D’Aubigné (Jacques-François ANCELOT - Nicolas-Paul DUPORT)

Comédie en deux actes, mêlée de couplets.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 20 août 1836.

 

Personnages

 

LE MARQUIS D’AUBIGNÉ, frère de Madame de Maintenon

LE DUC DE ROQUELAURE, grand-maître de la garde robe du roi

GASTON DE RAVANNE, jeune officier

MADAME DE MAINTENON

MADAME DE LESDIGUIÈRES, sur intendante de la maison de la Dauphine

HENRIETTE, nièce du duc de Roquelaure

MADAME DE BERINGHEN, dame d’honneur de la Dauphine

AUTRES DAMES D’HONNEUR

 

La scène se passe au château de Marly, en 1685.

 

 

ACTE I

 

Le théâtre représente une salle du château de Marly. Au fond, une galerie. À gauche du public, la porte qui mène chez Madame de Lesdiguières. À droite, celle qui communique aux appartements du roi.

 

 

Scène première

 

MADAME DE LESDIGUIÈRES, MADAME DE BERINGHEN, HENRIETTE, DAMES D’HONNEUR et LES DAMES D’HONNEUR

 

Au lever du rideau, Madame de Beringhen et les dames d’honneur sont assises et groupées autour d’une table à droite du spectateur ; elles travaillent et chantent le chœur ; Madame de Maintenon arrive par le fond, accompagnée d’Henriette ; puis après leur avoir parlé, elle se retire par la galerie à droite.

Air : Valse de Robin des bois. 

MADAME DE BERINGHEN, HENRIETTE, DAMES D’HONNEUR

Chacune de nous a du zèle
Pour madame de Maintenon,
Et sur un si parfait modèle
Des vertus veut prendre leçon.

MADAME DE MAINTENON, aux dames d’honneur, parlé.

Je vous la confie, mesdames.

À Henriette.

Je vais m’occuper de votre bonheur, ma chère Henriette.

Elle sort par la droite.

Reprise du CHŒUR.

Chacune de nous, etc.

MADAME DELESDIGUIÈRES, sortant de la porte de gauche.

Madame de Maintenon est déjà passée chez le roi ?...

MADAME DE BERINGHEN.

Oui, madame de Lesdiguières... après avoir examiné ces coiffes et ce mantelet que nous brodons pour elle.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

La marquise s’arroge de commander aux dames d’honneur de la dauphine, qui voyage avec son auguste époux. C’est usurper sur mes droits de surintendante de son altesse. N’importe, mesdames, travaillez pour l’amie du roi comme on l’appelle. Et vous,

À Henriette.

ma chère Henriette, vous, arrivée hier au soir de Saint-Cyr, comment vous trouvez-vous de cette première nuit passée à Marly près des dames d’honneur, auxquelles la marquise vous avait confiée ?...

HENRIETTE.

Très bien !... je n’ai pas même été réveillée par le bruit que ces dames assurent avoir entendu une heure avant le jour...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Ô ciel !...

À Madame de Beringhen.

Comment, quel bruit ?

MADAME DE BERINGHEN.

Sous vos fenêtres... vous n’avez pas entendu, madame ?... on a frappé à plusieurs reprises à la petite porte de l’escalier dérobé... une voix a murmuré. 3Ouvrez... ouvrez... c’est moi.3

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

Se douterait-on ?... ce d’Aubigné, à quoi il m’expose !...

Haut.

Mais on n’a pas ouvert !...

MADAME DE BERINGHEN.

N’importe... c’est effrayant !... notre pavillon isolé, entouré de bosquets, et pas de sentinelles !... Je me plaindrai que les dames d’honneur soient si mal gardées.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Pour faire dire qu’elles ne sont pas en état de se garder elles-mêmes ?... On supposerait que c’est l’amant de l’une de nous.

HENRIETTE.

Oh ! le mien n’oserait pas !...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, souriant.

Vous avez donc un amant ?... et vous en convenez...

HENRIETTE, naïvement.

Pourquoi pas ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

Quelle innocence !...

Haut.

Et a-t-il un rang à la cour ?...

HENRIETTE.

Il n’y est attaché qu’indirectement... vous savez peut-être que le frère de Madame de Maintenon...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, vivement.

Le marquis d’Aubigné !... serait-ce lui ?...

HENRIETTE.

Oh ! non, madame, il est trop mauvais sujet pour moi...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Ah !...

HENRIETTE.

Au point que sa sœur s’est crue obligée de le faire surveiller.

Air : C’était Renaud de Montauban.

Elle a choisi parmi les officiers,
Le plus sage, le plus fidèle,
Celui qu’on pourrait volontiers
Leur donner à tous pour modèle.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

J’entends, voilà celui qui vous a plu ?

HENRIETTE

Madame, il est la vertu même,
Et de Saint-Cyr la loi suprême,
C’est qu’il faut aimer la vertu.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Et vous aimez la vertu dans la personne de M. de Ravanne ?...

HENRIETTE.

Oui, madame ; il a reçu charge et commandement pour accompagner en tous lieux le marquis, le retenir dans ses folies, ou du moins en arrêter les suites, et empêcher qu’elles n’arrivent à la connaissance du roi. Au reste, Madame de Maintenon lui a promis qu’il n’aurait qu’à demander tout ce qu’il voudrait pour prix de son zèle... et je sais bien ce qu’il demandera...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Votre main !...

HENRIETTE.

Oh ! si Madame de Maintenon voulait lui en faire crédit !... j’en ai presque l’espoir... hier... quand elle m’a envoyé prendre à Saint-Cyr, monseigneur le cardinal Méroni, qui est venu s’y établir depuis quelques jours, m’a dit d’un ton si mystérieux que j’étais mandée à Marly pour une grande affaire...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Ah ! ah !...

À part.

Quelque intrigue sans doute...

Haut.

Ne vous flattez pas trop tôt, mon enfant, Ravanne n’est qu’un simple gentilhomme de province...

HENRIETTE.

Oui, de la mienne où je l’ai connu...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Et vous, nièce, unique héritière d’un duc, du grand maître de la garde-robe du roi !...

HENRIETTE.

Heureusement, mon oncle n’est pas fier... il ne tient pas à l’étiquette, à ce qu’on dit du moins... car je le connais à peine... Il ne venait pas me voir au couvent... pourquoi cela ?...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, passant devant Henriette.

Oh ! je m’en doute.

Aux dames d’honneur.

Mesdames, croyez-vous que Madame de Maintenon aurait permis l’entrée de Saint-Cyr à M. le duc de Roquelaure ?

TOUTES.

Ah ! fi donc !

HENRIETTE.

Comment fi !...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

C’est que votre oncle, si connu par ses facéties... ses mystifications que rien n’arrêté...

HENRIETTE.

Vraiment !... ah ! contez m’en donc quelqu’une...

LES DEMOISELLES D’HONNEUR, se levant et entourant Madame de Lesdiguières.

Oh ! oui, madame !

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Air : Ce luth galant qui chante les amours.

Vous le voulez ?... figurez-vous qu’un jour,
Où l’on donnait un grand bal à la cour,
Il... Mais qu’allais-je faire ? une telle fredaine !
J’oubliais mon devoir,
Oui, moi, votre gardienne,
Vous raconter cela ! Je ne puis !

À part.

C’est à peine
Si je peux le savoir.

HENRIETTE.

Eh ! bien, une autre !...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Elles sont toutes de même... et bien d’accord avec son air jovial... son allure vive et bouffonne...

 

 

Scène II

 

HENRIETTE, ROQUELAURE, MADAME DE LESDIGUIÈRES, MADAME DE BERINGHEN, DAMES D’HONNEUR

 

ROQUELAURE, qui est entré lentement et d’un air sombre.

Ouf !

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Eh ! mais, c’est lui !

LES DAMES D’HONNEUR.

Monsieur de Roquelaure !...

HENRIETTE.

Mon oncle !...

ROQUELAURE.

Bonjour, petite...

Soupirant d’un ton lugubre.

Ah ! mesdames !...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Que signifient ces soupirs, ce ton lugubre ?

ROQUELAURE.

Ne faites pas attention... c’est la suite d’un accès de gaîté que j’ai eu hier au soir.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Eh bien !... on ne s’en douterait pas.

ROQUELAURE.

Hélas ! madame de Lesdiguières, qu’a-t-on fait de mon pauvre maître ?... Où est ce roi à qui dans sa jeunesse, je tenais l’échelle pour pénétrer la nuit par la fenêtre chez les filles d’honneur, malgré leur gouvernante, Madame de Navailles ? ce monarque, que, tout absolu qu’il était, j’ai eu trente ans le pouvoir de faire rire malgré lui.

Air du Petit Courrier.

Près du roi mes succès flatteurs
Cessent depuis que la marquise
En vieille bigote s’avise
De vouloir lui donner des mœurs,
Oui, des mœurs et des pruderies !
Et c’est, d’après les médisants,
Pour placer les économies
Qu’elle en fit dans son jeune temps.

Car franchement, si elle voulait se rappeler comme moi certaine veuve Scarron, que j’ai vue jadis chez Ninon, son amie intime, qui lui prêtait la moitié de sa voiture, de sa table, et quelquefois même de son lit, quand il y avait place pour deux... pour deux femmes...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, lui montrant Henriette et les autres dames.

Mais taisez-vous donc...

ROQUELAURE.

Ah ! c’est juste... diables de bons mots... j’ai beau les arrêter au passage, ça m’étrangle, ça m’étouffe...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Vous finirez par nous compromettre...

ROQUELAURE.

Que voulez-vous ?... charité chrétienne... je fais pour mon prochain comme pour moi-même...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Vous seriez compromis !...

ROQUELAURE.

Ruiné, démoli... pleine disgrâce...

HENRIETTE.

Ce pauvre oncle !

ROQUELAURE.

Et vous allez juger s’il y a de quoi...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Devant votre nièce ?

ROQUELAURE.

Oh ! rien d’inconvenant ; il ne s’agit que d’un sacrilège.

TOUTES.

Un sacrilège !...

ROQUELAURE.

À ce que dit le roi... car pour moi, je n’y voyais qu’un moyen de l’égayer, de lui procurer une de ces franches envies de rire, qui faisaient tant de bien autrefois à son auguste rate, et, par ricochet, à mon crédit. Hier au soir, toutes les dames de la cour s’étaient rendues à la chapelle pour les ténèbres, un quart d’heure avant le roi, comme c’est l’usage, chacune un petit bougeoir à la main. Pas une ne manquait : illumination générale ; un coup d’œil édifiant... qui me fait venir une idée. Je m’avance dans la tribune de sa majesté et crie à haute voix : « Messieurs les gardes, retirez-vous, le roi ne viendra pas ce soir, » Aussitôt bougeoirs de s’éteindre l’un après l’autre ; et jolies dé votes de prouver par leur retraite que si elles venaient là, c’était pour faire leur cour à un autre dieu que celui du ciel ; deux minutes plus tard le roi entrait.

HENRIETTE, riant.

Ah ! ah !

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Et moi qui étais partie !...

TOUTES LES AUTRES.

Moi aussi !... moi aussi !...

MADAME DE BERINGHEN.

Ah ! que j’ai bien fait de rester !

ROQUELAURE, sans l’entendre.

Il n’était resté que les vieilles.

MADAME DE BERINGHEN, à part.

L’insolent !...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, gaiement.

Un pareil tour !...

Lui tirant l’oreille.

Roquelaure, nous nous vengerons.

LES DAMES, lui donnant toutes de petits soufflets et le pinçant en riant.

Oui... oui... il faut le battre !

ROQUELAURE, se débattant et se sauvant à droite, où il est arrêté par Madame de Beringhen.

Eh bien ! eh bien !... Qu’est-ce que ça ? Je ressemble à Orphée assommé par les petites-maîtresses de son époque...

À Madame de Beringhen qui pince plus fort que les autres.

Ah ! vous n’avez pas le droit de taper, vous... je crois que vous êtes restée.

MADAME DE BERINGHEN, vivement.

Du tout !...

À part.

Par exemple, les vieilles !

HENRIETTE, défendant son oncle.

Mesdames, puisque mon oncle est déjà puni par le roi.

MADAME DE BERINGHEN.

C’est bien fait !

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Ah ! voyons !... Comment ?

LES DAMES D’HONNEUR.

Oui, comment ?

ROQUELAURE.

Voici !... Je venais de conter au roi ma petite drôlerie, et il se déridait déjà, quand Madame de Maintenon, qui l’accompagnait... j’ignore ce qu’elle lui a soufflé dans l’oreille, mais il a froncé le sourcil et m’a signifié d’un ton sec que j’eusse à suspendre dans trois jours mes fonctions de grand-maître de sa garde-robe, si, d’ici là, je ne lui apportais une absolution signée du cardinal Méroni, ce prélat italien qui a maintenant tant de crédit à la cour.

TOUTES LES DAMES, riant.

Ah ! ah ! Roquelaure à confesse.

ROQUELAURE.

Oui, riez... riez... Si vous croyez que ce n’est pas embarrassant...

MADAME DE BERINGHEN, avec ironie.

Pour le confesseur ?

ROQUELAURE.

Aussi, madame de Lesdiguières, je n’ai d’espoir qu’en vous.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Moi ?...

Henriette, Madame de Beringhen et les dames d’honneur se remettent à la table.

ROQUELAURE.

C’est de vous seule que dépend mon absolution.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Air : De votre bonté généreuse.

Vous plaisantez ; nouvelle extravagance !

ROQUELLAURE.

Non, non, du tout ! car à présent,
Je dois avoir... c’est dans ma pénitence,
De la raison et parler gravement !
Pour que l’Italien m’appuie
De son crédit, je suis même tenté,
D’aller jusqu’à l’hypocrisie,
Par esprit de conformité.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Je ne puis comprendre...

ROQUELAURE.

