Arlequin, seigneur de village (Thomas SAUVAGE - Michel-Nicolas Balisson de ROUGEMONT)
Vaudeville parade en un acte
Représenté, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 18 octobre 1817.
Personnages
ARLEQUIN
LÉLIO, son ami
LE DOCTEUR BALOARD
ARGENTINE, amante d’Arlequin
CASSANDRE
SCAPIN
MEZZETIN
SILVIA
ANGÉLIQUE
ROSETTE
PIERROT, paysan
TRIVELIN, paysan
VIOLETTE, vieille femme
MARINETTE, jeune fille
PAYSANS
PAYSANNES
Le Théâtre représente une grande Chaumière dont le fond est ouvert et donne sur une Place de Village ; des portes de chaque côté.
Scène première
PIERROT, VIOLETTE, TRIVELIN, MARINETTE, PAYSANS, PAYSANNES
CHŒUR.
Air : Quand un tendron vient en ces lieux.
Oh ! oh ! oh ! oh ! ah ! ah ! ah ! ah !
Ah ! quel bon seigneur c’était là,
Là, là ! (bis.)
VIOLETTE.
Ah ! c’est bien vrai. Ce pauvre M. Pasquariel, de son vivant, c’était un brave homme.
Même air.
Pasquariel, que nous regrettons,
L’appui de nos familles,
Montrait à chanter aux garçons,
Faisait danser les filles.
PIERROT.
Et lui-même, le verre en main,
Il nous mettait dès le matin
En train.
Oh ! oh ! oh ! oh ! ah ! ah ! ah ! ah !
Ah ! quel bon seigneur c’était là !
Là, là !
CHŒUR.
Oh ! oh ! oh ! etc.
Scène II
LES PRÉCÉDENTS, LĖLIO
LÉLIO.
Eh bien ! eh bien ! qu’avez-vous donc ?
VIOLETTE, pleurant.
Ah !
LÉLIO.
D’où vient cette tristesse ?
VIOLETTE, pleurant.
Ah ! ah !
PIERROT, de même.
Ce bon Monsieur Pasquariel, sa mort nous tue.
LÉLIO.
N’est-ce que cela ? Consolez-vous.
Air : Vaudeville des Innocents.
Amis, Arlequin,
Ce matin
Ici va reparaître
En maître.
Que tout le pays soit en train
Pour bien recevoir Arlequin.
CHŒUR.
Amis, Arlequin, etc.
LÉLIO.
Que l’on prépare un gai festin,
Que le vin coule en abondance,
Que partout un joyeux refrain
Circule au son du tambourin,
Et qu’Arlequin, sur son chemin,
Trouve tout le village en danse,
Buvant, criant, le verre en main :
Vive à jamais ! vive Arlequin !
Amis, Arlequin, etc.
LE CHŒUR.
Amis, Arlequin, etc.
TRIVELIN.
Courons au-devant de lui.
Ils sortent.
Scène III
LÉLIO, PIERROT
LÉLIO.
Pierrot !
Air : Les voyages sont encor bons.
Cours de suite chez Mezzetin
Et chez Scapin,
Et chez Cassandre ;
Dis-leur qu’en ces lieux, ce matin
Ils sont invités à se rendre.
Arlequin, à son tour,
Veut les voir en ce jour.
S’empresser, c’est lui plaire...
PIERROT.
Il s’agit de faire leur cour ;
Ils viendront ventre à terre. (ter.)
Il sort.
Scène IV
LÉLIO, ARGENTINE
ARGENTINE, accourant.
Ah ! M. Lélio, ce que l’on vient de me dire est-il vrai ? Il arrive ?
LÉLIO.
Oui, Mademoiselle Argentine, Arlequin, qui a hérité des biens de son oncle Pasquariel, vient prendre possession de la seigneurie et se marier.
ARGENTINE.
Oh ! je connais d’avance la femme qu’il épousera.
LÉLIO.
C’est assez difficile ; j’ai ordre de les rassembler toutes.
ARGENTINE.
Toutes !... C’est pour la forme. En partant, Arlequin jura de me rester fidèle ; en aurait-il perdu le souvenir ?
LÉLIO.
On perd tant de choses en voyageant !
Air : L’Hymen est un lien charmant.
Promettant le plus prompt retour,
Lorsqu’un amant quitte sa belle,
Il a pour escorte fidèle,
Et sa constance et son amour.
Dès qu’il s’éloigne du rivage
La constance fuit doucement ;
Alors cédant au moindre orage,
L’Amour en chemin fait naufrage ;
Et quelquefois le pauvre amant
Achève tout seul le voyage.
ARGENTINE.
Non, Arlequin ne peut m’avoir oubliée, je juge de son cœur par le mien ; depuis qu’il est parti n’ai-je pas été courtisée par tous les grands personnages de l’endroit ? M. Cassandre ne m’a-t il pas proposé d’épouser sa fortune ? M. Mezzetin son mérite ? Scapin ne ma-t-il pas fait la cour ? et vous même, oui, vous-même, M. Lélio, ne m’avez-vous pas conseillé d’être infidèle à mon Arlequin ?
LÉLIO.
C’était une plaisanterie.
ARGENTINE.
Aussi vous ai-je répondu en riant que personne au monde ne pourrait remplacer celui que j’aime... j’espère que vous le lui direz... Je ne puis pas avoir à craindre beaucoup de rivales ; je n’en compte que trois capables de me disputer la main d’Arlequin : Silvia, Rosette, et Angélique. Silvia est belle, très belle... Mais sa beauté ne dit rien ; et puis elle est volontaire, jalouse, emportée. Rosette est gentille, elle se donne des grâces charmantes ; mais elle est minaudière, coquette, capricieuse à l’excès. Angélique a de l’esprit, je le sais, et comment ne le saurais-je pas ? elle le dit à tout le monde... Voilà donc les seules femmes que j’aie à redouter, et M. Lélio ne fera pas à mon Arlequin l’injure de croire qu’il puisse me les préférer.
LÉLIO.
Non, sans doute ; mais je dois exécuter les ordres du maître. J’attends ici quelques-unes des personnes que j’ai fait mander pour les instruire des intentions d’Arlequin.
ARGENTINE, à part.
Si je pouvais les connaître ! Oui, c’est cela !
Haut.
Adieu, monsieur Lélio.
LÉLIO.
Adieu, mademoiselle Argentine.
ARGENTINE.
Oh ! vous pouvez dire, madame Arlequin.
Air : Tourterelle si fidèle.
Sa tendresse,
Sa promesse,
Tout doit rassurer mon amour.
Ma constance
De l’absence
Saura triompher en ce jour.
À part.
Curieuse et discrète,
Près d’ici cachons-nous sans bruit,
C’est toujours en cachette
Qu’une fille s’instruit.
Haut.
