Le Portrait du peintre (Edme BOURSAULT)
Sous-titre : la critique de l'École des Femmes
Comédie en un acte, en vers.
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre Royal de l’Hôtel de Bourgogne, en 1663.
Personnages
DAMIS, Baron, Amant d’Amarante
AMARANTE, Maîtresse de Damis
CLITIE, Cousine d’Amarante
LE COMTE, Courtisan Ridicule
LE CHEVALIER DORANTE, Courtisan Ridicule
LA MARQUISE ORIANE, Précieuse
LISIDOR, Poète
PETIT-JEAN, Page d’Amarante
LA RAMÉE, Laquais du Comte
La Scène est dans une Salle du Logis d’Amarante.
AU LECTEUR
Je ne me serais jamais avisé, mon cher Lecteur de vouloir t’ennuyer par une espèce de Préface, si je n’étais obligé d’en faire le sacrifice à la gloire outragée des plus honnêtes gens du Royaume. Si l’on s’était contenté de me ravir l’avantage d’avoir attaqué Molière, et de l’avoir réduit à la honteuse nécessité de recourir aux invectives pour repousser la Satyre spirituelle qui a mis en plein jour les défauts du plus considérable de ses Ouvrages ; j’eusse laissé la liberté du doute à tous ceux à qui l’on a voulu persuader que je n’étais pas même l’Auteur d’un ouvrage si médiocre : mais il n’est pas juste que je me laisse dépouiller d’un bien qui ne peut enrichir personne ; et je suis contraint de défendre tout le Parnasse contre l’injurieuse charité qu’on lui a voulu prêter. Les grands Hommes n’ont point d’occupations si frivoles ; ils ne travaillent qu’alors qu’il y a de la gloire à acquérir : et c’est dire assez clairement que Molière n’a rien à craindre d’eux. Pour moi je suis redevable à l’outrage qu’il m’a voulu faire : croire ma Pièce digne de ceux qui sont accusés d’y avoir mis la main, c’est demeurer d’accord de son mérite ; et toutes les injures qu’on me dit dans le galimatias que Molière appelle Impromptu, ne peuvent détruire la bonne opinion qu’il a fait concevoir de mon ouvrage. Je pourrais repousser ces injures par d’autres injures plus piquantes, si j’en avais aussi bien la volonté que j’en ai le droit : mais je n’y suis pas accoutumé comme lui : Et puis cette sorte de vengeance est si indigne d’un honnête homme, que la sienne n’a pas eu lieu de me surprendre.
Scène première
CLITIE, DAMIS
CLITIE.
Ma Cousine s’habille ; et je viens vous apprendre
Qu’elle a bien du regret de vous tant faire attendre ;
Car de votre présence elle aura du plaisir ;
Pour venir vous le dire elle a su me choisir.
Votre retour la charme, et sa joie est extrême.
DAMIS.
La charmante Clitie est toujours elle-même ;
Toujours l’âme sensible, et le cœur obligeant,
Il ne sort de sa bouche aucun mot affligeant.
Plût au Ciel qu’en revanche une fille si belle
En semblable rencontre eût besoin de mon zèle !
Il n’est soins ni devoirs que ne dût éprouver...
CLITIE.
Patience ; il n’est rien qui ne puisse arriver.
Je me sens dans un âge à ne plus guère attendre.
Vous avez un cousin dont le cœur paraît tendre ;
Et s’il était d’humeur à languir sous ma loi,
Ce que je fais pour vous, vous le feriez pour moi.
Quand ma cousine aussi daigne ouïr ma harangue,
À lui parler de vous je prépare ma langue ;
De mon zèle assidu son esprit est confus ;
Eussiez-vous des défauts, j’en ferais des vertus ;
Je la charme par là ; (car je sais par moi-même
Qu’on oblige une fille en louant ce qu’elle aime ;
Et que lorsqu’un Amant s’est rangé sous nos lois,
Qui nous vante sa grâce applaudit notre choix.)
J’ai cent fois d’Amarante affermi la tendresse,
Et du courtois Damis si j’étais la Maîtresse,
Peut-être que...
DAMIS.
Peut-être en amour n’est pas bon.
Vous m’aimeriez peut-être, et peut-être que non.
Quand d’un cœur une fois l’amour s’est rendu maître,
Il ne veut rien devoir au secours d’un peut-être,
Et quand d’une Maîtresse on souhaite la main,
Un bonheur dont on doute est un malheur certain.
De ma chère Amarante un semblable peut-être...
CLITIE.
Amarante vous aime, et j’ai su le connaître.
À pouvoir de sa bouche arracher cet aveu,
Vous n’aurez point de peine, ou vous en aurez peu :
Adieu mon Cher ; souffrez qu’un moment je vous laisse.
Je viendrai vous rejoindre avec votre Maîtresse.
À certaine Marquise elle donne à dîner,
Et touchant ce repas j’ay quelque ordre à donner :
Entre Amis tout s’excuse, et chacun s’accommode...
DAMIS.
Je m’en vais ; Je vois bien que je suis incommode ;
Sur le soir Amarante aura plus de loisir...
CLITIE.
Vous n’auriez qu’à nous faire un pareil déplaisir !
Ma charmante Cousine en serait si surprise...
DAMIS.
Mais paraître en désordre auprès d’une Marquise ;
M’exposer de la sorte à des yeux délicats !
CLITIE.
Si Damis l’appréhende il ne la connaît pas.
Vous ne vîtes jamais Dame plus incommode.