Ce matin, je me suis rendu à Saint-Cyr, auprès de son éminence, qui, après une verte semonce, m’a dit que pour mériter l’absolution dont j’ai besoin, je devais me rendre utile aux intérêts du ciel.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Eh bien !...

ROQUELAURE.

Là dessus, il s’est jeté dans un amphigouri mystique, d’où il ressort qu’il y a huit mois, dans les commencements de votre veuvage, vous aviez accueilli les consolations qu’il vous apportait.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

Le fourbe !

ROQUELAURE.

Il ignore ce qui a tout d’un coup refroidi votre ferveur.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

Ah ! il l’ignore !...

ROQUELAURE.

Mais, enfin, il en gémit, par zèle pour votre salut... et comme j’ai sans cesse occasion de vous voir à Marly, il m’enjoint de vous déterminer à le recevoir encore, à prêter l’oreille à ses exhortations pieuses.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

Et à ses galantes déclarations.

ROQUELAURE, bas, la tirant à l’écart.

Il a ajouté que si vous craignez de faire naître des conjectures malignes par ce brusque retour dans la bonne voie, il avait tant de zèle pour vous, qu’il s’offrait à venir en secret par l’escalier dérobé qui donne sur l’avenue.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Désolée, mon pauvre Roquelaure ; mais votre prosélytisme est inutile, et vous aurez plus tôt fait de recourir à Madame de Maintenon, et d’essayer de la fléchir.

ROQUELAURE.

Ah ! bien oui ! j’aurais beau jeu, dans ce moment-ci surtout, où elle est d’une humeur...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Et pourquoi ?...

ROQUELAURE.

Il paraît que cette nuit elle a vainement envoyé chercher son frère dans tout Paris.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

D’Aubigné !...

ROQUELAURE.

Impossible de le trouver, ni Ravanne non plus... Elle est furieuse !

HENRIETTE, vivement en se levant.

Contre Ravanne aussi !

ROQUELAURE, à Henriette.

Ah ! c’est juste... tu le connais, il est de ta province... Eh bien ! ma chère, il ne risque rien... si d’Aubigné ne se retrouve pas... 

 

 

Scène III

 

MADAME DE LESDIGUIÈRES, D’AUBIGNÉ, ROQUELAURE

 

D’AUBIGNÉ, qui s’est approché pendant les derniers mots de Roquelaure.

Il se retrouvera.

TOUS LES DEUX.

Monsieur d’Aubigné !

ROQUELAURE.

C’est toi !

HENRIETTE, à part.

Sans Ravanne !

D’AUBIGNÉ.

Mesdames, j’ai bien l’honneur...

À Madame Lesdiguières voulant lui baiser la main.

Madame de Lesdiguières veut-elle me permettre ?...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, reculant en lui faisant la révérence.

Monsieur le marquis...

D’AUBIGNÉ, à part.

Ah ! c’est juste !... en public.

Haut à Madame de Lesdiguières.

Que ce demi-deuil vous sied bien !... il ne faut pas s’étonner si tant de femmes souhaitent d’être veuves... c’est par coquetterie.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

De pareilles folies, quand votre sœur vous attend !...

D’AUBIGNÉ.

Elle m’attend ?... je n’ai donc pas besoin de me presser.

ROQUELAURE.

Ta disparition de cette nuit l’a jetée dans une colère !

D’AUBIGNÉ.

Qu’il n’en est que plus héroïque de venir affronter avec toi... car on vient de me conter ton espièglerie d’hier au soir... mon cher Roquelaure, je t’en fais mon compliment.

ROQUELAURE.

Ça c’est bien aisé à dire.

D’AUBIGNÉ.

Est-ce que tu as peur ?...

ROQUELAURE.

Je voudrais bien te voir à ma place, devant la terrible marquise.

D’AUBIGNÉ.

Je lui tiendrais tête.

ROQUELAURE.

Toi ?

D’AUBIGNÉ.

Oui, parbleu !... toute ma sœur aînée qu’elle est... et très aînée même.

ROQUELAURE.

Tu répondrais à ses reproches ?

D’AUBIGNÉ.

En lui disant ses vérités.

ROQUELAURE.

Allons donc... je t’en défie.

D’AUBIGNÉ.

Parions cent pistoles...

ROQUELAURE.

Parce qu’elle ne te sermonne qu’en tête-à-tête, et que nous ne serons pas là pour juger...

D’AUBIGNÉ.

Écoute... je m’engage, foi de gentilhomme ! à lui répéter tout ce que je vais te dire à toi, si tu veux remplir son personnage.

ROQUELAURE.

Comment !

D’AUBIGNÉ.

Oui... l’épreuve de Scapin dans les fourberies... justement... tiens, voilà le costume de ton rôle... Ce mantelet, cette coiffe...

MADAME DE BERINGHEN.

Que nous brodons pour la marquise... finissez donc.

D’AUBIGNÉ, l’écartant.

Au contraire... l’illusion en sera plus complète... eh vite ! vite !

TOUTES LES AUTRES DAMES.

Oui... ce sera drôle.

Elles poursuivent Roquelaure avec le mantelet et la coiffe.

ROQUELAURE.

Mesdames... mesdames !...

D’AUBIGNÉ.

C’est toi qui recules !

ROQUELAURE, à part.

Au fait... en son absence... comment saurait-elle ?...

Haut, d’un air fanfaron.

Du tout, il ne sera pas dit que Roquelaure ait jamais reculé devant une bouffonnerie, et de Molière encore... Allons, mesdames... habillez-moi.

LES DAMES.

Voilà !... voilà !...

Elles l’affublent à un côté du théâtre, tandis que de l’autre côté, d’Aubigné parle bas à Madame de Lesdiguières.

D’AUBIGNÉ, bas.

Chère Éléonore !...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, bas.

Prenez garde.

D’AUBIGNÉ, bas.

Si vous saviez ce que j’ai tenté la nuit dernière...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, bas.

Imprudent !

D’AUBIGNÉ, bas.

Vous m’avez reconnu ; aussi pourquoi m’aviez-vous refusé une entrevue ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Ici !... à Marly !...

ROQUELAURE, de loin.

Tu n’as qu’à bien te tenir...

D’AUBIGNÉ.

Sois tranquille...

Bas à Madame de Lesdiguières.

Ce soir, du moins.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, vivement.

Chut !

ROQUELAURE.

Ai-je bien son petit air bégueule et aigre-doux.

LES DAMES, riant.

À jurer que c’est elle.

ROQUELAURE, qui avance de côté.

Allons, es-tu prêt ?

D’AUBIGNÉ, qui avance de l’autre en faisant des signes.

Voilà !

 

 

Scène IV

 

MADAME DE LESDIGUIÈRES, D’AUBIGNÉ, ROQUELAURE, MADAME DE MAINTENON, qui est entrée sur les dernières paroles et s’avance entre d’Aubigné et Roquelaure, sans être vue

 

ROQUELAURE, parodiant la voix de femme.

Ah ! ça ! monsieur mon libertin de frère.

Il aperçoit Madame de Maintenon.

Ouf !

D’AUBIGNÉ.

Madame ma béguine de sœur !

L’apercevant.

Aïe !

TOUTES LES DAMES.

La marquise !...

MADAME DE MAINTENON.

Que signifie cette mascarade ? est-ce là, monsieur le duc, la contrition que devrait vous inspirer le malheur d’avoir hier déplu à Dieu et au roi ?

ROQUELAURE.

Madame...

Détachant le mantelet et la coiffe qu’il tend derrière lui, à demi-voix.

Otez-moi donc ça !

MADAME DE MAINTENON.

Fi, monsieur !... jouer à la cour le rôle d’un vieux bouffon...

ROQUELAURE.

Dam... il y a eu Scarron, celui de la reine.

MADAME DE MAINTENON, lui lançant un regard.

Hein !...

ROQUELAURE, à part.

Ah ! quelle bêtise !

Dans son trouble, il laisse tomber la coiffe et le mantelet ; une dame d’honneur vient les ramasser.

MADAME DE MAINTENON, les apercevant.

Que vois-je ?... ma coiffe !... mon mantelet !... À merveille, mesdames... ainsi !...

D’AUBIGNÉ.

Halte là, ma sœur... n’accusez pas ces dames... c’est moi seul qui suis l’instigateur...

MADAME DE MAINTENON.

D’un manque de respect envers moi ?... il ne fallait pas moins pour vous attirer ici... car vous n’avez point couché dans votre hôtel à Paris...

D’AUBIGNÉ.

Pour bonnes raisons... les huissiers étaient venus m’y rendre visite.

MADAME DE MAINTENON.

Des huissiers !... encore !...

D’AUBIGNÉ.

Le grand Condé les faisait sauter par la fenêtre... ça sentait le prince... moi qui ne suis que marquis... j’ai trouvé plus décent de leur échapper par ruse.

MADAME DE MAINTENON.

Toujours le même !

D’AUBIGNÉ, frappant sur son gousset.

Quant aux finances... c’est vrai... mais à cet égard-là, il dépend de vous de me changer complètement ; et, de toutes vos conversions, c’est celle qui vous ferait le plus d’honneur dans mon esprit.

Air : Vaudeville des frères de lait.

Vous possédez un talent incroyable,
Plus d’un pécheur vous devra son salut !
En combattant la puissance du diable,
Votre éloquence atteint toujours son but.
(bis.)
Oui, près de vous, Satan est sans ressource,
Car à nous fuir vous savez le forcer !...
En bien ! le diable est au fond de ma bourse,
Avec un mot vous pouvez l’en chasser.

MADAME DE MAINTENON.

Malheureux !... si le roi entendait parler de vos dettes !...

D’AUBIGNÉ.

Je lui dirais : Sire, ce qui m’oblige d’en faire, c’est que mes ancêtres se sont ruinés au service des vôtres...

MADAME DE MAINTENON.

Vous oseriez... au roi !... tant d’extravagance...

D’AUBIGNÉ.

Eh ! ma sœur, je n’ai été que trop raisonnable... voilà longtemps que vous me tenez à la lisière, que vous attachez après moi des surveillants, des mentors ! et dans quel but ? que voulez-vous faire de moi ?... un hypocrite ?... je ne suis pas assez habile... un saint ? pas si bête... Et dernièrement encore, le petit Ravanne, croyez-vous que je me serais laissé mettre sous lui en tutelle s’il ne m’avait pas supplié à mains jointes, parce qu’il y va, dit-il, de son bonheur, de tout son avenir ?

HENRIETTE, à part.

Oh ! ce bon M. d’Aubigné !

D’AUBIGNÉ.

Et puis, ça m’a paru drôle : un prisonnier qui ne garde son geôlier que pour lui rendre service... mais puisque votre tyrannie ne fait que s’appesantir, je veux redoubler de légèreté ; je me révolte à la fin.

ROQUELAURE, à part se frottant les mains.

Bien ! hardi !... il me venge !...

MADAME DE MAINTENON, outrée.

Monsieur... ce langage...

D’AUBIGNÉ.

Est un manifeste... une déclaration de principes, que je prétends mettre à exécution.

MADAME DE MAINTENON.

Vous n’en ferez rien.

D’AUBIGNÉ.

C’est déjà fait ! je ne vous prends pas en traître... et pour commencer, je vous notifie que cette nuit même, j’ai tenté une escalade à l’Espagnole pour me rapprocher d’une femme que j’adore...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

Indiscret !

MADAME DE MAINTENON.

Quelle horreur !... mesdames, n’écoutez pas !...

D’AUBIGNÉ.

Je vous notifie, que n’ayant pu pénétrer jusqu’à elle, dans mon désespoir, j’ai couru, pour m’étourdir jusqu’à Versailles, à un lansquenet clandestin, tenu par de jeunes seigneurs de mes amis.

MADAME DE MAINTENON.

Quels sont les téméraires ?... nominez-les...

D’AUBIGNÉ.

Quand je dénoncerai, par exemple !... je vous notifie que je leur ai emprunté dix mille écus.

MADAME DE MAINTENON.

Une telle somme !. vous ne la garderez pas ?

D’AUBIGNÉ.

La garder !... j’en suis incapable. Pour qui me prenez-vous, ma sœur ?... Je l’ai jouée, je l’ai perdue... il s’en est suivi une querelle... un duel, au point du jour...

TOUS.

Un duel !...

D’AUBIGNÉ.

Oui, d’amitié... le guet est venu nous interrompre... je vous notifie que nous avons rossé le guet.

MADAME DE MAINTENON, hors d’elle-même.

Ô ciel !

ROQUELAURE, à part.

De mieux en mieux !...

D’AUBIGNÉ.

Mais trop circonspect pour distribuer des coups anonymes, j’ai déclaré aux battus mon titre et mon nom.

MADAME DE MAINTENON.

Je frémis !...

D’AUBIGNÉ.

Voilà l’historique fidèle de ma nuit, en attendant la journée.

MADAME DE MAINTENON.

Et Ravanne ne s’y est pas opposé !... où est-il, monsieur ?...

D’AUBIGNÉ.

Mon jeune mentor !... Ce n’est pas à moi de vous en instruire... il me semble que vous ne me l’avez pas donné à garder... au contraire.

MADAME DE MAINTENON.

Ah ! il paiera cher !

HENRIETTE, à part.

Pauvre garçon !

ROQUELAURE, s’approchant de d’Aubigné, et lui serrant la main.

Je suis content de toi.

 

 

Scène V

 

ROQUELAURE, MADAME DE LESDIGUIÈRES, D’AUBIGNÉ, MADAME DE MAINTENON, RAVANNE, entrant tout en désordre, HENRIETTE

 

RAVANNE.

Ah ! madame la marquise.

HENRIETTE, à part.

C’est lui !

MADAME DE MAINTENON.

Vous voilà, jeune homme ?

RAVANNNE.

Ne m’accusez pas... monsieur votre frère... il m’a échappé... j’ignore...

D’AUBIGNÉ.

Où je suis ?

RAVANNE, à part.

