’avait ni ressort, ni roue entière dans la tête, qui se changeait comme une lune ; bref, qu’il était si fort, que l’on en pouvait faire le Dieu des Stoïciens. »

[135] Nous n’avons point de renseignement au sujet du Procès dont il est ici parlé, et antérieur à la Requête que nous rapportons, de trois années ; nous trouvons au contraire une confirmation des privilèges de la Confrérie de la Passion, donnée au mois de Décembre 1612, par le Roi Louis XIII, registrée au Parlement le 29 Janvier 1613 dans lequel enregistrement, il est dit que « Vu par la Cour les Lettres Patentes du Roi, signées Louis, et sur le repli, par le Roi, la Reine Régente sa mère, présente, De Lomenie, etc. par lesquelles, et pour les causes y contenues, ledit Seigneur continue, et confirme tous et chacun les Privilèges, libertés, exemptions, et franchises ci-devant donnés et octroyés par ses Prédécesseurs Rois, aux Maîtres et Gouverneurs de la Confrérie de la Passion : ladite Cour a ordonné et ordonne que lesdits Lettres seront enregistrées ès Registres d’icelles ; Ouï le Procureur Général du Roi, pour en jouir par les Impétrants de l’effet et contenu en icelles comme ils en ont ci-devant bien et dûment joui, et usé, jouissent et usent encore de présent. »

Cet Arrêt ne fait aucune mention des Comédiens qui jouaient à l’Hôtel de Bourgogne : ainsi il est à présumer que ces derniers ne présentèrent leur Requête au Conseil, qu’à la majorité du Roi Louis XII, on en voit la preuve par le titre de cette même Requête, qui n’est point adressée à la Reine Mère.

[136] Diotime est le nom d’un fameux ivrogne d’Athènes que l’on surnommait l’Entonnoir ; à cause que souvent il se faisait mettre un entonnoir dans la bouche, et ensuite on lui versait une prodigieuse quantité de vin, qu’il avalait ainsi tout d’une haleine. Élien, Histoires diverses, Liv. II, Chap. 41.

[137] Par Sentence contradictoire du 16 Février 1622, et pour les causes y contenues, Étienne Rufin dit la Fontaine, Hugues Guéru dit Fleschelles, Robert Guérin dit la Fleur, Henry le Grand dit Belleville, et autres leurs Compagnons, Comédiens représentant à l’Hôtel d’Argent (l’Hôtel de Bourgogne étant alors occupé par d’autres Comédiens) sont condamnés de payer aux Doyen, Maîtres, et Gouverneurs de la Passion, trois livres tournois par chacun jour de représentation, et aux dépens. Laquelle Sentence a été exécutée. Précédemment à cette Sentence les Confrères en avaient obtenu une autre le 13 Novembre 1621, portant défense à Étienne Robin, Maître du Jeu de Paume du Moutardier rue du Bourg-l’Abbé, de louer son Jeu aux Comédiens pour y représenter : et en cas de contravention, permis d’abattre le Théâtre. Le 4 Mars 1621, autre Sentence qui défend audit Robin et à tous autres Paumiers de louer leurs Jeux de Paume à aucuns Comédiens, pour y représenter : ladite défense signifiée à tous les dits Paumiers.

[138] Le silence des Historiens au sujet de la plupart des Poètes Français Dramatiques, nous oblige de ranger ces derniers suivant l’ordre Chronologique de leurs Poèmes. Au reste, uniquement renfermés dans les bornes de notre Théâtre, nous ne prétendons point en faire sortir nos Auteurs : nous ne les envisageons que de ce côté, et tout ce qui n’aura point rapport au Théâtre, est étranger à notre Plan.

[139] Pasquier, Liv. VII, Ch. 6.

[140] Voyez ci-après l’Extrait de la Cléopâtre, et celui d’Eugène.

[141] Voyez la suite de ces Vers à l’Article de Grevin.

[142] On ne saurait croire jusqu’à quel point on estima les Tragédies de Jodelle. On y trouvait la propriété des mots fort bien observée, les phrases, et les figures judicieusement, et adroitement placées. On remarquait (ou du moins on croyait y remarquer) de la majesté, et de l’élégance dans son style, de la subtilité dans ses inventions, de la noblesse, et de la grandeur dans ses idées, beaucoup de suite, et de liaison dans son discours, de l’harmonie, et de la gravité dans la structure de ses Vers dans lesquels il avait tâché d’éviter les chevilles. C’est ainsi qu’on en jugeait communément quoique il se trouvât des personnes qui n’en pensaient pas si avantageusement : tel que le Cardinal du Perron, qui avait coutume de dire, que cet Auteur ne faisait rien qui vaille. Ajoutons ici un passage de Sorel, qui dit, que Jodelle était un de ces Poètes qui ont voulu faire changer de forme à notre langue, en la rendant à demi Grecque, comme ont tâché de faire Ronsard, et du Bartas, qui firent si bien qu’ils introduisirent une espèce de Barbarie dans la Langue, par leurs mots composés, leurs termes appellatifs, leurs périphrases : et qu’ils entrèrent si avant dans l’esprit et dans le cœur des Grands de l’un et de l’autre sexe, que sans les troubles du Royaume qui survinrent ils auraient fait une infinité de Disciples, et auraient perdu entièrement la Langue.

[143] Nous ne parlerons point ici d’une Fête donnée au Roi Henri II. Par le Prévôt des Marchands, et les Échevins à l’Hôtel de Ville le Jeudi gras 17 Février de l’année 1558, dont Jodelle fut l’inventeur, le Poète, l’Architecte, et le Peintre, et qui fut fort mal exécutée.

[144] Jodelle était grand Architecte, très docte en la Peinture et Sculpture, très éloquent en son parler, et de tout il discourait avec tel jugement, comme s’il eût été accompli de toutes connaissances. Il était vaillant et adroit aux armes, dont il faisait profession ; et si en ses mœurs particulières il se fut autant aimé, comme il faisait en tous les exercices de son esprit, sa mémoire eût été plus célèbre pendant sa vie, et il eût reçu pour son pays, et pour ses amis plus qu’il n’a fait : mais méprisant philosophiquement toutes choses externes, ne fut connu, recherché ni aimé que malgré lui. Si est-ce que les Rois Henri II et Charles IX l’aimèrent et estimèrent. Charles Cardinal de Lorraine le fit premièrement connaître au Roi Henry. La Duchesse de Savoie, sœur de ce Roi, et le Duc de Nemours furent surtout, le favorisèrent grandement. Charles De la Motte, Préface des Œuvres d’Étienne Jodelle.

[145] En commençant l’ordre Chronologique des pièces de Théâtre Tragiques et Comiques, il est nécessaire d’avertir que nous en avons supprimé quelques-unes, qui n’ont jamais pu être adoptées par les Comédiens Français. Les personnes qui ne cherchent que des titres, peuvent consulter ceux qui par leurs Ouvrages semblent n’avoir eu d’autre but. Mais nous, renfermés dans les bornes de notre Histoire, nous ne cherchons qu’à l’éclaircir, et non à l’embrouiller par des inutilités, dignes fruits d’une paresse orgueilleuse.

