Argélie, reine de Thessalie (Gaspard ABEILLE)
Tragédie en cinq actes et en vers.
1674.
Personnages
ARGÉLIE, Reine de Thessalie
ISMÈNE, Sœur d’Argélie
PHŒNIX, Prince de Thessalie
TIMAGÈNE, Prince originaire d’Argos
ARGAS, Capitaine des Gardes d’Argélie
CLÉON, Confident de Phœnix
CLYTIB, Confidente d’Argélie
DIONE, Confidente d’Ismène
GARDES
La scène est à Larisse, dans le Palais Royal.
À MADAME LA DUCHESSE BOUILLON
Madame,
Je ne dirai point à Votre Altesse que j’ai balancé longtemps avant que d’oser mettre son nom à la tête de cet ouvrage : De quelque témérité dont elle accuse la pensée que j’en ai eue ; j’avoue que je n’en ai jamais eu d’autre. J’avais besoin d’une grande protection ; et la générosité, qui vous est si naturelle, ne donnait lieu d’espérer que je pourrais obtenir la vôtre.
D’ailleurs, Madame, on sait que V. Altesse s’est si fort déclarée pour Argélie, quelle est en quelque façon obligée à la soutenir. On sait que vos applaudissements ont fait tout son prix ; que les larmes dont vous l’avez honorée, lui ont attiré tous les suffrages quelle a reçue ; et enfin quelle ne vaut que ce que vous l’avez fait valoir.
En effet, Madame, les Esprits les plus délicats ont mieux aimé avouer avec vous, qu’elle était digne de leur estime, que de s’opposer au jugement que vous en aviez fait.
C’est ce qui m’a engagé à vous l’offrir, pour la faire approuver de tout le monde ; et pour vous donner une marque publique de ma reconnaissance, et du profond respect avec lequel je suis,
Madame,
De Votre Altesse,
Le très humble et très obéissant Serviteur,
ABEILLE.
PRÉFACE
Le sujet de cette Tragédie est assez inconnu. Je l’ai pris dans Suidas ; et Suidas, quelque rang qu’il tienne parmi les savants, n’est guère plus connu dans le monde que le sujet qu’il m’a fourni. Je n’y ai pris que le nom d’Argélie, celui de son Royaume, et l’auteur de sa mort, qui fut un Prince d’Argos qu’elle avait fait mettre en prison ; encore ai-je retranché une lettre du nom de cette Reine, afin qu’il fut moins rude à prononcer. Voila tout ce qu’il y a d’historique dans ma fable.
Il n’est pas nécessaire de répondre aux scrupules de tous ceux que le succès de cette Tragédie a mis en mauvaise humeur. Quelques-uns de ces scrupules sont si mal fondés, qu’ils ne méritent pas qu’on s’applique à les détruire. Je connais des gens qui se vantent d’avoir lu quatre fois la Poétique d’Aristote ; et qui soutiennent que dans les Principes de ce Philosophe, Argélie donnant le nom à la Pièce, doit attirer sur elle toute la pitié des spectateurs. On peut connaître par là s’il est vrai qu’ils aient jamais lu Aristote.
Pour ceux qui ont crû que le troisième acte était inutile, et que la stérilité de mon sujet m’avait fait différer jusqu’au cinquième la déclaration d’amour qu’Ismène devait faire dès le troisième à Phœnix, lors qu’elle lui veut faire quitter la cour : Je les prie de me dire quel jugement ils feraient de la vertu d’Ismène, si une heure après le choix d’un époux, elle parlait d’amour à son rival. Cette indécence ne se trouve pas au cinquième Acte, Ismène semble devoir alors cet aveu à l’amour d’un Prince désespéré, qui vient mourir à ses pieds pour son époux et pour elle. Elle croie coucher elle-même au dernier moment de sa vie ; et dès qu’elle a avoué son amour, elle presse qu’on lui abrège ce dernier moment, pour venger son époux du tort qu’un aveu de cette nature vient de lui faire.
Mais je n’ai pas eu, dit-on, les mêmes égards par tout pour la vertu d’Ismène. Je lui fais sacrifier Timagène à la sûreté de Phœnix. Elle devait obliger ces deux Princes à la fuite, et se tirer ainsi de la fâcheuse nécessité de les perdre tous deux, ou de trahir l’un pour l’autre. C’est le moyen dont elle a dû se servir, je l’avoue. Et ne s’en sert-elle pas ? Ne leur envoie-t-elle pas par Dione un ordre pressant de fuir ? Et n’auraient-ils pas reçu cet ordre, s’ils n’eussent été dès lors au pouvoir de la Reine ?
Il est inutile de m’objecter que je devais ménager les choses de telle manière, que cet ordre leur fut porté, lorsqu’ils étaient encore en état d’y obéir, et que c’était la première chose qu’Ismène devait tenter pour tirer ses amants d’affaire. Son premier devoir, selon toutes les maximes de l’honneur et de la prudence, a été de consentir à son mariage avec un des Rois étrangers, avant que de condamner ses amants à un exil qui ruinait leur fortune. Elle a dû croire raisonnablement que ce consentement suffirait pour apaiser tout le courroux de sa sœur. L’obstination de la Reine rend ce premier moyen sans effet. Ismène essaye l’autre. Elle s’y prend trop tard, mais elle n’a pas dû s’y prendre plutôt. C’est là la source de son embarras, et de routes les passions qui animent le reste de la Pièce.
Quoi qu’il en soie, quand je vois des personnes d’un discernement juste, et d’un mérite extraordinaire, s’intéresser dans les événements de cette Tragédie ; s’y récrier de bonne-foi, et se faire un plaisir des larmes, qu’elles répandent, je ne me puis repentir de savoir faite ; et j’avoue que j’aurai bien de la peine à m’empêcher d’en faire d’autres.
ACTE I
Scène première
ARGÉLIE, CLYTIE
ARGÉLIE.
Gardes, faites venir Phœnix, et Timagène.
Vous, Clytie, approchez. Hé bien ? que fait Ismène ?
L’intérêt de l’État, son devoir, ma rigueur,
Rien ne peut-il fléchir cette infidèle Sœur ?
Ne se rend-elle pas ?
CLYTIE.
N’en doutez plus, Madame.
L’ardeur de tant de Rois n’échauffe point son âme ;
Et quoi qu’à sa prison vous ajoutiez d’affreux,
Vous n’obtiendrez jamais qu’elle écoute leurs vœux ;
Mais avec quelque excès que vous l’ayez punie,
Captive, et de vos yeux depuis deux ans bannie,
Toujours dans le respect, malgré vôtre courroux,
Elle se plaint du Sort, sans se plaindre de vous.
Sa vertu jusqu’ici ne s’est point démentie.
ARGÉLIE.
Il n’est pas encor temps ; ce temps viendra,
Clytie, Quand de ce cher Amant, qui l’áttache en ces Lieux,
Elle verra le sang rejaillir à ses yeux ;
Que les miens à loisir jouissant de sa peine,
Sur ce sang trop chéri promèneront leur haine.
Quels cris alors ; quels coups à son cœur abattu ;
Que de plaintes ; C’est là que j’attends sa vertu.
C’est ce qu’à son amour ma vengeance prépare.
CLYTIE.
Quoi, de ce cœur glacé l’amour enfin s’empare,
Madame ? Ismène a pu changer de sentiment ?
ARGÉLIE.
Elle aime ; et la perfide a trop peu d’un Amant.
Deux Traîtres, deux Ingrats, dans ma Cour, à ma vue,
Brûlent pour ses beautés d’une flamme imprévue ;
Et lui font chaque jour mille hommages secrets
Du mépris outrageant des biens que je leur faits.
Je ne dis rien de trop. Leur intrigue est certaine.
Je sais tout. C’est Phœnix, enfin c’est Timagène,
CLYTIE.
Eux que la Thessalie, avec un œil jaloux,
Voit par vôtre faveur placés si près de vous ?
ARGÉLIE.
Timagène ! Tu sais avec quelle indulgence
J’ai presqu’à sa fortune asservi ma puissance.
Pour lui seul je régnais. Estime, soins, honneurs,
Tout, j’ai tout prodigué, pour vaincre les froideurs.
Hélas ! à l’aveu près, qu’ai-je pu davantage ?
Chaque jour mon ardeur se peint sur mon visage ;
Chaque jour me flattant, par une indigne erreur,
Qu’un soupir m’ouvrira les chemins de son cœur,
Je sens, je sens le mien prêt à trahir ma gloire ;
Et chaque jour l’Ingrat ignorant la victoire,
Ou d’un regard forcé l’avouant à regret,
Dans ma bouche indiscrète arrête mon secret,
C’est peu. Pour l’arracher à son indifférence,
J’ai crû que d’un Rival il craindrait la présence ;
Et qu’appelant Phœnix eux emplois de ma Cour ;
La jalousie enfin ferait naître l’amour.
Mais loin que ces égards ébranlent son courage,
Tous deux de ma faveur approuvant le partage,
Et trop d’accord ensemble à rebutera ma foi,
Sont devenus Rivaux pour Une autre que moi,
Pour une autre, Clytie ? Ah ! ma juste colère
Ne peut plus s’arrêter : Il faut me satisfaire ;
Il faut du sang ; il faut... Mais dis-moi, quelquefois
Quand sur sa résistance à l’hymen de nos Rois,
Ils allaient de ma part la presser de se rendre,
En quelque doux transport n’as-tu pu les surprendre ?
Te laissais-tu séduire à leurs déguisements ?
Tu m’as trahie.
CLYTIE.
Hélas ! Madame, à tous moments,
En tous lieux, à ses pas par votre ordre attachée,
Jamais d’aucun amour je ne la crus touchée ;
Aussi dans leurs discours n’avais-je nulle part,
Vous me le défendiez. Souvent à leur départ,
Je voyais sur leur front la tristesse épandue,
Et la Princesse en pleurs se cacher à ma vue.
Il est vrai, mais bien loin d’en croire mes soupçons,
Pour les désavouer, j’avais mille raisons.
Leur pitié, leur chagrin de la voir obstinée
À braver par caprice un illustre hyménée,
Sa misère, l’ennui d’un si triste séjour,
Enfin...
ARGÉLIE.
Qu’ai-je donc fait ? J’ai trahi mon amour.
J’ai de ma propre main, par trop de confiance,
Serré le nœud fatal de leur intelligence ;
Et par le libre accès, que je leur ai permis,
J’ai moi-même à ma perte armé mes Ennemis.
Perfide Sœur ! ô Dieux ! que j’étais abusée !
Des plus superbes Rois la flamme méprisée
Me faisait adorer la tranquille vertu
D’un cœur, qui de l’amour n’était point combattu,
Son repos me piquait plus que sa résistance.
J’enviais le bonheur de son indifférence ;
Et pour l’associer un jour à mon tourment,
Je voulais la contraindre à choisir un Amant,
Elle à choisi. Sa flamme enfin s’est déclarée.
De tout ce que j’aimais elle s’est emparée ;
Et les premiers appas de ces funestes nœuds
L’ont rendue insensible à tous les autres vœux.
Mais quel charme inconnu, quelle force cruelle
Me ravit tous les cœurs, et les porte vers elle ?
Mes attraits soutenus du pouvoir souverain,
Ne peuvent d’un Sujet me mériter la main ?
Et ma Captive, au rang où ma haine l’abaisse,
Voit que pour ses beautés tout l’Univers s’empresse ?
Qu’à ses moindres regards tout se laisse enflammer ?
Hélas ! et je croyais qu’elle ne pût aimer !
Non, quoi que de l’amour on semble se défendre,
Quand on en peut donner, on est bien près d’en prendre,
Et l’on patte bientôt, sans beaucoup s’alarmer,
Du plaisir d’être aimée, à la douceur d’aimer.
Mais vengeons-nous, Clytie, et cherchons une peine
Digne de leur amour, et digne de ma haine.
Ismène tient encor leurs désirs suspendus.
Sachons vers qui des deux les siens penchent le plus.
Bornons là ma vengeance ; et par un prompt supplice,
À ma bonté bravée offrons ce sacrifice.
L’autre instruit par l’exemple à recevoir ma loi,
Ne balancera point entre la mort et moi.
Car enfin, tu le sais, le Peuple veut un Maître.
En vain par mon hymen cent ont prétendu d’être.
Mon cœur du rang suprême uniquement jaloux,
A traité d’Ennemis ces prétendus Époux ;
Et de l’Amour alors ignorant les surprises,
J’ai dans leur propre sang éteint leurs entreprises :
Mais que pour se venger l’Amour prend bien son temps :
Il me force d’aimer, quand je n’ai phis d’Amants.
Donnons un Roi du moins à ce Peuple volage :
Contentons à la fois mon amour et ma rage ;
Et postant à ma Sœur les plus sensibles coups,
Immolons son Amant, s’il faut prendre un Époux.
CLYTIE.
Votre rigueur est juste après tant de tendresses ?
Mais...
ARGÉLIE.
Ne réveille point mes premières faiblesses,
Ma main, pour en bannir le souvenir honteux,
Peut-être au lieu d’un Traître, en immolerait deux ;
Peut-être un même sort enveloppant Ismène...
Que sais-je ? Tu connais la source de ma haine.
Mon Père, si la mort n’eût trompé ses desseins
Eût laissé, malgré moi, le Sceptre entre ses mains.
Tu sais, que méditant cet injuste partage,
Pour moi des Rois voisins il mendiait l’hommage,
Il les sollicitait de m’unir à leur rang,
Pour m’éloigner d’un Trône où m’appelait le sang,
Mon âge, et mon bonheur, m’ont fait rendre justice ;
Mais s’il faut qu’à l’orgueil l’amour enfin s’unisse
Et que, pour m’arracher du sein de mes États,
L’ambition d’Ismène ait séduit mes Ingrats ;
Que ne dois-je point craindre ? et sous quelle assurance
Lui laissai-je nourrît son feu dans le silence ?
Qu’il éclate. Il est temps. Elle aura quelque égard
À l’ordre qu’elle à du recevoir de ma part,
D’éteindre par son choix nos haines mutuelles ;
D’aimer en liberté... Mais voici mes Rebelles.
Scène II
ARGÉLIE, PHŒNIX, TIMAGÈNE, CLYTIE
ARGÉLIE.