Jusqu’au ton de la voix elle observe la mode ;
À la nature même elle impose des lois ;
En user autrement c’est sentir le Bourgeois,
Jamais ce qui vous plaît n’a l’honneur de lui plaire ;
Ce qu’on croit naturel lui paraît trop vulgaire :
Et c’est à cette belle une espèce d’affront
Que de boire et manger comme les autres font.
Aussi quoi qu’elle fasse à toute heure on la joue ;
Mais alors qu’on la raille elle croit qu’on la loue :
Elle tourne à son gré tous les mots qu’on lui dit ;
Si l’on rit de la voir c’est que l’on l’applaudit ;
Quand on la contrefait, elle croit qu’on l’imite ;
Elle affecte des mots qu’elle seule débite ;
Et comme si son âme agissait par ressorts,
Son esprit se démonte aussi bien que son corps.
Sur tout ce qui la choque on sait bien qu’elle glose ;
Mais lui plaire, et déplaire est une même chose,
Vos soupirs à ses yeux ne sont pas adressés ;
Amarante vous aime ; et cela c’est assez.
Jusqu’au revoir.
DAMIS.
Ma joie est enfin apparente...
Scène II
LE COMTE, DAMIS
LE COMTE, en entrant.
Ho ! quelqu’un ! fait-il jour chez la belle Amarante ?
Ah, Ah ! C’est toi Baron : ne fais pas le surpris.
Et depuis quand, mon cher, es-tu donc à Paris ?
Parbleu de ton voyage il faut dire la cause :
Entrons.
DAMIS.
Tu peux entrer, mais pour moi je ne l’ose.
On habille Amarante, et je viens de savoir
Que dans quelques moments j’aurai l’heur de la voir ;
Par respect l’un et l’autre attendons qu’elle sorte.
Mais peut-on me connaître à me voir de la sorte ?
LE COMTE.
Parbleu, Baron, tout autre y serait attrapé ;
Te voilà Dieu me damne, assez bien équipé !
Têtebleu ! des collets de dentelle de Flandre ?
Justice.
DAMIS.
Quoi...
LE COMTE.
Parbleu, je ne veux pas t’entendre.
Justice, Baron.
DAMIS.
Mais...
LE COMTE.
Mais, Justice.
DAMIS.
Dis-moi...
LE COMTE.
Si tu m’en crois, mon cher, ne va pas chez le Roi ;
Tu n’entrerais jamais dans la Salle des Gardes,
Qu’il ne plût sur ton nez plus de mille nasardes.
DAMIS.
Quoi ! les Gardes...
LE COMTE.
Baron, moi qui te parle, moi,
Je te dis en ami, si tu vas chez le Roi,
Que tu n’entreras point sans un Point de Venise...
DAMIS.
Et s’il arrivait donc que par une surprise...
LE COMTE.
Quelque sot ! Sur mon âme on ne me surprend point.
J’ai parbleu dépensé dix mille écus en Point.
Mais le bon de cela, Baron, quand je m’ajuste,
Pour me tirer du pair je calcule si juste
Que, parbleu, notre ami, chez les gens comme toi
Quand la mode commence elle est vieille pour moi.
Il me serait beau voir les dentelles de Flandres !
DAMIS.
N’ai-je que ce défaut que tu puisses reprendre ?
De ces riches collets si tel est le pouvoir,
Aussi bien comme toi j’ai moyen d’en avoir :
Mais dis-moi dans Paris n’a-t-on pas la franchise ?
Ce qui fait l’honnête homme est-ce un Point de Venise ?
C’est un faible avantage à ces gens du bel air,
Qu’emprunter du secours pour se tirer du pair :
Quand d’un sang assez bon nous avons l’heur de naître,
Notre éclat naturel nous doit faire paraître :
C’est mon sentiment, Comte ; et tu dois m’avouer...
LE COMTE.
Dieu me damne, Baron, tu te feras jouer,
Prends garde à toi.
DAMIS.
Pourquoi ?
LE COMTE.
Pourquoi !
DAMIS.
Daignes me dire...
LE COMTE.
Par ma foi, cher Baron, ton pourquoi me faire rire ;
Il est bon.
DAMIS.
Mais pourquoi...
LE COMTE.
Continue.
DAMIS.
Apprends-moi...
LE COMTE.
On te jouera, te dis-je, Hé demande pourquoi ?
Je t’en prie. Allons donc : Soutiens ton caractère.
DAMIS.
Ou sois plus raisonnable, ou bien songe à te taire.
LE COMTE.
On te jouera.
DAMIS.
Dis donc quel sujet on aura...
LE COMTE.
On te jouera, Morbleu, parce qu’on te jouera.
DAMIS.
Mais...
LE COMTE.
Mais prends garde à toi, car nous avons un homme
Qui fait mieux des portraits que les Peintres de Rome ;
Il vous dépeint, morbleu ! mais je dis traits pour traits :
Il est vrai, quelques sots ne s’en doutent jamais :
Quoi que des spectateurs tous les traits y paraissent,
Plus ils sont ressemblants, moins ils les reconnaissent :
Ce qu’on a fait pour eux leur paraît pour autrui.
Et tel y rit souvent de voir rire de lui.
DAMIS.
À ce compte, ce Peintre en badins vous érige ?
Mais se voit-on jouer sans que l’on se corrige ?
En est-il d’assez sots pour ne pas s’abstenir ?...
LE COMTE.