Quelque peu de mérite qu’on trouve aujourd’hui dans les pièces de Théâtre de Jodelle, on ne peut cependant lui refuser une sorte de génie, d’avoir le premier introduit en France le genre de la Tragédie, et de la Comédie, à peu près dans le goût des Poètes Dramatiques Grecs et Romains. Il est vrai que deux ou trois Auteurs contemporains de Jodelle avaient parlé contre les Spectacles des Confrères, et conseillé d’emprunter d’Euripide, d’Aristophane, de Sénèque, et de Térence, des sujets propres au Théâtre, mais ces réflexions, et ces conseils étaient donnés d’une façon si sèche, que l’Émulation n’en était guère excitée. Jodelle qui pensait encore plus juste que ces Auteurs dont nous venons de parler, joignit l’exemple au précepte ; il donna tout de suite une Tragédie, et une Comédie, qu’il représenta avec ses amis devant le Roi Henri II. C’est de quoi nous allons rendre compte, ainsi que des autres pièces qui suivirent ces deux-ci.

[146] Nous venons de dire ci-devant, que « le Roi lui donna cinq cens écus de son épargne, et lui fit tout plein d’autres grâce : d’autant que c’était chose nouvelle et très belle et très rare. » Pasquier, même passage que ci-dessus.

[147] L’Acteur qui prononce ce Prologue, continue de s’adresser au Roi Henry II.

[148] Jodelle dans ses deux Tragédies, et dans sa Comédie, n’a point observé la coupe des rimes masculines ou féminines. Le Ier Acte de Cléopâtre est en vers Alexandrins, et tous féminins. Le IIe même mesure de vers, mais mêlés de masculins et de féminins. Les IIIe, IVe, et Ve tantôt vers de dix syllabes, et tantôt de douze, avec mêmes défauts : il n’y a que les Chœurs qui sont à rimes croisées, et rimés exactement. Il y a apparence que les Poètes qui suivirent Jodelle dans le même genre, connurent cette défectuosité, car ils n’y tombèrent presque pas. Pasquier nous apprend pourquoi les Tragédies de Jodelle furent ainsi vérifiées. « Il a suivi l’exemple de Marot, qui dans les Poèmes qu’il estimait ne devoir pas être chantés, comme Épîtres, Élégies, Dialogues, Pastorales, ne garda jamais l’ordre de la rime masculine, et féminine ; mais seulement dans ses chansons et Psaumes. Jodelle, à la manière des anciens Poètes Français, n’a que rarement eu égard à cet ordre de rimes. Mais dans tous les chœurs, qu’il estima devoir être chantés, par de jeunes garçons, ou filles, il a scrupuleusement observé. Pasquier, Liv. VII, Chap. VI.

[149] Les Auteurs de Catalogues de pièces de Théâtre ont toujours attribué à Jodelle deux Comédies, Eugène, et la Rencontre ; fondées, apparemment sur un passage de Pasquier, dont voici les termes. « Quant à la Comédie et Tragédie, nous en devons le premier plan à Étienne Jodelle. Il fit deux Tragédies, la Cléopâtre et la Didon, deux Comédies, la Rencontre, et l’Eugène. La rencontre ainsi appelée ; parce qu’au gros de la mêlée, tous les personnages s’étaient trouvés pêle-mêle et cauteleusement dans une maison ; ce qui fut fort bien par lui délaissé par la clôture du jeu. » Tout ce qui regarde cette prétendue Comédie de la Rencontre, n’est qu’une faute de mémoire de Pasquier. Si Jodelle avait composé cette pièce, La Motte qui rassembla ses Ouvrages après sa mort, et qui donne un éloge de cet Auteur, à la tête de l’édition, n’aurait pas manqué d’en parler. Ainsi il est certain que la Comédie fut intitulée : Eugène ou la Rencontre.

[150] « Nous* ne pouvons celer aux Lecteurs une chose quasi incroyable, c’est que tout ce que l’on verra composé par Jodelle, n’a jamais elle fait que promptement, sans étude et sans labeur. Et pouvons-nous, avec plusieurs personnages de ce temps, témoigner que la plus longue et difficile Tragédie, ou Comédie ne l’a jamais occupé à la composer et écrire, plus de dix matinées : même la Comédie d’Eugène, fut faite en quatre traites. »

* Préface de la Motte, à la tête des Poésies d’Étienne Jodelle.

[151] « Je ne vois point qu’après lui (Jodelle) beaucoup de personnes aient embrassé la Comédie. Jean de Baïf en fit une sous le nom de Faillebras, qui est entre les Poèmes ; et de la Péruse une Tragédie intitulée Médée qui n’était pas trop méconnue, et toutefois malheureuse, elle n’a été accompagnée de la faveur qu’elle méritait. » À l’égard de Scévole de Sainte Marthe, qu’on met dans un certain Catalogue, comme ayant achevé la Tragédie de Médée, on s’est trompé bien lourdement : Voici ce qu’en dit la Croix du Maine. « Jean de la Péruse né à Angoulême, est l’un des premiers Tragiques de son temps : il a composé cette docte Tragédie de Médée, laquelle a été revue, et corrigée par Scévole de Sainte Marthe, Gentilhomme de Loudun en Poitou, laquelle la fit imprimer après la mort de la Péruse en 1555, à Poitiers, chez les Mernets et Bouchets, frères. » Or revoir et corriger un Ouvrage, n’est pas l’achever.

[152] Voyez la Croix du Maine, page 256 de sa Bibliothèque Française Du Verdier s’est trompé en disant que la Péruse était née à Poitiers : peut-être l’a-t-il cru ainsi, à cause que sa Tragédie y fut imprimée, et que cet auteur ne s’est guère donné le soin d’approfondir la vérité des faits. Du Verdier Vauprivaz, pag. 739 de sa Bibliothèque Française.

[153] Pasquier, Liv. VII, Chap. VI.

[154] CHARLES TOUTAIN, ou TOUSTAIN, Sieur de la Mazurie, né à Falaise, Ville de la Basse-Normandie, où il exerça la charge de Lieutenant général de cette Vicomté. Comme il était très attaché à Monseigneur Gabriel le Veneur, Évêque d’Évreux, il lui dédia sa Tragédie d’AGAMEMNON, qui parut en 1556. Voici comment il termine son Épître Dédicatoire : « Ce qui m’a donné meilleure hardiesse de vous dédier ces vers, Outre l’estime grande de votre maison de Carrouges, des environs de laquelle, Monseigneur, il vous plaira me reconnaître le plus humble, etc. » Voyez du Verdier Vauprivaz, pag. 159.de sa Bibliothèque Française.

[155] « Si je n’ai pensé pouvoir du tout satisfaire, au moins comme marchant des premiers, j’estime mettre (les Savants) en si bon appétit, qu’après plusieurs autres par divers bons esprits quelquefois publiées, ils pourront retenir encore de ce premier mets quelque goût, non du tout indigne de leur avoir autrefois été présenté le premier, etc. » Toutain, Épître Dédicatoire à Monseigneur l’Évêque d’Évreux.

[156] Au rang.

[157] Visage.

[158] Le Troyen.