Princes, je le vois bien, nos soins sont superflus,
Ismène est toujours ferme en ses premiers refus ;
Plus on parle d hymen, moins elle s’y dispose.
Je n’en suis plus surprise. Enfin j’en sais la cause ;
Et je vous ai mandez, pour prendre vos avis.
Ce sont, depuis trois ans, les seuls que j’ai suivis :
Par vous seuls je résous, et par vous seuls j’ordonne :
Je vous ai confié ma Sœur, et ma Couronne.
Vous savez mieux que moi quels sont nos intérêts,
Jugez-en. La Princesse a des Amants secrets.
TIMAGÈNE.
La Princesse, Madame ?
PHŒNIX.
Ô Dieux ! se peut-il faire,
Qu’en l’état...
ARGÉLIE.
Ce n’est point un soupçon téméraire.
Oui, deux Amant secrets, en pleine liberté,
Chaque jour contre moi révoltent sa fierté ;
Et malgré tous les vœux de Sparte, et de Mycène,
Au gré de leur amour disposent de sa haine.
Elle sur ses Captifs ménageant son pouvoir,
Avec un soin pareil balance leur espoir ;
Paraît de tous les deux également charmée.
Timagène, Phœnix, suis-je bien informée ?
PHŒNIX.
Oui, je vous l’avouerai. Madame, et sans effroi.
Nous aimons ; ou plutôt je n’accuse que moi ;
J’aime ; et ce qui me rend plus digne de supplice,
J’ai déguisé mon feu sous un lâche artifice.
Je devais à vos yeux, aux yeux de mes Rivaux,
Déployer mon amour, le vanter mes travaux.
Mille fameux exploits, mille heureuses fatigues,
Vos boutez en vers moi, depuis trois ans prodigues,
Vos discours, vos regards, un si facile accès,
Tout semblait m’animer à l’espoir du succès.
Mais doublement ingrat à vous, à ma Princesse,
J’ai trahi vos desseins, j’ai caché ma tendresse.
Mon secret a sur elle attiré tous vos coups.
Vous l’avez découvert, vengez-la, vengez-vous.
Il faut...
ARGÉLIE.
Je vous entends, Phœnix. Vous, Timagène,
Parlez.
TIMAGÈNE.
Si c’est un crime, hélas ! qu’aimer Ismène,
Je ne puis m’en défendre, et veux bien m’en louer ;
Mon crime est trop charmant pour le désavouer,
Je sais que cet aveu rend ma perte assurée.
Je connais dans vos yeux que vous l’avez jurée,
Je vois que je me livre à tout votre courroux ;
Mais, Madame, du moins qu’il expire avec nous.
Cessez de regarder Ismène en Ennemie.
Hélas ! dans son devoir ses maux l’ont affermie.
Nos bras cent fois offerts à venger sa prison,
N’ont pu contre vos Lois révolter sa raison.
Toujours nous conjurant de vous être fidèles,
Elle oppose ses pleurs à nos projets rebelles.
Elle fait plus. Le soin du repos de la Cour
Lui fait entre nous deux suspendre son amour ;
Et sans ressentiment de se voir opprimée,
Son unique regret, c’est d’être trop aimée.
C’est là son crime. Hélas ! pour peu qu’on ait d’attraits,
Qu’on pardonne aisément de semblables forfaits,
Madame ! et plût au Ciel, que ce ferme courage
Qu’avec tant de beauté vous eûtes en partage,
Vous eût mis, pour flatter la peine des Amants,
Un peu moins au dessus des tendres sentiments !
Que ce cœur maintenant insensible à nos plaintes ;
Eût senti de l’amour quelques faibles atteintes !
Loin de voir aujourd’hui notre espoir combattu...
Mais tant de vains souhaits blessent vôtre vertu...
Cette austère vertu, que vous suivez pour guide,
Vous montre dans la gloire un plaisir plus solide ;
Et de votre grande âme épurant les désirs,
La rend inaccessible aux amoureux soupirs.
Nos tourments sont pour vous d’inutiles alarmes ;
Mais quoi ? je vois vos veux prêts à verser des larmes ?
Le croirai-je, que las de nous laisser souffrir,
Ces yeux sur nos malheurs daignent enfin s’ouvrir ?
Que deux Sujets...
ARGÉLIE.
Cédons, cédons à la Nature,
Dont j’ai jusqu’à ce jour étouffé le murmure,
C’est trop dissimuler mon déplaisir secret.
Non, Princes, je ne hais Ismène qu’à regret,
En la faisant souffrir, je partage sa peine ;
Et je gémis en Sœur, quand je punis en Reine,
Un intérêt d’État, plus puissant fui mon cœur,
M’inspirait, malgré moi, cette injuste rigueur.
Mais enfin votre aveu, la tranquille constance,
N’ont que trop réparé sa désobéissance.
Maîtresse d’elle-même, elle peut désormais
Se choisir un Époux au gré de ses souhaits.
Obligez son amour à vous faire justice ;
C’est toute ma vengeance, et tout votre supplice.
PHŒNIX.
Quel effort imprévu, quel excès de bonté
Vous rend si favorable à ma témérité ?
D’un feu désespéré vous réveillez l’audace ;
Vous me comblez de biens, quand je demande grâce.
TIMAGÈNE.
Ah ! Madame, du moins souffrez qu’à vos genoux,
Apres tant de boutés...
ARGÉLIE.
Non, Princes, levez-vous,
Ismène vient. Gardez tous ces respects pour elle,
Ah ! pourquoi me cachet une flamme si belle ?
De combien de douceurs vous êtes-vous privés ?
Mais vous ne savez point tout ce que vous pouvez.
Découvrez qui de vous est maître de son âme ;
Si nos Rois sont trompés, j’en prends sur moi le blâme ;
Et leurs Ambassadeurs, que je vais assembler...
Mais dans vos entretiens je ne veux rien troubler.
Ma Sœur envisageant sa fortune changée,
Aurait entre nous trois l’âme trop partagée ;
Elle vient. Elle a su toutes mes volontés.
Il suffit.
TIMAGÈNE.
Ô moments si longtemps souhaités !
Scène III
ISMÈNE, PHŒNIX, TIMAGÈNE
PHŒNIX.
Madame, il n’est plus temps de plaindre vos misères ;
D’accuser avec vous les Destins trop sévères ;
De s’offrir à venger vos appas outragés ;
Le Ciel plus favori le enfin les a vengés.
Au courroux d’une Sœur vous n’êtes plus en proie ;
Votre retour par tout va répandre la joie.
Il n’est plus en ces Lieux de malheureux que nous,
Rendez-nous la pitié que nous eûmes pour vous.
Puis qu’à notre bonheur il n’est rien qui s’oppose,
Daignez finir des maux, dont vous elles la cause.
Et ne refusez pas à nos fidèles cœurs,
Le remède, et le prix de deux ans de langueurs.
ISMÈNE.
Oui, Princes, je sais trop que la reconnaissance
M’oblige à couronner enfin votre confiance.
Tant de Rois, que pour vous mon âme a dédaignés,
Vous disent assez haut que vous seuls y régnez.
Je ne m’en défens point. Heureuse en mes disgrâces,
Si vous seuls de mes feux eussiez connu les traces ;
Mais la Reine a percé mon secret malgré moi ;
Et si je sors des fers, ce n’est qu’avec effroi.
Ces Lieux où je reçus autrefois la naissance,
Ces Lieux que je revois aptes deux ans d’absence,
Ces mêmes Lieux baignés si souvent de mes pleurs,
Rappellent à mes yeux ses premières rigueurs ;
Et de mes maux passez me retraçant l’image,
N’offrent à mon esprit qu’un funeste présage.
Ah ! si vous ne voulez redoubler mes tourments,
Accordez à ma crainte encor quelques moments.
TIMAGÈNE.
Quelques moments ! Ô Ciel ! quel supplice plus rude,
Que de vous voir toujours pleine d’inquiétude,
Suspendre sur mon cœur incertain de son sort,
Et l’espoir de la vie, et l’horreur de la mort ?
Que de voir dans vos yeux le feu qui vous consume,
Sans pouvoir me flatter que c’est moi qui l’allume ?
Sans oser prendre part à ces tendres soupirs,
Qui d’un Rival peut-être approuvent les désirs !
Ah ; plutôt que languir dans ce doute funeste,
Tranchez d’un prompt refus tout l’espoir qui me reste ;
Accablé du chagrin de ne vous plaire pas,
Je saurais m’en guérir au moins par mon trépas ;
Et si votre pitié de mon trépas émue,
Ne peut sans soupirer en soutenir la vue,
J’aurais du moins la joie, en signalant ma foi,
Que ces tristes soupirs ne seront que pour moi.
ISMÈNE.
Que dites-vous ? ô Ciel ? que je suis donc à plaindre,
Je n’avais jusqu’ici qu’une Ennemie à craindre,
Je ne me défiais que des traits d’une Sœur,
Et ne redoutais pas votre propre fureur.
Quoi ! votre désespoir se fait déjà connaître ?
Vous voulez que mon choix aide à le faire naître ?
Que d’une main suivant un Époux à l’Autel,
De l’autre à son Rival je porte un coup mortel ?
Et vous me connaissez, Princes ? Non, si mon âme
N’a que l’un de vous deux pour objet de sa flamme,
L’estime que je dois à vos seins généreux,
Au défaut de l’amour, me parle pour tous deux ;
Et puis qu’enfin mon choix doit faire un misérable,
Je ne saurais choisir, sans me rendre coupable ?
PHŒNlX.
Hé bien ! vous verrez donc, puisque vous l’aimez mieux,
Deux Amants expirer de douleur à vos yeux.
Il faut à vos rigueurs une double victime.
Vous l’aurez ; mais hélas ! sera-ce un moindre crimes
Si de nos tristes cœurs désespérant les feux,
Pour en ménager un, vous les perdez tous deux ?
Car enfin que peut-il nous rester d’espérance,
Si toujours résolue à ce cruel silence,
Quand tout sur notre sort vous obligea parler,
Votre bouche s’obstine à ne rien démêler ?
Quand parlerez-vous donc, s’il faut encor vous taire ?
Ah ; tandis qu’à nos vœux une Reine contraire,
Pour tirer un aveu conforme à ses désirs,
Avec votre personne enchaînait vos soupirs,
J’ai vu, vous le savez, j’ai vu sans défiance,
Votre amour se cacher à notre impatience.
Mais libre, triomphante, après tant de combats,
Vous pouvez d’un seul mot... Belle Princesse, hélas !
Pardonnez ce reproche à des âmes ingrates
Qu’est devenu l’amour, si jamais vous aimâtes ;
Si jamais cette ardeur...
ISMÈNE.
Cruels, vous en doutez ?
Rendez, rendez-moi donc les fers que j’ai portés,
Tant de nuits, tant de jours consumés dans les larmes ;
N’ont pu calmer encor vos injustes alarmes ?
Il faut d’un nouveau sort subir la cruauté ;
Perdre le jour peut-être après la liberté.
N’importe. Sur la foi de vos esprits crédules,
Ma prudence endormie étouffe ses scrupules
Vous serez satisfaits. Les Dieux me sont témoins,
Ou de vous, ou de moi, pour qui je crains le moins,
Je veux croire...
TIMAGÈNE.
Ah ! croyez les larmes qu’une Reine...
ISMÈNE.
Je crois tout ; puis que c’est terminer votre peine ;
Puis qu’il m’est défendu de suspendre mon choix ;
Puis qu’après vos serments redoublez tant de fois,
L’amitié qu’en mes mains vous vous êtes jurée,
Contre ce dernier coup doit être préparée...
Mais ô Dieux ! quels regards ! Princes, je le vois bien,
Où règne tant d’amour, d’amitié ne peut rien.
Je vois que la douleur, dont votre âme est saisie,
Réveille en ce moment toute la jalousie.
Je vois que de vos cœurs les, divers mouvements...
Non, vous vous haïriez malgré tous vos serments,
Qu’allais-je faire ! hélas ! permettez...
TIMAGÈNE.
Ah ! Madame,
Quel plaisir prenez-vous à déchirer mon âme ?
Nous vous jurons encor...
PHŒNIX.
Oui, que les justes Dieux
Nous fassent l’un et l’autre expirer à vos yeux,
Madame, si jamais la moindre jalousie
Arrache de nos cœurs l’amitié qui nous lie.
Ne craignez rien, Parlez. Dites qui de nous deux
A pu...
ISMÈNE.
Vous le voulez, Princes, te je le veux,
Timagène, Phœnix, au moins j’y suis forcée.
Mon âme, malgré moi, vous ouvre sa pensée ;
Mais puis qu’il faut enfin déclarer mon Amant...
Scène IV
ISMÈNE, PHŒNIX, TIMAGÈNE, CLYTIE
CLYTIE.
La Reine attend, Madame, avec empressement...
ISMÈNE parlant à l’oreille à Clytie.
Clytie.
PHŒNIX.
Elle lui parle. Hélas ! que lui dit-elle ?
Que je crains !
TIMAGÈNE.
Que je souffre une peine cruelle.
ISMÈNE.
Princes.
PHŒNIX.
Madame, hé bien ! cet Amant glorieux ?
Mais quel torrent de pleurs échappe de vos yeux ?
TIMAGÈNE.
Que vois-je ?
ISMÈNE.
Princes, non, je ne m’y puis résoudre.
N’en parlons plus.
TIMAGÈNE.
Madame, ô Dieux ! quel coup de foudre !
PHŒNIX.
Dans quel nouveau chagrin votre esprit replongé...
Clytie, hélas ; la Reine aurait-elle changé ?
Peut-elle...
ISMÈNE.
Ah ! mes soupçons lui faisaient injustice.
Croyez-en mes sanglots, plutôt que mon caprice.
J’avais tort. Elle m’aime, et je n’en doute pas.
Je vais m’abandonner moi-même entre ses bras.
C’est ma Sœur, et la haine à jamais amortie...
TIMAGÈNE.
Mais quel autre Ennemi...
ISMÈNE.
Retirons-nous, Clytie,
Avant que lui parler, laisse-moi quelque temps,
Apaiser de mon cœur les confus mouvements.