S’il est des sots, ma foi tu m’en fais souvenir
Des sots ; pour t’en montrer, et de plus d’une espèce,
Si tu veux dès tantôt nous irons voir sa Pièce.
Mais il faut, notre cher, me promettre ce point,
Si tu vas autre part, que tu ne riras point.
DAMIS.
Pourquoi cela ?
LE COMTE.
Pourquoi ? Je ne puis te le dire.
On m’a dit seulement que c’est là qu’on va rire ;
Et j’ai fait, têtebleu des serments qui tiendront
De ne rire jamais qu’où les autres riront.
DAMIS.
Moi qui hais ta manière, et qui suis équitable,
Je ris quand j’ai de rire un sujet raisonnable ;
Et je tiens que tout homme, à moins d’être brutal,
Doit rire de la chose, et non pas du signal ;
Car tu ris de voir rire, et ma foi je parie...
LE COMTE.
Et de quoi donc, Baron, prétends-tu que je rie ?
DAMIS.
De quelque endroit risible où paraisse l’esprit.
LE COMTE.
Parbleu ! l’endroit risible est l’endroit où l’on rit.
Je le soutiens.
DAMIS.
Soutiens, je suis prêt d’y souscrire.
Mais rit-on de l’endroit, quand on rit d’y voir rire ?
Pour juger d’un ouvrage il faut lire...
LE COMTE.
En effet ;
Et voit-on en lisant les grimaces qu’on fait ?
DAMIS.
Cette Pièce...
LE COMTE.
Ma foi j’en ai fait deux lectures ;
Mais je n’y puis trouver ces plaisantes postures,
Eh, parlez, dépêchez, vite, promptement, tôt.
On appelle cela réciter comme il faut.
Verra-t-on en lisant, fût-on grand Philosophe,
Ce que veut dire un Ouf qui fait la catastrophe ?
Baron, Ouf ! Que dis-tu de ce Ouf, placé là ?
Par ma foi, cher Baron, il faut voir tout cela.
Viens-y tantôt, mon fils, tu verras si j’impose.
Mais venons au voyage, et m’en apprends la cause ;
On habille Amarante, et tu peux en deux mots...
DAMIS.
Sa divine beauté m’a ravi le repos.
De l’oser déclarer la douceur m’est permise ;
Chacun sait qu’à Damis Amarante est promise.
Et depuis mon départ jusques à mon retour,
Mille Écrits de sa main ont flatté mon amour.
La voici.
Scène III
AMARANTE, CLITIE, LE COMTE, DAMIS
AMARANTE, à un Page.
Demeurez pour nous donner des Sièges.
LE COMTE.
Notre Ami le Baron est tombé dans vos pièges ?
Comment Diable ! il vous aime, et vous n’en disiez rien.
Finette !
AMARANTE.
Je croyais que vous le saviez bien.
Damis m’aime, je l’aime ; En est-ce assez ?
CLITIE.
Cousine,
Il n’appartient qu’à lui d’aimer à la sourdine ;
La Marquise d’Oriane a des appas si doux...
LE COMTE.
À propos d’Oriane, elle dîne chez vous ;
J’y dîne aussi ma chère, et je suis de la bande ;
Sans façon.
AMARANTE.
Trop d’honneur.
Scène IV
PETIT-JEAN, AMARANTE, LE COMTE, DAMIS, CLITIE
PETIT-JEAN.
Madame, on vous demande.
AMARANTE.
Nous voulons être seuls, retourne sur tes pas ;
Si c’est quelque fâcheux dis que je n’y suis pas.
ORIANE.
La voit-on, Madame ?
PETIT-JEAN.
Oui, mais je crains qu’elle crie.
Si vous êtes fâcheuse elle sera sortie.
ORIANE.
Dis que c’est Oriane.
PETIT-JEAN.
Attendez donc un peu.
Voilà qui c’est Madame ; entrera-t-elle ?
AMARANTE.
Ô Dieu !
C’est Madame !
ORIANE.
Servante à ma toute adorable.
AMARANTE.
Holà ! qu’on se dépêche, et qu’on couvre la table ;
Puisque voilà Madame, il est temps de servir.
Chacun se sied.
ORIANE.
Quel est ce Gentilhomme ? Il est fait à ravir !
AMARANTE.
C’est le Baron Damis.
ORIANE.
À qui vous devez être,
Madame ?
AMARANTE.
Oui, Madame.
ORIANE.
Ah, je veux le connaître.
DAMIS.
N’eût été que j’ai craint de vous être suspect,
J’eusse précipité l’offre de mon respect ;
Madame, et désormais je prétends que mon zèle...
ORIANE.
Certes, sa miniature est parfaitement belle.
CLITIE.
Miniature ! mon Dieu que ce mot est bien dit !
Et qu’il faut pour le dire avoir bien de l’esprit !
Je suis au désespoir de ne pas le comprendre.
LE COMTE.
Elle n’aperçoit pas ta dentelle de Flandres,
Baron.
ORIANE.
Ô mon Dieu, fi ? Chez le monde choisi,
Des beautés à la mode il faut être saisi ;
La plus claire Dentelle est la plus en usage ;
Et le Point de Venise assaisonne un visage.
CLITIE.
Cousine, que Madame a de jolis détours ;
Et que cet assaisonne assaisonne un discours !
En effet, fi ; votre âme est une malapprise ;
Comment ? faire l’amour sans un Point de Venise !
DAMIS.
Pour être en galant homme il faut donc de ce Point.
LE COMTE.
Je l’ai dit, Dieu me damne, et ne m’en dédis point.