[159] Quoique nous ayons cru devoir donner à cette Farce le titre des Femmes salées, comme celui qui nous a paru y convenir, cependant le titre, qui est à la première page, porte simplement « Discours » Facétieux des Hommes qui font saler leurs femmes à cause qu’elles sont trop douces, lequel jeu se joue à cinq personnages. À Rouen, chez Abraham Coustelier, Libraire, tenant sa boutique près la Grand’Porte du Palais, au sacrifice d’Abraham. »

[160] Grevin dans la Préface de son Théâtre, qui contient deux Comédies, et une Tragédie, après avoir parlé sur ces Pièces, ajoute, « Je me contente de donner aux Français la Comédie en telle pureté qu’anciennement l’ont baillé Aristophane aux Grecs, Plaute et Térence aux Romains, car je me suis proposé toujours en écrivant ce Poème, ainsi qu’ont pu apercevoir ceux qui ont vu LA MAUBERTINE première Comédie que je mis en jeu, et que j’avais bien délibéré te donner, si elle ne m’eût été dérobée. » La Trésorière ressemble si fort à la Maubertine que Grevin annonce comme une Pièce dérobée, que nous sommes tentés de croire que c’est la même, sous deux Titres. Voici sur quoi nous fondons notre conjecture. À la fin de l’Avant Jeu de la Trésorière, on trouve ceci.

Or sachez qu’en tout ce discours,
Nous représentons les Amours,
Et la finesse coutumière
D’une gentille Trésorière
Dont le métier est découvert,
Non loin de la Place Maubert.

Voilà donc le principal personnage de la Pièce qui est de la Place Maubert. Ne doutons point que Grévin fit la Maubertine, qu’il la perdit ; mais qu’aidé de sa mémoire, et de ses brouillons, il la refit ; et en y changeant quelque chose, il eut la vanité de donner cette Comédie pour nouvelle. Cette finesse a depuis été renouvelée par bien des Auteurs.

[161] La Satyre qu’on appelait communément Les Veaux, était sans doute plus ancienne que la Comédie de Grevin, c’était une espèce de Prologue, pour amuser les Spectateurs les plus impatients, les Acteurs s’habillaient pour jouer leurs rôles. Il nous reste un morceau de ce genre, qui est à la tête des Corrivaux, Comédie de Pierre Troterel, seigneur d’Aves, qui mérite d’avoir place ici. Un Prologueur vient sur le Théâtre, et après quelques compliments qu’il fait à l’Assemblée, un Acteur caché derrière une tapisserie, l’interrompt en disant :

LE CACHÉ.

Vraiment vous dites vrai, Capitaine l’Oison.

LE PROLOGUEUR.

Oh ! qu’entends-je morbleu ! Qu’est-ce qui m’injurie
Si je monte une fois en ma haute furie,
Que Diable ! j’en battrai qui sont les Veaux céans.

LE CACHÉ.

J’en tremble comme un four : Qu’il fera du sien,
Si quelqu’un d’entre vous lui porte de la paille.

LE PROLOGUEUR.

Ô Corbleu ! c’est trop fait, il faut que je l’assaille.
Demeurez-là, Messieurs, je vais le tâtonner.
Ceci me fait vraiment grandement étonner :
Je l’ai cherché par tout, allant de place en place :
Et si par-là corbleu ! je n’ai su voir la face ;
Je crois pour le certain, que c’est quelque Démon
Qui vient pour nous tenter.

LE CACHÉ.

Ô mon ami, c’est mon

LE PROLOGUEUR.

Écoutez : oyez-vous comme il rumine encore ?

LE CACHÉ.

Écoutez, oyez-vous cette grosse pécore ?

LE PROLOGUEUR.

Pécore ! par la mort, tu mens, il n’en est rien,
Je suis brave et galant, et fort homme de bien.

LE CACHÉ.

Il faut donc te brûler pour avoir de ta cendre.

LE PROLOGUEUR.

Brûler ! digne morbleu ! je ne vais pas attendre :
Je vais bien faire Gille, ô c’est un gobelin.

LE CACHÉ.

Ma foi, vous dites vrai, mon pauvre Jobelin.

LE PROLOGUEUR regarde derrière la Tapisserie.

Bêtes ! Messieurs, adieu. D’ici je me retire,
De peur qu’attendant trop, il ne m’advienne retire,
Vert et bleu, quel filou ! je le viens d’aviser,
Et par ma foi les dents il faisait esquisser.
Ô digne vertubleu ! quelle vilaine bête !
Elle a comme un Cocu, des cornes à la tête.

[162] « Les Œuvres de Nicandre, poète grec, contenant ses Thériaques, et Alexipharmaques, traduites en vers français, par Jacques Grévin, Anvers 1588. Christophe Plantin, in-4°. » Du Verdier, Biblioth. Française, pag. 604.

[163] Il le faut avouer, Grévin était né avec un génie supérieur, avant vingt-deux ans, il avait non seulement fait ses cours de médecine, mais même il s’était fait recevoir médecin, et en cette qualité, il avait acquis une si haute réputation, que la duchesse de Savoie, ayant eu occasion de le connaître, fut si charmée de son esprit et de son savoir, qu’elle l’emmena avec elle à Turin, aussi bien que sa femme, et se servit toujours de lui, non seulement en qualité de médecin, mais aussi en celle de conseiller dans les affaires les plus importantes. Aussi se plaignit-elle, après la mort de Grévin, qu’elle avait perdu en même temps son médecin pour les maladies du corps, et son consolateur pour les maladies de l’esprit.

[164] « Melin, ou Merlin de S. Gelays, natif d’Angoulême, abbé de Reclus, aumônier de Monseigneur le Dauphin de France, l’an 1525 (c’était François Dauphin qui mourut à Tournon, issu de la très noble et très ancienne maison de S. Gelays en Aquitaine, etc. » La Croix du Maine, p. 321.

[165] La Tragédie de Sophonisbe se trouve imprimée à la suite de celle du Monarque de François Habert : de sorte que bien des gens croient cette première de l’Auteur du Monarque. Cependant en lisant le titre de Sophonisbe, et l’avis qui est à la fin, on apprend tout le contraire, il nous paraît nécessaire de transcrire ici ce renseignement.

« SOPHONISBA.

« Tragédie très excellente, tant par l’argument que pour le poli langage, et graves sentences dont elle est ornée, représentée et prononcée devant le Roi en sa ville de Blois en 1559. »

Au revers de ce titre,

« Gilles Corrozet au Lecteur. Il n’est besoin, lecteur, que je te recommande beaucoup le petit ouvrage présent, parce que l’autorité, savoir, noblesse, et expérience de ceux qui l’ont mise en français, et avec grande pompe, et digne appareil, ont représenté les mêmes personnages de la tragédie devant la Majesté royale, en sa ville de Blois, sont très suffisants témoignages de la beauté, et élégance de la matière. »

Ensuite on trouve l’avis suivant.

« Intermède signifie pause, à la manière française, et scène selon les Latins. »

À la fin de Sophonisba.

« Sois averti, Lecteur, qu’en imprimant la présente tragédie, nous avons été faits certains que feu Mellin de S. Gelais a été le principal auteur, duquel n’est besoin d’écrire les louanges. Au reste que toute la Tragédie est en Prose, excepté les Chorus, ou assemblées de Dames qui parlent en vers de plusieurs genres. »

[166] Dans la préface qui précède cette tragédie, Grévin dit que lorsqu’il publia cette pièce, bien des gens crurent qu’il l’avait prise du latin de celle de Muret, mais qu’ils reconnurent bientôt, en confrontant les deux Pièces que cela était faux.