Ah ! mon Dieu !

MADAME DE MAINTENON.

Pourquoi ne l’avez-vous pas suivi ?

RAVANNE.

Le pouvais-je... arrêté moi-même par des huissiers.

D’AUBIGNÉ.

Qui le prenaient pour moi... est-ce généreux de ma part ?... je l’avais créé marquis.

ROQUELAURE, éclatant de rire.

Oh ! le bon tour !

Madame de Maintenon jette sur lui un regard d’indignation. Il baisse les yeux.

Ouf !

D’AUBIGNÉ.

Voilà ! d’une pierre deux coups... il m’a délivré d’eux et ils m’ont délivré de lui.

MADAME DE MAINTENON, suffoquée.

Je ne sais où j’en suis... tant de scandales... et coup sur coup !... s’ils allaient retentir jusqu’au roi !

À Ravanne.

Ravanne, vous irez de ma part chez M. de Pontchartrain ; qu’il écrive au parlement, qu’à tout prix on étouffe cette affaire... et vous,

À d’Aubigné.

monsieur, vous réparerez vos torts... et pour commencer, jurez-moi, devant ceux mêmes que vous venez d’en rendre confidents, d’oublier, de ne plus revoir la malheureuse...

D’AUBIGNÉ.

Arrêtez, ma sœur... n’outragez pas une femme adorable, qui a droit au respect...

MADAME DE MAINTENON.

S’il était vrai, au lieu d’une intrigue, vous auriez recherché sa main.

D’AUBIGNÉ.

Sa main ! et si elle n’est pas libre !

MADAME DE MAINTENON.

Quelle indignité !... mariée !...

D’AUBIGNÉ.

Non, grâce au ciel !... mais un veuvage récent...un deuil qui dure encore.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, effrayée, à part.

Ciel !... il ne lui reste plus qu’à me nommer.

D’AUBIGNÉ.

Et c’est pour cela, pendant qu’elle attend sa liberté, je me dépêche de jouir de la mienne... car ensuite, tout à elle... comme je compte bien le lui jurer encore ce soir.

MADAME DE MAINTENON.

C’est trop fort.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, bas à d’Aubigné.

Chut ! donc...

À part.

Il me fait trembler !

D’AUBIGNÉ.

Ah !... je joue cartes sur table, moi !... Eh bien !... Roquelaure, tu ne diras plus que je n’ose pas résister à ma sœur.

ROQUELAURE, effrayée.

Malheureux ! tu veux donc me perdre !

MADAME DE MAINTENON.

Retirez-vous, mesdames... Emmenez cette jeune fille. Vous, Ravanne, chez M.de Pontchartrain ; vous, duc, chez le roi... et surtout que personne ne répète des paroles

Regardant d’Aubigné.

dont j’ai honte, et qui n’auraient jamais dû être entendues ici.

Air : Travaillez, mesdemoiselles.

MADAME DE MAINTENON.

Qu’on s’éloigne, je l’ordonne,
Rien n’a pu le retenir,
Mais du scandale qu’il donne,
Qu’on chasse le souvenir.

Ensemble.

ROQUELAURE.

La leçon pour elle est bonne,
Rien n’a pu le retenir,
Mais du scandale qu’il donne,
Un sermon va le punir.

TOUTES LES DAMES.

Nous sortons, puisqu’on l’ordonne ;
Rien n’a pu le retenir ;
Mais du scandale qu’il donne,
Écartons le souvenir.

Tout le monde sort par le fond elles portes de côté.

 

 

Scène VI

 

D’AUBIGNÉ, MADAME DE MAINTENON

 

MADAME DE MAINTENON.

Eh bien ! monsieur, votre licence a-t-elle eu un assez libre cours ?... et l’éclat d’un pareille scène...

D’AUBIGNÉ.

Ma chère sœur, je sais que vous prêchez à merveille, talent auquel vous devez votre ascendant sur le roi, qui ne décide jamais rien avec ses ministres, sans se tourner vers vous, en disant, qu’en pense votre solidité ? Aussi, je me ferais scrupule d’empiéter sur les privilèges de mon souverain. À lui, vos conseils, vos sermons, quant à moi qui m’en reconnais indigne, trouvez bon...

Fausse sortie.

MADAME DE MAINTENON, l’arrêtant.

Restez, monsieur, pour m’entendre.

D’AUBIGNÉ.

Du tout, c’est pour ne pas vous entendre que je m’en vais.

MADAME DE MAINTENON, d’un ton impérieux.

Restez, vous dis-je... il s’agit de votre intérêt, de votre fortune.

D’AUBIGNÉ.

J’aime mieux mon indépendance. Adieu !

MADAME DE MAINTENON.

Eh bien ! mon frère, ta sœur a besoin de toi.

D’AUBIGNÉ, revenant.

Serait-il vrai ? toi, Françoise ?... Ah ! parle... J’ai beau, quelquefois, t’accuser d’être trop prude, trop sévère... je t’aime, vois-tu ! mon sang, ma vie, sont à toi... Quelqu’un t’aurai-il offensée ?... Faut-il en tirer vengeance ?... me voilà prêt.

MADAME DE MAINTENON.

Merci, merci, mon frère... je crois à cette amitié, mais c’est à une moins forte épreuve que je veux la mettre.

D’AUBIGNÉ.

Que puis-je donc faire pour toi ?

MADAME DE MAINTENON.

Prendre une femme.

D’AUBIGNÉ, étonné.

Une femme !... bah !

Gaiement.

La femme de qui ?

MADAME DE MAINTENON, avec un sourire involontaire.

Libertin !...

Sérieusement.

Marquis, il faut vous marier.

D’AUBIGNÉ, stupéfait.

Hein ?... Plaît-il ?... moi ?

MADAME DE MAINTENON.

Aujourd’hui même.

D’AUBIGNÉ.

Comment ! aujourd’hui ?

MADAME DE MAINTENON.

Je vais vous faire une grande confidence, mais vous sentez-vous capable d’être discret ?

D’AUBIGNÉ.

Discret ?

MADAME DE MAINTENON.

Me le jurez-vous ?

D’AUBIGNÉ.

Eh bien ! soit... Au fait, ça me changera.

MADAME DE MAINTENON, d’un air mystérieux.

Apprenez que ce soir, votre sœur devient l’épouse du roi.

D’AUBIGNÉ, avec un grand cri.

Du roi !!!

MADAME DE MAINTENON.

Chut ! Autrefois, j’épousai Scarron pour vivre ; eh bien ! c’est pour vivre dans l’histoire que je vais épouser Louis XIV.

D’AUBIGNÉ.

Permettez... en secret.

MADAME DE MAINTENON.

Est-ce qu’il y a des secrets à la cour ?... je n’en conviendrai jamais devant personne ; et ce sera une raison de plus pour en convaincre tout le monde.

D’AUBIGNÉ.

Dans le fait, c’est juste... Allons, ma chère sœur, s’il ne vous faut, pour être reine, que mon consentement...

MADAME DE MAINTENON.

Il me faut votre mariage.

D’AUBIGNÉ.

Encore !

MADAME DE MAINTENON.

Écoutez-moi jusqu’au bout. Dix ans de contrainte et d’esclavage pour subjuguer le cœur du roi, ce n’était que la moitié de ma tâche. La dauphine, jalouse de mon influence, avait soulevé son époux contre mes desseins qu’elle pressentait. Le roi craignait les plaintes, les reproches de son fils. Il a fallu saisir l’occasion d’une courte absence de leurs altesses. Ce n’est pas tout. L’abbé Méroni, prélat italien, en qui le roi a toute confiance, pouvait seul consacrer cette union mystérieuse. La plus légère hésitation de sa part eût suffi pour alarmer la conscience ou plutôt l’orgueil timoré de Louis XIV. J’ai dû m’assurer du cardinal Méroni, et, dans ce but, à combien d’efforts il a fallu me plier... services, promesses, présents, et jusqu’à ces bagatelles, ces attentions délicates qui flattent le plus l’amour-propre... Que vous dirai-je ? dussiez-vous en rire... jusqu’à lui broder des gants de ma propre main.

D’AUBIGNÉ.

En rire, non, sur mon âme !... Vous, ma sœur, avec votre rigorisme, ménager un abbé Méroni !... Que je sois mauvais sujet, moi, passe : je ne suis gentilhomme que pour ça... mais lui !... un cardinal !... chacun son état... Et si vous saviez les aventures qu’on raconte de lui...

MADAME DE MAINTENON, vivement.

Je les ignore !... et d’ailleurs, quand l’intention est légitime, tous les instruments sont sanctifiés par elle.

D’AUBIGNÉ.

Ah ! dam !... quand je vous parle morale, si vous me répondez théologie, ce n’est plus la même chose.

MADAME DE MAINTENON.

Rien n’était à négliger, et j’avais pensé à tout. La pompe de Versailles rappelait à Louis XIV des souvenirs d’orgueil dangereux pour moi... Je l’avais amené à Marly... Pour éviter le moindre retard au moment favorable, j’a vais, depuis huit jours, attiré l’abbé Méroni près de nous, à Saint-Cyr... avec adresse... sans lui découvrir mon secret... En un mot, je ne voyais plus d’obstacle lorsqu’hier, il s’en est présenté un... et c’est de vous qu’il venait.

D’AUBIGNÉ.

De moi ?

MADAME DE MAINTENON.

De vous, mon frère.

D’AUBIGNÉ.

C’est bien sans m’en douter, par exemple !...

MADAME DE MAINTENON.

Tant de mesures, quoique prises dans l’ombre, avaient donné l’éveil à Louvois, dévoué en secret au dauphin... Il a compris que je touchais au but ; et, n’osant me heurter de front, c’est vous, c’est votre mauvaise réputation qu’il est venu m’opposer. Il a, sous un faux air d’attachement, affecté de me plaindre en présence du roi, d’avoir un frère dont les extravagances ternissaient ma gloire ; et à l’appui de ses paroles, il a cité des exemples...

D’AUBIGNÉ.

Pour lesquels il n’avait que l’embarras du choix.

MADAME DE MAINTENON.

J’ai vu le roi in certain. J’ai sur-le-champ paré l’attaque.

D’AUBIGNÉ.

Et comment ?

MADAME DE MAINTENON.

En déclarant la que grâce avait dessillé vos yeux ; que vous étiez converti...

D’AUBIGNÉ.

Bien obligé...

MADAME DE MAINTENON.

Et pour preuve, j’ai promis au roi qu’ici, sous ses yeux, votre mariage précéderait le nôtre...

D’AUBIGNÉ.

Ah !... mon Dieu !... ma sœur !... qu’est-ce que vous avez fait là ?...

MADAME DE MAINTENON.

Un coup de maître ; car Louis XIV, entre autres craintes, était encore retenu par celle de ne pouvoir dérober aux soupçons de sa cour la cérémonie de notre union ; la vôtre servira de prétexte public, officiel... et cette considération a achevé de le déterminer...

D’AUBIGNÉ.

Lui !... c’est possible !... mais moi !... Disposer ainsi de mon sort... sans prendre même le temps de me consulter !...

MADAME DE MAINTENON.

Le temps !... et ne sentez-vous pas comme il est précieux ?... Du temps... et le dauphin qui peut chia que jour arriver à Marly !... le cardinal qui peut s’éloigner de Saint-Cyr ! Du temps !... rappelez-vous Lauzun... un jour plus tôt, il était l’époux de Mademoiselle... il attendit, et ne fut rien ! Songez donc que de circonstances, de précautions il m’a fallu réunir !...

D’AUBIGNÉ.

Voulez-vous que je vous dise, ma sœur, il vous en a fallu beaucoup trop. Je ne me pique pas d’être un grand politique ; mais, dans le nombre, il est bien difficile qu’il ne vous en manque pas quelqu’une ; et alors, adieu toutes les autres.

Air : Amis, voici la riante semaine.

Cette prudence, où votre espoir se fonde,
Croit du hasard prévenir tous les coups ;
Et le hasard, cet arbitre du monde,
Vous le verrez, se vengera de vous ;
À son filet sans relâche on travaille,
Puis on le lance et l’on se croit vainqueur.
Mais tout-à coup il s’échappé une maille,
Le poisson passe et se rit du pécheur.

MADAME DE MAINTENON.

J’entends !... Misérable objection, qui n’est qu’un prétexte pour persister dans vos désordres.

D’AUBIGNÉ.

Prétexte ou non, je ne suis pas obligé de me sacrifier...

MADAME DE MAINTENON.

Vous sacrifier, monsieur !...

D’AUBIGNÉ.

Écoutez donc... Vous tenez bien à être reine, pourquoi ne tiendrais-je pas à être mauvais sujet ?...

MADAME DE MAINTENON.

Osez-vous comparer ?...

D’AUBIGNÉ.

Du tout... votre plan est très beau, très héroïque, je ne dis pas non... mais si j’aime autant mes vices que vous aimez vos vertus ?...

MADAME DE MAINTENON.

Et l’honneur de nos aïeux !...

D’AUBIGNÉ.

Nos aïeux !... ils sont morts... et moi je suis vivant.

MADAME DE MAINTENON.

Ainsi, vous refusez !... Mon frère, mon propre frère me trahit !...

D’AUBIGNÉ.

Allons, les grandes phrases !...

MADAME DE MAINTENON.

L’ingrat ! qui a si vite oublié nos jours de détresse, alors que veilles, travaux, privations, rien ne me coûtait pour élever son enfance.

D’AUBIGNÉ.

C’est vrai... mais...

MADAME DE MAINTENON.

Mais pour récompense, lui, qui me devait aide et appui à son tour ; lui, mon protecteur naturel, la première fois que j’invoque son amitié... il me refuse, me repousse ! il détruit en un instant l’ouvrage de dix années !... m’expose enfin sans pitié à rougir devant le roi d’un mensonge ; et bientôt peut-être à en durer les sarcasmes, la risée des courtisans... Ah !... cette idée ! j’en mourrai !...