Il en faut pour paraître ; et de plus notre Singe
Fait un nouveau tableau qui sera tout de linge.
Je ne t’en avertis que de peur d’accidents ;
S’il te voit sur mon âme il te mettra dedans.
Rien n’échappe à sa plume ; et dedans sa critique,
Il n’est point de gros Dos que sa langue ne pique :
À jouer tout le monde il a tant de penchant...
ORIANE.
Hai, hai, hai !
AMARANTE.
Qu’avez-vous ?
ORIANE.
Que vous êtes méchant,
Monsieur le Comte !
LE COMTE.
Moi ?
ORIANE.
Je n’en puis plus, vous dis-je.
AMARANTE.
Ho, quelqu’un !
ORIANE.
Ne bougez.
AMARANTE.
J’ai peur qu’on vous néglige ;
Un si prompt accident vous peut être fatal.
ORIANE.
Il m’a fait souvenir que je me porte mal.
Hier dans une visite il se trouva des Dames
Qu’Alcidon régala de l’École des Femmes ;
Et qui d’intelligence avecque mon destin
Ne voulurent jamais en entendre la fin :
Comme si pour me perdre elles eussent fait pacte,
On fit cesser la Pièce après le second Acte,
Et je ne remarquai des risibles endroits,
Que celui de la soupe où l’on trempe les doigts.
Dans un chagrin mortel ce caprice me plonge.
CLITIE.
Voyez, comme les maux viennent sans qu’on y songe.
LE COMTE.
Dans mon âme j’enrage.
AMARANTE.
Et pourquoi ?
LE COMTE.
Tout exprès,
La Marquise y courait pour voir le Le d’Agnès.
ORIANE.
Je l’ai vu, que je l’aime, et que j’en suis contente !
Ce Le c’est une chose horriblement touchante ;
Il m’a pris Le... ce Le fait qu’on ouvre les yeux.
LE COMTE.
Oui, ce Le, Dieu me damne ; est un Le merveilleux :
Quand je vis que l’Actrice y faisait une pose,
Je crus que l’innocence allait dire autre chose.
Et le ruban, ma foi je ne l’attendais pas.
ORIANE.
Et ce Le, pour Madame eût-il beaucoup d’appâts ?
AMARANTE.
J’en dirais mon avis en pouvant m’en défendre ;
Mais qui s’en ressouvient prit plaisir à l’entendre ;
Et moi de qui l’esprit s’en est peu soucié,
À peine l’eus-je appris que je l’eus oublié.
ORIANE.
À le revoir pour moi je serais toute prête ;
Ce Le toute la nuit m’a tenu dans la tête,
Ma chère ; aussi ce Le charme tous les Galants.
LE COMTE.
En effet, j’en vois peu qui ne donnent dedans.
La beauté de ce Le n’eut jamais de seconde.
CLITIE.
Il est vrai que ce Le contente bien du monde ;
C’est un Le fait exprès pour les gens délicats.
AMARANTE.
Elle est maligne, au moins, ne vous y fiez pas.
Car je sais que ce Le lui paraît détestable.
CLITIE.
Il est vrai, ma cousine, il me semble effroyable ;
Mais ce Le par Madame est si bien appuyé,
Que je meurs de regret qu’il nous ait ennuyé.
Le parti qu’elle prend est celui que j’embrasse ;
Tout ce que dit Madame est de si bonne grâce,
Que je veux la prier de ne pas s’irriter
Si je fais mes efforts pour la bien imiter.
Sa galante façon s’insinue en mon âme.
ORIANE.
Ô Madame !
CLITIE.
Ô Madame !
ORIANE.
Ô Madame !
CLITIE.
Ô Madame !
ORIANE.
Quoi ! me railler chez vous, Madame ! ah ! je vois bien...
CLITIE.
Vous le dites, Madame, et vous n’en croyez rien.
ORIANE.
Assurément Madame...
CLITIE.
Assurément...
LE COMTE.
Marquise,
Savez-vous quelles gens le Matois satirise ?
Des Marquis.
DAMIS.
Des Marquis ! Il aspire si haut...
LE COMTE.
Je t’en vais montrer trois chapitrés comme il faut.
J’ai la clef de sa Pièce.
AMARANTE.
Imprimée.
LE COMTE.
Imprimée.
Ho ! mes Laquais ; Picard, Bearnois, la Ramée.
Un Laquais vient, et le Comte lui dit.
Sous la tapisserie, au-dessous du miroir,
Tu verras cette clef, je l’y mis hier au soir.
À Damis.
Je croyais, palsembleu ! mériter ta croyance,
Baron.
DAMIS.
Quand une chose a si peu d’apparence...
LE COMTE, à son Laquais.
Va quérir cette clef, et me l’apporte ici.
Le Laquais sort. À Damis.
Incrédule Baron tu seras éclairci,
Mais...
AMARANTE.
Mais quoi ? Du critique on connaît la coutume.
À ma Muse peut-être il donne un coup de plume ;
Avouez ; vous riez ; je le verrai bientôt.
LE COMTE.
Et femme qui compose en sait plus qu’il ne faut.
C’est vous.
AMARANTE.
C’est moi ?
LE COMTE.
C’est vous.
AMARANTE.
Ce n’est pas qu’il m’importe ;
Mais l’Auteur est hardi d’en user de la sorte.
Il me doit du respect, il a dû le savoir.
Scène V
PETIT-JEAN, AMARANTE, ORIANE, CLITIE, LE COMTE, DAMIS
PETIT-JEAN.