Ensemble.
Sa tendresse.
LÉLIO.
Sa tendresse.
Elle sort.
Scène V
LÉLIO, seul
Pauvre Argentine ! Dieu veuille qu’elle ne s’abuse pas ! Mais à quoi pense donc le seigneur Arlequin de vouloir donner sa confiance à Mezzetin, à Scapin, à Cassandre ! à des gens qui ont fait faire tant de sottises à son oncle ! il faut qu’il ne les connaisse pas. Oh ! je saurai bien empêcher une pareille étourderie, et tout en riant, démasquer à ses yeux ce pauvre trio... qui devrait déjà être ici.
Air : Vaudeville des Filles à marier.
Dès qu’un homme est en place,
Pour l’approcher, soudain
La sottise et l’audace
Se mettent en chemin,
Tandis que trop craintive,
La vertu reste là !
Un intrigant arrive...
Scène VI
LÉLIO, CASSANDRE, MEZZETIN, SCAPIN
SCAPIN, MEZZETIN, CASSANDRE.
Fin de l’air.
Me voilà !
LÉLIO.
J’étais bien sûr que vous ne vous feriez pas attendre.
MEZZETIN.
Du moment qu’il est question de monseigneur Arlequin.
LÉLIO.
Je croyais que vous ne le connaissiez pas.
CASSANDRE.
Il n’est pas nécessaire de connaître les grands pour les servir.
MEZZETIN.
D’ailleurs qui n’accourerait pas quand il s’agit... Au fait, de quoi s’agit-il ?
LÉLIO.
D’une lettre d’Arlequin dont je vais vous donner connaissance.
CASSANDRE et MEZZETIN.
Ce bon monsieur Lélio.
SCAPIN.
Hein !... pardon si je vous fais répéter ; mais vous savez que j’ai l’ouïe un peu dure.
LÉLIO.
C’est une lettre d’Arlequin. Écoutez
Il lit.
« Mon cher Lélio... »
MEZZETIN.
Il vous aime beaucoup.
LÉLIO.
« J’ai reçu avec plaisir la vilaine lettre par laquelle tu m’annonces la maladie dont est mort mon oncle Pasquariel. Je pars de suite pour ma seigneurie ; souviens-toi que je ne veux pas de cérémonie pour ma réception... »
SCAPIN.
Oh ! par exemple c’est être trop modeste ; nous ne le souffrirons pas !
LÉLIO.
« À mon arrivée, tu me présenteras ce que nous avons de mieux ; quand j’étais petit on parlait beaucoup de Cassandre... »
CASSANDRE, saluant.
Ah !
LÉLIO.
« De Mezzetin... »
MEZZETIN, saluant.
Ah !
LÉLIO.
« De Scapin. Je fais de l’un mon intendant, de l’autre mon trésorier, et du troisième mon secrétaire... »
CASSANDRE.
Quelle délicatesse !
LÉLIO, à part.
Nous verrons cela.
Haut.
« Tu rassembleras dans mon cabinet toutes les jeunes filles dépendant de mes domaines afin que je me choisisse une femme ; n’oublie pas d’inviter Argentine ; et de me faire préparer un bon dîner pour moi, un de mes amis le DOCTEUR BALOARD que j’ai rencontré en route, et pour tous ceux qui voudront bien me faire l’honneur de manger ma soupe... Je suis, mon ami, ton serviteur et maître, le Seigneur Arlequin. »
SCAPIN.
Quelle lettre ! voilà un seigneur comme je n’en ai jamais vu !
MEZZETIN.
Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas fait attention à lui du vivant de son oncle... Oh ! je veux m’en dédommager ! autant que je puis me le rappeler, ce doit être un seigneur par fait.
SCAPIN.
Un Seigneur accompli !...
CASSANDRE.
Qui tout enfant m’avait déjà remarqué !
LÉLIO.
Eh bien ! il n’est pas accompli du tout.
MEZZETIN.
Comment, est-ce qu’il aurait des travers ?
LÉLIO.
Tout comme un autre.
MEZZETIN.
Eh bien ! j’aime mieux ça, au moins on sait sur quoi compter
Air du Verre.
Cherchant à tout voir par ses yeux,
Sur ses vassaux veillant en père,
Auprès d’un maître vertueux,
Les courtisans n’ont rien à faire ;
Alors dans un triste repos,
Nous languissons privés d’office ;
Mais quand le maître a des défauts,
Nous sommes toujours de service.
MAZZETIN, CASSANDRE, SCAPIN.
Oui, quand le maître a des défauts,
Nous sommes toujours de service.
LÉLIO.
Celui-ci vous mettra sur les dents.
SCAPIN.
Il est donc ?...
LÉLIO.
Vous ne vous en faites pas idée.
TOUS.
Contez-nous donc ça.
LÉLIO.
Vous saurez qu’Arlequin n’aime que les jeunes gens... Il est fou de la danse.
CASSANDRE, se redressant et faisant des ronds de jambe.
Ah ! il danse...
LÉLIO.
Il hait pas le vin ; aussi sort-il souvent de table...
MEZZETIN, contrefaisant l’homme ivre.
Comme ça ?... J’y suis.
LÉLIO.
Ajoutez à cela qu’il bégaye.
SCAPIN, bégayant.
Ah ! il bé-bé-bégaye.
LÉLIO.
Chut ! de le discrétion.
Air : Sans être belle on est aimable, etc.
Messieurs, dans cette circonstance,
Gardez-moi bien tous le silence.
Je trahis mon maître, entre nous.
TOUS.
Nous en ferions autant pour vous. (bis.)
LÉLIO, à part.
Par cette fausse confidence,
Ils seront dupés, je crois bien ;
Ensemble.
CASSANDRE, à part.
Arlequin est fou de la danse.
Ah ! je le tiens.
MEZZETIN.
Il aime le vin, la bombance ;
Ah ! je le tiens.
SCAPIN.
Il bé-bé-bégaye avec aisance ;
Ah ! je le tiens.
LÉLIO.
Par cette fausse confidence,
Ah ! je les tiens.
Lélio sort.
Scène VII
CASSANDRE, SCAPIN, MEZZETIN
CASSANDRE, dansant.
Ah ! il danse...
MEZZETIN, chancelant.
Ah ! il boit...
SCAPIN, bégayant.
Ah ! il bé-bé-bégaye...
CASSANDRE.
Air : Lison dormait dans un bocage, etc.
Pour Monseigneur, s’il faut sans cesse
Danser, sauter, même valser ;
Je saurai montrer ma souplesse,
Et rien ne pourra me lasser.
S’il a du goût pour les courbettes,
On ne peut pas
Plier plus bas.
Je compte un peu sur mon talent ;
Mais s’il aime les pirouettes,
Je lui plairai certainement ;
Car je tourne comme le vent.