D’AUBIGNÉ, à part.

Allons !... voilà qu’elle pleure !... elle à qui ça n’était jamais arrivé ; il fallait un trône pour l’attendrir...

Haut.

Voyons, ma sœur...

MADAME DE MAINTENON, vivement.

Vous consentiriez...

D’AUBIGNÉ.

C’est-à-dire...

MADAME DE MAINTENON.

Ah ! oui... C’est ton bon cœur qui parle... ne reviens pas sur ce qu’il t’inspire... et sois sûr qu’en revanche les honneurs, les dignités...

D’AUBIGNÉ.

Fi donc... moi... rien faire par intérêt...

MADAME DE MAINTENON.

Eh bien !... soit !... pour moi, pour moi seule, qui en serai à jamais reconnaissante... Ah ! j’ai retrouvé mon frère... Ainsi, ce soir... à minuit... dans la chapelle.

D’AUBIGNÉ.

Permettez !...

MADAME DE MAINTENON.

Ah !... j’ai votre promesse !... et jusque-là, au moins, qu’aucune légèreté !... aucune imprudence...

D’AUBIGNÉ.

Encore cela ?...

MADAME DE MAINTENON.

Moi !... j’envoie sur-le-champ à Saint-Cyr, auprès de l’abbé Méroni ; je le fais mander pour votre mariage, le seul dont il aura connaissance jusqu’au moment décisif... Sans adieu, mon frère... la nuit approche... Ne quittez pas le château... Enfin donc, grâce à vous, dans quelques heures, plus de veuve Scarron, plus de bourgeoise !... je serai reine.

 

 

Scène VII

 

D’AUBIGNÉ, seul

 

Ah ça ! il paraît que j’ai promis... Si je me doute comment, par exemple !... Elle m’a si bien enveloppé !... c’est un vrai guet-apens conjugal. Au fait... je n’ai pas même pensé à lui demander qui j’épousais... mais qu’importe... puisque ce n’est pas pour moi ?... Dieu !... moi qui étais ce matin si gai, si joyeux !... Ce que c’est que de nous... me trouver tout-à-coup beau-frère du roi !... Ah ! bah !... pourquoi me désespérer ?... fions-nous au hasard... il m’a tiré de bien d’autres embarras... Que sait-on ?... peut-être encore cette fois-ci... Comme je le disais tout à l’heure, avec lui on arrive souvent au même but qu’en calculant bien... et on a de moins l’ennui du calcul... et encore en ce moment, j’y songe, il vient déjà de me servir... Ce rendez-vous que je sollicitais de Madame de Lesdiguières ; elle ne me l’a pas accordé... Si je l’avais obtenu, ce serait à en perdre la tête.

 

 

Scène VIII

 

MADAME DE LESDIGUIÈRES, DAUBIGNÉ

 

MADAME DE LESDIGUIÈRES, sortant de la porte de gauche, à part.

Ce pauvre d’Aubigné !... il faut pourtant faire une paix avec lui, ne fût-ce que par prudence, et pour l’empêcher de hasarder quelque nouvelle étourderie.

D’AUBIGNÉ, sans la voir.

Pour plus de sûreté, ne restons pas ici...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, l’apercevant, à part.

J’arrive à propos... il est seul !

D’AUBIGNÉ, à lui-même.

C’est ça... du courage... fuyons !...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

D’Aubigné !...

D’AUBIGNÉ, à part.

Ah ! mon Dieu !

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Je vous cherchais !... j’épiais le moment de vous parler sans témoins...

D’AUBIGNÉ.

Madame !...

À part.

Aïe !... aïe !... ça se présente mal.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Afin de vous gronder, de vous déclarer que je suis très mécontente de vous.

D’AUBIGNÉ, à part.

À la bonne heure !... c’est mieux... ça me rassure...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Venir la nuit dernière sans mon consentement... vous me punissez bien de ma faiblesse à souffrir des entrevues que mon deuil condamne au mystère... Ah ! pourquoi ne vous ai-je pas interdit ma présence, comme du vivant de mon époux... Je le voulais... vous vous en souvenez... J’appelai tout à mon aide contre vous, jusqu’aux exhortations religieuses de l’abbé Méroni ; et si elles ne m’avaient pas manqué, ou plutôt s’il ne m’avait pas mise dans la nécessité d’y renoncer moi-même...

D’AUBIGNÉ, vivement.

D’y renoncer !... Ah ! vous en convenez donc... j’étais bien sûr qu’il avait eu l’audace...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Allons ! n’allez-vous pas être jaloux de lui !...

D’AUBIGNÉ, à part.

Jaloux !... j’oublie que je n’ai plus le droit de l’être... Mais ce damné d’Italien !... je le trouverai donc partout ? Avoir fait dans le temps la cour à celle que j’aime... et qui pis est, me marier ce soir à une autre... c’est trop de moitié.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Eh bien !... à quoi pensez-vous donc ?

D’AUBIGNÉ.

À vos reproches... et cette tentative qui vous a offensée, soyez sûre qu’elle ne se renouvellera pas ce soir.

À part.

Hélas !...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Et cependant vous m’en menaciez...

D’AUBIGNÉ, d’un air de componction.

J’avais tort... j’en rougis devant vous... Je n’ose plus soutenir votre vue... et je vais...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Ce changement !... il serait sincère !... je puis compter sur votre sagesse ?

D’AUBIGNÉ, à part.

Faute de mieux.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Alors... qu’il n’en soit plus question.

D’AUBIGNÉ, à part.

Je suis sauvé !

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Et pour vous récompenser de votre soumission... je vous verrai... ce soir.

D’AUBIGNÉ, à part.

Je suis perdu !...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, étonnée.

Eh bien ! vous hésitez ?... vous ne répondez pas ?...

D’AUBIGNÉ.

Madame...

À part.

Dire que le bonheur m’arrive là comme pour me narguer...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Qui vous arrête ?

D’AUBIGNÉ.

La honte... le repentir... je me sens si indigne d’une telle faveur...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Quand elle s’offre à vous... non... non !... ce n’est pas naturel... et quand j’y pense... je ne vous reconnais plus... ce n’est pas votre gaieté ordinaire, cet air de mauvais sujet, dont on se fâche et qu’on aime... Comment expliquer ?... aurais-je une rivale ?

D’AUBIGNÉ, à part.

Nous y voilà !...

Haut.

Madame !...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, avec empressement.

Prenez-y garde, d’Aubigné ; une pareille trahison... pour me venger je serais capable de tout... son nom !... son nom !... vous me le tairiez en vain... je découvrirai... je saurai qui elle est !... son nom !

D’AUBIGNÉ.

Foi de gentilhomme, je vous jure qu’il me serait bien impossible de vous le dire.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Pourtant... votre trouble... votre refus !...

D’AUBIGNÉ, avec abandon.

Ah ! s’il ne te nait qu’à moi !

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Il y a donc un motif caché !... vous en convenez...

D’AUBIGNÉ, à part.

Je m’embrouille...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Et bien !...

D’AUBIGNÉ, cherchant à mesure qu’il pense.

Eh bien... le fait est que ce soir... retenu... occupé malgré moi...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, d’un air incrédule.

Vous !... une occupation !

D’AUBIGNÉ.

Assez ennuyeuse... et où ma présence est indispensable !

MADAME DE LESDIGUIÈRES, appuyant.

Qui n’est pas une affaire de cœur...

D’AUBIGNÉ.

Oh ! je vous proteste que le cœur n’y entre pour rien.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Voilà qui est étrange !... ce soir... et tout à coup !... que s’est-il donc passé ? vous n’avez vu ici que votre sœur... votre sœur !... Ah ! je de vine... oui... plus de doute !...

D’AUBIGNÉ.

Comment ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Vous assistez à son mariage.

D’AUBIGNÉ.

Madame...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Ne le niez pas... j’en suis sûre... oui... la lettre que je viens de recevoir de la dauphine...

D’AUBIGNÉ.

Quelle lettre ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Je ne sais si je dois... mais avec vous, d’Aubigné, point de secrets...

D’AUBIGNÉ, à part.

Dieu ! m’aime-t-elle !... c’est désolant !...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

La dauphine m’annonce que sur un message de Louvois elle revient en toute hâte... et à quelques mots qui lui étaient échappés naguère, j’ai compris... Ah ! mon ami, que la marquise a bien fait de choisir cette nuit même... demain son mariage eût trouvé des obstacles insurmontables, au point du jour la dauphine doit être ici...

D’AUBIGNÉ, étouffant un soupir.

Ah ! ce sera trop tard...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Oui... et j’en suis enchantée... non pour moi... car je n’y mets pas d’orgueil, d’ambition... vous n’avez pas besoin d’être plus que vous n’êtes pour me plaire... mais je dois partager vos vœux pour votre sœur !... ne fût-ce qu’en expiation de mes soupçons, de ma colère jalouse !...

Air de Téniers.

Ah ! mon ami, j’étais bien ridicule !
Mais, à présent j’ai compris vos refus,
Vous, me tromper sans crainte, sans scrupule !
C’est impossible, et je n’y croirai plus.
Je puis m’attendre à vos étourderies,
Je vous sais fou, téméraire, indiscret,
Mais pour cacher des perfidies,
Vous êtes trop mauvais sujet.

D’AUBIGNÉ, à part.

A-t-elle bonne opinion de moi !...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Je vous pardonne !

Souriant.

C’est généreux de la part d’une femme... Je fais mieux... je vous attends... demain !...

D’AUBIGNÉ, à part.

Demain... Dieu !... ce sourire !... ce regard !... une si jolie femme !... quel dommage !...

 

 

Scène IX

 

MADAME DE LESDIGUIÈRES, RAVANNE, D’AUBIGNÉ

 

RAVANNE, entrant une lettre à la main.

À un piqueur. Sur-le-champ !... un cheval... à la porte du château... je te rejoins...

Descendant.

Ah ! monsieur le marquis, quelle joie !... quelle ivresse !... permettez que je vous rende grâce...

D’AUBIGNÉ.

Et de quoi donc ?

RAVANNE.

Madame de Maintenon vient de me dire que mes services seraient désormais inutiles auprès de vous, et que ce soir même je pourrais lui déclarer la récompense que j’attends d’elle.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

Ah ! je sais... la main d’Henriette !

RAVANNE.

Combien je vais être heureux !... et c’est à vous que je le devrai !...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

À lui ?

RAVANNE.

Sans doute, madame... S’il n’avait consenti...

D’AUBIGNÉ, faisant des signes à Ravanne.

Silence !...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, qui a saisi son mouvement.

Consenti !... à quoi ?...

RAVANNE, répondant à la fois à la question de Madame de Lesdiguières et aux signes de l’Aubigné.

Oh ! ce n’est plus un secret ; la marquise vient de l’annoncer publiquement en me chargeant de ses dépêches pour monseigneur le cardinal Méroni, qui doit célébrer votre mariage.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Il se marie !...

D’AUBIGNÉ, à part.

Voilà l’explosion !...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, avec une colère concentrée.

Vous, monsieur d’Aubigné !... Vous aussi !... et sans m’en faire part... sans me demander mes félicitations...

Passant brusquement entre d’Aubigné et Ravanne.

Et à qui ?

RAVANNE.

Je n’ai pas pris le temps de m’en informer... J’étais si pressé d’aller remplir non message à Saint-Cyr, malgré la nuit... Oh ! j’y serai dans un quart d’heure... jamais on n’aura couru avec plus de zèle

D’AUBIGNÉ, à part.

S’il pouvait rester en route !...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, bas à d’Aubigné.

À qui ? monsieur... à qui ?

D’AUBIGNÉ, bas.

Puisque je l’ignore...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Traitre !...

RAVANNE.

Je vais partir...

 

 

Scène X

 

MADAME DE BERINGHEN, HENRIETTE, ROQUELAURE, MADAME DE LESDIGUIÈRES, RAVANNE et LES DAMES D’HONNEUR

 

ROQUELAURE, aux dames d’honneur.

Venez, mesdames ; l’ordre de Madame de Maintenon est que vous conduisiez vous-même ma nièce auprès d’elle.

HENRIETTE.

Quoi ! mon oncle !...

ROQUELAURE.

Oui, te dis-je... c’est elle qui se charge de ton établissement, qui te marie ce soir...

Apercevant d’Aubigné.

et justement !... voilà ton prétendu...

HENRIETTE, regardant Ravanne.

Se peut-il ?...

RAVANNE, à part.

Qu’entends-je ?... quel bonheur !...

ROQUELAURE, descendant près de d’Aubigné et lui serrant la main.

Ah ! mon cher d’Aubigné... mon neveu !...

TOUS LES AUTRES.

Son neveu !...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

C’est Henriette !

RAVANNE, bas à Madame de Lesdiguières.

Ah ! madame... que je suis à plaindre !... si vous saviez !...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, bas.

Je sais tout !... laissez-moi faire.

Haut.

De mieux en mieux, monsieur d’Aubigné ; je ne vous complimentais que du mariage, et maintenant c’est de la fiancée... qui doit partager votre bonheur... car depuis longtemps sans doute elle recevait, elle encourageait vos hommages...

HENRIETTE, s’en défendant.

Mais mon Dieu non, madame... du tout... je puis bien vous assurer...

D’AUBIGNÉ, s’en défendant aussi.

Et moi aussi... je proteste que jamais, jusqu’à ce moment...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Encore mieux !... C’est donc un coup de sympathie... autrement M. d’Aubigné est trop délicat pour épouser une jeune personne sans être aimé d’elle... et contre son gré...

D’AUBIGNÉ, vivement.

Ah !... dans ce cas-là...

À part.

Au fait, c’est un espoir...

Haut.

Parlez, aimable Henriette ; et si je vous déplais, ne vous gênez pas... là... sans façon...

HENRIETTE.

Monsieur !...

ROQUELAURE, lui coupant la parole.