Un Monsieur est là-bas qui demande à vous voir,
Madame.
AMARANTE.
Quel est-il, ce Monsieur ?
PETIT-JEAN.
C’est un homme.
AMARANTE.
Et ne t’a-t-il pas dit comme c’est qu’on le nomme !
PETIT-JEAN.
Le Chevalier de chose... Et là ?...
AMARANTE.
Qui, Dorante ?
PETIT-JEAN.
Oui.
AMARANTE.
Qu’il entre.
À Damis.
Il vous connaît ?
DAMIS.
Oui, Madame.
Scène VI
DORANTE, DAMIS, AMARANTE, LE COMTE, CLITIE, ORIANE
DORANTE, voyant Damis.
C’est lui !
Oui, c’est lui.
LE COMTE, à Damis.
De te voir sa surprise est extrême.
DORANTE.
Est-ce le Baron ?
DAMIS.
Oui.
DORANTE.
Quoi ! c’est toi ?
DAMIS.
C’est moi-même.
DORANTE.
Comment te portes-tu, vieil ami ? Touche-là.
Tu viens incognito voir l’objet que voilà ?
DAMIS.
Il est vrai.
DORANTE.
Dieu me damne il est beau comme un Ange,
Cet objet.
AMARANTE.
Chevalier, mon Dieu, point de louange ;
Un homme comme vous, Critique au dernier point,
Fait assez de plaisir quand il ne médit point.
La critique est blâmable après tout, et j’avoue...
DORANTE.
Ce que vous blâmez là, tout le monde le loue.
Il est vrai, je critique, et je m’en trouve bien ;
De bien faire ma Cour c’est l’unique moyen :
La Satire est en règne et le Point de Venise ;
Et le reste on le nomme une pure sottise.
DAMIS.
Et pour plaire à présent il ne faut en ce cas...
DORANTE.
Que de la médisance, et de riches rabats.
Je plais aussi, Dieu sait.
DAMIS.
Toi, plais-tu ? Chose vraie ?
DORANTE.
Si je plais ! Ce collet est le moindre que j’aie.
J’ai ma foi chez le Roi de secrets ennemis
Mutinés contre moi de me voir si bien mis :
Moi, qui vois leur envie, et qui sais leur bêtise,
J’achète si souvent quelque Point de Venise,
Que pour mieux les punir d’avoir cru m’outrager,
Je me ruine exprès pour les faire enrager ;
Dieu me damne. Vois donc si je plais. Pour médire,
Tu te peux informer si Dorante s’en tire.
On me craint, sur mon âme ; et je passe en tous lieux
Pour un des Courtisans qui critiquent le mieux ;
Mais aussi, je fréquente et je joue à la paume
Avec le médisant le meilleur du Royaume.
Le Compère vous drape, et vous mord en riant.
C’est de nos Courtisans le démon foudroyant ;
Il les pique !
AMARANTE.
À la fin, craint-il point qu’on s’en choque ?
J’en sais un enragé dont souvent il se moque.
À son meilleur ami, je veux bien l’avouer.
DORANTE.
J’en sais vingt trop heureux de se laisser jouer ;
Oui, j’en sais de ravis qu’on leur fasse la guerre ;
Témoins trois l’autre jour qu’on nommait du Parterre ;
Et qui dans une Loge, où chacun les voyait,
Riaient comme des fous de ce qu’on les jouait.
Aussi loin qu’au Critique aucune âme s’oppose,
Aussi doux que du lait il faut boire la chose ;
On ne peut l’attaquer sans en être marri.
De tous nos Turlupins c’est un homme chéri ;
Contre qui que ce soit ils prendront sa défense.
DAMIS.
Et ces sortes de gens vous imposent silence ?
Ce que Paris peut-être a de plus odieux,
Des Turlupins ?...
LE COMTE.
Baron, tu pourrais parler mieux ;
J’en suis un.
DAMIS.
Qui, toi ?
LE COMTE.
Moi.
DAMIS.
Mais l’ami, tu te blâmes.
LE COMTE.
Et oui, oui. Dans la clef de L’École des femmes,
Tu verras qui de nous a le plus de raison ;
Je suis le Turlupin de la moindre maison,
Tous les autres... Mais tiens, mon Laquais me l’apporte.
Scène VII
LA RAMÉE, LE COMTE, DAMIS, AMARANTE, DORANTE, CLITIE, ORIANE
LA RAMÉE, au Comte.
Je n’ai point vu de clef que la clef de la porte.
LE COMTE.
Peste, le sot !
DAMIS.
Sait-il ce que c’est que cela ?
LE COMTE.
Je te jure, Baron, qu’elle est en ce lieu-là.
LA RAMÉE.
Je gage que non.
LE COMTE.
Paix.
DAMIS.
Crois-moi, Comte, allons, gage.
LE COMTE.
L’un de nous deux, Laquais, est un sot personnage.
LA RAMÉE.
Ce n’est pas moi, Monsieur.
LE COMTE.
Tais-toi donc, s’il te plaît.
La Marquise l’a lue ; elle sait ce que c’est.
AMARANTE.
Mais parlez de sa Pièce, et soyez équitable ;
Que vous en semble ?
DORANTE.
À moi ? Je la trouve admirable.
Comment la trouves-tu, Comte ?
LE COMTE.
Admirable.
DORANTE.
Et vous ?
ORIANE.
Admirabilissime.
AMARANTE.
Entre nous ?
DORANTE.
Entre nous.
AMARANTE.