MEZZETIN.
Comme nous allons nous en donner !
CASSANDRE.
Lélio avait bien raison de dire qu’il n’était pas accompli.
MEZZETIN.
Bah ! Lélio est un courtisan qui nous aura peut-être caché les trois quarts défauts d’Arlequin.
SCAPIN.
Cela se pourrait bien.
MEZZETIN.
Qui, par habitude, aura flatté le portrait de son maître.
Scène VIII
SCAPIN, MEZZETIN, CASSANDRE, ARGENTINE
ARGENTINE, au fond à part.
Bon ! les voilà sur le compte d’Arlequin.
MEZZETIN.
D’après ce qu’il nous a dit, il est aisé de voir qu’Arlequin est un mauvais sujet.
ARGENTINE, se montrant.
Comment, un mauvais sujet ?
CASSANDRE.
Eh ! qui vous a dit cela ?
ARGENTINE.
Qui ?... Vous-même !
SCAPIN.
Nous !...
ARGENTINE.
Monsieur Mezzetin...
MEZZETIN.
Détrompez-vous, mon enfant.
Air de la ronde du Vaudeville en vendange.
Pour Arlequin, aujourd’hui,
J’ai l’amitié la plus vive ;
Jamais, quand le maitre arrive,
Je ne dis du mal de lui.
Ensemble.
CASSANDRE, SCAPIN, MEZZETIN.
Pour Arlequin, etc.
ARGENTINE.
Je ne crois pas, aujourd’hui,
À cette amitié si vive ;
Avant que le maître arrive,
On peut mal parler de lui.
MEZZETIN.
Eh quoi ! vous faut-il, ma chère,
Une preuve ici de plus ?
Venez nous entendre faire
L’éloge de ses vertus.
Ensemble.
CASSANDRE, SCAPIN, MEZZETIN.
Pour Arlequin, etc.
ARGENTINE.
Je ne crois pas, aujourd’hui, etc.
ARGENTINE.
Vous croire serait folie,
Courtisans de la grandeur,
Vous aimez la seigneurie
Encor plus que le seigneur.
Ensemble.
SCAPIN, CASSANDRE, MEZZETIN.
Pour Arlequin, etc.
ARGENTINE.
Je ne crois pas, etc.
Cassandre, Scapin, Mezzetin sortent.
Scène IX
ARGENTINE, seule
Oh ! je l’ai bien entendu... C’était du mal qu’ils disaient de lui... D’ailleurs l’embarras de Lélio, ce matin ; l’ordre de rassembler toutes les femmes du village pour qu’Arlequin en choisisse une à sa fantaisie... oh ! il n’y a plus de doute... Arlequin est un mauvais sujet.
Scène X
ARGENTINE, SYLVIA, ANGÉLIQUE, ROSETTE
ANGÉLIQUE, SYLVIA, ROSETTE.
Air : Vaudeville du Bachelier de Salamanque.
À l’espérance,
En ce jour,
Gai, gai, livrons-nous d’avance,
À monseigneur, en ce jour,
Gai, gai, donnons de l’amour.
SYLVIA.
Ce seigneur galant estimable,
Pour former un lien charmant,
Va préférer la plus aimable.
SYLVIA, ROSETTE, ANGÉLIQUE, l’une à l’autre.
Je vous en fais mon compliment (bis).
À l’espérance, etc.
ARGENTINE, avec dépit.
Mesdames l’erreur est complète,
Ce seigneur aimable et galant,
Préférera la plus coquette ;
Je vous en fais mon compliment (bis).
À l’espérance
En ce jour,
Gai, gai, livrez-vous d’avance :
Pour vous, le prince, en ce jour,
Gai, gai, prendra de l’amour.
SYLVIA, ROSETTE, ANGÉLIQUE.
À l’espérance, etc.
SYLVIA.
Est-ce qu’Argentine s’exclurait de la concurrence ?
ARGENTINE.
Je la trouve si redoutable.
ROSETTE.
Elle attend qu’Arlequin vienne la chercher.
ANGÉLIQUE.
Ou peut-être, ne le juge-t-elle plus digne de son attention ?
ARGENTINE.
Cela se pourrait bien.
SYLVIA.
La crainte de ne pas réussir la rend fière.
ARGENTINE.
La crainte ?... Ah ! si je voulais... mais, captiver un homme plein de défauts ?...
ANGÉLIQUE.
Ah ! si tu ne veux épouser qu’un homme sans défauts, tu n’as pas envie de te marier.
ARGENTINE.
Du moins, prendra-t-il la peine de me les cacher ?
SYLVIA.
Oui, ayant la noce.
Air : Restez, restez, troupe jolie.
Chacun a ses défauts, ma chère,
Qu’avec adresse il sait voiler ;
Du désir que l’on a de plaire,
Naquit l’art de dissimuler.
L’homme à se déguiser s’attache
Dès l’instant qu’il nous fait la cour ;
Mais tout ce que l’amour nous cache,
L’hymen nous le montre au grand jour.
ARGENTINE.
Ainsi, les défauts d’Arlequin ne vous effrayent pas !
SYLVIA.
Comptes-tu pour rien la gloire de l’en corriger ?
ARGENTINE.
Air : Adieu, je vous fuis, bois charmant.
S’il est sombre ?
SYLVIA.
Au bruit d’un flon flon,
Ses sens ne seront pas rebelles.
ARGENTINE.
Volage ?
ANGÉLIQUE.
C’est un papillon
Dont l’hymen coupera les ailes.
ARGENTINE.
Brusque ?
ROSETTE.
J’adoucirai ses mœurs.
ARGENTINE.
S’il est bavard, plein de jactance ?
SYLVIA.
J’ai connu de ces grands causeurs,
Qu’un rien réduisait au silence.
ANGÉLIQUE.
N’est-il pas, d’ailleurs, jeune, riche, puissant ? qui ne l’aimerait pas ?
ARGENTINE.
Est-ce que vous l’aimeriez tout de bon ?
SYLVIA.
Un grand seigneur, c’est si naturel !
ROSETTE.
Il n’a qu’à bien se tenir ; nous voilà trois...
ARGENTINE.
Dites donc quatre.
SYLVIA.
Tu te ravises !
ARGENTINE.
La crainte de le perdre me donne du courage, et votre exemple me décide à courir le risque... d’être choisie.
ROSETTE.
À la bonne heure !
SYLVIA.
Mesdemoiselles, donnons-nous la main ; nous voilà main tenant rivales déclarées, agissons avec loyauté ; convenons de n’avoir recours à aucuns moyens étrangers pour séduire notre jeune seigneur, ne faisons valoir que les dons que nous avons reçus de la nature, la modestie, la candeur, la simplicité...
Scène XI
ARGENTINE, SYLVIA, ANGÉLIQUE, ROSETTE, PIERROT
PIERROT.