[167] C’était alors la coutume de donner une Comédie en cinq Actes à la suite d’une tragédie. Les Ébahis furent, comme on le voit, représentés après celle de César. L’Eugène de Jodelle parut à la suite de sa Cléopâtre, et de sa Didon. Une nouvelle preuve de ce que nous avançons, se tire des Vers suivants qui terminent le Prologue de la Comédie des Déguisés de Jean Godard, représentée à la suite de sa Tragédie de la Franciade.

LE PROLOGUE.

J’ai charge seulement de vous remercier
De votre attention, et de vous supplier
Que vous daigniez ouïr tantôt la Comédie,
Comme vous avez fait déjà la Tragédie.
Car on a bien voulu, pour mieux vous contenter,
Dessus cet échafaud ici représenter
Ces deux Poèmes-là, etc.

[168] Voyez ci-dessus la note 1 pag. 269 de la Trésorière.

[169] Quoiqu’on ne doive pas s’attendre à trouver beaucoup de régularité dans la plupart des Poèmes dont nous parlons ici, cependant on peut dire que cette Pièce est encore plus monstrueuse tant pour le Plan, que pour la Vérification, et les fautes de bon sens. Les Turcs jurent ici par Jupiter, Toutan, et Souman, Divinités des anciens Païens, et des Sauvages du Nouveau Monde, aussi bien que par Mahomet leur faux Prophète. Le seul mérite de Bounyn est d’avoir le premier présenté un sujet Turc sur la Scène, et sur un événement arrivé de son temps ; puisque Soliman dont il y est parlé, n’est mort qu’en 1566. Au reste, quoiqu’il ne l’ait fait imprimer qu’en 1561. Il est certain que cette Tragédie fut représentée au plus tard l’année précédente : le privilège qu’on lui en accorda le 12 Décembre 1560, en fait foi. On pourrait dire même, qu’elle était déjà connue en 1554 et La Croix du Maine semble l’inventer. Voyez cet Auteur, pag. 409. et Du Verdier pag. 429.

[170] Roxane.

[171] C’est mal à-propos que sur la foi de La Croix du Maine, on a appelé notre Auteur Bonin, Bounin, puisqu’il a signé Bounyn au bas de l’Épître Dédicatoire adressée au Chancelier de l’Hôpital, son protecteur, et à qui il avait de grandes obligations.

[172] Ce sont les qualités qu’on lui donne à la tête de son Alectriomachie. Sur quoi il est nécessaire de remarquer que Du Verdier, Vauprivaz, et ceux qui l’ont copié, se trompent en lui donnant la qualité de Maître des Requêtes de l’Hôtel de Sa Majesté, ce qui est non seulement hors de vraisemblance, mais faux, puisqu’on n’ignore pas que cette charge ne peut s’allier avec celle de Bailli de Châteauroux, que Bounyn possédait en même temps.

[173] Du Verdier, Biblioth. Fr. p. 397. La Croix du Maine, pag. 95.

[174] Jean Bretog de S. Sauveur de Dyne, est Auteur de cette Tragédie à huit personnages. Du Verdier, Vauprivaz, après en avoir rapporté le titre dans sa Biblioth. Française, ajoute « Toutefois, combien que ce soit Histoire advenue, il ressent plutôt une Moralité que non pas une Tragédie, les préceptes d’icelle n’y étant observés ». Nous avons longtemps hésité sur l’Extrait de cette Pièce, et ne nous y sommes déterminés qu’à cause des Confrères de la Passion, dont la Société subsistait encore, et était toujours en possession de jouer un pareil Ouvrage, bien digne d’être représenté sur leur Théâtre. L’Auteur dit dans le Prologue, que cette Pièce est composée sur une aventure arrivée depuis trois ans.

[175] Première Comédie en Prose.

[176] Cette Comédie est précédée d’un Prologue aussi en Prose, où l’Auteur commence ainsi, « Il semble, Messieurs, à vous voir assemblés en ce lieu, que vous y soyez venus pour ouïr une Comédie ? Vraiment Vous ne serez point déçus de votre intention. Une Comédie pour certain, vous y verrez, non point une Farce, ni une Moralité. Nous ne nous amusons point en chose ni si basse, ni si forte, et qui ne montre qu’une pure ignorance de nos vieux Français. Vous y verrez jouer une Comédie faite au Patron, à la mode, et au portrait des Anciens Grecs et Latins. Une Comédie, dis-je, qui vous agréera plus que toutes (je le dis hardiment) les Farces, et Moralités, qui furent onc jouées en France. Aussi avons-nous grand désir de bannir de ce Royaume telles badineries et sottises, qui comme amères épiceries, ne font que corrompre le goût de notre Langue. Deux ou trois Auteurs tels que La Taille auraient rendus de grands services au Théâtre ; mais malheureusement il ne continua pas sur le même ton ; il s’avisa de traduire une Comédie de l’Arioste, et s’en tint là. Comme cette Pièce de l’Arioste, intitulée LE NÉGROMANT, n’a pas dû être jouée, nous n’en parlerons point. On remarquera seulement une époque, c’est que les Poètes trop timides dans leurs idées, empruntèrent des Italiens la plupart des sujets qu’ils traitèrent : dans la suite, on ne se servit plus que de sujets Espagnols.

[177] Licence Poétique, dont je doute qu’on trouve d’exemple.

[178] Le Mont Taurus.

[179] NICOLAS FILLEUL, né à Rouen. Il s’appelle en Latin, dit la Croix du Maine, Nicolaus Fillellius Quercetanus ; je ne sais, continue-t-il, s’il vit encore. Outre cette Tragédie d’Achille, il a encore composé LUCRÈCE, Tragédie, LES OMBRES, Pastorales en cinq Actes. Ces deux pièces représentées le même jour devant le Roi Charles IX au Château de Gaillon le 29 Septembre 1566. Le hasard conduit assez juste Filleul à la suite des deux de la Taille. C’est un Poète digne de marcher sur leurs traces. Je le crois encore plus mauvais.

[180] « Claude Rouillet, natif de Beaune en Bourgogne, Poète Latin et Français. Il a écrit premièrement en Latin, et depuis en vers Français une ancienne Tragédie nommée Philanire, imprimée à Paris l’an 1563. Il florissait audit an, et régentait au Collège de Bourgogne. » La Croix du Maine, Biblioth. Française, pag. 62.

[181] Cet argument qui est à la tête de l’édition qu’on fit de cette pièce en 1577, étant suffisant pour mettre au fait du plan, et de la conduite de l’Ouvrage, il ne reste plus qu’à le faire connaître par la versification : Les quatre vers suivants pourront en faire juger : le Vice-roi ordonne au Prévôt Sévere de donner la main à l’affligée Philanire.

LE VICE-ROI à Sévere.

Refuses-tu la couple
Obstiné, que je fais de vous deux ?
Approchez-vous, car ainsi je le veux.
Touchez en main l’un et l’autre pour gage
Et sécurité de loyal mariage.