Par exemple !... je voudrais bien voir qu’elle ne t’aimât pas... elle serait donc la seule femme d’ici ? car je suis sûr que cette union-là va faire diablement de malheureuses à la cour... il en est plus d’une qui enragera de dépit, qui en séchera de jalousie...

D’AUBIGNÉ.

Veux-tu bien finir !

ROQUELAURE.

Non, non... tu as beau faire le modeste. Moi je tiens à ce que ma nièce t’apprécie. Je suis enchanté de te voir entrer dans ma famille. Ce mariage-là va me remettre en faveur ; ta sœur m’a promis, pour mon présent de noce, d’apaiser le roi ; et ça me dispensera de cette maudite absolution, que Madame de Lesdiguières a eu la cruauté de ne pas vouloir me faire obtenir, elle à qui rien n’était plus facile, à qui ça coûtait si peu !...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

Ah !... il me fait penser... oui... l’abbé Méroni, peut-être !... ce rendez-vous qu’il m’a demandé...

ROQUELAURE.

Eh ! mais, à propos... comment, Ravanne, encore ici ? vous qui devez amener le cardinal...

HENRIETTE, avec étonnement.

Qu’entends-je ?... C’est monsieur qui s’est chargé...

RAVANNE.

Mademoiselle...

ROQUELAURE.

Oui, mon enfant, lui aussi, il aura contribué pour quelque chose à ton mariage.

HENRIETTE, à part.

Ah ! c’est affreux !

Haut avec dépit.

Je ne serai pas ingrate, et je le prie d’agréer tous mes remerciements.

RAVANNE.

Ciel !

ROQUELAURE, à d’Aubigné.

Hein !... quand je te disais qu’elle t’aime... tu vois... aveu indirect.

D’AUBIGNÉ, à part.

Elles m’aiment donc toutes... On n’a pas plus de malheur que moi !

RAVANNE, à part.

Que semble-t-elle croire !... ah !... quoi qu’il arrive, dussé-je me perdre, je parlerai...

Haut.

Mademoiselle.

ROQUELAURE, se retournant.

Hein ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES, bas à Ravanne.

Arrêtez...

RAVANNE, bas.

Comment ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES, bas.

Je vous sauve... j’empêche le mariage... Attendez-moi.

ROQUELAURE.

Que rien ne retarde la satisfaction universelle.

D’AUBIGNÉ, à part.

Elle est jolie la satisfaction...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, avec ironie.

Je me retire... monsieur d’Aubigné m’en saura gré... Au moment d’un acte si solennel, il doit avoir besoin de se recueillir, et, en attendant le cardinal, il peut toujours se confesser... à M. de Roquelaure.

ROQUELAURE.

Qu’est-ce que ça veut dire ?

D’AUBIGNÉ, à part.

C’est clair... elle se moque de moi.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, bas à Ravanne.

Venez, et je réponds de tout !

Air.

Chœur.

LES DEMOISELLES D’HONNEUR et ROQUELAURE.

Partons sans plus attendre,
Car il faut obéir ;
Et l’amour le plus tendre,
Va bientôt les unir.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à Ravanne.

Venez, il faut m’attendre,
Vous allez m’obéir ;
Votre amour est si tendre,
Que je veux le servir.

D’AUBIGNÉ, à part.

Partons, sans plus attendre,
Car je dois obéir,
Un amour aussi tendre
Devais je le trahir.

RAVANNE, à part.

Allons, il faut l’attendre,
Et je dois obéir,
Mon amour est si tendre,
Qu’elle veut le servir.

HENRIETTE.

Partons sans plus attendre,
Car il faut obéir,
Un amour aussi tendre,
Devrais je le trahir.

D’Aubigné donne la main à Henriette, Ravanne à Madame de Lesdiguières.

 

 

ACTE II

 

Le théâtre représente une pièce de l’appartement de Madame de Lesdiguières, au château de Marly. Au fond, deux portes sur plans coupés : celle à la droite du spectateur conduit au dehors, l’autre mène chez les filles d’honneur. À droite du spectateur, une fenêtre avec rideau ; à gauche, au premier plan, une autre porte. Au lever du rideau, Madame de Lesdiguières est en scène ; c’est le soir.

 

 

Scène première

 

MADAME DE LESDIGUIÈRES, seule

 

Ravanne a-t-il bien compris ? l’heure s’écoule, et je sèche d’impatience en l’attendant. Reviendra-t-il ? oh ! oui, son amour et son chagrin me répondent de sa docilité. Ah ! madame de Maintenon, vous disposez en véritable despote des sentiments et de l’avenir de votre frère !... Et vous, monsieur d’Aubigné, vous vous laissez marier !... Doucement, s’il vous plaît... J’ai deviné toutes vos ruses, adroite marquise... Malgré vos précautions, vous ne pouviez cacher votre mariage aux regards curieux de la cour ; il faut des flambeaux dans la chapelle, un prêtre, des témoins ? Eh bien ! tout cela y sera... mais pour votre frère... Et, à l’abri de son mariage bien annoncé, bien ostensible, vous conclurez le vôtre bien secret, bien mystérieux !... Voilà pourquoi vous avez besoin du prélat italien, et vous l’envoyez chercher !... mais nous verrons !... vous ne le tenez pas encore !... Il me semble que j’entends marcher par ici. Oui, c’est notre jeune messager.

 

 

Scène II

 

MADAME DE LESDIGUIÈRES, RAVANNE

 

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Arrivez donc, monsieur de Ravanne.

RAVANNE.

J’ai fait ce que vous avez désiré, madame, et me voici.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Très bien, très bien !... Pour continuer votre voyage maintenant, vous attendrez que je vous en donne la permission.

RAVANNE.

Mais madame, puis-je au moins connaitre vos desseins ? Jusqu’à ce moment, je vous ai obéi en aveugle.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Et vous ne pouviez mieux faire ; mais ne parlez pas si haut, on pourrait nous entendre... Si le cardinal Méroni allait soupçonner le piège qui lui est tendu ?

RAVANNE.

Un piège tendu au cardinal ? et par qui ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Par moi.

RAVANNE.

Est-ce possible ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Au moment où je vous parle, il doit avoir reçu mon billet ; j’espère qu’il se sera mis en route, et qu’avant une heure il sera là.

Il indique le cabinet à sa droite.

RAVANNE

Lui, madame ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Lui-même, monsieur... mais viendra-t-il au rendez-vous ?

RAVANNE.

Ne pas venir à un rendez-vous que vous offrez ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Mais un prélat ? Songez donc que c’est un prélat ?

RAVANNE.

Eh mon Dieu ! un prélat est un homme.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Et, par conséquent, peut se laisser tromper par une femme ! J’espère qu’il tombera dans mes filets, et que la conspiration réussira.

RAVANNE.

Il y a donc une conspiration ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Sans doute, pour empêcher le mariage d’Henriette avec M. d’Aubigné.

RAVANNE.

Oh ! je suis de celle-là... Mais madame, daignerez-vous m’expliquer ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Qu’il vienne !... qu’il vienne !... Tout est disposé pour qu’il ne sorte plus de cette pièce ; dès qu’il y sera entré, la porte extérieure se refermera sur lui, et, la nuit passée, tout est sauvé !

RAVANNE.

Comment cela ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Il est temps de partir maintenant, et d’aller à Saint-Cyr chercher monseigneur le cardinal Méroni, de la part de Madame de Maintenon.

RAVANNE

Mais, d’après ce que vous avez bien voulu me dire, il est très probable que je ne le trouverai pas.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

J’y compte bien, et c’est le plus grand bonheur qui puisse vous arriver.

RAVANNE.

Décidément, je ne comprends  pas...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Il n’est pas nécessaire que vous compreniez : obéissez, cela suffit.

RAVANNE.

Je vais donc rejoindre mon piqueur et mon cheval.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Ne galopez pas trop vite.

RAVANNE.

Adieu, madame : plus je songe à ce que vous me prescrivez, plus je m’y perds, plus je m’égare.

Il s’achemine vers la porte du second plan à droite de l’acteur.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, l’arrêtant.

Soit ! mais ne vous égarez pas jusqu’au point d’entrer dans l’appartement des filles d’honneur : ce n’est pas là votre chemin.

RAVANNE.

Ah ! c’est juste... pardonnez !

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Allez donc... et ne vous trompez pas.

Elle le conduit vers la porte qui mène à l’extérieur. Il sort.

Et maintenant, enfermons-nous.

Elle tire un verrou au-dedans de cette porte.

 

 

Scène III

 

MADAME DE LESDIGUIÈRES, seule

 

Pauvre Ravanne !... Il ne comprend pas... ah ! c’est qu’il n’a pas lu comme moi dans les profondes combinaisons de Madame de Maintenon !... Je les ai pénétrées, et je les renverserai !

Air : Ah ! que tes yeux sont amoureux ! (Romance de M. Marquerie.)

Ah ! pour moi la journée est bonne :
Railler un prélat libertin ;
D’un roi que l’intrigue environne,
Empêcher l’hymen clandestin ;
De deux amants servir la flamme,
Punir l’homme qui me trompa ;
Enfin désoler une femme ;
Quel plaisir vaut ce plaisir-là !

MADAME DE MAINTENON, en dehors de la porte extérieure.

Ouvrez, madame, ouvrez ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Qu’entends-je ?... C’est la voix de la marquise... Que vient elle faire chez moi ?... Oh ! pourvu qu’elle n’ait pas rencontré Ravanne... mais non... il a pris l’escalier à droite.

MADAME DE MAINTENON, en dehors.

Madame de Lesdiguières ne m’entend-elle pas ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

J’y vais, madame, j’y vais.

Elle va ouvrir.

 

 

Scène IV

 

MADAME DE MAINTENON, MADAME DE LESDIGUIÈRES, HENRIETTE

 

MADAME DE MAINTENON.

Ah ! enfin... je suis heureuse que vous ayez bien voulu reconnaître ma voix.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Je m’attendais si peu, madame, à l’honneur de cette visite, à une pareille heure !

MADAME DE MAINTENON.

N’est-il pas toujours l’heure de visiter nos amis ?

À Henriette.

Rentrez, mademoiselle, passez dans l’appartement des filles d’honneur.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Eh ! mon Dieu ! qu’y a-t-il donc ?... Vous avez pleuré, mon enfant ?

HENRIETTE, s’essuyant les yeux.

C’est bien naturel, madame, on me marie.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Pauvre petite !... il faut la consoler.

MADAME DE MAINTENON.

Veuillez, madame, remettre vos consolations à un autre instant : j’ai à vous parler, et c’est pour cela que j’ai ramené moi-même Henriette par votre appartement.

À Henriette.

Allez rejoindre vos compagnes, mademoiselle ; occupez-vous de votre toilette de noce, et attendez qu’on vous fasse appeler.

HENRIETTE.

Hélas, madame...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, bas à Henriette.

Ne vous désolez pas, votre mariage n’est pas encore fait.

HENRIETTE, vivement, et bas.

Il se pourrait... Comment, madame ?

Madame de Lesdiguières lui fait signe de se taire.

MADAME DE MAINTENON.

Eh bien ! Henriette, vous êtes encore ici ?

HENRIETTE.

Je sors, madame, je sors.

Air de l’Orpheline.

MADAME DE MAINTENON.

Pourquoi soupirer,
Et nous montrer,
Cette douleur précoce ?
Allez-vous parer !
Après la noce
Il est temps de pleurer.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Pourquoi soupirer,
Et nous montrer
Cette douleur précoce ?
Allez vous parer !
Avant la noce
Il ne faut pas pleurer.

HENRIETTE.

Tout vient m’alarmer
Veut-on blâmer
Cette douleur précoce !
Je vais me parer,
Mais cette noce
Me fait déjà pleurer.

Elle se retire par la porte des filles d’honneur.

 

 

Scène V

 

MADAME DE MAINTENON, MADAME DE LESDIGUIÈRES

 

MADAME DE MAINTENON.

Nous voilà seules, madame, vous permettrez que nous causions ?

MADAME DE LESVIGUIÈRES.

Ce sera pour moi un honneur et un plaisir.

MADAME DE MAINTENON.

Prenons un siège, s’il vous plaît.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Je suis à vos ordres.

À part.

Qu’a-t-elle donc à me dire ?

MADAME DE MAINTENON, assise.

Eh bien ! madame, je sais tout.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Je n’en ai jamais douté, madame.

MADAME DE MAINTENON.

Ah ! point de mauvaise plaisanterie, je vous en conjure... Il est donc vrai que vous avez reçu hier des lettres de madame la dauphine ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Oui, madame.

MADAME DE MAINTENON.

Il est donc vrai que monseigneur le dauphin arrive demain à Marly ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Oui, madame.

MADAME DE MAINTENON.

Et vous ne m’en préveniez pas ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

C’eût été fort inutile puisque vous êtes si bien informée.

MADAME DE MAINTENON.

Mais du moins, ce n’est pas par vous.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

À quoi bon ?... n’avais-je pas dû prévoir que la lettre de Madame la dauphine n’échapperait point à M. de Chamillard, votre favori, qui ouvre toute la correspondance des sujets du roi ?... Son altesse, d’ailleurs, m’avait recommandé le secret.

MADAME DE MAINTENON.

J’admire votre discrétion.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Vous devez l’admirer, puisque c’est une vertu.

MADAME DE MAINTENON.

Et j’apprécie votre zèle.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Peut-être pas autant qu’il le mérite.

MADAME DE MAINTENON.

Oh ! pardonnez moi, madame !... et j’espère pouvoir bientôt le récompenser.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Je suis si désintéressée, madame, que d’avance je vous tiens quitte.

MADAME DE MAINTENON.

Je ferai surtout en sorte d’en pénétrer le secret motif.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Mon Dieu ! il n’y a pas de secret !... je ne fais ni mystère, ni cachotteries : je ne suis pas dévote, moi.