Vous, Princes, avant moi, ne voyez point la Reine,
Et réglez votre amour sur l’excès de ma peine.
Adieu.
PHŒNIX.
Quel ordre ! ô Ciel ! quels funestes adieux ;
Madame...
TIMAGÈNE.
Obéissons, et sortons de ces Lieux.
L’ordre est dur ; mais enfin Ismène nous l’impose.
Allons unir nos seins pour en savoir la cause ;
Pour vaincre l’Ennemi, qui nous à traversez,
Aimons-nous, aimons-la, Seigneur, et c’est assez.
ACTE II
Scène première
CLYTIE, DIONE, ISMÈNE
ISMÈNE.
Où me vas-tu conduire ? et de quel œil, Clytie,
Pourrai-je envisager une Sœur ennemie,
Dont la fausse douceur m’invitant à parler,
Ne cherche mon Amant que pour se l’immoler ?
Ô Ciel ! loin de prévoir un si lâche artifice,
Sans toi, je le livrais moi-même à son supplice.
J’allais parler, Son nom m’était presqu’échappé.
J’aurais conduit la main, dont on l’aurait frappé.
J’en frémis ; mais hélas ! lors que je t’ai pressée,
De m’avouer le coup dont j’étais menacée,
Ta timide pitié n’osait me secourir ;
Tu balançais, Clytie, et me laissais périr.
CLYTIE.
J’ai balancé ; mais quoi ? que pouvais-je moins faire ?
D’un secret important seule dépositaire,
Au point de la trahir, ne vous étonnez pas,
Si ma fidélité rendait quelques combats.
Des Princes vos Amants craignant la violence,
Madame, je n’osais parler en leur présence.
Vous m’avez prise à part ; et votre juste peur
De ma pitié trop lente a réveillé l’ardeur.
Je vous ai dit tout bas le dessein qui se trame.
Je vous le dis encor, si vous parlez, Madame,
Votre Amant est perdu ; mais j’ose dire plus,
Si vous ne parlez pas, ils sont tous deux perdus.
ISMÈNE.
Tous deux ?
CLYTIE.
N’en doutez pis. Leur mort est résolue.
Vous savez à quel point la Reine est absolue.
Mille Bras toujours prêts à servir sa fureur...
ISMÈNE.
Hélas ! je ne le sais que trop pour mon malheur.
Je voyais bien qu’enfin toute ma prévoyance
Serait un vain secours contre sa défiance ;
Qu’il était malaisé qu’au milieu de sa Cour,
Je pusse aimer longtemps, et cacher mon amour.
Pour prévenir l’effet de mes tristes présages,
De ses deux Favoris j’acceptai les hommages,
Clytie, et les traitant tous deux également,
Entre ces deux Héros, je cachai mon Amant.
Vaines précautions ! J’espérais que la Reine
Sur deux Objets si chers n’osant fixer sa haine,
Et respectant en eux les appuis de l’État,
La suspendrait longtemps avant qu’elle éclatât ;
Et qu’enfin sa justice à tous deux favorable,
Pour sauver l’innocent, sauverait le coupable.
Que je me suis trompée ; ô Dieux ! que je les plains !
Dione, ils périront.
DIONE.
Madame, je le crains.
À répandre du sang la Reine accoutumée...
ISMÈNE.
Ils ne périraient pas, s’ils ne m’avaient aimée.
Leur crime est leur amour, Malheureuse, c’est moi,
Qui d’un cruel trépas vais couronner leur foi :
Non, ce n’est point la Reine à qui je m’en dois prendre.
C’est à moi. De l’amour il fallait me défendre.
Mais à moins que d’avoir un cœur comme le sien,
Peut-on se voir aimée, hélas ? et n’aimer rien ?
Ne délibérons plus. Il est temps que je cède.
À mes malheurs pressens il n’est plus qu’un remède.
CLYTIE.
Quoi donc, Madame ?
ISMÈNE.
Il faut, pour sauver un Amant,
M’aller livrer en proie au plus cruel tourment ;
Sacrifier ma flamme au repos de sa vie,
Étouffer mon espoir... Étouffons-le, Clytie
Il ne m’est plus permis de faire un autre choix.
Épousons dès ce jour...
CLYTIE.
Qui, Madame ?
ISMÈNE.
Un des Rois.
CLYTIE.
Ah ! que ce digne effort va surprendre la Reine !
Venez, venez tarir la source de sa haine.
Madame, au nom des Dieux armez votre vertu.
ISMÈNE.
Mais quoi ? c’est donc en vain que j’ai tant combattu ;
Je n’ai donc signalé ma constance, et mon zèle,
Que pour me couronner du titre d’infidèle ?
Hélas ! quel autre nom pourront-ils me donner,
Ces Princes trop constants que j’ose abandonner ?
Tout leur sera permis après ma perfidie,
Mais n’importe. Ils vivront. Ils me devront la vie ;
Et j’envisagerai mon malheur sans effroi,
Si je sauve leurs jours en leur manquant de foi.
Allons. Que me veut-on ?
Scène II
ISMÈNE, ARCAS, CLYTIE, DIONE
ARCAS.
C’est la Reine, Madame,
Qui vient rendre elle-même un plein calme à votre âme.
Des vœux de tant de Rois ne redoutez plus rien ;
Elle a justifié vos refus par le sien.
Sa tendresse pour vous s’est enfin déclarée.
De leurs Ambassadeurs la Cour est délivrée.
Ils partent par son ordre, et je viens de sa part
Vous apprendre...
ISMÈNE.
Ah ! Clytie, empêchons leur départ,
Tu sais mes sentiments, tâche avant qu’elle sorte...
Il n’est plus temps.
Scène III
ARGÉLIE, ISMÈNE, ARCAS, CLYTIE, DIONE
ARGÉLIE.
Enfin votre vertu l’emporte,
Madame, mes soupçons cèdent à son éclat.
J’immole à vos délits l’intérêt de l’État,
Vous n’aurez plus ici de Loi qui vous contraigne ;
Et par mes seuls bienfaits vous saurez que je règne.
ISMÈNE.
Souffrez donc que j’imite autant que je le doi,
L’effort que vous venez de vous faire pour moi,
Non, puisque votre main brise aujourd’hui ma chaîne,
Madame, votre Loi n’a plus rien qui me gêne.
À quelque Roi qu’il faille attacher mon destin.
Commandez. Je suis prête à lui porter ma main.
ARGÉLIE.
J’attendais peu, Madame, un effort si contraire
Aux vœux de deux Amants que je croyais vous plaire.
Je n’ai point prétendu qu’un hymen odieux
Vous forçat, malgré vous, à sortir de ces Lieux :
Et je n’ai de ces Rois favorisé la flamme,
Que pour développer les replis de votre âme ;
Car je vous l’avouerai. Vos constantes froideurs
Me faisaient bien juger que vous aimiez ailleurs ;
Mais de ces factieux, dont j’ai puni l’audace,
Qui brigueraient mon hymen pour m’ôter en ma place,
Et qu’un Peuple mutin m’imposait pour Époux,
Je craignais que quelqu’un ne fut maître de vous ;
Et que quelque projet fatal à ma puissance,
N’eut force votre bouche à ce triste silence.
Injurieux soupçons, source de ma rigueur !
Je ne me souvins plus que vous étiez ma Sœur ;
Je m’assurai de vous, j’usai de violence,
Pour vous faire des Rois accepter l’alliance,
Ils m’étaient moins suspects que nuls autres Amants :
Mais j’ai bien condamné mes premiers sentiments,
Ma Sœur, hélas ! qu’un mot m’eut épargné de peines !
Enfin de votre amour j’ai des preuves certaines.
Vos Amants me sont chers ; j’en approuve le choix :
J’ai reconnu leur foi ; ne parlons plus des Rois.
J’ai contre leurs désirs joint mes refus aux vôtres.
Je me suis expliquée en faveur des deux autres.
J’ai refusé, promis ; et jusques à ce jour
Mes dons et mes refus ont été sans retour.
Je veux... Mais qu’ai-je dit qui vous doive confondre ?
Vous rougissez. Parlez.
ISMÈNE.
Il faut donc vous répondre.
Vous avez sur mon sort un pouvoir absolu,
Je n’en murmure point. Les Dieux l’ont bien voulu.
Je les prends à témoin, Madame, Si vos yeux même,
Si jamais dans le sort de mon malheur extrême,
Quelque ressentiment qui me dût émouvoir,
Un mot m’est échappé qui blessât mon devoir.
Peut-être sur le Trône aurais-je été plus fière ;
Et Reine égale à vous, de votre prisonnière,
Trouvant mille chemins à ma vengeance ouverts,
J’aurais porté plus loin le dépit de mes fers ;
Mais loin de consentir au dessein de vous nuire ;
Où vos ligueurs semblaient, malgré moi, me conduire,
J’ai voulu, refusant un Roi pour mon Époux,
M’arracher le pouvoir de me venger de vous.
Ne craignez donc de moi ni factions, ni brigues,
D’un Peuple sans raison j’ignore les intrigues.
J’adore en vous le sang de nos communs Aïeux,
Qui n’ont transmis qu’en vous leur pouvoir en ces lieux.
Contre vos volontés, je n’ai pour toutes armes,
Que d’innocents soupirs, et d’impuissantes larmes,
Qui dès que mes desseins vous seront déclarés.
Ne couleront qu’autant que vous les souffrirez,
Souffrez-les un moment. Ce qu’elles vous demandent,
Ce n’est nul de ces biens où tant d’autres prétendent.
Ce n’est plus d’un grand Roi l’alliance et l’appui.
Vous m’en ôtez l’espoir. Je le perds sans ennui.
Ce n’est ni les égards dus à notre naissance,
Ni de ma liberté la sincère assurance.
Pour toute liberté, Madame, et pour tout bien,
Permettez à mon cœur de n’aimer jamais rien ;
De n’aimer rien que vous ; de sortit d’une chaîne,
Qui toujours...
ARGÉLIE.
Arrêtez. Quoi, Phœnix, Timagène,
Tous deux si tendrement charmez de vos appas.
Vos Confidents secrets, vous ne les aimez pas ?
ISMÈNE.
Madame.
ARGÉLIE.
Ô Dieux ! que vois, je-et sous quelle espérance,
Oser de leur amour me faite confidence ?
Me tromper ? me vanter tous deux insolemment
Un succès qu’à mes yeux votre bouche dément ?
On me joue. On me fait par des complots sinistres,
Des Rois mes alliés, renvoyer les Ministres :
Rompre avec eux ; hâter un refus indiscret.
Sans doute on trame ici quelque dessein secret.
Il faut m’en éclaircir. Hola.
ISMÈNE.
Qu’allez-vous faire ?
Ô Ciel ! entre vos mains, prête à vous satisfaire.
Ne puis-je pas...
ARGÉLIE.
Ma Sœur, vous êtes libre ici.
De ces nouveaux soupçons n’ayez aucun souci.
Ils ne vous touchent point. Vous n’êtes point coupable.
Je le crois ; mais je sais de quoi l’on est capable,
Quand l’amour et l’orgueil ont séduit la raison ;
Et la fourbe chez moi passe pour trahison.
Je sais à qui m’en prendre. Arcas, où sont les Princes ?
ISMÈNE.
Quoi ? Madame, l’honneur, l’appui de vos Province,
Deux Héros...
ARGÉLIE.
Où sont-ils ?
ARCAS.
Ils attendent ici,
Que par votre bonté leur sort soit éclairci ;
Et n’osant pas entrer...
ARGÉLIE.
Allez. Qu’on les saisisse.
ISMÈNE.
Hé ! de grâce, un moment. Un peu plus de justice.
Ils n’ont point mérité cet éclat de courroux ;
Et s’il faut l’avouer...
ARGÉLIE.
Enfin les aimez-vous ?
ISMÈNE.
Hé bien ! je leur ai dit... Ils ont pu vous le dire.
J’aime. Que cet aveu puisse au moins vous suffire !
Laissez-moi de ma flamme étouffer les transports ;
Et ne m’obligez pas à de plus grands efforts.
Pour aimer plus longtemps, l’amour m’est trop funeste ;
Les maux qu’il m’a coûtés me font craindre le reste ;
Et l’effroi que je sens ne se peut plus calmer,
Qu’en cessant dès ce jour ou de vivre, ou d’aimer.
ARGÉLIE.
J’ai peine à concevoir d’où vient tout ce mystère.
Quoi ? de ce qui me plaît, rien ne peut donc vous plaire ?
Et l’objet jusqu’ici le plus cher à vos yeux,
Sitôt que j’ai parlé, vous devient odieux ?
Ma seule volonté fait toute votre peine.
Vous portez votre amour, où je veux votre haine ;
Et de vos passions disposant tour à tour,
Vous portez votre haine, où je veux votre amour.
Ne verra-t-on jamais la fin de vos caprices ?
ISMÈNE.
Mais ne verrai-je point celle de mes supplices ?
Qu’ai-je dit, qu’ai-je fait, qui vous doive irriter ?
Est-ce un crime pour moi que de vous imiter ?
Pourquoi condamnez-vous par cette violence,
Tant d’exemples fameux de votre indifférence ?
Tout l’État tant de fois conjuré contre vous ;
N’a pu vous engager au choix d’aucun Époux,
On vous a vue au pied de ces mêmes murailles
Soutenir vos refus du gain de trois Batailles ;
Et défendre toujours avec pareille ardeur
Les droits du Diadème, et ceux de votre cœur.
Hé quoi ! ne puis-je pas vous ressembler sans crime ?
Madame, un même sang toutes deux nous anime.
Élevée à vos yeux, dès mes plus tendres ans,
Je n’ai dû me régler que sur vos sentiments.
Je l’ai fait jusqu’ici. Je veux encor le faire.
Consentez-y. Pourquoi m’êtes-vous plus sévère,
Qu’aux Peuples ennemis que vous avez domptés ?
Vous n’avez point encor forcé leurs volontés.
La liberté du cœur ne leur est point ravie.
Maîtresse de leur bien, de leur sort, de leur vie,
Prenez sur moi les droits que vous avez sur eux.
Régnez ; mais laissez-moi l’empire de mes vœux ;
Et plutôt qu’à l’hymen aujourd’hui je souscrive,
Souffrez que près de vous...