Mais là, sans vous trahir, la trouvez-vous passable ?
DORANTE.
Admirable, morbleu, du dernier admirable.
DAMIS.
Je puis, sans l’avoir vue, en dire autant que toi.
Quand on loue une Pièce, il faut dire pourquoi ;
Et tu dois nous donner une raison valable.
DORANTE.
Par plus de vingt raisons je la trouve admirable.
CLITIE.
Par plus de trente.
DAMIS.
Écoute ; on te croit, si tu veux ;
Mais de tant de raisons j’en dirais une, ou deux.
DORANTE.
Te dirai-je pourquoi je la trouve admirable ?...
Parce que cette Pièce est admirable.
LE COMTE.
Diable !
Ta raison est bonne.
CLITIE.
Ah !
ORIANE.
J’allais le dire aussi.
DORANTE.
Il s’en faut rapporter à Monsieur que voici ;
C’est un Auteur.
Scène VIII
LISIDOR, AMARANTE, DORANTE, DAMIS, ORIANE, LE COMTE, CLITIE
DORANTE, à Lisidor.
Mon cher, pour contenter ces Dames
Donnez-nous votre avis sur L’École des femmes.
Vous verrez si la Pièce a pour lui des appâts.
AMARANTE.
Oui, jugez-en.
LISIDOR.
Madame, on ne m’en croirait pas ;
Et puis, d’en bien juger je ne suis pas capable.
DAMIS.
Ah ! Monsieur Lisidor vous êtes un fin Diable ;
Au succès de l’Auteur vous prenez trop de part.
AMARANTE.
Point ; Monsieur Lisidor est un homme sans fard.
J’en croirai bonnement ce qu’il en voudra dire.
On déteste sa Pièce, et chacun la déchire :
Pour moi, qui n’y vois rien que de bien assorti,
Contre tous ces Messieurs, je soutiens son parti.
Ils ont beau l’abhorrer, je la trouve admirable.
LISIDOR.
Votre parti, Madame est le plus raisonnable.
Ce que vous soutenez tout Paris le soutient.
DORANTE.
Bon ! ma foi, c’est bien fait ; la Connaisseuse en tient.
LE COMTE.
Comme tu dis ; bon.
CLITIE.
Bon.
AMARANTE.
J’en parais peu marrie.
DORANTE.
Il vous vient de payer de votre raillerie.
Le Seigneur Lisidor est un homme d’esprit.
DAMIS.
Mais Monsieur Lisidor doit prouver ce qu’il dit.
AMARANTE.
S’il l’a fait trouver bonne il sera fort habile.
LISIDOR.
En vérité, Madame, il n’est rien si facile.
Jamais Scène plaisante eût-elle tant d’appâts
Que la Scène d’Arnolphe à qui l’on n’ouvre pas ?
N’a-t-on pas pour Alain une estime secrète,
Quand pour ouvrir la Porte, il appelle Georgette ?
DORANTE.
Ah, ah, ah.
LE COMTE.
Quel Compère !
DORANTE.
Il entend son métier.
ORIANE.
À miracle.
CLITIE.
À merveille.
AMARANTE.
Il faut...
DORANTE.
Point de quartier,
Allons, Allons.
LISIDOR.
Ensuite, Est-il rien qui ne plaise
Dans ce que dit Arnolphe à la fille niaise ?
Rien de plus innocent se peut-il faire voir ?
Il arrive des Champs, et désire savoir
Si durant son absence elle s’est bien portée,
Hors les Puces la nuit qui m’ont inquiétée,
Répond Agnès. Voyez ce qu’elle adresse à l’Auteur ;
Comme il sait finement réveiller l’Auditeur.
De peur que le sommeil ne s’en rendît le maître,
Jamais plus à propos vit-on puces paraître ?
D’aucun trait plus galant se peut-on souvenir ?
Et ne dormait-on pas qu’il n’en eût fait venir ?
DORANTE.
Tu Dieu !
LE COMTE.
C’est raisonner.
ORIANE.
Divinement.
CLITIE.
Courage.
DORANTE.
Diable ! qu’un tel ami fait valoir un ouvrage !
LE COMTE.
Je t’en réponds.
LISIDOR.
Le Grès, n’est-il pas étonnant ?
Voit-on rien de si preste, et de si surprenant ?
Aucun des Auditeurs osait-il se promettre
Qu’Agnès sût seulement ce que c’est qu’une lettre ?
Et pour la lettre seule où l’on voit tant d’amour,
Faut-il pas que l’Auteur ait rêvé plus d’un jour ?
Cependant dans une heure une Innocente extrême,
La compose, l’écrit, et la rend elle-même,
Quoi qu’Arnolphe l’éclaire avec un œil perçant ;
Un pareil procédé n’est-il pas innocent ?
Lui voit-on démentir son niais caractère ?
DORANTE.
Oh, oh, Comte !
LE COMTE.
La peste !
ORIANE.
On ne saurait mieux faire.
CLITIE.
Je le crois.
DAMIS.
Mais, Dorante, il pouvait s’affranchir...
DORANTE.
Hé, Baron !
DAMIS.
Si...
DORANTE.
Ma foi, tu ne fais que blanchir.
Près d’un homme si docte on fait mieux de se taire.
LISIDOR.
Est-il rien de si beau que l’endroit du Notaire ?
Et cet endroit charmant qu’on a tant admiré,
Avec tout l’art possible est-il pas digéré ?