MADAME DE MAINTENON.

Et vous osez en convenir ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Je m’en vante peut-être ?

MADAME DE MAINTENON.

À merveille ! on ne peut avoir plus de franchise.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Vous savez mieux que personne que c’est une rareté ici.

MADAME DE MAINTENON.

Vous voudrez bien alors me dire, madame... mais qui vient nous interrompre ?

Elle se lève ainsi que Madame de Lesdiguières.

UN DOMESTIQUE, entrant par la porte de l’extérieur, à Madame de Lesdiguières.

Madame...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Qu’est-ce ?... que voulez-vous ?

LE DOMESTIQUE.

C’est M. d’Aubigné, qui vous supplie, madame, de vouloir bien le recevoir et l’écouter un instant.

MADAME DE MAINTENON.

Vous, madame !...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

Oh !... l’imprudent !...

MADAME DE MAINTENON.

Mon frère !... lui à qui j’avais recommandé de ne pas sortir de son appartement !

MADAME DE LESDIGUIÈRES, au domestique.

Je n’ai rien à entendre de M. d’Aubigné ; je n’ai rien à lui dire.

MADAME DE MAINTENON.

Oh ! pourquoi cette sévérité ? ce n’est pas dans vos habitudes. !

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Madame la marquise !...

MADAME DE MAINTENON.

Vous n’êtes pas dévote, vous !...

À part.

Quel trait de lumière !... ses refus de ce matin, cette femme dont il me parlait, cette veuve dont le deuil n’est pas encore fini... Oh ! mon frère aussi me trahirait-il ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Daignerez-vous au moins, madame, me faire part de ce que vous pensez ?...

MADAME DE MAINTENON.

Moi ?... rien !... à Dieu ne plaise que je voie ici la cause de votre rare discrétion, de votre défiance !...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Ce serait bien injuste.

MADAME DE MAINTENON.

Oh ! sans doute, vous êtes la franchise même !... vous ne faites ni cachotteries, ni mystères !... Il n’y a rien de commun entre mon frère et vous, ou vos relations, s’il en existe, sont des plus innocentes.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Je le jure.

MADAME DE MAINTENON, à demi-voix.

Faites mieux, madame !... prouvez-le moi.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à demi-voix.

Et comment ?...

MADAME DE MAINTENON, à demi-voix.

Recevez-le en ma présence, sans qu’il me voie !... je serai là.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à demi-voix.

Quoi !... vous voulez...

MADAME DE MAINTENON, à demi-voix.

En refusant, vous me feriez douter !...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

Si j’hésite, elle me perd auprès du roi !

MADAME DE MAINTENON, au domestique.

Je vais m’éloigner dites à M. d’Aubigné que Madame de Lesdiguières est seule, et qu’elle l’attend ; songez-y bien, pas un mot de plus que mes paroles.

Le domestique sort.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

Aucun moyen de l’empêcher !... je ne puis m’éloigner d’ici.

MADAME DE MAINTENON.

Voici ma place : derrière ce rideau, je pourrai tout entendre...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Mais, madame !

MADAME DE MAINTENON.

Avez-vous donc peur ?... la crainte sied mal à la vertu !... J’entends mon frère !... à revoir, madame.

Elle se place derrière le rideau.

 

 

Scène VI

 

MADAME DE LESDIGUIÈRES, MADAME DE MAINTENON, cachée, puis D’AUBIGNÉ

 

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à elle-même.

L’insensé !... que me veut-il ? quelle situation !... Madame de Maintenon de ce côté... Et si le cardinal arrive par ici ?... D’Aubigné du moins comprendra-t-il mes signes ?

D’AUBIGNÉ, entrant.

Ah ! madame, que vous êtes bonne !... vous m’avez permis de vous voir.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, très haut.

Mais pourquoi l’avez-vous désiré, monsieur ?... par quel hasard ?...

D’AUBIGNÉ.

Un hasard !... vous appelez cela un hasard ?... Est-ce que je pouvais vivre ainsi ?... est-ce que je n’aurais pas risqué tout pour me justifier ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Vous justifier ?... et de quoi ?... En vérité, je ne vous comprends pas.

D’AUBIGNÉ.

Non, sans doute, vous n’avez pas pu comprendre mon silence, ma conduite de tantôt !... mais je viens vous l’expliquer.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, lui faisant des signes.

Eh ; mon Dieu, je n’ai pas besoin d’explication ! je ne vous demande rien.

D’AUBIGNÉ.

Ah !... je lis le dépit et la colère dans vos gestes, dans vos signes.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, vivement.

Mais je ne fais point de gestes, je ne vous fais point de signes.

D’AUBIGNÉ.

Pardonnez-moi, madame, vous en faites, et beaucoup !... Oh ! je devine à merveille.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, avec un dépit ironique.

En effet, je vous conseille de vanter votre perspicacité.

D’AUBIGNÉ.

Vous êtes irritée, vous voulez m’imposer silence, et c’est tout simple !... Eh bien ! je parlerai malgré vous, et si vous refusez de m’absoudre, au moins ne pourrez-vous refuser de m’entendre.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

Pas moyen de le faire taire !

D’AUBIGNÉ.

Je conviens que vous avez pu me croire coupable.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Mais non, monsieur, non ! Et, encore une fois...

D’AUBIGNÉ.

Oh !... vous avez beau faire et beau dire, je m’expliquerai, madame.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

Le voilà lancé !...

D’AUBIGNÉ.

Vous vous êtes étonnée à ce mariage ; car vous qui m’aimez...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Et qui vous a dit que je vous aime ?

D’AUBIGNÉ.

La plus jolie bouche que je connaisse.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Vous ne savez ce que vous dites.

D’AUBIGNÉ.

Mais je sais ce que j’ai entendu !... Oui, madame, vous m’aimez !... et vous avez raison, car, moi, je vous adore.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Vous choisissez bien votre moment pour une pareille déclaration.

D’AUBIGNÉ.

Ah ! oui... toujours à cause de ce maudit mariage ? C’est que vous ne savez pas... écoutez...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

Mon Dieu !... que va-t-il dire.

Elle lui fait encore des signes.

D’AUBIGNÉ, sans y faire attention.

Ce matin, vous m’avez annoncé que vous aviez deviné les projets et les intentions de ma sœur...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, vivement.

Je ne vous ai jamais parlé de cela.

D’AUBIGNÉ.

Oh !... vous avez bien peu de mémoire !

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

Quel supplice !...

D’AUBIGNÉ.

Eh bien, vous aviez deviné juste !... elle veut et doit épouser le roi, cette nuit même.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

Décidément, me voilà perdue sans ressource.

D’AUBIGNÉ.

Et mon mariage ne sert qu’à voiler le sien !... C’est un dévouement, une expiation !...

Air : Muse des bois.

Vous le savez, jadis en sacrifice,
Pour apaiser la colère des dieux,
On immolait une blanche génisse !
Cette génisse elle est devant vos yeux.
À son malheur soyez compatissante,
Et lorsqu’ici l’attend le coup mortel,
Plaignez au moins la victime innocente,
Qu’on va parer et conduire à l’autel.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Victime ou non, que m’importe, monsieur ?

D’AUBIGNÉ.

Pardon ! pardon !... cela vous importe !... vous ne seriez pas si troublée si cela vous était indifférent !... Mais que voulez-vous ?... depuis mon enfance, ma sœur a toujours été bonne pour moi ; elle m’a prodigué ses soins et ses conseils. J’ai largement profité des uns, et les autres ne m’ont pas servi à grand’ chose !... Tantôt, elle m’a fait part de ses desseins, elle m’a prié avec tant d’instance !... Croiriez-vous que je l’ai vue juste titre de mon consentement à pleurer ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Ah !...

D’AUBIGNÉ.

Cela vous fait rire ?...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, vivement.

Mais pas du tout, monsieur ?...

D’AUBIGNÉ.

Oh ! mon Dieu, ne vous gênez pas !... ce matin, j’étais tenté d’en faire autant !... Et cependant, il paraît que je n’ai pu résister à son chagrin et à ses prières : elle assure que j’ai consenti !... Mais je vous atteste, madame, que mon cœur n’entre pour rien dans ces lois que m’impose une politique inexorable ; je vous jure que je ne veux vivre et que je ne vivrai que pour vous.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Vous êtes fou, monsieur.

D’AUBIGNÉ.

Je ne dis pas non !... mais c’est la faute de ma sœur plus que la mienne !... Voyez comme j’ai du malheur !... il n’y avait que vous au monde qui pussiez me fixer, me rendre raisonnable !... C’était même déjà fait !...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Ah !... et à dater de quelle époque ?...

D’AUBIGNÉ.

À dater de demain, madame !... Eh bien ! il faut qu’il se présente un obstacle !... il faut que je sois séparé de vous !... Aussi, à présent, j’y suis résolu : je renonce à la sagesse !... Je serai marié, d’accord ?... mais sage ?... oh ! non, jamais !... je ne songerai qu’à vous, je n’aimerai que vous, et, malgré vos principes, malgré votre vertu...

La porte du cabinet, au premier plan à droite, s’ouvre et se referme subitement.

Ah !... ah !... qu’y a-t-il donc ?... et qui est-ce qui est là ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

Grand Dieu !... c’est le cardinal !

D’AUBIGNÉ.

Quand je parlais de votre vertu, pourquoi cette porte s’est-elle ouverte et refermée si vite ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Quelque laquais sans doute ?...

D’AUBIGNÉ.

Un laquais ?... Oui, c’est possible, voyons donc !...

Il va à la porte du cabinet ; un verrou est tiré en dedans avec bruit.

Eh ! mais il s’enferme !...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Vous croyez ?...

D’AUBIGNÉ.

On vient de tirer le verrou en dedans... et même avec précipitation !... Ce laquais a grand peur d’être vu.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

J’ai pu me tromper : c’est peut-être quelque demoiselle d’honneur... Cette pièce communique à leur appartement.

D’AUBIGNÉ.

En vérité ?... et par où, s’il vous plaît ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Par un long corridor.

D’AUBIGNÉ, à part.

C’est bon à savoir !...

Haut et ironiquement.

Alors, il n’y a pas de doute, c’est une demoiselle d’honneur.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Que signifient, monsieur, ce sourire et ce ton ironiques ? vous croiriez-vous donc en droit de faire le jaloux chez moi ?

D’AUBIGNÉ.

Moi, jaloux ?... moi, vous soupçonner ?... Ah ! fi donc !... Eh mais, de ce côté, voilà un rideau qui remue !... Cette fois-ci, c’est le vent sans doute ?...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Monsieur !...

D’AUBIGNÉ.

Une fenêtre ouverte... la nuit !... c’est fort dangereux !... et dans l’intérêt de votre santé, madame, je veux veiller à ce que le vent...

Il va vers le rideau.

MADAME DE MAINTENON, sortant de sa cachette.

Mon frère !...

D’AUBIGNÉ, reculant.

Ma sœur !...

MADAME DE MAINTENON.

Oui, votre sœur qui a tout entendu, et qui sait maintenant que ses secrets ont été livrés à madame.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Vous voulez dire, madame, que je les avais devinés.

MADAME DE MAINTENON, à d’Aubigné.

Est-ce donc là ce que vous n’aviez promis ?... Vous, mon frère, vous joindre à mon ennemie !... prendre part à des complots contre moi !...

D’AUBIGNÉ.

Des complots ?... jamais !... De quoi vous plaignez-vous ? est-ce que je n’ai pas tenu parole ?... J’ai promis d’épouser... et j’épouserai... mais ne m’en demandez pas davantage !... Cela ne dépend pas de moi !... Est-on libre quand on aime ?...

MADAME DE MAINTENON.

Quand on aime ?... Eh ! voyez donc au moins qui vous aimez,

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Madame !...

MADAME DE MAINTENON.

Oh !... pas de colère !... Derrière ce rideau, rien ne m’est échappé !... cette porte ouverte et refermée si brusquement... ce verrou...

D’AUBIGNÉ.

Madame affirme que c’est une fille d’honneur.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Et qui oserait douter de ce que j’affirme ?

MADAME DE MAINTENON.

Personne, dame !... personne !... mais, si c’est une fille d’honneur, elle connait ma voix, et elle ouvrira !... Nous allons voir.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

Ô ciel !...

Haut et se plaçant devant la porte.

Y songez-vous, madame ? ici, dans ce palais, une scène de violence !...

MADAME DE MAINTENON, s’arrêtant.

En effet !... vous avez raison ; rassurez-vous, madame !... je hais le scandale !... D’ailleurs, la personne qui s’enferme si bien dans cette pièce a sans doute d’excellentes raisons pour n’être pas vue, et elle ne paraîtrait pas... Mais vous, mon frère, cela vous suffira, je pense ?... vous savez maintenant à quoi vous en tenir sur cette femme que vous préfériez à votre sœur, à votre famille, à la gloire de votre maison ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

Patience !... ma vengeance est là !...

D’AUBIGNÉ.

Si pourtant madame daignait prier elle-même la personne qui est dans cette pièce de se montrer ?...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Je crois que ce serait fort inutile ; et je n’aime pas à compromettre mon crédit.

D’AUBIGNÉ.

À merveilles, madame !...

À part.

La perfide me trompait... J’ai un rival là dedans !...

MADAME DE MAINTENON.

Me blâmerez-vous encore, monsieur d’Aubigné, d’avoir choisi pour vous la vertu, l’innocence même ?... Je peux répondre d’Henriette comme de ma propre fille !... Celle-là du moins n’a pas d’autre inclination.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

Elle tombe bien !...

D’AUBIGNÉ.

Oh ! oui, son cœur est franc et naïf, à elle !... il n’a rien à cacher, rien à déguiser !...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

Comme je me moquerais de lui si je n’étais pas si inquiète pour mon cardinal !

MADAME DE MAINTENON.