ARGÉLIE.
Arcas, que l’on me suive.
Madame, je le dis pour la dernière fois,
Sur l’un ou l’autre Prince arrêtez votre choix.
Tous deux séparément viendront ici l’apprendre,
Je vais les envoyer. Songez à les détendre.
C’est contre mes soupçons qu’il faut les appuyer.
C’est votre hymen qui seul peut les justifier,
Et si de votre foi vous vous croyez maîtresse,
Je la suis de leurs jours. Songez-y. Le temps presse ;
Et dans ce jour, malgré tous vos retardements,
Vous aurez un Époux, ou n’aurez plus d’Amants.
ISMÈNE.
Madame.
ARGÉLIE.
Demeurez.
Scène IV
ISMÈNE, DIONE
ISMÈNE.
Hé quoi ? tout m’abandonne ?
La cruelle me suit ? Ils vont mourir, Dione,
Elle a déjà trouvé ces Princes malheureux,
Ils sont en son pouvoir. Cours. Sauve les tous deux.
Sauve Phœnix au moins. Va lui dire... qu’il fuie,
Qu’il ne pense qu’à lui, Dione ; qu’il m’oublie ;
Que je le veux. Sur tout cache-lui ce transport.
Ne dis pas que la Reine a conjuré sa mort.
Prends garde que ses yeux trop puissants sur mon âme,
Au travers de mes soins ne découvrent ma flamme ;
Toi-même ne pénètre un secret si fatal,
Qu’autant qu’il faut pour plaindre, et soulager mon mal.
Va. Cours.
DIONE.
Madame, hélas ! je cours à votre perte.
Puis-je vous obéir, sans être découverte ?
La Reine les observe. À ses yeux, sur ses pas,
Puis-je me faite entendre, et ne vous perdre pas ?
ISMÈNE.
Perds-moi donc. Que m’importe. Il faut que je partage
Les dangers où pour moi leur amour les engage.
Ne me détourne point d’un dessein généreux.
DIONE.
Mais vous ne ferez rien que vous perdre avec eux.
Et leur mort à l’instant de la votre suivie...
ISMÈNE.
Et si je perds Phœnix, que m’importe la vie !
DIONE.
Si vous aimez Phœnix, vivez donc avec lui.
C’est l’unique moyen de finir votre ennui ;
Et puis que son péril fait toute votre peine,
Délivrez l’en, Madame, en perdant Timagène.
ISMÈNE.
Timagène !
DIONE.
Oui, prenant ce Prince pour Époux,
Exposez-le aux rigueurs d’une Reine en courroux,
Le remède est fâcheux ; mais le mal est extrême,
Et le crime est vertu pour sauver ce qu’on aime.
ISMÈNE.
Quel remède, Dione ! ô Dieux ! me connais-tu ?
Quoi de deux cœurs tous pleins d’amour et de vertu,
Dont l’un a ma tendresse, et tous deux mon estime,
Tu prétends que l’un serve à l’autre de victime ?
Et qu’à tous deux, sans fruit, cruelle également,
J’assassine l’Époux, et renonce à l’Amant ?
Non, non, dans mon malheur quelque ennui qui m’accable,
De cette trahison je ne suis point capable.
DIONE.
Mais, Madame, voyez ce que vous hasardez ;
N’en voulant perdre aucun tous deux vous les perdez.
ISMÈNE.
Dures extrémités ! nécessité cruelle !
Qui me fait par vertu devenir criminelle !
Que faire ? Irai-je donc les armes à la main
Accabler sur le Trône un pouvoir inhumain ?
Déchirer sans pitié les flancs de ma Patrie ?
De celle que je blâme égaler la furie ?
Ou contre mes désirs cimenter son bonheur
Du sang, peut-être hélas ! le plus cher à mon cœur !
Non, ne méritons point le sort qui nous opprime ;
Et loin de repousser le crime par le crime,
Portons à nos Aïeux ce sang infortuné
Aussi pur qu’il était quand ils nous l’ont donné,
C’est assez que ma Sœur...
DIONE.
J’aperçois Timagène.
Madame.
ISMÈNE.
Ah ! cachons-lui les desseins de la Reine.
Que lui dirai-je ?
DIONE.
Au moins conservez votre Amant,
Un seul moment vous reste.
ISMÈNE.
Ô funeste moment !
Scène V
ISMÈNE, TIMAGÈNE, DIONE
ISMÈNE.
Prince, je fuis contrainte à me choisir un Maître,
Vous vous tenez heureux du seul espoir de l’être,
Vous le dites au moins ; Se vos désirs pressants
Cent fois à mon orgueil ont donné cet encens.
Mais me connaissez-vous ?
TIMAGÈNE.
Je me connais, Madame,
Je sais le peu d’égard que mérite ma flamme ;
Et des Rois mes Rivaux les Sceptres rebutés,
Ne m’ont que trop instruit du prix de vos beautés
Presqu’inconnu, sorti d’une Race étrangère,
Grand par les seuls bienfaits du feu Roi votre Père,
J’ai trop peu respecté l’orgueil du sang Royal,
Quand j’ai porté mes vœux...
ISMÈNE.
Vous me connaissez mal,
Timagène. Il est vrai que ceux dont je suis née,
Semblent me reprocher ma triste destinée.
Ils étaient sur le Trône, et je crus qu’à mon tour,
Leur sang qui m’animait, m’y placerait un jour.
Mon Père le voulait. Tous les droits de l’aînesse
Allaient en ma faveur céder à se tendresse.
Il mourut ; et je vis entrer dans son cercueil,
Cet inutile espoir qui flattait mon orgueil.
Les brigues de ma Sœur, et mon âge trop tendre,
La mirent seule au Trône où j’aurais pu prétendre.
Je me vis à ses pieds. Avec quelle rigueur
Me fit-elle sentir se nouvelle grandeur ?
Elle appliqua dès lors se haine toute entière
À se venger sur moi des tendresses d’un Père,
Ses soupçons la forçant à mon bannissement,
Elle voulut ailleurs me chercher un Amant.
Pour punir mes refus on a, par mille alarmes,
Contraint depuis mes vœux, mes soupirs et mes larmes,
C’était peu que, sans crime, aux yeux de l’Univers,
Une Sœur m’eut réduite à la honte des fers,
À tous ceux qui s’étaient attiré mon estime,
La pitié de mon sort a tenu lieu de crime ;
Et l’on a vu tomber sous le fer des Bourreaux
Tous ceux qu’on a jugez trop touchez de mes maux.
Voilà quelle je suis, Prince, voilà ma vie.
Ce grand amas d’honneurs, ce sort digne d’envie,
Ce bonheur, qui partout vous a favorisé,
Contre ce triste écueil sera bientôt brisé ;
Et déplorant alors votre propre victoire...
TIMAGÈNE.
Ah ! c’est sur cet espoir que j’établis ma gloire,
Amant trop fortuné, si le titre d’Époux
Me coûtait un bonheur que je perdrais pour vous,
Ma naissance à la votre étant trop inégale,
Mon mérite ne peut en remplir l’intervalle ;
Mais la Reine entre nous partageant ses rigueurs,
Je vous égalerais au moins par mes malheurs ;
Et mon bras animé par cette ressemblance,
Vous vengerait des coups...
ISMÈNE.
Inutile vengeance !
Non, par ce long récit des mépris d’une Sœur,
Je n’ai point prétendu me chercher un vengeur.
Ne m’assurez-vous pas qu’elle a calmé sa haine ?
Que craindrais-je ? Elle peut cesser d’être inhumaine ;
Elle peut n’être point contraire à vos amours ;
Mais je suis malheureuse, et le serai toujours.
Si vous pouviez, Seigneur...
TIMAGÈNE.
Quoi ? Madame, de grâce,
Expliquez-vous. Parlez. Que faut-il que je fasse ?
Faut-il que tout mon sang, pour preuve de ma foi...
ISMÈNE.
Si vous pouviez, Seigneur, ne m’aimer plus...
TIMAGÈNE.
Qui ? moi ?
Moi ne vous plus aimer ? ô Ciel ! hé bien ? Madame
À ces mots j’aperçois le malheur de ma flamme.
Vos regards à mes yeux parlent de vos refus.
Enfin Phœnix l’emporte, et je n’en doute plus.
On me l’avait bien dit ; et la Reine elle-même...
ISMÈNE.
Phœnix ? La Reine, ô Dieux, vous a dit que je l’aime ?
Ah ! si l’un de vous deux a mérité ma foi,
Il faut vous l’avouer, Seigneur, c’est vous.
TIMAGÈNE.
C’est moi ?
Adorable Princesse.
ISMÈNE.
Oui, c’est vous, Timagène,
Ne tardez point. Allez désabuser la Reine.
TIMAGÈNE.
Mon bonheur...
ISMÈNE.
Épargnez ces discours superflus,
Voyez la Reine.
TIMAGÈNE.
Au moins...
ISMÈNE.
Ne me répondez plus.
TIMAGÈNE, en sortant.
Il suffit. J’obéis.
ISMÈNE.
Qu’avons-nous fait, Dione ?
Il court vers ses Bourreaux, et c’est moi qui l’ordonne.
Mais, Phœnix... Ah ! fuyons, Dione, je le voi.
Scène VI
ISMÈNE, PHŒNIX, CLÉON, DIONE
ISMÈNE.
Seigneur, par tout l’amour que vous eûtes pour moi,
Ne me voyez jamais. Adieu.
PHŒNIX.
Que me dit-elle ?
Ne me voyez jamais ! Elle fuit, l’infidèle !
Mon Rival sort content ! Ô Dieux ! suivons leurs pas.
Cléon, à ce revers je ne me connais pas.
ACTE III
Scène première
PHŒNIX, CLÉON
PHŒNIX.
Non, Cléon, c’est en vain que ton zèle me flatte.
Je n’en puis plus douter. Ismène est une ingrate,
Elle a fixé ce choix si longtemps suspendu.
Timagène triomphe ; et Phœnix est perdu.
Mon Rival est heureux, J’ai vu sur son visage
La cause de sa joie, et celle de ma rage.
N’osant m’en rapporter à sa for de mes yeux,
En vain je l’ai suivi pour m’en instruire mieux.
Il a fui devant moi ; soit que cette âme vaine
Ait voulu plus longtemps s’applaudir de ma peine ;
Soit qu’il n’ait pas osé, malgré se vanité,
M’avouer un bonheur qu’il n’a pas mérité ;
Car enfin de quels droits appuyant sa tendresse,
A-t-il pu m’enlever le cœur de ma Princesse ?
Je l’aimais avant lui. Mes services, mes soins,
Cléon, n’ont eu longtemps que ses yeux pour témoins.
Les miens assujettis au pouvoir de leurs charmes,
Avant lui, leur faisaient un tribut de mes larmes.
Il le sait ; et peut-être a-t-il appris de moi
L’art de s’en faire aimer au mépris de ma foi.
Mais dis-moi, de son cœur banni sans espérance,
Serai-je pour jamais banni de sa présence ?
Ne la verrai-je plus ?
CLÉON.
Vous la verrez, Seigneur.
PHŒNIX.
S’est-elle jusque-là contrainte en ma faveur,
La cruelle ? Mais vois toute son injustice.
Elle veut consommer se haine, et mon supplice.
Je lis dans sa pensée. Elle cherche à me voir,
Pour jouir de son crime, et de mon désespoir,
Elle fuyait tantôt, pour cacher à ma vue
Le trouble de ses yeux qui l’aurait convaincue.
Pour me justifier ses injustes rigueurs,
Il fallait à loisir préparer des froideurs :
Il fallait se munir de raisons, et de feintes,
Pour braver ma douleur, en repoussant mes plaintes,
Elle l’a fait. Hé bien ! quels que soient ses desseins,
Je veux l’attendre, et voir jusqu’où vont ses dédains.
CLÉON.
Ah ! ne la croyez pas capable d’imposture,
Seigneur, à sa vertu vos soupçons font injure.
J’ai suivi la Princesse, et plein de ses douleurs
J’ai fait de vains efforts pour retenir mes pleurs,
Dans son Appartement elle s’est retirée,
Où d’à bord je l’ai vue interdite, égarée,
Et portant sur son front l’image du trépas,
Se jeter sur Dione, et pâmer dans ses bras.
PHŒNIX.
Ah ! Cléon.
CLÉON.
Par nos soins à la fin soulagée,
Dans ses premiers chagrins elle s’est replongée ;
Et comme elle jetait les yeux de toutes parts,
Je me suis rencontré sous ses premiers regards.
Elle m’a reconnu. L’excès de se faiblesse
N’a pu nous déguiser celui de se tendresse ;
Et de profonds soupirs ont fait connaître à tous,
Seigneur, qu’en me voyant elle pensait à vous.
J’allais dans cet instant lui peindre votre peine,
Quand elle m’a quitté pour passer chez la Reine ;
Mais Dione sensible à votre désespoir,
Obtiendra qu’en ces Lieux elle puisse vous voir.
Elle me l’a promis.
PHŒNIX.
Inutile remède !
Au bonheur d’un Rival tout conspire, tout cède ;
On méprise pour lui trois Sceptres à la fois ;
Pour lui dans les Prisons on rebute les Rois,
Et moi, dont la tendresse égale la constance,
Je n’aurai que des pleurs pour toute récompense ?
Que d’inutiles pleurs, dont les cœurs inconstants,
Cléon, sont à leur gré prodigues en tout temps ?
Non, non, je ne suis point l’objet de ses alarmes ;
Et je n’ai point causé ses soupirs, et ses larmes,
L’image de mes soins si mal récompensés,
Sa honte, ses remords, enfin les ont causés.
Mais pour venger le tort qu’elle fait à ma flamme,
Ajoutons quelque pointe aux douleurs de son âme.
Exilé de son cœur, occupons-le à demi,
Si ce n’est comme Amant, du moins comme Ennemi.
Elle vient. Voyons-la, Méritons se colère,
Elle offre à mon dépit de quoi se satisfaire ;
Sans doute ses mépris causeront mon trépas ;
Mais j’aurai le plaisir de braver ses appas.
Quoi qu’il en soit enfin, il faut que je la voie.