[182] Le Livre intitulé, Les Amours et nouveaux échanges des Pierres précieuses, vers leurs propriétés d’icelles, par Rémy Belleau.

[183] Le premier Août 1562.

[184] Nous n’avons pas cru devoir faire entrer dans notre Histoire les pièces de LOUIS DES MAZURES, qui sont DAVID COMBATTANT ; DAVID FUGITIF, et DAVID TRIOMPHANT, d’autant qu’elles ressemblent plus aux Mystères, qu’aux Tragédies du temps, et qu’elles sont remplies d’expressions, et de sentiments, qui visent beaucoup au Calvinisme.

[185] « Après le titre que nous venons de rapporter, on trouve Chants récités entre les Actes de la Comédie, au nombre de cinq, par différents Auteurs. Le premier de Ronsard, le second de Baïf, le troisième de Desportes, le quatrième de Filleul : et le cinquième de Belleau. » Ensuite ce qui suit. « Le Brave, Comédie de Jean-Antoine de Baïf, du commandement de Charles IX, Roi de France, et de Catherine de Médicis, la Reine, sa mère, en la présence de leurs Majestés, pour démonstration d’allégresse publique, en la paix et tranquillité commune de tous les Princes et peuples Chrétiens avec ce Royaume, que Dieu veuille conserver et perpétuer. Fut publiquement en l’Hôtel de Guise, à Paris représentée le Mardi, Fête de Saint Charlemagne, vingt-huitième jour du mois de Janvier 1567. »

[186] Petroniana, p. 25.

[187] « Panthée, Tragédie prise du Grec de Xenophon mise en ordre par Caye Jules de Guersens à Poitiers par les Bouchet 1571. »

[188] Son vrai nom était Julien Guersens, mais il a voulu changer son nom, en un Latin le plus approchant, par une affectation ridicule, et pédantesque, assez ordinaire cependant à un nombre de Savants de son siècle.

[189] La Croix du Maine, p.40.

[190] Du Verdier, p. 141.

[191] Scaligerana.

[192] Diverses leçons de Louis Guyon, Tome I, Liv. II, Chap. 25.

[193] Comme nous ne connaissons cette Farce que par le récit qu’en a fait Louis Guyon au premier volume de ses diverses leçons, nous avons cru devoir placer la date de sa représentation vers 1573. On a employé les mêmes termes de Guyon ; cela diversifie un peu les extraits, que nous tâchons de rendre intéressants le plus qu’il est possible.

[194] Racine, Tragédie de Phèdre, Act. II, Scène II.

[195] C’est Cornélie, femme de Pompée.

[196] Voici le Catalogue de ses Pièces, avec les dates :

Porcie, 1568.

Hippolyte, 1573.

Cornélie, 1574.

Marc-Antoine, 1578.

La Troade, 1579.

Antigone, 1580.

Bradamante, 1582.

Sédécie ou les Juives, 1583.

Nous avons déjà parlé des trois premières Tragédies : les autres se trouveront ci-après, suivant l’ordre chronologique.

[197] Quoique cette pièce n’ait été imprimée qu’en 1579, nous l’avons placée quatre ans plus tôt, par une raison bien simple, c’est que l’Auteur, à la fin de son Épître Dédicatoire, met la date du 5 mars 1575. Nous lisons les pièces, et nous passons les noms des libraires, et la forme du volume. PIERRE LOYER, auteur de cet ouvrage, naquit à Huillé, village de l’Anjou, près de la petite ville de Duretal, sur le Loir, le 24 novembre 1554. Il vint à Paris pour y étudier en droit et demeura cinq ans dans cette ville : après lesquels il alla à Toulouse, où il s’adonna à la Poésie Française, et sans doute, c’est sur cela qu’il fit sa Comédie du MUET INSENSÉ. Heureusement pour le public, le Loyer s’attacha à d’autres études, et enfin il mourut le plus grand visionnaire du monde, à Angers en 1634, âgé de 84 ans, et fut enterré dans l’Église de Saint Pierre.

[198] LOUIS LE JARS a composé une Tragi-comédie en prose, sous le titre de LUCELLE, qu’il fit imprimer en 1576. La Croix du Maine, page 294, dit que ce poète était secrétaire de la Chambre du Roi Henri III. C’est tout ce que nous savons de lui. Quelques vers qui font à la tête de sa pièce font connaître qu’il était ami de Ronsard et de Daurat. Jacques du Hamel s’avisa après plusieurs années de traduire en vers la Lucelle de le Jars, mais comme elle ne parut qu’en 1603 ou 1604, nous en suspendrons l’Extrait, pour le donner suivant l’ordre Chronologique.

[199] GUILLAUME BELLIARD, natif de Blois, était Secrétaire de Marguerite de Valois, épouse d’Henri, Roi de Navarre, et ensuite de France. Il a composé une pièce intitulée LES DÉLICIEUSES AMOURS DE MARC-ANTOINE ET DE CLÉOPATRE, 1578. La lecture de cet ouvrage fait aisément oublier la perte des faits de la vie de l’Auteur.

[200] Voici les propres mots de François d’Amboise, Épître dédicatoire de cette pièce à Madame de S. Phalle, Duchesse de Beaupréau, en date du 13 Novembre 1578. « Combien que j’eus composé il y a plus de neuf ans, plusieurs Ouvrages, cependant je n’en ai voulu rien prendre pour vous dédier, me défendant de trouver rien qui put approcher de la grâce et beauté naïve d’un ADONIS, qui fut le Cler Mignon du feu Roi Charles d’heureuse mémoire, de la composition de l’un de mes amis, qu’il m’a laissé en dépôt, pour l’engager peut-être à vous dédier dans la suite sa TULLIE, sa CHARITÉ, sa DIDON, sa DOROTHÉE et le reste de ses belles Poésies ». Quoique ce passage soit très intelligible, des Écrivains modernes ont osé avancer que la Tragédie d’Adonis fut faite après la mort de Charles IX, que l’Auteur avait caché sous cette allégorie.

[201] « Guillaume le Breton... écrit la Tragédie d’Adonis, imprimée à Paris en 1579. En quoi il faut remarquer qu’en ce livre il est nommé Gabriel le Breton, au lieu de Guillaume, mais je crois que cette faute sera corrigée ès secondes impressions de son livre. » La Croix du Maine p. 143. Après un témoignage, si authentique d’un Auteur contemporain, il n’y a pas lieu de douter que le vrai nom de Le Breton ne fut Guillaume, et non Gabriel, comme le dit Du Verdier et ceux qui l’ont copié, qui ne s’en sont arrêté qu’au titre du Livre. Au reste, La Croix du Maine a été trompé dans l’espérance de voir cette faute corrigée par une seconde Édition, puisque celle de 1597 est aussi peu exacte que la première.

[202] Confidente de Cléopâtre.

[203] L’orthographe du nom de cet auteur varie extrêmement ; nous nous sommes arrêtés à celle-ci, comme la plus véritable. Selon toutes les apparences, la Rivey était de Troyes en Champagne ; car il s’y retrait sur la fin de ses jours, et y fit imprimer ses trois dernières comédies, qu’il donna en 1611.

[204] C’est le même François d’Amboise, qui devint dans la suite Conseiller au Parlement de Bretagne, et l’ami de Guillaume Le Breton, dont nous avons parlé.

