Divertissement de Sceaux (DANCOURT)
Comédie-ballet en un acte.
Musique de Jean-Claude Gilliers .
Représentée pour la première fois, au Château de Sceaux, le 13 août 1705.
Personnages
MONSIEUR POISSON, père
MONSIEUR SALLÉ
MONSIEUR DU BOCAGE
MONSIEUR FOMPRÉ
MONSIEUR POISSON, fils
MADEMOISELLE GODEFROY
MADEMOISELLE SALLE.
MADEMOISELLE MIMY DANCOURT
La Scène est à Sceaux.
Le Théâtre représente un des beaux endroits des Jardins de Sceaux.
Après l’Ouverture, Mademoiselle Salle, conduisant une Troupe d’Acteurs et d’Actrices, en habit de Théâtre à la Française, chante les paroles suivantes
MADEMOISELLE SALLE.
Ne portons pas
Plus loin nos pas,
Arrêtons-nous dans ces belles retraites :
Les arbres des routes secrètes,
Sans art avec ordre plantés :
Le cristal des eaux, la fraîcheur des herbes,
Font assez voir que ces bois enchantés
Conduisent aux Palais superbes
De quelques Divinités.
MONSIEUR SALLE, vêtu en Druide.
Dans ce séjour chéri des Dieux,
Troupe aimable, qui vous attire ?
N’est-ce qu’un désir curieux
D’y voir les beautés qu’on admire ?
MADEMOISELLE SALLE.
Sage druide, apprenez-nous
Quels sont les beaux lieux où nous sommes,
Quelle Divinité par vous
Reçoit ici l’encens et l’hommage des hommes.
LE DRUIDE.
Bénissez le sort heureux
Qui dans ce Palais vous amène ;
Hâtez-vous d’offrir vos vœux
À notre AUGUSTE SOUVERAINE.
Entrée.
LE DRUIDE continue.
C’est la Vertu qui tient ici sa Cour :
Mais ce n’est point cette Vertu sauvage
Qui fuit l’innocent badinage
Des Jeux, des Ris, et de l’Amour.
C’est la Vertu dans son bel âge
Qui dans cet aimable séjour
Des doux plaisirs permet l’usage,
Et qui sait les prendre à son tour.
Entrée.
LE DRUIDE continue.
Elle aime à sa suite
Que le vrai mérite
Brille chaque jour.
Minerve se plaint qu’on la quitte
Pour lui venir faire la cour ;
Et de Vénus la Troupe favorite,
Des Grâces l’élite
Y retient la jeunesse et l’Amour.
MONSIEUR POISSON, en Crispin.
Parbleu je suis ravi que cela soit comme vous le dites, et... Nous sommes aussi nous autres l’élite d’une Troupe favorite, non pas de Vénus, mais de Comus, et si peu que rien d’Apollon... Comédiens pour vous rendre service, Monsieur le Druide. Et puisque le hasard... nous conduit heureusement dans une Cour aussi charmante que celle-ci, auprès d’une Souveraine si agréablement vertueuse, nous vous prions de lui faire agréer que... nous ayons, s’il vous plaît, l’honneur de lui donner... un petit plat de notre métier. Je ne sais pas parler en musique comme vous... moi : mais cela n’empêche pas que je me réjouisse quelquefois en parlant autrement, par exemple... je suis le Comique... et nous sommes tous camarades, enfin c’est ce qui fait que comme nous n’avons point de maître, nous ne sommes pas toujours bien d’accord... Mais ce qu’il y a de constant ; c’est que l’on s’accorde pour contribuer au plaisirs de l’AUGUSTE SOUVERAINE chez qui nous sommes, et dans l’objet que nous avons d’y réussir, nous sommes tous d’une docilité, d’une tranquillité d’esprit... enfin, expliquez-lui cela, s’il vous plaît, Monsieur le Druide, et n’oubliez pas de parler surtout du zèle et du respectueux attachement que nous avons tous, et de bien marquer... là... combien nous nous estimons heureux de trouver la moindre petite occasion de tâcher de nous rendre dignes de l’honneur de sa bienveillance et de sa protection. Allons, Messieurs, Mesdemoiselles, achevez, s’il vous plaît, votre façon de prologue, et nous commencerons notre Comédie.