D’elle, et de mon Rival, je troublerai la joie ;
Et ce sera toujours une douceur pour moi,
D’empoisonner un bien que l’on vole à ma foi.
CLÉON.
Quoi donc ? cette amitié depuis trois ans formée,
Et par tant de serments si souvent confirmée,
S’évanouit, Seigneur, en ces tristes moments ?
PHŒNIX.
Et depuis quand l’Amour s’en tient-il aux serments ?
Cependant ne crains pas, quelle que soit ma peine,
Que je veuille jamais m’en prendre à Timagène,
Sa vertu, ses exploits, me le font estimer.
La foi de mes serments me contraint de l’aimer.
Je l’ai promis, Cléon, je tiendrai ma parole.
Qu’il jouisse en repos du bonheur qu’il me vole.
Si m’ôtant ma Princesse, il me rend malheureux,
Il me l’a disputée en Rival généreux.
Il n’a mis en usage aucune indigne feinte.
Il adorait Ismène, et le disait sans crainte ;
Son amour paraissait dans tous nos entretiens ;
Ses feux se sont trouvés plus heureux que les miens ;
Et s’il faut qu’en ce jour mon désespoir éclate,
Ce n’est pas contre lui ; c’est contre mon Ingrate.
Conte depuis le temps que soumis à ses Lois,
Je lui vouai mon cœur pour la première fois ;
Par combien de moyens indignes de sa gloire,
A-t-elle jusqu’ici joui de sa victoire,
Cléon ? et par combien d’artifices divers,
M’a-t-elle su contraindre à languir dans ses fers ?
Hélas ! si mon amour lui tenait lieu d’offense,
Que ne m’imposait-elle un éternel silence ?
Que ne me disait-elle ? Amant infortuné,
N’attaque pas un cœur qu’on a déjà donné.
D’elle, et de son Amant, Ministre trop fidèle,
Je n’aurais point nourri leur ardeur mutuelle ;
Ni pour rendre un Rival à mes dépens heureux,
Si longtemps servi d’ombre à l’éclat de leurs feux.
Insensible témoin de ses vaines alarmes,
Je n’aurais point séché tant d’inutiles larmes.
Elles étaient, Cléon, ces marques de sa foi,
Toutes pour Timagène, et pas une pour moi.
Malheureux, où t’emporte un injuste caprice ?
Connais-tu la Princesse ? et lui rends-tu justice ?
Elle ne t’aimait pas, As-tu pu mériter
L’effort qu’elle s’est fait pour t’en laisser douter ?
Elle et haïssait peut-être. En quelle gêne
A-t-elle mis son cœur pour combattre sa haine ?
Elle pouvait d’abord la montrer à tes yeux ;
Te forcer à la fuir ; te bannir de ces Lieux ;
Te faire un digne objet de se juste colère ;
Ingrat, l’a-t-elle fait ? Elle pouvait le faire.
Hélas ! elle a souffert trois ans en ta faveur,
Que ton Rival aimé doutât de son bonheur.
Trois ans pour ton repos tyrannisent sa flamme,
Elle t’a prodigué la moitié de son âme.
Elle a fait plus, cruel, et si tu perds sa foi,
Meurs après cette perte, et ne t’en prends qu’à toi.
Oui, Cléon, j’ai moi-même, en ce jour déplorable,
Arraché de ses mains la foudre qui m’accable,
À ses cruels mépris j’ai voulu m’immoler ;
Elle voulait se taire, et je l’ai fait parler.
Hé bien, Cléon, fuyons la présence d’Ismène.
Des coups dont je me plains, je dois porter la peine.
J’en suis l’auteur. Mourons. Il le faut. Mais au moins
Que ses yeux de ma mort ne soient pas les témoins.
Mes hommages soufferts, avec tant d’indulgence,
Assez et trop longtemps leur ont fait violence.
Ne les affligeons point par tout ce qu’a d’affreux
Le spectacle sanglant d’un trépas rigoureux ;
Et souhaitons plutôt, en sortant de la vie,
Qu’elle ignore ma mort, enfin qu’elle m’oublie,
Allons.
CLÉON.
Ismène sort, Seigneur.
PHŒNIX.
Où courons-nous ?
Cléon, s’il faut mourir, mourons à ses genoux.
Scène II
ISMÈNE, PHŒNIX, CLÉON, DIONE
ISMÈNE.
Je ne puis lui parler, Dione, va lui dire,
Qu’à l’instant...
PHŒNIX.
Ah ! vous-même exercez votre empire,
Mon cœur plus que jamais soumis à vos appas,
Attend de votre main le coup de son trépas.
Ne le différez plus. En vain mille présages
M’offront de mon malheur les funestes images ;
Quels que soient mes destins plus cruels, ou plus doux,
Je n’en reconnais point d’autre Arbitre que vous.
ISMÈNE.
Seigneur, et vous et moi, nous en avons un autre.
L’Amour a disposé de mon sort et du votre.
C’est à nous d’obéir.
PHŒNIX.
Trop inégale Loi ?
Qu’elle est douce pour vous ; qu’elle est dure pour moi !
Mais l’Amour qui l’a faite, et qui vous la suggère,
Ne me promettait pas de m’être si sévère.
J’ai crû le voir souvent nie parler dans vos yeux
D’un air, dont mon Rival paraissait envieux.
Cependant...
ISMÈNE.
S’il vous reste un peu de complaisance,
Ajoutez un effort à votre obéissance.
Je l’attends. Je le veux. En un mot, dès ce jour
Évitez ma présence, et sortez de la Cour.
PHŒNIX.
Vous voulez...
ISMÈNE.
Oui, je veux qu’une prompte retraite
Me cache les ennuis, où mon refus vous jette.
PHŒNIX.
Mais, Madame...
ISMÈNE.
Je sais que l’ordre est rigoureux :
Je sais qu’après avoir désespéré vos feux,
Il faudrait dans l’éclat des bienfaits de la Reine,
Vous laisser à loisir oublier votre peine.
Et je vous en dépouille ! Et ce sera pour moi
Que vous serez errant, sans gloire, sans emploi,
Exilé d’une Cour où chacun vous honore ;
Mais vous m’avez aimée ; et vous m’aimez encore.
Au nom de cet amour...
PHŒNIX.
Pourquoi dissimuler ?
Ma Princesse, je vois ce qui doit m’exiler.
Vous le cachez en vain. Quand votre hymen s’avance,
D’un Amant méprisé le chagrin vous offense ;
Et vous ne pouvez plus souffrir auprès de vous
Le malheureux Rival de votre heureux Époux,
Hélas ! quand je pourrais traverser votre joie,
Ma gloire et mon respect m’en fermeraient la voie.
Je les consulte plus que mon ressentiment ;
Et quoi qu’Amant trahi, je suis toujours Amant.
Ne vous alarmez pas. Contre ma violence
Vous même à mon Rival vous servez de défense.
Pour oser l’attaquer il est trop près de vous ;
Et votre hymen le met à couvert de mes coups.
Trop fidèle témoin du bonheur de se vie,
Je me contenterai de lui porter envie.
Mais loin de me bannir, pour plaire à votre Époux
Laissez jouir ses yeux d’un spectacle si doux.
Ne lui dérobez point se plus sensible gloire ;
L’image de mes maux ennoblit sa victoire ;
Et le voyant en paix maître de vos appas,
L’image de se joie avance mon trépas.
ISMÈNE.
Ah ! Phœnix !
PHŒNIX.
Que vos yeux lui gardent tous leurs charmes ?
Ne les corrompra point par ces injustes larmes
C’est trop les prodiguer. Votre hymen, mes serments,
L’ont trop mis à couvert de mes ressentiments,
Il peut...
ISMÈNE.
Connaissez mieux la cause de ma peine.
Ces larmes sont pour vous ; et enfin pour Timagène ;
Pour vous seul. Un Rival charmé de son bonheur,
Ne vous enviera point cette vaine douceur.
Mon estime pour vous lui doit être connue ;
S’il a reçu fa soi, ma pitié vous est due.
Par cet endroit du moins vous possédez mon cœur ;
Et dans le temps qu’un autre en croie être vainqueur,
Me dérober des pleurs, et me les voit répandre,
N’est pas le posséder par l’endroit le moins tendre.
Mais de ce triste cœur n’exigez rien de plus,
Phœnix, et que ces pleurs ne soient pas superflus.
Sans être plus longtemps témoin de mes alarmes...
PHŒNIX.
J’allais vous obéir, sans ces flatteuses larmes.
Mon désespoir au motus allait finir mon sort.
Me dire de vous fuir, c’est me donner la mort ;
Me le dire en pleurant, c’est me rendre la vie ;
C’est de vous obéir, m’ôter toute l’envie.
Vos pleurs en m’éloignant, me rappellent vers vous ;
Et pour fuir, j’ai besoin de tout votre courroux.
Cependant, belle Ismène, empêchez qu’il n’éclate ;
Ne m’ôtez pas un bien dont ma douleur se flatte.
Plaignez-moi. Mes désirs ne sont pas si cruels,
Que de vous condamner à des pleurs éternels,
Le souvenir de ceux que je vous vois répandre,
De ma propre fureur pourra bien me défendre :
Mais pour entretenir ce souvenir confus,
Laissez-moi près des yeux qui les ont répandus.
Il me sera bien doux, en voyant ce que j’aime,
De me dire tout bas, pour me tromper moi-même ;
Ne plains plus ton malheur, Amant trop indiscret,
Il a tiré des pleurs des beaux yeux qui l’ont sait.
ISMÈNE.
Seigneur, moins de tendresse, et plus d’obéissance.
Mes picots de mon secret tous disent l’importance :
Mais sans l’approfondir, obéissez, partez.
Montrez en me fuyant, que vous les méritez.
Qu’à mes désirs enfin votre vertu réponde ?
Ou bien...
PHŒNIX.
Dites-moi donc en quel endroit du Monde
Je dois aller cacher le reste de mes jours,
Dont vos cruels dédains ont abrégé le cours ?
Irai-je à Sparte, en Crète, à Mycènes, en Épire ?
Hélas ! pour vous en vain tout l’Univers soupire !
Partout on sait l’espoir que vous m’aviez permis ;
Et partout vos beaux yeux m’ont fait des ennemis.
Ces Rois dont j’ai trois ans intimidé la flamme,
À qui je dérobais la moitié de votre âme,
De ma témérité justement indignés,
Sur qui vengeront-ils leurs Trônes dédaignés ?
Mais je redoute peu les effets de leur rage.
La gloire à ces combats a formé mon courage :
La honte de me voir en butte à leurs mépris,
Seule contre vos Lois révolte mes esprits,
Voulez-vous que rampant dans une foule obscure.
J’aille de leurs Flatteurs exciter le murmure ?
Et par le triste aspect de mes vœux rebutés,
Les venger des chagrins que je leur ai coûtés ?
Souffrez-moi dans ces Lieux. La haine, ni l’envie,
N’y tyrannisent point ma déplorable vie.
Je vois mes Ennemis à mes pieds terrassés,
Pas un...
ISMÈNE.
Je reste encor Phœnix, et c’est assez,
De la Reine, il est vrai, vous ne sauriez vous plaindre,
Près d’elle se faveur vous défend de rien craindre.
Avec vous Timagène est lié d’amitié ;
Mais craignez tout de moi, jusques à ma pitié.
En vain de tous ces Rois votre âme se défie ;
Plus que tous vos Rivaux je suis votre ennemie.
Vous les fuyez avant qu’avoir senti leurs coups ;
Fuyez-moi ; vous avez éprouvé mon courroux,
Contre vous aujourd’hui je me suis déclarée ;
Je rebute la foi que vous m’aviez jurée ;
J’éteins après trois ans, qu’on me l’a vu nourrir,
Un feu, qui méritait de ne jamais mourir.
Je tâche à tous les yeux d’en dérober les traces ;
Je joins, pour vous bannir, les larmes aux menaces.
Je sais plus. Je n’entends votre nom qu’à regret ;
Tout ce qu’on dit de vous m’est un tourment secret ;
Je vous sais mauvais gré de m’être encor fidèle,
Je voudrais oublier tout ce que votre zèle
Vous fit jamais oser pour mériter ma foi ;
Et que tout l’Univers l’oubliât avec moi.
J’ose même à vos yeux vanter mon injustice.
Je la vois. Mais enfin vous êtes mon supplice.
Allez noircir ma gloire au bout de l’Univers ;
Vengez-vous de l’affront d’avoir porté mes fers.
Publiez que je sois infidèle, et parjure :
À ce juste reproche ajoutez l’imposture.
Pourvu que vous fuyiez, tout vous sera permis :
Mais fuyez.
PHŒNIX.
Oui, Phœnix vous est encor soumis.
Ces larmes, ces soupirs, cet effort de tendresse,
Cet éclat de courroux n’est point ce qui me preste.
Je connais mon devoir ; je ne puis le trahit ;
Et mon destin, Madame, est de vous obéir.
Je veux croire avec vous mon exil légitime.
Je n’examine point quel peut être mon crime ;
Pour voir contre moi seul tout l’Univers armé,
C’en est un assez grand de n’être point aimé.
Encor votre courroux n’est-il que trop modeste ;
Vous m’ôtez mes emplois ; vous me laissez le reste :
Vous ne demandez point ma liberté, mon sang :
Mais je sais quel hommage on doit à votre rang,
J’ai perdu votre amour, votre foi, votre vue ;
Enfin j’ai tout perdu, quand je vous ai perdue.
Tout autres biens pour moi sont des biens superflus :
Vous le voulez. Adieu. Vous ne me verrez plus.
Scène III
ISMÈNE, DIONE
DIONE.
Je ne sais que penser de l’air dont il vous quitte,
Madame : mais pourquoi l’obliger à la fuite ?
N’eut-il pas été mieux qu’aux yeux de cette Cour
Il eut appris de vous à vaincre son amour ?
ISMÈNE.
Aux yeux de cette Cour ? aux yeux d’une inhumaine.
Qui l’unirait peut-être au sort de Timagène ?
Phœnix m’aime, Dione, et quand on aime bien,
Peut-on voir ce qu’on aime, et n’en témoigner rien ?