[205] Du Verdier Vauprivaz nous voudrait faire entendre que la Rivey n’a fait que traduire les Comédies des Auteurs Italiens, ce qui n’est point vrai. La Rivey a pris seulement ces derniers pour modèles, et s’est servi de quelques-unes de leurs Scènes : il n’est pas le seul qui en ait usé ainsi, c’est un reproche que l’on fait à Molière, et à plusieurs autres.

[206] N’en déplaise à la Rivey, il n’est pas le premier qui ait composé des Comédies Françaises, représentées comme arrivées en France. Il n’est pas possible qu’il ait oublié que Jean de La Taille lui avait frayé le chemin par sa Comédie des Corrivaux, qui parut en 1562.

[207] Nous ignorons la date des Comédies de la Rivey : c’est ce qui nous oblige à les placer sous l’année 1578, attendu qu’elles parurent imprimées au commencement de la suivante. Le peu de lumière que nous avons sur ces dates, ne nous a pas permis de donner à ces Pièces d’autre ordre que celui qu’elles occupent dans le premier recueil de la Rivey, qui fut donné en 1579.

[208] C’est le nom que nous donnons aux personnages qui dans les Comédies dont nous parlons tiennent la place des Marchands d’Esclaves de Plaute et de Térence.

[209] C’est ce Jacquet, qui à la fin est reconnu pour le frère de Marie, qui donne le titre à la Pièce.

[210] Monfleury, dans le premier acte de son Comédien Poète, s’est servi de cette idée, et M. Regnard dans sa comédie du Retour imprévu.

[211] SÉVERIN seul, regardant sa bourse.

« Jésus ! quelle est légère ! Vierge Marie, que se c’y qu’on a mis dedans ? Hélas ! je suis perdu, je suis détruit, je suis ruiné ; au voleur, au larron ; prenez-le ; arrêtez tous ceux qui passent. Fermez les portes, les huis les fenêtres. Misérable que je suis ? Où cours-je ? À qui le dis-je ? Je ne sais où je suis, que je fais, ni où je vais. (Aux Spectateurs.) Hélas ! mes amis, je me recommande à vous tous ; secouez-moi, je vous prie. Je suis mort, je suis perdu. Enseignez-moi qui m’a dérobé mon âme, ma vie, mon cœur, et toute mon espérance. Que n’ai-je un licol pour me pendre ? Car j’aime mieux mourir que de vivre ainsi. Hélas ! elle est toute vide : Vrai Dieu ! qui est ce cruel qui tout-à-coup m’a ravi mes biens, mon honneur et ma vie ? Ah ! chétif que je suis ; que ce jour m’a été malencontreux ! À quoi veux-je plus vivre, puisque j’ai perdu mes écus que j’avais si soigneusement amassés, et que j’aimais, et tenais plus chers que mes propres yeux ? Mes écus que j’avais épargnés, retirant le pain de ma bouche, n’osant manger mon saoul : et qu’un autre jouisse maintenant de mon mal et de mon dommage. »

[212] Ceci prouve que cette pièce a été composée depuis la journée de la S. Barthélemy, 1572.

[213] Molière a employé une pareille idée, scène III du cinquième Acte de l’Avare.

[214] Gillette ne veut pas ressembler à ces servantes dangereuses, trop indulgentes pour les faiblesses de leurs maîtresses ; car voici comme elle s’exprime, en attendant l’heure du rendez-vous donné à Lactance.

GILLETTE, seule.

« Un jour me dure mille ans, tant il me tarde à voir ces pauvres amoureux, cueillir ensemble le fruit de leurs amours. Mais que le Seigneur Lactance ne pense pas jouir de la pucelle que premièrement, et en ma présence, il ne lui promette de l’épouser, et ne lui en baille quelque gage. Que sais-je si ayant saoulé d’elle sa volonté, il n’est point homme pour la laisser-là ? »

[215] Il est vrai que le pauvre Anastase est tout-à-fait à plaindre, et porte surtout le soin du ménage. Lisette, sa femme, est peinte ici comme une dévote ridicule, qui joignant à ce défaut une négligence extrême, peut-être regardée comme responsable des déportements de sa fille, auxquelles elle ne donne aucune attention.

[216] Ceci nous apprend que l’action de cette pièce se passe auprès de la place Maubert, lieu assez ordinaire aux scènes de comédie, comme on peut voir par celle de Grévin.

[217] Si nous ne donnions au Public que le simple Catalogue des Poètes Dramatiques, nous nous serions contentés de lire la première page et le titre de cette Comédie, que nous aurions placée en 1584, année où elle parut imprimée ; mais le discours : qui la précède nous ayant fait connaître que c’est un Ouvrage posthume de Tournebu, qui mourut en 1581, nous conjecturons, avec beaucoup de vraisemblance, qu’elle était composée au plus tard en 1580, qui est la date où nous l’avons placée.

[218] Voici comme l’Éditeur Ravel raconte la façon dont il a recouvré cette Comédie, dans l’Épître qu’il a mise à la tête. « Me trouvant au logis de quelques miens parents de par-delà, je rencontrai en ma voie une Comédie à la main, dont Odet de Tournebu, qui est allé de vie à trépas, n’a pas longtemps, était l’Auteur. »

[219] Besançon.

[220] Philippe II, Roi d’Espagne, alors Souverain de la Franche-Comté.

[221] La Tragédie d’Esther.

[222] Dans l’argument de Vashti, l’Auteur dit que cette Tragédie, et celle d’Aman, étaient composées depuis sept ou huit ans ; mais il est certain qu’il en a voulu imposer au Public, et faire oublier son ancienne Esther, qu’il avait employée, avec quelques augmentations, dans les deux Pièces, auxquelles certainement il ne travailla que depuis 1584.

[223] Il est sûr que la Tragédie de Clitemnestre, est la première de Matthieu, qui dit lui-même l’avoir composée n’ayant pas encore quinze ans. C’est aussi pour cette raison, que la jugeant la plus faible, il la mit la dernière en rang, ce que l’ordre Chronologique ne nous a point permis de faire. Voici comme l’Auteur en parle dans l’Avertissement de cette Pièce. « Quoique la Tragédie demande des Vers hauts, grands et pleins de majesté, et non erronés, ni énervés comme ceux des Comiques, cependant je ne rougis point de ces deux-ci, quoique faibles, étant faits sur le troisième lustre de mon âge, promettant que poursuivant cette manière d’écrire, je ferai voir d’autres fruits plus mûrs, et façonnés, si on n’est point dégoûté de ces premiers essais. »

[224] Cocu imaginaire, Scène I.

[225] Voici comme l’Éditeur Barnet en parle dans cette Épître Dédicatoire au Comte de Salm, du 26 Mai 1581. « C’est votre sujet qui vient vous faire hommage Monseigneur, et m’a voulu choisir, comme très humble et très affectionné serviteur de votre Maison, pour vous la présenter en cette forme Tragique, qui m’est tombée en la main, sans que j’en connaisse l’Auteur. Pour le moins, j’ai pris la hardiesse et la peine de la revoir, et tâché qu’elle soit mise en lumière, même désiré qu’elle fût en votre sauvegarde et protection. » Remarquons que chaque Acte est terminé par une espèce d’ode Pindarique, récitée par les Chœurs.