Place ! place ! voilà monseigneur qui arrive.
TOUTES.
Ah ! dieu ! et ma toilette !...
SYLVIA.
Mon habit d’amazone !
Elles vont pour sortir, Sylvia les arrête.
Un moment.
Air : Quand Dieu, pour peupler la terre.
Franche amitié pour la vie,
Est-il un pacte plus doux ?
Mais si de l’une de nous
Arlequin devient l’époux,
Jurons que, sans jalousie,
Sans regret et sans humeur,
Nous apprendrons son bonheur ;
Jurons que rien de nos âmes
Ne rompra le doux lien ;
Jurons...
ARGENTINE.
Entre nous, mesdames,
Il ne faut jurer de rien.
TOUTES.
Je crois qu’entre nous, mesdames,
Il ne faut jurer de rien.
Elles sortent.
Scène XII
ARLEQUIN, LÉLIO, LE DOCTEUR, PIERROT, TRIVELIN, MARINETTE, VIOLETTE, PAYSANS
CHŒUR.
Air : Il est certain petit moment où les dames.
Pour ce séjour,
Amis, quel beau jour !
Arlequin est notre joyeux maître ;
Plaisirs, amour,
Ici tour-à-tour,
Vont renaître
Par son retour.
ARLEQUIN, à la cantonade.
Remisez ma carriole... dételez mon âne, et ayez-en bien soin pour l’amour de moi.
En scène.
Messieurs et dames, enchanté que l’occasion de régner me procure le plaisir de renouer connaissance avec vous ; la réception que vous m’avez faite est superbe... des violons sur la route ! des chansons presque toutes neuves ! des fusées ! des pétards ! Ma foi, cela avait vraiment l’air d’une réjouissance. Je vous donnerai pour boire quand j’aurai vu mon trésorier.
CHŒUR.
Vive Arlequin !
ARLEQUIN.
De tout mon cour, mes bons amis ; c’est pour cela que j’ai amené avec moi un savant, le docteur Baloard, que j’ai trouvé sur les grands chemins ; c’est un homme fameux dont je n’avais jamais entendu parler, et qui se mêle d’astrologie, de jardinage, de politique et de médecine ; c’est, comme vous voyez, un grand docteur... d’ailleurs, il est très bon pour les indigestions... je vous le garantis.
LE DOCTEUR.
Monseigneur aime à rire.
ARLEQUIN.
Oh ! quant à cela.
Air :
Tenez, moi, je suis un bon homme,
Mes chers amis, et j’avouerai,
Que sous les lambris, sous le chaume,
Je rirai, boirai, chanterai.
De la gaîté l’heureux délire,
D’un bon cœur annonce la paix ;
Et le monarque qu’on voit rire,
Ne fait pas pleurer ses sujets.
CHŒUR.
Oui le monarque, qu’on voit rire,
Ne fait pas pleurer ses sujets.
PIERROT.
Oh ! ça, morgué ! c’est bien vrai ; par ainsi j’allons être joliment joyeux.
ARLEQUIN.
Sans doute : nous vivrons très bien ensemble.
Air : C’est Geneviève, dont le nom.
Dans les grandes occasions,
Dans les grandes afflictions,
Je veux bien vous le dire ;
Pour venir à votre secours,
Soyez sûrs que j’aurai toujours
Le petit mot (ter.) pour rire.
CHŒUR.
Le petit mot (ter.) pour rire.
LE DOCTEUR.
La gaîté guérit bien des maux.
ARLEQUIN.
D’après ce que j’ai vu tout à l’heure, il me paraît que vous êtes fort contents.
TOUS.
Oui, monseigneur.
ARLEQUIN.
Ainsi, vous n’avez rien à me demander ?
TOUS, présentant des papiers.
Pardonnez-moi, monseigneur, pardonnez-moi.
ARLEQUIN.
Qu’est-ce que c’est que tous ces papiers là ?...
À Pierrot.
Que me veux-tu, toi, avec ta pancarte !
PIERROT.
Air : J’ai perdu mon âne.
J’veux la place à Pierre ; (bis.)
D’puis qu’il est dans son emploi,
Il a fait fortune, et moi,
J’ai la mienne à faire. (bis.)
ARLEQUIN.
Sont-ce là tous tes droits ?
PIERROT.
Ils en valent bien d’autres.
MARINETTE.
Air : On nous dit qu’ dans le mariage.
On m’a dit que, dans son jeune âge,
Ma mère, en dépit d’ sa maman,
N’avait, pour se mettre en ménage,
Consulté qu’ son cœur seulement ;
Dam ! dam ! j’ n’en savons rien ;
Mais... mais... j’ voudrions bien
Qu’monseigneur me permît de faire,
Tout comme a fait (3 fois) ma mère.
ARLEQUIN.
Nous verrons cela plus tard.
MARINETTE.
Ah ! monseigneur, si ça vous était égal que ça fût plus tôt.
TRIVELIN.
Moi, monseigneur, j’ai découvert un trésor.
ARLEQUIN.
Voilà une jolie découverte !
TRIVELIN.
C’est un plan de finance, qui sort de là.
Montrant sa tête.
ARLEQUIN.
Couvrez-vous donc, mon bon ami.
TOUS.
Monseigneur, nous demandons...
ARLEQUIN.
Un moment ! un moment ! je ne fais que d’arriver, et voilà toutes les pétitions en l’air !... Avant de me demander quelque chose, apprenez à qui vous avez affaire, et écoutez un petit échantillon de mes intentions.
Rondeau.
Air de M. Doche.
Dans ces lieux,
De mes vassaux joyeux,
Je veux
Exaucer tous les vœux ;
La gloire pour moi peu d’appas,
Et dans l’histoire
Je ne vivrai pas ;
Mais comme un père,
Aimant tous mes sujets,
Dans leur cœur j’espère
Vivre à jamais.
De leur sang avare,
Ici, je déclare
Que, toujours humain,
Je n’irai point faire
La guerre
À quelque voisin
Qui n’y pensait guère.
Les impôts,
Mis à propos,
De nos revenus, sont la source ;
Ménageant
Votre argent,
Votre bourse,
J’aime mieux,
Tel est mon système,
Un broc de vin vieux,
Que, sur les lieux,
Je percevrai moi-même.
Point de garde,
Je n’ai garde
D’en chercher ;
À la ronde,
Tout le monde
Pourra m’approcher ;
Au malheur qui m’implore,
Au savant que j’honore,
Au plaisir que j’adore !
À qui frappera,
Ma demeure,
À toute heure,
S’ouvrira ;
Et, sans assistance,
Ou, sans espérance,
Jamais l’indigence
N’en sortira.
Dans ces lieux, etc.
LÉLIO.
Ah ! seigneur ! vous méritez...
ARLEQUIN.