Non, qu’il parte tandis que la Reine l’ignore ;
Ses yeux découvriraient le feu qui le dévore ;
Les miens même à la fin trahiraient mon secret.
Qu’il parte. Tu le vois, je l’ordonne à regret.
Mais il faut le sauver. Inutile espérance !
Si Phœnix de la Reine a fui la violence.
Ne crains-je point la sienne ? et puis-je sur sa foi
Répondre de ses jours qu’il n’aime que pour moi ?
Je l’ai trahi. Quel soin prendra-t-il de sa vie ?
Ah ! fui ses pas. Dis-lui qu’il vive ; mais qu’il fuie,
Pour lui mieux inspirer quelque soin de ses jours,
De tout ce que je sens anime tes discours.
La pitié, le devoir, m’appellent chez la Reine.
J’y cours pour empêcher la mort de Timagène ;
Et s’il faut qu’il succombe à ses injustes coups,
En faveur de l’Amant, je meurs avec l’Époux.
ACTE IV
Scène première
ARGÉLIE, ARCAS
ARCAS.
Madame, tout est prêt. Une Troupe choisie,
De cet Appartement empêche la sortie.
Une autre en même temps, dans le Salon prochain,
Attend le Criminel, le poignard à la main.
Qui que ce soit, croyez que se mort est certaine.
Je leur ai contre lui trop inspiré de haine.
Pour les mieux animer, je l’ai peint à leurs yeux
De tout ce que le crime a de plus odieux.
Sans s’informer du nom, j’ai vu soudain leur zèle
S’armer à ce récit d’une fureur nouvelle ;
Et jamais...
ARGÉLIE.
Achevez ; et prenez dès ce jour
Le rang que Timagène occupait dans ma Cour.
En l’état où le va mettre son hyménée,
Il sera peu jaloux de votre destinée ;
Mais où sont nos Amants ?
ARCAS.
Ils sont ici tous deux,
Pour savoir quel moment couronnera leurs vœux.
ARGÉLIE.
Envoyez Timagène, et gardez la Princesse.
Scène II
ARGÉLIE seule
Toi, ne me parle plus, inutile tendresse
Faux égards, ennemis du repos de mes jours,
Dont ma raison séduite implore le secours,
Retirez-vous. Cédez à ma juste vengeance.
De ma timidité ma colère s’offense.
Punissons sans pitié ; haïssons sans retour ;
Et bravons aujourd’hui la Nature et l’Amour.
Scène III
ARGÉLIE, TIMAGÈNE
ARGÉLIE.
Timagène, il est temps que votre joie éclate.
Je ne veux point qu’ici le respect la combatte,
L’état où je vous vois, répond à mes désirs ;
Et je ne prétends point contraindre vos plaisirs.
Mais parmi tant de joie, avouez-le, sans feinte,
Ne vous sentez-vous point saisi de quelque crainte ?
Quand d’Ismène à vos vœux j’offre tous les appas,
Quelque secret remords ne vous trouble-t-il pas ?
Et recevant son cœur en échange du votre,
Parlez, n’êtes-vous point coupable envers quelque autre.
TIMAGÈNE.
Moi, j’oserais, ô Ciel ; sans honneur, et sans foi,
Lui présenter un cœur, qui ne fut plus à moi ?
Ah ! ne me faites point un si cruel outrage,
Madame, ma constance est mon seul avantage.
Je le jure à vos yeux, aux yeux de l’Univers,
Je serais libre encor sans ses aimables fers.
Fier d’avoir dédaigné les Beautés de la Grèce,
Je commençai près d’elle à sentir ma faiblesse.
J’appris en lui cédant, sans avoir combattu,
Ce que peut la Beauté qu’anime la Vertu ;
Et j’ai vécu depuis dans une paix profonde,
Sans yeux, comme sans cœur, pour le reste du monde,
Mais, Madame, quelqu’un a-t-il noirci ma foi ?
Quelqu’un m’accuse-t-il ?
ARGÉLIE.
Oui, perfide, et c’est moi.
TIMAGÈNE.
Vous, Madame ?
ARGÉLIE.
C’est moi, qui trois ans abusée,
Veux venger aujourd’hui ma flamme méprisée.
Je t’aime, j’en rougis. Je fais tort à mon rang ;
Mais j’en saurai laver la honte dans ton sang.
Tu ne jouiras pas longtemps de ta victoire ;
Et ta mort à l’instant va réparer ma gloire.
TIMAGÈNE.
Vous m’aimez ? Est-il temps de me le déclarer ?
Hélas ! pouvais-je...
ARGÉLIE.
Hé quoi ? pouvais-tu l’ignorer,
Ingrat ? Pour triompher de ton indifférence,
Ai-je rien oublié ? J’ai gardé le silence.
Il est vrai ; mais dis-moi, tant de boutés, de soins,
Étaient-ils de mon feu de trop faibles témoins ?
Lorsque je t’approchais si près de ma personne,
Que je te confiais ma vie, et ma Couronne,
De ce Trône où mes dons te semblaient inviter.
Ne te donnais-je pas la main pour y monter ?
Il ne tenait qu’à toi de me donner la tienne.
Pour te désespérer, je veux qu’il t’en souvienne,
Lâche, tu régnerais. Mais que prétendais-tu ?
Que pour toi démentant un reste de vertu,
J’allasse à tes rebuts exposer ma faiblesse ?
Et qu’au prix de ma gloire achetant ta tendresse,
Quand tu ne daignais pas t’élever jusqu’à moi,
Le poids de mon amour m’abaissât jusqu’à toi ?
Non, non, tu t’abusais. C’est aux faibles courages,
D’offrir à leurs Amants de serviles hommages.
Les Reines ont horreur d’un commerce si bas ;
Et qui demande un cœur, ne le mérite pas.
Tu changes de visage ; et ce cœur inflexible
Au péril de la mort devient enfin sensible.
Crois-tu qu’à tes soupirs ma colère ait égard ?
TIMAGÈNE.
Non. Mais à ces soupirs vous n’avez point de part ;
Et vos rigueurs sur moi n’auront point l’avantage,
D’avoir avant ma vie étouffe mon courage,
Je le vois trop. Je perds, refusant votre main,
Et la vie, et l’éclat du pouvoir souverain.
Mais ces fragiles biens flattent peu mon envie ;
J’appris en vous servant à mépriser la vie.
J’apprends en vous voyant à mépriser l’honneur
D’un rang, où vous avez attaché tant d’horreur.
Ne me reprochez point qu’à vos désirs contraire,
Jusqu’ici je n’ai pris aucun soin de vous plaire ;
Ce n’est pas aux bienfaits qu’on se laisse charmer ;
Et lors que tout vous hait, je ne puis vous aimer.
Le sang, que sur le Trône on vous a vu répandre,
Me le rend odieux, me défend d’y prétendre ;
Et s’il me faut tomber sous vos injustes coups,
Je l’aime mieux que vivre, et régner avec vous.
Je l’avouerai pourtant. Malgré vos injustices,
Je ne me repens point de mes heureux services,
Je ne plains point mon sang tant de fois répandu ;
À l’État plus qu’à vous, tout ce sang était du.
Vos desseins criminels n’ont point souillé ma gloire ;
Et quand à mes périls j’achetais la victoire,
J’espérais que mon bras soutenant votre État,
Ce Sceptre où vos Aïeux avaient joint tant d’éclat,
Où vos mains imprimaient tant de taches sanglantes,
Remplirait après vous des mains plus innocentes ;
Et que vos Successeurs me sauraient quelque gré
Du pouvoir que mon bras leur aurait assuré.
ARGÉLIE.
Qui te retient ? Pour lui. La fureur qui t’emporte
Me fait voir que tu sens les coups que je te porte,
C’est ce que je prétends, et j’en perdrais le fruit,
S’ils t’accablaient, perfide, avecque moins de bruit.
Mais quels sont les forfaits, lâche, que tu m’impose ?
Quels meurtres ai-je faits ? Conte-les, si tu l’oses.
Procuste, Erix, Acaste, Eumène, et Léontin,
Cinq rebelles, jaloux de mon cœur, de ma main,
Dignes de l’un et l’autre, et plus que toi peut-être,
Sont ceux que j’ai punis pour t’en faire le maître,
Ma bonté cependant, que ta froideur lassait,
T’a montré le chemin que leur sang t’y traçait,
À tout autre qu’à toi ma puissance funeste
A déchiré l’État, pour t’en laisser le reste.
S’il n’a plus de Héros, c’est pour tes intérêts ;
Et je et dois punit des crimes que j’ai faits.
Si mon Trône à ce prix et semble illégitime,
Laisse-le : mais rends-moi ma vertu, mon estime,
Mes Sujets, tant de sang que j’ai versé pour toi.
TIMAGÈNE.
Tout mon sang est à vous ; mais mon cœur est à moi.
J’en fais à ma Princesse un nouveau sacrifice.
Cherchez pour m’en punir quelque nouveau supplice.
Vos yeux, tous fiers qu’ils sont, en vont être jaloux,
On m’aime, et c’est assez pour me venger de vous,
Achevez, et portez à cette triste Amante
D’un Amant égorge la tête encor sanglante.
Pour prix de tout l’ennui que je vous ai coûté,
J’attends cette faveur de votre cruauté.
Vous jouirez des pleurs que vous ferez répandre ;
Mais elle jouira d’une douceur plus tendre,
Elle verra du moins que même après ma mort,
Pour s’ouvrir près des siens, mes yeux feront effort,
Que son aimable nom m’aura fermé la bouche ;
Que le mal qu’elle endure est le seul qui me touche ;
Et que l’horreur de ceux qu’on m’aura fait sentir,
N’aura pu m’arracher le moindre repentir.
ARGÉLIE.
Quoi ? sourd à mes boutés, sensible à ma menace,
Tu crois qu’un repentir peut mériter ta grâce ?
Et qu’écoutant l’Amour qui me parle pour toi,
Mon courroux s’apaisât par l’offre de ta foi ?
Non, cruel, ç’en est fait. Tien-toi sûr de ta peine,
L’aveu de mon amour et répond de ma haine.
Je me suis résolue à l’un et l’autre effort.
je t’aime, et ce mot seul est l’Arrêt de ta mort.
Reconnais, à ce mot, quels coups on te destine,
Ce n’est point ton Rival, dont la main t’assassine,
C’est la mienne ; et mes yeux pleureraient ton trépas,
Si mourant par mes coups, tu ne le savais pas.
Va, meurs, Hola. Suivez-le. Amenez la Princesse,
Clytie.
TIMAGÈNE.
Hélas ! Madame, épargnez sa faiblesse,
C’est assez.
ARGÉLIE.
Va, te dis-je, et ne m’oblige pas
À l’envoyer mourir, malgré moi, sur tes pas.
Mais sans tremper nos mains au sang d’une Rebelle,
Forçons son désespoir à nous délivrer d’elle ;
Et déguisant l’excès d’une juste fureur,
Cherchons quelque autre voie à lui percer le cœur.
Scène IV
ARGÉLIE, ISMÈNE
ARGÉLIE.
Enfin je reconnais qu’une Cour étrangère
N’a pas autant d’éclat qu’il en faut pour vous plaire.
Mais quand le cœur enflé de cc frivole espoir,
Qu’un Père injustement vous laissa concevoir,
Vous gagnez par l’éclat de vos charmes rebelles
Tout ce qui me restait de Sujets plus fidèles,
Qu’aujourd’hui votre choix m’ôte l’appui d’un bras,
Dont la valeur peut seule ébranler mes États ;
Qu’avec lui vous m’ôtez le secours d’une Armée,
Qu’à son commandement j’ai trop accoutumée ;
Quand vous séduisez tout dans ma Cour, à mes yeux,
Vous ne vous datez pas de régner en ces Lieux ?
Et quand vous m’attaquez avec mes propres armes,
Il faudra m’endormir sur la foi de vos larmes ?
Madame, c’est en vain que nous dissimulons,
Il est temps...
ISMÈNE.
Quoi ? toujours sur de nouveaux soupçons,
Vous voulez...
ARGÉLIE.
Apprenez que votre fourbe est vaine ;
Que j’ai les yeux perçants ; que je tiens Timagène ;
Que je règne ; en un mot, que je vais me venger ;
Et que rien contre moi ne peut vous protéger.
ISMÈNE.
Me protéger, Madame ? et quelle autre Puissance
Voudrait contre la vôtre embrasser ma défense ?
Cet appui de l’État, ce redoutable Époux,
Vous le perdez, hélas ! tout se tait devant vous.
Voit-on à ton secours accourir votre Armée ?
Votre Cour de son sort paraît-elle alarmée ?
D’autres yeux que les miens pleurent-ils son trépas ?
Il vivait, il expire, et l’on n’y songe pas.
Si quelque autre Ennemi m’avait persécutée,
Madame, dans vos bras je me serais jetée.
Mais si vous vous plaisez à me laisser souffrir,
D’où pourrais-je espérer qu’on me vînt secourir ?
Dans les extrémités où vous m’avez réduite,
Je n’ai pas même usé du secours de la fuite.
Je le pouvais. Je fais justice à vos rigueurs.
Je me crois, en souffrant, digne de mes douleurs.
Je sais que l’amitié dont m’honorait un Père,
Vous fit craindre à vos droits quelque dessein contraire ;
Et qu’en tous les États, par un ordre cruel,
Qui peut se faire craindre, est toujours criminel,
Nul de mes maux n’a pu m’arracher une plainte ;
Mais un grand cœur peut-il se résoudre à la feinte ?
Deviez vous sous l’appas d’un pardon affecté
Tendre un piège funeste à ma crédulité ?
Hélas ! si de nos feux vous aviez quelque ombrage,
Fallait-il si longtemps laisser grossir l’orage ?
Que ne condamniez-vous cet amour indiscret,
Au moment que vos yeux percèrent mon secret ?
Aussitôt à vos pieds, prévenant la tempête,
L’Amante et les Amants auraient porté leur tête.
Vous vous seriez vengée. Un sincère courroux
Eut rendu notre mort moins indigne de vous.
Aucun déguisement n’eut souillé vôtre gloire.
Vous n’eussiez du qu’à vous votre propre victoire ;
Et pour assassiner un malheureux Époux,
Mon choix n’eut point ouvert le passage à vos coups,
Ah ! c’en est fait. Les cris dont ces Lieux retentissent,
Votre joie, et vos yeux, de sa mort m’avertissent.