[226] Mémoires pour servir à l’Histoire des Hommes Illustres, T. XXVIII.

[227] Anno supra sesqui millesimo octogesimo, cum Rex Henricus ac Regina Ludovica statuissent sub mensem Maium ad Thermas Plumberianas accedere : M. Fronto Tragœdiam Gallicam de Joanna Puellâ Lotharingâ Regni Christianissimi liberatrice, in Theatrum inducendam paraverat : Sed lues diversis in partibus grassata professionem dissuasit... Tragœdia, que deinceps supra presso Authoris nomine, lucem aspexit, Serenissimo Duci tantoperè placuit, ut Poëta, quem derrita togâ, paupertatem Evangelicam redolente, amistum videbat, aureos centum, nove vestis, us airbat, comparande causa, jussit continuò numerari.

[228] Les Soldats Français et Anglais emploient le temps d’une courte trêve à se dire des injures.

Ier SOLDAT, Anglais.

Va malheureux Français.

IIe SOLDAT, d’Orléans.

Ô Bourguignon salé.

SOLDAT, Bourguignon.

Rens, Gascon, les oignons que tu as avalés.

SOLDAT, Gascon.

Ô Dogues d’Angleterre : Ah ! ils sont les superbes
Ceux qui en leurs pays ne mangent que des herbes.
Chien voilà des os.

Ier SOLDAT.

Ô gentil perroquet
Chante, tu es en cage, déploie ton caquet.

[229] L’argument de Bradamante finit par un avis qui mérite quelque attention. « Et parce qu’il n’y a point de Chœurs, comme aux Tragédies, pour la distribution des Actes, celui qui voudrait faire représenter cette Bradamante, sera, s’il lui plaît, averti d’user d’Entremets* et les interposer entre les Actes, pour ne les confondre, et ne mettre en continuation de propos, ce qui requiert quelque distance de temps. » Cet avis nous apprend que les Pièces de Théâtre appartenaient à ceux qui voulaient les jouer, et c’était ordinairement dans les Collèges qu’on en donnait les représentations. De plus que la Musique instrumentale n’était point alors en usage, entre les Actes. À l’égard des Chœurs introduits dans les Tragédies Françaises par Jodelle, et scrupuleusement conservés par les Poètes Dramatiques qui le suivirent, jusqu’en 1630, qu’ils furent bannis du Théâtre, il faut en parler un peu plus au long. Les Chœurs dans les Tragédies, remplissaient les temps des Entr’actes, par le chant de quelques strophes morales, sur les événements de la Pièce. Une seule personne du Chœur était chargée de cet emploi, les autres ne servaient que de nombre. Quelquefois le Chœur entrait dans l’action de la pièce, alors c’était un Acteur capable de déclamer, qui jouait ce rôle. L’embarras, et la dépense de ces Chœurs les firent disparaître du Théâtre. À la place du chant, on y substitua des joueurs d’instruments, qui furent d’abord placés sur les ailes du Théâtre, où ils exécutaient différents airs, avant le commencement de la pièce, et de chaque Acte. Ces Symphonistes, dans la suite, changèrent de place, on les mit au fond des troisièmes loges, ensuite aux secondes et enfin à l’Hôtel, où les Comédiens représentent actuellement, on jugea qu’ils feraient mieux entre le Théâtre et le Parterre ; et l’Acteur des Chœurs qui déclamait fut remplacé par les confidents ou confidentes.

* Les Entremets étaient certains divertissements, dont on faisait le plus d’usage aux Festins des Rois, et des Princes.

[230] Ceux qui ont lu le Roman Comique, se souviendront, sans doute, de ce grand Page, qui chargé du rôle de la Roque, n’en pût apprendre que ces deux vers, encore les récita-t-il de la façon suivante :

Monseigneur, entrons dedans, je crains que vous tombiez :
Vous n’êtes pas trop bien assuré sur vos jambes.

[231] « Oublierais-je les propos affables qui me recueillirent en sa maison. Je suis bien aise (disait Muret à Rome) de voir aujourd’hui le fils de ce Beaubrueil qui m’encouragea des premiers à l’Amour des bonnes Lettres... Voilà partie des propos, et partie du contentement que l’amour des Lettres m’a causé, me conduisant par l’Italie. » Beaubrueil, Épître à d’Aurat.

[232] PIERRE DE BOUSSY, Tournisien, a écrit en vers Français, une Tragédie intitulée MÉLÉAGRE, imprimée à Caen en Normandie l’an 1582. La Croix du Maine, Biblioth. Franç. pag. 387.

[233] Elle ne l’était pas par conséquent lorsque Du Verdier Vauprivaz, composait sa Bibliothèque Française : Voici de quelle façon il l’a insérée. « PIERRE MATTHIEU a composé ESTHER, Tragédie en laquelle est représentée la condition des Rois et Princes sur le Théâtre de Fortune, la prudence de leur Conseil, les désastres qui surviennent par l’orgueil, l’ambition, l’envie, et trahison : et combien est odieuse la désobéissance des femmes : finalement comme les Reines doivent apaiser le courroux des Rois endurcis sur l’oppression de leurs sujets. Prête à imprimer. » À la lecture de cet article, et de ce que nous avons déjà dit à ce sujet dans la vie de Matthieu, on jugera aisément qu’il y a peu d’exactitude dans un certain Catalogue, où on a brouillé les titres de ces pièces, à ne pouvoir les reconnaître, et où on attribue à ce Poète deux Tragédies seulement, dont on intitule une Esther, ou Aman, ou Vasthi, et la seconde Clytemnestre. Mais pour dédommager cet Auteur, on ajoute les noms de deux méchants Poèmes Satyriques, qui n’ont jamais pu prendre place entre les pièces de Théâtre. Jean Stratius, Libraire de Lyon, fit paraître en 1585 cette Tragédie d’Esther.

[234] La Croix du Maine, pag. 449.

[235] La Tragédie d’Andromaque dont parle la Croix du Maine, n’a jamais été imprimée. Peut-être l’Auteur a-t-il reconnu qu’elle était encore plus mauvaise que les cinq autres, qui le sont passablement.

[236] Ceci prouve que Brisset n’était point mort en 1590, comme on l’a dit dans un Catalogue des Pièces de Théâtre.

[237] Le Père de Nicolas de Montreux, prenait la qualité de Sieur de la Mesnerie et de Maître des Requêtes de la Maison de Monsieur le Duc d’Alençon. La Croix de Maine, p. 350.

[238] Quoique dans l’Édition des Œuvres de Matthieu, Vasthi soit intitulée première Tragédie de ce Poète, et en conséquence placée la première ; cependant nous avons prouvé ci-dessus, que Clytemnestre est son premier Poème ; et que Vasthi, et la Tragédie suivante d’Aman n’ont été composées que des débris de son Esther.

[239] Avollée : Bâtarde adultérine.

[240] On peut juger du pathétique des plaintes de Cléopâtre, par les deux vers suivants.

Est-ce encore ce Soleil dont s’allume la flamme

Qui fit luire autrefois le Soleil de mon âme.