Le petit Dialogue est d’une adresse extrême :
Car ce que dit Arnolphe, il le dit en lui-même ;
Et les moins délicats sont d’accord de ce point,
Qu’on ne peut pas répondre à ce qu’on n’entend point,
Cependant par un jeu, dont l’éclat doit surprendre,
L’un ne veut pas répondre à ce qu’il doit entendre ;
Et pour des deux côtés faire voir des appâts,
L’autre répond sans peine à ce qu’il n’entend pas.
DORANTE.
C’est tout dire.
LE COMTE.
Fort bien.
CLITIE.
Vivat.
ORIANE.
Il extasie.
DORANTE.
Le Seigneur Lisidor comme il se mortifie !
AMARANTE.
Je pourrais lui répondre, et je crois entre nous...
DORANTE.
Dieu me damne, Madame, il en sait plus que vous.
Des raisons qu’il vous dit nulle n’est contestable.
LISIDOR.
Enfin le dénouement n’est-il pas admirable ?
Le voyage d’Oronte est-il pas assuré ?
Et le retour d’Enrique est-il pas préparé ?
Vous m’allez alléguer que touchant cet Enrique,
On le tire aux cheveux pour quitter l’Amérique ;
Et que durant la Pièce en aucun des endrets
On ne s’aperçoit point qu’il soit père d’Agnès :
Mais il n’est point d’Auteurs, dont la plume m’apprenne
Que dans ce qu’on attend il n’est rien qui surprenne.
Au contraire on croit beau ce qu’on trouve étonnant ;
Et ce qu’on n’attend pas est toujours surprenant.
DORANTE.
De s’en mieux démêler je dépite le Diable.
LE COMTE.
Répondez, Madame.
DORANTE.
Elle ? Il est insurmontable.
ORIANE.
Il oublie un endroit effroyablement bon,
Où l’on parle d’Agnès qui joue au corbillon.
Pour moi quand je l’ouïs mon plaisir fut extrême.
DORANTE.
Vous verrez sur ma foi, que c’est Tarte à la crème.
ORIANE.
Oui, c’est Tarte à la crème, et je l’aime d’amour.
LE COMTE.
Parbleu Tarte à la crème a fait bruit à la Cour.
DORANTE.
Pour moi, je ne vois rien qui me charme de même.
AMARANTE.
Qu’y trouvez-vous de beau ?
DORANTE.
Moi ? Rien. Tarte à la crème,
Madame.
AMARANTE.
Il faut répondre, et je voudrais du moins
Que de bonnes raisons appuyassent mes soins.
Car enfin pour l’Auteur votre zèle est extrême.
DORANTE.
Tarte à la crème.
DAMIS.
Ami, tu dois...
DORANTE.
Tarte à la crème,
Ami.
AMARANTE.
Quoi qu’il en pense il nous doit être égal ;
Il aime trop l’Auteur pour en dire du mal.
DORANTE.
Je soutiens, sans l’aimer, quoi que l’envie oppose,
Que sa Pièce tragique est une belle chose.
AMARANTE.
Sa Pièce tragique ?
DORANTE.
Oui.
LE COMTE.
Sa Pièce tragique ?
DORANTE.
Oui.
AMARANTE.
Je n’ai jamais rien vu de tragique de lui.
LE COMTE.
Ni moi.
LISIDOR.
Ni moi.
ORIANE.
Ni moi.
DORANTE.
Qu’est-ce qu’il représente ?
AMARANTE.
Nommez-vous Tragédie une Pièce plaisante ?
DAMIS.
Tu te moques de nous, Chevalier.
DORANTE.
Pourquoi ?
DAMIS.
Bon !
Appelle-t-on Tragique un Poème bouffon ?
DORANTE.
Vous blâmez justement ce qu’il faut qu’on admire ;
Quoi ! Morbleu, du Tragique où l’on crève de rire.
C’est cela qu’on appelle un mélange d’appas.
AMARANTE.
Mais le Tragique est noble, et n’a rien de si bas.
DORANTE.
Mais je sais le Théâtre, et j’en lis la pratique ;
Quand la Scène est sanglante une Pièce est tragique.
LE COMTE.
Oui.
LISIDOR.
Sans doute.
ORIANE.
Il est vrai.
DAMIS.
Sans contredit.
AMARANTE.
D’accord.
DORANTE.
Dans celle que je dis, le petit Chat est mort.
LE COMTE.
C’est le bien prendre !
LISIDOR.
Oh, oh !
ORIANE.
Sa remarque est certaine.
DAMIS.
Quoi ? le trépas d’un Chat ensanglante la Scène ?
AMARANTE.
Dans une Tragédie un Prince meurt, un Roi.
DORANTE.
Nous sommes tous mortels, et chacun est pour soi.
Et je tiens qu’une Pièce est également bonne,
Quand un Matou trépasse, ou quelque autre personne.
LE COMTE.
Tu sais le Théâtre !
LISIDOR.
Oui.
ORIANE.
Son langage est profond.
DAMIS.
Mais...
LE COMTE.
Mais réponds, réponds, réponds, réponds, réponds.
DAMIS.
Quoi ?...
LE COMTE.
Réponds donc, Baron.
DAMIS.
Tu penses me confondre ?
Et tu crois...
LE COMTE.
Par ma foi, tu ne saurais répondre.
DAMIS.
Je ne le puis de vrai tant que tu parleras ;
Mais enfin, si...
LE COMTE.
Ma foi ! si tant que tu voudras.
Sa raison...
AMARANTE.
Sa raison est aisée à combattre.
DORANTE.