Remercions le ciel, mon frère, qui daigne enfin vous ouvrir les yeux !... Venez avec moi : l’abbé Méroni doit être arrivé.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

Oui !... mais pas où vous croyez.

 

 

Scène VII

 

MADAME DE LESDIGUIÈRES, MADAME DE MAINTENON, RAVANNE, D’AUBIGNÉ

 

MADAME DE MAINTENON.

Ah !... c’est vous, M. de Ravanne ?

RAVANNE.

J’arrive de Saint-Cyr, ma dame : on m’a dit que vous étiez ici, et j’accours vous rendre compte de ma mission.

MADAME DE MAINTENON.

Parlez, monsieur, parlez !... Monseigneur le cardinal ?

RAVANNE.

Je ne l’ai pas trouvé.

MADAME DE MAINTENON.

Est-il possible ?...

RAVANNE.

Il venait de partir en disant qu’il allait à Versailles.

MADAME DE MAINTENON.

À Versailles !... Et vous n’y avez pas couru ?

RAVANNE.

Madame la marquise ne me l’avait pas commandé.

MADAME DE MAINTENON.

Il fallait deviner, monsieur.

D’AUBIGNÉ, à part.

Tiens, tiens, si le cardinal ne se trouve point, je ne serai pas marié.

MADAME DE MAINTENON.

Tout conspire-t-il donc contre moi ?... Pourquoi aller à Versailles ?... Qui l’y appelait ?...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

Si elle savait qu’il est enfermé à côté d’elle ?...

MADAME DE MAINTENON.

Quel contretemps !... Mon frère ! tout est encore entre vos mains.

D’AUBIGNÉ.

Comment cela ?...

MADAME DE MAINTENON.

Vous seul pouvez parler au nom du roi comme au mien : en quelques minutes vous serez à Versailles... courez-y.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

S’il le rencontre là, il sera bien heureux.

MADAME DE MAINTENON.

Ramenez-le avec vous !... En moins d’un heure, vous pouvez être de retour.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, avec ironie.

Madame la marquise a raison : ne perdez pas une minute, monsieur d’Aubigné : il s’agit de votre bonheur et de votre mariage.

D’AUBIGNÉ.

Oui, madame ; oui, je vais partir !...

À part.

Mais du diable si je vais chercher ce prélat de malheur.

MADAME DE MAINTENON.

Je compte sur vous, mon frère.

D’AUBIGNÉ.

Soyez tranquille !...

À part.

Oh ! je saurai quel est le rival qui est caché là !...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, avec ironie.

Bon voyage, monsieur d’Aubigné !

RAVANNE, à part.

Elle sourit ?... Il paraît qu’elle tient le cardinal. 

Ensemble.

Air : Quatuor de Lestocq.

MADAME DE MAINTENON, à d’Aubigné.

Courez vite à Versailles
Moi, je vous attendrai...

À part.

Elle rit et me raille,
Mais je me vengerai !

D’AUBIGNÉ, à part.

Ce n’est point à Versailles
Que bientôt je courrai :
Elle rit et me raille,
Mais je me vengerai.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Cherchez vite à Versailles
Un triomphe assuré !

À part.

Quel plaisir, je le raille,
Et je me vengerai.

RAVANNE.

Cherchez vite à Versailles
Un triomphe assuré.

À part.

Elle rit et le raille,
Ah ! je réussirai.

MADAME DE MAINTENON, à d’Aubigné.

Vois ce que je redoute,
Un retard est fatal !

D’AUBIGNÉ, à part.

Enfin je sais la route
Pour trouver mon rival.

Parlé sur la ritournelle.

On pénètre dans cette pièce par l’appartement des filles d’honneur ; cela me suffit.

Reprise de l’ENSEMBLE.

Courez vite à Versaille, etc.

D’Aubigné sort.

 

 

Scène VIII

 

MADAME DE LESDIGUIÈRES, RAVANNE, MADAME DE MAINTENON

 

MADAME DE MAINTENON, à elle-même, sur le devant.

Et s’il ne le rencontre pas ?... tout sera donc perdu ?... L’air joyeux de cette femme, son sourire... Tout me l’annonce, il y a ici quelque complot !... j’aurai les yeux sur elle !... je reparaîtrai au moment où elle s’y attendra le moins... et je découvrirai tout !...

Haut.

Adieu, madame, je vous quitte, et je rentre chez moi je suis heureuse d’avoir appris ce qui m’a été révélé ici, et je vous prie de croire que vous aurez place dans mon souvenir.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Cette place me sera bien précieuse, madame.

MADAME DE MAINTENON.

Peut-être nous reverrons-nous bientôt ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Jamais aussitôt que je le désire.

 

 

Scène IX

 

RAVANNE, MADAME DE LESDIGUIÈRES

 

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Ah !... elle tremble à son tour celle qui depuis si longtemps nous fait trembler toutes !...

RAVANNE.

Elle tient donc beaucoup au mariage de son frère avec Mlle Henriette ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Comme s’il s’agissait du sien.

RAVANNE.

Je ne devine pas le motif...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, souriant.

Non ! non ! vous ne pouvez pas le deviner ; mais je le connais, moi !...

RAVANNE.

Et vous êtes sûre, madame, que monseigneur l’abbé Méroni ?...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, indiquant la porte du premier plan à droite et à demi-voix.

Il est là.

RAVANNE, à demi-voix tout le reste de la scène.

Prisonnier ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES, de même.

Je le crois !... à moins pourtant qu’effrayé de tout le bruit qu’il a dû entendre ici, il n’ait voulu fuir, et n’ait trouvé moyen de redescendre dans le parc. Il n’y a que cela qui m’inquiète.

RAVANNE.

Oh ! alors, rassurez-vous !... Grâce à Dieu et à moi, c’est impossible.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Comment donc ?

RAVANNE.

Au moment où je vous quittais, j’ai aperçu un homme, enveloppé dans un manteau, qui se glissait mystérieusement vers cette direction. J’ai soupçonné que c’était notre galant prélat ; je l’ai suivi... de loin, et, dès que je l’ai vu entrer, j’ai couru chez M. de Roquelaure.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Chez M. de Roquelaure !... et pourquoi ?

RAVANNE.

Je n’avais pas le temps d’agir moi-même, et j’ai pensé à lui. « La nuit dernière, lui ai-je dit, on a tenté une escalade chez les filles d’honneur ; empêchez un tel scandale de se renouveler, on vous en saura un gré infini !... Vous cherchez à rentrer en grâce, vous voulez obtenir votre absolution ?... voilà le moyen tout trouvé !... »

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Bon moyen en effet !...

RAVANNE.

Vous m’aviez dit, madame, que pour empêcher le mariage de Mlle Henriette, il fallait que le cardinal fût captif !... je n’avais pas compris parfaitement ; mais c’est égal, j’ai eu confiance, et je n’ai vu que cela !... si j’avais disposé de la Bastille, j’y aurais campé monseigneur de Méroni.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

C’eût été plus sûr encore.

RAVANNE.

Mon idée a souri à M. de Roquelaure, et, à mon instigation, il est allé poser deux sentinelles, l’une au bas de l’escalier qui conduit à l’avenue, l’autre à la porte des filles d’honneur.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, riant.

De sorte qu’il est pris comme dans une ratière !... Mon cher Ravanne, vous êtes un excellent conspirateur.

RAVANNE.

Ce que j’ai imaginé là est donc bon pour la conspiration ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

C’est admirable.

RAVANNE.

Alors, j’ai fait, comme M. Jourdain, de la prose sans le savoir.

MADAME DE LESDIGUIÈRES rit.

Ce pauvre prélat que mes précautions et vos sentinelles empêchent de se sauver, et qui, entendant toujours parler ici, n’ose venir !... Comme il doit s’ennuyer tout seul là dedans !

RAVANNES.

Excellente occasion pour dire son bréviaire une fois en sa vie.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Silence !... on vient... c’est M. de Roquelaure.

 

 

Scène X

 

RAVANNE, ROQUELAURE, MADAME DE LESDIGUIÈRES

 

ROQUELAURE.

Pardon, madame, de me présenter chez vous à cette heure !... mais c’est indispensable.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Qu’y a-t-il donc, monsieur le duc ?

ROQUELAURE.

Il y a, madame, que, grâce à Ravanne, me voilà certain de mon absolution.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Vraiment ?

ROQUELAURE.

Oui !... je viens de commettre un acte de vertu. L’abbé Méroni sera enchanté de ma conduite, de mon zèle pour la morale. 

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

J’en doute !...

Haut.

Quel est donc cet acte de vertu ? 

ROQUELAURE.

C’est un grand et magnifique scandale qui va faire un bruit de tous les diables, et que je me propose de dénoncer à son éminence.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Ah ! oui dà ?... à son éminence ?...

ROQUELAURE.

Voici le fait : ce brave jeune homme, qui a, ma foi, d’excellentes a idées, m’a suggéré de poser des sentinelles aux deux portes qui peuvent conduire chez les filles d’honneur. (Jadis j’étais chargé de les ouvrir, autre temps, autres mœurs !) En me retirant, après avoir rempli cette  formalité, qu’est-ce que j’aperçois à mes pieds ?... un gant !... un gant d’homme !... Ah ! ah ! me suis-je dit, un homme s’est donc déjà glissé par là ?... Eh ! bien, si mes sentinelles ne peuvent l’empêcher d’entrer, du moins elles l’empêcheront de sortir !... C’était bien raisonner n’est-il pas vrai ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Admirablement. 

ROQUELAURE.

Or, maintenant, cet intrus ne peut s’échapper que par trois endroits : ou par l’escalier qui conduit à l’avenue, et il y a une sentinelle !... ou par l’appartement des filles d’honneur, en prenant le corridor, et il y a une seconde sentinelle !... Ou enfin parcelle porte... et je m’y plante moi-même.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

Ah ! mon Dieu !...

Haut.

Ah ! ça, monsieur, y pensez-vous ?

ROQUELAURE.

Depuis une heure, je ne pense qu’à cela.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Venir vous mettre en faction chez moi !

ROQUELAURE.

Vous me le permettrez !... Il s’agit d’avoir mon absolution.

Air : J’en guette un petit de mon âge.

Pour obtenir le pardon qu’on réclame,
Tantôt, j’avais compté sur vous ;
Vous avez refusé, madame,
Et maintenant, si je veux être absous,
Il me faudra de longues patenôtres...
En restant là je peux m’en préserver,
Laissez du moins un pécheur se sauver,
Vous en ferez damner tant d’autres !

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Mais, monsieur de Roquelaure...

ROQUELAURE.

Oh ! comme notre prélat italien sera enchanté quand je lui raconterai tous les soins que j’ai pris pour empêcher le téméraire de s’esquiver !

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Oui, ça le réjouira beaucoup.

ROQUELAURE, tirant de sa poche un gant blanc brodé en or.

Avec quelle onction il me bénira quand je lui montrerai ce gant ! Regardez donc comme il est joli !... Je gagerais qu’il a été brodé par une main chérie !... Voyez !... ah ! ah ! voilà une preuve matérielle !... Il faudra bien que nous trouvions son frère jumeau dans la poche du délinquant.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Écoutez-moi, monsieur le duc !...

ROQUELAURE.

Excusez-moi, madame, je n’écoute rien !... il faut que je saisisse le coupable, et que j’aie mon absolution. Ce gant me servira à l’obtenir.

Il agite le gant.

 

 

Scène XI

 

RAVANNE, ROQUELAURE, MADAME DE LESDIGUIÈRES, MADAME DE MAINTENON, entrant sans qu’on la voie

 

MADAME DE MAINTENON, apercevant le gant, à part.

Que vois-je ?

ROQUELAURE, agitant toujours le gant.

C’est Madame de Maintenon surtout que ma conduite charmera.

MADAME DE MAINTENON, à part, au fond.

Je ne me trompe pas !... C’est un des gants que j’ai brodés pour le cardinal, et qu’il portait encore ce matin.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Monsieur le duc, je crois devoir vous conseiller en amie de ne pas faire tant de bruit de cette découverte.

ROQUELAURE.

Ah ! oui, vous ne voulez pas que je sois absous ? mais j’y tiens, moi.

MADAME DE MAINTENON, à part.

Comment ce gant est-il entre les mains de M. de Roquelaure ?... Il sait donc où est le cardinal ? Oh ! il me le dira !... et je suis sauvée.

Elle approche.

ROQUELAURE.

Madame la marquise !... ah ! c’est un coup du ciel !...

Il la salue.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

Que me veut-elle encore ?

MADAME DE MAINTENON.

Je vous avais dit, madame, que nous nous reverrions : vous voyez que je n’ai pas tardé.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Cela me prouve, madame, combien vous aimez à faire plaisir à tout ce qui vous entoure.

MADAME DE MAINTENON.

On m’a appris que M. de Ravanne était encore chez vous, et, comme j’ai à le charger d’une mission de confiance, je me suis permis de venir moi-même...

RAVANNE.

Je suis à vos ordres, madame.

MADAME DE MAINTENON.

Vous allez passer, dans les appartements du roi, monsieur ; vous direz que vous venez de ma part : vous tâcherez de savoir si sa majesté est informée de l’absence de monseigneur le cardinal, et, si le bruit en est arrivé jusqu’à elle, vous viendrez à l’instant m’en rendre compte. Allez, monsieur.

RAVANNE.

J’obéis, madame.

À part en sortant.

Que va devenir tout cela ?

 

 

Scène XII

 

MADAME DE MAINTENON. ROQUELAURE, MADAME DE LESDIGUIÈRES

 

MADAME DE MAINTENON, à Roquelaure.

À nous deux, maintenant, monsieur, à nous deux, s’il vous plaît.

ROQUELAURE.

Oh ! oui, madame !... Car votre présence est un bonheur pour moi, et j’avais hâte de vous voir.

MADAME DE MAINTENON.

Pour me dire où est le cardinal Méroni ?

ROQUELAURE.

Comment ?...