[241] Voici les deux dernières strophes d’un Sonnet d’Audebert Heudon, frère de Jean Heudon, dont nous parlerons ci-après, adressé à Godard sur les Amours de cette Lucrèce.

Godard des vers Français l’honneur et le support,
Te fait dans ses amours revivre après ta mort,
Et célébrer ton loz parmi la terre ronde.

Faisant paraître à tous, que tu as, emporté
Sur les Dames l’honneur, comme de son côté
Il emporte l’honneur sur les chantres du monde.

[242] La preuve que Godard aimait le plaisir de la table et surtout le vin, se tire de ses Goguettes. Voici de quelle façon il s’y exprime.

Le grand Prophète Phœbus
Promit au Père Bacchus
(Je dis de promesse telle,
Qu’on la tient pour éternelle)
Que jamais aucun Boileau
Ne ferait vers bon ni beau, etc.

Heureusement cette prédiction ne s’est pas trouvée juste.

[243] Dans l’édition de 1624. Godard changea quelque chose à cet argument, et faisant parler Gaulas sur ce qui doit arriver dans les siècles à venir, il ne manque pas de lui faire prédire le bonheur dont les Français devaient jouir sous le Règne de Louis XIII.

[244] PIERRE DE LAUDUN, Sieur DAIGALIERS, fils de Raymond de Laudun, Juge du temporel de l’Évêque d’Uzès, et assez bon Poète pour son temps, était Languedocien, et composa deux Tragédies DIOCLÉTIAN, et HORACE, qu’il fit paraître en 1596. Il est aussi Auteur d’un Art Poétique divisé en cinq livres imprimé en 1597, dans lequel il n’oublie de citer souvent ses propres Ouvrages, pour servir d’exemples des différents sujets qu’il traite. On trouve aussi dans cet Art Poétique quelques faits particuliers sur la Littérature de son temps : surtout au cinquième Livre. Il nous apprend, page 275, qu’il avait fait quelques Comédies, mais qu’il ne voulait pas les donner à l’impression. Nous lui en sommes très redevables. Nous tenons cette Note de M. le Marquis de C***.

[245] Monchrétien après son retour en France, se retira vers la Forêt d’Orléans, et ensuite à Châtillon sur Loire, où il travailla à faire de l’acier, et en fit faire des lancettes, des couteaux, des canifs, et autres instruments semblables qu’il vint vendre à Paris, se logeant pour cela dans la rue de la Harpe, chez un Taillandier. Il s’occupa quelques années de ce métier, soupçonné violemment pendant tout ce temps-là de faire de la fausse monnaie. Mercure Français, T. VII.

[246] JEAN DE HAYS, né au Pont de l’Arche, Ville de Normandie, fut Conseiller, et Avocat du Roi au Bailliage, et Siège Présidial de Rouen. Il composa cette Tragédie de CAMMATE, dont le sujet est tiré d’un Opuscule de Plutarque, intitulé : Les vertueux soirs des Femmes. On ne connaît rien de plus de cet Auteur, qu’une mauvaise Pastorale, ou Bergerie funèbre, appelée AMARYLLE, qui n’a jamais paru au Théâtre.

[247] JACQUES OUYN, naquit à Louviers, petite Ville de Normandie. Il entreprit dans sa jeunesse le voyage de Rome : on peut conjecturer que la dévotion en fut le seul motif ; car les voyages de curiosité ne s’entreprennent guère que par des personnes un peu aisées : et notre Poète était si dépourvu de moyens, qu’à son retour il fut très sensible au favorable accueil qu’une Dame de sa Province, appelée Madame du Roullet, lui fit, en le recevant avec bonté, et se louant fort de ses bonnes façons. Ne pouvant s’acquitter des obligations qu’il lui avait, Jacques Ouyn offrit, par reconnaissance, à cette Dame cette Tragi-Comédie de Thobie, qui est le seul Ouvrage qu’on connaisse de lui, et qu’il fit imprimer en 1597.

[248] PIERRARD POULLET, Auteur inconnu à la réserve de son nom, composa cette mauvaise Pastorale intitulée CLORINDE, ou LE SORT DES AMANTS, qui parut en 1598.

[249] Il était frère d’Audebert Heudon, dont on a parlé dans la Vie de Godard.

[250] Il parle d’Andromaque.

[251] Le caractère de Cléomène est assez passable. C’était un Prince entreprenant, et hardi jusqu’à la témérité. Monchrétien a peint avec plaisir un caractère qui avait beaucoup de rapport avec le sien : mais ce qui est singulier, et ce que Monchrétien ne pouvait savoir, c’est que la mort de ce Roi, et la sienne ont été accompagnées de circonstances à peu près semblables.

[252] JACQUES DE CHAMP-REPUS a composé cette tragédie intitulée ULYSSE, qui parut en 1600. On ignore la vie de cet Auteur. À la fin de sa tragédie, on trouve quelques poésies de lui, et entre autres un sonnet adressé à Monsieur de la Marzellière, Chevalier de l’Ordre du Roi, Capitaine de cinquante Hommes d’Armes, et Gouverneur des villes, Château et Baronnie de Foulgère en Bretagne, sur la Polixène, Tragi-Comédie. Le second quatrain finit par ce Vers.

Venez, ouïr Mandoze en l’Avril de ses ans.

Autre sonnet à M. de Moulin Bloc sur la Tragédie de S. Clouaud.

[253] L’Auteur n’a fait encore ici que traduire grossièrement le Livre des Machabées. Cette Tragédie, non plus que celle de la Machabée dont nous avons déjà parlé*, ne présente aucune distinction d’Actes ou de Scènes. Dans celle-ci, l’Auteur introduit une Furie, qui sortant des Enfers, suggère à Antiochus tous les mauvais conseils dont il fait usage contre les Juifs. Cette furie accompagne toujours le Roi jusqu’à sa mort effroyable, et rentre avec lui dans la sombre demeure.

* Ci-dessus, page 428.

[254] FRANÇOIS BERTHRAND, né à Orléans, composa cette tragédie de PRYAM, ROI DE TROIE, qu’il dédia à Madame de la Loue. Il ne fit paraître sa Pièce qu’en 1600. On ignore entièrement la vie de cet Écrivain, qui à la réserve de cet Ouvrage, n’a rien donné au Public.

[255] Ce discours ne doit pas paraître extraordinaire dans la bouche d’un Païen, qui comme l’on sait, ne connaissait point la Providence Divine, et attribuait ses effets aux Destinées.

[256] ÉTIENNE BELLONE, Tourangeau, n’est connu que par cette mauvaise pièce à qui il a voulu donner le nom de Tragédie, et qu’il a dédiée au Sieur Cousin, Seigneur du Vivier. L’Ouvrage parut en 1600 et fut imprimé avec quatorze sonnets du même Auteur. On trouve aussi à la tête de sa Tragédie quelques autres sonnets de Lainé de Nogent le Rotrou, de Du Maine, et de Le Marquant, Parisien, amis de l’Auteur : qui a tiré le sujet de cette Tragédie d’un Roman aussi méprisable, imprimé sous le même titre en 1599. Le Héros se nomme Dalcméon, et non Alcméon, comme on le trouve annoncé dans quelques catalogues.

[257] En 1608, Valeran représentait encore à l’Hôtel de Bourgogne.

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