Je n’en puis plus douter. Hé bien ! n’attendez pas
Que j’appelle la foudre à venger son trépas ;
Non, Madame, vivez. Jouissez de vos crimes.
De votre sûreté faites-nous les victimes.
Je le veux. Seulement pour venger mon amour,
Fassent les justes Dieux que vous aimiez un jour !
Et que d’un pareil feu la triste expérience
Vous apprenne l’excès de votre violence !
Je ne veux point...
ARGÉLIE.
Et moi, pour braver tes souhaits,
Je veux qu’on te haïsse autant que je te hais.
Je cherche un cœur outré de ta lâche injustice,
Dont la haine à jamais à la mienne s’unisse.
Je sais qu’au prix d’un Trône, il me faut l’acheter :
Mais je prodigue tout, pour et persécuter.
C’est Phœnix, je l’épouse, à tes yeux.
ISMÈNE.
Lui, Madame ?
ARGÉLIE.
Te reste-t-il encor quelque droit sot son âme ?
Tu frémis à ce nom ? Superbe, je le voi.
L’objet de tes mépris va devenir ton Roi.
Tu crains que le dépit d’avoir porté tes chaînes,
N’anime sa vengeance à redoubler tes peines.
Tu ne et trompes point. Va ramper à ses pieds.
Va montrer à ses yeux les tiens humiliés.
Scène V
ARGÉLIE, ISMÈNE, PHŒNIX, ARCAS, CLYTIE, GARDES
ARGÉLIE.
Hé bien ! du Criminel m’apporte-t-on la tête ?
ARCAS.
Ah ! Madame.
PHŒNIX.
Achevez. La mienne est toute prête,
Lâches.
ARGÉLIE.
Que vois-je ?
ISMÈNE.
Ô Dieux !
ARGÉLIE.
Phœnix, en quel état...
Mais, Arcas, par quel ordre, ou par quel attentat,
Traiter ainsi...
ARCAS.
Lui-même a sauvé Timagène.
ARGÉLIE.
Timagène !
PHŒNIX.
Oui, mon bras l’arrache à votre haine ;
On sait quel intérêt allume ce courroux.
Vous aimez, inhumaine, et vos transports jaloux...
ARGÉLIE.
Ô Ciel ! tout est perdu ! Traîtres, Phœnix, Ismène,
Arcas, ou je n’aurai que le seul nom de Reine,
Et mes lâches Sujets seront tous révoltés,
Ou bien je punirai...
ARCAS.
Moi, Madame ?
ARGÉLIE.
Sortez,
Allez.
Scène VI
ARGÉLIE, CLYTIE
ARGÉLIE.
Quoi ? de mes mains ma proie est échappée ?
Mon amour est connu ? ma vengeance est trompée ?
Fais revenir Arcas. Cours. Étrange fureur !
Timagène en Phœnix trouve son Défenseur !
Sans doute on a trahi mon Trône, et ma personne.
Scène VII
ARGÉLIE, ARCAS
ARGÉLIE.
Use bien des moments que ma bonté te donne,
Perfide. Ton salut est encore en tes mains ;
Mais de mes Ennemis apprends-moi les desseins,
C’est l’unique moyen d’éviter ton supplice.
Ne me déguise rien.
ARCAS.
Que le Ciel me punisse,
Madame, si jamais ou la crainte, ou l’espoir,
M’a fait un seul moment démentir mon devoir.
Vous le verrez. Brûlants d’un courroux légitime,
Mes Soldats ici près attendaient leur victime ;
Quand Phœnix appelle par vos ordres secrets,
Suivi de Gens unis avec lui d’intérêts,
Dont il voit chaque jour se fortune adorée,
De cet Appartement a demandé l’entrée.
En vain par des détours qui mènent en ces Lieux,
Les Gardes ont voulu le conduire à vos yeux ;
Leur refus le portant à quelque défiance,
Lui, les siens, aussitôt se sont mis en défense ;
Lorsque par mes Soldats Timagène surpris,
A du fonds du Salon fait retentir ses cris.
Amis, a dit Phœnix, on trahit Timagène.
C’est lui, c’est mon Rival ; mais c’est l’Époux d’Ismène.
Sauvons-le, et secondant notre propre malheur,
Montrons-nous plus que lui dignes de son bonheur.
ARGÉLIE.
Ah ! l’ingrat !
ARCAS.
Aussitôt à travers le carnage
Leur fureur jusqu’à nous s’est ouvert un passage,
Timagène à leurs cris ranimant sa fierté ;
Voit le prix, a-t-il dit, de ma fidélité,
Phœnix, la Reine m’aime, et Rivale d’Ismène...
ARGÉLIE.
L’imposteur ! à l’amour il impute ma haine !
Et par sa vaine fourbe espérant m’alarmer...
Mais quoi ? vous, vos Soldats, n’ont pu le désarmer ?
ARCAS.
Je l’ai fait. Je l’ai cru sans nulle autre défense.
Un poignard qu’il cachait à notre prévoyance,
Poussé subitement au sein de deux Soldats,
L’a malgré nos efforts dégagé de nos bras.
Les armes qu’aussitôt aux deux Morts il a prises,
Phœnix, qui le tenait à couvert des surprises,
Ses Amis avec lui venus à son secours,
D’une mort assurée ont garanti ses jours.
Cependant nos Soldats rallumant leur courage,
Sur les Gens de Phœnix ont assouvi leur rage.
Aucun n’est échappé. Lui-même sans appui
Serait mort avec ceux qui combattaient sous lui ;
Si je n’eusse pensé que d’une telle offense
Le fer seul des Bourreaux vous devait la vengeance ;
Et que précipitant un si juste trépas,
Je punissais le crime, et ne vous vengeais pas.
Nous l’avons épargné. Pour trouver Timagène,
J’ai fait dans le Palais une recherche vaine.
Dans la foule des Morts il ne s’est point trouvé.
Tout mourant qu’il était, sans doute il s’est sauvé.
ARGÉLIE.
Ôtez-vous de mes yeux.
Scène VIII
ARGÉLIE, seule
Fuis toi-même la vue
D’une Cour, où ta honte est déjà trop connue,
Malheureuse Argélie ! ou Reine jusqu’au bout,
Renverse, accable, tue, assassine, perds tout.
C’est avec des Ingrats garder trop de mesures.
Ton courroux t’en avait suggéré de plus sûres.
Au moment que tes yeux virent briller leurs feux,
Il fallait dans leur sang les éteindre avec eux ;
Et loin de mettre au jour le faible de ton âme,
Dans leur commun cercueil ensevelir ta flamme,
Hé bien, fais maintenant ce que tu n’as pas fait.
Par de plus grands forfaits couronne leur forfait.
Hélas ! il est trop tard. Où sont tes trois victimes ?
Aveugle ! que et sert d’entasser tant de crimes,
Si celui dont la mort en est le premier fruit,
Sort malgré toi du piège où tu l’avais conduit ?
Il n’est plus en tes mains. En ce montent peut-être
Il séduit tes Sujets, pour s’en rendre le maître.
Pense un peu de quel œil ton Peuple, tes Soldats,
Pourront voir ta défaite aptes tant de combats ?
Témoins de tant d’assauts que ta vertu sévère
Soutenait contre ceux qui cherchaient à te plaire.
Te pardonneront-ils cet indigne retour ?
Comment souffriront-ils qu’au milieu de sa Cour,
Une Reine aux soupirs jadis inaccessible,
Soupirante aux genoux d’un Sujet insensible,
Le Diadème au front, et le Sceptre à la main,
Mendie un lâche cœur, et le mendie en vain ?
Mais l’as-tu mendié ? Tes injustes caprices
N’ont offert à ses yeux que morts, et que supplices.
Pour inviter l’Ingrat à quelque repentir,
Que ne hasardais-tu quelque tendre soupir ?
Un seul, peut-être, un seul, en lui marquant ta flamme,
À soupirer de même eut enhardi son âme.
C’est bien là qu’il fallait exercer ta fierté ?
Vois, malheureuse, vois ce qu’elle t’a coûté.
Avare d’un soupir, tu prodigues ta gloire.
De cent Rois tes Aïeux tu ternis la mémoire.
Venge les ces Aïeux du tort que tu leur fais.
N’attends pas qu’un Ingrat enfonçant ton Palais,
Vienne braver encor la Majesté suprême,
Sur un Trône, où ta main l’allait placer lui-même,
N’attends pas que suivi d’un Peuple factieux,
Il vienne délivrer tes Captifs à tes yeux.
Préviens-le par la mort de son Ami rebelle,
Par celle de ta Sœur. Quel triomphe pour elle,
De me voir se Rivale, et l’emporter sur moi,
Quand j’ajoute un Empire à l’offre de ma foi ?
Oui, puisqu’il faut porter le titre d’Inhumaine,
Méritons-le autrement que par les fers d’Ismène.
Que fait-elle aussi-bien captive dans mes fers,
Qu’occuper plus longtemps ses yeux de l’Univers ?
Et par le triste cours d’une trop longue peine,
En fixer à loisir sur moi toute la haine.
Il faut, pour la punir avec plus de rigueur,
Ou la main d’un Amant, ou celle d’une Sœur.
Si de si grands forfaits me rendent odieuse,
Leur grandeur en rendra ma honte glorieuse ;
Et j’irai du récit de tant de cruauté
Donner de la teneur à la Postérité.
ACTE V
Scène première
ISMÈNE, DIONE
Gardes qui sortent d’abord.
ISMÈNE.
Quel présage, Dione ! Parlez. On se tait. On nous laisse.
On nous enferme. Hélas ! souffrirons- nous sans cesse ?
En vain je prétendais trouver ici la mort :
Mais de ma main sans doute on attend cet effort.
Ne le différons plus. Le dépit de la Reine,
Sa haine, son amour plus cruel que sa haine,
Ce silence affecté pour me remplir d’effroi,
Ces marbres teints du sang qu’on a versé pour moi,
Le trépas de Phœnix, où je me dois attendre,
Tout m’apprend mon devoir, si je le veux entendre.
Ah ! si tu plains les maux dont mon cœur est atteint,
Finis ceux qu’il endure, et prévient ceux qu’il craint,
Dione, jusqu’ici tu m’as si bien servie,
Achève. Aide-moi donc à sortir de la vie ;
Le plus léger effort pourra me la ravir.
DIONE.
Hé ! Madame, est-ce ainsi que je dois vous servir ?
Rappelez, rappelez cette noble constance,
Qui de vos Ennemis bravant la violence,
Vous a fait au milieu de vos adversités,
Triompher de vous-même, et de leurs cruautés.
Disputez jusqu’au bout l’une et l’autre victoire.
On attaque vos jours bien moins que votre gloire ;
Et si votre vertu ne vient à son secours,
Il faudra...
ISMÈNE.
Tu devais me tenir ce discours,
Quand de tes vains conseils écoutant l’injustice,
J’ai fait de Timagène un lâche sacrifice ;
Quand j’ai banni l’objet qui m’avait su charmer ;
Ah ; barbare, est-ce là comme il fallait aimer ?
Jouis, jouis des fruits de ta fausse prudence.
Celui que tu perdais repose en assurance ;
Et celui dont les jours font le bonheur des tiens,
Peut-être en ce moment se voit trancher les siens !
DIONE.
On ouvre. C’est Arcas, Ah ! vous êtes perdue !
Scène II
ISMÈNE, ARCAS, DIONE
ISMÈNE.
Arcas, ne tenez plus ma douleur suspendue,
Qu’a-t-on fait de Phœnix ? Parlez.
ARCAS.
Madame, hélas !
C’est assez que vos maux...
ISMÈNE.
Laissez mes maux, Arcas.
Parlez-moi de Phœnix. Ma mort est assurée.
Je le sais. Vous voyez que j’y suis préparée.
Mais Phœnix est-il mort ?
ARCAS.
Madame, il va mourir.
ISMÈNE.
Il va mourir ? Arcas, daignez me secourir.
Ma Sœur écoutera la voix de la Nature.
Voyez-la, De mes maux faites-lui là peinture.
ARCAS.
L’ordre est précis. La Reine...
ISMÈNE.
Ah ! ne la croyez pas,
Elle peut révoquer l’Arrêt de son trépas.
Laissez pour quelque temps refroidir sa colère,
Et n’exécutez pas un ordre si sévère.
Une aveugle fureur sans doute l’a dicté.
Mes yeux sur Timagène ont quelque autorité.
Je le rendrai sensible à l’amour de la Reine.
Vous ne l’ignorez pas. Elle aime Timagène.
La jalousie a voit condamné cet Amant ;
Mais peut-être l’Amour l’absout en ce moment,
Peut-être elle connaît que Phœnix l’a servie.
Voyez à quoi je m’offre. Elle sera ravie
De retrouver un cœur qu’elle croyait perdu,
Et bénira le bras qui l’aura défendu.
ARCAS.
Phœnix ne peut, Madame, éviter son supplice.
Ici de se révolte on me croyait complice.
Je dois, pour ma défense, obéir promptement ;
Et l’on a mis ma grâce à ce prix seulement.
ISMÈNE.
À ce prix !
ARCAS.
Sachez donc le sujet qui m’amène.
Phœnix a su de moi les ordres de la Reine.
Il devoir en secret mourir dans se prison.
On lui laissait le choix du fer, ou du poison.
Ce Héros insensible à tout ce qui le touche,
Pour plaindre ses malheurs, n’a pas ouvert la bouche.
Sur votre destinée, incertain, alarmé,
Avec empressement il s’en est informé,
Il m’a fait voir poux vous la même inquiétude,
Où vous met de son sort la triste incertitude ;
Et ce tendre rapport de soins et de douleurs,
Me fait voir le rapport de vos fidèles cœurs.
Mon bonheur, m’a-t-il dit, surpasse mon envie ;
En m’annonçant la mort, vous me rendez la vie.
Puis qu’Ismène est encor maîtresse de son sort,
C’est à ses pieds qu’il faut aller chercher la mort.
ISMÈNE.
À mes pieds ? Ah ! Dione.
ARCAS.
Allez trouver la Reine.