Il est vrai que l’Auteur n’entend pas le Théâtre ?
AMARANTE.
Mais ce n’est pas l’entendre, après tout.
DORANTE.
Ô que non !
Quand un homme en burlesque a su faire un sermon,
Il me semble pourtant qu’on n’est pas malhabile ;
L’Auteur prend l’agréable, et le joint à l’utile ;
À ce que veut le peuple il se rend complaisant ;
Et le force de rire en le catéchisant.
LE COMTE.
Tu Dieu ! Tu l’entends.
LISIDOR.
Oh !
DAMIS, à Dorante.
Tu n’as rien dit qui vaille.
DORANTE.
Pourquoi, Baron ?
AMARANTE.
Pourquoi ? Retournons la médaille.
Outre qu’un Satirique est un homme suspect,
Au seul mot de sermon nous devons du respect ;
C’est une vérité qu’on ne peut contredire ;
Un Sermon touche l’âme, et jamais ne fait rire.
De qui croit le contraire on se doit défier ;
Et qui veut qu’on en rie en a ri le premier.
LE COMTE.
C’est mal répondre !
LISIDOR.
Puth !
DORANTE.
Pitoyable Critique !
DAMIS.
Dites donc ce que c’est que d’être Satirique.
DORANTE.
Que d’être Satirique ?
DAMIS.
Oui.
DORANTE.
C’est satiriser.
AMARANTE.
Oui : mais satiriser c’est railler ; mépriser.
Ainsi, pour l’obliger quoi que vous puissiez dire,
Votre ami du Sermon nous a fait la Satire :
Et de quelque façon que le sens en soit pris,
Pour ce que l’on respecte on n’a point de mépris.
LE COMTE.
Bagatelle !
DAMIS.
Mais, Comte, après tout, je m’engage...
LE COMTE.
Je serais bien fâché de t’ouïr davantage.
Tu m’as trop fatigué par tes sottes raisons.
AMARANTE.
Il ne peut rien répondre à ce que nous disons.
Mais Dorante sait bien qu’on ne peut mettre en doute.
DORANTE.
Moi ? Je n’écoute pas si le Comte n’écoute.
DAMIS, au Comte.
Tu sais...
LE COMTE.
Je n’entends pas.
AMARANTE, à Dorante.
Je crois...
DORANTE.
Ni moi non plus.
DAMIS, au Comte.
Mais...
LE COMTE chante.
La, la, la, la, la, lare, la, la, la, la, la, la.
AMARANTE, à Dorante.
Quoi !...
DORANTE chante aussi.
La, la, la, la, lare, la, la, la, la, la, la.
DAMIS, au Comte.
Si...
LE COMTE.
La, la, la, la, la, lare, la, la, la, la, la, la, la, la.
AMARANTE, à Dorante.
Vous...
DORANTE.
La, la, la, lare, la, la, la, la, la, la, la, la, la, la.
DAMIS.
Ma foi vous me rendez confus.
AMARANTE.
Pour moi, je les écoute, et je les étudie ;
Car il faut de ceci faire une Comédie.
Je crois que dans son genre elle aurait ses appâts.
DORANTE.
À ce dessein, ma foi, je ne m’oppose pas,
Car je sais que mon rôle y serait raisonnable.
ORIANE.
Le mien y serait court, mais assez agréable.
LISIDOR.
Et le mien, ce me semble, y serait assez bon.
LE COMTE.
Pour Damis, à merveille, il ferait le bouffon.
La sottise en sa bouche est placée en son centre.
À Amarante.
Vous savez composer, travaillez-y.
AMARANTE.
Moi ? Diantre
Je n’ai garde.
DORANTE.
Et qui donc la fera comme il faut ?
AMARANTE.
Un ami que je sais, qu’on appelle Boursault...
LE COMTE.
Je le connais ; Pécore.
DAMIS.
Il est bien chez la Muse.
LE COMTE.
Il s’amuse à la Muse, et la Muse l’amuse.
AMARANTE.
Mais les Vers de Boursault sont assez bien choisis.
LE COMTE.
Je le soutiens, Madame, un Butor parisis,
Une grosse Pécore, une pure Mazette.
DAMIS.
Mais où la jouerait-on, quand Boursault l’aurait faite ?
AMARANTE.
À l’Hôtel de Bourgogne ; où les plus délicats...
DORANTE.
Ah ! je vous promets bien qu’on ne l’y jouera pas :
Le Critique est à craindre, on a peur qu’il n’éclate ;
Et l’Hôtel de Bourgogne a passé sous sa patte.
S’ils étaient avisés de vouloir le bourrer,
Où les pauvres Acteurs pourraient-ils se fourrer ?
Toute la Normandie a-t-elle assez de pommes
Pour jeter à la tête à ces malheureux hommes !
Ils ne le feront pas, je te le dis encor :
Dieu me damne.
DAMIS.
Écoutez, Je connais Floridor,
Je prendrai son avis si cela se peut faire ;
Et je vous l’enverrai s’il vous est nécessaire.
Un petit dénouement est utile à cela ;
Que faire ?
Scène IX
PETIT-JEAN, AMARANTE, LE COMTE, DAMIS, DORANTE, LISIDOR, ORIANE, CLITIE
PETIT-JEAN.
On a servi, Madame.
AMARANTE.
Le voilà,
Je le donne à l’épreuve au plus grand Satirique.
C’est de cette façon que finit la Critique.
Et les plus dégoûtés trouveront des appâts,
Quand après du Comique ils auront un repas.