MADAME DE MAINTENON.

Sans doute, monsieur !... vous le savez !... Répondez donc vite !... où est-il ?

ROQUELAURE.

Mais, madame, j’allais vous le demander !... j’ai le plus grand besoin de lui pour mon absolution.

MADAME DE MAINTENON.

Est-ce encore une de vos mystifications, comme celle d’hier, monsieur ?

ROQUELAURE.

Je vous jure que je ne vous comprends pas.

MADAME DE MAINTENON.

Et moi, je vous devine !... Vous aussi, monsieur, vous vous êtes rangé parmi mes ennemis...

ROQUELAURE.

Moi ?...

MADAME DE MAINTENON.

Ce prétendu voyage à Versailles est sans doute une de vos ruses ? mais je ne serai pas votre dupe !... le cardinal, monsieur ! le cardinal !...

ROQUELAURE.

Que voulez-vous dire ? Est-ce qu’il est perdu, le cardinal ?...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

Ce pauvre Roquelaure !... la morale ne lui réussit pas mieux que la plaisanterie.

MADAME DE MAINTENON.

Vous connaissez sa retraite : j’en ai la preuve

ROQUELAURE.

Bah !...

MADAME DE MAINTENON.

C’est peut-être vous qui le cachez ?

ROQUELAURE.

Moi, je le cache ?...

MADAME DE MAINTENON.

Et, si vous ne m’avouez tout à l’instant, je vous accuse devant le roi.

ROQUELAURE.

Je commence à penser que je deviens stupide, madame, car, encore une fois, je ne vous comprends pas, et je fais pourtant d’incroyables efforts d’intelligence.

MADAME DE MAINTENON.

Parlerez-vous, monsieur le duc, parlerez-vous ? ne voyez-vous pas que j’ai peine à contenir mon impatience ?

ROQUELAURE.

Eh ! mon Dieu, je ne demande pas mieux que de dire tout ce que je sais.

MADAME DE MAINTENON.

Ah ! enfin !...

ROQUELAURE.

Apprenez donc...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, bas.

Si vous dites un mot, le cardinal ne vous pardonnera jamais.

ROQUELAURE.

Ah !...

MADAME DE MAINTENON.

Eh bien ! monsieur, achevez-vous ? songez bien qu’il ne s’agit plus d’une simple disgrâce !... La Bastille, cette fois, nous fera justice de vos attaques envers un personnage sacré.

ROQUELAURE.

La Bastille !...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, bas à Roquelaure.

Ne craignez rien !... le dauphin vous protégera.

MADAME DE MAINTENON.

Tremblez ! c’est le roi qui vous punira.

ROQUELAURE, à part.

Le bienheureux saint Laurent sur son gril n’était pas plus à plaindre que moi.

MADAME DE MAINTENON.

Pour la dernière fois, je vous ordonne de tout dire.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, bas.

Et moi je vous le défends.

ROQUELAURE.

Ah ! c’en est trop à la fin !... je m’abrutis, je deviendrais bête tout-à-fait, et je me révolte !... Comment ; madame ? pour faire connaître à sa majesté les hypocrites de sa cour, je me brouille avec les dévots, et je déplais au roi !... Puis, quand je veux me réconcilier avec les dévots, on me menace de la colère du roi ?... c’est aussi par trop fort !... arrive ce qui pourra : je ne ménage plus per sonne ; je laisse faire la fortune ; je renonce à la politique, et j’en reviens à la folie, parce que décidément c’est là ma vocation !... qu’on s’arrange !... je ne me mêle plus de rien !... voilà mesdames, l’ultimatum du pauvre Roquelaure.

Il se jette sur un fauteuil.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

À merveilles !... elle ne saura rien.

MADAME DE MAINTENON.

Il suffit, monsieur !... c’est au roi que vous rendrez compte.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

J’ai presque pitié d’elle !...

MADAME DE MAINTENON, à elle-même.

Et mon frère qui ne revient pas ! et l’heure qui s’écoule !... et le dauphin qui arrive au point du jour !... Oh ! malgré tous mes efforts, malgré tant de précautions, faudra-t-il renoncer ?... Ah !... je n’y survivrai pas !...

On entend un grand bruit et des cris derrière la porte des filles d’honneur, au deuxième plan, à droite.

Qu’est-ce encore ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Qu’y a-t-il donc ?

 

 

Scène XIII

 

MADAME DE MAINTENON. ROQUELAURE, MADAME DE LESDIGUIÈRES, MADAME DE BERINGHEN, HENRIETTE, DEMOISELLES D’HONNEUR

 

Air : Chœur du Démon de la nuit.

Fuyons ! le ciel l’ordonne !
Et lui seul nous protégera...
C’est le diable en personne
Qui s’est présenté là !

MADAME DE MAINTENON.

Mais enfin qu’avez-vous ?

MADAME DE BERINGHEN.

C’est un effroyable scandale, madame.

ROQUELAURE, à part.

Voilà une nuit terriblement agitée.

HENRIETTE.

D’après vos ordres, on venait de me parer de ce costume de mariée et j’attendais au milieu de mes compagnes, le moment où l’on m’appellerait, lors qu’un homme, qui sans doute avait grimpé le long du mur, brise la fenêtre de notre appartement...

ROQUELAURE.

Ah, ah !...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

Qui ce peut-il être ?

MADAME DE MAINTENON.

Achevez.

HENRIETTE.

Il s’élance comme un fou, en éteignant les flambeaux, et se précipite vers le corridor qui conduit dans cette pièce.

Elle indique le cabinet au premier plan, à droite.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

Ô ciel !...

MADAME DE MAINTENON.

Dans cette pièce ?... Monsieur de Roquelaure, il faut savoir...

ROQUELAURE.

Moi ? Ah bien oui !... je ne m’occupe plus des affaires des autres, ça me réussit trop mal !...

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

Le galant prélat aura été découvert !... Je suis au supplice.

MADAME DE MAINTENON.

Il faut que cette porte soit ouverte, madame !... il le faut !...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Eh, madame, puis-je l’ouvrir, moi ?

MADAME DE MAINTENON.

Eh bien, on peut la briser !... nous saurons enfin quel est l’audacieux ?...

 

 

Scène XIV

 

D’AUBIGNÉ, ouvrant la porte et paraissant, MADAME DE MAINTENON, MADAME DE LESDIGUIÈRES, HENRIETTE, ROQUELAURE

 

D’AUBIGNÉ.

L’audacieux, c’est moi !

TOUT LE MONDE.

M. d’Aubigné !

MADAME DE MAINTENON.

Lui qui devait être à Versailles ?... ah ! mon frère, je suis perdue !...

D’AUBIGNÉ, à demi-voix.

Vous êtes sauvée !

MADAME DE MAINTENON.

Comment ?

D’AUBIGNÉ, à demi-voix.

Bénissez ma folie !... elle a renversé tout l’échafaudage de votre prudence, de votre solidité... comme dit le futur beau-frère.

MADAME DE MAINTENON.

Quel est ce langage ?

D’AUBIGNÉ, à demi-voix.

C’est celui qui convient à la situation, car votre mariage va se faire, grâce à moi.

MADAME DE MAINTENON.

Est-ce possible ?

D’AUBIGNÉ, à demi-voix.

C’est sûr !... à une condition pourtant.

MADAME DE MAINTENON, à demi-voix.

J’accorde tout !... Mais le cardinal ?...

D’AUBIGNÉ, à demi-voix.

Soyez tranquille !... J’ai mis la main dessus.

MADAME DE MAINTENON, à demi-voix.

Où est il ? où est-il ?

D’AUBIGNÉ.

Silence ! Vous allez le savoir.

 

 

Scène XV

 

D’AUBIGNÉ, MADAME DE MAINTENON, MADAME DE LESDIGUIÈRES, HENRIETTE, ROQUELAURE, RAVANNE

 

RAVANNE.

Mesdames, sa majesté ordonne que toutes les dames rentrent dans leurs appartements, qu’on éteigne toutes les lumières, et que chacun soit retiré dans le plus bref délai. C’est la volonté du roi.

MADAME DE MAINTENON.

Que signifie cet ordre ?

D’AUBIGNÉ, à demi-voix.

Patience, ma sœur !... vous allez voir ce qu’un fou peut faire en dix minutes.

Il passe près de Madame de Lesdiguières.

RAVANNE, à Madame de Maintenon.

Quant à vous, madame la marquise, sa majesté me charge de vous prévenir que monsieur le cardinal Méroni arrive à l’instant dans la chapelle.

MADAME DE MAINTENON,

Ah !

MADAME DE LESDIGUIÈRES, à part.

C’est d’Aubigné qui l’a délivré.

D’AUBIGNÉ, bas à Madame de Lesdiguières.

Vous m’en voulez bien, n’est-ce pas ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES, bas.

Vous êtes un monstre.

D’AUBIGNÉ, bas.

Un moment, un moment... vous n’êtes pas au bout.

RAVANNE.

Tout est disposé pour le mariage de Mlle Henriette.

MADAME DE MAINTENON, à part.

Et le mien tout de suite après !... Je triomphe !

RAVANNE.

Monsieur le duc de Roquelaure conduira sa nièce à l’autel, et le roi ne veut que les témoins nécessaires à la cérémonie.

MADAME DE MAINTENON.

Dans un instant, vous allez vous retirer, mesdames, et vous vous soumettrez aux ordres de sa majesté.

D’AUBIGNÉ, bas à Madame de Lesdiguières.

Mais vous, resterez-vous ?

MADAME DE LESDIGUIÈRES, bas.

Pour assister à votre mariage ?

D’AUBIGNÉ, bas.

J’espère bien qu’il ne se fera pas sans vous.

MADAME DE MAINTENON.

Monsieur de Ravanne, je vous ai promis une récompense, que désirez-vous ?

RAVANNE.

Un régiment, madame, pour me faire tuer.

D’AUBIGNÉ.

Te faire tuer ?... C’est la plus sotte des sottises, car c’est la dernière.

RAVANNE.

Vous épousez Mlle Henriette, apprenez que je l’adorais.

D’AUBIGNÉ.

Tu l’adorais ?... eh bien ! je te la cède.

ROQUELAURE.

Qu’est-ce qu’il dit là ?

MADAME DE MAINTENON.

Y songez-vous, mon frère ?

D’AUBIGNÉ.

Rassurez-vous, je ne m’en marierai pas moins, si Madame de Lesdiguières le veut bien.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Moi, monsieur ?

D’AUBIGNÉ.

Oui, vous, madame... Allons, plus de mystère et plus de dépit... Vous m’aimez, je vous aime, touchez là ! nous nous marions ce soir...

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Vous êtes expéditif !

D’AUBIGNÉ.

Air du Baiser au Porteur.

Lorsque ma sœur enchainait ma faiblesse,
Vous avez dit : « Il trahit son serment !
« Il faut punir l’ingrat qui me délaisse... »
Et moi, je sers votre ressentiment !
La vengeance est le bonheur d’une femme ;
Vous la ravir serait vous affliger...
Eh bien ! épousez-moi, madame,
Afin d’avoir le temps de vous venger.

MADAME DE LESDIGUIÈRES, souriant.

À cette condition-là, peut-être ?... Mais quand je le voudrais, le puis-je ?

MADAME DE MAINTENON.

Et son deuil ?

D’AUBIGNÉ, à Madame de Lesdiguières.

Voici, madame, la dispense de Rome,

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Ah !...

D’AUBIGNÉ.

Monsieur de Roquelaure, voici ton absolution.

ROQUELAURE.

Bah !

D’AUBIGNÉ.

Oh ! son éminence a fait grandement les choses.

Bas à Madame de Lesdiguières.

Pris au trébuchet, il ne pouvait guère s’en dispenser.

Haut.

Ma chère sœur ne nous refusera pas son consentement : qu’est-ce qu’il lui fallait ?... un mariage ? eh bien ! il y en aura deux... car M. de Roquelaure voudra bien consentir aussi ?

ROQUELAURE.

Le moyen de refuser quelque chose à l’homme qui m’apporte mon absolution !

MADAME DE MAINTENON.

Allons, je suis trop heureuse pour ne pas tout approuver.

RAVANNE, serrant la main de d’Aubigné.

Ah ! mon ami...

HENRIETTE.

Ah ! monsieur d’Aubigné !

D’AUBIGNÉ, à Henriette.

Avant de briser votre fenêtre, j’ai prêté l’oreille : vous faisiez vos confidences à vos jeunes compagnes. Vous disiez tant de bien de lui et tant de mal de moi, que ça m’a touché... Mes enfants, je vous bénis.

ROQUELAURE.

On a beau dire, ce sont toujours les mauvais sujets qui font les bonnes actions.

D’AUBIGNÉ.

Et ce ne sont pas toujours les plus grands politiques qui réussissent le mieux.

Tirant Madame de Maintenon à part.

Voyez plutôt... c’est parce que je me ma riais pour obéir à vos profonds calculs, que le cardinal était devenu introuvable ; c’est parce que je ne suis pas allé où vous m’envoyiez que monseigneur a reparu comme par enchantement, et cela vous prouve... ah ! écoutez-moi. Je prends ma revanche, un petit sermon à mon tour... Cela vous prouve, ma chère sœur, que dans les affaires humaines, le succès n’est souvent dû qu’à un événement auquel on s’opposait avec tout son esprit et toute son habileté : voilà pourquoi il y a tant de soss qui réussissent !... Sur ce, je prie Dieu, ma chère sœur, qu’il bénisse votre mariage, qui doit se faire en cachette, après le nôtre !... Allez être la femme d’un roi !

Haut, en prenant la main de Madame de Lesdiguières.

Moi, je vais être heureux.

MADAME DE LESDIGUIÈRES.

Bien vrai ?

D’AUBIGNÉ.

Si vous voulez.

MADAME DE MAINTENON.

Et raisonnable ?

D’AUBIGNÉ.

Si je peux.

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