Taisez-vous, Lélio ; je ne mérite encore rien ; dans la suite nous verrons...
LE DOCTEUR.
Lorsqu’on a le désir de bien faire...
ARLEQUIN.
Ça ne suffit pas...
LE DOCTEUR.
Et qu’on aime la justice...
ARLEQUIN.
À propos de la justice, le cabaret de la Grand’ Pinte existe-t-il toujours ?
LÉLIO.
Toujours.
ARLEQUIN.
Tant mieux ; c’est là que je tiendrai mes assises ; c’est au cabaret que se videront les affaires les plus graves de mes vassaux ; un petit coup arrange bien des choses. Le vin donnera de la sincérité aux témoins, de l’éloquence aux avocats, de la résignation aux accusés, et peut-être de la justice aux juges.
LÉLIO.
Air : Amis, il faut faire une pause.
Que de douceur, de bonhomie !
Que de franchise et de gaité !
ARLEQUIN.
Paix, abondance et liberté,
Voilà ma devise chérie.
TOUS.
Ah ! que notre sort sera doux !
Notre bonheur fera sa gloire ;
Il aime à rire, il aime à boire,
Il aime à chanter comme nous.
ARLEQUIN.
Oui, j’aime à rire, oui, j’aime à boire,
Oui, j’aime à chanter comme vous.
CHŒUR.
Il aime à rire, etc.
ARLEQUIN.
Mes amis, je suis bien votre serviteur, de tout mon cœur.
LE CHŒUR, en s’en allant.
Il aime à rire, il aime à boire,
Il aime à chanter comme nous.
Scène XIII
ARLEQUIN, LÉLIO, LE DOCTEUR
ARLEQUIN.
Voilà de bien bons sujets ! Ah ! ça, mon cher Lélio, parlons maintenant de nos affaires d’État : comment se porte tout le monde ?
LÉLIO.
Fort bien.
ARLEQUIN.
Tant mieux ; je ne veux, autour de moi, que des gens bien portants, des visages de bonne humeur. S’il у avait des malades, voilà le docteur, qui, morts ou vifs, nous les rendra guéris.
LÉLIO, à part.
Bonne idée !
Haut.
Nous avons quelques fous que je lui adresserai.
LE DOCTEUR.
À votre recommandation, je les guérirai.
ARLEQUIN.
C’est bien... As-tu exécuté mes ordres ? Verrai-je bientôt Scapin, Cassandre, Mezzetin ?
Au docteur.
Ce sont ces gens de mérite dont je vous ai parlé, qui joignent au talent un grand caractère.
LÉLIO.
Dans un instant ils seront à vos pieds.
ARLEQUIN.
Bon. Et nos jeunes filles ?
LÉLIO.
Il faudra les attendre, elles sont à leur toilette.
ARLEQUIN.
Et Argentine ?
LÉLIO.
Elle est prévenue, vous me l’aviez recommandé.
ARLEQUIN.
C’est vrai ; je l’avais oublié. Cette pauvre Argentine, ce serait dommage qu’elle ne fût pas la plus jolie, car enfin, mon ami, pour donner à mes vassaux une idée de mon goût, je suis obligé de choisir la plus jolie.
LE DOCTEUR.
Cependant, si vous en aimiez une autre ?
ARLEQUIN.
Alors, nous arrangerions cela pour le mieux. Docteur, il faut qu’un seigneur ait la plus jolie femme, la meilleure cave et le macaroni le plus délicat... ou bien adieu la considération.
LE DOCTEUR.
C’est raisonné...
ARLEQUIN.
Comme doit raisonner le seigneur Arlequin ! Ah çà, mon cher Lélio, de quoi se composent mes domaines ?
LÉLIO.
On ne le sait pas au juste, mais on peut en faire le tour avant déjeuner.
ARLEQUIN.
Et l’on compte ?
LÉLIO.
Quatre-vingt quatre habitants.
ARLEQUIN.
Mais c’est très considérable ces domaines-là ! Il doit y avoir au moins deux pâtissiers.
LÉLIO.
Il y en a trois.
ARLEQUIN.
Trois ! on m’avait bien dit que Pasquariel protégeait les beaux arts ! Certainement je marcherai sur ses traces, je protégerai toutes les découvertes utiles, comme une nouvelle manière d’assaisonner le macaroni, un secret pour perfectionner les biscuits, et l’art de conserver chauds les petits pâtés. Bien entendu, mon cher ami, que l’exportation de ces objets est défendue dans toute l’étendue de mes propriétés.
LE DOCTEUR.
C’est très prudent.
ARLEQUIN.
Tu feras annoncer cela dans la Gazette.
LÉLIO.
Nous n’en avons pas.
LE DOCTEUR.
Il n’y a pas de mal à çà.
ARLEQUIN.
Diavolo ! eh bien par les barbiers du village, que je nomme fabricants et débitants de nouvelles.
LÉLIO.
Menteurs pour menteurs, ceux-là en valent bien d’autres.
ARLEQUIN.
Ah çà, mon cher Lélio, en attendant que mon dîner soit prêt, je vais donner un coup d’œil dans le village, car tout çà doit être bien change depuis mon départ... Les petites filles sont devenues grandes, les grandes sont devenues mamans, les garçons sont maris, les maris sont... Docteur, je vous trouverai ici. Lélio, faites prévenir les anciens conseillers de mon oncle Pasquariel, que je voudrais avoir leur avis sur une chose très importante à ma tranquillité.
Air : Le briquet frappe la pierre.
Je vais sans cérémonie,
Du pays faire le tour ;
Puis je veux à mon retour
Choisir la femme jolie
À qui je ferai l’honneur
De confier mon bonheur. (bis.)
Chemin faisant à la ronde,
Je vais à ces bonnes gens,
Dire deux mots obligeants ;
Rendre content tout le monde,
Ce plaisir coûte si peu,
Pour les grands ce n’est qu’un jeu.
Il sort.
Scène XIV
LÉLIO, LE DOCTEUR
LÉLIO.
Eh bien, Docteur, vous voilà donc des nôtres ?
LE DOCTEUR.
Je le crois.
Air : Vaudeville de Partie carrée.
Depuis longtemps je cherche un peuple sage,
Qui de la gloire ait couru les hasards,
Qui du repos connaissant l’avantage ;
Cultive en paix les plaisirs et les arts ;
Fier de son nom fort de son industrie,
À la fois grand, terrible et doux ;
Aimant son prince, adorant sa patrie.
LÉLIO.
Vous resterez chez nous.
LE DOCTEUR.
J’en ai bien l’envie ; le seigneur Arlequin m’offre la place de son grand astrologue.
LÉLIO.
C’est fort beau.
LE DOCTEUR.
Il m’a prié de faire arranger ses jardins.
LÉLIO.