Ce n’est point, m’a-t-il dit, pour retarder ma peine,
Je n’ai pour la venger, besoin que de mon bras ;
Mais puisque de mon choix elle attend mon trépas,
Sa vengeance, ma mort sera plus mémorable,
Si je meurs près des yeux qui m’ont rendu coupable.
ISMÈNE.
Ah ! courez. Empêchez cet excès de fureur.
Vous êtes si puissant sur l’esprit de ma Sœur,
Arcas, pour la fléchir, il suffit qu’elle entende...
ARCAS.
Non, Phœnix a d’abord obtenu se demande.
Je vous plains l’un et l’autre, et sans tous vos ennuis ;
Mais vous plaindre, Madame, est tout ce que je puis.
Mon unique devoir, c’est...
ISMÈNE.
Sœur impitoyable.
Jamais d’aucun amour ton cœur fut-il capable ?
Égorger à mes yeux un malheureux Amant !
Non, tu n’en eus jamais le moindre sentiment.
Pour me faire un tourment que nul autre n’égale,
Pour me désespérer, tu te feins ma Rivale.
ARCAS.
J’entends le Prince.
ISMÈNE.
Ô Dieux ! qu’il n’entre point ici ?
Que je sorte ? Cruels, laissez-moi.
DIONE.
Le voici.
ISMÈNE, se jetant sur Dione.
Je meurs.
Scène III
ISMÈNE, PHŒNIX, ARCAS, DIONE
PHŒNIX.
Je le vois bien, ma présence vous blesse.
Je fais un nouveau crime, adorable Princesse,
Je vous désobéis ; mais je viens m’en punir.
Et ce n’est qu’un soupir que je veux obtenir.
Je vous avais promis d’éviter votre vue.
Votre bouche tantôt me l’avait défendue.
Résolu d’adorer jusqu’à votre courroux,
J’ai fait...
ISMÈNE.
Et pourquoi donc, cruel, me voyez-vous ?
PHŒNIX.
Pour convaincre vos veux de mon obéissance.
Dont en vain mes serments vous donnaient assurance.
Les serments font souvent d’infidèles témoins ;
Un Amant les prodigue, et les prodigue à moins,
Tout mon sang vous devait garantir ma promesse,
Me chassant de vos yeux avec tant de tendresse,
Sachant que je vivais, connaissant mon amour,
Vous eussiez chaque instant dû craindre mon retour.
Votre crainte ne peur cesser qu’avec ma vie.
Hé bien ! ne craignez plus. Je vous la sacrifie.
Mais au moins d’un regard approuvant mon trépas,
Voyez mourir un feu que vous n’approuvez pas,
Quoi ? vous ne daignez pas sur moi tourner sa vue ?
Hélas ! votre rigueur ne m’est que trop connue !
Vous voulez jusqu’au bout me rendre malheureux.
Mais que n’ai-je pas fait pour seconder vos vœux ?
Par mon empressement à lire dans votre âme,
De mon Rival aimé j’ai couronné la flamme.
Je pouvais en secret m’applaudir de ses maux ;
Et je l’ai délivré des mains de ses Bourreaux,
Je pouvais en vivant nourrir se jalousie.
Je viens à son repos sacrifier ma vie.
Je vous rends l’un et l’autre heureux par mes malheurs ;
Mais pour prix de mon zèle à servir vos rigueurs,
Ne pourrai-je espérer, qu’avec des yeux tranquilles,
Vous regardiez au moins...
ISMÈNE.
Regards trop inutiles !
Je les ai prodigués tantôt pour vous sauver.
Tendres comme ils étaient fallait-il les braver ?
Vous deviez à mes yeux assez de confiance,
Pour leur laisser le sein de pleurer votre absence ;
Mais vous leur pouviez bien, pour prix d’un tel effort,
Épargner la douleur de pleurer votre mort.
Tous mes pleurs n’ont rien fait.
PHŒNIX.
Un mot pouvait tout faire.
Mais l’amour l’a dû dire, et la pitié se taire.
C’est lui seul que j’entends. C’est à ses seuls appas,
Que mon cœur...
ISMÈNE.
Pourquoi donc ne l’entendez-vous pas ?
Ah ! c’en est trop. Mon cœur ne peut plus se contraindre,
Sur le bord du cercueil, il n’est plus temps de feindre.
Phœnix, je vous aimais.
PHŒNIX.
Ô Ciel ! vous m’aimiez ?
ISMÈNE.
Vous :
Et cet amour m’a fait choisir un autre Époux.
On m’avait découvert les desseins de la Reine,
J’ignorais son amour ; mais sûre de sa haine,
Je savais qu’en secret on préparait la mort
À celui que mon choix unirait à mon sort.
Pouvais-je vous aimer, Seigneur, et me résoudre
À vous livrer au bras qui vous lançait la foudre ?
Sur votre Rival seul j’en détournais les coups ;
En me donnant à lui, je me gardois pour vous.
Vos vertus l’ont tiré d’un péril si funeste ;
Mais votre amour pour moi devait faire le reste.
Vous deviez le sauver ; mais deviez-vous périt ?
Après un tel aveu je n’ai plus qu’à mourir,
Qu’on me mène à la mort.
PHŒNIX.
Un moment, ma Princesse,
Faut-il...
ISMÈNE.
Ne soyez plus témoin de ma faiblesse ;
Laissez-moi. J’ai fait plus que je ne dois pour vous ;
Et j’en dois, contre moi ; justice, à mon Époux.
Il saura mon secret que nul de vous n’ignore,
Il connaîtra le feu qui pour vous me dévore,
Il verra que vous seul causez tout mon ennui ;
Que mon cœur est à vous, quand ma main est à lui ;
Que pour vous épargner, j’ai prodigué sa vie :
Mais il verra qu’aussi je m’en serai punie ;
Qu’ingrate à mon Amant, perfide à mon Époux,
Indigne également de lui comme de vous,
Funeste à ma Patrie, odieuse à ma Reine,
J’aurai couru moi-même au devant de ma peine ;
Et vengé ma vertu des efforts indiscrets,
Que contre ses conseils ont fait mes feux secrets.
PHŒNIX.
Soyez donc moins injuste au choix de vos victimes ;
C’est mon perfide amour, qui vous dictait ces crimes
C’est moi qui sous leur poids dois seul être opprimé ;
Mais je meurs innocent, puisque je meurs aimé ;
Et le dernier effort où mon âme s’apprête,
Madame, ne saurait...
Scène IV
ISMÈNE, PHŒNIX, ARCAS, CLYTIE, DIONE
CLYTIE.
Arcas, que l’on arrête ?
La Reine le commande. Elle vient sur mes pas.
PHŒNIX.
Venez-vous révoquer l’Arrêt de mon trépas ?
CLYTIE.
Ou plutôt vous donner de nouvelles alarmes.
On nous assiège. Ou voit toute la Ville en armes.
Mille Soldats en foule accourent au Palais.
Timagène à leur tête... Et si vos intérêts,
Madame...
Scène V
ARGÉLIE, ISMÈNE, PHŒNIX, ARCAS, CLYTIE, DIONE
ARGÉLIE.
Enfin voici l’effet de votre intrigue ;
Et ce n’est plus le cœur d’Ismène que l’on brigue.
C’est à moi qu’on en veut, à mon Trône, à mes jours :
Mais malgré vos fureurs, la mienne aura son cours.
Ta mort...
ISMÈNE.
Hé quoi ? faut-il encor qu’on la diffère ?
ARGÉLIE.
Viens, perfide, ta mort m’est ailleurs nécessaire.
Ton insolent Époux m’assiège dans ces Lieux,
Viens réprimer sa rage, ou mourir à ses yeux.
PHŒNIX.
Arrêtez, Ce devoir ne touche point Ismène.
C’est moi, qui de vos mains ai sauvé Timagène,
C’est moi qui dois calmer ses injustes transports ;
Et je n’y ferai point d’inutiles efforts.
Je vous réponds pour lui de son obéissance,
Pourvu que d’une Sœur épargnant l’innocence,
Vous vouliez respecter votre sang dans le sien ;
Et pour tous nos forfaits vous contenter du mien,
Je mourrai trop heureux, quand...
ARGÉLIE.
Suis-moi. Toi, perfide,
Attends que de ton sort la victoire décide.
Si je la pers, tu meurs.
ISMÈNE.
Hélas ! où courez-vous, Seigneur ?
PHŒNIX.
Madame, adieu. J’ai servi votre Époux,
Je vais servir encor ma Princesse, la Reine ;
Mériter votre amour ; triompher de se haine ;
Et montrer que je fus, jusqu’au dernier moment,
Bon Ami, bon Sujet, et plus fidèle Amant.
Allons.
Scène VI
ISMÈNE, DIONE, GARDES
ISMÈNE.
Laissez, cruels, il faut que je le suive.
Quoi ? Phœnix va mourir, et l’on veut que je vive ?
J’ai tout promis. Ma main, mon cœur n’est plus à moi.
À leur défaut mon bras dégagera ma foi.
Cesse de m’arrêter, inhumaine Dione,
Tu vois le désespoir où mon cœur s’abandonne.
C’est en vain que je parle. On ne m’écoute pas.
Mais, lâche, pour mourir as-tu besoin d’un bras ?
Ah ! n’as-tu pas un cœur que l’amertume noie ?
Et qu’à mille douleurs l’Amour expose en proie ?
Ne saurais-tu trouver, dans ces mêmes douleurs,
Le funeste secours que tu cherches ailleurs ?
DIONE.
Hé ! Madame, espérez la fin de votre peine.
Phœnix par ses discours fléchira Timagène.
Timagène à la Reine offrant un cœur plus doux,
En faveur de Phœnix fléchira son courroux ;
Et la Paix terminant cette affreuse querelle...
ISMÈNE.
Non, mon sort me répond d’une guerre éternelle.
Phœnix est mort, Dione, Se Timagène aussi.
Ma Sœur triomphe. Allons, Mais Cléon entre ici.
Scène VII
ISMÈNE, CLÉON, DIONE, GARDES
CLÉON.
Omphis, et vous Licas, respectez votre Reine.
Il n’est plus d’Argélie.
ISMÈNE.
Ah Cléon !
CLÉON.
Timagène,
Madame, ce Héros heureux en son malheur,
Vient soumettre à vos pieds la Couronne, et son cœur.
ISMÈNE.
Timagène ! Et Phœnix, Cléon ?
CLÉON.
Comblé de joie
De voir qu’à vos Tyrans vous n’êtes plus en proie,
Il vient... Mais apprenez la fuite d’un succès.
Qui finit tous nos maux. Se prévient nos souhaits,
Timagène fuyant l’implacable furie
Des parricides mains qui poursuivaient sa vie,
Percé de plusieurs coups, sur lui de toutes parts
A soudain d’un grand Peuple attiré les regards.
Voyez, voyez l’essai des fureurs de la Reine,
A-t-il dit, craignez tout pour Phœnix, pour Ismène,
Pour vous, si prévenant ses lâches cruautés,
Vous n’assurez leurs jours avec vos libertés ;
Ces mots qu’avec ardeur prononcent Timagène,
Tout ce qu’il ajoutait des amours de la Reine,
Le sang, qui de son flanc bouillonnant à grands flots,
Marquait de traits fumants les pas de ce Héros ;
Vos maux, des maux publics les funestes présages,
Ont pour votre défense armé tous les courages,
À peine a-t-il permis, en ce pressant besoin,
Que d’arrêter son sang on ait pris quelque soin.
Peuple, a-t-il dit, Soldats, Amis, le danger presse.
Mourons, ou délivrons Phœnix, et la Princesse,
Chacun s’écrie. Il marche appuyé sur nos bras.
La foule qui le soir grossit à chaque pas.
On arrive au Palais. Les Portes enfoncées
Donnent facile accès aux Troupes empressées,
Quand les Gardes, Phœnix, et la Reine en courroux,
Au bas de l’Escalier se présentent à nous.
Leur surprise paraît. Timagène s’avance,
Du bras et de la voix veut imposer silence ;
Mais un grand bruit décris et d’armes à la fois,
Dans un tumulte affreux fait confondre se voix ;
Et l’on n’entend parmi tout un Peuple en furie,
Que vive la Princesse, et périsse Argélie.
À ces mots on a vu fondre de toutes parts
Sur la Reine étonnée un orage de dards.
De cent coups à l’instant mortellement frappée,
Elle plaint moins sa mort, que se haine trompée,
Et confesse en mourant, que sa seule douleur,
Est de laisser en paix son Amant, et sa Sœur.
Scène VIII
ISMÈNE, TIMAGENE appuyé sur PHŒNIX, CLÉON, DIONE, GARDES
ISMÈNE.
Ah ! Seigneur, de quel sang...
TIMAGÈNE.
M’en soyez point émue.
Ce sang qui tout fumant dégoûte à votre vue,
Ma Princesse, n’est point celui de votre Sœur.
Tout coupable qu’il est, il vous eut fait horreur.
Je ne suis point fouillé de ces taches funestes.
C’est mon sang dont je viens vous consacrer le reste.
Je viens...
ISMÈNE.
À quel excès votre fidélité,
Pour assurer mes jours, vous a-t-elle emporté ?
Quel transport suiviez-vous.
TIMAGÈNE.
Quel autre ai-je dû suivre ?
Vivre, et vous voir mourir ; mourir, et vous voir vivre ;
Asservi par le Sort à l’une de ces Lois,
Pouvais-je un seul moment balancer sur le choix ?
Mais ce choix sans Phœnix allait être inutile.
Nous mourions vous et moi d’une mort lâche et vile ;
Et nous devons, Madame, à son illustre effort,
Vous, votre vie, et moi la gloire de ma mort.
À ma reconnaissance unissez donc la vôtre.
D’un Époux expirant recevez-en un autre ;
Et souffrant que ma main lui cède votre foi,
Faites moi mériter ce qu’il a fait pour moi.
Vives. Régnez.
PHŒNIX.
Cher Prince, hé quoi ? mais il expire ;
Et ses derniers soupirs seulement encor vous dire,
Madame, que mon cœur...
ISMÈNE.
Le mien n’est plus qu’à vous :
Mais laissez-moi pleurer ma Sœur, et mon Époux.