MADEMOISELLE SALLE.
Que les Grecs soient glorieux
D’avoir chez eux le Parnasse
Cet aimable coteau parmi nous tient sa place,
Et nous élève au-dessus d’eux.
Ici la moindre Fontaine
Vaut tout l’eau d’Hypocrène.
LE DRUIDE.
Depuis le jour qu’Apollon
Quitta le sacré Vallon,
Sur ces coteaux il réside ;
Et la Muse qui dans ses lieux
Seule au lieu des neufs Sœurs préside,
N’est point une Piéride,
Elle est du sang de nos Dieux.
Entrée.
MADEMOISELLE SALLE.
Aux bords de la Seine
Une Souveraine
Gagne tous les cœurs ;
Ses charmes vainqueurs
Triomphent sans peine.
En portant son aimable chaîne
On ressent mille douceurs
De Paphos, la Reine
À son Char entraîne
Moins d’Adorateurs.
MADEMOISELLE SALLE, continue.
L’Île de Cythère
À Vénus si chère
Cède à ses beaux Lieux ;
Tout charme les yeux,
Tout est fait pour plaire.
La Déesse qu’on y révère
Est l’objet qui plaît le mieux.
Hé ! se peut-il faire
Qu’on ne les préfère.
Au séjour des Dieux ?
Ce Divertissement finit par l’Entrée précédente, que l’on répète, après laquelle on représente une Comédie ; ensuite de quoi Monsieur et Mademoiselle Salle chantent les paroles suivantes, qui précèdent un Bal.
MONSIEUR SALLE.
Si cette Cour charmante
Est contente
Des soins que nous avons pris,
Le succès passe notre attente,
Est-il un plus digne de prix ?
Que la Troupe diligente
Des plaisirs, des Jeux, des Ris
Vienne dans ces lieux chéris
Finir cette fête galante.
Si cette Cour charmante
Des soins que nous avons pris,
Le succès passe notre attente,
Est-il un plus digne de prix ?
Entrée.
MADEMOISELLE SALLE.
De ce séjour aimable
Je crains de m’éloigner,
On ne voit point ailleurs régner
Des plaisirs la Troupe agréable.
Ici les jours
Sembleraient trop courts,
Si quand l’œil du monde
Dans le sein de l’Onde
Va finir son cours,
Sa Sœur qui le chasse,
Et qui prend sa place,
N’offrait à d’innocents désirs
Les plus doux loisirs,
Et souvent l’Aurore
Nous surprend encore
Parmi les plaisirs.
De ce séjour aimable
Je crains de m’éloigner,
On ne voit point ailleurs régner
Des plaisirs la Troupe agréable.
Entrée.
Branle pour danser en rond, après lequel le Bal commence.
Qui s’ennuie
Dans la vie,
N’a ni bon sens, ni raison,
Suivre en tout sa fantaisie,
Vivre sans soins, sans envie,
Ô l’heureuse opinion !
Qui s’ennuie
Dans la vie,
N’a ni bon sens, ni raison.
C’est là la Philosophie,
Qui jadis fut si chérie
Des disciples de Zénon.
Qui s’ennuie
Dans la vie,
N’a ni bon sens, ni raison.
Elle est depuis moins suivie,
Cela dépend du génie,
Heureux, quiconque l’a bon !
Qui s’ennuie
Dans la vie,
N’a ni bon sens, ni raison.
Dès qu’elle nous est ravie,
Du retour je me défie.
Qui deux fois vit l’Achéron ?
Qui s’ennuie
Dans la vie,
N’a ni bon sens, ni raison.
Quoi que la Mythologie
Du Fils d’Alcmène publie,
Des sombres bords revient-on ?
Qui s’ennuie
Dans la vie,
N’a ni bon sens, ni raison.
Comme la rose fleurie,
En peu de temps est flétrie,
Ainsi nos beaux jours s’en vont.
Qui s’ennuie
Dans la vie,
N’a ni bon sens, ni raison.
Puisque sitôt elle est finie,
Aux plaisirs tout nous convie,
Sans craindre prenons-en donc.
Qui s’ennuie
Dans la vie,
N’a ni bon sens, ni raison.