C’est à merveille.
LE DOCTEUR.
Et d’accepter la place de son premier médecin.
LÉLIO.
C’est une bonne charge... Il n’en a qu’un.
LE DOCTEUR.
C’est plus qu’il n’en faut... pour me décider.
LÉLIO.
À propos de médecin, je vous ai parlé tantôt de nos fous, il faut que je vous les envoie.
LE DOCTEUR.
Volontiers. Quelle est leur folie ?
LÉLIO.
Ce sont des imbéciles qui se croient propres à tout.
LE DOCTEUR.
Sont-ce des personnages considérables ?
LÉLIO.
Non, ce sont des gens comme vous et moi.
LE DOCTEUR.
Leur folie est assez commune ; mais elle n’est pas dangereuse.
LÉLIO.
Vous les en guérirez ?
LE DOCTEUR.
Je n’ai jamais manqué personne.
LÉLIO.
Nous aurions bien du malheur si vous alliez commencer par eux... Mais je les aperçois. Je vous laisse ensemble et cours rassembler nos jeunes filles.
Il sort.
Scène XV
LE DOCTEUR, CASSANDRE, en page, MEZZETIN, ivre, SCAPIN
CASSANDRE, dans le fond, aux autres.
De la prudence ! voilà le nouveau venu.
SCAPIN, de même.
L’ami intime du seigneur Arlequin, dont il parlait dans sa lettre.
CASSANDRE, SCAPIN, MEZZETIN, saluant.
Seigneur...
LE DOCTEUR.
Messieurs...
MEZZETIN.
Nous venons pour avoir l’honneur de vous saluer.
LE DOCTEUR.
Il ne fallait pas vous déranger pour cela.
CASSANDRE, aux autres.
Qu’il est fier ! est bien en crédit.
LE DOCTEUR, à part.
Quel air hagard ! il y a bien de la folie dans ces têtes-là !
MEZZETIN, aux autres.
Savez-vous son nom ?
CASSANDRE.
Non.
SCAPIN.
Ni moi.
MEZZETIN.
C’est égal, invitons-le à dîner.
SCAPIN.
Je m’en charge.
Au docteur.
Seigneur étranger, nous espérons que votre grâce nous fera l’honneur d’accepter un grand dîner, où nous réunirons les personnages les plus illustres de l’endroit... Plus on est de fous, plus on rit.
LE DOCTEUR, à part.
Comment donc ? ils en conviennent !
CASSANDRE.
Monsieur Lélio nous a dit qu’il vous avait parlé de nous.
SCAPIN.
De nos talents.
MEZZETIN.
De notre capacité.
LE DOCTEUR.
Oui, Messieurs.
À part.
Voilà la folie qui commence.
Quatuor. (Musique de M. Doche.)
SCAPIN.
En vous notre espérance est grande.
LE DOCTEUR.
Je la justifierai bientôt.
MEZZETIN.
Chacun de nous à vous se recommande,
Pour être traité comme il faut.
LE DOCTEUR.
Je vous traiterai comme il faut.
MEZZETIN, aux autres.
Ce monsieur est des plus honnêtes,
Mes amis, veuillez remarquer,
Le voilà qui prend ses tablettes.
LE DOCTEUR, à part.
Inscrivons sur nos tablettes
Le régime à leur indiquer.
CASSANDRE.
Je suis fou de l’art militaire,
Monsieur, et tel que me voilà,
À César je ferais la guerre.
LE DOCTEUR, à part.
Nous saignerons cet homme-là.
SCAPIN.
Je suis un savant très célèbre,
En arithmétique, en algèbre,
De plus excellent financier,
Incorruptible trésorier,
Ayez égard à ma requête.
LE DOCTEUR, à part.
Pendant quelques jours à la diète.
SCAPIN.
Je place en vous tout mon espoir.
LE DOCTEUR, à part.
Et des douches matin et soir.
MEZZETIN.
À quelqu’emploi qu’on me destine,
Je ferai tout ce qu’on voudra.
LE DOCTEUR, à part.
Plus je le vois et l’examine...
Il faut purger cet homme-là :
Des demain une médecine.
MEZZETIN.
Je prendrai tout ce qu’on me donnera.
SCAPIN, aux autres.
Amis, quelle heureuse aventure !
LE DOCTEUR, à part.
Jusqu’au bout poussons cette cure.
CASSANDRE, SCAPIN, MEZZETIN.
Il prend des notes, c’est charmant !
Ah ! c’est charmant !
LE DOCTEUR.
Veuillez, dans cet appartement,
Pendant quelques instants m’attendre ;
De moi vous serez satisfaits,
Près d’Arlequin je vais me rendre.
Ici je reviens sans délais,
Il m’attend pour une ordonnance.
SCAPIN, CASSANDRE, MEZZETIN.
Que de bontés,
Que d’obligeance,
On nous l’avait bien dit d’avance,
Par lui nous serons bien traités.
LE DOCTEUR.
Par moi vous serez bien traités.
Le docteur sort.
Scène XVI
CASSANDRE, SCAPIN, MEZZETIN
SCAPIN.
Savez vous que voilà un favori des plus aimables et des plus distingués !... Je veux qu’il soit mon ami.
MEZZETIN.
Il me réconcilie avec les hommes en place. Au fait, on a beau dire, il y a toujours à profiter dans de pareilles sociétés.
CASSANDRE.
Messieurs, si je ne me trompe, j’aperçois le seigneur Arlequin... Oui... c’est lui... Comme la foule se grossit sur son passage !
Scène XVII
CASSANDRE, SCAPIN, MEZZETIN, ARLEQUIN
On entend crier : vive Arlequin !
ARLEQUIN, à la cantonade.
C’est bon, c’est bon ! en voilà assez, mes amis, nous avons tout le temps de nous dire ces choses-là.
En scène.
Voilà des gens qui me sont bien attachés... aujourd’hui.
CASSANDRE, aux autres.
À nous maintenant.
ARLEQUIN, les apercevant.
Qu’est-ce que c’est que cette mascarade-là ?
CASSANDRE, SCAPIN, MEZZETIN.
Air des Prétendus.
Je viens présenter mes hommages
Au seigneur de ce canton...
ARLEQUIN.
Sangodémi ! qu’est ce que c’est que ce trio-là ?
MEZZETIN.
Monseigneur, ayant entendu parler de vos hauts faits dans le cours de vos voyages.
ARLEQUIN.
Comment donc ? est-ce que vous sauriez mon aventure avec Isabelle ? chut ! il ne faut pas parler de cela, entendez-vous ?
MEZZETIN.
Nous venions d’après les ordres de Lélio.
ARLEQUIN.
Ah ! c’est vous, messieurs ? soyez les biens venus. Nous avons à causer d’affaires très importantes.
À part.
Sangodémi, voilà de drôles d’habits de cérémonie.
CASSANDRE, faisant un rond de jambe.
Monseigneur, nous sommes tout à vous.
ARLEQUIN.
J’ai besoin de vos conseils.
CASSANDRE, faisant un ployé.
Ils sont à votre service.
ARLEQUIN.
Je suis bon enfant, el je voudrais vivre tranquille.
CASSANDRE, sautant.
La paix et les plaisirs, voilà ce qu’il nous faut à nous autres jeunes gens.
ARLEQUIN.
Mais j’ai pour voisin un certain Gilles, déterminé chasseur, taquin comme tous les diables ; monsieur se donne les airs de viser le gibier de mes domaines ; on m’a même assuré, que l’année dernière, il avait tué le seul lièvre qui eût jamais paru dans ce pays-ci... Vous sentez quel tort ça me fait.
CASSANDRE, faisant un entrechat.
C’est très juste ce que Monseigneur dit là, c’est très juste,
ARLEQUIN, à part.
Voilà un conseiller bien gai !
CASSANDRE.
Avec une fête et un bal on arrangera cette affaire là.
ARLEQUIN.
Vous avez une diplomatie bien dansante.
À Mezzetin.
Et vous, que pensez-vous ?
MEZZETIN.
Moi je pense comme Grégoire,
Il vaut mieux boire.
ARLEQUIN.
Certainement c’est une fort bonne chose que boire... mais il y a temps pour tout.
MEZZETIN.
Si j’étais à votre place, je ne moquerais de Gilles comme d’un verre d’eau.
ARLEQUIN.
Mais il a des gardes chasses bien armés... moi je ne puis lui opposer que de bonnes raisons, et les bonnes raisons, ça ne tient par contre des fusils.
MEZZETIN.
Air : Le Punch et le Vin que j’ai pris.
Allez seigneur que ce voisin,
Ne vous cause pas de chagrin,
Est-il si redoutable ?
Sa troupe ! voilà, selon moi,
Ce qu’il faudrait faire, je crois,
Pour la rendre traitable ;
Contre-elle, en guise de canons,
Armons-nous tous trois de flacons,
Et chantant bon,
Que le vin est bon,
Couchons là sous la table.
ARLEQUIN.
Il est vrai que lorsqu’on a bu...
MEZZETIN.
Le vin et la gaité, voilà tout ce qui peut contribuer au bonheur de la vie.
ARLEQUIN.
Voilà des hommes d’état bien singuliers ! j’espère que le troisième...
MEZZETIN, criant à Scapin.
Monseigneur a pour voisin un Gilles qui vient toujours chasser sur ses terres, que lui conseillez-vous ?
SCAPIN, bégayant.
C’est l’occasion d’un beau beau-beau...
ARLEQUIN.
Qu’est-ce que c’est que ça ?
SCAPIN, bégayant.
D’un beau ‘ discours, et si-si-si monseigneur veut je-je m’en charge, je-je le le re représenterai co-co comme il faut.
ARLEQUIN.
Eh bien ! me voilà joliment conseillé et représenté ! l’un, à propos de chasse, me fait des entrechats ; l’autre me chante des chansons à boire ; celui ci me bredouille des bo-bo des si-si, des co-co.
SCAPIN, qui l’a écouté, à part.
Ah ! comme il bégaye !
ARLEQUIN.
Savez-vous, messieurs, que vos avis, ont l’air d’une mauvaise plaisanterie ? Qu’on ne vient pas au nez d’un seigneur de ma façon se moquer de lui ? Savez-vous que de pareils délits doivent être punis, et que si je n’écoutais...
On entend une ritournelle.
Heim ! qu’est-ce que j’entends ?
Il va voir.
des femmes ! oh ! sangodémi des femmes !... vous êtes bien heureux que je n’aie pas le temps de me mettre en colère ; mais vous n’y perdrez rien.
Les conduisant vers la porte à droite.
Entrez la dedans, et quand j’aurai choisi une femme je reprendrai ma fureur.
Arlequin pousse Scapin, Cassandre et Mezzetin dans la chambre et ferme la porte.
Scène XVIII
ARLEQUIN, LE DOCTEUR, LÉLIO, SYLVIA, ANGÉLIQUE, ROSETTE, PIERROT, TRIVELIN, VIOLETTE, MARINETTE, PAYSANS, PAYSANNES
CHŒUR.
Air de M. Doche.
Honneur au joyeux Arlequin,
Qui, par galanterie,
Veut à la plus jolie,
Offrir sa main.
ARLEQUIN, regardant les femmes.
Oh ! you ! you ! you ! voilà un joli régiment à passer en revue !
Air : J’ons un Curé patriote.
Quels soldats pleins d’élégance !
Quels minois vifs et lutins !
Je crois qu’à l’obéissance
Ils ne sont pas trop enclins ;
Ces soldats, j’en suis garant,
Mèneraient leur commandant,
Rautamplan ! rantamplan,
Rantamplan, tambour battant.
Diavolo ! voilà des yeux pleins d’insubordination ! Ah ça ? Quelle est celle d’entre vous qui veut se marier tout de suite ?
TOUTES LES FEMMES.
Moi, Monseigneur !
ARLEQUIN.
Elles sont bien pressées... Quelle est celle d’entre vous qui m’aime le mieux ?
TOUTES LES FEMMES.
Moi, Monseigneur.
ARLEQUIN.
Oh ! oh ! cela devient embarrassant. Je vais donc faire bien des infortunées ! Voyons, quelle est celle d’entre vous qui mourra de chagrin de ne pas m’épouser ? Heim ? heim ? Allons, il y a moins de mal que je ne pensais ; commençons ma ronde... Oh ! oh ! voilà des yeux qui disent bien des choses.
À Sylvia, vêtue en amazone, un fusil à la main.
Pourquoi tout cet attirail ? est-ce à mon gibier ou à moi que vous voulez faire la guerre ?
Air : Vaudeville de Psyché.
Songez-bien qu’un habit de chasse
Ne peut jamais vous embellir.
Tout ce qui nous voile une grâce,
À nos yeux dérobe un plaisir.
À l’amour bornez vos conquêtes,
La guerre est un jeu masculin,
Et les femmes ne sont pas faites } (bis.)
Pour détruire le genre humain. }
Voyez-vous, un fusil ça part tout seul, ça tue ; moi je ne porte qu’un sabre de bois, ça ne peut blesser personne ! D’ailleurs les Arlequins ne vont jamais à la guerre.
ROSETTE, à part.
Bon ! Elle ne l’épousera pas.
ARLEQUIN, regardant les femmes.
Me voilà dans l’embarras des richesses. Allons, à tout hasard, choisissons.
Air : Croyez-vous à la Magie ?
SYLVIA.
Voyez donc comme il soupire !
ROSETTE.
C’est pour moi !
ANGÉLIQUE.
Pour moi !
SYLVIA.
Pour moi !
TOUTES.
Soyez donc de bonne foi. (bis.)
ROSETTE.
Il me regarde !
ANGÉLIQUE.
Il m’admire !
SYIVIA.
Non, c’est moi !
ROSETTE.
C’est moi.
ANGÉLIQUE.
C’est moi !
TOUTES.
Je lui conviens mieux que toi. (bis.)
Scène XIX
LES PRÉCÉDENTS, ARGENTINE
ARGENTINE.
Eh bien ! Mesdames, un moment donc ! vous m’aviez promis de ne pas commencer sans moi.
ARLEQUIN, l’embrassant.
Argentine !
ARGENTINE.
Mon Arlequin !
ARLEQUIN, à part.
Et moi, qui n’y pensais plus !
Air : Vaudeville des Gascons.
Ensemble.
Ah ! quel plaisir ! je te revois,
Après une si longue absence !
Sur mon cœur tu reprends tes droits.
Ta présence
A fixé mon choix.
ARGENTINE.
Ah ! quel plaisir, je te revois
Après une si longue absence,
Sur ton cœur ai-je tous les droits
Que ma constance
Eut autrefois ?
SYLVIA, ROSETTE, ANGÉLIQUE.
Ah ! dès ce moment je le vois,
Il n’est plus pour nous d’espérance !
Sur son cœur reprenant ses droits,
Sa présence
A fixé son choix
ARGENTINE.
Si j’ai cru de malins propos,
J’abjure cette erreur cruelle ;
Un amant n’a plus de défauts
Quand on le retrouve fidèle, (bis.)
Ensemble.
ARLEQUIN.
Ah ! quel plaisir ! etc.
ARGENTINE.
Ah ! quel plaisir ! etc.
SYLVIA, ROSETTE, ANGÉLIQUE.
Ah ! dès ce moment, etc.
ARLEQUIN.
Ma bonne amie, tu as bien fait d’arriver.
ARGENTINE.
Vous voyez, Mesdames, que mon amant ne m’a pas oubliée.
ARLEQUIN, regardant les autres femmes.
Oubliée ! Oh ! je ne t’ai pas oubliée seul instant.
ARGENTINE.
Mais qu’as-tu donc ?
ARLEQUIN.
Je leur fais mes adieux.
Air : Dans un délire extrême. (De Joconde.)
Que Rosette est piquante !
Qu’Angélique est charmante !
Les traits de Sylvia,
Malgré moi restent là ;
Mais en voyant ta mine,
Je sens, mon Argentine,
Qu’on en revient toujours
À ses premiers amours.
Ah ça ! maintenant que j’ai une femme, je reprends mon sérieux ; je gronde tout le monde, et je commence par mon bon ami Lélio.
LÉLIO.
Par moi !
ARLEQUIN.
Oui, Monsieur, par vous ; vous exécutez joliment les ordres que l’on vous donne... Vous allez voir...
Il ouvre la porte.
Comment, je vous recommande de m’envoyer des savants, des gens d’esprit, et vous m’adressez ces Messieurs ?
Scène XX
LES PRÉCÉDENTS, CASSANDRE, SCAPIN, MEZZETIN
LE DOCTEUR.
Eh ! ce sont mes fous !...
ARLEQUIN, s’éloignant.
Des fous !
CASSANDRE, SCAPIN, MEZZETIN.
Monseigneur... ne croyez pas...
ARLEQUIN.
Paix, Messieurs ! Dans ma seigneurie, les fous n’ont pas la parole.
LÉLIO.
Monseigneur, j’ai exécuté vos ordres.
ARLEQUIN.
Où sont donc MM. Cassandre, Scapin, Mezzetin ?
LÉLIO.
Ils sont devant vos yeux.
ARLEQUIN.
M. Cassandre, qu’on disait si grave !
CASSANDRE.
Je l’étais beaucoup dans ma jeunesse.
ARLEQUIN.
Mezzetin, qui, du temps de Pasquariel, était si sobre !
MEZZETIN.
Il ne buvait que de l’eau !
ARLEQUIN.
M. Scapin, que l’on appelait le premier orateur du village !
SCAPIN.
On m’avait dit que vous étiez bègue.
LÉLIO.
Monseigneur, ils ont fait comme ces dames, ils ont pris des défauts pour vous plaire.
ARLEQUIN.
Des défauts ! D’abord, je n’en ai pas... excepté...
Il compte sur ses doigts.
D’ailleurs, c’est un très mauvais moyen, fort excusable cependant pour ces dames... Je les invite à ma noce, et je chasse ces messieurs... J’espère que tout le monde sera content.
ARGENTINE.
Ah ! mon ami ! que le jour de ton arrivée soit un jour d’indulgence.
LE DOCTETR.
Ah ! seigneur, ne privez pas ces pauvres diables du plaisir de vous approcher.
ARLEQUIN.
Eh bien ! pour vous prouver que je n’ai pas de rancune, je nomme Cassandre... mon coureur ; Mezzetin... porteur d’eau de ma seigneurie, et je donne a Scapin la charge de muet.
SCAPIN.
Ah ! Monseigneur, je ne cesserai de chanter vos louanges !
ARLEQUIN.
Je garde auprès de moi Lélio et le Docteur, j’épouse Argentine ; ce qui ne m’empêchera pas de danser avec vous, Mesdames, quand j’en trouverai l’occasion.
Vaudeville.
Air de la Parisienne.
ARLEQUIN.
Puisque dans ces parages ;
J’ai choisi mon séjour,
Que de nouveaux usages
Signalent mon retour.
CHŒUR.
Puisque dans ces parages,
Il choisit son séjour,
Que de nouveaux usages
Signalent son retour.
ARLEQUIN.
Par un ordre équitable,
Je prétends tour-à-tour
Bannir l’eau de ma table,
Les méchants de ma cour.
CHŒUR.
Puisque, etc.
ROSETTE.
La naïve bergère
Qu’un rien vient enflammer,
Dès qu’elle saura plaire,
Sera libre d’aimer.
CHŒUR.
Puisque, etc.
LE DOCTEUR.
Désormais, mes confrères,
Nos médecins savants,
Quand ils tueront les pères,
Nourriront les enfants.
CHŒUR.
Puisque, etc.
LÉLIO.
De notre académie,
Les gens, sans contredit,
À défaut de génie,
Auront tous de l’esprit.
CHŒUR.
Puisque, etc.
ARGENTINE, au Public.
Pour qu’à cette ordonnance,
Nous obéissions tous
Son projet doit, je pense,
Être approuvé par vous.
Puisque dans ce village,
Arlequin a fixé son séjour,
Contre le moindre orage ;
Protégez son retour.
CHŒUR.
Puisque, etc.